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9 avril 2024
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Alain Juppé : « Je ne crois pas que la communauté internationale puisse aller faire la police partout sur la planète »

Numéro : 17171
Date : 11 mai 1994
Auteur : Juppé, Alain
Titre : « La France et les États-Unis face aux défis d'aujourd'hui », John Hopkins School of Advanced International Studies, Washington [Réponse à une question à propos du Rwanda]
Source : Quai d'Orsay
Fonds d'archives : PolEtrang
Résumé : Après que François Mitterrand ait déclaré à la télévision le 10 mai 1994 : « nous ne sommes pas destinés à faire la guerre partout, même lorsque c'est l'horreur qui nous prend au visage », Alain Juppé, le lendemain, lors d'une conférence à la John Hopkins School of Advanced International Studies à Washington, surenchérit en répondant à une question de l'ambassadeur du Sénégal à propos du Rwanda : « Je ne crois pas que la communauté internationale puisse aller faire la police partout sur la planète et envoyer, partout où les gens se battent, des forces d'interposition ».
Commentaire : Alors que, pour le président Mitterrand, la France n'a pas à intervenir au Rwanda, pour Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, c'est toute la communauté internationale qui n'a pas à intervenir. On devrait donc laisser massacrer en paix. Rien ne peut être reproché selon lui à la France qui avait envoyé il y a un an « 800 hommes environ qui s'interposaient entre les deux factions ». Curieuse façon de maquiller le soutien militaire français aux Forces armées rwandaises (FAR). Après l'arrivée des Casques bleus et le retrait des militaires français, Juppé prétend qu'« un gouvernement de réconciliation nationale s'est mis en place ». C'est faux. Le Gouvernement de Transition à Base Élargie (GTBE) prévu par les accords d'Arusha n'a pas été mis en place et quand Habyarimana a fini par accepter de le faire, il a été assassiné le soir-même. Pendant que les extrémistes massacraient les Tutsi et les partisans des accords de paix, un gouvernement a été formé sous les auspices de l'ambassadeur de France, donc de Juppé, ne comprenant que des extrémistes hutu, alors que cinq portefeuilles ministériels devaient être attribués au FPR. Le 7 avril 1994, c'est un génocide qui a éclaté et non une guerre. Les Tutsi du Rwanda n'ont jamais été en guerre contre les Hutu. Ce ne sont pas des « combattants ». Ils n'ont pas d'armes et se font exterminer. Si le FPR s'est mis à combattre, c'est pour s'opposer aux massacres déclenchés par l'armée rwandaise et les milices aussitôt après l'attentat contre le président. S'interposer entre le FPR et les tueurs revenait à protéger les tueurs. C'est la mission qu'Alain Juppé a voulu assigner en mai aux Casques bleus de la MINUAR II mais les États-Unis s'y sont opposés. Ce sera la mission non officielle de l'opération Turquoise. L'armée française a débarqué en force le 9 avril pour regarder les militaires et miliciens rwandais massacrer des innocents. Le devoir de la France, signataire de la Convention des Nations unies contre le génocide n'était pas de « s'interposer entre les combattants » mais d'arrêter les tueurs. S'il avait vraiment jugé les massacres « épouvantables », Alain Juppé se serait opposé au retrait des Casques bleus qu'il a prôné et fait voter le 21 avril 1994 au Conseil de sécurité.
Citation: Rwanda : Q - Bosnie / Rwanda : (Deux poids, deux mesures ?) Question de l'ambassadeur du Sénégal. R. Je remercie, monsieur l'Ambassadeur de me parler du Rwanda. Ce qui se passe en Bosnie est tragique, ce qui se passe au Rwanda est épouvantable. On parle d'un million cinq cent mille réfugiés, et de dizaines de milliers, vraisemblablement cent mille, morts. Alors là encore, la communauté internationale se demande ce qu'elle doit faire. Je voudrais rappeler qu'il y a un an à peine, il y avait au Rwanda des troupes françaises. Nous avions 800 hommes environ qui s'interposaient entre les deux factions. Il y a eu un accord de paix conclu à Arusha en Tanzanie qui a prévu le déploiement d'une force des Nations unies. Quand la force des Nations unies est arrivée, les troupes françaises sont parties. Et ça a marché, pendant plusieurs mois, la situation s'est stabilisée et un gouvernement de réconciliation nationale s'est mis en place. Je vous rappelle simplement cela pour dire que nous avons assumé nos responsabilités au Rwanda. Et puis il y a eu l'attentat contre l'avion qui transportait le Président rwandais et le Président burundais... et la guerre est revenue, brutalement. Nous avons évacué les ressortissants occidentaux, et c'est vrai qu'on nous reproche de ne pas avoir débarqué en force pour nous interposer entre les combattants. Je voudrais dire quelque chose qui va sans doute vous choquer profondément. Je ne crois pas que la communauté internationale puisse aller faire la police partout sur la planète, et envoyer, partout où les gens se battent, des forces d'interposition. Ce que nous avons choisi de faire au Rwanda, c'est de provoquer à nouveau un cessez-le-feu, un accord politique. Et nous y travaillons en ce moment avec les pays de la région, le Zaïre, l'Ouganda, la Tanzanie, le Burundi. Et la deuxième chose, c'est bien sûr mobiliser l'action humanitaire. Un pont aérien a été mis en place, des quantités considérables de nourriture et de médicaments ont été envoyées au Burundi et sur les frontières du Rwanda. Et la France soutient la dernière initiative du Secrétaire général des Nations unies qui propose d'envoyer 5.000 casques bleus pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire. Voilà ce qui a été fait, c'est sans doute insuffisant et trop tardif, et il est temps pour la communauté internationale de se ressaisir, vous avez raison de le dire.

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