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Mise à jour :
9 août 2025 Anglais

Alain Juppé : « Certains analystes considèrent que l'intervention française a fait le jeu du FPR contre les Hutu dont les lignes d'approvisionnement en armes ont été coupées »

Fiche Numéro 35281

Numéro
35281
Auteur
Bilalian, Daniel
Auteur
Rabine, Giles
Auteur
Duquesne, Benoît
Auteur
Olliéric, Dorothée
Date
5 juillet 1994
Amj
19940705
Heure
13:00:00
Fuseau horaire
CEST
Surtitre
Journal de 13 heures
Titre
Alain Juppé : « Certains analystes considèrent que l'intervention française a fait le jeu du FPR contre les Hutu dont les lignes d'approvisionnement en armes ont été coupées »
Soustitre
Les centaines de milliers de Hutu qui fuient l'avance du FPR sont aussi en danger.
Taille
38803 octets
Nb. pages
7
Source
Fonds d'archives
INA
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
fr
Résumé
- La situation au Rwanda. Les forces françaises qui ont reçu l'ordre de contenir l'avance des forces du FPR se sont fortement installées dans le Sud-Ouest du pays. Cette région est la seule qui ne soit pas encore contrôlée par les forces du FPR qui, hier après-midi [4 juillet] en revanche, ont conquis totalement la capitale Kigali.
- Cette explosion de joie n'est pas feinte, ces gens-là ont vécu ici depuis deux mois, autour de cette église Sainte-Famille, une vraie descente aux enfers.
- Celui qu'ils accueillent comme un libérateur, c'est le commandant Rose, le vainqueur du jour, qu'ils ont reconnu, bien que les officiers du FPR ne portent jamais le signe distinctif de leur grade.
- Jusqu'aux premières heures de l'aube, les mercenaires vaincus ont cherché à assassiner. Alors qu'on nous emmène voir le cadavre d'un des rares mercenaires que la foule de réfugiés a pu tuer, nous découvrons que deux de leurs victimes, une femme, et plus loin un homme, vivent encore.
- Le vainqueur du jour descend dans la véritable fosse où ces réfugiés sont entassés depuis plusieurs semaines. Les mercenaires gouvernementaux, quand ils étaient ivres ou drogués, venaient tuer contre ce mur, devant tous les autres réfugiés, quelques victimes choisies au hasard. Ces maigres taches de sang sont le témoignage de l'assassinat de plus de 120 personnes.
- Dans chaque tombe, plus de 10 cadavres sont enterrés. Aux heures des plus violents massacres, les gouvernementaux jetaient les cadavres dans le ravin.
- Le centre-ville a été pris en un peu plus de deux heures. Les soldats nous ont confié qu'ils ont attaqué la ville par tous les côtés, par toutes les routes en même temps, sauf une, celle de Gisenyi, qu'ils ont laissé ouverte et par où les soldats et les mercenaires gouvernementaux se sont enfuis pour tenter de rejoindre la région où opèrent les troupes françaises. Selon plusieurs témoignages, le FPR disposait de blindés.
- À l'orphelinat de Marc Vaiter, on n'ose pas croire que le cauchemar est enfin terminé. En fuyant cette nuit, les mercenaires ont mitraillé l'orphelinat sans blesser personne. Notre arrivée déclenche des cris de joie.
- Quant à Marc Vaiter, qui a réussi à sauver 500 enfants et aussi quelques adultes cachés depuis deux semaines sous les combles, seul contre des fous de guerre, avec la seule force de sa conviction et de sa persuasion, il s'exprimera avec la même retenue et la même sérénité que d'habitude. Marc Vaiter : "C'est une grande joie, c'est une grande délivrance. On avait les balles perdues, on avait les éclats d'obus. Puis toujours cette menace pesante sur nous des attaques des miliciens".
- Son combat pour les orphelins continue. La guerre et la sauvagerie des massacres ethniques laissent au Rwanda plus de 60 000 orphelins.
- La France veut empêcher les forces du FPR de conquérir toute une région du sud-ouest du Rwanda où se trouvent réfugiés déjà des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants qui ont fui les combats. Empêcher à tout prix, même au prix d'une confrontation armée.
- Daniel Bilalian interroge à présent Benoît Duquesne, en duplex de Bukavu. Benoît Duquesne : "La situation est calme pour l'instant à Gikongoro, ce qui n'est pas très surprenant. Ne serait-ce sur le plan militaire puisque le FPR vient de prendre Butare et que, après une victoire comme cela, souvent les armées doivent se repositionner. Donc ça ne dit rien a priori sur les intentions du FPR. Toute la question maintenant est de savoir dans cette zone ce que vont être ces intentions : est-ce que le FPR va contourner cette fameuse zone, qui doit faire environ 10 kilomètres carré, dans laquelle se trouvent des camps ? Zone que les Français ont décidé de protéger coûte que coûte. Ou bien est-ce qu'ils vont vouloir en découdre avec les Français ? Ça sera, en fait, un choix politique". Daniel Bilalian : "On se demande à Paris si finalement les militaires français ne vont pas devenir, en quelque sorte, les protecteurs de ceux qui ont effectué les massacres de ces derniers mois ?". Benoît Duquesne : "Ils le sont inévitablement. Il y a parmi les gens qui se sont réfugiés dans cette zone des Hutu massacreurs, c'est évident. C'est évident depuis le début que les gens qui ont acclamé les Français quand ils sont arrivés dans cette zone gouvernementale étaient les mêmes qui avaient massacré aussi un grand nombre de Tutsi. Mais la question n'est plus là. Il y a maintenant des centaines de milliers de Hutu qui fuient l'avance du FPR. Ces gens sont aussi en danger. Les Français travaillent sur deux terrains en fait : à la fois ils essaient de protéger les Tutsi qui sont encore en vie dans la région. Et de les protéger des miliciens. Et puis en même temps ils viennent au secours, où ils essaient de protéger ces populations hutu menacées". Daniel Bilalian : "Vous avez senti les militaires français ce matin dans cette région fortement décidés à garder le terrain ?". Benoît Duquesne : "Ils sont tout à fait convaincus d'être en mesure de garder ce terrain là. Parce qu'ils ont une expérience, ils ont des moyens que n'ont bien sûr pas le FPR. En tout cas ils étaient hier [4 juillet] satisfaits des ordres qu'ils avaient reçus et qui étaient des ordres clairs".
- Nous sommes à Gikongoro. Le maire parcourt sa ville, haut-parleur et drapeau tricolore en tête, pour annoncer les nouvelles positions françaises. Félicien Semakwavu, bourgmestre de Nyamagabe : "Je dis à la population de rester calme et de rester sur place, de ne plus s'enfuir pour faciliter l'opération Turquoise ici au Rwanda".
- Dans l'esprit de tous, cette fois c'est clair : les Français vont les défendre, arrêter le FPR, du moins dans cette zone de sécurité, mettre un terme à leur exode.
- Des Français qui prennent position. Forts d'une centaine d'hommes supplémentaires, les effectifs sur la place de Gikongoro sont maintenant de 250.
- Ce matin, le colonel Thibaut a donc fait le tour de ses positions. La zone à défendre fait environ 10 kilomètre carré.
- Des blindés légers, des matériels très sophistiqués, des missiles Milan d'une portée de deux kilomètres avec visée infra-rouge, les militaires à Gikongoro sont persuadés d'être en mesure de faire face à n'importe quelle éventualité. Si l'on ajoute à cela deux compagnies de Légion stationnées à une trentaine de kilomètres en retrait, ils se disent prêts à protéger efficacement les 4 à 500 000 réfugiés qui s'agglutinent dans la région.
- Alors que le ministre de la Défense, Monsieur Léotard, est à Dakar au Sénégal pour essayer de trouver des soutiens africains dans cette opération, Monsieur Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères français réaffirme ce matin que notre pays ne s'est pas mis dans une situation de guerre. Alain Juppé : "Nous ne sommes pas en situation de guerre. Nous n'avons aucun but de guerre. Nous ne cherchons absolument pas à nous opposer à qui que ce soit. Nous cherchons à protéger les populations. S'il y a des troupes qui viennent attaquer des camps de réfugiés que nous protégeons, alors nous riposterons. Nous ne laisserons pas massacrer des hommes et des femmes sans défense. Ça c'est clair. Mais est-ce que ça s'appelle un but de guerre, ça ? Non. Il ne faut pas se laisser impressionner par une propagande, dont je vois les effets, selon laquelle la France serait là pour faire échec au FPR. Je serais même tenté de dire, si on allait jusqu'au fond des choses, que certains analystes considèrent que l'intervention française a fait le jeu du FPR contre les Hutu dont les lignes d'approvisionnement en armes ont été coupées. Alors vous voyez ? C'est beaucoup plus compliqué qu'on ne semble le dire. Et ce manichéisme dont nous n'arrivons pas à sortir selon lequel la France irait sauver les milices hutu contre l'avancée du FPR ne correspond ni à notre intention ni à la réalité du terrain".
- Le problème rwandais également évoqué par le président de la République, qui se trouve actuellement en voyage officiel en Afrique du Sud. Monsieur Mitterrand réaffirme que cette opération n'a pas une connotation colonialiste mais pour autant, dit-il, "la France reste le compagnon de l'Afrique". Mais comme Monsieur Juppé, Monsieur Mitterrand précise que la France n'est pas dans la guerre. Il s'agit bel et bien, dit-il, d'une "mission humanitaire". François Mitterrand : "La France n'entend pas mener d'opération militaire au Rwanda contre qui que ce soit. Le sort des Rwandais dépend des Rwandais. Le Front patriotique rwandais n'est pas notre adversaire ! Nous ne cherchons pas à retenir son éventuel succès ! Nous disons simplement : 'Il faut bien qu'il y ait quelque part un endroit où des gens en péril puissent trouver secours'. Nous tendons une main secourable. Là s'arrête notre action. Et nous sommes au regret de constater que les organisations internationales n'ont pas déjà mis en place le dispositif qui permettrait de ne pas laisser supporter cette charge à la France seule".
- Les organisations humanitaires françaises sont partagées depuis le début sur l'intervention militaire française au Rwanda. Philippe Biberson, président de Médecins sans frontières : "Nous avions appelé à l'arrêt du génocide. Et pour cela, nous pensions et nous continuons de penser qu'il y avait qu'une seule façon de l'arrêter, c'était par la force. Il fallait s'opposer, il fallait retenir la main des gens qui continuaient de faire ces massacres. Or, apparemment, ça n'a pas marché puisque le génocide continue, les milices sont toujours extrêmement actives. Et les responsables sont toujours là ! Donc, effectivement, si cette opération est déjà un échec de ce point de vue là, sa continuation continue de compliquer la chose et continue de compliquer considérablement la situation du point de vue humanitaire". Bernard Granjon, président de Médecins du monde : "À partir du moment où la France était engagée là-dedans avec une armée, elle était forcément conduite à retomber sur ses ornières politiques, d'autant qu'elle ne s'en est jamais démarquée, et donc à revenir aux anciennes habitudes et aux désastreuses habitudes, en l'occurrence au Rwanda. Et ailleurs, d'ailleurs. C'est-à-dire de soutenir le régime en place, qui en l'occurrence est un régime dictatorial, et des milices, qui en l'occurrence sont des milices assassines".