Citation
France - Rwanda
 
 Q - Monsieur le Ministre, notre première question
 concerne le Rwanda. Le 6 avril dernier, l'avion qui transportait les
 présidents du Rwanda et du Burundi a été abattu par des inconnus,
 c'est cet événement qui a déclenché la guerre civile. Le capitaine
 Barril, l'ancien commandant du GIGN annonce aujourd'hui qu'il détient
 la boite noire de l'appareil et il désigne le Front patriotique
 rwandais comme étant responsable de l'attentat, ce qui est la thèse de
 la famille du Président rwandais.
 
 Savez vous, Monsieur le Ministre, où se trouve la boîte noire en
 question et quel que soit le caractère partiel, sinon partial de ces
 informations, ne pensez-vous pas, compte tenu de la suite des
 événements, qu'il faudra bien un jour faire la lumière sur cet
 attentat ?
 
 R - Non, je ne sais pas où se trouve la boîte noire. J'ai lu comme
 vous le journal Le Monde ce soir et j'ai donc découvert cette
 information.
 
 Vous rappeliez que l'attentat qui a coûté la vie au Président
 Habyarimana a eu lieu le 6 avril. Le 7 avril, c'est-à-dire le
 lendemain, j'ai donné instruction au représentant permanent de la
 France auprès des Nations unies, de demander qu'une enquête
 internationale soit lancée sur les circonstances de la mort du
 Président Habyarimana.
 
 Et c'est donc à l'initiative de la France, pour que toute la lumière
 soit faite , sur un événement qui a des conséquences considérables, on
 le voit depuis, c'est donc à notre initiative que le Secrétaire
 général des Nations unies a été chargé par le Conseil de sécurité
 d'une enquête sur l'attentat.
 
 A aucun moment le gouvernement français n'a été informé d'une
 initiative privée prise pour enquêter sur les circonstances de ce
 drame, ni évidemment des résultats d'une telle enquête. Si
 l'information qui a été donnée aujourd'hui s'avérait exacte - je n'ai
 naturellement aucun moyen de le vérifier au moment où je vous parle -
 je demande bien entendu que cette fameuse boîte noire et tout autre
 élément qui permettrait de faire la lumière sur les circonstances de
 l'attentat soient immédiatement et impérativement communiqués au
 Secrétaire général des Nations unies qui a reçu mission d'enquêter
 officiellement au nom de la communauté internationale sur cet
 attentat.
 
 Q - Le Monde fait allusion à des contacts entre le capitaine Barril et
 le gouvernement au niveau du ministère de la Coopération ?
 
 R - Aucun contact n'a été pris entre les services dont j'ai la
 responsabilité et qui que ce soit chargé à titre privé de mener
 l'enquête. Je pense qu'aucun contact gouvernemental n'a été pris non
 plus.
 
 Q - Mais Monsieur le Ministre, est-ce que vous pouvez nous faire
 profiter des informations dont vous pouvez disposer au sujet de
 l'implication de la France dans les affaires du Rwanda avant la date
 du 6 avril, date de l'attentat, parce qu'à travers l'enquête qui a été
 faite par le Monde et les déclarations du capitaine Barril, on voit
 resurgir toutes sortes de personnages à commencer par le capitaine
 Barril lui-même ; il est question d'une intervention qui aurait été
 menée au plus haut niveau de l'Etat parmi les conseillers du Président
 de la République. Alors que peut-on dire, que pouvez-vous dire
 aujourd'hui de ce qu'était l'implication de la France dans les
 affaires rwandaises ?
 
 R - C'est très simple, je peux dire ce que je sais, ni plus ni
 moins. Je suis chargé du ministère des Affaires étrangères depuis
 maintenant un peu plus d'un an et je peux vous dire ce qu'a été la
 politique étrangère de la France conduite sous ma responsabilité, ni
 plus ni moins.
 
 Cette politique a consisté depuis le mois d'avril 1993 à recréer au
 Rwanda les conditions d'un dialogue politique et d'une réconciliation
 nationale, c'est tout, rien d'autre.
 
 Et cette politique a été couronnée de succès puisqu'au mois d'août
 1993 ont été signés, en grande partie à l'initiative de la France, les
 accords que tout le monde connaît aujourd'hui, qu'on appelle les
 accords d'Arusha qui partent d'une constatation de bon sens.
 
 Comment se présente la population du Rwanda comme celle du Burundi ?
 
 81 à 85 % de cette population est constituée par des Hutus et puis 15
 à 20 % par des Tutsis. Donc on ne pourra jamais rétablir la paix au
 Rwanda, on ne pourra jamais obtenir une stabilité durable au Burundi,
 tant que ces deux ethnies qui composent la population de ces deux
 Etats n'accepteront pas de vivre ensemble : c'est la seule chose qui
 m'a animé et qui animait la diplomatie française.
 
 Et je le répète, au moment d'Arusha, en août 93, ça a marché. Petit à
 petit le dispositif s'est mis en place. Nous avions à l'époque un
 certain nombre d'hommes sur le terrain, une compagnie qui est restée
 en attendant que la force des Nations unies prévue dans les accords
 d'Arusha vienne sur le terrain, ce qui s'est produit au mois de
 novembre. Nous avons à ce moment là retiré nos troupes, nous n'avions
 plus de soldats au moment de l'attentat qui a coûté la vie au
 Président Habyarimana et le gouvernement...
 
 Q - Des armes françaises quand même... ?
 
 R - Il n'y avait absolument pas de contingents français sur le terrain
 et dans la MINUAR en particulier, la force des Nations unies chargée
 de faire respecter les accords d'Arusha. Il n'y avait pas de casques
 bleus français ; j'y reviendrai peut-être tout à l'heure quand on
 parlera de la séquence des événements.
 
 Les accords d'Arusha se sont mis en place, disais-je, c'est-à-dire que
 le gouvernement de transition s'est constitué avec des ministres
 hutus, des ministres tutsis et les choses étaient en train de réussir.
 
 Sur ces entrefaites est survenu l'attentat dont vous avez parlé et
 quand j'entends dire, ou quand je lis ici ou là que la France, d'une
 manière ou d'une autre, je dis la France, je ne parle pas de tel ou
 tel individu, je parle de la France, aurait pu avoir une
 responsabilité dans cet attentat, je dois dire que cela défie la
 logique et le bon sens.
 
 Toute notre politique avait été fondée sur un accord de réconciliation
 nationale dont le garant était le Président Habyarimana.
 
 Qu'on m'explique dans quel système de pensée nous aurions pu
 contribuer à cette élimination, ceci n'a naturellement aucune espèce
 de signification.
 
 Q - L'intervention française est justifiée par un génocide. Comment
 expliquez-vous les prudences plus que verbales de la France dans cette
 affaire qui reviennent à placer sur le même plan la population... ce
 qui reste de la population qui a été victime d'un génocide, et ses
 bourreaux ?
 
 R - Je sais depuis longtemps que la communication est chose difficile
 mais je suis néanmoins surpris, chaque fois que je découvre combien
 les messages officiels que nous exprimons ont du mal à passer.
 
 Il y a maintenant plusieurs semaines qu'à l'Assemblée nationale -
 c'est un lieu public, c'est retransmis par la télévision le mercredi
 après-midi - en réponse à une question d'actualité d'un député, j'ai
 dit très clairement que les extrémistes hutus, les milices dont on a
 appris l'existence au lendemain de cet assassinat, avaient perpétré un
 génocide et je me suis même appuyé sur la définition que le
 dictionnaire donne du mot génocide : c'est-à-dire l'extermination
 d'une population en raison de ses caractères ethniques.
 
 Et je n'ai donc en aucune manière mis sur le même plan le génocide
 perpétré par les milices des forces armées rwandaises, et l'offensive
 militaire qui a été menée par le Front patriotique rwandais.
 
 J'ai simplement dit et c'est la vérité, que au fur et à mesure de leur
 avancée les responsables du FPR s'étaient livrés à un certain nombre
 d'actes qu'on ne peut pas non plus approuver, qui ne constituent pas
 un génocide. Permettez-moi malgré tout, de rappeler qu'un certain
 nombre d'évêques rwandais ont été assassinés à Kigali par des troupes
 tutsies.
 
 Burundi
 
 Je rappellerai aussi pour bien montrer que ces choses-là sont
 compliquées, qu'au Burundi voisin, qui a la même composition ethnique
 et où les problèmes se posent d'une certaine manière dans les mêmes
 termes, il y a eu et avec là aussi l'appui de la France des élections
 l'année dernière, et que ces élections comme c'est normal dans une
 démocratie qui naît, a donné un gouvernement représentant la majorité
 de cette population, c'est-à-dire un gouvernement hutu.
 
 Eh bien le Président qui était sorti de cette consultation électorale,
 on l'a un peu oublié, a été assassiné il y a quelques mois par des
 Tutsis.
 
 Vous voyez que je dénonce sans la moindre hésitation le génocide
 perpétré mais je rappelle quand même que tout ceci est compliqué et
 qu'on a un peu trop caricaturé à la fois la vérité, la réalité et en
 même temps la politique de la France.
 
 Rwanda - intervention humanitaire française
 
 Q - La force que vous avez envoyée avec un mandat précis de l'ONU est là pour 
 combien temps, quels sont les délais ?
 
 R - Le Premier Ministre a été tout à fait clair, elle est là jusqu'à
 la fin du mois de juillet.
 
 Mais je voudrais sur ce point là aussi faire justice d'un reproche qui
 nous est parfois adressé. On nous a dit : mais pourquoi avez-vous
 attendu si longtemps, l'assassinat du Président Habyarimana remonte au
 mois d'avril et on sait que le génocide s'est déclenché dans les jours
 et qui ont suivi et on nous dit : vous avez retiré vos soldats et
 maintenant vous les renvoyez.
 
 Nous n'avons pas retiré nos soldats, nous n'en avions pas : il y avait
 à l'époque une force des Nations unies composée de Belges, de
 Ghanéens, de Bangladeshis, etc., mais il n'y avait pas de contingents
 français dans la MINUAR première manière.
 
 Ce que nous avons fait et c'est le devoir élémentaire de toute
 puissance, nous avons sauvé nos ressortissants et à partir de là nous
 avons lancé une politique qui consistait en quoi ? Qui consistait
 d'une part à déployer une aide humanitaire importante : nous avons été
 les premiers et ceux qui ont fait le plus, et nous continuons. Nous
 avons ensuite tout fait pour obtenir un cessez-le-feu en impliquant
 les pays de la région et notamment l'Organisation de l'Unité africaine
 et enfin, nous avons également tout fait pour qu'on renoue avec le
 processus d'Arusha et qu'on provoque le retour à un dialogue
 politique.
 
 Voilà quelle a été notre action, et quand nous nous sommes rendus
 compte, au bout d'un certain nombre de semaines que cela ne marchait
 pas, c'est-à-dire que le cessez-le-feu conclu à Tunis n'était pas
 respecté, que deuxièmement la Force des Nations unies numéro deux,
 plus importante, 5.500 hommes - décidée par le Conseil de sécurité non
 sans mal et là aussi parce que la France avait beaucoup poussé -
 n'arrivait pas et que donc on continuait à massacrer par centaines,
 des enfants, des vieillards, des hommes et des femmes, alors c'est
 vrai, j'ai proposé au Premier ministre, de prendre une initiative et
 d'intervenir. Voilà comment les choses se sont passées au cours de ces
 semaines.
 
 Q - C'est elle qui arrive fin juillet, pardon... la force en question
 ? Quelle assurance avez-vous que le relais soit pris ?
 
 R - Aujourd'hui, je ne peux pas vous dire que j'ai l'assurance absolue
 que le relais soit pris. Je pense néanmoins que l'intervention
 française a été dès le début parfaitement définie dans ses objectifs
 humanitaires exclusivement : aucune forme d'interposition entre les
 combattants au profit des uns contre les autres ; deuxièmement,
 caractère multinational avec autorisation des Nations-unies ;
 troisièmement, délai limité, quatre à cinq semaines. Donc cette
 opération se déroule dans ces conditions.
 
 Cela ne nous empêche pas, bien au contraire, de tout faire en ce
 moment à New York pour que ce qui est décidé sur le papier, les 5.500
 hommes de la MINUAR numéro deux arrivent le plus vite possible et je
 suis en permanence en relation avec le Secrétaire général des Nations
 unies, M. Boutros-Ghali, auquel d'ailleurs je tiens à rendre un
 hommage appuyé : voilà un homme courageux parce que, lorsque la France
 elle-même a pris ses responsabilités, il nous a totalement appuyé
 alors que les premières réactions, c'est vrai, étaient parfois
 mitigées.
 
 Donc je suis en relation permanente avec lui pour faire en sorte que
 l'initiative française serve de déclencheur au déploiement de la
 MINUAR et on voit que c'est en train de marcher. J'entends les
 Canadiens, j'entends les Italiens, j'entends d'autres pays encore
 dire, nous sommes prêts à mettre des contingents à 1a disposition de
 la MINUAR pour qu'elle vienne sur le terrain.
 
 Eh bien, si nous arrivons à déclencher ce mouvement, si au mois d'août
 les 5.500 hommes tant annoncés et dont on sait qu'ils peuvent être
 relativement rapidement réunis, arrivent, nous aurons, je crois,
 atteint l'objectif que nous nous étions fixés.
 
 Q - Et s'ils n'arrivent pas, est-ce que nous pourrons repartir ?
 Est-ce que ce serait bien loyal vis-à-vis des populations que nous
 repartions et que nous les laissions seules ?
 
 R - La France a essayé de donner l'exemple, je crois qu'elle l'a fait,
 elle ne peut pas indéfiniment tout faire toute seule et je crois que
 le Premier ministre a été très clair sur ce plan.
 
 Fonctionnement de l'ONU - contingents pré-équipés pour les 
 opérations de maintien de la paix
 
 Q - Est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a des leçons à tirer de
 l'affaire du Rwanda sur le fonctionnement des Nations unies et leur
 éventuelle réforme car à ma connaissance cela fait près de trois ans
 que M. Boutros-Ghali avait demandé la mise sur pied d'un contingent
 permanent, bien entraîné, disposant d'une logistique, etc.. pour
 intervenir très rapidement dans ce genre de situation. Est-ce que la
 France va faire des propositions en ce sens, contacter d'autres pays,
 encourager une démarche européenne ?
 
 R - Vous avez tout à fait raison, ce qui se passe au Rwanda mais ce
 qui se passe aussi d'une certaine manière en Bosnie, ce qui s'est
 passé en Somalie, ce qui se passe dans beaucoup d'autres pays dont on
 parle moins et qui sont pourtant déchirés par des guerres, montre que
 le système des Nations unies ne fonctionne pas bien.
 
 Alors on peut en tirer deux conclusions différentes ; la première,
 c'est que le système n'est pas réformable, que c'est un "machin" et
 que donc il faut prendre ses distances avec lui. D'ailleurs, certains
 se livrent à ce sport qui consiste à critiquer en permanence les
 Nations unies; ce n'est pas ma thèse.
 
 Je crois au contraire que la bonne conséquence à tirer de ces
 événements c'est qu'il faut réformer les Nations unies pour leur
 donner les moyens d'assumer les missions qu'on leur confie. C'est
 facile de tirer sur le pianiste, de dire le Secrétaire général des
 Nations unies ne fait pas ci, ne fait pas ça. Les Nations unies, ce
 n'est pas autre chose que les nations, et le Secrétaire général ne
 fait jamais qu'avec ce qu'on lui donne. Donc il est absolument
 indispensable, je l'ai dit à l'Assemblée générale des Nations unies au
 mois de septembre dernier, dans le discours que je faisais au nom de
 la France, qu'on lui donne les moyens.
 
 Une des propositions que nous avons faite est celle de mettre en place
 des forces en attente ; chacun des grands pays membres des Nations
 unies s'engagerait à tenir en permanence à la disposition du
 Secrétaire général des Nations unies des contingents pré- équipés qui
 pourraient dans un délai relativement rapide de quelques jours ou de
 quelques semaines, intervenir sur le terrain alors qu'à l'heure
 actuelle il faut quatre à cinq mois, ce qui est beaucoup trop. Je
 pense qu'effectivement, c'est ce que l'on devrait faire. Une fois
 encore, qui est d'accord pour aller dans cette direction : la France,
 un certain nombre de ses partenaires européens. Malheureusement,
 d'autres très grands pays qui devraient assumer pleinement leur part
 de ce fardeau, traînent un peu les pieds.
 
 Rôle des organisations régionales - OUA - UEO
 
 Q - Mais dans le même esprit, est-ce qu'on pourrait susciter à
 l'avenir une force d'intervention africaine, par exemple dans la
 révision éventuelle de la politique de coopération de la France, il
 faudra bien qu'elle y vienne, est-ce que c'est un sujet...
 
 R - C'est un sujet de réflexion, je ne suis pas sûr que l'Organisation
 de l'Unité africaine ait encore suffisamment les moyens pour viser cet
 objectif ; elle vient de décider la mise au point d'un système de
 prévention et de traitement des conflits ; ce serait déjà au moins un
 élément positif pour provoquer les actions politiques qui permettent
 d'instaurer des cessez-le- feu ou d'éviter les massacres.
 
 Donc l'OUA a incontestablement un rôle positif à jouer. J'ajoute que,
 puisqu'on parle de forces d'intervention, n'oublions pas l'Europe ; on
 a parlé des Nations unies, il y a l'Europe aussi, il y a un rôle à
 jouer dans ce domaine, l'Union de l'Europe occidentale n'a pas encore
 les moyens de ses ambitions.
 
 Vous avez vu que notre premier réflexe lorsque nous avons lancé cette
 initiative a été de réunir le conseil de l'Union de l'Europe
 occidentale qui a approuvé notre projet mais qui n'a pas, lui non plus
 encore aujourd'hui, les moyens d'intervenir et l'un des grands enjeux
 des prochaines années, j'en avais parlé il y a quelques semaines,
 avant le scrutin européen, c'est de constituer une force
 d'intervention européenne qui pourrait dans ce genre de situation
 intervenir : par exemple, procéder à des opérations d'évacuation des
 représentants ou des ressortissants européens dans des pays en crise,
 ou même aller jouer ce rôle d'interposition pour éviter les massacres.
 
 Ex-Yougoslavie - Bosnie
 
 Q - Précisément, à propos de l'Europe il y a un autre grand dossier
 dans lequel vous êtes personnellement très impliqué, c'est évidemment
 la Bosnie. Alors, je voudrais vous demander où en est le plan de
 Genève alors que les combats reprennent avec une certaine intensité et
 puis en particulier on avait évoqué ici ou là l'idée qu'une carte de
 la Bosnie pourrait être présentée et entérinée au G 7 qui se réunit la
 semaine prochaine à Naples, alors est-ce que ce sera le cas ?
 
 R - Je me suis beaucoup exprimé sur ce drame de Bosnie, nous n'avons
 pas le temps ici d'en refaire toute l'histoire. Je voudrais simplement
 insister sur le fait que depuis quelques semaines, depuis quelques
 mois même, des choses ont changé en Bosnie et l'ultimatum qui a été
 lancé par l'Alliance atlantique au début du mois de février pour
 contraindre les Serbes à cesser leurs bombardements sur Sarajevo,
 ultimatum lancé sur une idée française, sur une proposition française,
 a marqué un tournant dans la guerre.
 
 Des missions vont actuellement à Sarajevo pour s'intéresser à la
 reconstruction de cette ville, j'en parle au concret, on parle de la
 restauration des grands réseaux de services publics, etc.. et on y
 voit physiquement une ville changer, il faudrait quand même le
 rappeler.
 
 De même, le cessez-le-feu qui a été conclu le 8 juin dernier avec
 application au 10 juin est à peu près, je ne dis pas à 100 % ,
 peut-être devrais-je dire à 90 % ou à 95 %, respecté ; donc il y a eu
 un changement dans la situation sur le terrain.
 
 Est-ce que ceci va aboutir â la paix ou déboucher sur une nouvelle
 guerre, nous sommes une fois encore au carrefour.
 
 Demain se réunit à Paris ce qu'on appelle le groupe de contact dont
 l'existence en soi est aussi et encore, ça pourra paraître immodeste,
 un succès de la France parce que c'est nous qui n'avons cessé de dire
 pendant des mois et des mois, tant qu'on n'aura pas les Américains,
 les Russes et les Européens ensemble, il n'y a aucune chance de
 convaincre les parties en présence d'accepter un accord de paix.
 
 Vous savez que cela n'a pas été facile à faire admettre, eh bien cela
 fonctionne. Ce groupe de contact, en est à sa énième réunion, il se
 réunira demain pour regarder quoi ? Pour regarder d'abord si on peut
 définitivement s'arrêter à un projet de cartes, conforme aux grands
 principes proposés par l'Union européenne au mois de novembre dernier,
 qui pourrait être proposé aux parties.
 
 En ce qui concerne un projet de règlement constitutionnel, quelles
 sont les relations entre la fédération croato-musulmane d'un côté,
 l'entité serbe de l'autre ?
 
 Si on arrive à se mettre d'accord demain à Paris, entre Américains,
 Russes et Européens, ce que je souhaite vraiment ardemment, nous
 allons proposer ce schéma de règlement aux deux parties en présence au
 début du mois de juillet et je pense, pour répondre précisément à
 votre question, que lorsque le G 7, c'est-à-dire les grands pays, la
 Russie, les Etats-Unis, la France, l'Italie, l'Allemagne, le Canada,
 le Japon, etc. Nous allons donc là avoir les principales puissances et
 je pense que ce sera l'occasion pour les grands pays de se prononcer
 sur ce plan et d'appeler les deux parties à l'accepter.
 
 Si tel est le cas nous continuerons nos travaux dans le courant du
 mois de juillet, il y aura beaucoup à faire car qu'est-ce qui peut se
 passer ? Ou bien, les deux parties acceptent et alors il faudra d'une
 part garantir l'accord sur le terrain et ensuite engager la
 reconstruction. Ou bien les deux refusent et nous sommes ramenés au
 problème précédent. Ou bien l'une des deux accepte et l'autre refuse
 et nous sommes en train de réfléchir au système d'incitation et de
 sanctions que nous pourrions mettre en place â ce moment là.
 
 Tout ceci est un peu technique et un petit peu compliqué. Je voudrais
 simplement appeler l'attention sur le fait que rien n'est joué ; nous
 avons tous le regard fixé sur le Rwanda à juste titre parce que c'est
 vrai qu'on y a compté les morts par dizaines de milliers voire par
 centaines de milliers, mais demain, je le dis ici avec gravité, la
 guerre peut reprendre en Bosnie et on sait très bien que chacun des
 deux camps est en train de se préparer à reprendre les hostilités et à
 s'équiper pour cela.
 
 Conseil européen de Corfou - présidence de la Commission de 
 l'Union européenne
 
 Q - Monsieur le Ministre, qui va succéder à Jacques Delors à la
 présidence de la Commission européenne. Est-ce que la France n'est pas
 obligée de tenir compte de l'intransigeance britannique et d'accepter
 d'ici quinze jours un candidat qui aurait exactement le même profil
 que Jean Luc Dehaene et qui ne serait pas le Premier ministre belge
 Jean Luc Dehaene ?
 
 R - Juste un petit mot d'abord. Ce n'est pas une façon de ne pas
 répondre à votre question mais tout à l'heure dans la présentation on
 a parlé de l'échec de Corfou ; il y a eu un échec à Corfou mais il y a
 eu des réussites, des succès, des décisions prises. Je pense par
 exemple à la décision sur les onze grands projets d'infrastructures
 européennes, TGV Est, TGV Lyon Turin, etc.. qui ont été décidés. Je
 pense à la décision prise à 12 de tout faire, avec de l'argent
 concret, pour fermer Tchernobyl. C'est du concret, c'est du précis et
 c'est important.
 
 Je pense aussi à l'initiative franco-allemande contre le racisme et la
 xénophobie , bref, il y a eu toute une série de dossiers qui ont
 abouti à Corfou.
 
 Il y a eu, et cela a occulté malheureusement tout le reste,
 l'impossibilité de se mettre d'accord sur la désignation du successeur
 de Monsieur Delors.
 
 Je dois dire que l'attitude britannique est regrettable dans ce
 dossier puisque samedi matin à 11 heures, onze pays sur douze avaient
 donné leur assentiment à la candidature de Monsieur Dehaene qui est
 Premier ministre belge et qui me semble présenter toutes les qualités
 requises pour exercer cette fonction très importante.
 
 Alors on en est là ; une nouvelle date, un nouveau rendez-vous est
 prévu le 15 juillet. Je ne vois pas en l'état actuel des choses la
 raison pour laquelle onze pays s'inclineraient devant un seul et donc
 la France continue à soutenir Monsieur Dehaene.
 
 Q - Peut-on imaginer dans cette perspective, c'est-à-dire la France et
 l'Allemagne restant avec comme candidat Monsieur Dehaene, John Major
 n'en voulant pas.
 
 R - La France et l'Allemagne, et en tout onze pays. 
 
 Q - Onze pays mais enfin.. convaincus à des degrés moindres pour
 certains des onze..
 
 R - Monsieur Dehaene a obtenu, je ne sais pas si je dois trahir ce
 secret, dès le premier tour de consultation, huit voix sur douze, donc
 c'est qu'il y avait au moins dès le départ huit pays convaincus.
 
 Q - Mais, bon, peut-on imaginer, si John Major et les onze restent sur
 leurs positions, une sorte de politique de la présidence vide
 puisqu'après tout Jacques Delors est président jusqu'à la fin du mois
 de décembre et puis on attend tranquillement les élections
 britanniques en souhaitant de mauvais résultats pour Monsieur Major ?
 
 R - Je me garderai bien de formuler ce genre de souhait pour qui que
 ce soit, dans les pays qui sont partenaires de la France, c'est aux
 électeurs de chacun de ces pays de décider.
 
 Mais la réponse à votre question est tout a fait claire, on ne peut
 pas attendre. On ne peut pas tout simplement parce que le traité de
 l'Union européenne est formel : il faut saisir d'une proposition de
 nomination le Parlement européen qui va se réunir le 18 juillet et la
 nomination définitive doit intervenir en septembre.
 
 Et puis on ne peut pas non plus pour des raisons strictement, comment
 dire, matérielles ou politiques. Sans président de la Commission, il
 n'y a pas de renouvellement de la Commission, tout s'arrête au 31
 décembre 1994 et ce serait une crise sans précédent pour l'Europe que
 d'être incapable de désigner une Commission. Cela ne s'est jamais vu
 depuis 1958, et je dis pour ma part que c'est inimaginable et qu'il
 faut donc arriver en faisant oeuvre de conviction et d'explications à
 débloquer la situation d'ici le 15 juillet.
 
 J'ai rencontré d'ailleurs à l'instant même avant de venir ici mon
 collègue allemand, Monsieur Kinkel qui va exercer à partir du ler
 juillet la présidence et je peux vous dire qu'il va circuler entre
 toutes les capitales européennes au cours des prochains jours pour
 trouver un accord./.