Fiche du document numéro 21573

Num
21573
Date
Lundi 21 mai 2018
Amj
Taille
132383
Titre
Un médecin villeneuvois accusé de crimes au Rwanda pourrait être renvoyé aux assises
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C’est une histoire dramatique qui, quelle que soit sa conclusion, se révélera monstrueuse. Selon Alain Gauthier, le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), le parquet aurait requis le renvoi devant la cour d’assises de Paris du Dr Sosthène Munyemana, urgentiste au Pôle de santé du Villeneuvois (PSV), à Villeneuve-sur-Lot, mis en examen depuis 2011 pour sa participation en 1994 au génocide des Tutsis au Rwanda. Présumé innocent, Sosthène Munyemana sortira de cette longue procédure judiciaire innocenté ou déclaré coupable. Dans les deux cas, le retentissement sera considérable, de Kigali aux bords du Lot. En attendant, la procédure suit son cours.

Suffisamment de charges



« Nous sommes partie civile dans ce dossier depuis 2001 », rappelle Alain Gauthier, le président de CPCR. « Et en tant que tel nous sommes tenus au courant de la procédure. Après l’instruction confiée aux juges du pôle crimes contre l’humanité, terminée en mars 2017, le parquet a récemment rédigé son réquisitoire et a considéré qu’il y avait suffisamment de charges contre le Dr Munyemana pour demander son renvoi devant la cour d’assises de Paris ».

Sans haine ni vengeance



« Ce n’est pas de l’acharnement de notre part, notre association a pour devise sans haine ni vengeance. Nous avons recueilli des témoignages pour nous joindre aux plaintes déposées contre le Dr Munyemana dès 1995, quelques mois seulement après le génocide. Notre rôle s’est limité à débusquer cet homme et à porter plainte, sans quoi la justice n’aurait probablement jamais travaillé sur ce cas. Mais ce n’est pas le collectif qui a mis le Dr Munyemana en examen en 2011, ce n’est pas le collectif qui a ouvert une instruction, achevé après plusieurs années d’enquête en 2017. Pas le collectif qui a rédigé le réquisitoire demandant son renvoi devant la cour d’assises de Paris. C’est à la justice de dire s’il est coupable ou non, pas à nous. »

Joint ce lundi 21 mai, le Dr Munyemana a confirmé la réquisition du parquet mais n’a pas souhaité commenter à ce stade de la procédure, se bornant à dire que la situation était très « dure à vivre », pour lui comme pour « [sa] famille ».



En dates: un interminable feuilleton judiciaire



Le Dr Munyemana fait l’objet de plusieurs plaintes depuis 1995 pour « génocide et crime contre l’humanité ». Arrivé en France fin 1994, il réside en Gironde et exerce d’abord comme médecin à l’Université de Bordeaux, avant d’être employé par l’hôpital de Tonneins puis par celui de Villeneuve depuis 2001. En 2006, le Rwanda, son pays natal, a émis un mandat d’arrêt international à son encontre, ce qui lui vaudra d’être fiché par Interpol en 2006.

Condamné à perpétuité par contumace



Il a été condamné en 2008 par contumace (N.D.L.R. en son absence) à la réclusion criminelle à perpétuité et à trente ans de prison : lui le médecin Hutu, est accusé d’avoir participer en avril, mai et juin 1994 aux massacres de plus de 300 000 Tutsis à Butare et à Tumba, la ville où il exerçait comme médecin gynécologue. Selon des témoignages versés au dossier, il aurait participé à enfermer des Tutsis qui ont été assassinés dans un local dont il avait la clé, pris part à des rondes armées... Depuis plusieurs années, Sosthène Munyemana clame son innocence, se dit victime « d’accusations mensongères » et « d’un complot politique ». Et réfute tout. Il explique s’être caché chez lui en juin 1994 par peur des Tutsis, avant de parvenir à quitter le pays le 27 juin avec ses 3 enfants, assure que c’était « pour les protéger » qu’il a enfermé des Tutsis dans son bureau. Quant à sa participation à des comités de crises ou à des réunions ? « J’ai été coopté comme un des sages du quartier pour garantir un peu de sécurité. Hélas, nous n’avons pas toujours pu agir… », livrait-il dans un article de Libération paru le 9 octobre 2010.

Atteinte à la présomption d'innocence




En 2010, la France a refusé son extradition. En 2011, il a obtenu la condamnation pour « non-respect de la présomption d’innocence » d’une association qui avait manifesté contre lui devant les grilles de l’hôpital Saint-Cyr. Mis en examen en décembre 2011, son dossier est confié aux juges d’instruction du pôle « crime contre l’humanité » qui enquêtent jusqu’à l’an passé. Le parquet viendrait donc de requérir le renvoi de l’affaire devant la cour d’assises de Paris. « C’est ce que nous attendons désormais », confiait hier Alain Gauthier. « Que la justice tranche ce qui est désormais le 2e plus vieux dossier concernant le génocide Tutsis ».

Un bon médecin, humain et chaleureux



Bruno Chauvin, le directeur de centre hospitalier du Pôle de santé du Villeneuvois, refuse de faire quelque commentaire que ce soit « sur sa vie passée que je ne connais pas » : « Il est chez nous à mi-temps en tant qu’urgentiste et à mi-temps en gérontologie, service dans lequel il passera à plein-temps en fin d’année. Tout ce que je sais à son sujet, c’est que c’est un très bon médecin, très humain, contre lequel nous n’avons jamais eu la moindre plainte. Je n’ai pas connaissance de la procédure judiciaire mais nous ferons tout pour l’accompagner, car émotionnellement ça doit être dur à vivre. » Même écho chez son collège médecin Yvon Ventadoux, président de la commission médicale d’établissement (CME) : « C’est une situation très difficile et nous croyons à son innocence : c’est un bon médecin et un homme chaleureux, vraiment. »

JEROME SCHREPF

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024