Fiche du document numéro 20153

Num
20153
Date
Lundi 13 novembre 2017
Amj
Taille
0
Titre
Rwanda : entre Paul Kagamé et la France, l'impossible réconciliation ?
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Paul Kagamé a prononcé un discours concis lors de l’ouverture du Forum pour la sécurité de Dakar, le 13 novembre, appelant les pays africains à se prendre en charge pour lutter contre le terrorisme, régler les crises politiques, se pencher sur la question migratoire et relever le défi climatique. La ministre française des Armées, Florence Parly, a loué la mise en place de la force régionale du G5 Sahel, encouragé la coopération interafricaine, et assuré du soutien de la France en matière d’appui à la sécurisation et de développement du continent. Le chef de l’Etat rwandais a applaudi timidement avant de serrer la main de la ministre.

« Paul Kagamé est là ! », peine à croire un coopérant français à l’ouverture du Forum sur la sécurité de Dakar, ce 13 novembre. Le Sénégal et la France, qui coorganisent la manifestation, ont réussi l’exploit de faire venir l’ombrageux chef de l’État rwandais, jamais avare de piques bien senties à l’égard de l’ex-puissance coloniale.

Les équipes d’Emmanuel Macron ont fait de la réconciliation avec l’homme fort de Kigali une de leurs priorités. « Paul Kagamé préside l’Union africaine à partir du mois de janvier, explique un décideur français. Nous voulons éviter tout couac alors que nous avons plus de 4 000 soldats engagés au Sahel dans le dispositif Barkhane ».

Emmanuel Macron et son homologue rwandais se sont vus 40 minutes en tête-à-tête à New York, en septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU.

Pour inviter Kagamé à Dakar, les responsables français sont passés par l’hôte sénégalais, Macky Sall. Il a envoyé un émissaire à Kigali, porteur d’une lettre d’invitation officielle. Le chef de l’État y a répondu favorablement. En septembre, Rémi Maréchaux, le directeur Afrique du Quai, et Marie Audouard, la conseillère adjointe Afrique de l’Élysée, ont fait une visite discrète dans la capitale rwandaise. Ils ont rencontré Louise Mushikiwabo, la ministre des Affaires étrangères, pour lui dire tout le bien qu’ils pensaient des réformes proposées par son président au sein de l’Union africaine (instauration d’une taxe sur les importations pour financer l’UA, autonomisation africaine de la sécurité, libre échange, intégration…).

Ensuite Emmanuel Macron et son homologue rwandais se sont vus 40 minutes en tête-à-tête à New York, en septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. Le courant est passé, le président français apportant son soutien à l’agenda de réformes.

« Nous espérions repartir sur de bonnes bases quand les juges Nathalie Poux et Jean-Marc Herbaut ont convoqué début octobre le ministre de la Défense rwandais, James Kabarebe, pour une confrontation avec un nouveau témoin », regrette un diplomate français. Ce témoin accuse l’ancienne rébellion tutsie, dirigée à l’époque par Paul Kagamé, d’avoir abattu l’avion présidentiel de Juvénal Habyarimana. Un attentat qui a déclenché le génocide qui coûta la vie à 800 000 Tutsis et Hutu modérés.

Instruction interminable



Cette instruction interminable, ouverte en 1998, empoisonne la relation bilatérale. Louise Mushikiwabo l’a redit récemment lors d’une interview accordée à TV5, RFI et Le Monde : « il y a un problème avec cette instruction sans fin, avec ces témoins de la 25e heure, avec ces juges qui succèdent aux juges, les Jean-Louis [Bruguière], les Jean-Marc [Herbaut]… Il faut que ce soi-disant procès se termine un jour. Et si la France ne le fait pas, nous allons le faire. »

La patronne de la diplomatie, porte-voix incisive du maître de Kigali, dénonce l’influence des anciens décideurs français dans les derniers développements judiciaires : « Nous attendons de la France qu’elle prenne ses responsabilités. Ce n’est pas à coup de faux procès, de faux rapports qu’elle le fera… Nous avons toléré beaucoup, mais le moment viendra où la France devra accepter qu’elle a joué un rôle terrible. »

Du côté français, ces rebondissements judiciaires ont un peu douché les espoirs de réconciliation. « Nous avons d’abord eu l’instruction à charge du juge Jean-Louis Bruguière, puis Marc Trévidic a repris le dossier dans le bon sens avant de passer la main, ajoute le diplomate français. Aujourd’hui, les parties civiles relancent constamment l’instruction, ce qui fait que l’on ne peut clore le dossier. Kagamé ne croit pas à l’indépendance de la justice française. Pour lui, c’est un complot ».

« Comme par hasard, quand les relations politiques étaient bonnes [sous Nicolas Sarkozy], la justice avançait bien. Ce n’est pas de la justice, c’est de la politique », souffle Louise Mushikiwabo.

Nuages et éclaircies



Maintes fois, la France a tenté de se réconcilier avec Paul Kagamé. Dès 2000, Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée sous François Mitterrand au moment du génocide, s’est rendu à Kigali. « Nos deux pays ont des torts, avait-il expliqué en substance lors d’un tête-à-tête avec Kagamé. Faisons table rase du passé et préparons l’avenir ». Une main tendue que le président rwandais n’avait pas saisie. Sous Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner, alors patron du Quai d’Orsay et bien vu à Kigali, a travaillé dès 2007 à une normalisation que Claude Guéant est venu concrétiser en novembre 2009 par une visite à Kigali et l’annonce de la reprise des relations diplomatiques. Le directeur de cabinet de Kouchner était alors Philippe Etienne, aujourd’hui conseiller diplomatique du Président, et le conseiller Afrique adjoint était Rémi Maréchaux. Suivant cette visite, Laurent Contini était envoyé comme ambassadeur à Kigali.

L’arrivée d’Alain Juppé au Quai d’Orsay en 2010, déjà ministre des Affaires étrangères au moment du génocide, a refroidi les relations d’autant que Laurent Contini assura que cette nomination, selon Libération, « n’était pas une bonne nouvelle du point de vue des Rwandais ». Il fut rappelé à Paris. Paul Kagamé n'accrédita pas son successeur, Hélène Le Gal, qui allait devenir conseillère Afrique de François Hollande. Pourtant, l’Elysée envoya, à nouveau, une mission de bons offices à Kigali. Thomas Mélonio, adjoint d’Hélène Le Gal, et Jean-Christophe Belliard, alors directeur Afrique du Quai d’Orsay, sont allés reproposer la normalisation. De son côté, la justice française jugea le génocidaire Pascal Simbikangwa, le premier Rwandais en exil en France avec la coopération de Kigali.

« Il faut travailler avec tout le monde et parler avec Kagamé », confie aujourd’hui Alain Juppé

En avril 2014, Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, devait se rendre à la commémoration du 20e anniversaire du génocide. Mais l’hebdomadaire Jeune Afrique fait publier, trois jours avant l’événement, une dépêche AFP reprenant les propos à paraître de Paul Kagamé pointant la responsabilité de la France dans le génocide. Branle-bas de combat à l’Hôtel de Brienne. Cédric Lewandowski, directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, se charge de récupérer l’interview avant publication. À l’Élysée, la décision est vite prise de ne pas envoyer la ministre se faire humilier. Les Belges, également visés, feront quand même le déplacement « au nom des victimes ».
« Il faut travailler avec tout le monde et parler avec Kagamé, confie aujourd’hui Alain Juppé. Il incarne cette nouvelle démocratie libérale en Afrique, une démocratie musclée, qui a stabilisé son pays et mit l’économie sur une bonne pente. Mais je n’accepterai jamais que cette réconciliation se fasse sur le dos de la responsabilité française lors du génocide rwandais. C’est une falsification de l’histoire. Dès que j’ai eu connaissance de cet acte tragique, j’ai été le premier à parler de génocide. L’Onu s’est carapaté à l’époque, les Belges aussi. La force Turquoise a sauvé des dizaines de milliers de vies. Je ne varierai jamais de discours même si je dois finir dans les geôles rwandaises ».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024