Fiche du document numéro 11570

Num
11570
Date
Mercredi 20 mai 1998
Amj
Auteur
Taille
85329
Titre
Audition de M. Paul Dijoud, directeur des Affaires africaines et malgaches au ministère des Affaires étrangères (mars 1991-août 1992)
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. Paul DIJOUD
Directeur des Affaires africaines et malgaches
au ministère des Affaires étrangères (mars 1991-août 1992)
(séance du 20 mai 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Paul Dijoud, Directeur des
Affaires africaines et malgaches au ministère des Affaires étrangères, de mars
1991 à août 1992, période qui a été marquée, au Rwanda, par une nouvelle
offensive du FPR et qui s’est conclue par la nomination d’un premier ministre
d’opposition et le lancement du processus des négociations d’Arusha. Il a
souligné que son audition serait de nature à éclairer la mission sur la
complexité et les ambiguïtés de la situation politique du Rwanda au moment
où le Président Habyarimana semblait accepter le principe d’un partage du
pouvoir avec l’opposition intérieure dans la perspective d’une transition
démocratique.
M. Paul Dijoud a tout d’abord précisé qu’il n’avait pas été
candidat au poste de directeur des Affaires africaines, mais qu’il s’était
impliqué avec passion dans la politique africaine et, dès le départ, dans le
terrible problème rwandais. M. Roland Dumas, Ministre d’Etat chargé des
Affaires étrangères, qui l’avait reçu dès son arrivée, avait fait du Rwanda
l’une de ses préoccupations premières. Il souhaitait que la politique africaine
soit préparée et mise en œ uvre à partir du quai d’Orsay. Cette vision, qui
aspirait à recentrer l’action de la France en Afrique, a trouvé son
aboutissement, il y a quelques mois, avec la réorganisation des services de la
Coopération.
Parmi les différentes administrations qui contribuaient à notre
politique africaine et dont il fallait harmoniser les actions, la direction des
Affaires africaines a tenu un rôle important aux côtés du ministère de la
Coopération, du ministère de la Défense et de plusieurs autres services de
l’Etat qui avaient un domaine propre de responsabilités, que le ministère des
Affaires étrangères s’efforçait déjà de coordonner. Cependant, il a relevé que
c’était avant tout entre la présidence de la République et le ministère des
Affaires étrangères que se définissaient les orientations, à partir des
informations et des évaluations fournies par les uns et les autres.
L’information circulait sans réserve sur ces orientations. Elle partait,
formalisée, de la direction des Affaires africaines vers le cabinet du Ministre

qui approuvait les propositions des services après les avoir, le cas échéant,
modifiées et les transmettait à la présidence de la République. Le Président
Mitterrand était très préoccupé par l’Afrique qu’il connaissait bien, où il avait
de nombreux contacts. Il se tenait constamment informé par l’intermédiaire
de la cellule africaine dont il annotait les propositions qu’elle-même, dans la
plupart des cas, sollicitait de la direction des Affaires africaines. Dès lors, ces
propositions devenaient une référence, un point d’appui pour les décisions et
les démarches ultérieures.
L’état-major particulier du Président de la République tenait une
place importante dans la politique africaine, dès le moment où des militaires
étaient engagés, comme c’était le cas au Rwanda. L’expérience, la
compétence, la grande loyauté du Général Christian Quesnot et du Général
Jean-Pierre Huchon leur ont bien sûr donné, pendant toute cette période, un
grand poids. Après leur avoir rendu un hommage appuyé, il a souligné qu’il
avait toujours entretenu avec eux des relations extrêmement amicales et
confiantes, et que, pendant toute cette période, l’état-major particulier de la
Présidence de la République avait su mener à bien la tâche difficile de faire
coïncider la démarche politique et la démarche militaire. La Direction des
Affaires africaines et l’Etat-major particulier avaient, quels que soient les
interlocuteurs, partagé les mêmes orientations, les mêmes convictions, même
si des nuances avaient pu apparaître.
M. Paul Dijoud a précisé que son exposé liminaire ferait certes appel
à sa mémoire, mais reprendrait partiellement les textes, les notes, les
télégrammes et les comptes rendus divers, établis au cours de la période
concernée, considérant qu’il était plus intéressant de s’y reporter plutôt que
d’interpréter ses propres souvenirs avec toutes les déformations que le recul
du temps risque d’apporter.
Il a, dans un premier temps, fait porter sa réflexion sur le caractère
prévisible ou non de la tragédie rwandaise.
Il a rappelé que le dossier rwandais avait été l’un des premiers qu’il
avait eu à traiter. Tous les observateurs paraissaient redouter que se produise
quelque chose de grave au Rwanda, mais personne n’en avait prévu la forme.
On craignait avant tout une longue guerre civile, étant donné la nature des
forces en présence, et celle des problèmes à régler. Les choses se sont
passées différemment, en raison de l’enchaînement des circonstances, mais il
est certain que l’on redoutait le pire.
Il a indiqué que l’histoire rwandaise et la formation des forces en
présence justifiaient beaucoup d’inquiétudes. Ce pays était passé d’une
domination monarchique, exercée par les Tutsis réunis autour de leur prince,

sur les autres ethnies, en particulier les Hutus, petit peuple, très majoritaire,
de paysans. Les Belges ont, en effet, pendant une bonne partie de la
colonisation, trouvé profit à abandonner aux Tutsis une large possibilité de
conduire le pays à leur gré. La décolonisation a été bâclée et les Belges sont
partis le plus vite possible. A cette période où l’élection était la loi du genre
en Afrique, les Rwandais ont voté selon leur ethnie, et les Hutus, rassemblés
dans diverses formations, ont obtenu 70 % des voix.
Il s’en est suivi un défoulement populaire, une dégradation des
équilibres. La peur s’est longtemps maintenue dans le pays. Les Hutus ont
cherché à exercer leurs pouvoirs à tous les niveaux, et tout naturellement les
Tutsis l’ont mal accepté. Le pouvoir hutu mis en place avec réticence par les
Belges qui, à ce moment-là, ont dû changer de camp, a créé dans le pays une
panique qui a marqué le début des enchaînements ultérieurs. En 1959, a eu
lieu un premier génocide, suivi en 1960 par un deuxième et l’on a pu estimer
que ces premiers massacres avaient fait des dizaines de milliers de morts,
dans des conditions souvent atroces. Les mêmes causes produisant les
mêmes effets, il y avait fort à craindre que la situation dérive vers de
nouvelles violences de ce type.
M. Paul Dijoud a dit avoir été frappé, dès son premier voyage au
Rwanda, par l’ambiance qui régnait dans Kigali et dans les campagnes. Les
gens étaient terrorisés les uns par les autres. Toutefois les Hutus modérés du
Sud et du Centre qui constituaient la grande majorité de la population
auraient souhaité que leur pays évolue plus vite, différemment, et n’avaient
pas de haine profonde pour les Tutsis. Ils n’ont pas participé au génocide.
Néanmoins, ils avaient peur d’une invasion du FPR, d’un retour en force de
l’ethnie des seigneurs, avec tout ce que cette menace pouvait comporter. Par
ailleurs, de nombreux Tutsis étaient en butte à la volonté de vengeance de
Hutus désireux d’obtenir une place correspondant à leur poids
démographique et de les faire partir. Le clergé catholique, notamment
l’évêque de Kigali, craignait le pire dans un contexte de peur réciproque qui
menait à la haine. Il était clair que des événements tragiques surviendraient si
rien n’était fait pour les empêcher.
C’est pour cette raison que la France s’était impliquée, bien qu’elle
n’ait pas eu d’intérêts au Rwanda et qu’elle ne soit pas liée à ce pays de
longue date. Le Rwanda était comme un accident dans le domaine des
responsabilités de la France. Elle n’avait aucune vision hégémonique et il ne
s’agissait pas de défendre les frontières de la francophonie. Il eût été absurde
de prendre de tels risques pour un enjeu de ce type, aussi passionnant soit-il.
M. Paul Dijoud a présenté les cinq objectifs sur lesquels reposait la
politique de la France au Rwanda.

Le premier était d’aboutir à un cessez-le-feu car nous considérions
que rien ne pouvait se faire sans la fin des combats. La France est sans cesse
intervenue auprès des deux parties et plusieurs cessez-le-feu ont été signés,
mais ils ont toujours été temporaires et jamais réellement appliqués.
En second lieu, les efforts français ont consisté à contraindre le
Président Habyarimana à mettre en œ uvre de véritables réformes politiques et
à l’appuyer quand il prenait des mesures en ce sens, sans toutefois vouloir
transformer le Rwanda en une démocratie avancée. M. Paul Dijoud a
considéré à cet égard que le discours de La Baule ne devait pas être
interprété comme un appel à la démocratie immédiate, mais comme une
orientation, une priorité dans les démarches de la France et a souligné son
influence sur la vie politiques des pays africains. Tout a été fait pour
convaincre le Président Habyarimana que, malgré les difficultés, il fallait, par
étapes successives, mener à bien de véritables réformes pour que son pays
puisse vivre dans un certain consensus.
Le troisième objectif consistait à permettre le retour des Tutsis
exilés, la France estimant que le problème des réfugiés était d’une importance
fondamentale. Entre 600 et 800 000 Tutsis avaient fui au moment des grands
massacres et s’étaient installés dans les pays voisins, où ils vivaient dans des
conditions inégales. Les uns s’étaient insérés dans les pays d’accueil ; les
autres vivaient comme des parias et n’avaient qu’une seule aspiration, celle
de se réinstaller au Rwanda. Ils étaient amers, frustrés, prêts à toutes les
aventures. Il fallait leur donner une place dans leur pays.
Le quatrième objectif, plus complexe, difficile à expliquer à
l’opinion publique française qui, déjà à cette époque, ne comprenait pas
toujours les engagements de la France en Afrique quand ils prenaient un
caractère militaire, était d’éviter une victoire militaire du FPR sur l’armée
rwandaise, et par là même d’éviter une guerre civile. En effet, la conquête
militaire du pouvoir par le FPR, qui aurait dû alors affronter une population
majoritairement hostile, aurait créé une situation intenable, provoquant des
répressions, des représailles et donc la guerre civile. Il convenait de faire en
sorte que le FPR n’écrase pas l’armée rwandaise. Celle-ci avait d’ailleurs
connu des succès lors de l’attaque sur Ruhengeri, ce qui avait permis la
stabilisation du front face à une opération surprise, bien menée, mais sans
grande portée. La France ne pouvant s’engager militairement, elle a décidé
d’accorder aux forces armées rwandaises une aide à la formation et un appui
sous la forme d’une fourniture d’équipements militaires.
Enfin, la France s’est efforcée de mobiliser ses partenaires pour
éviter un embrasement de toute la région. La Belgique, ancienne puissance
colonisatrice, la Grande-Bretagne qui était impliquée en Ouganda, les Etats-

Unis, très attentifs à l’évolution de la situation, manifestaient leur volonté
d’apporter une contribution au règlement de la crise rwandaise.
A cette époque, les Américains reconnaissaient sans difficulté le rôle
de la France, qu’ils appuyaient. M. Hermann Cohen, Secrétaire d’Etat adjoint
aux Affaires africaines du Gouvernement américain, suivait la ligne de
conduite des Etats-Unis, consistant à laisser la France agir dans cette zone
qu’elle connaissait mieux que les autres et où elle savait ce qui pouvait être
fait, tout en se déclarant prêt à intervenir à la demande de la France ou en
l’absence de solutions. A l’appui de cette description de l’attitude américaine,
M. Paul Dijoud a évoqué un télégramme de l’ambassadeur de France à
Washington, du mois de juillet 1991, selon lequel les Etats-Unis
considéraient qu’il appartenait à la France et à la Belgique de jouer le rôle
essentiel pour la recherche d’un accord au Rwanda et soulignaient qu’il
n’entrait pas dans les intentions américaines de se substituer à ces deux pays.
M. Paul Dijoud a relevé que cette attitude démontrait la confiance accordée,
dans un premier temps, à la France par les Etats-Unis.
Il a ensuite abordé la dimension régionale de la crise en indiquant
qu’à l’époque, un long débat avait porté sur l’implication de l’Ouganda.
Celle-ci était bien connu des Etats-Unis comme le montre un télégramme de
l’ambassadeur de France à Washington relatant une réunion organisée par le
département d’Etat : « La Defense Intelligence Agency (DIA) du Pentagone
exposait à l’attention des ambassades de France, de Grande-Bretagne et de
Belgique, la situation au Rwanda. L’ambassadeur déduit que le Pentagone
considère que le FPR opère au Rwanda au départ de plusieurs bases situées
en Ouganda, bases mobiles mais dont la localisation est connue. La DIA est
également persuadée que le FPR utilise des pistes d’atterrissage se trouvant
en territoire tanzanien. Elle relève l’excellente capacité tactique du FPR et
l’importance de son équipement militaire. Elle considère que l’armée
ougandaise aurait la capacité d’exercer un contrôle sérieux sur la frontière
avec le Rwanda, à supposer qu’elle le souhaite. Enfin les services de
renseignement de l’armée pensent qu’une nouvelle offensive du FPR se
prépare dans le nord-ouest, bien qu’à long terme, aucune solution militaire
ne soit susceptible de faire la différence entre l’armée rwandaise et le
FPR. »
Après une longue description de la stratégie et des objectifs du FPR
passant d’une tactique de guerre conventionnelle à une tactique de guérilla,
le télégramme indique : « Le FPR bénéficiait de plusieurs bases en Ouganda
pour mener des opérations de reconnaissance avant le déclenchement de ses
offensives et se replier en territoire ougandais après avoir atteint ses
objectifs et éviter des engagements meurtriers. Sa tactique d’opération -dit

la DIA- est remarquable pour une armée de guérilla. Depuis le 23 janvier,
le FPR menait et préparait de nouvelles offensives dans la zone nord et
nord-ouest. L’arrivée de trois bataillons dans la zone du parc des Volcans
prouvait qu’une nouvelle offensive était en préparation. »
Selon la DIA : « Les objectifs du FPR étaient, à long terme, la
restauration de la domination tutsie, et les objectifs affichés comme la
démocratisation à terme du Rwanda et l’ouverture d’un dialogue avec le
gouvernement n’étaient mis en avant qu’à l’intention des opinions
occidentales. La stratégie du FPR pouvait être analysée comme suit : à
court terme, étrangler l’économie rwandaise, mener une guerre d’usure
contre l’armée et conquérir le terrain; à moyen terme, acculer le
gouvernement rwandais à la négociation et s’insérer dans les structures
gouvernementales ; à long terme, contrôler le gouvernement.
« Bien évidemment, le département d’Etat, après cet exposé, a fait
des réserves et des commentaires. On voit apparaître une certaine
dichotomie entre deux tendances de la politique américaine : ceux qui font
confiance à la France et qui nous ont aidés jusqu’au bout, M. Cohen en
particulier, le ministre compétent, et ceux, au Pentagone ou à la CIA, qui
avaient une vision plus dure mais aussi plus pragmatique. Au départ, ces
derniers ont été hostiles au FPR parce qu’ils ont vu une forte déstabilisation
de la région alors qu’eux-mêmes soutenaient encore le Maréchal Mobutu
au Zaïre, principal point d’appui de leur présence économique dans la
région. Ensuite, constatant que le FPR allait gagner, ils se sont retournés
vers le FPR et l’ont vraisemblablement aidé. »
M. Paul Dijoud a rappelé que la situation régionale était
particulièrement délicate. Le Burundi constituait un élément majeur des
craintes françaises. Le Zaïre, vulnérable, actif dans cette affaire, craignait
d’être déstabilisé, d’où les interventions du Maréchal Mobutu. Les
Américains portaient peu à peu attention à cette région en termes
géopolitiques. Tous ces éléments conduiront le Président de la République à
organiser une mise à plat de la politique française et à relancer l’action
diplomatique de la France dans la région. M. Paul Dijoud a indiqué qu’il a
ainsi été amené à organiser et à présider une conférence des ambassadeurs
des pays de la Région des grands lacs, du 12 au 18 juillet 1991, accompagné
du Général Jean-Pierre Huchon, membre de l’état-major particulier de la
Présidence de la République, ce qui témoignait de l’intérêt que le Président
apportait à cette démarche.
Au cours de ce voyage, M. Paul Dijoud a indiqué qu’il avait
rencontré le Président Habyarimana à deux reprises, et a donné lecture du
télégramme de l’ambassadeur rendant compte de ces entretiens : « M. Paul

Dijoud, accompagné du Général Jean-Pierre Huchon, a visité le Rwanda du
18 au 20 juillet. Cette visite a été marquée par l’étape suivante :
« Une première audience a été accordée par le Chef de l’Etat
pendant près de deux heures, dans la matinée du 18. Elle a donné tout
d’abord à celui-ci l’occasion de refaire l’historique détaillé de l’agression
subie par son pays depuis le 1er octobre 1990, des origines politiques et
ethniques de ce conflit, du rôle joué par l’Ouganda, des différentes
tentatives de médiation faites à l’échelle régionale et, enfin, des appuis
reçus par le Rwanda des pays amis, surtout de la France, qui ont eu un
poids déterminant dans le redressement de la situation militaire.
« Le Président est convaincu que Museveni ne renonce toujours
pas à appuyer une rébellion formée essentiellement par ses anciens
compagnons et frères de race. Il continue à leur fournir des armes,
récemment des mortiers de 120 millimètres. Les Rwandais se demandent s’il
ne va pas leur procurer des véhicules. De son côté, le groupe
d’observateurs militaires créé par l’OUA apparaît tout à fait inefficace, et
sa neutralité est douteuse en raison de sa composition ethnique. Ses
membres ougandais sont suspects de collusion avec l’ennemi. Il en est de
même des Burundais, même si le Président Habyarimana fait
personnellement confiance au Président Buyoya.
« Le Chef de l’Etat et M. Dijoud sont convenus qu’il fallait donner
une suite rapide au projet de mini-sommet entre Etats de la zone.
M. Bizimungu, Ministre des Affaires étrangères, était chargé d’une nouvelle
tentative pour rencontrer le Président Mobutu et obtenir son adhésion à ce
projet et son accord sur la date du 27 juillet, déjà acceptée par le Président
Habyarimana.
« Par delà cette action diplomatique à mener par le canal de
l’OUA et avec l’appui des pays amis, M. Dijoud a insisté pour que se
concrétisent les garanties promises pour favoriser le retour des réfugiés, en
particulier l’engagement pris par le Président, de permettre à tous de
recevoir un passeport rwandais. Il a exprimé la conviction que le Front
patriotique rwandais serait privé d’argument lorsque tous les émigrés qui le
souhaitaient pourraient jouir de la nationalité rwandaise sans aucune
restriction et intervenir librement dans la vie politique du pays.
« M. Dijoud a ensuite insisté sur le danger que constituait la
perspective d’une conférence nationale qui se déclarerait inévitablement
souveraine et permettrait à toutes sortes d’agitateurs de gagner le devant de
la scène, conduisant ainsi au désordre et laissant ensuite le pays dans une
situation économique et financière grave.

« Il fallait, pour éviter cela, que le Chef de l’Etat prenne
l’initiative, tant qu’il en est encore temps, de consulter les partis, et de leur
soumettre une loi électorale, de préférence fondée sur le scrutin
proportionnel, dont l’expérience a démontré qu’il permettait d’assurer
l’équilibre le plus satisfaisant dans les pays comme le Rwanda où les
facteurs ethniques et régionalistes avaient une grande importance. »
M. Paul Dijoud a souligné le caractère insistant des démarches
entreprises pour convaincre le Chef de l’Etat de la nécessité de conduire des
réformes. Le Président Habyarimana semblait sensible à ce discours, rassuré
quant à l’intention française de maintenir son appui, aussi bien à l’intérieur
qu’à l’extérieur, convaincu que la France entendait l’inciter à ne pas
abandonner à ses opposants la conduite d’une évolution politique qui
s’avérait irréversible. Puis M. Paul Dijoud a cité à nouveau le télégramme
rendant compte de sa visite au Rwanda :
« Le 19 juillet a été réservé à la conférence des ambassadeurs de
France de la zone. Cette conférence a permis à M. Dijoud d’exposer
comment le département comptait relancer notre politique en Afrique,
substituer une stratégie d’initiatives et d’actions à une diplomatie trop
longtemps limitée jusqu’ici à réagir devant les événements et placer cette
politique dans des cadres régionaux, la crise rwandaise fournissant
l’exemple d’un problème qui ne pouvait être résolu sans concertation dans
l’ensemble de la zone.
« La rencontre des ambassadeurs de Kampala, de Bujumbura, de
Nairobi, de Kinshasa et de Kigali s’est poursuivie ensuite pour procéder à
une évaluation de la situation au Rwanda. La présence militaire française
au Rwanda reste nécessaire à la stabilité du pays et aussi à l’ensemble de la
zone, et il est souhaitable que les gouvernements voisins soient convaincus
que la paix est notre seul objectif. La solution du problème des réfugiés ne
peut être que régionale. Nous ne pouvons qu’appuyer les efforts de l’OUA.
« La présence militaire française au Rwanda doit avoir pour
corollaire la poursuite harmonieuse du processus de libéralisation. Celui-ci
doit se réaliser dans le dialogue avec les partis et dans le renforcement de
l’état de droit, en évitant un glissement catastrophique vers la conférence
nationale.
« L’idéal serait que le Chef d’Etat propose à ses opposants
d’accepter une trêve qui pourrait être marquée par la formation d’un
gouvernement d’union nationale, chargé d’assurer la conduite de la guerre
et le rétablissement de la paix, en même temps que la préparation des
élections.

« La réconciliation doit être notre objectif majeur. Elle passe
inévitablement par une négociation avec le FPR. Si cette négociation, par
delà les efforts de l’OUA, doit recevoir l’appui des puissances occidentales,
la conduite nous en revient et les initiatives américaines, en ce domaine,
doivent être découragées. Par ailleurs, si Paris devenait un jour le lieu
d’une rencontre, le secret de ses conclusions devrait être rigoureusement
préservé. »
M. Paul Dijoud a précisé qu’après avoir rencontré plusieurs
membres du Gouvernement rwandais, il s’était entretenu avec les principaux
partis politiques rwandais. Ceux-ci ont affirmé que la paix était possible avec
le FPR, mais ils voulaient être partie à la négociation. Tous les partis
affirmaient compter des Tutsis dans leurs rangs. On était loin d’un monde
hutu bloqué et entièrement hostile à une situation en évolution.
Il a alors repris la lecture du télégramme : « Dans la soirée du
19 juillet, le Président Habyarimana a reçu une nouvelle fois M. Dijoud,
l’ambassadeur ainsi que le Général Huchon et les ambassadeurs de la zone
que M. Dijoud avait tenu à lui présenter. Cette rencontre a eu lieu
exceptionnellement, pendant près de deux heures, dans la petite résidence
que le Chef de l’Etat possède dans le centre de la ville et qu’il occupait au
début de sa carrière alors qu’il n’était encore que Chef de la Garde
nationale rwandaise.
« Dans
une
ambiance
particulièrement
chaleureuse,
Mme Habyarimana et ses filles ont offert des boissons. M. Dijoud a pu
montrer au Président, par la présence de nos représentants dans les pays
voisins l’importance que nous accordions à une solution régionale des
problèmes rwandais.
« En lui renouvelant l’assurance de notre appui, il a une seconde
fois insisté sur le thème incontournable de la réconciliation intérieure et
extérieure, et sur la nécessité de ne pas perdre l’initiative de cette
réconciliation. »
M. Paul Dijoud a ensuite indiqué que, compte tenu du processus
d’ouverture et d’évolution en cours, il avait fait part au Président
Habyarimana de ses conversations avec l’opposition. Au cours des deux tête
à tête où il a rencontré le Président, il a dit avoir eu la sensation d’être face à
un homme dur, qui faisait la guerre, dont le pays était attaqué aux frontières
et qui portait à bout de bras un pays pauvre, mais n’a pas eu le sentiment que
le Général Habyarimana préparait dans l’ombre des actions violentes. Le
Président rwandais a, peu à peu, pris conscience qu’il n’y avait pas d’autre
solution possible que celle préconisée par la France et il l’a tentée.

Après que l’armée rwandaise eut, au début du conflit avec le FPR,
réussi à établir un certain équilibre à la frontière, la France a tenté, et pour
partie réussi, de faire progresser un certain nombre de solutions aux
problèmes profonds du pays : le problème des réfugiés avait été traité à la
conférence de Dar Es-Salam, en mobilisant les appuis financiers pour essayer
de faire revenir, encadrer et protéger ces populations exilées ; des efforts
avaient été accomplis pour faciliter les démarches de réconciliation,
notamment la protection des Tutsis de l’intérieur qui faisaient souvent l’objet
de graves exactions ; un consensus politique plus large sur les progrès de la
démocratie avait été recherché.
Ces efforts avaient abouti à la mise en place d’un gouvernement très
élargi d’union nationale. Le premier ministre d’opposition gouvernait avec le
Président pour faire une politique d’ouverture et de progrès. M. Paul Dijoud
a rappelé que, pendant toute cette période, tout sera tenté pour réintégrer le
FPR en essayant de lui faire comprendre qu’en dehors de la défaite électorale
et de la guerre perpétuelle, d’autres voies étaient possibles. Il a alors donné
lecture du compte rendu de l’entretien qu’il avait eu en décembre 1991, à la
demande du Président Mitterrand, avec le Président Habyarimana :
« Contexte de l’entretien : plusieurs développements importants sont
intervenus récemment. L’organisation le 28 avril 1991 d’un congrès
extraordinaire du mouvement révolutionnaire national pour le
développement, au cours duquel celui-ci a abandonné son statut de parti
unique. La révision de la Constitution qui a abouti le 10 juin à la
promulgation d’un texte fortement inspiré par celui de la Vème République.
La publication, le 1er juillet, d’une loi sur la formation des partis politiques
marque l’avènement du multipartisme au Rwanda. L’annonce par le Chef
de l’Etat, le 30 septembre 1991, de deux projets d’amnistie : l’un
concernant les réfugiés, l’autre les opposants de l’intérieur. La proposition,
faite le même jour, de convocation d’une conférence des partis et de mise en
place d’un cadre de gestion concerté. La nomination, le 12 octobre 1991,
d’un premier ministre qui a été chargé de composer une équipe ouverte aux
diverses sensibilités politiques rwandaises en vue d’atteindre quatre
objectifs essentiels : faire aboutir les négociations avec le FPR, mettre au
point un processus électoral qui assure la représentation de toutes les
tendances, amorcer le retour des réfugiés, favoriser la poursuite du
programme d’ajustement structurel. »
M. Paul Dijoud a estimé qu’il était erroné de penser que le
processus d’évolution du Rwanda était bloqué et que la situation évoluait
négativement. Pour démontrer combien l’attitude de la France n’était pas
complaisante, il a cité les instructions qu’il avait alors envoyées à
l’ambassadeur :

« Vous voudrez bien solliciter un entretien avec le Président
Habyarimana pour lui faire part de l’inquiétude de la France devant
l’évolution de la situation dans son pays. Les derniers développements dont
vous avez rendu compte, ainsi que l’utilisation de radio Kigali par le comité
hutu de Bujumbura ne correspondent pas aux vues échangées lors de
l’entretien que le Président a eu avec M. Dijoud en marge du sommet de
Chaillot.
« Le sentiment de la France demeure inchangé : seule une
politique d’ouverture peut conduire au règlement des problèmes que
connaît le Rwanda. D’autre part, nous agissons auprès de l’Ouganda. La
mission d’observateurs français a été mise en place à la frontière entre le
Rwanda et l’Ouganda. -le but était de démontrer que les tirs sur le Rwanda
avaient pour origine l’Ouganda et que ce pays servait de point de départ aux
offensives.- Nous incitons le FPR à la retenue.
« Notre action ne peut porter que si le Rwanda maintient la ligne
qu’il s’est engagé à suivre : celle de l’ouverture et de la réconciliation
nationale. Il faut, à cet égard, que soient prises vite les mesures visant à
résoudre le problème des réfugiés, aide et amnistie, et que soit instauré un
vrai dialogue avec l’opposition. »
M. Paul Dijoud a souligné que la France s’était efforcée, sans
complaisance, de faire évoluer, à chaque occasion, la situation, y compris
avec le relais de pays amis, comme en témoigne un télégramme de
l’ambassade de France au Zaïre, relatant une conversation du directeur de la
sécurité militaire zaïroise avec les autorités rwandaises : « Sur instruction du
Maréchal, il leur confirme la nécessité impérieuse pour le Président
Habyarimana d’accepter le retour des rebelles au Rwanda, de même que
leur participation à la gestion des affaires du pays. Le président zaïrois a
ouvert le pays au multipartisme. Le président rwandais doit faire de même
ou s’effacer. Le Zaïre s’en mêle. »
M. Paul Dijoud a précisé qu’il partageait sans réserve la conviction
du Président de la République et du Général Quesnot, selon laquelle il
convenait d’aider l’armée rwandaise. Tous trois étaient persuadés que les
drames viendraient de la déstabilisation militaire et que la guerre empêchait
les réformes. La montée en puissance de l’aide accompagnera le
renforcement des troupes du FPR. Parallèlement, dès lors que les Etats-Unis
acquièrent l’idée que le Rwanda finira par être dirigé par le FPR, ils changent
d’attitude quant aux appuis à apporter à ce dernier et à l’Ouganda. Peu à
peu, l’effritement de l’armée rwandaise, l’incapacité de ses chefs et
l’impossibilité de conduire une contre-attaque en Ouganda font apparaître
qu’il n’y a pas de solution militaire. A l’appui de cette constatation, M. Paul

Dijoud a cité une note du 11 mars 1992 adressée au Ministre d’Etat, Ministre
des Affaires étrangères, dans laquelle il précisait : « L’évolution du Rwanda
est bloquée par une contradiction évidente : seule l’ouverture politique
intérieure permettra de trouver une solution durable à la guerre avec le
FPR, mais cette ouverture politique est difficilement possible dans un pays
que la guerre déstabilise et radicalise de plus en plus.
« En vue de donner un nouvel élan à nos efforts pour aider ce pays
à sortir de la crise, la France doit renforcer son action dans quatre
directions. Le FPR a intensifié la guerre à l’abri de la protection que lui
accordent le Président Museveni et l’armée ougandaise. Ses bases arrières
sont sanctuarisées en Ouganda, et le découragement de l’armée rwandaise,
confinée dans une attitude défensive de plus en plus frustrante, affaiblit la
capacité de résistance militaire du pays. L’intransigeance du Front
s’accroît et, dans l’armée rwandaise comme dans certaines parties de
l’opinion publique, la logique de guerre reprend le dessus. Les tensions, et
maintenant les violences, à l’égard des populations tutsies proches des
rebelles se multiplient. -L’enchaînement de la tragédie commence dès cette
époque.- Un renforcement de l’appui de la France à l’armée rwandaise
permettrait d’inverser ces facteurs. C’est notre conviction. Il serait utile, en
particulier, de donner à l’armée rwandaise la capacité d’opérer de nuit »
-en raison des actions de guérilla- « De la même façon, le retour d’un
conseiller militaire français de haut niveau placé auprès de l’état-major
rwandais aurait des conséquences immédiates, car cette armée n’est pas
commandée, et les hommes se font tuer sur le terrain sans être, à l’arrière,
orientés. Enfin l’acquisition de certains matériels efficaces dans ce genre de
combat devrait être envisagée rapidement.
« En contrepartie de cet engagement supplémentaire de la France,
discret mais significatif, il serait souhaitable d’appuyer avec détermination,
auprès de toutes les formations politiques rwandaises, les efforts du
Président Habyarimana pour élargir son gouvernement et trouver un
premier ministre en accord avec l’opposition. La mise en place d’un
gouvernement d’union nationale serait un tournant important. »
Les propositions françaises se veulent constructives puisqu’il est
envisagé de faire entrer l’Ouganda dans les « pays du champ » pour
l’encourager à travailler avec la France à la recherche de la paix : « Le
problème des réfugiés ne peut pas être traité en quelques mois. Une
véritable prise en charge de ces populations implique de rassembler des
moyens financiers importants. Il est temps que la France, appuyée par ses
partenaires européens et par les Etats-Unis, exerce une forte pression sur
l’Ouganda et en particulier sur le Président Museveni pour qu’il joue un

rôle plus positif dans la recherche de la paix. » Ce qui conduit la diplomatie
française à saisir la Communauté européenne et le Haut-Commissariat aux
réfugiés.
M. Paul Dijoud a réaffirmé que la France se devait d’aider l’armée
rwandaise et qu’elle n’avait pas le choix, mais il a estimé qu’il convenait
d’établir, par ailleurs, des relations positives avec le FPR dans la perspective
des négociations qui allaient s’engager ultérieurement à Arusha. Il a précisé
que, contrairement à ce qui avait été affirmé, ces relations avaient été
constantes, particulièrement en Belgique. Dans un premier temps, elles
passaient par le représentant du FPR en Europe, M. Bihozagara,
actuellement ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Formation
professionnelle. Si elles mettaient en évidence l’intransigeance des positions
du FPR, elles avaient toutefois le mérite d’exister.
Par la suite, de nombreuses délégations du FPR ont été reçues au
Quai d’Orsay, et ce fut autant d’occasions de confirmer les positions de la
France avant la visite, sollicitée de longue date, du Major Kagame, chef de la
rébellion, qui fut ainsi relatée par télégramme : « Le vice-Président du Front
patriotique rwandais a effectué du 17 au 23 septembre (1991), une visite en
France au cours de laquelle il a pu rencontrer MM. JeanChristophe Mitterrand et Paul Dijoud. Ces rencontres doivent, à ce stade,
demeurer confidentielles. L’objet de cette visite était d’associer le FPR à un
processus de règlement négocié de la crise que nous piloterions, en liaison
avec le médiateur zaïrois et la présidence de l’OUA ; lui faire partager
notre vision réconciliatrice et l’amener à faire une évaluation correcte des
inconvénients de la lutte armée ; dissiper tout éventuel malentendu
concernant la mission des soldats français actuellement stationnés au
Rwanda ; démontrer que nous sommes les amis de tous les Rwandais sans
exclusivité. » M. Paul Dijoud a estimé que l’objectif de cette rencontre
démontrait, s’il en était besoin, que la France ne menait pas une guerre
acharnée au FPR, avant de poursuivre :
« Le Major Kagame n’a pas caché sa satisfaction d’être reçu au
département. Il avait le sentiment que la politique de la France au Rwanda
avait été, jusqu’à présent, caractérisée par un certain déséquilibre et se
félicitait de l’occasion qui lui était donnée de nous apporter un éclairage
différent sur la crise rwandaise. Il a certes déploré certains aspects de notre
coopération avec Kigali qui, selon lui, avait pu contribuer à faire croire au
Président Habyarimana qu’une solution militaire était possible, mais il s’est
déclaré ouvert à toute initiative que nous pourrions prendre pour faciliter la
mise en œuvre d’un processus de règlement négocié.

« Le FPR, comme le gouvernement rwandais, accueille donc
favorablement nos initiatives. Une rencontre confidentielle à Paris, sous
notre égide, du haut responsable du FPR et du gouvernement rwandais est
désormais souhaitable, étant entendu que nous ne voulons pas nous
substituer au Président de l’OUA, mais à l’inverse, l’assister dans ses
efforts. » Il est précisé à l’ambassadeur : « Vous voudrez bien faire savoir au
Ministre des Affaires étrangères que le département se propose d’organiser
une telle rencontre dans les semaines qui viennent et de lui demander à
quelle date il pourrait être disponible pour se rendre à Paris. Le
département, en liaison avec notre ambassade à Kampala, fera, de son côté,
une démarche semblable auprès des responsables du FPR. La France
s’engage fortement dans sa mission de médiation. »
M. Paul Dijoud a précisé que la visite du Major Kagame s’était
achevée par un épisode malheureux. Les accompagnateurs du Major
Kagame, qui circulaient avec des valises de billets, s’étaient fait repérer par la
police et ont été arrêtés, sans que le Quai d’Orsay en ait été averti, puis
libérés le soir après l’intervention du Ministre des Affaires étrangères.
Les premières rencontres entre une délégation du gouvernement
rwandais et une délégation du FPR ont eu lieu les 22, 23 et 24 octobre 1991.
Ces réunions s’ouvraient dans un climat difficile, les deux parties se détestant
et manœ uvrant. Le Rwanda voulait démontrer qu’il n’était pas possible de
parler avec le FPR, et le FPR bloquait les discussions dès le départ avec des
revendications inacceptables par l’autre partie. Après trois jours de débats
houleux et brutaux au cours desquels les représentants français ont, par leur
rôle d’arbitre, essayé de rapprocher les points de vue et de proposer des
solutions, les rencontres se sont terminées sans grands résultats.
Néanmoins, les médiateurs français, forçant le destin, avaient réussi
à faire signer une sorte de procès verbal succinct des travaux effectués, qui
constituait déjà une ouverture, au moins sur les principes, les deux
délégations reconnaissant l’aspiration du peuple rwandais à l’unité, au refus
de la ségrégation et à la démocratie, le droit à la citoyenneté rwandaise et le
droit au retour pour tous les réfugiés, l’égalité des chances pour tous les
Rwandais -on renonce à tout ce qui marquait l’ethnie-, l’accès libre aux
moyens d’information et la nécessité du respect des droits de l’homme et de
la paix. Les deux délégations ont constaté qu’un processus politique pour
faire progresser la démocratie était en cours au Rwanda. D’accord sur le
constat, elles sont convenues qu’il serait souhaitable que le FPR y participe,
mais ont reconnu que la poursuite des combats empêchait cette participation,
ce qui était le cœ ur du problème.

Pour les deux délégations, la démocratisation impliquait la
formation d’un gouvernement de transition à base élargie. Elles réaffirmaient
que les accords déjà signés, notamment de N’Sele et de Gbadolite, restaient
valables et qu’elles souhaitaient créer les conditions de leur mise en œ uvre
effective.
La France n’a pas relâché ses efforts pour maintenir les contacts et
les parties se sont réunies à nouveau à Paris du 6 au 8 juin 1992, sous la
coprésidence de M. Herman Cohen et du directeur des Affaires africaines et
malgaches. Après de longs échanges houleux, M. Cohen montre son
irritation et lance au FPR : « Allez-vous cesser. Si vous ne faites pas un
effort, les Etats-Unis cesseront de vous soutenir. C’est vrai, on vous aide,
mais il faut y mettre du vôtre, sinon ce sera terminé ».
M. Paul Dijoud a souligné que ces propos démontraient l’équivoque
de la position américaine, qui aidait la France mais qui se croyait obligée de
ne pas abandonner l’Ouganda, tenu par le FPR, beaucoup plus qu’il ne le
tenait. Pour M. Paul Dijoud, il était clair que le Président Museveni n’avait
jamais été libre de s’accorder avec la France comme il l’aurait souhaité car le
pouvoir du FPR sur Kampala était considérable. C’était une partie de l’armée
ougandaise qui pénétrait régulièrement en Ouganda. Il ne faut pas se leurrer
à ce sujet.
M. Paul Dijoud a estimé que le compte rendu de ces rencontres avec
le FPR devrait être transmis à la mission. Il s’agit en effet d’un document qui
précise le rôle du médiateur, annonce des négociations ultérieures dans les
pays voisins et mentionne la médiation du Maréchal Mobutu qui a toujours
joué un rôle relativement positif, conscient que le Zaïre et son pouvoir
risquaient d’être déstabilisés. Le signataire de ce document n’était autre que
Pasteur Bizimungu, membre du comité exécutif, commissaire à l’information
et à la documentation, aujourd’hui Président de la République.
M. Paul Dijoud a ensuite fait état d’une note du 27 juillet 1992
faisant le point de la situation : « La France mène au Rwanda une politique
visant à la démocratisation du régime et à la réconciliation nationale. Elle
veille à ce que le Rwanda ne soit pas déstabilisé par l’action des rebelles du
FPR qui bénéficient de l’aide de l’Ouganda. Des développements positifs
ont été obtenus dans les derniers mois. Le Président Habyarimana a fait
fortement progresser l’ouverture politique. La nomination, en avril, au
poste de premier ministre d’un membre de l’opposition, la formation d’un
gouvernement de coalition qui regroupe les principales organisations
politiques nationales ont représenté des pas importants dans ce sens. Les
chefs d’état-major des armées et de la gendarmerie, personnalités
contestées, ont été remplacés. Le nouveau Premier Ministre, M. Dismas

Nsengiyaremye, s’est fixé pour première tâche de restaurer la paix et de
régler le problème des réfugiés. Parallèlement, le gouvernement a montré
sa volonté de rétablir un climat de confiance dans les relations entre le
Burundi et le Rwanda et une nette détente est intervenue.
« Des incertitudes et des motifs d’inquiétude demeurent cependant.
L’ouverture politique, qui a marqué l’évolution intérieure au Rwanda, n’a
pas reçu l’écho souhaité du côté du FPR qui se sait très minoritaire dans
l’opinion publique. Sur le terrain, le Front a accentué son action militaire à
partir de l’Ouganda et a pris le contrôle d’une portion de territoire
rwandais. Les négociations qui se sont engagées entre le gouvernement
rwandais et le FPR ont conduit à la conclusion, le 12 juillet dernier à
Arusha, d’une trêve qui aurait dû être effective le 19 juillet, mais qui n’a
pas été respectée. » M. Paul Dijoud a indiqué qu’il l’avait lui-même constaté
en allant sur le terrain le 22 juillet, et qu’il avait assisté à l’assaut des troupes
du FPR. Puis il a cité à nouveau la note : « Elle doit être suivie d’un cessezle-feu, à compter du 31 juillet, en application d’un accord conclu après des
négociations difficiles et sous la pression des observateurs occidentaux
(France, Etats-Unis, Belgique) et africains (Ouganda et Tanzanie). Cet
accord prévoit, dans son principe, le partage du pouvoir dans le cadre d’un
gouvernement de transition et l’intégration des rebelles du FPR dans
l’armée rwandaise. Ces dispositions dont la mise en œuvre pourrait mettre
en cause le pouvoir du Président Habyarimana et compliquer les relations
entre le président et le gouvernement de coalition, pourraient être discutées
à partir du 10 août. »
M. Paul Dijoud a indiqué qu’il avait été remplacé dans ses fonctions
en août 1992 par M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière, mais a toutefois
souhaité conclure son propos en donnant son sentiment sur les raisons qui
ont pu faire échouer les efforts d’instauration de la paix.
Sur le plan diplomatique, dans la région, tout le monde était
convaincu qu’il fallait trouver une solution. A l’intérieur du Rwanda, les
haines ne s’étaient pas apaisées, mais il était possible de penser qu’avec le
temps, ce peuple trouverait le long chemin de la réconciliation. La
démocratie ne pouvait pas se résumer à une majorité hutue inévitable et à une
minorité tutsie écartée des responsabilités. Il fallait trouver une formule, au
delà de la démocratie classique, de consensus et de participation du FPR.
Il a considéré qu’il n’était pas possible de dire, comme l’a fait le
Président américain : « Pardon, pardon, nous ne nous sommes occupés de
rien ». Les Etats-Unis ont été impliqués, ils ont, à certains moments, piloté
eux-mêmes la réconciliation, mais ils n’ont pas réussi plus que la France. Il

serait également faux de penser que la France est restée inerte face à la crise
rwandaise, tant elle s’est occupée du Rwanda. L’échec est donc partagé.
L’échec de la paix paraît en définitive imputable au FPR,
mouvement essentiellement constitué de Tutsis, peuple intelligent, ambitieux,
population nilotique installée dans l’Afrique profonde.
Le FPR était conduit par le Major Kagame, personnage relativement
visionnaire, d’une haute intelligence, d’une grande capacité à mener une
démarche jusqu’à son terme, d’une grande ambition et profondément assuré
de son succès, grâce en particulier aux réseaux dont il disposait dans le
monde anglo-saxon, surtout aux Etats-Unis. Il était donc sûr de son fait, tout
en ayant la conviction que la géographie des Grands Lacs n’était pas viable,
que les frontières de la colonisation avaient créé des Etats artificiels et qu’il
convenait de les remodeler. Le Zaïre imposant une sorte d’immobilisme, il
fallait provoquer des changements dans ses institutions et son régime
politique, dont il estimait qu’il ne pourrait pas tenir à la longue. Il avait aussi
le sentiment que la terre était trop rare au Rwanda et qu’il fallait trouver de
l’espace. Il y avait, chez le Major Kagame, un mélange de réalisme et de
vision qui n’a pas été sous-estimé et qu’il était difficile de contrer. Personne,
dans la région, n’était à même de s’opposer à lui. En fait, au cœ ur de tout, il
y avait la guerre. Le fond du problème est que le Major Kagame n’a jamais
poursuivi d’autre objectif que la victoire totale. Il a de temps à autre négocié.
Il a signé des accords mais, en toute objectivité, il n’a jamais poursuivi
d’autre but que celui de gagner, par la paix ou par la guerre. Il en avait les
moyens puisqu’il disposait d’une armée supérieure à toutes les autres. Les
événements, ensuite, au Zaïre ont montré qu’il pouvait projeter efficacement
cette armée, ou une partie de celle-ci, sous des formes différentes, à
l’extérieur. Son armée avait des réserves considérables. Les jeunes réfugiés
sans emploi et sans ressources étaient prêts à s’y engager. Fortement équipée
par l’Ouganda et par d’autres, très bien encadrée, elle est d’une rare
efficacité, notamment parce qu’y combattent des vétérans qui ont participé à
la guerre civile ougandaise aux côtés de Museveni.
Dès lors que l’un des partenaires est décidé à gagner à tout prix par
la guerre et que l’autre en prend conscience, toutes les démarches sont
d’emblée viciées, s’il n’est pas possible de faire appliquer par la force les
décisions prises par la négociation. Là se pose le grand problème des
capacités d’intervention de la France en Afrique et M. Paul Dijoud s’est
demandé si notre pays aurait été en mesure de faire entendre plus fort sa
voix, de s’engager au-delà de ce qu’il avait déjà fait, s’il existait une volonté
politique de le faire et s’il aurait été bon de le faire.

A partir du moment où la France ne voulait pas prendre le risque
d’être confrontée militairement au FPR, il était clair que tout allait dépendre
de la capacité de l’armée rwandaise à défendre ses frontières. Les
événements ont montré qu’elle n’en était pas capable. Les négociations
d’Arusha ont été entamées alors que l’armée rwandaise était en position de
faiblesse, ce qui privait les accords d’un facteur d’équilibre. De ce fait, ils
n’ont été qu’une étape dans un processus de déstabilisation du pays, qui a
repris ensuite et s’est accéléré à partir du moment où les soldats français se
sont retirés et où les troupes des Nations Unies, incapables d’agir, sont
arrivées.
M. Jacques Myard s’est interrogé sur les multiples facettes de la
politique étrangère américaine dans la région et sur la nature de l’aide
américaine à l’Ouganda en général et au FPR en particulier. Il a décelé, dans
les propos de M. Paul Dijoud, un basculement dans l’attitude des Etats-Unis
et a désiré savoir à quel moment celui-ci était intervenu.
M. Paul Dijoud a précisé que certains Américains du département
d’Etat maintenaient le contact avec la France, tout en s’efforçant de prendre
des initiatives. Il apparaît vraisemblable que d’autres avaient une analyse
différente, estimant que la France ne parviendrait pas à rétablir la paix. Ces
derniers ont alors conduit une diplomatie parallèle et ont commencé à
organiser des rencontres qui ont gêné l’action de la France, d’où quelques
protestations françaises. Bien que ne disposant pas d’informations précises
sur ce point, il a estimé que de nombreuses organisations américaines, y
compris sans doute des organisations privées, avaient, par intérêt, joué un
rôle parallèle à celui du département d’Etat. M. Paul Dijoud a dit avoir eu à
l’époque, la conviction que l’Ouganda recevait des aides importantes des
grands pays, y compris une coopération française restreinte. La GrandeBretagne aidait l’Ouganda, de même que la Communauté européenne et les
Etats-Unis, mais cette aide civile ne prenait pas, selon lui, la forme d’une
fourniture de matériels militaires. En revanche, l’Ouganda avait des stocks
militaires importants où puisait le FPR pour armer ses troupes, auxquels
s’ajoutait une réserve d’hommes. Ayant quitté ses fonctions en août 1992, il
n’a pu indiquer quand était intervenu le basculement de l’attitude américaine,
ni jusqu’où il avait entraîné les Américains. Il a toutefois précisé que, jamais
officiellement, ceux-ci ne s’étaient engagés aux côtés du FPR, mais il n’a pu
se prononcer sur d’éventuelles livraisons de matériel militaire.
Faisant état d’informations selon lesquelles les livraisons d’armes à
l’Ouganda étaient sous-estimées et sous-facturées, et que les volumes
supplémentaires ainsi dissimulés alimentaient les arsenaux du FPR, le
Président Paul Quilès a demandé des précisions à ce sujet.

M. Jacques Myard a souhaité savoir si la France disposait
d’informateurs dans la région et si leurs analyses sur le FPR et le Major
Kagame corroboraient celles du Pentagone.
M. Paul Dijoud a précisé que les documents qui seront
communiqués à la mission comportent des analyses sur le FPR et sur le
Major Kagame. S’il a cité le Pentagone, c’est parce qu’il a estimé que, les
services français étant frappés de suspicion, il était préférable de se référer
aux informations de source américaine. Le FPR a toujours défendu l’idée
qu’il était une force intérieure et qu’il intervenait dans un contexte de guerre
civile. Afin de prouver qu’il s’agissait bien d’une guerre à la frontière
ougando-rwandaise, la France a, au cours du quatrième trimestre 1991,
envoyé sur place une mission spéciale qui est restée plusieurs mois avec des
moyens de repérage. Cette mission a nettement démontré, au début des
attaques, que les tirs des pièces d’artillerie partaient de l’Ouganda et
traversaient la frontière.
M. Michel Voisin s’est interrogé sur la provenance des armes qui
équipaient le FPR et sur la présence éventuelle dans les rangs du FPR de
militaires ougandais ou d’autres nationalités.
M. Paul Dijoud a souligné que, parmi les prisonniers faits par les
FAR dans les rangs du FPR, figuraient des cadres de l’armée ougandaise, ce
qui n’était pas surprenant, dans la mesure où l’ethnie tutsie avait été l’un des
fers de lance de l’armée de libération ougandaise dans la lutte contre Obote
et Idi Amin Dada. Il s’est déclaré convaincu, mais sans pouvoir en apporter
la preuve, que le FPR avait reçu des appuis autres que ceux qu’il recevait de
l’Ouganda.
M. Pierre Brana a demandé quelles pouvaient être les raisons
expliquant l’intérêt américain pour le FPR.
M. Paul Dijoud a rappelé que le Major Kagame est anglophone et
qu’il faisait partie de ces Tutsis qui n’avaient jamais vécu dans le contexte de
la francophonie et de la coopération culturelle française. Il était donc plus
naturellement tourné vers les Anglo-Saxons. Il a estimé que ces affinités
s’expliquaient surtout parce qu’il y trouvait un intérêt politique. Le
personnage est avant tout pragmatique et déterminé. Il se sert de ses amitiés,
de ses appuis pour atteindre un but. C’est ce qui fait sa force. Peut-être
aurait-il été aux côtés de la France s’il avait trouvé un appui français à sa
démarche.
Evoquant les propos de M. Bruno Delaye relatant de quelle manière
le FPR avait trompé Kadhafi pour obtenir des armes en faisant croire qu’il

était un mouvement islamiste, le Président Paul Quilès a estimé que, bien
qu’anecdotiques, ces propos dénotaient un certain type d’attitude.
M. François Lamy a souligné que la présentation de M. Paul
Dijoud avait bien mis en évidence l’enchaînement des événements et la grille
d’analyse des diplomates français à l’époque. Il a toutefois souhaité connaître
son sentiment sur la complexité et les contradictions apparentes des objectifs
poursuivis par la France. Il s’est demandé si l’échec du mouvement de
démocratisation demandé et soutenu par la France n’était pas dû pour partie
à une attitude trop interventionniste, si la sensibilisation de l’ONU à la crise
rwandaise n’avait pas été trop tardive et si l’organisation mondiale n’aurait
pas dû intervenir dès l’amorce du processus de négociation des accords
d’Arusha.
M. Bernard Cazeneuve s’est interrogé sur la cohérence de la
politique française au Rwanda, consistant à pousser le Président
Habyarimana à démocratiser un régime dont il était connu qu’il pouvait
porter atteinte aux droits de l’homme, tout en l’assurant d’un soutien
militaire et diplomatique quasi inconditionnel, comme en témoigne le contenu
d’un télégramme diplomatique qu’il a cité : « La représentation de toutes les
tendances peut se faire dans la stabilité - y compris la participation de la
minorité tutsie- parce que la France veillera au respect de cette stabilité.
Nous sommes au Rwanda pour cela. Nous n’en partirons pas avant que la
paix soit assurée et nous y renforcerons notre présence si cela s’avère
nécessaire, etc. » Dès lors que la France agissait sans raison historique,
n’aurait-elle pas eu intérêt à pousser les Américains à exercer une pression
identique sur le FPR, plutôt que de tout mettre en oeuvre pour les écarter
comme l’indique un autre télégramme diplomatique, dont il a également lu un
passage ? : « La réconciliation doit être notre objectif majeur. Elle passe
inévitablement par une négociation avec le FPR. Si cette négociation, par
delà les efforts de l’OUA, doit recevoir l’appui des puissances occidentales,
la conduite doit nous en revenir et les initiatives américaines, dans ce
domaine, doivent être découragées. Par ailleurs, si Paris devenait un jour le
lieu d’une rencontre, le secret de ses conclusions devrait être
rigoureusement préservé. »
M. Paul Dijoud a insisté sur la complexité de la politique qu’il
s’agissait de mettre en oeuvre au Rwanda et a rappelé que, dans le même
temps, la France menait une médiation très difficile à Djibouti. Il a souligné
qu’aucun des processus d’évolution n’était simple en Afrique et que, si les
politiques sont compliquées, c’est que les problèmes sont très complexes et
qu’il faut agir sur tous les plans. Il a estimé que la conduite d’une politique
exclusivement militaire n’aurait rien résolu, d’autant plus que l’aide militaire

française se limitait à envoyer du matériel et à dispenser de la formation et un
peu d’encadrement. Il a indiqué que l’action de la France n’avait jamais
dépassé ce stade modeste, pour éviter ainsi de donner à sa démarche un sens
militaire mais que peut-être il aurait fallu aller plus loin.
Le politique française était nécessairement compliquée puisqu’elle
s’inscrivait dans une démarche qui se voulait globale et entendait traiter non
seulement les causes immédiates de la crise mais aussi ses causes plus
lointaines, en posant les bases d’un processus à plus long terme, en prônant
un cessez-le-feu dans l’immédiat, mais aussi le retour des émigrés et des
réformes foncières inévitables.
Cette complexité de l’action diplomatique se retrouve dans le
traitement d’autres crises, par exemple en Angola ou à Djibouti. Elle est
peut-être plus grande dans les pays africains où la France n’a pas exercé de
tutelle coloniale. Sans défendre tous les aspects ni le principe de la
colonisation française, M. Paul Dijoud a souligné qu’il fallait lui reconnaître
certains héritages positifs que n’ont peut-être pas laissés les colonisations
britanniques ou portugaises. Dans les pays où la France avait conclu des
accords de coopération depuis longtemps, elle est intervenue parce qu’on le
lui avait demandé et qu’elle était la seule à pouvoir le faire. La question qui
demeure est de savoir si la France devait ou non faire ce qu’elle a fait.
M. Paul Dijoud a indiqué que, lorsque l’on se trouve dans une
situation aussi complexe, il est nécessaire de s’impliquer davantage, tout en
s’efforçant de faire en sorte que les pays aidés se prennent progressivement
en charge. Dès lors qu’un pays s’est engagé dans un accord de coopération
militaire, la question se pose de savoir s’il peut laisser perdurer une guerre
civile dans le pays avec lequel il a conclu cet accord alors qu’il estime
pouvoir l’aider. M. Paul Dijoud a rappelé que la présence de coopérants
militaires français avait permis de rétablir l’équilibre au Rwanda, dans la
mesure où elle fixait en quelque sorte une limite à la pression militaire du
FPR, et surtout remontait le moral des cadres rwandais qui faisaient
confiance à la France, puisqu’elle était la seule à avoir compris qu’ils
n’étaient pas les monstres que le FPR décrivait dans sa propagande
internationale.
Il a également précisé que la France n’avait jamais estimé, pendant
toute cette période, que le FPR était un ennemi irréconciliable ou qu’il ne
respecterait pas ses accords et engagements. Il était considéré comme le bras
armé d’un mouvement qui visait à la réintégration d’un certain nombre de
réfugiés et se battait pour le droit d’un peuple à vivre dans son pays, ce qui
explique les nombreux contacts pris avec lui. Ce n’est que peu à peu et bien
plus tard que le FPR a montré un autre visage.

Il était également particulièrement difficile d’accompagner les
longues négociations entre les protagonistes de la crise rwandaise, en raison
des distances, des préalables et des préjugés de toute nature. C’est la raison
pour laquelle la France avait demandé aux Américains, de façon claire, mais
sans résultat, de la laisser agir sans conduire parallèlement d’autres
initiatives. Les actions américaines n’ont pas plus abouti que les initiatives
françaises, elles ont au contraire compliqué la tâche. Il ne s’agissait pas de
refuser l’appui de M. Cohen, mais de faire en sorte que les actions
américaines ne gênent pas celles de la France. Dès le départ, les Américains
avaient précisé le sens de leur démarche : « C’est votre zone. Si vous la gérez
bien et si vous la tenez, aucun problème, on vous laisse faire, on vous fait
confiance. Si vous n’y arrivez pas, on sera obligé de s’en mêler. Si on s’en
mêle, c’est nous qui dirigeons. »
M. Paul Dijoud a estimé que le changement d’attitude des
Américains après son départ, était lié à la crainte d’une déstabilisation de la
région. La France a été seule au Rwanda parce que personne ne s’y
intéressait alors. Tel n’a plus été le cas lorsque tout le monde s’est aperçu
que le Rwanda, c’était aussi l’Ouganda avec ses dangers, le Burundi qui
connaissait un problème d’affrontement ethnique similaire, le Zaïre en crise
profonde. L’histoire récente et l’actualité de ce dernier pays ne sont pas des
exemples glorieux de l’évolution des crises de la région des grands lacs.
Les efforts de paix ont échoué au Rwanda. La France s’est battue
pour essayer, sur tous les plans, d’imposer la paix, de la promouvoir et de
favoriser les transformations qui devaient y conduire. Elle y est parvenue,
largement, puis le processus a dérapé. Peut-être la France n’aurait-elle pas dû
retirer si vite son contingent militaire, mais elle s’était engagée à le faire et il
était donc difficile de revenir en arrière. Arusha avait fait naître les espoirs
français, mais Arusha était fragile.
M. Pierre Brana a souhaité savoir si la pression exercée par la
France sur le Président Habyarimana n’avait pas manqué de vigueur et
quelles auraient été les conséquences d’une action diplomatique plus forte.
M. Paul Dijoud a indiqué que le Président de la République, ses
collaborateurs immédiats, le ministère des Affaires étrangères ont toujours eu
la conviction que le Président Habyarimana était un moindre mal et, dans une
certaine mesure, le début d’un bien. Il ne semble pas que cet homme ait été
aussi corrompu qu’on l’a dit. Il ne lançait pas des appels au génocide. S’il est
mort, c’est précisément parce qu’il était l’homme qui pouvait, peut-être,
arriver à consolider la paix. Sa mort a pu profiter à certains de son
entourage, en particulier les clans du nord du pays qui ne voulaient pas de la
réconciliation et qui voulaient détruire le FPR. Ceux-là avaient intérêt à la

disparition d’un Président modéré qui suivait la France et qui, en retour,
bénéficiait de sa protection et de son aide. On peut aussi imaginer que ce soit
le FPR qui ait voulu faire disparaître le Président Habyarimana, dans sa
recherche d’une victoire militaire et d’une remise en question des équilibres
politiques dans la région des Grands Lacs.
M. Pierre Brana s’est interrogé sur les raisons qui avaient conduit
M. Paul Dijoud, au cours de la conférence des ambassadeurs du 12 au
18 juillet 1992, à considérer qu’une conférence nationale constituait un
danger au Rwanda, alors que de telles conférences se tenaient dans de
nombreux autres pays africains.
M. Paul Dijoud a précisé que cette conviction était partagée, les
conférences nationales ayant rarement réussi en Afrique et leurs résultats
étant très mitigés. Il s’agissait d’un phénomène de mode. Elles donnaient lieu
au grand déballage historique de toutes les erreurs commises par celui qui
avait gouverné précédemment et généralement personne n’était en mesure de
remplacer le Chef d’Etat mis en cause. La France avait très vite compris que
le Maréchal Mobutu n’était pas le meilleur dirigeant possible pour le Zaïre,
mais, malgré les efforts faits pour trouver une personnalité capable de le
remplacer, la classe politique zaïroise a vite montré ses limites. En ce qui
concerne le Rwanda, l’accession au pouvoir, aux côtés du Président
Habyarimana, d’un premier ministre d’opposition pouvait permettre de
consolider la situation politique du pays. Chaque fois qu’un homme politique
d’envergure émergeait, la France s’est efforcée de coopérer avec lui, ce qui a
été le cas du Burundi avec M. Buyoya, qui a fini par être débordé par ses
militaires.
M. Paul Dijoud a souligné que l’Afrique remettait en cause des
systèmes de gouvernement autoritaire à la soviétique, avec un parti unique et
un régime militarisé. Les transitions nécessitaient beaucoup de souplesse et
si, dans les déclarations publiques, dans les prises de position internationales,
la France soulignait la nécessité de la démocratie et s’inquiétait de la
violation des droits de l’homme, sur le terrain, son souci était aussi d’éviter
que les pays se déchirent et que les populations s’entre-tuent. Au Rwanda,
elle n’a pas pu l’empêcher, pas plus que les Américains ni personne d’autre.
Des drames s’étaient déjà produits au Rwanda avant que la France soit
présente et ce qui peut, peut-être, porter atteinte à son l’honneur, c’est
qu’elle n’était plus présente lorsque la tragédie rwandaise est survenue, mais
dès lors que les accords d’Arusha prévoyaient le départ des contingents
français, il était difficilement imaginable qu’elle maintienne envers et contre
tout une présence militaire. Pour les Nations Unies, il s’agit d’une carence
plus grave encore.

M. Michel Voisin a fait part de sa surprise d’entendre M. Paul
Dijoud indiquer que la France s’efforçait de trouver des remplaçants pour les
Chefs d’Etat africains qui conduisaient une politique contraire à celle que la
France souhaitait.
M. Paul Dijoud a invoqué l’idéal et le message que la France
véhicule dans le monde. Ceux-ci ne nous permettent pas d’affirmer notre
volonté de coopérer au développement de l’Afrique tout en prétendant, par
ailleurs, défendre les droits de l’homme et lutter contre l’oppression dans les
pays africains sans nous soucier des personnalités qui pourraient gérer notre
coopération, consolider le respect des droits de l’homme et mettre en œ uvre,
en alliance avec nous, les réformes nécessaires. La France ne combat pas les
dirigeants africains, elle ne se reconnaît pas le droit de les changer. Cela
s’était produit une seule fois dans l’histoire avec l’empereur Bokassa. La
France a toujours été très respectueuse des chefs d’Etat en place, cela lui a
même été reproché. Il importait d’essayer de les faire évoluer et, quand
c’était possible, de faire en sorte que des hommes d’un style différent
prennent la relève. Et cela n’a pas été inutile là où cela a été possible.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024