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April 9, 2024
French

"France requires that those responsible for these genocides be tried"

Number: 779
Date: 16 juin 1994
Author: Juppé, Alain
Title: Intervenir au Rwanda
Source: Libération
Abstract: According to Alain Juppé, "France will have no complacency towards the assassins or their sponsors. France, the only Western country represented at ministerial level at the extraordinary session of the Commission on Human Rights in Geneva, demands that those responsible for these genocides be brought to justice".
Comment: In the aftermath of the Restricted Council where François Mitterrand decided, in agreement with the government, to launch a military operation in Rwanda, Alain Juppé, Minister of Foreign Affairs, published in Liberation a forum in which the duplicity of this operation. To write that France "demands that all those responsible for these genocides be tried" is to signify the will to do justice, but to speak of "responsible for these genocides" means that, for France, several genocides are in progress and therefore that the RPF is in the process of massacring the Hutu. This allegation has never been proven, while the genocide of the Tutsi has been recognized. Alain Juppé is only repeating the accusation of the French soldiers, such as Admiral Lanxade, who said in the Restricted Council on April 13, 1994 that "now it is the Tutsis who will massacre the Hutus in Kigali". The consequence of these remarks is that the military operation in preparation, supposedly humanitarian, aims to support the Hutu and to fight the RPF, which, according to Juppé's views, is engaged in "a merciless struggle for power " and "has chosen total and uncompromising victory". On the other side, he spares the Rwandan government and its army, accusing only the militias for the genocide of the Tutsi. He does not tolerate any suspicion against French diplomacy and claims that "France has never supported one Rwandan ethnicity against another", which is contradicted by the notes of the particular Chiefs of Staff , Admiral Lanxade then General Quesnot, to François Mitterrand where they equate the Tutsi with the enemy. At the height of cynicism, Juppé argues that "on the contrary, we support the moderates who, despite the persecutions to which they have been subjected, have survived". In reality, France has abandoned them to the Hutu killers whose leaders it has always supported. Thus, Agathe Uwilingiyimana, Prime Minister, was assassinated a few hundred meters from the French Embassy without Ambassador Jean-Michel Marlaud offering her protection. The former Minister of Foreign Affairs, Boniface Ngulinzira, negotiator of the peace agreements, was massacred after being refused an evacuation by the French soldiers of Operation Amaryllis acting on orders from Marlaud. The latter, whom Juppé says was mandated by him, participated in the formation of the government in violation of the Arusha peace accords which Juppé presents as the only basis for a political settlement. This point of view is in complete contradiction with that which the same Juppé expressed orally before the National Assembly on May 18, 1994. The refusal in July 1994 to arrest those responsible for the massacres shows that these calls by Juppé for justice do not were mere words to cover up a military operation intended to prevent the RPF from achieving its objectives of pursuing the assassins.
Citation: « Point de vue » Intervenir au Rwanda Alain Juppé Libération, 16 juin 1994 L’effroyable tragédie qui frappe le Rwanda est l’un des conflits les plus meurtriers de cette fin de siècle. L’horreur des massacres, la détresse de ceux qui en réchappent bouleversent les plus blasés. Il serait trop simple d’expliquer l’enchaînement du drame en déplorant je ne sais quelle “fatalité africaine” de la violence. Rappelons tout d’abord ce qu’était le Rwanda avant que le Président Habyarimana ne soit assassiné. Après des années de tensions ethniques et de lutte pour le pouvoir politique, un espoir est né : le Président, les Hutus modérés et le FPR avaient accepté de se parler et d’envisager un pouvoir partagé, renonçant ainsi à la tentation de l’affrontement militaire. Les accords d’Arusha du 4 août 1993, auxquels la diplomatie française avait apporté sa contribution en persuadant le chef de l’Etat rwandais d’ouvrir le système politique et en organisant les premiers contacts entre les autorités et le FPR, en sont la preuve. Ceux, dans un camp ou dans l’autre, qui ne voulaient pas de ces accords, précisément parce qu’ils laissaient une chance à la paix et écartaient une solution militaire, ont tout fait pour retarder leur mise en œuvre. Tout, jusqu’à l’irréparable : l’assassinat du Président qui avait accepté d’écouter la voix de la modération. Aujourd’hui, le Rwanda affronte un conflit à la fois ethnique et politique. Il faut parler de génocide, car il y a bien volonté délibérée des milices actives, dans les zones gouvernementales, d’abattre les Tutsis, hommes, femmes, enfants, blessés, religieux, en raison de leur seule origine ethnique. Mais dans le même temps se livre une lutte sans merci pour le pouvoir, où les modérés ont été les premières victimes des extrémistes hutus et où la branche militaire du FPR a choisi la victoire totale et sans concession. Rien de cela n’est tolérable. Et tout le monde dans ce chaos porte sa part de responsabilité. La France, dit-on volontiers ; mais pas la France seule. La politique que nos gouvernements ont menée depuis plusieurs années au Rwanda n’a certes pas été infaillible. Les centaines de milliers de victimes que l’on déplore aujourd’hui en démontrent tragiquement les limites. Mais on ne peut tolérer qu’un soupçon quelconque puisse peser sur l’esprit dans lequel la diplomatie française a travaillé au Rwanda. La France n’a jamais soutenu une ethnie rwandaise contre une autre. Elle ne cesse de marteler une évidence : il ne peut y avoir de solution politique qui 1 2 consisterait à ce qu’un seul parti confisque le pouvoir aux dépens de tous les autres. Ceci était vrai du parti du Président Habyarimana et vaut tout autant pour le FPR : il n’y aura pas de règlement durable en dehors d’un pouvoir partagé. Cette position de principe contrarie ceux qui, dans chacun des camps rêvent de gouverner seuls, sans dialogue. Si nous avions réussi à convaincre le Président Habyarimana d’accepter le compromis, les extrémistes de son clan ne l’entendaient pas ainsi et ont agi pour empêcher le Président d’appliquer sérieusement les accords d’Arusha. Mais la communauté internationale avait-elle pris suffisamment d’assurances pour que ces accords soient mis en œuvre ? Je ne le crois pas. Il y a un an, la diplomatie française avait mené une campagne de sensibilisation intense pour appeler à l’envoi d’une force des Nations unies, force prévue dans ce qui allait devenir les accords d’Arusha. Disons-le : l’indifférence internationale à l’égard du Rwanda était alors totale. Il fallut des mois pour que les Nations unies s’installent à la frontière ougandaise, puis pour constituer la première mission des Nations unies au Rwanda (MINUAR) et qu’elle parte à Kigali. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats concernés (membres du Conseil de sécurité, pays de la région) ont-ils vraiment tiré les conséquences du drame que vit le Rwanda ? J’aimerais le croire. La MINUAR renforcée n’est pas encore sur le terrain. N’accusons pas les Nations unies : il faut des contingents et, si les pays africains ont courageusement répondu à l’appel, il faut les équiper. Le gouvernement français a dégagé 20 MF pour cela ; j’espère que d’autres prendront le relais et agiront vite. Rien ne doit ralentir le déploiement des Casques bleus, qui seul permettra de sauver des vies. Il ne suffit pas d’appeler la présence des Nations unies de ses vœux pour se donner bonne conscience. Il faut agir. Sur plan humanitaire, cela va de soi. La France a été le premier pays à mobiliser une aide conséquente, qui dépasse aujourd’hui 30 MF, et à la faire parvenir à ses destinataires : ponts aériens, soutien à la Croix-Rouge, au HCR, aux ONG, envoi d’infrastructures aux camps de réfugiés, mise en place d’une antenne du Samu mondial, aucun moyen, aucun canal n’est négligé pour venir en aide aux populations civiles. Mais l’action humanitaire d’Etat sans projet politique trouve vite ses limites. Notre vision de la solution à la crise rwandaise, nous l’avons développée au Conseil de sécurité, avec succès. Nous l’avons également fait connaître aux pays proches du Rwanda, en dépêchant auprès de leurs autorités notre ambassadeur au Rwanda, Jean-Michel Marlaud, que j’avais personnellement mandaté pour cette mission indispensable. Au sommet de l’OUA à Tunis, la France a vivement encouragé la rencontre des chefs d’Etat africains les plus concernés, qui a enfin pu avoir lieu. Si la France s’est déclaré favorable à une réunion rapide des chefs d’Etat des pays voisins du Rwanda, c’est que les interactions entre les pays de la région et la perméabilité des frontières sont une réalité qu’on ne peut ignorer et qui peut jouer un rôle pacificateur ou au contraire contribuer à un embrasement général. A l’heure actuelle, la Tanzanie, le Burundi subissent des flots de réfugiés et, pour ce dernier pays, les risques de déstabilisation sont grands. Il serait particulièrement injuste que le sens des responsabilités, démontré depuis le début 3 de la crise par les dirigeants burundais, soit battu en brèche par la contagion des extrémistes. S’agissant de l’Ouganda et du Zaïre, il est indispensable que leurs dirigeants fassent preuve d’un même esprit constructif et prennent toutes les mesures pour empêcher que le conflit soit alimenté depuis leur territoire. Un embargo obligatoire sur les armes a été voté par le Conseil de sécurité avec notre plein soutien. Il doit être respecté par tous. Quel sera l’avenir du Rwanda ? Cessez-le-feu, fin des massacres sont un préalable à toute chose. Il faudra aussi créer les conditions d’un retour des réfugiés. A tout cela, les Nations unies peuvent grandement contribuer. S’imposera alors la nécessité d’une reprise du dialogue politique, quelle que soit la situation militaire sur le terrain. Je souhaite que la volonté de paix l’emporte, et avec elle le souci de réconciliation nationale entre les Rwandais de bonne volonté. Ceci exclut naturellement ceux qui ont commis, encouragé ou couvert des massacres. Avant tout, il faut les identifier afin de les exclure de toute négociation sur l’avenir d’un pays qu’ils ont contribué à détruire. La France n’aura aucune complaisance à l’égard des assassins ou de leurs commanditaires. La France, seul pays occidental représenté au niveau ministériel à la session extraordinaire de la Commission des droits de l’homme à Genève, exige que les responsables de ces génocides soient jugés. Nous soutenons au contraire les modérés qui, malgré les persécutions dont ils ont fait l’objet, ont survécu – et, c’est la fierté de la France, souvent avec notre aide – et sont prêts à jouer leur rôle dès lors que les conditions en seront à nouveau réunies. Ils n’y parviendront pas seuls. Le devoir de la communauté internationale est de les protéger, de les soutenir, de faire en sorte que leur voix soit entendue et celle de tous les extrémistes étouffée. C’est un véritable devoir d’intervention que nous avons au Rwanda. Il n’est plus temps de déplorer les massacres les bras croisés mais de prendre des initiatives. L’urgente nécessité de l’intervention internationale doit nous conduire à faire preuve d’imagination et de courage. Si la MINUAR tarde à arriver au Rwanda, pourquoi ne pas utiliser une partie des 18 000 Casques bleus encore présents en Somalie et qui pourraient rapidement rejoindre Kigali ? J’ai proposé ce schéma au Secrétaire général des Nations unies, qui y est favorable dans son principe. Nous œuvrons par l’entremise de notre représentant permanent à New York. Si tout cela ne suffisait pas, la France est prête avec ses principaux partenaires européens et africains, à préparer une intervention sur le terrain afin de mettre fin aux massacres et de protéger les populations menacées d’extermination. Aucune solution ne doit être écartée pour que cesse la tragédie rwandaise. La France entend prendre toute sa part à cet effort.

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