Fiche du document numéro 2300

Num
2300
Date
Lundi 11 avril 1994
Amj
Auteur
Taille
100159
Surtitre
Point de vue
Titre
D'où vient la haine ?
Page
11
Cote
no 15444
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les terribles massacres en cours au Rwanda seraient-ils simplement à ranger au chapitre de la haine entre Hutus et Tutsis? Historiquement, rien ne devrait diviser ces deux communautés: ni la langue, ni la religion, ni l'habitat, ni les traditions, même si les peuples couvent souvent des différences peu perceptibles. Alors pourquoi ces explosions, ces tueries à répétition? Durant ces trois derniers jours, les explications de faux « experts » ont atteint les sommets de l'ignorance simplifiant à outrance une réalité bien plus complexe. On nous décrit les Hutus et les Tutsis comme deux races différentes, les premiers comme des « Nègres bantous », les seconds comme des « envahisseurs hamites ». Nous assisterions donc à un clivage ethnique débouchant naturellement sur des affrontements. Pour comprendre, il faut faire un peu d'histoire. Et si possible avec l'aide de véritables chercheurs, à l'exemple de M. Jean-Pierre Chrétien du CNRS.

Depuis des siècles, les Hutus sont le plus souvent agriculteurs tandis que les Tutsis font dans l'élevage. Ces identités ont joué un rôle essentiel dans l'influence sociale et politique privilégiant les Tutsis. Les colonisateurs ne s'y sont pas trompés en choisissant les Tutsis comme une caste ayant pour vocation de gouverner. A ces derniers étaient ouvertes les écoles des missionnaires afin qu'ils se convertissent plus tard en auxiliaires de la colonisation. La plupart des dirigeants du Rwanda et aussi du Burundi, après la décolonisation, ont prolongé l'entreprise menée par les anciennes puissances, belge et allemande. Ils ont ainsi approfondi les différences sociales, politiques et créé toutes les conditions pour favoriser les haines et les guerres.
La France, ou plutôt ses différents gouvernements, socialiste et de droite, ont toujours joué - et à tour de rôle - la carte d'une communauté contre une autre. Pour évoquer le seul passé récent, des troupes françaises sont intervenues au mois d'octobre 1990 pour sauver in extremis le dictateur du Rwanda, Juvenal Habyarimana. Un peu plus tard, sept cents soldats français ont été envoyés par Paris à Kigali. Une mission présentée, selon la formule consacrée, pour protéger les Français vivant dans le pays. En vérité, des conseillers militaires français assuraient une assistance technique à l'armée gouvernementale et à la garde présidentielle, celle qui vient de mettre à feu Kigali, déclenchant un bain de sang. Et pendant ce temps, des soldats français faisaient la police dans les rues de la capitale, interpellant des Rwandais, fouillant les véhicules, exigeant les papiers d'identité, dans la bonne vieille tradition coloniale. Après les accords de paix entre le Front patriotique rwandais et le pouvoir en place à Kigali, signés à Arusha en Tanzanie, le gros de la troupe française a quitté le pays et des casques bleus - belges notamment - ont pris la relève. Mais le mal avait déjà été fait.

Personne ne peut rester insensible aux monstrueuses images de mort qui nous parviennent de Kigali. Personne ne peut rester indifférent au sort de nos compatriotes dont on peut mesurer sans peine l'angoisse et la peur. Mais plus personne non plus ne devrait s'égarer sur les responsables de ces crimes. Le néocolonialisme a accouché trop souvent de chefs de guerre prêts à tout pour conquérir le pouvoir.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024