
tsMas220.jpg" al
t="Survivan
ts du génocide rwandais à l'ossuaire de Bisesero. (Pho
to: Monique Mas/RFI)"/>
Inscri
t dans les normes in
terna
tionales des droi
ts de l’homme, le
TPIR n’adme
t pas la peine de mor
t. Sa sanc
tion maximum es
t donc la dé
ten
tion à perpé
tui
té. Cela a fai
t couler beaucoup d’encre e
t de salive depuis sa créa
tion, en par
ticulier au Rwanda qui applique la peine de mor
t à ses condamnés du génocide. Kigali jugean
t l’aboli
tion de la peine de mor
t préma
turée, quelques commandi
taires e
t des exécu
tan
ts de moindre envergure on
t é
té passés par les armes. Les Rwandais s’es
timen
t confron
tés à une jus
tice à deux vi
tesses, na
tionale e
t in
terna
tionale. Ils s’in
terrogen
t aussi sur l’égali
té de
trai
temen
t des condamnés à la dé
ten
tion, selon leur lieu d’incarcéra
tion. Le règlemen
t du
TPIR prévoi
t en effe
t que les peines peuven
t ê
tre exécu
tées au Rwanda mais aussi comme dans
tou
t au
tre E
ta
t volon
taire.
Ac
tuellemen
t, 56 accusés son
t dé
tenus à la prison du
TPIR, à Arusha. Six condamnés purgen
t leur peine au Mali depuis le 9 décembre 2001. Après le Bénin, le Swaziland, l'I
talie e
t la Suède, la France vien
t d’accep
ter de prendre égalemen
t en charge cer
tains condamnés. Mais Kigali
trouve que leur jus
te place serai
t au Rwanda e
t une déléga
tion du
TPIR es
t allée vérifier, fin mai, la conformi
té de ses infras
truc
tures péni
ten
tiaires au normes in
terna
tionales. Selon le por
te-parole du
TPIR, « un pas impor
tan
t » vers la signa
ture d'un accord aurai
t é
té franchi à l’occasion de ce
tte visi
te. C’es
t dire que rien n’es
t résolu. Les prisons rwandaises son
t d’ailleurs
toujours pleines de quelque 80 000 accusés de génocide, don
t beaucoup n’on
t pas encore é
té jugés.
Kigali insis
te pour que des dé
tenus d’Arusha soien
t transférés dans ses prisons. Pour le Rwanda, la condamna
tion de Gacumbi
tsi es
t une occasion de suggérer que la peine infligée é
tan
t « indulgen
te », l’accusé peu
t au moins la purger là où il a commis ses crimes. Ce serai
t une manière de couper la poire en deux. Dans la prison d’Arusha, les accusés s’en affolen
t. La plupar
t d’en
tre eux n’hési
te pas à jus
tifier le génocide par une pré
tendue « légi
time défense » e
t l’Associa
tion des avoca
ts de la défense (ADAD) plaide au diapason que ces « négocia
tions en
tre l'ONU e
t le régime Kagame sur le sor
t des dé
tenus du
TPIR renden
t les Na
tions unies direc
temen
t complices de la couver
ture des crimes du régime Kagame ».
Le modèle de La Haye
En créan
t à Arusha, en novembre 1994, un
tribunal pénal chargé de sanc
tionner les ar
tisans du génocide au Rwanda, la bonne conscience in
terna
tionale pré
tendai
t faire rayonner les valeurs universelles depuis l’Afrique, comme elle l’avai
t fai
t con
tre le nazisme, au cœur de l’Europe, à Nuremberg (novembre 1945-oc
tobre 1946). Le
TPIR a é
té bâ
ti sur le modèle de la cour ins
tallée à La Haye en mai 1993 pour juger les crimes de guerre e
t l’épura
tion e
thnique dans l’ex-Yougoslavie. Ins
tallé au pied du Kilimandjaro, le
toi
t de l’Afrique, il affiche aujourd’hui 66 arres
ta
tions, 19 condamna
tions,
trois acqui
ttemen
ts e
t un décès en prison. Une douzaine d’accusés es
t encore recherchée. 22 dé
tenus a
ttenden
t toujours leur procès, 24 au
tres on
t vu leurs premières audiences commencer. Parmi les cinq procès ac
tuellemen
t en cours, deux revê
ten
t une impor
tance par
ticulière parce qu’ils concernen
t l’un des digni
taires poli
tiques e
t l’au
tre des mili
taires. Mais ou
tre la len
teur des procédures, rien n’indique que ces procès éclaireron
t davan
tage la mécanique du génocide que ne l’on
t fai
t les jugemen
ts précéden
ts.
Appréhender dans leurs
tenan
ts e
t abou
tissan
ts é
thiques, poli
tiques e
t ma
tériels la prépara
tion e
t le passage à l’ac
te de génocide au Rwanda aurai
t pu perme
ttre au res
te du monde de se reconnaî
tre dans une
tragédie africaine largemen
t reje
tée au « cœur des
ténèbres »,
tou
t un habillage e
thnologique faisan
t alors du crime des crimes une sor
te de fa
tali
té ressor
tan
t de mœurs « ances
trales ». Le
TPIR n’a pas fai
t ses preuves en la ma
tière, seman
t le dou
te sur ses capaci
tés à éveiller les consciences. Il n’a
toujours pas procédé au démon
tage de la machine à fabriquer des génocidaires, en dépi
t des kilomè
tres de rappor
ts, in
terroga
toires e
t témoignages produi
ts à grands frais de
traduc
teurs ou d’enquê
teurs plus ou moins fiables e
t parfois même véreux. De procureur venu faire for
tune en juge ricanan
t aux réci
ts de viols, le
TPIR a même quelquefois susci
té colère e
t insul
tes, cer
tains Africains dénonçan
t un «
tribunal pour nègres ».
En février 2002 par exemple, le greffier du
TPIR a dû dessaisir un avoca
t bri
tannique e
t son conseil belge convaincus « de surfac
tura
tions ainsi que d’au
tres irrégulari
tés financières ». Le 19 mai dernier, plusieurs procès avaien
t é
té suspendus, la présiden
te de la chambre où son
t jugés
trois dirigean
ts de l'ex-par
ti présiden
tiel e
t un ancien minis
tre, la juge sénégalaise Andrésia Vaz (égalemen
t vice-présiden
te du
TPIR) se récusan
t elle-même. La défense lui avai
t reprochée d’ê
tre « par
tiale » pour avoir logé chez elle une compa
trio
te, par
tie prenan
te de l'accusa
tion. Il a aussi fallu
trouver un nouveau juge pour le procès de qua
tre anciens minis
tres du gouvernemen
t du génocide. Il avai
t é
té suspendu par la démission du présiden
t de la chambre concernée, le Sri-Lankais Asoka de Zoysa Gunawardana, officiellemen
t pour raisons de san
té. En mars dernier, son prédécesseur avai
t je
té l’éponge, se jugean
t soudainemen
t trop âgé, à 77 ans.
Trois au
tres procès son
t suspendus pour des raisons d'organisa
tion in
ternes au
tribunal.
Ce
tte paralysie inquié
tan
te avai
t fai
t dire au représen
tan
t de Kigali à Arusha que les juges, don
t trois sur neuf venaien
t de démissionner, faisaien
t l’obje
t de « harcèlemen
t », ajou
tan
t qu’« il ne serai
t pas é
tonnan
t que la France soi
t derrière ce
tte pression », ce procès concernan
t des digni
taires du régime Habyarimana jadis sou
tenu par Paris. Finalemen
t, le procès des qua
tre ex-minis
tres rwandais e
t celui de la seule femme (ex-minis
tre de la Famille) dé
tenue par le
TPIR on
t repris débu
t juin. Une Pakis
tanaise, Khalida Rashid Khan, préside désormais la chambre où comparaissen
t groupés les anciens minis
tres de la San
té, Casimir Bizimungu, des Affaires é
trangères, Jérôme Bicamumpaka, du Commerce, Jus
tin Mugenzi, de la Fonc
tion publique, Prosper Mugiraneza. Une au
tre chambre juge l’ancienne minis
tre de la Famille, Pauline Nyiramasuhuko qui comparaî
t avec son fils Arsène Shalom N
tahobali, deux anciens préfe
ts e
t deux anciens bourgmes
tres. En même
temps s’es
t rouver
t le procès di
t des mili
taires, commencé en avril 2002 e
t qui rassemble sous les mêmes chefs d’accusa
tion le colonel
Théones
te Bagosora, ancien direc
teur de cabine
t du minis
tère de la Défense e
t trois au
tres officiers supérieurs des Forces armées rwandaises (Far) de l’ancien régime.
Pour le parque
t du
TPIR, il s’agi
t de démon
trer que Bagosora es
t bien le « cerveau » du génocide décri
t no
tammen
t par le général canadien Roméo Dallaire, qui commandai
t les Casques bleus pendan
t le génocide. Mais il fau
t d’abord prouver que Bagosora e
t d’au
tres hau
ts responsables de l’armée on
t par
ticipé à la planifica
tion du génocide. En deux ans de procès des mili
taires, des dizaines de
témoignages perme
tten
t déjà de cerner le calendrier du génocide. Ce
tte semaine, un ancien chef milicien, accusai
t par exemple le général de brigade Gra
tien Kabiligi d’avoir dis
tribué armes e
t muni
tions aux In
terahamwe de la région de Cyangugu (Sud-Oues
t) le 28 janvier 1994.
Un mélange de droit romain et anglo-saxon
Le
TPIR s’é
tai
t fixé comme cible priori
taire les principaux commandi
taires du génocide. A l’ins
tar de Nuremberg, il peu
t effec
tivemen
t se
targuer d’accusés exemplaires par leurs posi
tions respec
tives dans la socié
té rwandaise, hommes e
t femmes, poli
tiques, mili
taires, religieux, journalis
tes ou ar
tis
tes. Mais jusqu’à présen
t, cela n’a pas vraimen
t servi son rayonnemen
t ex
térieur, sans parler de son maigre impac
t con
tinen
tal. E
t cela depuis sa première condamna
tion, celle de l’ancien Premier minis
tre du gouvernemen
t in
térimaire, Jean Kambanda, arrê
té le 18 juille
t 1997 à Nairobi e
t condamné à la prison à vie le 4 sep
tembre 1998. Jean Kambanda avai
t choisi de plaider coupable en échange d’un sauf condui
t pour sa famille mais aussi dans l’espoir d’une remise de peine.
Le
TPIR s’inspire d’une législa
tion qui mixe droi
t romain e
t droi
t anglo-saxon. Lorsque Jean Kambanda es
t passé aux aveux de génocide, son procès s’es
t donc limi
té au prononcé de la sanc
tion. Celle-ci ne lui convenan
t pas, il s’es
t ré
trac
té, mais n’a rien ob
tenu de mieux. Ou
tre le carac
tère plu
tô
t indigne du marchandage qu’elle a alimen
té, la formule aveu-sanc
tion a escamo
té le réci
t dé
taillé de Kambanda sur la na
ture, le fonc
tionnemen
t e
t les objec
tifs de la poli
tique employée au génocide. En décembre 2003, un au
tre procès, celui des « médias de la haine », n’a pas lui non plus éclairé le monde au-delà du cercle des ini
tiés.
Les mauvaises langues persis
ten
t à dire que la
Tanzanie a offer
t Arusha au
TPIR pour sor
tir la ci
té nordique de l’enclavemen
t e
t pour ren
tabiliser ses salles de conférences e
t ses hô
tels jusque là seulemen
t fréquen
tés par des
touris
tes adep
tes de safaris loin
tains e
t coû
teux. Le
TPIR a effec
tivemen
t parfois des allures de fonds de commerce, un comp
toir don
t les bénéfices ne cons
ti
tuen
t pas la compensa
tion morale espérée par les Rwandais pour la non-assis
tance in
terna
tionale qui a prévalu duran
t les cen
t jours du génocide. La coopéra
tion judiciaire a, elle aussi, souven
t manqué au rendez-vous du
TPIR. Cer
tains pays renâclen
t toujours à livrer des génocidaires pa
ten
tés qui circulen
t ouver
temen
t sur leur
terri
toire e
t avec lesquels ils en
tre
tiennen
t parfois des liens u
tili
taires.
Après la mor
t du rebelle angolais Jonas Savimbi e
t la défai
te de son Uni
ta, Luanda a livré (fin aoû
t 2002) l’ancien chef d’é
ta
t-major des Far, Augus
tin Bizimungu, à la jus
tice in
terna
tionale. Le
TPIR a égalemen
t dû a
ttendre hui
t ans, pour que le 29 sep
tembre 2002 Kinshasa remplisse le manda
t d’arrê
t lancé con
tre le colonel
Tharcisse Renzaho. Beaucoup de ses compagnons d’armes con
tinuen
t d’ailleurs de courir l’Es
t congolais où ils on
t servi l’armée gouvernemen
tale. Mais Renzaho, ancien préfe
t de la préfec
ture de Kigali-Ville, é
tai
t numéro
trois sur la lis
te des « wan
ted » mis à prix en 1998 par le gouvernemen
t américain. Malgré le pac
tole promis, Washing
ton n’a en revanche
toujours pas ob
tenu la
tê
te de Félicien Kabuga, un des financier du génocide replié au Kenya. Pour sa par
t, la France avai
t livré le commandan
t du 42e ba
taillon de reconnaissance des Far, François-Xavier Nzuwonemye, en février 2000. Mais la jus
tice française vien
t de se faire rappeler à l’ordre par la Cour européenne des droi
ts de l'homme (le 8 juin dernier) pour sa len
teur dans l'examen d'une plain
te déposée en juille
t 1995 con
tre l'abbé Wenceslas Munyeshyaka affec
té pendan
t le génocide à l’église de la Sain
te-Famille à Kigali,
théâ
tre d’exac
tions épouvan
tables.
Pour fermer comme prévu ses por
tes en 2010, le
TPIR doi
t boucler ses enquê
tes au plus vi
te, d’ici la fin de l’année, selon les recommanda
tions de l’ONU. C’es
t dire que les jeux son
t fai
ts quan
t à l’ins
truc
tion du génocide. Pour le res
te, les survivan
ts, mais aussi les bourreaux, e
t bien sûr les ci
toyens du monde au nom duquel le
TPIR a é
té créé a
ttenden
t toujours que le premier génocide in
terna
tionalemen
t qualifié comme
tel en Afrique soi
t décryp
té à des fins sinon pédagogiques, au moins dissuasives.