Fiche du document numéro 17276

Num
17276
Date
Lundi 15 septembre 1997
Amj
Auteur
Taille
2662292
Titre
Rwandais suspects de génocide en Belgique - Réunions RDR en Belgique
Nom cité
Mot-clé
Source
Fonds d'archives
VdM
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
PARQUET DU
PROCUREUR DU ROI

rue des Quatre Bras, 13

1000 BRUXELLES
Notices n°:

PRO JUSTITIA

Le 15 septembre 1997, à 17.00 heures,
Devant nous, L. Ver Elst-Reul, substitut du Procureur du Roi près le Tribunal de première instance de Bruxelles a comparu,
M. GASANA NDOBA
né ... à le...
qui nous remet un dossier constitué au sein du CRDDR ainsi que des annexes. Constatant que ce dossier concerne plusieurs problèmes, soit :
1) le séjour ou l'arrivée imminente en Belgique de plusieurs personnes soupçonnées d'avoir commis des actes de génocide pendant les événements du Rwanda en 1994,
2) des trafics de titres de voyage, de passeports et autres documents d'identité par des personnes inconnues afin de permettre à des réfugiés rwandais de s'introduire en Belgique,
3) l'organisation de réunions clandestines du RDR en Belgique.

Nous décidons d'ouvrir trois dossiers distincts, soit pour chacun des trois points évoqués ci­ dessus, en cause de X
A cette fin, nous établissons deux copies du dossiertnous remis par M. Gasana Ndoba. Neuf photos ainsi qu'une dixième photo en photocopie, sont jointes au dossier ouvert sur base du point trois ci-dessus.

DONT ACTE, en trois exemplaires,

COMITE POUR LE RESPECT DES DROITS DE l'HOMME
ET LA DEMOCRATIE AU RWANDA

Rapport succinct
sur des filières d'entrée en Belgique de Rwandais soupçonnés
de participation au génocide et au crimes contre l'humanité
perpétrés au Rwanda
ou de personnes apparentées

1. FILIERES SUSPECTES POUR DEMANDEURS D'ASILE RWANDAIS

1.1. Contexte historique :

La guerre au Congo (ex-Zaïre), qui a provoqué le démantèlement des camps de réfugiés rwandais établis, depuis juillet 1994, au Sud-Kivu et au Nord-Kivu, a eu pour effet, entre autres, un afflux de demandeurs d'asile rwandais dans divers pays européens, et particulièrement en Belgique. La majorité des demandeurs d'asile rwandais entrés sur le territoire belge entre juin et août 1997 paraissent, en effet, être d'anciens réfugiés au Congo (ex-Zaïre) à la recherche d'un nouveau "pays sûr". On note également l'arrivée de réfugiés précédemment établis en Tanzanie (jusqu'au rapatriement obligatoire de décembre 1996), au Kenya, ou dans l'un ou l'autre pays de l'ancienne Afrique Equatoriale Française (particulièrement Cameroun et République Centrafricaine). Par ailleurs, certains demandeurs d'asile ayant résidé au Rwanda jusqu'à leur départ récent invoquent notamment comme raison d I exil la recrudescence de l'insécurité dans le nord-ouest et la répression qui s'en suivrait.

1.2. Profils et stratégies :

A côté de plusieurs dizaines de jeunes, souvent arrivés par fratries et sans leurs parents, on a observé l'arrivée d'un certain nombre de femmes avec enfants, dont des épouses d'officiers supérieurs des FAR sur qui pèsent de lourds soupçons d'implication dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis entre 1990 et 1994, ainsi que des épouses de commerçants importants et prospères sous l'ancien régime rwandais.

C'est ainsi que les familles des Colonels Laurent Rutayisire, Augustin Rwamanywa et Joseph Murasampongo seraient arrivées en Belgique depuis quelques mois, où elles auraient immédiatement demandé à être reconnues réfugiées.

Ancien responsable des renseignements au sein de la Gendarmerie Nationale (G2), le Colonel Laurent Rutayisire est soupçonné d'avoir commandité l'assassinat, à Kigali, de Michel Karambizi, un commerçant proche de l'opposition, et de membres de sa famille en octobre 1990. Il aurait fait obstacle à l'enquête sur l'assassinat du ministre Félicien Gatabazi, tué à Kigali le 21 février 1994, et fait l'objet de soupçons de participation au génocide et aux massacres de 1994. A ce titre, il figure sous le n° 127 de la "liste n° 1 de la première catégorie [d'auteurs présumés du génocide et des crimes contre l'humanité commis au Rwanda à partir du 1er octobre 1990 prescrite par l'article 9 de la loi organique n° 8/96 du 30 août 1996" (cf. Journal Officiel [du Rwanda], n° 17 du 1/9/1996). Réfugié à Mombasa, u Kenya, il se serait reconverti dans les affaires.

Le colonel Rwamanywa, G4 à l'Etat-Major de l'armée rwandaise, supervisait la logistique entre avril et juillet 1994. A ce titre, il devrait, à tout le moins, être en possession d'informations privilégiées concernant la distribution d'armes à feu et d'autres matériels militaires aux miliciens interahamwe et à d'autres civils en vue de la perpétration du génocide des Batutsi et des massacres d'opposants bahutu. Réfugié au Congo/Zaïre après juillet 94, il a co-signé les deux déclarations de soutien au RDR des 4 et 29 avril 1995, aux côtés des généraux Bizimungu et Kabiligi, respectivement chef d'état-major et commandant des opérations de l'armée des FAR (annexes 1 et 2). Ce dernier a été arrêté au Kenya le 18 juillet 1997, à la demande du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), et se trouve depuis lors en détention préventive à Arusha.

Quant au Colonel Murasampongo, Gl à lI état-major de l'armée rwandaise, il a fait partie du "comité de crise" mis en place immédiatement après l'attentat contre l'avion du Président Habyarimana. Réfugié au Congo/Zaïre après juillet 94, il figure également au nombre des signataires des deux déclarations de soutien au RDR des 4 et 29 avril 1995, aux côtés des généraux Bizimungu et Kabiligi.

L'arrivée, en explorateurs, de femmes et d'enfants de personnes suspectes, de même que vraisemblablement celle de jeunes non accompagnés de leurs parents paraissent viser à faciliter la venue, dans le cadre du regroupement familial, de maris ou de parents dont l'éventuelle demande d'asile personnelle est perçue par les intéressés comme ayant peu de chance d'aboutir.

A moins que les officiers en question ne soient toujours actifs dans le nord-ouest du Rwanda ou dans le Nord-Kivu où persistent des guérillas responsables no seulement d'attaques contre les armées obéissant aux ordres des nouveaux gouvernements du Rwanda et du Congo, mais aussi et surtout de massacres de civils, ciblés sur une base ethnique ou politique dans la logique de "l'achèvement du travail" du génocide des Batutsi et du châtiment des Bahutu "traîtres" à l'ancien régime rwandais.

Dans un cas au moins, celui d'Anastase Nkuranga, ancien trésorier de l'Université Nationale du Rwanda. (UNR) - Campus de Butare, c'est le mari, réputé moins compromis dans le génocide, qui est arrivé en "explorateur", avant sa femme Iphigénie (ou Ephigénie) Mukandora, réputée avoir dirigé un barrage dans le quartier universitaire de Buye, à Butare. Ce barrage, appelé la "barrière des femmes", aurait réuni plusieurs femmes de professeurs de l'UNR habitant ce quartier, dont les épouses des professeurs Bruno Ngirabatware et Aloys Kayihura, pendant que les maris opéraient à d'autres barrages en compagnie de miliciens et de soldats des FAR.

Anastase Nkuranga, qui serait originaire de la commune de Murambi (dont Vincent Ntezimana est également originaire), dans la préfecture de Ruhengeri, aurait emporté la caisse de l'UNR dans son exil au Congo/Zaïre en juin-juillet 1994, grâce à quoi il aurait continué, pendant un certain temps, à payer les salaires des membres du personnel de l'UNR se trouvant dans les camps de réfugiés autour de Bukavu. Il vient d'obtenir le statut de réfugié en Belgique.

1.3. Documents de voyage utilisés

Les Rwandais arrivant en Belgique comme demandeurs d'asile dans le cadre de filières plus ou moins organisées utiliseraient 4 types de documents de voyage, éventuellement munis de faux visas:

a) des titres de voyage pour réfugiés reconnus délivrés en Belgique : ces documents de voyage seraient prêtés ou "loués" avec la complicité des titulaires moyennant compensation financière. Les tarifs varieraient de BEF 15.000 à 50.000, selon la durée du prêt, la longueur du trajet à faire, la marge bénéficiaire de l'intermédiaire, etc.

La photo du titulaire serait remplacée par celle du voyageur; des noms d'enfants accompagnant celui-ci seraient éventuellement inscrits dans le titre de voyage, avec recours éventuel à de faux cachets pour faire illusion. Le voyageur se séparerait des documents de voyage avant de se présenter à un poste de contr6le belge, soit que le document ait été remis à un complice local après l'entrée dans l'avion, soit qu'un accompagnateur le récupère dans le cours ou à la fin du trajet.

b) des passeports nationaux de pays voisins ou éloignés du Rwanda obtenus frauduleusement : des passeports ougandais, kenyans, camerounais, centrafricains, voire du Swaziland, auraient ainsi servi moyennant rémunération d'intermédiaires véreux ou complaisants.

c) d'anciens passeports rwandais obtenus des anciennes autorités rwandaises : le CRDDR a pu prendre connaissance du numéro d'un passeport de ce type. Il s'agit du passeport n° 006007/94 délivré à Nairobi, le 25 février 1994, au nom de Aminadab Ruhanga, ex­ enseignant. L'intéressé aurait, néanmoins, utilisé des faux documents au cours de son trajet vers Bruxelles.

On se souviendra que les anciennes autorités rwandaises auraient emporté en exil un certain nombre de passeports vierges; elles auraient également gardé le contrôle de l'ambassade du Rwanda à Nairobi pendant quelque temps après la mise en place du nouveau régime rwandais, grâce à quoi elles auraient mis en circulation un certain nombre de passeports nationaux que certains pays continueraient à reconnaître malgré leur remplacement, en 1996, à l'initiative des nouvelles autorités rwandaises.

d) des passeports rwandais actuels obtenus frauduleusement à Kigali : un Burundais hutu réfugié au Rwanda serait ainsi entré en Belgique récemment muni d'un passeport rwandais obtenu irrégulièrement et dans lequel aurait été apposé un faux visa pour la Suède.

On remarquera que le fait que les personnes concernées voyagent sous une fausse identité, mais demandent l'asile sous leur vrai nom, après s'être débarrassés des documents encombrants, n'est pas fait pour faciliter les recherches sur les filières en question.

1.4. Les billets d'avion :

Ceux-ci seraient achetés dans des agences de voyage bruxelloises par des intermédiaires qui s'occupent également des réservations des places sous des noms fictifs, correspondant aux documents de voyage utilisés. Les billets en question seraient généralement des allers - retours dont les coupons allers seraient arrachés avant leur expédition aux candidats voyageurs, afin d'accréditer l'idée qu'il s'agirait bien de résidents réguliers en Belgique re trant d'un voyage en Afrique.

Des sommes en dollars US auraient été récemment transférés aux intermédiaires en Belgique, notamment au départ du Kenya, par des candidats voyageurs pour financer l'achat de billets.

1.5. Les pays et aéroports de provenance ou de transit :

Un nombre important de voyageurs pris en charge dans le cadre des filières proviennent ou transitent par l'aéroport de Nairobi, au Kenya. Dans ce cas, il s'agit principalemen d'anciens réfugiés au Congo (ex-Zaïre) . LI aéroport de Nairobi semble, au moins jusqu'au mois d'août, avoir offert des avantages réels, dont une multitude d'intermédiaires rwandais; kenyans, et d'autres nationalités. Certains voyag urs ont cependant embarqué à Kampala, en Ouganda (notamment au départ de Ruhengeri, dans le nord-ouest du Rwanda), à Bangui, en République Centrafricaine, à Yaoundé ou Douala, au Cameroun, voire à Kigali, au Rwanda. ces derniers temps, Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, est également citée au nombre des aéroports de provenance.

1.6. Les aéroports d'arrivée et les compagnies d'aviation :

L'aéroport de Zaventem étant réputé sévèrement contrôlé, ce qui n'empêche certains Rwandais munis de documents en règle ou non d'y débarquer, les aéroports européens suivants comptent dorénavant parmi les portes d'entrée en Belgique pour les usagers des filières louches Paris Roissy/Charles De Gaulle, Amsterdam - Skippol, Düsseldorf, et éventuellement Frankfurt.

Les voyageurs recourraient principalement aux compagnies suivantes : AIR FRANCE et AIR AFRIQUE, au départ de Bangui et/ou de Nairobi et à destination de Paris, KLM et LUFHANSA, au départ de Nairobi respectivement à destination d'Amsterdam et Düsseldorf ou Frankfurt, et CAMAIR (Cameroon Airlines), au départ de Yaoundé ou Douala et à destination de Paris.

1.7. Les périodes d'arrivée :

Le phénomène aurait commencé peu après la défaite de l'ancien régime rwandai en juillet 1994. Il se serait poursuivi en douceur ces trois dernières années, avant de connaître des pics remarquables en juin et juillet 1997, mois qui correspondent à l'onde de choc des changements politiques intervenus au Congo (ex-Zaïre).

1.8. Les intermédiaires :

Outre les personnes désireuses de rendre service à un parent ou un ami ou mûes par des sentiments de solidarité politique, parmi lesquels des ecclésiastiques européens, il semble qu'un certain nombre d'intermédiaires basés en Belgique jouent un rôle important dans l'organisation et le développement des filières en question. Ils réceptionneraient les transferts d'argent en dollars US à partir des pays de résidence des candidats voyageurs en vue de l'achat des billets d I avion en Belgique et de la n location" des titres de voyage. Ils assureraient l'ensemble des démarches jusqu'à l'arrivée du candidat sur le territoire, qu'ils ne peuvent cependant garantir de manière absolue. Ces intermédiaires seraient principalement des "jeunes gens débrouillards" issus des milieux de réfugiés nouvellement reconnus (après 1994). Leur rémunération serait assurée quelle que soit l'issue de l'aventure. D'autres intermédiaires résideraient dans les pays de provenance ou de transit. Il s'agirait aussi bien de réfugiés rwandais intégrés dans ces pays que de nationaux complaisants ou motivés par le goût du lucre.

Récemment, Robert Kajemundeme, un demandeur d'asile rwandais de 23 ans, et deux de ses neveux auraient monnayé leur passage pour un montant de US$ 5.000 au bénéfice d'un ressortissant congolais (ex-zaïrois) qui les aurait accompagnés jusqu'à l'aéroport de Zaventem. Celui-ci se serait séparé d'eux en emportant les faux documents de voyage. Le passeur en question aurait été recruté par un notable kenyan du nom de NJOROGI, qui l'aurait ensuite présenté aux candidats voyageurs.

Avant son arrestation en juillet 1997 à Nairobi, à la demande dù TPIR, l'ancien rédacteur en chef du périodique raciste KANGURA, Hassan Ngeze, était réputé jouer un rôle crucial dans les réseaux kenyans de trafic de faux papiers "en faveur" de réfugiés rwandais de 1994. Cette rumeur semble corroborée par le fait que, lors de son arrestation, Hassan Ngeze était en possession de plusieurs passeports (voir annexe 3 : dépêche REUTER du 18/8/1997 envoyée d'Arusha).

1.9. Le cas de quelques personnalités

Le fait que plusieurs personnalités importantes de l'ancien régime rwandais notoirement soupçonnés d'implication dans le génocide et les massacres aient pu obtenir se voir immédiatement reconnaître la recevabilité de leur demande d'asile en Belgique laisse supposer qu'ils sont entrés sur le territoire belge munis d'un passeport et d'un visa régulier. Ce qui pourrait trahir l'existence de défaillances au niveau des services compétents.

Parmi les personnalités appartenant à cette catégorie, on peut citer Charles Nzabagerageza, cousin du Président Habyarimana soupçonné d'implication dans le massacre des Bagogwe et dans le génocide (voir liste en annexe 4), dont la demande d'asile a été déclarée récevable le 17 juillet 1997. Auparavant, Mbonyumutwa Shingiro, Alphonse et Alphonsine Higaniro, le général-major Augustin Ndindiliyimana et le Dr Jean-Baptiste Butera avaient bénéficié d'une décision analogue entre juillet 1994 et mai 1995.

2. DES PROLONGEMENTS POLITICO-MILITAIRES ?

2.1. Au Rwanda et en Europe :

Ces derniers mois, on a observé une aggravation de l'insécurité dans le nord-ouest du Rwanda (spécialement dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri et Kibuye} , notamment en raison d'infiltrations de commandos en provenance du Congo (ex-Zaïre) avec le soutien de relais et de réseaux locaux ou situés hors du Rwanda. Cette situation indique que le danger représenté par les ex-FAR, les miliciens, et leurs alliés politiques demeurés fidèles au camp de feu le Président Habyarimana et à son programme d'extermination des Batutsi et des Bahutu 0traîtres à la cause" demeure, hélas, une ..tragique réalité.

Parallèlement, en Europe, et. plus spécialement en Belgique et en Allemagne, des rumeurs circulent selon lesquelles des réunions et des collectes de fonds sous couvert d'activités culturelles seraient organisées alternativement sur le territoire belge et allemand en vue d'appuyer les actions de guérilla et les massacres de civils en cours au Rwanda.

2.2. Les réseaux d'acteurs :

Le profil de certaines personnalités récemment arrivées comme demandeurs d'asile en Belgique et dans quelques autres pays européens, dont l'Allemagne, fait craindre que l'Europe devienne effectivement, à plus ou moins court terme, une base d'appui pour des projets criminels de revanche· politico-militaire, voire d l'"achèvement du travail" de génocide dans le style de celles qui sont actuellement menées dans le nord-ouest du Rwanda.

2.2.1. L'Allemagne, qui compte diverses petites communautés de Rwandais principalement installés dans les grandes villes (Berlin, Francfort, Cologne, Bonn, ...) et dont les représentations diplomatiques en Afrique sont réputées, à tort ou à raison, moins sévères vis-à-vis des demandeurs de visas rwandais, semble être devenue à la fois un pays de destination et un pays de transit, notamment pour des demandeurs d'asile rwandais en Belgique. La proximité de l'aéroport international de Düsseldorf par rapport au territoire belge constitue un élément d I attraction supplémentaire pour les organisateurs et les bénéficiaires de filières illégales.

Selon des informations fragmentaires en notre possession, des demandeurs d'asile récemment arrivés en Allemagne seraient hébergés dans les centres d'accueil fermés de Rostock et de Stralsund, en ex-RDA. Parmi eux se trouvent probablement des personnes ayant participé au génocide et aux massacres de 1994, ou, à tout le moins, disposant d'informations privilégiées sur le sujet, comme en témoigne la photo numérotée (reproduction en annexe) 1 montrant un membre des FAR menaçant une personne nue, vraisemblablement un jeune homme, dont les yeux sont bandés et les bras liés derrière le dos à la hauteur des coudes. La légende au dos de la photo (avant reproduction) indiquait : "KIGALI le 27-4- 1994" (Lieu d'exécution dans le camp militaire). Cette photo, qui pourrait être un trophée du temps du génocide, aurait appartenu à un pensionnaire rwandais du centre d'accueil de Stralsund, en Allemagne.

2.2.1. La Belgique quant à elle, héberge, depuis 1994, certains membres notoires de l'akazu (entourage immédiat du Président Habyarimana) soupçonnés d'implication dans le génocide et les massacres perpétrés au Rwanda. Les plus connus sont : Séraphin Rwabukurnba (voir liste en annexe 4), ainsi que Alphonse Higaniro et son épouse Alphonsine Higaniro-Mukakamanzi (ibid.). L'akazu, on le sait, contrôlait le MRND et ses partis satellites {dont la CDR et le PECO). On a également observé la présence en Belgique du Dr Jean-Baptiste Butera, président du PECO (ibid.), qui est réputé avoir joué le rôle de liaison entre Bruxelles et Gama de 1994 à 1996, au moment où se préparaient, dans l'est du Congo (ex-zaïre), des opérations de déstabilisation du Rwanda.

L'arrivée, au cours des derniers mois, de Pierre Basabose (ibid.) et, surtout, celle de Charles Nzabagerageza donnent à penser que la (re)constitution d'un réseau de patronage d'activités visant la restauration de l'ancien régime, avec son cortège de crimes contre l'humanité et notamment contre les survivants et les témoins du génocide, ne peut pas être considérée comme une simple vue de l'esprit.

2.2.2. De même, la Belgique abrite, depuis plus d'un an, un bureau du Rassemblement pour le retour de la Démocratie au Rwanda (RDR). Le RDR a organisé ou participé à diverses activités publiques en Belgique entre sa naissance le 3 avril 1995, à Mugunga {Goma, Congo/Zaïre), et août 1997.

L'organisation d'une réunion clandestine à La Marlagne {Namur) du 15 au 17 août 1997, avec la participation d'une vingtaine de Rwandais venus de Belgique, de France, d'Allemagne et d'Angleterre, sous la couverture fallacieuse d'un groupe de chants et avec, selon des témoins directs, la complicité (consciente ou non} d'un membre de la Fédération des Scouts Catholiques de Belgique, semble indiquer la préparation d'actions peu avouables à partir du territoire belge, à mettre vraisemblablement en rapport avec la perte, au moins partielle, du sanctuaire kenyan depuis juillet 1997. Ce mois fut, en effet, marqué par l'arrestation et le transfert au TPIR de sept importantes personnalités rwandaises et d'un Belge gravement soupçonnés d'incitation et de participation au génocide et aux massacres de 1994.

2.2.3. Outre l'appui important de personnalités proches de l'Internationale Démocrate - Chrétienne (IDC), il convient de rappeler les liens extrêmement étroits qui unissent le RDR, dès sa fondation, au "Haut Commandement" des ex-FAR, comme l'indiquent à la fois le lieu de création du RDR - le camp de réfugiés de Mugunga, près de Goma, où étaient concentrés la plupart des 35.000 à 50.000 soldats de l'ancienne armée rwandaise - et le fait que le général Augustin Bizimungu, chef d'état-major des ex-FAR, et ses principaux collaborateurs ont entamé, dès le lendemain de la création du RDR, soit le 4 avril 1995, un processus de soutien public à ce mouvement qui a abouti en moins d'un mois à la rupture définitive entre les ex-FAR et le "gouvernement en exil" dirigé par Théodore Sindikubwabo et Jean Kambanda, au bénéfice du RDR.

2.2.4. Dans sa réponse, datée du 10 mai 1995, à la déclaration de rupture par le Haut-Commandement des ex-FAR, Jean Kambanda affirme que la réunion de création du RDR a été présidée par le général-major Bizimungu en per onne, qui aurait également été le signataire des invitations à la dite réunion datées du 23 mars 1995 (voir annexe 5). Bien entendu, cette affirmation mérite d'être vérifiée.

2.2.5. Dans l'attente de l'identification complète des participants à la réunion du RDR, à La Marlagne {voir photos n° 1 à 9 en annexe), au nombre desquels figure le Dr Jean-Baptiste Butera susmentionné, il convient d'observer qu'on rencontre des membres du RDR en France (dont l'ancien ministre des Affaires Etrangères du Rwanda et ancien ambassadeur à Paris, Jean-Marie Vianney Ndagijimana) et en Allemagne, où la section existante s'est structurée à partir et dans le cadre d'une l'association culturelle germano-rwandaise dénommée 11AKAGERA-RHEIN e.v.11, fondée, entre autres, par Jean Shyirambere Barahinyura, transfuge du FPR et ancien porte-parole de la CDR pour l'Europe, et par Paul Mbaraga, ancien journaliste à Radio Rwanda, actuellement journaliste à la Voix de l'Allemagne (Deutsche Welle) et demandeur d'asile en Allemagne.

2.2.6. De manière générale, le RDR est composé principalement d'anciens membres et sympathisants du MRND, de la CDR, du MDR "tendance Power et de membres des ex-FAR. L'arrivée effective ou proche, d'officiers des ex-FAR naguère réfugiés au Congo (ex­ Zaïre), signataires des deux déclarations de soutien au RDR et ayant participé à la guerre contre l'AFDL, s'inscrit-elle dans un plan de transfert concerté de certains centres d'activités politico-militaires en Europe, et notamment en Belgique ? Précédant de moins d'un mois la réunion clandestine du RDR à La Marlagne, une déclaration dans ce sens faite par Christophe Nzabandora, porte-parole "en congé du RDR pour le Kenya, au journal français Le Figaro semble étayer cette hypothèse (voir annexe 6 : Le Figaro, 22 juillet 1997).

On peut citer, au nombre des officiers des ex-FAR arrivés en Belgique ou annoncés, le Colonel Venant Musonera, signataire des deux déclarations susmentionnés, qui s'était déjà fait remarquer au Rwanda par son implication dans les massacres de plus de 200 civils au Bugesera en 1991 et 1992 (voir Rapport de la Commission internationale d I enquête sur les violations des droits de l'homme commises au Rwanda à partir du 1er octobre 1990, pp. 42 et 47)

Bruxelles, le 18 septembre 1997 (*).

Renseignements CRDDR: Gasana Ndoba, tél. 02/217 16 29
fax 02/223 14 95

(*) La première version du présent rapport datée du 11 septembre 1997, dont le texte ci-dessus constitue la première mise à jour, a été déposée auprès du service du Parquet de Bruxelles chargé des procédures relatives à 11 assassinat des 10 casques bleus belges, au génocide et aux massacres commis au Rwanda.

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