Citation
(Paris, le 3 juillet 1994)
 
 Rwanda - intervention française - déroulement des opérations - zone 
 humanitaire sûre
 
 Q - Pourquoi cette décision de créer une zone humaitaire sûre au Rwanda ?
 
 R - Depuis quelques jours, la situation se dégrade sur le terrain, les
 combats s'intensifient et cela risque de provoquer un nouvel exode de
 population, avec les risques de massacres qui en découleraient.
 
 C'est la raison pour laquelle le gouvernement a demandé à notre
 représentant permanent aux Nations unies de saisir le Conseil de
 sécurité d'une nouvelle initiative française. Si nous ne voulons pas
 voir les combats nous amener petit à petit à nous retirer vers la
 frontière entre le Rwanda et le Zaïre, il faut - et c'est la
 proposition que nous avons faite - créer une zone humanitaire sûre
 dans la partie sud-ouest du pays, plus précisément dans les districts
 de Cyangugu, de Gikongoro et de Kibuye, de façon, dans cette zone, à
 faire en sorte que les populations soient mises à l'abri de toute
 menace, d'où qu'elle vienne. Et les forces franco- sénégalaises auront
 donc cette mission.
 
 Q - Est-ce à dire que le dispositif humanitaire français, à l'heure
 actuelle, n'est pas sûr ?
 
 R - Bien sûr qu'il l'est ! C'est parce que nous y sommes, précisément,
 qu'un certain nombre d'initiatives ont permis de sauver des
 populations. En ce moment même, nous sommes en train d'évacuer 600
 orphelins qui étaient menacés à Butare. Nous allons les mettre en
 sécurité au Burundi. C'est pour continuer à assumer cette mission,
 devant la progression des combats, que nous avons pris cette nouvelle
 initiative.
 
 Dans le même temps, la partie diplomatique qui se joue est extrêmement
 importante et d'une grande urgence. Nous avons réitéré nos appels au
 cessez-le-feu, le Président de la République sera demain en Afrique du
 Sud et évoquera de nouveau cette question avec Nelson Mandela et de
 notre côté nous gardons le contact, en permanence, d'une part avec le
 gouvernement intérimaire et, d'autre part, avec le Front patriotique
 rwandais. Notre émissaire rencontrera aujourd'hui même M. Bihozagara
 pour le tenir informé des intentions françaises.
 
 Contacts avec les belligérants - relais avec une MINUAR 
 renforcée
 
 Q - Sur ce point, quelles sont vos relations avec le FPR et qu'en
 est-il des incidents qui ont eu lieu hier à Butare ?
 
 R - Les relations sont constantes. Comme nous l'avons dit, il ne
 s'agit pas pour nous de prendre parti d'un côté ou de l'autre, et dans
 la zone humanitaire sûre que je viens d'évoquer, nous protégerons les
 populations face à toutes les agressions, d'où qu'elles viennent, de
 quelque côté qu'elles viennent.
 
 De cela, nous avons informé les différentes parties, et je crois qu'on
 peut dire que grâce à ce travail de contact, qui est permanent et qui
 va continuer, les préventions initiales contre l'opération ont
 beaucoup diminué. Tout le monde a constaté ce que faisaient les
 soldats français et les soldats sénégalais : sauver les populations,
 sauver les religieux, sauver les orphelins, sauver les réfugiés dans
 les camps. Qui peut s'opposer à un tel travail ? C'est la raison pour
 laquelle, petit à petit, les soutiens se manifestent.
 
 Mais il ne faut pas perdre de vue l'objectif. L'objectif, ce n'est pas
 de pérenniser cette opération, ce n'est pas le statu quo. L'objectif,
 c'est le cessez-le-feu, c'est la reprise du processus d'Arusha et
 c'est le déploiement de la force des Nations unies - ce qu'on appelle
 la MINUAR - le plus vite possible sur le terrain. C'est la raison pour
 laquelle nous prenons des contacts tous azimuts. Je suis moi-même ce
 soir au Caire - vous savez que les Egyptiens ont annoncé eux-mêmes
 l'envoi d'un dispositif humanitaire. Nous étions le Premier ministre
 et moi, hier, en Pologne. Nous avons également soulevé cette
 question. On constate que les propositions faites aux Nations unies
 sont maintenant nombreuses et importantes. Il faut que les grandes
 puissances, qui ont les moyens et qui ne veulent pas envoyer d'hommes
 puissent dégager les crédits nécessaires pour équiper ces troupes,
 pour les former et les transporter. Il y a maintenant une très grande
 urgence.
 
 Nécessaire implication de la communauté internationale
 
 Q - Si la zone humanitaire sûre ne se fait pas, vous parler de retirer
 les troupes françaises ...
 
 R - Si la communauté internationale ne se mobilise pas, bien entendu,
 nous ne pourrons assumer - le Premier ministre a été clair sur ce
 point - indéfiniment la charge de cette opération. Nous sommes allés
 là pour amorcer les choses, pour réveiller la conscience
 internationale, et je crois qu'on peut dire que ce premier objectif a
 été partiellement atteint aujourd'hui. On se rend bien compte que de
 tous côtés, on se mobilise. Simplement, il faut concrétiser cette
 mobilisation. Nous avons indiqué comme limite de temps la fin du mois
 de juillet. Nous sommes maintenant au début du mois de juillet. Donc
 nous avons un mois devant nous pour obtenir cette mobilisation
 internationale, qui est la seule à même de stabiliser définitivement
 la situation.
 
 Eventuel recours à la force
 
 Q - A l'intérieur de cette zone humanitaire (...) est-ce que le
 recours à la force se précise ?
 
 R - Il n'a pas à se préciser. Il a été prévu dès le départ, puisque
 c'est sous le chapitre 7 de la Charte des Nations unies, comme l'on
 dit, que l'opération Turquoise s'est déployée. C'est-à- dire que
 l'utilisation de la force afin - et afin seulement - de protéger les
 populations est autorisée. Donc dans la zone de sécurité humanitaire a
 fortiori.
 
 Jugements portés sur l'action de la France
 
 Q - Mais si les massacres reprennent à proximité, il y a un risque que
 la France soit accusée de complicité ?
 
 R - Il faudrait pour cela une bonne dose de mauvaise foi ! Comment
 aujourd'hui accuser la France de complicité alors qu'elle est la
 seule, avec le Sénégal, à s'être portée sur le terrain pour protéger
 les populations ? Il y a quand même, je l'espère, quelques limites à
 la désinformation et à la mauvaise foi.
 
 Le seul pays qui aujourd'hui peut se prévaloir d'avoir fait le
 nécessaire pour sauver des vies, c'est la France. Alors, je souhaite
 que cet exemple soit imité le plus vite possible, parce que nous
 n'avons aucune prétention au monopole ou aux privilèges dans cette
 affaire. Que ceux qui s'inquiètent de ces éventuels développements
 viennent donc nous aider sur le terrain. C'est l'appel que je lance
 une fois encore à tout le monde.
 
 Q - On a l'impression que vous arrivez déjà un peu à un point de limite...
 
 R - Je vous l'ai dit. Nous avons clairement indiqué nos
 objectifs. C'est une opération humanitaire pour un délai limité. Nous
 n'avons pas changé d'objectif, nous avons toujours dit que l'opération
 Turquoise se déroulerait sur la moitié du mois de juin et le mois de
 juillet. Nous n'avons pas changé d'avis et nous n'avons pas
 l'intention de changer d'avis.
 
 Nations-unies - OUA - renforcement de la MINUAR
 
 C'est maintenant à l'ensemble de la communauté internationale,
 permettez-moi de le répéter, aux pays africains, à l'OUA, aux grandes
 puissances, qui ont les moyens de le faire, et aux Nations unies de
 prendre le relais. Nous sommes allés là-bas pour amorcer, je le
 répète, une intervention internationale de grande ampleur. Il y a eu
 une prise de conscience, incontestablement. C'est au moins la vertu de
 l'opération française. Elle en a une autre : c'est que d'ores et déjà
 - je ne vais pas vous en faire la liste, vous la connaissez - des
 centaines, pour ne pas dire des milliers de vies, ont été sauvées
 grâce à l'intervention de la France. Je crois que c'est à l'honneur de
 notre pays.
 
 Q - Si vous n'avez pas de réponse, vous vous retirerez avant fin juillet ?
 
 R - Si nous sommes incapables de faire en sorte que notre exemple soit
 suivi, nous l'avons toujours dit : la France ne peut pas, à elle toute
 seule, indéfiniment, assumer toutes les responsabilités. Je crois
 qu'il n'y a là aucune espèce de contradiction avec nos objectifs
 initiaux. On ne pourra pas nous reprocher de n'avoir pas fait ce que
 nous avions annoncé. Nous ferons ce que nous avions annoncé. Nous
 ferons ce que nous avons dit. Nous sommes en train de le faire et nous
 poursuivrons dans cette voie.
 
 Q - Quels sont les pays qui soutiennent ?
 
 R - Vous en connaissez la liste : il y a déjà des troupes sénégalaises
 sur le terrain, des éléments belges sont en cours d'acheminement,
 l'Egypte est disponible, et la liste des pays qui sont prêts à
 contribuer à la MINUAR est extrêmement longue. Il y a plusieurs
 milliers de soldats qui sont prêts à y aller. Qu'est-ce qui manque ?
 Je le répète : il manque des équipements, il manque de l'entraînement,
 et il manque de moyens de transport. Que les pays qui peuvent faire
 cela le fassent !