Fiche du document numéro 30405

Num
30405
Date
2022
Amj
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Taille
7320559
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Titre
Comptes rendus d'audience du procès de première instance de Laurent Bucyibaruta (mai-juillet 2022)
Nom cité
Nom cité
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Type
Transcription d'audience d'un tribunal
Langue
FR
Citation
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Procès Laurent BUCYIBARUTA : une journée
mobilisée par la défense. 9 mai 2022
09/05/2022

Avant d’ouvrir la séance consacrée au procès de Laurent BUCYIBARUTA, monsieur le Président
LAVERGNE fixe les dates du procès au civil de Claude MUHAYIMANA, condamné en décembre dernier
à 14 ans de détention: ce sera pour le 10 octobre 2022.
Monsieur le président annonce que le procès sera bien filmé et archivé, comme les trois précédents.
Vu la durée des débats, un assesseur complémentaire est désigné aux côtés des deux qui participeront
au procès.

Arrivée de Laurent BUCYIBARUTA à l’audience.
Il est ensuite demandé à l’accusé de se présenter succinctement. Il est actuellement sous contrôle
judiciaire et comparaît libre.
Suit alors la séance consacrée au tirage au sort des jurés: 5 femmes et un homme constitueront le jury
auxquels seront adjoints 6 jurés supplémentaires qui pourraient être amenés à prendre la place d’un
juré défaillant. Tous prêtent alors serment.
Le reste de l’après-midi sera consacré aux conclusions de la défense visant à l’annulation du procès:
« Un procès injuste est bien pire que l’absence de procès » commencera maître BIJU-DUVAL qui juge ce
procès « inéquitable« . Et d’évoquer « des rumeurs, des manipulations politiques » rendant impossible la
« vérité nécessaire« . Car ce procès vient trop tard, l’institution judiciaire ayant été « défaillante« . Le

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« délai raisonnable » n’a pas été respecté et l’accusé n’est en rien responsable. El l’avocat d’énumérer
les différentes raisons du retard apporté à juger son client.
Toujours selon la défense, ce retard a des conséquences sur les droits de l’accusé. Malade, âgé, Laurent
BUCYIBARUTA ne sera pas en état de se défendre. De plus, son épouse est malade et ne pourra pas
venir témoigner.
Pire, des témoins décisifs de la défense sont décédés, « des témoins irremplaçables« . Et de citer
Madeleine RAFFIN, responsable de la Caritas à Gikongoro en 1994, monseigneur MISAGO, évêque de
Gikongoro, mort en 2012 après avoir été « acquitté par des juges courageux« : il ne pourra pas venir
témoigner. Le bourgmestre HIGIRO, lui aussi décédé en 2020, aurait pu témoigner en faveur de
l’accusé. Pour lui aussi, « le procès vient trop tard« .
Maître BIJU-DUVAL demande donc l’annulation du procès.
Maître Simon FOREMAN, avocat du CPCR, évoque « une curieuse introduction de ce procès« . « Une
instruction de 22 ans, ce serait de la faute de l’institution judiciaire« ? Or, « le CPCR n’a pas ménagé ses
peines pendant 22 ans« . Des interventions auprès des différents Gardes des Sceaux ont été faites.
Pendant longtemps, « nous avons demandé la création d’un pôle spécialisé qui sera finalement créé en
2012. » Et d’ajouter: « On regrette tous cette lenteur de la justice. Mais faire annuler le procès, c’est
impossible. »
L’avocat du CPCR continue sa démonstration: « Laurent BUCYIBARUTA a choisi de fuir son pays pour se
réfugier en France. S’il était resté au Rwanda, il aurait été jugé depuis longtemps. De même s’il avait
accepté d’être remis au TPIR« . Il avait alors préféré rester en France. Le TPIR finira par renoncer à sa
remise en 2007 et demandera à la France de le juger. Contrairement au CPCR, la défense n’a jamais
demandé plus de moyens à la justice française: « Le procès ne doit pas être annulé. »
Maître FOREMAN de conclure: » Le droit d’un délai raisonnable est aussi un droit des victimes. En
annulant le procès, ce serait une double peine pour les victimes. L’absence de délai raisonnable se règle
par des indemnités, non par une annulation du procès. Ce recours arrive trop tard. Il aurait dû être fait
avant la clôture de l’instruction. La demande de nullité est irrecevable, sur le fond et sur la forme. »
L’avocat de la LICRA précise qu’à ce stade, nous n’avons pas le droit d’évoquer le fond de l’affaire, que
les faits reprochés à l’accusé sont imprescriptibles. « Pendant 20 ans l’accusé a eu l’occasion de se
défendre. Il l’aura encore pendant les deux mois du procès. Vous rejetterez les conclusions de la défense. »
Tour à tour, tous les avocats des parties civiles exprimeront leur accord avec maître Simon FOREMAN.
Le ministère public égrainera à son tour toutes les raisons pour lesquelles le procès doit être conduit à
son terme, rappelant les différentes étapes de la procédure. Selon les experts médicaux, Laurent
BUCYIBARUTA peut comparaître. » Tout a été mis en œuvre pour que les droits de Laurent
BUCYIBARUTA soient respectés« . Et l’avocate générale de rappeler que « la défense n’a jamais évoqué
des manquements au cours de la procédure. La défense sait que cette demande est irrecevable ». Et de
conclure à son tour: » Nous vous demandons de dire la demande de la défense mal fondée et donc
irrecevable. »

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Maître BIJU-DUVAL reprend la parole pour citer longuement des extraits du livre de Madeleine
RAFFIN, revenant ainsi sur le fond de l’affaire. Maître GOLDMAN, de la LICRA intervient pour l’arrêter.
Monsieur le président LAVERGNE consentira à son tour à rappeler à l’ordre l’avocat de la défense.
Monsieur Laurent BUCYIBARUTA aura la parole à son tour. Il partage les arguments avancés par ses
défenseurs.
La Cour se retire pour délibérer. A son retour, le président LAVERGNE, sans surprise, annonce que la
demande de la défense est rejetée. Le procès pourra donc se poursuivre.
Le reste de l’après-midi sera consacré à la déclaration des parties civiles. Chacun leur tour, les avocats
renouvelleront les constitutions de leurs parties civiles, la défense décidée à ne pas leur faire de
cadeau. Maître LEVY demande que soient respectées les règles de droit. Il est impensable d’accepter
des parties civiles de victimes tuées sur des sites pour lesquels son client n’est pas poursuivi. Ce que
personne d’ailleurs ne lui conteste.
Monsieur le président de la Cour d’assises tente de trouver un compromis. Il demande à la défense de
signaler pour le lendemain les parties civiles qu’elle souhaite contester. Maître LEVY fera tout son
possible pour accéder à sa demande. Il souhaite simplement qu’on fournisse des preuves pour que les
constitutions de parties civiles soient jugées recevables.
L’audience est alors suspendue. Les débats reprendront le lendemain à 9h30, la lecture de l’acte
d’accusation n’ayant pu être abordée.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

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Procès Laurent BUCYIBARUTA : rapport des
faits reprochés à l’accusé. 10 mai 2022
10/05/2022

• Audition de madame Agnès AUPETIT, enquêtrice de personnalité.
• Nouvelles pièces versées au débat.
• Nouvelles séries de questions à l’accusé.
• Audition de monsieur Jean-Luc PLOYE, expert médico-psychologique.
A l’ouverture de l’audience, il est porté à notre connaissance qu’un juré remplaçant a fait savoir qu’il ne
pouvait continuer à siéger. Le remplacement est effectué: le juré 2 devient juré 1.
La veille, il avait demandé à la défense d’étudier la recevabilité des parties civiles. Maître LEVY déclare
que la défense ne s’opposera pas à la constitution des parties civiles. Toutefois, trois d’entre elles
posent problème. La Cour sursoit à statuer pour ces trois parties civiles.
On assiste ensuite à l’appel des témoins. Monsieur l’huissier égraine le nom de tous les témoins qui
seront appelés à la barre, soit en présentiel, soit par visioconférence.
Le reste de la matinée et une bonne partie de l’après-midi sera consacrée à la lecture, par le président
et ses assesseurs, du rapport des faits reprochés à l’accusé. « Une lecture fastidieuse mais nécessaire »
reconnaît monsieur le président LAVERGNE.
Audition de madame Agnès AUPETIT, enquêtrice de personnalité.
La rencontre avec l’accusé date de 2005! Le témoin rappelle les différentes étapes de la « carrière » de
monsieur Laurent BUCYIBARUTA, « un homme réservé, peu habitué à parler de lui. » Réfugié au Zaïre en
1994, il y restera deux années avant de rejoindre la République Centrafricaine, puis la France en 1997.
A l’évocation de la mort de deux de ses enfants dans les camps du Congo, il n’exprimera « aucune
colère, ni tristesse ni chagrin. » Sa femme le rejoindra en 1998, suivie de deux de ses enfants réfugiés
en Zambie. L’accusé se verra refuser le statut de réfugié. Quant à sa carrière professionnelle, il l’aurait
« subie« .
Quelques questions seront posées par le ministère public, sans que cela permette d’en savoir
beaucoup plus sur l’accusé.
Nouvelles pièces versées au débat.
Avant la pause, monsieur le président de la cour d’assises énumèrera les nouvelles pièces versées au
dossier. Certaines à la demande du président, d’autres à la demande du ministère public, d’autres enfin
d’autres par la défense. Des centaines de pages que les avocats auront du mal à « avaler » en peu de
temps!
Nouvelles séries de questions à l’accusé.
A la reprise, monsieur le président va chercher à en savoir plus sur les premières années de l’accusé, sa
formation dans les écoles catholiques dont le Collège du Christ-Roi à Nyanza, ses différentes

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rencontres avec des personnalités qui pourraient avoir marqué monsieur BUCYIBARUTA: Alexis
KANYARENGWE, ce politicien qui aurait mangé à tous les râteliers (NDR. Cette expression est du
rédacteur de ces notes), Léonidas RUSATIRA, qui aurait parlé de l’accusé, Edouard KAREMERA,
Hormisdas NSENGIMANA, directeur du Christ-Roi, jugé à Arusha mais acquitté . Autant de
personnalités qui auraient pu favoriser les promotions permanentes dont l’accusé a pu bénéficier. En
réalité, l’accusé n’a jamais su dire nom (le pouvait-il d’ailleurs?). Quant à Aloys SIMBA, Laurent
BUCYIBARUTA l’a côtoyé à Gikongoro en 1994 mais il en parlera peu.
D’évoquer ensuite les différentes étapes de la carrière de l’accusé: un an au Nigéria, un emploi au Parc
de l’Akagera, une nomination comme bourgmestre, deux postes de sous-préfet à Gisenyi et Butare,
enfin deux postes de préfet, à Kibungo et à Gikongoro. Une carrière exemplaire.
Audition de monsieur Jean-Luc PLOYE, expert médico-psychologique.
C’est en 2000 qu’a eu lieu l’expertise, au sein de la prison de la Santé. Monsieur l’expert reconnaît que
l’accusé est » intelligent, , structuré, qu’il comprend vite et qu’il a un sens éthique développé. » In ne
décèle chez monsieur BUCYIBARUTA » aucun trouble de la personnalité ni aucune pathologie
particulière. » Ce qui étonne l’expert, c’est que l’accusé n’éprouve » aucune vibration émotionnelle à
l’évocation de la lourdeur des accusations. » C’est un constat, pas un jugement. L’accusé serait » un
homme tout à fait normal, toujours maître de lui, ancré dans la réalité. »
Quant aux accusations portées contre lui, « elles sont inventées de toutes pièces. » Comment pourrait-il
en être autrement: sa femme est Tutsi!
Revenant sur sa carrière professionnelle, monsieur PLOYE reconnaît qu’elle a suivi « une trajectoire
parfaite« . L’accusé va se victimiser en affirmant qu’il est « injustement incarcéré« : « Je suis innocent, ça
porte atteinte à ma dignité. »
Monsieur le Président LAVERGNE reprendra une série de questions assez personnelles auxquelles
l’accusé se soumettra de bonne grâce. En fait, l’accusé » est un personnage affable, courtois, pas
cassant, à la sensibilité judéo-chrétienne. » Il rejette toutefois que l’on parle de « clientélisme » à son
sujet. Il sait distinguer le bien du mal, quand il fait quelque chose, « il le fait en conscience. » Monsieur
le président éprouve même une certaine admiration pour un homme qui, pendant plus de 20 ans, s’est
soumis avec une grande régularité au contrôle judiciaire auquel il était soumis! Ce serait tellement
rare!
Ce dont maître BIJU-DUVAL, avocat de la défense, souligne à son tour en parlant d’un « respect
judiciaire magnifique« . Et d’ajouter, concernant son manque d’émotivité, un proverbe rwandais qui
s’applique bien à son client: « Le noble marche majestueusement, même quand il souffre. » Proverbe qui
vient en écho à celui que l’accusé avait cité: « Quand un homme pleure, ses larmes coulent à
l’intérieur. »
L’audition se terminera par l’évocation d’un « cousin » de l’accusé qui aurait exercé des fonctions
importantes dans l’armée, Laurent BUCYIBARUTA ayant affirmé qu’il avait été le seul de sa famille à
sortir du rang. L’accusé voulait parler de sa famille proche. On en restera là pour aujourd’hui, monsieur
le président se réservant le droit de revenir, à l’occasion, sur la personnalité de l’accusé.
Il est 18h30. Rendez-vous est donné au lendemain 9h30.

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Alain GAUTHIER, président du CCR

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Procès BUCYIBARUTA. Mercredi 11 mai 2022.
J3
11/05/2022

• Audition de monsieur Jacques SEMELIN,
chercheur et professeur spécialiste des génocides et des crimes de masse.
• Projection de « Confronting Evil » de Human Rights Watch et « Kigali 1994. »
• Audition de monsieur André GUICHAOUA.
• Audition de monsieur Jean FERRANDI, expert psychiatre.
Monsieur le Président LAVERGNE fait une annonce: maître MABANGA, avocat de monsieur Laurent
BUCYIBARUTA, a décidé de renoncer à assister son client. Ce dernier sera défendu par maîtres BIJUDUVAL et LEVY.
Un lexique a été distribué aux membres du jury.
Monsieur GUICHAOUA, entendu l’après-midi, a fait verser des documents au dossier.
Audition de monsieur Jacques SEMELIN, chercheur et professeur spécialiste des génocides et des
crimes de masse.
Monsieur SEMELIN, reconnaît humblement la « complexité de la tâche » de venir témoigner devant
une cour d’assises.
S’agit-il, lorsqu’on parle de génocide, de « phénomènes impensables« ? Bien sûr que non! « Il faut
chercher à comprendre, et comprendre ce n’est pas disculper le bourreau, c’est essayer de restituer l’état
d’esprit des accusés » poursuit-il en guise d’introduction. « On ne peut bien sûr pas tout comprendre.
Aujourd’hui encore, il m’arrive d’être sidéré par l’atrocité des crimes… Il faut tout faire pour comprendre
mais quelque chose résistera toujours à l’analyse. »
Monsieur SEMELIN aborde alors la notion de génocide en se reportant à la définition de Raphaël
LEMKIN, tout en précisant que le terme est parfois utilisé abusivement. Le génocide est un crime bien
particulier. Et de préciser qu’au Rwanda » il n’y a pas eu de double, de triple génocide » et que tout
grand massacre n’est pas un génocide.
C’est depuis sa visite à Auschwitz, en 1985, que le témoin a essayé de comprendre. Il veut présenter
plusieurs approches des destructions massives: il s’agit d’un phénomène de groupe, qui vise des
destructions totales ( maisons, bétail, femmes, enfants, vieillards). Il évoque trois méthodes:
1) Analyser les massacres « au rebours des idées reçues qui paralysent l’analyse« . Ceux qui dirigent les
massacres sont mus par le lucre, la soif du pouvoir. D’où la « rationalité de ces actes« .
2) Or, il y a quelque chose d’irrationnel. « Les gens seraient devenus fous »? Non, il faut combiner « la
rationalité délirante et l’irrationnel« . Les penseurs de ces massacres sont « terriblement ordinaires,
normaux. » Rappelons-nous de ce qui est dit sur Eichmann.
3) Analyser le massacre comme le résultat d’un processus mental. Ce processus est long à mettre en
place, avec parfois des « accélérations stupéfiantes. » « Les Hutu n’ont pas inventé les Tutsi, ils en ont

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une représentation fantasmatique: idée de complot, de suspicion. » Attention toutefois, ce fantasme de
suspicion n’est pas l’apanage des autres, il peut toucher chacun d’entre nous. Par contre, « ce fantasme
de suspicion s’est généralisé au Rwanda. »
Quelques éléments clés pour comprendre.
1) Les crimes se développent dans un climat socio-économique grave, dans un contexte d’incertitude
dans lequel ces types de discours peuvent se développer.
2) L’idéologie joue un rôle essentiel. Elle développe des représentations mentales portées par des
intellectuels, des médecins, des religieux… avec cette idée bien exprimée: « Débarrassons-nous de ces
gens-là. » Il y a un « Nous », les Hutu purs et un « Eux » les Tutsi impurs. Se crée une polarisation entre
un « Nous » salvateur et un « Eux » à éliminer. Il faut se débarrasser d' »Eux » qui sont venus après
« Nous », se débarrasser d' »Eux » trop nombreux, des serpents, des cancrelats, des poux.
Bien sûr, « on commence à tuer avec des mots, le langage préfigurant la possibilité d’un crime de
masse. »
3) Tout cela pour conquérir le pouvoir, profiter d’une situation de guerre qui favorise la préparation et
la perpétration des crimes de masse. « Lorsqu’un pays est en situation de guerre, on rentre dans un
autre univers« . L’homme confronté à la guerre peut être amené à devenir tueur.
« Les rapports à l’autre changent: l’autre est pour ou contre moi? Tu es Hutu ou Tutsi? Du fait de la
guerre se crée une radicalisation . Le massacre se déguise en situation de guerre. Des non-combattants
sont tués: il s’agit de généraliser la cible: les Tutsi. » S’ils ne sont pas avec nous ils sont contre nous. Il
faut les tuer avant qu’ils ne nous tuent.
La question du passage à l’acte.
Il est indispensable de comprendre la logique de la guerre qui tend aux violences extrêmes. Le
politique devrait être là pour éviter d’aller aux violences extrêmes. Or, « le politique fouette le cheval
fougueux ». La logique de la violence vient des décideurs.
Pourquoi une telle rapidité des meurtres? Parce que la mobilisation est faite par le bas, on oblige la
population à participer, on veut mêler un maximum de gens pour diluer la responsabilité. Les meurtres
vont jusqu’à se commettre jusqu’à l’intérieur des familles.
Fait nouveaux dans les crimes de masse. Les massacres seront attisés par la RTLM, la Radio Télévision
des Mille collines qui appelle aux meurtres [1]. Et monsieur SEMELIN de préciser: « Même les nazis ne
l’avaient pas fait. » D’où une amplification des massacres. Et dans ce contexte, il faut souligner le rôle
des bourgmestres, des cadres politiques.
Pour conclure, le témoin énonce deux politiques possibles dans la volonté de détruire:
1) détruire pour soumettre une population. C’est la logique de la guerre
2) détruire pour éradiquer, ne pas chercher à soumettre l’ennemi mais l’éradiquer comme une plante
vénéneuse. C’est la logique du génocide qui rejoint la définition de LEMKIN. Et c’est ce qui s’est passé
au Rwanda. Le 7 avril 1994, les Tutsi ne peuvent plus s’échapper du Rwanda. Ils seront éradiqués.

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Et monsieur SEMELIN de redire: « Il n’y a eu au Rwanda, en 1994, qu’un seul génocide, celui de la
minorité tutsi. »
Va suivre une série de questions qui vont permettre au témoin de préciser sa pensée. Le président
LAVERGNE reprend les idées force du témoin et les commente. Il ajoute la notion de « réfugiés » qui se
sont massés aux abords de la capitale, déplacés du Nord par l’attaque du FPR [2], des déplacés qui
seraient accessibles aux discours de haine. Monsieur le président ayant parlé de « génocide rwandais »,
le témoin se permet de le reprendre: « Il n’y a pas de génocide rwandais, comme il n’y a pas eu un
génocide allemand. Il y a eu le génocide des Tutsi. »
Le président LAVERGNE aborde ensuite la question relative au sentiment d’impunité qui régnait depuis
longtemps au Rwanda, « un moteur puissant ». En réponse, monsieur SEMELIN préfère parler « d’une
franchise à tuer. » C’est l’État qui encourage à tuer, qui devient criminel. Et de souligner la
responsabilité de l’Église au Rwanda, restée longtemps proche du pouvoir.
Est évoquée alors la notion de « tueur/sauveteur » chère à notre témoin. Une situation non seulement
« difficile« , comme le dit monsieur le président, mais « dramatique » ajoute monsieur SEMELIN. Un
assesseur fait alors remarquer que le tueur/sauveteur « sauve une part de lui-même en épargnant un
seul. »
Quant à savoir à quelle période on peut faire remonter la notion de génocide alors que le mot
n’existait pas, monsieur SEMELIN répond que c’est un thème qu’il développe dans ses cours. « Le mot
génocide est un terme moderne. C’est compliqué de savoir dans quelle mesure il peut caractériser
d’autres situations. » C’est un débat difficile entre chercheurs. Peut-on parler d’un « génocide
vendéen? Par contre, même si le mot n’existait pas, on peut l’appliquer aux Arméniens. » Et de rappeler
que « ce qui est important c’est de distinguer « détruire pour soumettre et détruire pour éradiquer. »
« Y-a-t-il eu une montée en puissance au Rwanda ? » demande l’avocat de la FIDH.
Réponse: il y a eu un élément appelé « déclencheur« , l’attentat contre l’avion d’HABYARIMANA [3],
mais « la matrice génocidaire existait bien avant. L’attentat déclenche la montée de la violence. Le mot
génocide est utilisée au Rwanda depuis les années 60. » (NDR. se reporter à ce que disait Bertrand
RUSSEL à propos des massacres de 1963/1964 à Gikongoro [4]).
A une autre question, le témoin répond qu’il ne faut pas négliger la responsabilité des élites
administratives. De nombreux fonctionnaires dits « modérés » ont basculé dans les massacres. C’est
aussi une réalité.
Monsieur SEMELIN, questionné sur le négationnisme ou encore la notion de double génocide,
rétorque qu’il a déjà répondu: « Pas de double génocide« .
Concernant le viol des femmes tutsi qui sont des femmes « désirées » alors qu’on a réduit les Tutsi à
des cafards, monsieur SEMELIN répond qu’il « restera toujours des questions auxquelles nous ne
pourront pas apporter de réponse. Dans la guerre, tout devient possible. Tous les interdits tombent. Le
viol est pratiqué par des individus qui peuvent vouloir tuer leur victime. Je suis très critique à l’égard de
mes collègues qui parlent du génocide sans parler de guerre. La guerre n’est pas la cause du génocide,
c’est ce qui le rend possible. »

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« Comment s’est créée la confusion entre les soldats du FPR et l’ennemi intérieur » demande une des
avocates générales.
Réponse: « L’ennemi intérieur existe déjà depuis les années 50. L’ennemi extérieur, c’est celui de la
guerre. Se produit alors une fusion entre les deux notions. C’était déjà ainsi en Allemagne à propos des
Juifs. C’est une vision de l’ennemi total. Avec la guerre, le Tutsi devient l’ennemi total. »
Concernant « les mots qui tuent« , l’utilisation du double langage (travailler = tuer), le témoin précise
que ce n’est pas le propre du Rwanda. Mais dans ce pays, on faisait allusion au travail communautaire
de l’Umuganda. Même les enfants pouvaient y participer, ou encore les femmes.
Rappelant les mots de TACITE: « Quelques-uns l’ont voulu, d’autres l’ont fait, d’autres l’ont laissé faire« ,
monsieur SEMELIN reconnaît que pour le Rwanda, « c’est une évidence« . La CIA savait, mais personne
n’a bougé. La communauté internationale est resté passive
Des autorités administratives pouvaient-elles refuser de répondre par la négative aux consignes du
gouvernement provisoire? Certains l’ont fait et l’ont payé de leur vie. Le préfet de Butare, Jean-Baptiste
HABYARIMANA en est un des rares exemples.
Concernant la volonté de déshumaniser les victimes, l’existence des fosses communes, le refus de
sépulture participent à cette déshumanisation. Et cette déshumanisation intervient même après la mort
des victimes que l’on jette dans des latrines. » En donnant des noms aux victimes, en les
identifiant » (NDR. En leur rendant justice.) c’est une façon de « réhumaniser » les victimes.
Maître BIJU-DUVAL n’aura pas de questions « après ses remarquables et terribles explications. »
C’est à maître LEVY, autre avocat de la défense que reviendra l’ultime intervention. Concernant la
responsabilité des décideurs politiques, l’avocat de Laurent BUCYIBARUTA fera remarquer que certains
d’entre eux ont été condamnés mais d’autres acquittés. Question: « Pensez-vous que des responsables
politiques peuvent être innocentés? »
Monsieur SEMELIN: » Je vois bien où vous voulez m’emmener. Je veux garder une posture de modestie.
Ce n’est pas à moi de le décider. »
Fin de l’audition.
Deux courtes vidéos seront projetées: « Confronting Evil » de Human Rights Watch et « Kigali 1994. »
D’autres vidéos sont prévues:
– Après le sang l’espoir, proposée par maître GISAGARA
– Une République devenue folle, à la demande du CPCR
– La Marche du siècle, à la demande du ministère public
– An untold story, à la demande de la défense.
Audition de monsieur André GUICHAOUA.

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Vu la façon dont s’est déroulée cette audition qui a dû perdre beaucoup de monde, aussi bien la Cour
que ceux qui voulaient comprendre, il nous a été impossible de prendre des notes « exploitables« .
Décision prise de ne pas rédiger de compte-rendu [5].

Audition de monsieur Jean FERRANDI, expert psychiatre.
Le témoin s’est entretenu avec l’accusé en septembre 2000. Son rapport diffère vraiment peu des
autres experts qui sont venus à la barre avant lui. Il a été amené à faire les mêmes constatations
concernant le passé, la carrière de Laurent BUCYIBARUTA, sa personnalité. Nous ne développerons pas
davantage
« Il est accessible à une sanction pénale. » Telle est la conclusion à retenir.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

References
↑1

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA
HAINE

↑2

Front Patriotique Rwandais

↑3

Attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel. Voir également : FOCUS – Avril –
juin 1994 : les 3 mois du génocide.

↑4

André RUSSEL, philosophe, parle du « petit génocide de Gikongoro » dans le journal
Le Monde daté du 6 février 1964 :« Le massacre d’hommes le plus horrible et le plus
systématique auquel il a été donné d’assister depuis l’extermination des Juifs par les
nazis ».

↑5

Pour mémoire, nous avions publié un compte-rendu de l’audition d’André
GUICHAOUA lors du procès de Claude MUHAYIMANA

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Jeudi 12 mai
2022. J4
12/05/2022

• Audition de monsieur André GUICHAOUA (suite et fin).
• Audition de madame Hélène DUMAS en visio-conférence, chercheuse au CNRS.
• Audition de monsieur Thierry BAUBET, professeur psychiatre invité par les avocats du CPCR.
• Reprise de l’interrogatoire de l’accusé.
Audition de Monsieur André GUICHAOUA (suite et fin).
Mêmes commentaires que la veille. Toutefois, le témoin devra revenir pour répondre aux questions
des parties [1].
.
Audition de madame Hélène DUMAS en visioconférence, chercheuse au CNRS. Travaille sur les
archives de l’association IBUKA au Rwanda. Prépare son HDR (Habilitation à diriger des Recherches).
Madame DUMAS souhaite aborder, dans sa déposition spontanée trois domaines:
1) la matérialité du génocide
2) l’efficacité du génocide
3) les transgressions
4) réflexions autour du « temps du génocide ».
1.

La matérialité du génocide. « L’intention génocidaire se trouve moins dans les mots que
dans les actes. On ne trouve pas d’archives demandant d’organiser le génocide… Je suis
attentive aux paysages, aux témoignages, fonds d’archives des Gacaca«
alors mention des deux ouvrages qu’elle a publiés

[3]

[2]

. Le témoin fait

. Dans le second, une analyse d’un

corpus de témoignages d’enfants sollicités par l’association des veuves du génocide,
AVEGA, l’auteur indique que « les enfants sont la cible prioritaire du génocide, ainsi que les
femmes à qui on fait subir des violences sexuelles ». Il s’agit là « d’une entreprise de rupture
radicale de la filiation ». L’éventration des femmes enceintes, les fœtus jetés en pâture aux
chiens en sont l’illustration.
2.

Efficacité du génocide des Tutsi. Cette efficacité renvoie à la question de l’organisation du
génocide à différents niveaux. Ni folie collective, ni colère spontanée d’un peuple (NDR.
dont on vient de tuer le président). Et le témoin d’évoquer alors la métaphore de l’étau
meurtrier, un étau à la double mâchoire, celle de l’État et celle des exécutants.

La mâchoire de l’État, dans un pays bien organisé en 1994. Les récalcitrants sont mis au pas,

voire

éliminés. Cet État engage des moyens importants: utilisation des bus de la société ONATRACOM pour
transporter les tueurs, le ramassage des corps par les autorités administratives.
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La mâchoire des exécutants: les voisins s’organisent pour tuer sur place par peur de les voir s’échapper.
On ne parle pas de déportation des Tutsi qui sont pris en étau entre ces deux mâchoires.
3) Les transgressions culturelles et religieuses. Les églises, autrefois lieux de refuges, deviennent des
lieux de mort. On n’hésite pas à pratiquer des actes iconoclastes: défiguration de statues auxquelles on
tranche le nez qui ressemble trop au nez des Tutsi par exemple.
Transgressions par le rôle des femmes. Pauline NYIRAMASUHUKO, ministre de la famille, n’hésite pas à
inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Une infirmière de Kaduha tue les
nouveaux nés! Ces atteintes aux « lieux du corps » sont sensés distinguer les Hutu des Tutsi. Les viols
seront systématiques: 67 % des femmes violées seront atteintes du SIDA.
« Cette cruauté est mue par une grammaire, par un imaginaire raciste. Elle a un sens. »
4) Le temps du génocide. Le génocide n’a pas de temps. Et le temps passé n’apaise pas la
douleur. « Plus le temps passe, plus la douleur augmente » affirment nombre de rescapés. Le
traumatisme n’est pas universellement descriptible, c’est une forme de relation au passé. »
Monsieur le président LAVERGNE commente alors les propos du témoin en revenant sur les
transgressions religieuses, ce phénomène nouveau qui a surpris les chrétiens eux-mêmes. C’est dans
tout le Rwanda que les églises sont devenues lieux de massacres. (NDR. Pays chrétien mais converti en
masse lors de la conversion du roi RUDAYIGWA dans dans les années 30). Dieu était invoqué à la fois
par les tueurs et les victimes. Les tueurs ont décrété la mort du Dieu des Tutsi, d’où les actes
iconoclastes.
Suivront ensuite des questions sur les Gacaca, ces tribunaux populaires inspirés de la tradition, souvent
décriés en dehors du pays comme une parodie de justice. En 1994, au Rwanda, il était hors de question
de décréter une amnistie générale. Il a fallu faire œuvre de pédagogie auprès de la population, tant
rescapés que tueurs, pour faire adopter cette organisation: une justice sans avocat, sans magistrat, qui
met en présence familles de victimes et bourreaux. Ces procédures, initiées en 2001, ne commenceront
vraiment qu’en 2005 pour se terminer en 2012.
Quant à savoir comment la justice rendue en dehors du Rwanda était perçue, si on s’en tient au
TPIR [4], elle a provoqué le refus des associations de rescapés de continuer à envoyer des témoins à
Arusha. Certaines femmes y avaient été « maltraitées/ mal traitées » par la défense.
Maître FOREMAN, avocat du CPCR, interroge le témoin sur le rôle de l’administration dans le génocide.
Depuis le multipartisme, il existait une sorte de « porosité » entre le politique, l’administration, les
milices Interahamwe [5] liées au MRND [6], la mobilité étant l’apanage des tueurs. Même appartenant à
des groupes différents, les tueurs semblaient bien coordonnés dans leurs attaques.
Maître LINDON, avocate d’IBUKA, revient sur la notion de mythe hamitique [7] et sur le document
appelé « Les 10 commandements des Bahutu » [8]. Il s’agit là d’une fantasmagorie raciale instillée par
les colons et les missionnaires belges. Les Tutsi ne correspondant pas à l’image du « bon nègre
bantou », il fallait trouver une explication avec leur origine nilotique.
On assiste à une montée en puissance de la haine dès 1990: massacres des BAGOGWE en 1991, au
Bugesera en mars 1992. Le génocide était en place bien avant le 6 avril.

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Maître Mathilde AUBLE voudrait que le témoin parle davantage de la préfecture de Gikongoro mais le
témoin ne travaille que sur Kaduha.
Monsieur le président signale que c’est sur la colline de Kibeho qu’ont eu lieu des apparitions de la
Vierge, « le Lourdes du Rwanda ». On lui fait savoir que le massacre des étudiants tutsi de Marie-Merci
se sont déroulés sur les lieu des apparitions, à l’École des Lettres.
Maître Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR, voudrait revenir sur les termes utilisés dans la
propagande, en particulier sur le mot INYENZI.
Réponse. Tout dépend du contexte. Au début des années 60, c’est le nom que se sont donnés les
exilés tutsi qui tentaient de revenir au pays. Il s’agissait du mot « Inyenzi » avec une majuscule.
Pendant le génocide, les « inyenzi« , sans majuscules, étaient les « cafards », les Tutsi à éradiquer. En
1990, les exilés que tentent de revenir au pays se dénommeront « Inkotanyi« .
Maître PARUELLE souligne que c’est grâce à une administration efficace que le génocide pourra se
mettre en place. Quant aux préfets, ceux qui n’ont pas obéi seront assassinés: Jean-Baptiste
HABYARIMANA à Butare, Geoffroy RUZINDANA à Kibungo.
Maître ARZALIER revient sur le regroupement des Tutsi dans des lieux de rassemblement pour y être
tués. Peut-on parler de déportation?
Réponse. On ne peut pas aller jusque là. Les regroupements faciliteront les massacres.
Maître TAPI voudrait savoir comment se sont passés les massacres de Kaduha. Le témoin s’appuie sur
les photos et les commentaires laissés par une religieuse qui lui permettent de nommer les étapes des
tueries.
Maître GISAGARA, avocat de la CRF [9], revient sur le vocabulaire utilisé dans le communiqué de Radio
Rwanda le 17 avril, lors de l’interview à laquelle participent les préfets de Butare et de Gikongoro:
« mettre en place des stratégies/ fauteurs de troubles ». BUCYIBARUTA aurait-il pris des risques en
utilisant ce vocabulaire?
Hélène DUMAS répond qu’on retrouve les mêmes mots dans d’autres lieux et circonstances, voire
d’autres mots. Cela ne prouve donc rien. Son collègue de Butare a été éliminé, lui est resté préfet
jusqu’à la fin du génocide.
Deux questions pour maître KARONGOZI. Faut-il se méfier des témoins? Il faut les entendre et en faire
une hypercritique. Pouvez-vous témoigner que les Rwandais vivent ensemble? Réponse laconique: OUI
Alain GAUTHIER, président du CPCR
L’audition d’Hélène DUMAS s’est ensuite poursuivie le lendemain, 13 mai.

Audition de monsieur Thierry BAUBET, professeur psychiatre invité par les avocats du CPCR.
Déclaration spontanée :
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On m’a demandé d’introduire la question de savoir ce qu’est un traumatisme et son impact sur la
mémoire éventuellement. Quand on parle de traumatisme, mot utilisé de manière très banale, c’est un
évènement vécu par un psychisme, une personne. C’est une expérience délabrante pour le psychisme
que l’on peut avoir suite à ma confrontation à un certain évènement. Ces expériences ont un effet de
modification existentielle de la personne qui y est confrontée. Ces évènements peuvent causer des
troubles et elles ont un effet de modification au plus profond de la personne qui y est confrontée
même si toute personne ne développe pas forcément de troubles. Cette confrontation d’évènements
est appelée réaction d’effroi (= sortir de la tranquillité), qui est différente de la peur et de l’angoisse.
Les types d’évènements qui peuvent causer ce type de traumatismes sont ceux qui impliquent le risque
de mort ou blessure grave et les violences sexuelles, que l’on soit victime ou témoin. Dans les affaires
de violence de masse et de génocide, il y a la dimension supplémentaire de l’intentionnalité des
traumatismes : un être humain à décider de faire le pire en nous regardant dans les yeux. Les psys
parlent d’une rencontre du « réel de la mort » = on sait tous ce qu’est un cadavre par contre on ne sait
pas ce qu’est la mort, le néant, qu’être mort. C’est cette expérience qui fait le traumatisé. Ce n’est pas
la peur de la mort imminente, les individus sont allés au-delà.
L’instant de la mort de Maurice Blanchot [10] (mis en joue par un peloton d’exécution allemand dans sa
jeunesse).
Au moment de l’effroi, il y a une disparition des émotions, des pensées, du langage, un début de blanc,
de vide puis apparaissent angoisse, déshumanisation, de la honte et l’idée que ce qui a été vécu ne
pourra jamais être expliqué. Cela entraine une dissociation traumatique, ce qui peut expliquer les
troubles mnésiques de certaines victimes.
Consensus international sur le trouble post-traumatique :
• Avoir été confronté à un évènement
• Être hanté par cet évènement
• Développer des symptômes d’évitement
• Altération des troubles de la cognition = altération des troubles psychiques, caractérisés
notamment par des troubles de la mémoire avec de l’amnésie commémorative = se
rappeler correctement de certains évènements
• Hypervigilance
• À durée de plus d’un mois.
Dans des cas de stress extrême, il y a une focalisation de la mémoire sur certains points mais aucun
souvenir sur d’autres.
Il y a un vrai de travail de jonction entre la justice et les neurosciences/psychologie. Pour nous les
soignants qui n’avons pas à juger de la crédibilité des patients, c’est beaucoup plus facile. Les
souvenirs partiels ne sont pas des troubles de mensonge en tout cas.

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Président : depuis combien d’années traitez-vous de ce type de problématiques ?
TB : depuis 25 ans, en France et à l’étranger avec des missions humanitaires.
Président : on parle de ces personnes qui peuvent être victime de ce trouble post-traumatique,
comment cela s’exprime concrètement ?
TB : il peut y avoir des handicaps très lourds. Ces PTSD [11] non soignés peuvent s’aggraver
grandement par d’autres troubles et il y a aussi une augmentation de la suicidalité. Il peut y avoir des
altérations dans toutes les sphères, y compris familial. Pour les enfants, il y a aussi un impact
développemental (capacité d’attachement, capacité à rentrer dans les apprentissages scolaires…)
Président : ces traumatismes peuvent être subi quand on est victime ou témoin voire même le
traumatisme peut être plus grand quand on voit. Vous avez dit que parfois il peut avoir un oubli de
certains évènements.
TB : au-delà d’un certain niveau de stress, c’est comme s’il n’y avait eu aucun enregistrement d’une
situation.
Président : il s’agit alors d’apprécier la crédibilité de certains récits. Ce qui peut aussi poser question,
c’est effectivement quand il y a de faux-souvenirs introduits de bonne foi. Est-il possible que cette
amnésie dissociative soit temporaire, il y a des méthodes pour retrouver la mémoire ?
TB : c’est un large débat. On constate largement des situations ou des évènements ont été oublié puis
sont revenus par la suite. Certains disaient que ces souvenirs s’étaient éteints, ils ne s’en souvenaient
plus puis ça revient d’un coup (avec le décès d’un parent par exemple). Aucune thérapie sérieuse
n’existe pour ça. Par contre il est très possible d’implanter de faux souvenir chez ses personnes or il n’y
a aucune méthode pour distinguer le vrai du faux. Parfois des patients cherchent à faire plaisir au
professionnel en créant de faux souvenirs et on va avoir des co-créations de réalités alternatives qui
sont difficiles à évaluer.
Président : Est-ce qu’il peut y avoir des phénomènes de reconstruction de souvenirs ? La lecture par
exemple, des récits sont faits par d’autres survivants, est-ce que ça peut devenir un souvenir ?
TB : tout est possible. La mémoire et les souvenirs ce n’est pas chercher un dossier dans un ordinateur.
À chaque fois qu’on va chercher un souvenir, on modifie quelque chose.
Président : les degrés d’intensité peuvent varier selon chacun. Il y a un premier stade d’hyperperception de ce qui nous entoure avec la capacité parfois de se souvenir de détails infimes.
TB : c’est ça, pour un stress non-traumatique.
Président : et quand le stress devient beaucoup trop insupportable, là les capacités de mémorisation
vont être complètement désordonnées et incapables de donner quelque chose de cohérent ?
TB : elles vont se focaliser sur certains points très précis : la survie, une distraction. J’ai le cas d’une
patiente qui ne se souvient que d’une éponge de toute son agression.

QUESTIONS des parties civiles :

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Me FOREMAN : nous avons souhaité vous entendre car à partir de la semaine prochaine, nous
entendrons des témoins rescapés. Une musique est souvent répétée et plane sur les procès comme
celui-ci « Tous les Tutsi sont des menteurs » pour reprendre Pierre Péan. On traque parfois la moindre
contradiction, la moindre incohérence pour mettre en cause la crédibilité du témoin dans son
ensemble. Si je reformule, un certain niveau de stress peut modifier la perception de certaines réalités,
pour autant, peut-on considérer que tout ce que dit un rescapé qui a vécu un PTSD [12] est à jeter ?
TB : on voit cette manœuvre très fréquemment. Quand on doit livrer un récit de soi à plusieurs
moments, il y a très souvent des incohérences. C’est compliqué, les gens traumatisés ont beaucoup de
mal à faire le récit d’eux-mêmes. Dans mon expérience, plus les personnes sont traumatisées, plus c’est
compliqué. Si on regarde l’attentat du Bataclan, parmi la moitié ayant développé un PTSD très
important, la moitié ne vont pas voir un soignant. Il y a la technique de l’évitement car on sait qu’il
faudra raconter son récit donc on va tout faire pour ne pas en parler, ne pas y être confronté de
nouveau. Ensuite il y a la honte entrainée par le traumatisme. Avec ce sentiment de honte il y a un
sentiment de non-légitimité + le sentiment qu’on ne sera pas compris ni cru. Cela amène à des
versions de récit parfois différentes. Plus le traumatise est grand, plus la version sera différente, mais
cela ne veut pas dire que le récit sera faux.

Me PHILIPPART : dans l’amnésie dissociative, vous avez dit que des éléments pouvaient être mal
mémorisés, notamment l’écoulement du temps, que cela signifie-t-il ?
TB : cette perception distordue du temps peut prendre différentes formes. Dans les suites d’un
traumatisme, il y a l’état de sidération où les personnes sont incapables de réagir. Elles sont incapables
de dire combien de temps cette période a duré. De façon générale, il est très difficile pour la victime
de jauger le temps.
Me PHILIPPART : cette question a trait à une partie civile que je représente, un enfant qui n’était pas
né au moment des faits, sa mère est rescapée. Est-ce qu’il peut y avoir des effets sur l’enfant à naître ?
TB : là encore c’est un large champ de recherche. Les études montrent qu’il y a un très grand nombre
de modifications biologiques et hormonales qui s’observent chez la femme enceinte. Et si la mère a
des symptômes post-traumatiques, cela va avoir un impact sur son enfant en raison de la manière
dont elle va interagir avec son enfant et donc sur le développement de l’enfant. Une scientifique disait
que le traumatisme est comme la radioactivité, il y a une peur, surtout des personnes traumatisées, de
contaminer les autres. Le traumatisme des autres a un effet sur les autres et d’une mère sur son enfant,
c’est évident.

Pas de question du ministère public.

Me BIJU-DUVAL : une précision, il n’a jamais été question ici de dire que tous les Tutsi sont des
menteurs et ayant pour ma part l’honneur de défendre des rescapés Tutsi ayant fui le RWANDA devant
la CNDA [13], je ne dis pas qu’ils sont tous menteurs. Vous nous avez parlé d’une amnésie dissociative,
terme savant pour dire qu’on oublie quelque chose ; puis de l’autre côté vous avez parlé des faux-

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souvenirs, quand on ajoute quelque chose que l’on n’a pas vécu. Par exemple ce serait quand un autre
viendrait raconter ce qu’il nous est arrivé alors qu’on ne le sait pas soi-même, cela peut-être le cas ?
TB : ça peut.
Me BIJU-DUVAL : donc d’un côté l’oubli, et de l’autre, le faux-souvenir possible. Est-ce que ce ne
serait pas, ces 2 causes, l’altération majeure possible, involontaire, de l’exactitude du récit et donc du
témoignage ?
TB : nous en tant que médecin, on n’a pas de sérum de vérité permettant de dire si la personne dit
toujours vrai. Il y a un ensemble de points à prendre en compte pour examiner la crédibilité : existence
d’autres symptômes, manifestations ? Les psy ne sont pas là pour dire ce qui a été la vérité universelle.
On sait qu’il y a des personnes qui viennent une fois demander un certificat puis d’autres qui souffrent
beaucoup et viennent nous voir souvent. Pour nous ça n’a pas de sens de remettre en cause
l’ensemble pour une petite partie.
Mathilde LAMBERT, stagiaire au CPCR
Jade FRICHIT, stagiaire auprès de maître PHILIPPART

Reprise de l’interrogatoire de l’accusé.
Président : vous n’avez pas été député en même temps qu’Aloys SIMBA ?
Laurent BUCYIBARUTA : non, il l’a été après
Président : vous avez fait un mandat et demi ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : vous arrêtez votre 2e mandat car vous devenez préfet de GIKONGORO. Parlez-nous de
votre famille : votre épouse, vos enfants
Laurent BUCYIBARUTA : ma femme est originaire de la paroisse de KIZIGURO, dans la commune
MURAMBI et nous nous sommes mariés en 1967 car je travaillais dans la même commune de
MURAMBI. Certains enfants sont nés là-bas, d’autres quand j’ai été muté dans d’autres régions. En
1994, le 6 avril, ma femme était partie dans sa famille.
Président : on va y revenir. Pour l’instant, votre épouse est aujourd’hui dans un état de santé assez
dégradé. Quelle a été son activité ?
Laurent BUCYIBARUTA : elle était institutrice quand je l’ai rencontrée.
Président : elle ne le sera pas toute sa vie, après elle travaillera dans les services postaux.
Laurent BUCYIBARUTA : avant, elle était enseignante à l’école primaire. Après, elle a travaillé dans des
bureaux de poste.
Président : vous avez 8 enfants. Quelle différence entre le plus âgé et le cadet ?
Laurent BUCYIBARUTA : le premier né en 1968 et le cadet en 1983 mais 2 enfants sont morts donc il
n’en reste que 6 en vie.
Président : vous voulez nous parler de vos enfants ?
Laurent BUCYIBARUTA : Victor, Victoria, Modeste (Belgique), Fidèle (France-Suisse), Jean-Paul, Désiré
(Troyes), Aimable (région parisienne).
Président : vous êtes une famille unie ?

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Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : vous avez perdu 2 enfants, après 1994 quand votre existence devenait compliquée, vous
avez quitté le RWANDA comme beaucoup de Rwandais. Ce camp se situe où ?
Laurent BUCYIBARUTA : au ZAÏRE, d’abord à BUKAVU puis quand les camps ont commencé à être
détruits, nous avons fui comme la population zaïroise. C’est là que mes enfants ont été tués.
Président : après 1994, vous êtes dans un camp à côté de BUKAVU. La situation interne du ZAÏRE est
aussi en proie aux conflits avec des gens qui cherchent à s’emparer du pouvoir. Cette région des
Grands Lacs est en proie à beaucoup de conflits. Il y a beaucoup de réfugiés rwandais avec la crainte
qu’ils viennent attaquer le RWANDA.
Laurent BUCYIBARUTA : c’est une des versions.
Président : vous avez vécu le fait d’être démuni, devant abandonner et fuir les camps. Vous allez avoir
une itinérance compliquée. Je suppose que dans ces situations il y a des complications dans les camps.
La vie dans un camp, c’est comment, traumatisant ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui tout à fait car nous avons traversé la frontière congolaise et en 6 mois
nous avons fait à peu près 2000 km pour arriver en Centrafrique. La vie n’est pas aisée dans ces 6 mois.
Président : dans ces camps, il y a aussi la maladie, les épidémies. Il y a beaucoup de choléra dans les
camps. Quand vous allez être arrêté à Troyes, on saisit un certain nombre de documents chez vous, y
compris un certain nombre de carnets de notes faisant le récit de cette période en camp et la
séparation avec vos enfants. Vous dites que vos enfants ont été tués mais vous n’avez pas été témoin.
Laurent BUCYIBARUTA : non ce sont les ONG et d’autres groupes de gens qui me l’ont dit.
Président : ce sont des informations regroupées qui vous permettent de penser que vos enfants ont
été tués.
Président : ces enfants ont fait partie de groupes armés, de milices ?
Laurent BUCYIBARUTA : non, mon fils Bonaventure, j’ai des informations concernant sa mort.
Président : vous allez à un moment dans votre parcours, votre exode, arriver en Centrafrique. Ce dont
on trouve trace dans votre dossier, notamment grâce au TPIR, c’est qu’à cette époque vous allez être
en correspondance avec Aloys SIMBA.
Laurent BUCYIBARUTA : oui quand je suis arrivé à BANGUI, il était dans un camp de réfugiés.
Président : vous écrivez à toutes les personnes que vous pensez être en capacité de vous aider ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui c’est ça.
Président : donc vous écrivez à SIMBA mais aussi des Français et Belges que vous avez rencontrés au
RWANDA ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : vous avez la possibilité d’acheter un billet d’avion pour la FRANCE ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui, des amis m’aident à acheter un billet d’avion
Président : vous partez seul ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : la situation familiale est complexe puisque votre famille est éclatée
Laurent BUCYIBARUTA : c’est ça.
Président : aujourd’hui vous avez des pathologies mais elles existaient déjà à l’époque ?
Laurent BUCYIBARUTA : ça a commencé par une tension artérielle puis ça s’est développé au cours
de la période dans les camps de réfugiés.
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Président : l’importance pour vous d’aller dans un pays occidental, en FRANCE, c’est aussi la possibilité
d’être suivi médicalement ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : vous arrivez où ?
Laurent BUCYIBARUTA : à ROISSY
Président : vous êtes pris en charge par un centre d’accueil pour les réfugiés, un CADA [14]?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : ça ne se passe pas très bien, c’est un peu difficile ? Vous n’avez pas de suivi médical là où
vous êtes au début ?
Laurent BUCYIBARUTA : dans les CADA il y a aussi un centre médical.
Président : vous allez faire une demande pour obtenir le statut de réfugié ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui mais l’OFPRA (OFPRA : Office français de protection des réfugiés et
apatrides)) ne me l’a pas accordé .
Président : néanmoins, votre épouse et vos enfants vont voir leur situation régularisée en obtenant un
statut puis vous allez obtenir des autorisations de séjour et vous restez tous en France.
Laurent BUCYIBARUTA : c’est par hasard que nous sommes envoyés par France Terre d’asile. On nous
envoie à Troyes où les enfants sont scolarisés.
Président : quelle est leur situation aujourd’hui ?
Laurent BUCYIBARUTA : le très jeune est analyste-programmeur et Désiré travaille dans une usine.
Président : vous n’avez pas pu retrouver d’activité professionnelle. Vous avez donc une situation
financière très modeste avec les minima sociaux.
Laurent BUCYIBARUTA : oui et après 65 ans j’ai eu le revenu minimum de vieillesse.
Président : vous avez fait des activités bénévoles, notamment auprès du Secours catholique mais avec
votre âge et peut-être votre santé, vous avez dû arrêter.
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : sur la situation de votre belle-famille. On sait que votre épouse est Tutsi.
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : vous avez donc perdu 2 enfants. Concernant votre épouse, quelle situation pour elle, perte
de membres de sa famille ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui elle a perdu beaucoup de membres de sa famille mais on n’a pas fait de
décompte. Mais je sais que c’est beaucoup.
Président : soyez précis, ce sont des parents proches ?
Laurent BUCYIBARUTA : son frère tué le 7 avril et les autres sont morts là où ils vivaient. Certains
vivaient dans la même famille, d’autres ailleurs.
Président : votre épouse avait combien de frères et sœurs ?
Laurent BUCYIBARUTA : je dois compter. 1 sœur et 4 frères.
Président : combien sont morts de mort violente à la suite des conflits ?
Laurent BUCYIBARUTA : un le 7 avril mais le reste ont tenté de fuir à la paroisse de KIZIGURO.
Président : votre belle-famille était originaire de la préfecture de KIBUNGO ? Dans les années 70/80,
ont-ils été victimes d’attaques ?
Laurent BUCYIBARUTA : je ne sais pas parce qu’ils ont été protégés par le voisin Hutu.

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Président : s’ils sont protégés, c’est bien qu’il y a eu des attaques ? Est-ce qu’à la suite de ces attaques
ils ont dû changer de domicile ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui puisqu’ils sont partis dans la préfecture de KIBUNGO.
Président : votre épouse va partir pour la préfecture de KIBUNGO parce qu’elle va aux funérailles de sa
sœur le 6 avril. Elle est donc dans la préfecture de KIBUNGO au moment de l’attentat ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui, elle va se réfugier dans la paroisse KIZIGURO puis elle a fui avec
quelques membres de sa famille dans la sous-préfecture de RWAMAGANA (au nord de la préfecture
de KIBUNGO)
Président : j’ai retrouvé le nom de Fidèle UWIZEYE, c’est votre fils mais c’est aussi le nom d’un préfet,
de GITARAMA et qui a été poursuivi puis acquitté. J’ai retrouvé l’indication d’un autre Fidèle UWIZEYE,
qui a été nommé bourgmestre d’une commune de BUTARE, NGOMA.
Laurent BUCYIBARUTA : c’est possible mais je ne le connais pas.
Président : vous souhaitez ajouter quelque chose concernant votre parcours, votre vie qui semblerait
important ?
Laurent BUCYIBARUTA : peut-être une simple information suite à ce qu’a dit le Pr. GUICHAOUA. Il a
dit que pour avoir une longue carrière comme moi, il faut un « léopard » près de soi. Je ne sais pas si
tout le monde a compris, cela vient d’un proverbe qui dit que « Quand on est protégé par un animal
comme le léopard, on peut se permettre ce qu’on veut ». Il a dit que si j’avais démarré ma carrière de
sous-préfet à GISENYI, j’avais dû avoir un « léopard » mais c’est faux, je remplaçais un sous-préfet qui
venait de GIKONGORO. Il y a une règle qui dit que quand il y a un poste de sous-préfet vacant, il est
remplacé par un sous-préfet de la même région. Il ne le savait peut-être pas. Cela n’avait rien avoir
avec la protection d’un « léopard ». Je précise cela car il risque d’y avoir une confusion des choses.

Président : je vous informe que demain une de nos jurés va sûrement nous quitter car elle a reçu une
promesse d’embauche importante. Nous statuerons là-dessus demain.
Mathilde LAMBERT et Jade FRICHIT

References
↑1

Pour mémoire, nous avions publié un compte-rendu de l’audition d’André
GUICHAOUA lors du procès de Claude MUHAYIMANA

↑2

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de
2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes
suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur
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bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice,
favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions
de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le
18 juin 2012.
Cf. glossaire.
↑3

Le génocide au village : le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Éditions du Seuil,
2014
Sans ciel, ni terre : paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), Paris, La
Découverte, 2020

↑4

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la
résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en
anglais ICTR).

↑5

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement
de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le
parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑6

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement,
ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à
1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑7

Mythe d’un peuple hamitique : voir Focus – les origines coloniales du génocide.

↑8

« Appel à la conscience des Bahutu » avec les 10 commandements » en page 8 du n°6
de Kangura, publié en décembre 1990.

↑9

CRF : Communauté Rwandaise de France

↑10

Maurice Blanchot, L’instant de ma mort, Éditions Fata Morgana, 1994

↑11

PTSD ou TSPT : Trouble de stress post-traumatique

↑12

Ibid.

↑13

CNDA : Cour Nationale du Droit d’Asile

↑14

CADA : Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile

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Procès BUCYIBARUTA du vendredi 13 mai
2022. J5
14/05/2022

• Audition de madame Hélène DUMAS en visio-conférence, chercheuse au CNRS (suite et fin).
• Projection de documentaires.
Audition de madame Hélène DUMAS (suite et fin) [1].
Cette demi-journée est consacrée aux questions.
Avocate générale : une première question concernant l’organisation administrative du génocide, et
notamment en ce qui concerne le fonctionnement de cette administration. Vous avez expliqué qu’en
1994, l’État rwandais est un État structuré et qui fonctionne. Dans les faits, comment cela se traduisait,
et est-ce que les archives témoignent de cette continuité d’action de l’administration ?
Hélène DUMAS : sur la pyramide administrative telle qu’elle apparait de jure dans l’architecture du
droit administratif rwandais : elle se compose de 11 préfectures (1 supplémentaire en 1990/1991 : celle
de KIGALI) et il y a 145 communes divisées en autant de secteurs que de cellules. Les entités
administratives étaient administrées par des responsables. Les archives administratives témoignent de
la fonction de cette administration concernant la période précédant le génocide. Je me suis intéressée
à la préfecture de KIBUNGO. On voit très bien de quelle manière les bourgmestres rédigent des
rapports très normés concernant les problèmes économiques et culturels par exemple. Au regard de
ces rapports, ce qui m’a frappée, c’est l’obsession statistique de l’administration rwandaise : âge, sexe,
appartenance raciale/ethnique (statistiques produites à l’échelle locale). C’est un pays relativement
pauvre mais qui a investi des moyens financiers importants dans l’établissement de ces statistiques. De
plus, j’ai aussi été frappée de trouver dans les archives d’IBUKA les annexes d’un rapport dans
lesquelles j’ai trouvé un compte-rendu de réunion qui concerne la préfecture de GIKONGORO en date
du 26 avril 1994 qui réunissait les bourgmestres, sous-préfets et forces armées. La réunion a lieu le 26
avril 1994, alors que les principaux massacres ont eu lieu 5 jours plus tôt. Cette archive est intéressante
car elle montre le fonctionnement de la continuité de l’organisation. Dans ce texte, le terme « tuerie »
n’est mentionné qu’une seule fois, il est question de « colère populaire », de « l’atteinte au bâtiment
public et à l’église » : il est fait demande à tous les bourgmestres d’encadrer la sécurité en demandant
de renforcer des rondes. Le compte-rendu, dans sa description de ce qui s’est produit, utilise des
euphémismes pour décrire les massacres qui viennent de s’y produire.
Avocate générale : ce document dont vous parlez, s’agit-il du document « Message adressé par le
préfet de GIKONGORO pour amener le calme dans la préfecture » ?
Hélène DUMAS : oui, s’il date bien du 26 avril 1994.
Avocate générale : on voit bien un engagement de tous les moyens de l’État dans l’organisation
stratégique du génocide. Vous avez évoqué hier, sur une question des parties civiles, le rassemblement
des victimes dans les lieux où elles seront massacrées. Vous avez aussi évoqué le traitement des
cadavres, pouvez-vous apporter des précisions sur l’organisation administrative sur l’efficacité des
massacres ? Est-ce que c’était une politique d’État en 1994 ?

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Hélène DUMAS: ces massacres ont été commis dans plusieurs régions mais je ne saurais dire si cette
politique s’est étendue dans plusieurs territoires. Dans le cas du massacre de l’église Saint-Jean, il y a
eu l’enterrement des corps. Je sais que dans la paroisse de KADUHA, un certain nombre de corps ont
été retrouvés. Quand on regarde la liste des personnes qui ont été ensevelies, le nombre de corps
donne une idée du nombre de morts, et au moins 200 personnes avaient contribué à
l’ensevelissement.
Président : vous avez indiqué que le document avait été signé par l’adjudant de gendarmerie, qui est
l’un des organisateurs de ce massacre.
Avocate générale : vous avez parlé d’un recours à tous les moyens de l’État. On sait qu’un certain
nombre d’engins déployés appartenaient au Ministère des transports. Je pense notamment à des
pelleteuses déployées dans les différentes communes, dont notamment GIKONGORO pour creuser ces
fosses communes. S’agit-il d’une politique d’État ?
Hélène DUMAS : oui, notamment par exemple dans la commune de KIBUYE. À la paroisse de
NYANGE, les engins étaient utilisés comme armes parce que c’est grâce à eux que l’église a été
détruite, avec les réfugiés à l’intérieur.
Avocate générale : concernant cette rationalité des méthodes et la rapidité des exécutions, pensezvous que cela exprime une volonté de dissimuler les preuves ? Est-ce que c’est une réalité ?
Hélène DUMAS : on le sait pour KIGALI. Toutefois, pour les autres régions, je ne suis pas certaine que
le facteur principal était de dissimuler les corps, mais qu’il s’agissait plutôt d’une préoccupation
sanitaire. Pour KIGALI, ce que j’ai pu voir dans certaines archives, c’est qu’il est clair qu’ils ont reçu le 10
avril l’ordre de la part de certains responsables du MRND [2] d’organiser « l’opération de pacification »
pour que la communauté internationale ne voie plus tous ces corps sur le bas-côté et dans les fossés.
Avocate générale : vous avez évoqué dans vos différents écrits ce que vous appelez le « maillage
meurtrier du territoire », les « moyens de mobilisation de la population ». Pouvez-vous expliquer le rôle
de ces deux choses ?
Hélène DUMAS : le maillage territorial est essentiel car le génocide des Tutsi est un génocide qui se
passe aussi majoritairement dans l’entre-soi du voisinage. Des barrières ont notamment été érigées sur
les chemins et les routes. L’administration, à toutes ses échelles, organise le maillage du territoire et
fait du RWANDA, à cette époque, un paysage sans refuge. L’étau que je mentionnais hier est
également géographique et topographique.
Avocate générale : concernant les barrières, on est sur des massacres qui se déroulent à huis clos et
de manière publique, est-ce crédible qu’un préfet puisse dire qu’il ne savait pas ce qui se passait au
niveau des barrières lorsqu’il se déplaçait dans sa préfecture ?
Hélène DUMAS : ça me parait improbable, surtout quand on sait qu’il y avait un grand nombre de
barrières. En effet, à KADUHA, il y avait des barrières au niveau de l’hôpital, du centre de santé, du
centre commercial…
Avocate générale: vous venez de dire un « un paysage sans refuge ». Quand vous avez été entendue
par le juge d’instruction, vous avez dit: « Il est impossible de se cacher au Rwanda (… ) la topographie se
retourne contre les victimes ». Que savez-vous de la politique de débroussaillage qui a été mise en
place ? Quel était son but et sa conséquence ?
Hélène DUMAS : je ne peux pas répondre car je n’ai pas d’éléments, je ne sais pas si on peut tirer un
lien entre cette politique et le génocide. Il est très clair que le RWANDA est un pays extrêmement
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densément peuplé, avec beaucoup de cultures, donc il y a très peu d’espace de cachettes. Dans tous
les cas, comme c’est un génocide de proximité, les tueurs connaissent très bien la topographie, tout
aussi bien que les victimes finalement.
Avocate générale : vous avez parlé de l’utilisation des armes et notamment des outils agricoles.
L’expression « génocide à la machette », apparait comme une expression réductrice. Peut-on avoir une
précision sur les armes utilisées pendant le génocide ?
Hélène DUMAS : il y a eu une extraordinaire créativité meurtrière. C’est la même critique que pour
l’expression « Shoah par balle », qui rabat le crime sur un instrument. Quand on parle de machettes, il y
a plusieurs types de machettes en réalité – cite 2 termes différents en kinyarwanda. Il y a eu d’autres
types d’armes, notamment les gourdins , les gourdins cloutés, très utilisés également. Non, ce n’est pas
un génocide à la machette, c’est trop réducteur d’utiliser cette expression. Dans ces lieux de
regroupement massif, les armes à feux tiennent une place importante.
Avocate générale : les armes à feu sont fournies par une certaine autorité, ce ne sont pas les
populations civiles qui les détiennent ?
Hélène DUMAS : il y a le programme d’auto-défense civile, mis en place bien avant le génocide et qui
consiste à distribuer des armes à feu dans la population.
Avocate générale : sur le rôle des gendarmes dans les massacres, vous avez été interrogée par le juge
d’instruction sur le rôle de l’armée. Vous dites que, « à partir du 9 avril, l’armée mobilise la majorité de
ses troupes dans les massacres alors que les hostilités avec le FPR [3] ont repris. » Est-ce que la
mobilisation des gendarmes était la même, y avait-il eu une priorité donnée aux massacres alors qu’ils
sont normalement chargés d’assurer la protection de la population ?
Hélène DUMAS : je connais moins bien le cas de la gendarmerie que de l’armée. Mais, à KADUHA, ils
ont joué un rôle important. Il faut ensuite mentionner le cas de la personnalité particulière d’Aloys
SIMBA qui a renforcé les attaquants de l’église de KADUHA par des gendarmes. Il y a évidemment une
priorité donnée au génocide mais si on se replace dans la logique des tueurs, l’ennemi est confondu : il
n’y a plus de différence entre un bébé Tutsi et un soldat du FPR. Dans leur esprit ils faisaient la guerre
dans les deux cas.
Avocate générale : sur les chiffres du génocide, 1 million de victimes du génocide. Pour la préfecture
de GIKONGORO, avez-vous des estimations chiffrées ?
Hélène DUMAS : la question des chiffres est délicate car en l’absence de moyens dans le contexte de
l’époque, le RWANDA n’a pas les moyens de faire des enquêtes médico-légales, seulement 500 corps
ont pu être examinés à KIBUYE. Le décompte est compliqué. Je pense qu’on pourra, à terme,
notamment avec les archives des Gacaca [4], approcher un chiffre précis. Sur la préfecture de
GIKONGORO, je n’ai pas les chiffres précis en tête, il y a un article publié par un démographe belge sur
le coût en vie humaine du génocide dans la préfecture de GIKONGORO. Cette étude montre, à
l’échelle nationale, dans le recensement de 1991, que les chiffres du nombre de Tutsi sont sousévalués, ce qui permet de prendre une distance critique vis-à-vis des chiffres. Il faut aussi prendre en
compte les morts différées (femmes mortes du SIDA après les viols) : il y a une distorsion des chiffres à
l’échelle locale et nationale. Un habitant Tutsi sur quatre a survécu au génocide. Les chances de survie
étaient extrêmement réduites et les hommes autant que les femmes ont été visés par cette violence.

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Avocate générale : nous souhaitons vous présenter l’album-photo que vous aviez mentionné hier,
avec des photographies prises par Sœur MILGITHA à la paroisse de Kaduha le 22 avril et que vous avez
étudié [5]. Vous pourrez peut-être les commenter.
Président : avant de voir les photos, regardons d’abord une carte avec les sites de Murambi, Kaduha et
Cyanika – Côte D10518/5. Donc pour se rendre compte, Gikongoro-Murambi : environ 2/3 km ;
Gikongoro-Cyanika: une dizaine de km. Kaduha est beaucoup plus loin Mais ce sont des routes
difficiles d’accès.
Hélène Dumas lit les légendes et explique que la sœur a pris ces photos dans le but d’informer car elle
avait dit que, sinon, jamais personne ne l’aurait crue. Je précise que quand on parle de la paroisse, c’est
un complexe très important.
Président : il faut mentionner le prêtre burundais NYANDWI qui n’a pas été très chrétien, que sait-t-on
de lui ?
Hélène DUMAS : une orpheline l’accuse d’avoir rassemblé les survivants dans une église pour faciliter
les massacres.
Président : son témoignage est intéressant, il permet de revenir sur ce qui se passe avant les
massacres et le rôle des autorités.
Hélène DUMAS : oui, ce qui frappe dans son récit, c’est le sentiment d’abandon absolu dont elle
témoigne : elle remet en question l’existence même de Dieu, elle parle de l’inertie de l’administration.
Avocate générale : vous avez expliqué votre méthode de travail, notamment avec le témoignage des
réfugiés. Pouvez-vous nous parler de ce que l’on a appelé le « paysage sonore », que ressort-il de ces
témoignages?
Hélène DUMAS : il ressort un paysage sonore saturé de plusieurs types de cris : cris de ralliement des
tueurs, cris de souffrance des victimes, cris des animaux, et surtout, l’insondable silence. Ce qui revient
beaucoup dans les témoignages c’est aussi les larmes des bébés. Le RWANDA est le pays des mille
collines, le son se répercute et s’amplifie entre les collines.
Avocate générale : est-ce que l’on peut dire qu’il était impossible d’ignorer les massacres en cours par
les sons ?
Hélène DUMAS : ce serait très étonnant.
Avocate générale 2 : pour revenir à la question du double langage utilisé à cette époque et, encore
aujourd’hui, on a du mal à saisir. Dans le discours du Président SINDIKUBWABO, le 19 avril, on peut
retenir : « Nous sommes en des temps qui sortent de l’ordinaire, que les blagues laissent la place au
travail ». Qu’est-ce qu’un Rwandais en 1994 comprend de ces mots ?
Hélène DUMAS : il y a 2 termes qui ressortent : « travail » et « guerre »
Avocate générale : donc quand le président encourage au « travail », il encourage à la tuerie ?
Hélène DUMAS : bien sûr, dans les Gacaca, il y a un des crimes qui est d’« aller travailler à la barrière
». C’est la langue du génocide.
Avocate générale: vous avez évoqué cette terminologie dans votre article sur le génocide des voisins
et notamment sur les outils et les armes utilisés pendant le génocide sur le volet double langage.
Hélène DUMAS : ce ne sont pas seulement des mots, mais aussi des actes. Le mot « travailler »
signifiant « tuer » emporte des pratiques avec des types d’armes qui viennent du monde du travail. Ce
n’est pas seulement un mot.
Avocate générale: pouvez-vous également dire un mot sur ce qui a été appelé la « pacification » ?
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Hélène DUMAS : quand on dit que la sécurité est revenue dans la région, oui parce que la majorité
des Tutsis ont été assassinés.
Avocate générale : pour continuer ce développement sur la question de la théorie du double
génocide. Vous répondez au juge que cette thèse est surtout négationniste.
Hélène DUMAS : Je ne suis pas une spécialiste des crimes du FPR et personne ne le nie mais il y a des
logiques différentes qui sont à l’œuvre dans les deux cas : d’un côté un génocide, de l’autre des crimes
affreux mais d’une autre nature. C’est une des formes prises pa le négationnisme après le génocide
qui renvoie à la thèse de guerre ethnique, elle nie la spécificité irréductible du sort infligé à la
communauté tutsi entre avril et juillet 1994.
Avocate générale : connaissez-vous les ouvrages de Bernard LUGAN versés au débat par M.
BUCYIBARUTA ?
Hélène DUMAS : j’ai cessé de lire B. LUGAN. C’est un personnage haut en couleur, un historien
inconditionnel de l’extrême droite dont le parcours a constitué à soutenir la politique d’apartheid en la
justifiant. Il croit à la génétique des races.
Avocate générale : vous connaissez le documentaire de la BBC, Untold story ?
Hélène DUMAS : je ne l’ai pas regardé
Avocate générale : pour quelle raison ?
Hélène DUMAS : j’ai vu les premières images avec un discours extrêmement pervers devant le site de
Murambi et qui ne correspond pas du tout à la réalité.

QUESTIONS DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : je voudrais revenir à l’organisation administrative du génocide – Dc54/14, vous
indiquez « encore une fois, il faut essayer d’avoir une vision qui ne soit pas trop manichéenne de
l’administration » et vous citez le cas de bourgmestres, de préfets qui ne vont pas participer au
génocide. Ma question est la suivante : en ce qui concerne la recherche nécessaire des responsabilités,
serions-nous d’accord sur le fait qu’il faut avoir une approche au cas par cas, région par région et
individu par individu ?
Hélène DUMAS : région par région oui bien sûr, il faut penser à cette dialectique entre l’échelle
nationale et régionale.
Me BIJU-DUVAL : chaque situation individuelle doit être examinée au cas par cas ?
Hélène DUMAS : oui puisque je rappelle que les préfets de KIBUNGO et BUTARE ont été assassinés.
C’est une situation assez exceptionnelle.
Me BIJU-DUVAL : ils ont été assassinés pour quelle raison ?
Hélène DUMAS : ils voulaient protéger leurs administrés.
Me BIJU-DUVAL : pendant cette même audition devant le juge d’instruction, vous dites qu’il faudrait
voir quelles ont été les autres forces internes au sein de la commune qui ont pu prendre le pouvoir,
vous citez la commune de Butambura avec un bourgmestre évincé et les milices locales qui ont pris le
pouvoir. On ne peut pas considérer que pendant cette période de génocide qui se superpose avec une
guerre totale, les hiérarchies habituelles ont été sérieusement bousculées et certaines autorités
officielles évincées ?

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Hélène DUMAS : c’est-à-dire qu’on ne peut pas généraliser, c’est ce bourgmestre-là. Il y a beaucoup
de bourgmestres et de préfets qui ont conservé leur autorité. Il faut envisager à chaque fois les deux
situations.
Me BIJU-DUVAL : il ne faut donc pas généraliser ni dans un sens ni dans un autre ?
Hélène DUMAS : oui
Me BIJU-DUVAL : dans votre article sur le génocide des voisins [6], vous dites que ces groupes
d’assaillants sont « constitués sous la férule de potentats locaux » ?
Hélène DUMAS : à l’échelle locale, oui.
Me BIJU-DUVAL : ils peuvent être issus de différents horizons ?
Hélène DUMAS : oui, souvent plusieurs personnages importants viennent à leur aide en les
transportant ou en les récompensant d’une certaine manière après. Ils constituent une force locale
extrêmement efficace, très coordonnée. Cela peut être des commerçants, des éleveurs, des
bourgmestres. Cela va dépendre des personnalités.
Me BIJU-DUVAL : là aussi il faut tenir compte des particularités locales pour comprendre qui sont les
personnages importants.
Hélène DUMAS : oui même si certains profils sont très fréquents comme les commerçants ou des
responsables de l’administration locale à la tête des groupes d’Interahamwe [7].
Me BIJU-DUVAL : je pense que vous connaissez l’ouvrage de Mme Alison DESFORGES Aucun témoin
ne doit survivre [8]. Dans cet ouvrage, il y a un chapitre spécifiquement consacré au génocide local, et
en particulier au génocide dans la préfecture de GIKONGORO. J’imagine que vous connaissez le
contenu de ce chapitre. L’analyse développée est autour de la situation où le préfet est évincé. Elle
indique que dans le cadre de cette préfecture, le préfet aurait été évincé, en particulier par l’un de ses
sous-préfets, Damien BINIGA. Que pensez-vous de cette possibilité ? Êtes-vous d’accord avec cette
analyse où le préfet aurait été évincé ?
Hélène DUMAS : je rappelle que la préfecture de GIKONGORO est divisée en 2 sous-préfectures avec
celle du Nord où se trouvent KADUHA et MURAMBI et Damien BINIGA n’avait pas autorité sur cette
sous-préfecture qui était administré par Joachim HATEGEKIMANA. Or, le grand massacre de KADUHA
a lieu dans cette préfecture donc hors de la juridiction de Damien BINIGA.
Me BIJU-DUVAL : vous pensez qu’à cette période, les génocidaires se limitent strictement à leur
circonscription ?
Hélène DUMAS : c’est très souvent le cas oui, ils tuent leurs Tutsi et c’est ce qui rend le génocide
efficace.
Me BIJU-DUVAL : Mme DESFORGES indique que ce sous-préfet BINIGA avait des relations directes
avec les autorités gouvernementales à KIGALI. Qu’en pensez-vous ?
Hélène DUMAS : il faudrait que je relise le chapitre, je ne connais pas ce sous-préfet, je ne peux pas
répondre à votre question.
Me BIJU-DUVAL : on a vu les distances tout à l’heure, on est dans des distances très voisines en
l’occurrence.
Hélène DUMAS : à plat sur une carte, mais dans une voiture, les distances sont très différentes dans la
réalité.
Me BIJU-DUVAL : prenons l’exemple de l’ETO [9] de MURAMBI, c’est très loin de MURAMBI donc ?
Hélène DUMAS: là non, mais pour KADUHA c’est 2h30/3h, ou plus selon l’état de la route.
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Me BIJU-DUVAL : je voudrais revenir à un document présenté par mon confrère GISAGARA. On vous
a questionné sur un communiqué daté du 16 avril 1994. Je pense qu’il faudrait être loyal avec le
témoin et savoir sur quoi il va être questionné. (D8266)
Président : je doute que Mme Dumas ait connaissance du dossier et je ne suis pas sûr que ce soit tout
à fait possible avec la vidéo. Peut-être pouvez-vous le lire donc ?
Me BIJU-DUVAL procède à la lecture.
Me GISAGARA : ce n’est pas le document que j’ai lu hier.
Président : je crois qu’il y a une version officielle, que vous lisez Me BIJU-DUVAL, et des transcripts de
la Radio Rwanda, ce que Me GISAGARA a lu hier.
Me BIJU-DUVAL reprend la lecture du document : ce communiqué a été diffusé sur les ondes de
Radio Rwanda, le 17 avril. Maintenant que vous comprenez de quoi il s’agit, en particulier que ce
document est aussi signé par Jean-Baptiste HABYARIMANA, votre analyse est un peu différente ?
Hélène DUMAS : on est le 16 avril. On peut dire qu’il est signé des 2 préfets (Laurent BUCYIBARUTA et
J.B HABYARIMANA) mais il faut le replacer dans son contexte, c’est ce que j’expliquais sur le contexte
du génocide et du double langage. On peut dire que ce communiqué n’a eu aucun effet effectif. On
peut prendre ce communique in abstracto mais il faut le prendre dans le contexte global du génocide.
Me BIJU-DUVAL : j’insiste sur le fait que ce communiqué a été signé par J-B. HABYARIMANA, Tutsi,
qui va être destitué le lendemain puis assassiné, ainsi que sa famille. À cette date, les massacres ont
déjà commencé. Vous pensez qu’HABYARIMANA s’emploie à diminuer intentionnellement ce qui se
passe ?
Hélène DUMAS : non mais un document d’archive, il faut le replacer dans le contexte général du
génocide au RWANDA et il faut aussi en connaitre les circonstances dans lesquelles il a été produit :
peut-être il y a eu négociation entre les deux préfets. Peut-être que le préfet HABYARIMANA aurait
souhaité utiliser d’autres termes. Les communes frontalières des GIKONGORO et BUTARE étaient
particulièrement en proie aux violences, c’est donc normal qu’il y ait une réunion entre ces deux
préfets.
Me BIJU-DUVAL : nous savons que le bourgmestre de Nyakizu est au cœur des massacres organisés
dans sa commune.
Président : je ne pense pas avoir suivi ce dont il est question-là.
Me BIJU-DUVAL : Mme Dumas a mentionné les massacres de la commune de NYAKIZU, qui se trouve
dans la préfecture de BUTARE donc je souligne que ces violences ont été organisées par le préfet de
BUTARE. Je reviens à ce communiqué du 16 avril, l’une des recommandations est la suivante « les
autorités communales et des secteurs doivent guider les populations dans la mise en place des barrières
et des rondes ». Cette organisation des rondes et mise en place des barrières, qu’en pensez-vous ?
Hélène DUMAS : ce n’est pas nouveau, ces rondes ont lieu depuis un certain nombre d’années, à
l’échelle des secteurs et des cellules. Encore une fois, mon problème est qu’un document tout seul, on
peut en faire une exégèse très précise mais ce n’est pas comme ça que l’on travaille sur une série de
documents, il faut un contexte très général pour éviter des lacunes.
Me BIJU-DUVAL : je partage votre préoccupation, c’est pour cela que je vais examiner avec vous un
second document du 29 avril, Restons encore un instant au 16 avril, je voudrais vous rappeler le point
de vue de Mme DESFORGES dans son ouvrage sur ce communiqué (D1818/D1819) : « Les préfets se
démarquaient du mythe officiel qui transformait les Tutsi en agresseurs et les Hutu en victimes en
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essayant seulement de se défendre ( … ) ». Qu’en pensez-vous, elle semble considérer ce communiqué
comme un acte de résistance, dans la limite de ce qui était possible ?
Hélène DUMAS : je répondrais la même chose que tout à l’heure. Pour moi ce communiqué ne prend
pas son relief, sa valeur historique sans son contexte et sa mise en place dans une série d’autres actes
administratifs. Je ne pense pas un document historique comme un isolat.
Me BIJU-DUVAL : M. GUICHOUA nous a mentionné ce communiqué et nous a fait comprendre que
cela devrait être considéré comme un acte de courage inouï, je crois qu’il a utilisé ce terme. Là aussi M.
GUICHAOUA me parait avoir une appréciation reconnue, c’est tout de même un historien qui travaille
depuis toujours sur le RWANDA.
Hélène DUMAS : Il me semble que M. GUICHAOUA est sociologue, pas historien.
Me BIJU-DUVAL : il n’empêche qu’il a une expertise reconnue, c’est l’un des deux experts du Bureau
du Procureur au TPIR avec Mme DESFORGES, ils ont rédigé de nombreux documents, et grâce
auxquels les procès des responsables du génocide ont été possibles.
Hélène DUMAS : oui grâce au travail du Bureau du Procureur.
Me BIJU-DUVAL : je pense que le Bureau du Procureur aurait été un peu perdu sans ces documents.
Hélène DUMAS : je pense que M. GUICHAOUA n’a pas une démarche historienne quand il se
concentre sur un seul document.
Me BIJU-DUVAL : je viens de parler des centaines de documents analysés par le Pr. GUICHAOUA.
Hélène DUMAS : M. GUICHAOUA est victime d’un effet de sources, il travaille sur des sources
gouvernementales, à l’échelle nationale et il en tire des erreurs majeures. Notamment sur la
chronologie qu’il ne rattache jamais aux faits matériels. Il explique que le génocide a commencé le 12
avril et que toutes les personnes tuées avant le 12 ont été tués car elles étaient des complices du FPR.
Me BIJU-DUVAL : je ne peux pas vous laisser dire cela, GUICHAOUA n’a jamais dit que les gens qui
avaient été assassinées avant le 12 avril étaient des complices du FPR, il a lui-même participé aux
sauvetages de rescapés. M. GUICHAOUA pense qu’il y a un basculement véritable dans l’organisation
institutionnelle du génocide à partir du 12 avril. Évidemment que les milliers de personnes tuées avant
le 12 avril ne sont pas des complices du FPR, je ne peux pas vous laisser dire ça.
Hélène DUMAS : je vous retrouverai la citation de son livre.
Me BIJU-DUVAL : Mme DESFORGES soutient la même analyse que M. GUICHOUA, vous n’êtes pas
d’accord avec elle non plus ?
Hélène DUMAS : pardonnez-moi mais vous me posez des questions depuis un certain temps sur un
seul document. Je n’ai pas le livre sous les yeux, je n’ai pas les documents sous les yeux et peut-être
qu’Alison DESFORGES, plus loin dans son livre, va nuancer les propos d’avant.
Me BIJU-DUVAL : je vais donc vous donner un autre document datant 29 avril 1994 « Message adressé
à la population par le Préfet de GIKONGORO pour ramener le calme dans la Préfecture » (D8277) sur
lequel vous appuyer. Je vais vous lire l’analyse de Mme DESFORGES (D1762/1763). Elle constate que
dans le cadre de cette campagne de pacification, le préfet Laurent BUCYIBARUTA prend le soin de
rédiger, d’aller au-delà des directives officielles et de rédiger, selon elle, un « réel plaidoyer bien
argumenté pour mettre un terme aux violences ».
Hélène DUMAS : ce n’est pas ce que j’ai lu dans ce document. Mais en effet la première chose à dire
sur ce document est son ambiguïté, notamment son langage avec l’euphémisation de ce qui s’est
passé quelques jours avant. Lorsqu’il y a des appels à contrôler les barrières et que l’on utilise le terme
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« ennemi ». Quand on lit l’intégralité de ce document « le grand malheur qui s’est abattu sur le
RWANDA » n’est pas de s’entretuer mais la mort du chef d’État et l’invasion du FPR. On trouve
également dans ce document des appels à reprendre les activités économiques et à tenter de s’unir
pour reprendre une activité sociale, économique normale. Il faut toujours remettre ce document dans
son contexte.
Me BIJU-DUVAL : j’ai peur qu’il y ait un malentendu. Ce document est daté du 29 avril et les
massacres dont vous parlez ont lieu avant ?
Hélène DUMAS : oui c’est ce que je dis, on fait une grande réunion de pacification après les grands
massacres.
Me BIJU-DUVAL : Laurent BUCYIBARUTA dira « par conséquent, il est urgent d’arrêter ces troubles,
pillages… ces massacres à base ethnique ».
Hélène DUMAS : moi je n’ai pas cette version en kinyarwanda, je n’ai pas vu ces mots.
Me BIJU-DUVAL : c’est une traduction qui est au dossier de la procédure.
Hélène DUMAS : moi je vous dis ce que j’ai vu dans les archives officielles en kinyarwanda.
Me BIJU-DUVAL : d’accord. Sur ces tentatives de pacification du 26 avril et ce document du 29 avril, il
y a un document intéressant au dossier. On a un jugement d’un tribunal rwandais rendu dans la
procédure contre Monseigneur MISAGO, qui l’acquitte intégralement. On l’accusait notamment d’avoir
participé à cette réunion de pacification (D8834). Les juridictions rwandaises savent le sens des mots et
disent « la lettre adressée à tous les bourgmestres par le préfet BUCYIBARUTA qui leur demandait de
sensibiliser la situation relativement au rétablissement de la sécurité, montre à suffisance, que ce qui y
fut débattu n’a rien de répréhensible ». Ce tribunal rend son jugement en 1999 ou 2000 et analyse ce
qu’il se passe à l’initiative du préfet Laurent BUCYIBARUTA et conclut qu’il n’y a rien à redire.
Hélène DUMAS : je ferais la même réponse que tout à l’heure : cette réunion intervient un peu tard, 5
jours après les grands massacres du 21.
Me BIJU-DUVAL : je voudrais aborder avec vous un autre sujet. Vous avez longuement étudié les
procédures Gacaca. En cote Dc54/20, vous avez dit à propos de ces procédures « il y avait une sorte de
prime à l’aveu, plus on avouait de façon circonstanciée et crédible, plus on avait une peine réduite… Ils
étaient incités à s’avouer coupable… » Est-ce que cette prime à l’aveu et la dénonciation des complices
ne risquait pas d’inciter des dénonciations mensongères ?
Hélène DUMAS : on a parlé tout à l’heure des groupes de tueurs. Vous imaginez le nombre de
personnes qui composaient ces groupes. Cela me parait logique que ces personnes dénoncent les
personnes avec qui elles étaient pendant les attaques car elles étaient très nombreuses. Dans d’autres
systèmes judiciaires, il y a aussi des primes à l’aveu, pas que pour les Gacaca. Je ne voudrais pas laisser
croire que les Gacaca étaient une forme de sous-justice, dire tout et n’importe quoi, dénoncer
n’importe qui et cette personne se retrouverait en prison. C’est un processus avec une certaine tenue.
Il y a eu des dénonciations calomnieuses c’est sûr. Il y a un procès tout de même avec une discussion
et il y a eu des acquittements.
Me BIJU-DUVAL : justement, pour éviter les généralisations, parlons d’un cas particulier. Vous
connaissez sûrement le rapport de Human Rights Watch de 2011, « Justice compromise » par A.
DESFORGES. Ce rapport dit que depuis la création des Gacaca [10], les observateurs de Human Rights
Watch ont suivi plus de 350 procès dans différentes régions, ils ont donné des centaines d’entretiens,
ce n’est pas rien. J’ai examiné ce rapport et je voudrais vous soumettre certaines constations faites
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dans ce rapport pour vous demander si vous n’avez pas fait le même type de constat. À la p. 98, « un
responsable local a déclaré à Human Rights Watch que les témoins ont peur d’être arrêtés en raison de
l’article 29, en témoignant pour la défense, vous risquez de voir vos paroles qualifiées de mensonges ».
(NDR. L’avocat énumère plusieurs exemples de dérive lors des procès Gacaca) Ma question: vous me
dites avoir observé longuement les Gacaca mais me dites que vous n’avez été témoin d’aucune dérive,
vous pouvez expliquer ?
Hélène DUMAS : je n’ai pas eu les mêmes moyens d’enquêtes que Human Rights Watch et à mon avis
ils n’ont eu accès qu’à un dixième des procès. Je rappelle qu’il y a eu près de 2 millions de personnes
jugées. Vous n’avez cité que certains passages mais vous n’avez pas cité, et je m’en étonne, des
victimes qui ont aussi été lésées par les Gacaca.
Me BIJU-DUVAL : ce que nous pointons du doigt sont les défaillances des Gacaca. J’aimerais une
réaction plus précise sur un témoin qui dit qu’une victime n’a pas été tuée par un tel homme mais par
le FPR et qu’elle a été condamnée à 20 ans, qu’en pensez-vous ?
Hélène DUMAS : il faut regarder les dates car il y a eu plusieurs lois. Il y a eu une loi contre le
négationnisme qui est passée. Encore une fois, il faut comprendre la situation globale.
Me BIJU-DUVAL : ça ne vous gêne pas de voir un homme condamné à 20 ans de prison pour avoir
dénoncé le FPR ?
Hélène DUMAS : si bien sûr.

Président : je n’ai qu’un regret, c’est qu’on ne puisse pas entendre Mme Alison DESFORGES. Mais nous
aurons l’occasion de donner lecture de certains extraits de son ouvrage.
Juge assesseur 3 : une question pour essayer de comprendre. Tous ces massacres se produisent et le
FPR avance. Au niveau du déroulement de l’attaque, à quel moment pour les décideurs de ce
génocide, ils sont informés que le FPR va gagner ? Est-ce qu’on assiste dans la documentation à un
changement de discours avec de l’euphémisation voire même du camouflage ?
Hélène DUMAS : on n’aura pas de réponse très précise avec une date exacte. Mais le fait d’avoir pris
conscience d’une défaite militaire a pu mener à une intensification des massacres (notamment dans
l’est). Il y a aussi, de la part des hautes autorités politiques à l’échelle nationale, une volonté de
redonner une image, notamment au regard des orphelinats. Il y a eu un sauvetage d’orphelinats sous
l’œil des caméras en disant que c’était grâce au gouvernement intérimaire. C’est pour vous donner une
idée.
Président : je précise que suite à l’absence du général REILAND, nous procéderons au visionnage de 3
documentaires.
*** Suspension d’audience – 12h35 ***

*** Reprise d’audience– 14h05 ***

Projection de documentaires :

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• Une République devenue folle, de Luc de Heusch, 1996
Projetée à la demande du CPCR. Problème avec la version diffusée à l’audience : il manque
quelques minutes. En voici de larges extraits accessibles sur Dailymotion :
• Rwanda’s Untold Story, de Jane Corbin, BBC 2014
• Rwanda, après le sang, l’espoir d’Alain Stanké, diffusé par Radio Canada en 2019
A noter que la version diffusée à l’audience a été expurgée des interventions de Me
Gisagara avec l’accord du réalisateur.

Me FOREMAN, à propos de Untold Story : ce documentaire a un point de vue qui est extrêmement
orienté, et c’est pour cette raison que la défense l’a choisi. Vous avez souligné, monsieur le Président,
que la justice française a décidé d’un non-lieu quant à l’accusation concernant le fait que le FPR aurait
abattu l’avion du Président HABYARIMANA. On a entendu dans ce reportage une femme qui dit
qu’elle avait 12 ans à l’époque des faits et que le FPR aurait touché à la fois les Tutsi et Hutu.
Les universitaires américains à l’origine de ce reportage n’ont jamais publié leurs travaux, à part sur
leur site web. Donc leurs chiffres de 800 000 Hutus tués et 200 000 Tutsi représentent une absence de
crédibilité totale.
Me QUINQUIS : chaque accusé devant une Cour d’assises est libre du choix de sa défense, vous
apprécieriez la teneur des propos mais il ne fait quasiment aucun doute que si une chaine de TV
française avait diffusé ce reportage, elle aurait fait l’objet d’une condamnation par une juridiction
pénale pour négationnisme.
Me GISAGARA : tout ce qu’on vient de nous dire se serait passé pendant la période qui suit le
génocide. On a affaire à des opposants politiques qui ont choisi un autre langage, il s’agit de la
question relative au génocide des Tutsi. Il ne faut pas détourner les regards. Le documentaire « Une
République devenue folle » est bien un reportage en rapport avec le procès, contrairement au second
reportage.
Avocate générale : ce second documentaire est hors-sujet, révisionniste.
Me BIJU-DUVAL : je suis assez stupéfait par cette levée de bouclier contre la défense. Stupéfait car la
défense n’est pas là pour dire si ce qui est dit dans ce reportage est vrai ou faux, elle s’est, par principe,
opposée à des reportages qui n’ont pas été vérifiés dans un cadre judiciaire, qui n’ont pas été obtenus
dans les garanties judiciaires. Mais tout comme le Ministère public et les parties civiles, la défense a
voulu diffuser des reportages de journalistes. Nous nous sommes dit « pourquoi pas ce reportage pour
apporter des éléments de réflexion » ?
Aujourd’hui, le Pr. Filip REYNTJENS est l’un des trois experts du TPIR [11]. Les premiers procès du TPIR,
dirigés contre les responsables du génocide rwandais, ont pu se tenir en grande partie grâce à cet
expert-là. Et maintenant on veut le faire passer pour un négationniste : il s’agit là d’une manipulation
politique. Ça nous ramène en arrière pendant la période de Guerre Froide car lorsqu’un individu avait
dénoncé les crimes de Staline, du goulag, on disait que c’est un suppôt de l’impérialisme américain,
c’est la même logique. Les crimes du FPR sont contestés, mais ils sont des éléments de contexte qui ne

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sont pas nuls car ils sont selon moi intéressants pour connaitre les faits en 1994. Je m’en rapporte à
Mme Alison DESFORGES et à la publication de son ouvrage en 1999. M.GUICHAOUA a dit qu’il y a un
génocide, celui des Tutsi rwandais, et plus tard des massacres caractéristiques de crimes de guerre et
de crimes contre l’humanité, qui sont imputables aux Tutsi. Je suis d’accord pour dire que la question
de l’attentat ne va pas être le sujet de notre procès. Il y a eu un non-lieu, ce qui ne veut pas dire que le
juge saisi du dossier a dit que l’attentat avait été commis par les Hutu extrémistes, ça veut juste dire
qu’il n’y avait pas de charges suffisantes.
Pourquoi ce reportage est intéressant/utile pour le procès ? On va voir défiler un grand nombre de
témoins qui viennent du RWANDA, et un certain nombre sont encore en détention au RWANDA. Ils
vont être entendus par visioconférence, mais je me pose la question de savoir dans quelles conditions
personnelles ils vont pouvoir dire sincèrement la vérité ? Il est intéressant de savoir à quel régime on
va avoir affaire au RWANDA. Je comprends que ce sont des sujets qui fâchent mais dans quelles
conditions les témoins en visioconférence vont devoir témoigner dans une prison rwandaise ? Je vous
invite à lire les rapports d’Amnesty International pour voir à quel type de gouvernement on a affaire au
RWANDA. Le RWANDA est un régime de terreur.
Me LÉVY : les propos de Maître FOREMAN sont inexacts, notamment concernant les extrémistes Hutu.
Me FOREMAN : je n’ai pas dit que la justice avait conclu à la responsabilité des extrémiste Hutu, mais
à la responsabilité du FPR. Il y a eu une expertise qui disait que le missile qui a abattu l’avion provenait
du camp de KANOMBE qui est le camp de l’armée régulière rwandaise dirigée par un extrémiste.
Pourquoi avoir projeté un film qui parle de ça ? Admettez que vos contradicteurs vous apportent une
contradiction. Les atteintes aux droits de l’Homme au Rwanda oui j’y crois mais ce n’est pas le procès.
Vous cherchez ici à discréditer la crédibilité des témoins et à attirer l’attention de la Cour.
Me GISAGARA : nous ne sommes pas au service de l’État rwandais, nous représentons des victimes
survivantes qui sont innocentes.
Me BIJU-DUVAL : Je reprendrais votre mot monsieur le Président, il faut bien voir que c’est
« complexe », et quand c’est complexe, il faut être prudent car il s’agit de la vie d’un homme qui est
poursuivi pour un crime gravissime avec une condamnation gravissime. Il existe une connaissance
importante des témoins de KIGALI, on ne peut que s’associer à cette invitation à la prudence. Le
RWANDA aujourd’hui est une dictature où on tient les gens par la terreur. Il suffit d’aller voir les
rapports d’Amnesty International notamment. Donc prudence …
Président : prudence et nuance…

Mathilde LAMBERT, stagiaire du CPCR

References
↑1

Lire également le début de son audition la veille

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↑2

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement,
ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à
1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑3

FPR : Front patriotique Rwandais

↑4

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de
2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes
suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur
bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice,
favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions
de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le
18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑5

Voir « Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de
l’attestation, Hélène Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10)

↑6

Le génocide des voisins, Hélène Dumas, 2014

↑7

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement
de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le
parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑8

Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH,
rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999

↑9

ETO : Ecole Technique Officielle.

↑10

Ibid.

↑11

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la
résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en
anglais ICTR).

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Procès BUCYIBARUTA. Lundi 16 mai 2022. J6
17/05/2022

• Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre de avril 1992 à juillet
1993.
• Audition de monsieur François-Xavier NSANZUWERA, procureur de la République à Kigali en
1994.
Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre de avril 1992 à juillet
1993.
Le témoin est invité à dérouler son curriculum vitae. Premier ministre d’avril 1992 à juillet 1993, se
sentant menacé, il quittera le Rwanda, accusé d’être corrompu et d’avoir fait une part trop importante
au FPR [1] dans les accords d’Arusha.
Dans sa jeunesse, il a fréquenté le Collège du Christ-Roi à Nyanza. Entré en politique, il s’engage au
MDR [2], « mouvement qui préconisait la sortie du parti unique et s’occupait de la promotion des masses
populaires. » Avec le multipartisme, le MDR prend beaucoup de place à Gikongoro. On débauche les
gens des autres partis (pratique du Kuhoboza). Demande est faite aux bourgmestres de garder une
certaine neutralité et de laisser les gens s’exprimer.
Questionné sur les dérives de certains politiciens, il évoque le discours de Léon MUGESERA à Kabaya:
« Ce fut un discours violent contre les Tutsi et contre moi. Je l’ai condamné et ai demandé qu’on émette
un mandat d’arrêt contre lui. » MUGESRA se réfugiera au Canada.
En octobre 1993, se produit une véritable fracture au sein du MDR. La mort de GAPIYISI marque le
tournant vers tendance PAWA (Power) [3]. Agathe UWILINGIYIMANA est nommé premier ministre par
le président du MDR, sans aucune consultation. C’est Anastase MUNYANDEKWE, leader Pawa, qui
succède à GAPIYISI à Gikongoro, lui que GUICHAOUA qualifie de « fourbe », « celui qui triche. »
Monsieur le président évoque la Commission des droits de l’Homme de 1993. « Je faisais partie de ceux
qui avaient souhaité cette commission » dira le témoin.
Concernant l’affaire de « complices », en 1990, il souligne que les arrestations sont opérées suite à de
fausses rumeurs: le FPR airait attaqué à Kigali. Certains de ces Ibyitso [4] resteront plusieurs mois en
prison.
L’auto-défense civile? Le témoin n’était pas vraiment d’accord. Il ne voulait pas mettre des populations
en état de combattre. Ce sont les autorités qui profitaient de l’état de guerre.
Le témoin est interrogé sur ce qu’il sait de Laurent BUCYIBARUTA. Il l’a connu comme sous-préfet de
Gisenyi: « Un homme sage et intègre. » » Un homme honnête et correct, très sociable, jamais exclusif ni
vindicatif. Il ne partageait pas les idées génocidaires. Il a essayé de vivre en harmonie avec tout le
monde » ajoutera-t-il un peu plus tard.
Le témoin revient au Rwanda en janvier 1994. « Je suis revenu au Rwanda car la mise en place des
accords d’Arusha ne se faisait pas. J’avais des craintes depuis septembre 1993. Je voyais le manège qui se
faisait dans le pays au sein des partis politiques. Il existait un système binaire, MRND [5] versus FPR [6].
Les partis d’opposition s’étaient fracturés. J’ai dénoncé le glissement du clan Pawa du MDR vers le
MRND. »

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L’entourage du président HABYARIMANA, son épouse, Elie SAGATWA, les camarades du 5 juillet,
Théoneste MUGEMANA prenaient de plus en plus l’ascendant. » Chaque fois que des progrès
avançaient, j’ai l’impression que ces gens faisaient tout pour que cela ne fonctionne pas. »
L’assassinat du président burundais NDADAYE le 21 octobre 1993 aura « un impact gigantesque sur le
Rwanda. » Élu démocratiquement, il devait « servir de modèle. » « Les extrémistes en ont profité pour
dénoncer le partage du pouvoir au Rwanda. » D’où la montée en puissance du mouvement Pawa.
James GASANA, ministre de la défense, accusé lui aussi d’avoir favorisé le FPR, quittera le pays à son
tour.
Monsieur le président LAVERGNE invite les parties à interroger le témoin.
Juge assesseure 1 : on a évoqué l’organisation administrative, au début de votre audition vous avez
évoqué les objectifs de votre gouvernement sur des bases, « entrer dans un État de droit ». Cela laisse
penser qu’il n’y avait pas d’État de droit. Considérez-vous lorsque vous avez exercé vos fonctions,
peut-on considérer que la RWANDA était un État de droit qui fonctionnait normalement ou une façade
?
DN : cette question en comprend beaucoup d’autres. Au niveau de son gouvernement, des
administrations de l’État, on a d’abord procédé à la réforme de l’armée et à la mise en retraite d’un
certain nombre d’officiers qui avaient dépassé l’âge et aussi qui semblaient avoir des comportements
pas toujours en adéquation avec le pouvoir démocratique et l’État de droit. Avec la mise en place de
commissions, il y a eu des mises en congé des bourgmestres.

QUESTIONS PC :

Me GRAVELIN-RODRIGUEZ : sur l’organisation administrative, vous estimez que le préfet ne pouvait
pas donner d’instructions précises, or, on peut supposer qu’entre avril et juin 1994, ce n’est pas si clair
que ça car le préfet avait un pouvoir direct sur les forces de gendarmerie et les forces armées, n’est-ce
pas ? Pas de pouvoir de donner des ordres à ses effectifs ?
DN : non, le préfet n’en avait pas les pouvoirs.

Me GISAGARA : à votre connaissance, est-ce que des préfets qui n’étaient pas du tout extrémistes et
le sont devenus avec le génocide ?
DN : non, il était à l’abris
Me GISAGARA : vous étiez menacé et donc vous avez dû fuir ?
DN : très juste
Me GISAGARA : que fuyez-vous ?
DN : mes collègues ministres
Me GISAGARA : le pouvoir vous menaçait ?
DN : à partir d’avril, les membres de l’opposition démocratique

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Me GISAGARA : vous avez la tentative de prise de pouvoir, est-ce que vous pensez qu’une personne
qui n’avait pas fait allégeance à ce régime aurait pu rester au pouvoir ?
DN : tout est possible. Je ne vois pas en quoi de telles dispositions peuvent faire avancer la Cour, avec
des suppositions pareilles, on peut avoir toutes les conclusions possibles.
Me GISAGARA : vous n’avez pas utilisé le mot génocide, reconnaissez-vous un génocide contre les
Tutsi ?
DN : Sur ma convocation, le mot « génocide » n’est pas mentionné. J’ai utilisé le mot « génocide »
quand les Nations Unies l’ont reconnu.
Me GISAGARA : Reconnaissez-vous le génocide ?
DN : il n’a pas lieu de qualifier ce qui s’est passé, les Nations Unies ont reconnu le génocide, je n’ai pas
à répondre.

Me TAPI : on a parlé de la liste des préfets, avez-vous entendu parler des idées qui ont circulé ? Au
niveau du gouvernement vous n’avez donné aucune consigne, exact ?
DN : on n’a pas discuté de ces listes.
Me TAPI : vous avez entendu des idées qui ont circulé, mais le gouvernement n’a pas été inquiété
outre mesures ?
DN : la période de mon gouvernement n’est pas dans ce dossier.
Me KARONGOZI : Comment s’appelait votre parti avant?
DN: « MDR Parmehutu ». Le développement des masses hutu n’était plus d’actualité. La démocratie
n’est pas que pour les Hutu.
Me KARONGOZI : Le président KAYIBANDA, à l’occasion des attaques de quelques Inyenzi, a déclaré
qu’on risquait de ne plus retrouver de Tutsi au Rwanda s’ils continuaient.
DN : Avec le MDR, on a progressé dans la démocratie mais il reste à faire
QUESTIONS du ministère public :
MP – CV : vous avez dit : « Je témoigne de ce que j’ai vu et vécu ». Entre avril et juin vous étiez caché,
avez-vous constaté quelque chose du comportement du préfet de GIKONGORO, Laurent
BUCYIBARUTA ?
DN : pas de contact, donc rien de constaté
MP : vous aviez dit que vous trouviez que Laurent BUCYIBARUTA de mon mandat était intégré ?
DN : un bon fonctionnaire.
MP : contact occasionnel ?
DN : en France, Laurent BUCYIBARUTA m’a contacté, il n’y a jamais eu conflit entre nous.
MP : une question de l’auto-défense civile. Il y a une idée répandue par l’armée, on vous a senti
sensible sur les questions des ministres : vous évoquez les Interahamwe [7], on voit bien que l’autodéfense civile est mise en œuvre ?
DN : ce ne sont pas encore des milices, elles n’existent pas, c’est une dérive.
MP : sur le gouvernement intérimaire, est-ce que vous connaissiez celui qui a été désigné Président de
la République ?
DN : je le connais, mais pas de relation particulière.

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MP : de nombreuses personnes du gouvernement de l’époque ont été condamnées à perpétuité,
selon-vous le gouvernement a mis en œuvre une politique génocidaire ?
DN : ce n’est pas vrai. Il s’est passé un génocide, mais le gouvernement n’a pas voulu ou pas pu
combattre suffisamment le génocide. « Pas pu ou pas su ».
MP : dans la hiérarchie administrative, le préfet est sous la tutelle du Ministère de l’intérieur, qui est
sous la tutelle du Premier ministre ?
DN : non, le Premier ministre n’est que le chef du gouvernement.
MP : le supérieur du préfet c’est le Ministre de l’intérieur, qui a été condamné pour génocide. Les
directions les plus importantes sont prises par les plus grandes instances : qui peuvent-être ces
personnes ?
DN : pas de commentaire sur ce dossier.
MP – SH : vous venez de nous expliquer que vous étiez à l’abri, question relative au déplacement du
territoire de GIKONGORO et BUTARE, quel était le rôle des visites officiels ?
DN : pour la campagne de pacification.
MP : le préfet c’est de l’administratif : signification ?
DN : c’est un fonctionnaire donc effectue les décisions des politiques.
MP : comment pouvez-vous expliquer les félicitations du préfet Laurent BUCYIBARUTA le 17 avril ?
DN : il n’y a pas de raison de les féliciter, un préfet ne fait que son travail.
MP : n’est-ce pas étrange des félicitions après le plus grand massacre, celui de KIBEHO ? Ces
félicitations sont adressées par le Premier ministre Jean KAMBANDA qui a reconnu en sa qualité avoir
incité, aidé et encouragé à commettre des massacres de Tutsi et Hutu modérés. Ils se sont rendus dans
la préfecture de GIKONGORO pour encourager les massacres. Comment interprétez-vous ces
félicitations, sachant que nous sommes 8 jours après les grands massacres ?
DN : je ne vais pas interpréter.
MP : selon vous, un préfet qui ne se conforme pas à un gouvernement pouvait être félicité ?
DN : je ne comprends pas la notion de félicitations.
QUESTIONS DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : je suis réaliste, je ne vous poserai pas de question sur la période du 7 avril au 7
juillet car vous étiez caché. Mais, il y a eu des massacres y compris à GIKONGORO, vous connaissiez
Laurent BUCYIBARUTA depuis le collège, vous l’avez eu comme préfet de votre gouvernement, est-ce
que dans votre esprit il est vraisemblable et possible qu’il ait pu délibérément contribuer à des
massacres génocidaires, d’avril à juillet ?
DN : ce que je connais de son tempérament, ce n’est pas un tueur et pas un criminel, il est du côté des
sauveurs et pas des tueurs. Il a des amis qui l’ont côtoyé pendant la période, il faisait tout pour aider
les gens.
Me BIJU-DUVAL : année 1992, vous êtes nommés Premier ministre le 3 juillet 1992. Vous adressez à
HABYARIMANA le 17 novembre 1992 un courrier qui démontre que vous êtes dans un conflit ouvert
avec la mouvance présidentielle. Vous avez des inquiétudes à son intention?
DN : dans le respect de mon mandat, j’ai essayé de concilier et de faire respecter la mise en œuvre.
Me BIJU-DUVAL : lorsque vous fuyez le RWANDA en 1993, vous avez indiqué qu’on veut intenter à
votre vie ? Qui veut cela ?

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DN : il y avait beaucoup de groupes, des gens pas contents de mon travail au sein du gouvernement
de transition, on me reprochait d’avoir mal négocié. Soupçonner ça ne sert à rien donc je ne sais pas.
Me BIJU-DUVAL : avril 1992, la direction de votre gouvernement vont nommer des préfets, pouvezvous nous indiquer si la nomination des préfets devait avoir un consensus ?
DN : la commission d’évaluation était composée de membres des différents partis politiques du
moment.
Me BIJU-DUVAL : phase de nomination des préfets, a un moment est-ce qu’il y a eu durant cette
phase une opposition manifeste à l’encontre de Laurent BUCYIBARUTA ?
DN : non car il a déjà été préfet.
Me BIJU-DUVAL : ce que vous avez voulu dire c’est que dans votre esprit, le fait de rester préfet
jusqu’en 1994 doit être considéré comme une manière d’être utile à la population menacée.
DN. Non

Audition de monsieur François-Xavier NSANZUWERA, procureur de la République à Kigali en
1994.
Le témoin, à la demande du président, fait une déposition spontanée qu’on peut résumer ainsi: » Je
connais l’affaire BUCYIBARUTA pour avoir travaillé au TPIR [8], mais je témoigne à titre personnel. En
avril 1994, il y avait des hommes aux commandes, les préfets et les bourgmestres, intermédiaires avec la
pouvoir central et la population. On ne peut pas évoquer le génocide en parlant de mouvement
spontané. Les paysans qui ont participé massivement n’étaient pas des sauvages qui auraient réagi
brutalement à la mort de leur président. Tous les responsables politiques et administratifs savaient ce qui
allait se passer. Les exécutants ont été manipulés depuis bien longtemps. »
Monsieur le président interroge le témoin sur les fonctions qu’il occupait en 1994 et sur la façon dont
il a vécu le génocide. Accusé d’avoir changé d’ethnie, il est en danger. Il pourra se réfugier à l’Hôtel des
Mille collines dès le 10 avril 1994. Il confirme que des magistrats ont participé au génocide, que
d’autres en ont été victimes. Lui-même avait été convoqué par le président HABYARIMANA pour avoir
fait arrêter deux journalistes, dont Hassan NGEZE. Tous deux seront remis en liberté le lendemain suite
aux pressions de l’ambassadeur des USA.
Un texte de 1974 définit les pouvoirs du préfet:
1) il est le dépositaire de l’autorité de l’État.
2) il dépend du ministre de l’Intérieur.
3) il est chef des chefs de service de l’État dans sa préfecture
4) il est l’homme le plus puissant de la préfecture.
5) il est la seule personne à pouvoir réquisitionner les gendarmes.

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6) il a autorité sur les bourgmestres nommés par le président de la République.
Pour le témoin, la campagne de pacification a eu pour but d’attiser les massacres. Si le premier
ministre avait appelé à l’arrêt des tueries, ces dernières auraient cessé.
Lors de la visite du président SINDIKUBWABO [9] à Gikongoro, Laurent BUCYIBARUTA aurait justifié les
massacres par le fait que les gens étaient en colère après la mort de HABYARIMANA, qu’ils avaient
peur de l’arrivée du FPR et que régnait une situation de famine. Façon de nier le génocide.
Sur question du président, le témoin précise que chaque préfecture possédait sa prison, le directeur
dépendant du ministère de la justice. Il ne fait pas de doute que le préfet était au courant de tout ce
qui se passait dans sa préfecture. Le préfet pouvait demander au directeur de la prison de mettre les
détenus à sa disposition, pour enterrer les victimes par exemple. Même si la police municipale
dépendait des bourgmestres, le préfet avait aussi le pouvoir de réquisitionner ses membres. Si le préfet
ne peut pas démettre un bourgmestre, il peut toutefois demander sa révocation.
Un préfet pouvait-il s’opposer aux décisions venues d’en haut? Une autorité pouvait refuser d’obéir, en
prenant des risques, bien sûr. Ce fut le cas des deux préfets assassinés: G. RUZINDANA à Kibungo et
J.B. HABYARIMANA à Butare. Mais une autorité pouvait aussi sauver des gens. » Un préfet aurait pu
protéger les gens. Les gens de pouvoir ne mettaient pas forcément leur vie en jeu en en sauvant
d’autres. »
La crédibilité qu’on peut faire aux témoins? » Que des témoins mentent, ça existe partout. Ce n’est pas
propre aux Rwandais. Des questions culturelles pourraient laissé entendre que des témoins ne disent pas
la vérité (ne pas regarder son interlocuteur dans les yeux par exemple). Mais tous les témoins ne sont pas
des menteurs. Une Rwandaise qu’on a violée dira: « On m’a épousée« .
Protéger serait un acte d’héroïsme? questionne une assesseur. « Un acte de courage et d’humanité, oui.
Il y avait des choix à faire. Des responsables administratifs ont laissé faire, ils auraient pu s’opposer aux
massacres. »
Les parties sont invitées à poser à leur tour des questions au témoin.
QUESTIONS des Parties civiles :
Me PARUELLE : vous avez un rôle particulier en raison de votre travail de magistrat. Je voudrais que
vous m’indiquiez à titre personnel ce que vous pensez des paroles du Pr. GUICHAOUA qui nous a
expliqué que « c’est la conjonction entre les extrémistes Hutu et la reprise des hostilités du FPR … » qui
a déclenché le génocide, en considérant que le génocide a été spontané. Le génocide a été préparé ou
non selon vous ?
FXN : j’ai dit au début à la Cour que j’ai beaucoup de respect pour le Pr. GUICHAOUA mais s’il a
vraiment dit ça, je ne partage pas ça. Quand le 7 avril les massacres commencent, je vois depuis ma
résidence officielle les Interahamwe déterrer des fusils dans des plastiques qui se trouvaient dans un
marais. Le 7 avril je vois des gendarmes et Interahamwe rentraient dans des maisons dans la colline en
face de moi. Là n’habitaient pas des politiciens mais des fonctionnaires ordinaires. Sur ma colline
GITARAMA, KIGARO, les massacres commencent le 9. Dès le début, je sais qu’à KIGALI on se focalise
plus sur les personnalités politiques importantes. De partout dans le pays, des massacres commencent

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le 7 avril. C’est pour ça que ceux qui disent que le génocide des Tutsi était spontané, c’est trop simple.
Ce qui a été fait était un acte sauvage. Un génocide c’est toujours un appareil étatique qui participe à
l’exécution. Le 7 avril, des éléments de la gendarmerie, de l’armée, des Interahamwe et des paysans
extrémistes participent aux massacres, ce n’est pas spontané. Je dis toujours que l’attentat contre
HABYARIMANA est un élément déclencheur, pas la cause.
Me PARUELLE : vous êtes procureur à KIGALI, vous entendez parler de personnes qui devraient
disparaître ? Il existait à KIGALI des listes de personnes qui devaient disparaitre ?
FXN : il y a une liste qui n’a pas circulé dans plusieurs endroits, c’est une liste retrouvée dans la voiture
du chef de l’EMA qui a eu un accident et le chef de gendarmerie a trouvé cette liste. On dit toujours
qu’elle est incomplète, que les premiers noms manquaient. Que les gendarmeries faisaient des listes,
c’était de notoriété publique. Les listes se faisaient dans les quartiers, on le savait. Les militaires se
vantaient un jour de donner une leçon aux Tutsi. Ils avaient des listes, ils savaient dans quelle maison
aller.
Me PARUELLE : que pensez-vous, à titre personnel, des gacaca ?
Président : Maître, nous pourrions passer des jours sur cette question.
FXN : au début on parlait d’amnistie. Les Gacaca sont un juste équilibre que le RWANDA a trouvé pour
compenser le génocide. Elles n’ont pas été 100% parfaites mais je pense que c’était le bon choix.
Comme il est dit « Ton voisin sera ton juge, ton voisin sera ton procureur, ton voisin sera ton avocat ».

Me GISAGARA : est-ce que dans vos travaux, vous avez rencontré des cas de personnes qui, avant le
génocide, n’avaient jamais fait parler d’eux, notamment pour de l’extrémisme, mais au moment du
génocide se sont rangés du côté des génocidaires ?
FXN : c’est évident.

Me FOREMAN : j’ai une question sur les milices. Existe-t-il une étanchéité entre l’organisation de ces
milices et la machine étatique ou alors il y a-t-il une porosité ? Je pense notamment aussi au concept
de défense civile.
FXN : à ma connaissance, la seule milice en 1994 sont les Interahamwe du MRND et celle de la CDR.
Ces 2 milites étaient affiliées à un parti politique. Elles avaient une organisation distincte mais un
bourgmestre MRND dans une commune avec une milice Interahamwe, il était automatiquement chef
de cette milice même s’il bénéficiait d’autres personnes sous ses ordres. Au moins de mai, il n’y a plus
de distinction entre les milices Interahamwe, du CDR. La défense civile c’est quoi ? Une politique
d’amener les simples citoyens, les réservistes, mobiliser ce monde-là pour leur participation au
génocide. C’est une façon de faire participer le + grand nombre de citoyens au programme du
génocide.

Me KARONGOSI : vous avez parlé de l’organisation du génocide et de la hiérarchie dans laquelle
faisait partie le préfet en tant que représentant du Président à l’échelle de la préfecture. Peut-on

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imaginer que la distribution des armes au sein des communes via les policiers communaux, on peut
imaginer que la distribution des armes pouvait se faire sans l’aval du préfet ?
FXN : la distribution des armes avait commencé avant le début du génocide. La distribution des armes
ne pouvait pas se faire sans l’aval du préfet, c’est impossible.
QUESTIONS du ministère public :
Ministère Public (rappelle les articles 37 à 40 du décret-loi sur les pouvoirs du Préfet : quand on parle
des autorités administratives dans ce décret-loi, on parle bien des préfets ?
FXN : oui tout à fait.
MP : est-ce qu’on peut considérer qu’il est possible pour un préfet de dire qu’une fois qu’il a fait la
réquisition des gendarmes, cela ne le regarde plus sur l’exécution de la mission.
FXN : non car comme le dit le décret-loi, il y a un contact étroit et permanent entre le préfet qui
réquisitionne et les gendarmes qui exécutent la mission. Car c’est le préfet qui explique la mission pour
laquelle il a réquisitionné les gendarmes. Cette situation que vous invoquez est impossible. Le préfet
devait suivre les gendarmes dans cette mission.
MP : je voudrais que vous confirmiez que le texte dont vous parliez tout à l’heure avec les 3 raisons
expliquant la raison des massacres dans la préfecture de GIKONGORO sont bien ceux-là – D9428. Le
28 avril, Laurent BUCYIBARUTA explique la même chose – D8278. ON remarque l’absence totale de
mention aux massacres de Tutsi : on parle de troubles ou troubles ethniques. Mme Dumas parlait
d’euphémisme dans l’utilisation de ces termes.
FXN : je pense que je l’expliquais à la Cour tout à l’heure. SINDIKUBWABO, lors de sa visite, demande
aux Tutsi réfugiés de rentrer chez eux en sachant pertinemment que leurs maisons ont été détruites. Et
le préfet de réagit pas. Ces personnes-là n’ont pas ce langages-là, c’est toujours un langage fin, raffiné.
MP : donc vous dites que M. Laurent BUCYIBARUTA utilisait le langage du gouvernement ?
FXN : il a une longue carrière, c’est quelqu’un de très respectable, il ne peut pas se permettre
d’envoyer un message comme ça. Il savait ce qu’il disait.
MP – SH : une question sur le conseil préfectoral de sécurité, dirigé par le préfet. Vous avez
indiqué D10794/21 « avec la guerre, cet organe remplaçait presque les pouvoirs judiciaires… ».
Concrètement, au cours de ces conseils préfectoraux, le préfet pouvait donner des instructions en
raison des informations que les autres chefs de services lui transmettaient ?
FXN : c’est quelqu’un qui décidait des personnes à arrêter.
MP : je voudrais vous lire un extrait d’Aucun témoin ne doit survivre – D 1724 « Pendant ce temps, le
préfet (Fidèle UWIZEYE)… ». L’exemple du préfet Fidèle UWIZEYE montre que le préfet disposait du
choix ou non de réunir ce conseil pour tenter de faire arrêter les massacres ?
FXN : oui vous avez tout à fait raison
MP : vous considérez que le choix du préfet Fidèle de fuir, montre la possibilité de fuir. Notamment
pour Laurent BUCYIBARUTA, préfet de GIKONGORO, qui se situe près de la frontière ?
FXN : Oui, il y a toujours un choix.
QUESTIONS de la défense :
Me BIJU-DUVAL : vous pourriez indiquer sur la période du 7 avril au 17 juillet 1994. On a compris
que vous vous réfugiez grâce au Pr. GUICHAOUA mais après je n’ai pas bien compris.
FXN : le 10 mai je rejoins les Mille Collines et le 3 mai, il y a une tentative d’évacuation par des pays
comme la France et la Belgique. Mais elle n’a pas eu lieu à cause des Interahamwe. J’attends le 28 mai
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quand il y a eu des négociations pour que les personnes réfugiées dans les zones-refuges de KIGALI
pouvaient aller dans les zones où elles voulaient. Je reste là jusqu’à la prise de KIGALI pour le FPR.
Me BIJU-DUVAL : du 10 avril au 28 mai, vous êtes à l’hôtel des Mille Collines et à partir du 28 mai,
vous êtes dans la zone libérée par le FPR à KABUGA, dans KIGALI-RURAL.
FXN : oui
Me BIJU-DUVAL : je souligne cela pour qu’on différencie bien ce dont vous avez été témoin et ce
dont vous parlez en tant que témoin. Vous avez beaucoup parlé de l’administration au RWANDA. Vous
avez bien compris qu’on a beaucoup parlé de ce que M. Laurent BUCYIBARUTA a pu faire, n’a pas pu
faire, aurait pu faire en cette période de trouble, du génocide. Le préfet n’est pas le seul à pouvoir
requérir le concours des gendarmes. Je fais référence à D10690 – instruction ministérielle de 1998,
Chap. 20, article 15. Ce texte-là était en vigueur en avril 1994. En ce qui concerne le pouvoir de
réquisition, il n’y a aucun doute sur le fait que le préfet dispose de ce pouvoir, c’est prévu par l’article
11 du décret-loi de 1975. Une précision sur ceux sur qui ils exercent son pouvoir. Les articles 41 et s.
du même décret précisent que cela ne concerne pas les forces armées et autres services de sécurité,
on est d’accord ?
FXN : oui on est d’accord.
Me BIJU-DUVAL : il avait une autorité sur vous. Parlons de KIGALI puisque vous êtes procureur à
KIGALI. Le préfet de KIGALI n’avait pas de pouvoir officiel sur le préfet de KIGALI, votre chef
hiérarchique est bien le Procureur général puis le Ministère de la Justice ?
FXN : dans les textes car si le Préfet me dit qu’il y a des troubles et que je dois y aller, j’y vais.
Me BIJU-DUVAL : il vous informe des troubles, des malfaiteurs commettent des troubles, vols, pillages
et vous interveniez pour mettre en jeu l’action publique ?
FXN : dans une situation normale, moi-même je n’ai pas besoin de force publique ou alors les policiers
me suffisent pour procéder à une arrestation, surtout avant le génocide. Mais mois quand les
gendarmes refusaient de m’obéir, ça m’est arrivé.
Me BIJU-DUVAL : vous avez le pouvoir de requérir la gendarmerie par exemple, pour exercer vos
fonctions de procureurs. Et voilà. Normalement ça se passe bien sauf quand les gendarmes sauf de
vous obéir ?
FXN : il faut donc bien distinguer entre les textes et la pratique comme vous le prouvez.
Me BIJU-DUVAL : je reviens à la question de la réquisition et ce texte décret-loi prévoyant la création
de la gendarmerie – D10587 et son article 35 prévoit les OP nécessaires à l’exécution des réquisitions.
Explique la répartition des tâches entre gendarmes et autorités.
FXN : Maître, il faut lire cet article en prenant des articles de manière individuelle, il faut aller dans le
sens du texte.
Me BIJU-DUVAL : donc chacun à sa place.
Me BIJU-DUVAL : nous sommes d’accord que les seules sanctions que peut prendre un préfet sont le
blâme, suspension et retenue sur indemnités ; la révocation n’est possible que par le Président :
D10691/2 – article 41 et suivants.
FXN : si vous le dites…
Me BIJU-DUVAL : peut-on dire que la situation, à partir du 7 avril 1994, est bouleversée, vous-même
en êtes l’exemple-même. Le génocide crée une situation relativement nouvelle qui entraine des
changements.
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FXN : je ne suis pas d’accord. Nous ne sommes justement pas dans une situation normale. Ces textes
s’appliquent dans une situation de troubles publics, ce n’est pas le cas ici. Je ne suis pas d’accord, ce
sont des textes qui s’appliquent dans une période normale. Ma 2e réaction, depuis 1990, où il y a des
violations massives de DH, nous magistrats sommes ciblés car on s’oppose à des préfets, des
commandants d’unité, à des commandants de gendarmerie. D’autres magistrats ont participé au
génocide, d’autres ont été tués donc il y avait un choix. Vous avez dit « Chacun à sa place », non. Si je
mets en commun vos citations et celles de l’AG, chacune se complète. Ils travaillent ensemble sur place
préfet et gendarmerie. Dans ces moments-là, la place des préfets, des bourgmestres n’étaient pas dans
un bureau mais sur les collines.
Me BIJU-DUVAL : à cette période dans la préfecture de GIKONGORO, nous l’aborderons, dès le 7 avril
il y a des tueries, les victimes de ces tueries et leurs familles se réfugient dans certains lieux comme les
églises. Ces lieux doivent être protégés, on ne peut pas ignorer effectivement les risques. Qu’ils
encourent. Quand le préfet prend des réquisitions auprès de la gendarmerie pour demander la
protection de ces lieux, fait-il son travail ?
FXN : si les gendarmes réquisitionnés protègent.
Me BIJU-DUVAL : non non, les Tutsi fuyant les tueries se réfugient dans certains lieux. Le préfet est
informé de ces lieux de rassemblement et donc il est informé de ce que ces lieux sont exposés aux
attaques. Quand le préfet demande au commandement de gendarmerie de prendre les mesures
nécessaires selon ce qu’il appréciera, pour protéger ces lieux, le préfet fait-il son travail ?
FXN : c’est un peu biaisé car le préfet qui demande à la gendarmerie de protéger ces personnes, estce qu’il vérifie si effectivement ils font leur travail. Dans la préfecture de GIKONGORO, les personnes
réfugiées au diocèse de GIKONGORO, ce sont le capitaine SEBUHURA, un autre bourgmestre qui
conduisent eux-mêmes les personnes à l’ETO de MURAMBI. Vous voulez me dire que parce que le
préfet a conduit les réfugiés alors il fait son travail ?
Me BIJU-DUVAL : il ne commande pas cette gendarmerie – Circulaire « il ne doit aucun cas s’immiscer
dans le commandement »
FXN : il ne s’immisce pas mais il s’assure que la mission pour laquelle il les a réquisitionnés soit
assurée.
Me BIJU-DUVAL : certains gendarmes n’exécutent pas les ordres mais participent aux massacres.
Quels sont les moyens à sa disposition pour protéger les réfugiés.
FXN : si on parle de cas concret de GIKONGORO. Le commandant de gendarmerie de GIKONGORO,
BIZIMUNGU, il ne participe pas au génocide. Ce n’est pas tout le monde qui participe. S’il y a des
éléments de la gendarmerie qui participent, ce n’est pas tout le monde.
Me BIJU-DUVAL : on sait que le major BIZIMUNGU a été en quelque sorte évincé par le capitaine
SEBUHURA qui a eu un comportement très cruel.
FXN : les informations que j’ai lues, notamment dans l’affaire SIMBA, le major Christophe ne participait
pas. Au contraire, dans SIMBA, il a été dit que Laurent BUCYIBARUTA, SEBUHURA et un bourgmestre
faisait partie d’une entreprise criminelle commune.
Me BIJU-DUVAL : mais qui n’a pas jugé M. Laurent BUCYIBARUTA et je ne sois pas certain que le
raisonnement que vous avancez soit celui retenu par les juges. Autre point, sur la réunion du 16 avril,
les 2 préfets appellent à l’arrêt des tueries. Nous avons évoqué également des extraits de radio qui
rendraient compte de messages diffusés le 29 avril sur Radio Rwanda, donc du gouvernement du
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génocide. C’est un journaliste qui transmet ce message. Je voudrais revenir sur ce message car on vous
a cité quelques passages mais d’autres sont importants. Je me suis trompé dans les dates, c’est à la
suite de la visite du Président SINDIKUBWABO que ce message est diffusé. Des extraits lus laissent
penser que le préfet Laurent BUCYIBARUTA approuverait le génocide – D10523/6 « Nous vous avons
demandé que de la cellule jusqu’au niveau de la préfecture … »
FXN : je connais ce que vous citez. On demande que le citoyen soit le gardien de son voisin.
Me BIJU-DUVAL : non je parle de la citation où le préfet Laurent BUCYIBARUTA demande plus de
gendarmes et le Président SINDIKUBWABO refuse. Quelle est votre réaction sur ce passage-là?
FXN : c’est ça la complexité de la période, cette ambiguïté-là. Les gens qui reçoivent ce message
comprennent. Je redis que le préfet Laurent BUCYIBARUTA est préfet de longue date, il sait ce qu’il dit.
Me BIJU-DUVAL : ce n’est pas ce que je vous ai demandé.
FXN : . Il n’avait pas besoin de gendarmes supplémentaires, il devait dire à la population de ne pas
tuer.
Me BIJU-DUVAL : je vais vous soumettre un 2e extrait du même message – D10603/6 – « Vous avez
évoqué le problème des réfugiés… ». Voilà un nouveau désaccord. Laurent BUCYIBARUTA dit que le
réfugié doit rester dans un lieu de refuge gardé par des gendarmes, il ne faut pas vider ces lieux.
FXN : je dis que c’est un jeu très cynique. On a détruit les maisons de ces gens. On dit qu’il faut rentrer
chez eux mais ils n’ont pas de chez eux. C’est du cynisme.
Me BIJU-DUVAL : oui mais c’est le cynisme du Président SINDIKUBWABO et le préfet exprime son
désaccord.
FXN : c’est le même cynisme : il justifie l’assassinat des Tutsi quand il explique les massacres dans sa
préfecture. C’est ça le cynisme des gens de cette époque : le double-langage, on ne dit pas trop, c’est
ça le cynisme. Ce discours et la réponse du préfet est dans le même sens.
Me BIJU-DUVAL : je constate surtout que ce sont des discours opposés. Vous nous avez parlé du
colonel RUZATSIRA, très respecté au RWANDA. Il va réussir, de temps en temps quand l’occasion se
présente, sauver des Tutsi ici et là. C’est ça sa façon de donner à ce qu’il peut pendant le génocide.
FXN : non ce n’est pas ça. Il est commandant des forces militaires et il sauve les gens qu’il connait avec
sa garde personnelle. Il n’est pas commandant d’unité malgré ça il parvient à sauver les gens qui lui
demandent secours.
Me BIJU-DUVAL : le préfet Laurent BUCYIBARUTA n’a pas de garde personnelle.
FXN : à son niveau il a sa population, ses administrés. Est-ce qu’il a besoin de gendarmes quand il a
ses administrés ?
Me BIJU-DUVAL : ça me ramène au communiqué commun du 16 avril 1994 signé par HABYARIMANA
et BUCYIBARUTA : tous les 2 appellent à la cessation des tueries. Ils le disent ça.
FXN : les 2 signent ce communiqué. HABYARIMANA est tué, il y a des changements de préfets en mai.
Me BIJU-DUVAL : le 17 avril, cette réunion des ministres où on démet les préfets et certains son
maintenus. Le préfet Laurent BUCYIBARUTA est maintenu, de même que celui de GITARAMA, dont il
est pourtant de notoriété publique qu’il a beaucoup aidé pendant ce génocide.
FXN : à GIKONGORO, 6 communes sur 13 avaient déjà commis des massacres. Dans GITARAMA, il n’y
avait pas encore eu de massacres comme cela. Je dis que dans GITARAMA, il y a moins de massacres. Il
y a des bourgmestres qui ont résisté.
Me BIJU-DUVAL : il n’y en a combien ?
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FXN : beaucoup de bourgmestres ont résisté, il y a beaucoup de résistance dans cette préfecture
Me BIJU-DUVAL : beaucoup de tueries aussi
FXN : je ne sais pas si vous savez mais GIKONGORO a une longue histoire avec les tueries depuis de
longue date (NDR. En 1963/1964, plus de 20 000 morts. Evénements auxquels on a donné le nom de
« petit génocide de Gilongoro ». Bertrand RUSSEL.)
Vu l’heure tardive, monsieur BUCYIBARUTA souhaite qu’on arrête les débats. Monsieur François GRANER,
de SURVIE, ne pourra être entendu. Son audition est reportée au jeudi 30 juin à 9h30.
Mathilde LAMBERT et Jade FRICHIT
Alain GAUTHIER

Lire également sur afrikarabia.com:
L’ancien procureur de Kigali : « la théorie du génocide spontané est fausse et pernicieuse »

References
↑1

FPR : Front patriotique Rwandais

↑2

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑3

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie
des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se
sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRNDPOWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑4

Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. « Glossaire« .

↑5

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑6

Ibid.

↑7

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑8

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑9

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

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Procès BUCYIBARUTA. Mardi 17 mai 2022. J7
18/05/2022

• Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre de avril 1992 à juillet
1993.
• Audition de monsieur Callixte GATETE, rescapé, factotum à l’usine de thé de Mata.
• Audition de monsieur Valens BUTERA, rescapé, partie civile. En visioconférence depuis le
Rwanda.
• Audition de monsieur Protais UWIMANA, rescapé.

L’église de Kibeho aujourd’hui
En ce mardi 17 mai, nous commençons à entendre les témoins du génocide perpétré contre les Tutsi à
Kibeho, à l’église et aux alentours entre le 11 et le 15 avril 1994.

Audition de monsieur Théoneste BICAMUMPAKA. En visioconférence depuis le Rwanda. Le
témoin a été condamné pour génocide par les Gacaca.
» Ce que j’ai à dire à la Cour, c’est que j’ai été condamné pour les faits que j’ai commis en 1994. Ce sont
les mêmes faits pour lesquels Laurent BUCYIBARUTA est jugé. En 1994, j’étais agriculteur et je travaillais
à l’usine de thé de Mata comme cueilleur. Le directeur de l’usine s’appelait NDABARINZE.
Je connaissais aussi l’agronome, Innocent BAKUNDUKIZE. C’est lui qui sera nommé bourgmestre de
Mubuga après la mort de NYIRIDANDI, tué par les gendarmes. Laurent BUCYIBARUTA a présidé la
cérémonie d’investiture. »
Sur question de monsieur le président, le témoin rapporte que, avant le génocide, des groupes de
jeunes étaient entraînés au maniement des armes dans un camp militaire nouvellement installé tout
près de l’usine. Il ajoute, sans que cela ait un lien avec la question: « Ce que je sais, c’est que, lors de la
réunion organisée par le préfet Laurent BUCYIBARUTA, ce dernier aurait dit que des étrangers allaient
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venir les interroger. Il fallait leur dire que ceux dont les maisons avaient été incendiées avaient fui. Et
d’ajouter qu’en 1994, ce sont « les Tutsi qui ont été tués. » Il était lui-même Hutu.
Le témoin signale des attaques de gendarmes venus de Gikongoro aidés par les policiers communaux
de Mubuga. De son côté, la population hutu traquait les Tutsi et les tuait. Ces derniers avaient rejoint
l’église de Kibeho après l’incendie de leurs maisons.
Le témoin n’a pas vu le sous-préfet Damien BINIGA, mais il a vu le bourgmestre de Rwamiko, Silas
MUGERANGABO. Quant à Charles NYIRIDANDI, il sera tué par les gendarmes à la mi-mai pour n’avoir
pas participé aux massacres selon Théoneste BICAMUMPAKA.
Le président lit les déclarations que le témoin a faites devant les enquêteurs du TPIR [1]. Ce dernier
confirme la plupart de ses propos, sauf la date concernant la mort de NYIRIDANDI qu’il situe avant
l’attaque de l’église!
Concernant les attaques, le témoin précise que les armes à feu étaient aux mains des gendarmes et
des policiers communaux. La population avait des armes traditionnelles: machettes, gourdins, bâtons…
Il y avait de très nombreux attaquants et beaucoup de réfugiés, hommes, femmes, enfants qui seront
tous tués.
Pourquoi a-t-on tué des enfants? « A cause des mauvaises autorités, des ordres reçus » dira le témoin.
Quant aux viols, il ne les reconnaît pas.
L’église paroissiale de Kibeho a été brûlée, pas l’église des apparitions qui sera construite après doit-il
préciser. Quant au nombre de victimes, difficile de les évaluer: 40 000? « Nos voisins tutsi sont morts
là. » « Bien sûr que les gens ne méritaient pas de mourir: « les dirigeants devraient répondre de ces
crimes. »

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Toiture incendiée de l’église de Kibeho.
Le témoin déclare que Laurent BUCYIBARUTA aurait envoyé un bulldozer pour ensevelir les morts. Le
préfet, lors des questions, aura l’occasion de dire que ce n’est pas vrai.
Des pillages sur les cadavres? Le témoin n’en a pas été témoin. « Les tueurs se sont rétribués euxmêmes en volant les vaches et autres biens. »
Sur question d’un assesseur, le témoin précise qu’on n’a pas utilisé d’engin de chantier pour détruire
l’église. (NDR. Des trous avaient été creusés dans les murs à l’aide de grenades, ce qui permettait de tuer
à l’intérieur ou de mette le feu. Des photos seront projetées à l’occasion de l’audition du dernier témoin.)

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Au bas des murs de l’église, traces des trous laissés par les explosions de grenades des assaillants.
« Les responsables devraient répondre de leurs actes, avez-vous », questionne maître GISAGARA. »
Vous pouvez expliquer? » Réponse lapidaire du témoin; » La population a été manipulée. »
Maître LEVY, de la défense voudrait savoir comment le témoin a pu entendre les propos échangés
entre l’abbé NGOGA et BINIGA. « Où étiez-vous pour les entendre? » « J’étais sur place, j’ai tout entendu
moi-même » répond le témoin. Et de confirmer que BINIGA était bien le meneur de cette attaque.
Le témoin termine son audition en précisant qu’il a lui-même été arrêté à son retour d’exil trois ans
après la fin du génocide.

Audition de monsieur Callixte GATETE, rescapé, fac- totum à l’usine de thé de Mata.
Le témoin est employé à l’usine de thé de Mata. Il nomme les mêmes personnes que le témoin
précédent concernant les « grands noms » de l’usine. C’est bien le directeur de l’usine qui était à
l’initiative de l’entraînement des jeunes du MRND [2]. Un militaire encadrait ces Interahamwe [3].
Aloys SIMBA [4]? Il en a simplement entendu parler. Quant aux autorités locales, elles encourageaient
les gens à tuer. En particulier le bourgmestre de Rwamiko, Silas MUGERANGABO. Le témoin a vu ce
dernier venir animer une réunion à la cantine de l’usine. Le bourgmestre de Mubuga [5], il le connaissait
aussi de nom. BINIGA [6] participait lui aussi aux réunions mais il ne l’a pas vu dans les attaques.
En 1994, le témoin était célibataire et quand les massacres ont commencé, il a fui à Kibeho avec sa
famille, tout le monde disant qu’on ne pouvait pas tuer dans l’église (NDR. Allusion aux massacres des
années 60) Avant les attaques de l’église, ils se sont défendus à Rwamiko. A l’église, il évalue à 20 000
le nombre des réfugiés, hommes, femmes, enfants, vieillards. Il y avait des gens partout, dans l’église et
en dehors, au presbytère et dans les classes. Le prêtre de la paroisse encourageait les gens à fuir vers
Butare. On apprendra, lors d’une autre audition, que l’abbé NGOGA serait tué dans sa fuite.

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Les attaques de l’église ont duré trois jours. Le directeur de l’usine est venu avec des Interahamwe [7],
mais il n’est pas resté. C’est à la troisième attaque que les gendarmes sont arrivés. Les réfugiés, quant à
eux, se sont défendus à l’aide de pierres.
Le témoin a perdu plusieurs membres de sa famille dont sa sœur et ses cinq enfants. Quant aux viols,
lui non plus n’en parle pas. Il précise simplement: « Il y avait une telle violence que les tueurs n’avaient
pas le temps de violer« !
Les attaquants ont mis le feu à l’église en utilisant de l’essence qui servait à enflammer des branches
aux portes de l’église. Parce qu’ils n’ont pas pu allumer des feux à toutes les portes, des réfugiés ont
pu s’enfuir. C’est le cas du témoin qui a fui vers Karama avec ses parents, dans la préfecture de Butare.
Des massacres seront perpétrés là aussi.
S’il a signalé la présence de militaire dans une de ses déposition, c’est tout simplement qu’il en a vu
sur la route lors de sa fuite vers le Burundi. Il ne peut certifier qu’ils se rendaient à Karama. Ils étaient
conduits par Callixte NDAYISABA. Le témoin restera au Burundi jusqu’en juillet.
A la fin de sa déposition, le témoin souhaite ajouter: » Je connaissais Laurent BUCYIBARUTA comme
préfet de Gikongoro. Il a trahi les Rwandais. Il n’a pas été un soutien pour les personnes qui étaient sous
son autorité. Je souhaite que Laurent BUCYIBARUTA rentre au Rwanda pour demander pardon aux
Rwandais. Avec ce qu’on a vécu, on garde des traumatismes mais j’ai choisi de me reconstruire. Les
tueurs, je les vois de temps en temps. Ils ont demandé pardon lors des Gacaca [8]. Ce qui me fait de la
peine, ce sont ceux qui nient le génocide et qui n’ont jamais demandé pardon. »

Audition de monsieur Valens BUTERA, rescapé, partie civile. En visioconférence depuis le
Rwanda.
Maître FOREMAN précise à monsieur le président que le témoin est aussi partie civile.
Le témoin commence par évoquer les attaques subies à Kibeho. Le 12 avril, au cours de laquelle
certains réfugiés sont morts. Puis lorsque les tueurs sont revenus les 13 et 14 avril. « C’est ces jours-là
que ma famille a été décimée. J’étais marié, j’avais sept enfants. Tous ont été tués. »
Valens BUTERA travaillait comme contremaître à l’usine de thé de Mata. C’est bien le directeur, Juvénal
NDABARINZE qui organisait des entraînements en vue de tuer les employés de l’usine. Ce dernier était
un extrémiste, tendance Pawa [9]. Il en était de même pour Innocent BAKUNDUKIZE, qui sera nommé
bourgmestre de Mubuga un peu plus tard. Les entraînements se faisaient à Nyamyumba, dans un
camp militaire. Il s’agissait d’un camp nouvellement installé dont les militaires avaient été envoyés soidisant pour assurer la sécurité. Des entraînements se déroulaient aussi à Mata.
Les gens qui suivaient les entraînements étaient exclusivement des Hutu du MRND [10], de la
CDR [11] ou du MDR [12]. Tous ont adhéré à la tendance Pawa. C’était des Interahamwe [13].
Les militaires venaient de Butare et de Gikongoro. Les gendarmes ne sont arrivés qu’au moment du
génocide. Quant aux armes livrées aux tueurs, le directeur de l’usine en a livré. Ce dernier faisait partie
de l’Akazu [14], ou en était en tout cas un proche. Il venait du Nord et avait été nommé là pour agir le
génocide venu.

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Quant à BAKUNDUKIZE Innocent, il le connaissait bien, c’était son voisin. Directeur adjoint de l’usine
avant le génocide, il participait aux réunions et est un des responsables des attaques à l’église de
Kibeho.
Avant le génocide, des attaques ont été perpétrées à Cyafurwe. Les Tutsi ont été battus et ils ont dû
fuir quand on a brûlé leurs maisons. Ces événements se sont déroulés dès le mois de mars 1994. C’est
le bourgmestre de Rwamiko, qui les a organisées.
En 2001, lors d’une audition, le témoin avait mentionné des entraînements organisés en août 1993.
Une réunion avait été organisée sur le terrain de volley-ball de l’usine. Le président lit la déposition du
témoin devant le TPIR en mai 2001:
» J’ai participé à la dite réunion au cours de laquelle NDABARINZE et Sila MUGERAMGABO ont pris la
parole. NDABARINZE atout d’abord fustigé les Tutsi qu’il a rendus responsables de ce qui s’était passé
dans la cellule de Cyafurwe. Il a dit que les Tutsi ont planifié de tuer les Hutu, mais que les Hutu avaient
le droit de se défendre. Nous avons essayé d’expliquer à NDABARINZE que nous étions victimes de
l’attaque lancée par les Hutu et que nous avions besoin de protection. NDABARINZE a tout simplement
rejeté nos doléances et a dit que la prochaine fois nous devrions assurer notre propre sécurité. »
Le témoin confirme ces propos.
Monsieur le président continuera à lire de nombreux autres extraits de la déposition du témoin qui ne
fera que confirmer tous ces propos. Ces extraits concernent le récit des attaques du 7 avril, du 11 avril,
des 12 et 14 avril.
Il serait trop long de citer ces extraits in-extenso. Ils soulignent la grande responsabilités des autorités
de l’usine dans l’organisation des massacres à Kibeho.
L’usine sera fermée pendant deux jours mais les ouvriers hutu reviendront progressivement. Les Tutsi
qui ont tenté le même retour ont été tués. Le témoin ira consulter son voisin BAKUNDUKIZE qui lui
conseillera de ne pas retourner au travail.
Lorsque le témoin arrive à la paroisse, les classes sont pleines de réfugiés, ainsi que l’église, le
presbytère et les alentours. ils n’ont rien à manger, rien à boire: » Si on allait puiser, on nous
chassait. Un prêtre nous a accueillis mais il n’avait pas assez de nourriture. »
Concernant l’attaque du 14 avril, des renforts sont amenés de plusieurs communes. Tous les grands
responsables dont on a déjà parlé sont là.
Le témoin n’a pas vu Laurent BUCYIBARUTA sur place. Il l’avait vu lors de visites qu’il rendait au
directeur de l’usine. « Je l’ai vu au moins trois fois à l’approche du génocide. » Ce que le préfet
contestera lorsqu’on lui demandera de commenter les témoignages qu’il a entendus dans la journée.
Lors d’une réunion à la commune de Mubuga, en février 1994, le témoin aurait entendu Laurent
BUCYIBARUTA déclarer aux Tutsi qui étaient là que cela ne les concernait pas et qu’ils devaient rentrer
chez eux. Le préfet, une fois encore, niera avoir tenu de tels propos.
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Le témoin a perdu plus de trente cinq personnes le 14 avril à Kibeho, de la famille de son père: cousins,
oncle paternel…
Monsieur le président demande au témoin comment s’est passé sa vie à son retour du Burundi. « La
vie était difficile mais plus tard j’ai retrouvé mon travail à l’usine et petit à petit j’ai refait ma vie, je me
suis remarié. » Il a réintégré sa parcelle et vit tout près de ses bourreaux: « Ils sont là. Nous avons pu
nous réconcilier. On vit ensemble. »
Ce qu’il pense du procès? « Les gens qui ont joué un rôle doivent être poursuivis et jugés. »
Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, évoque les attaques de 1993 et demande au témoin si le préfet
pouvait ignorer ces attaques. » Pas possible d’ignorer ces attaques. Les autorités faisaient des rapports
au préfet » répond le témoin.
Quant à savoir s’il y a eu des enquêtes après ces attaques, le témoin répond par la négative. » Même
les maisons brûlées, ils ne nous ont pas aidé à les reconstruire. »
Une avocate générale lit un extrait de l’audition de 2015 par les enquêteurs français à propos de
BINIGA. Le témoin confirme qu’il a vu le sous-préfet le 12 avril au début de l’attaque mais qu’il est
resté dans la voiture des gendarmes. Quand il est reparti, les gendarmes ont tiré sur la foule.. Par
contre pas de sous-préfet le 14 mais beaucoup de gendarmes.
Maître LEVY, pour la défense, revient sur la réunion de Mubuga au cours de laquelle son client aurait
renvoyé les Tutsi chez eux. L’avocat fait remarquer au témoin que ces propos sont contraires à ses
déclarations de 2015: » Je le connaissais depuis qu’il était préfet. Il présidait les réunions. Il n’y avait rien
de mauvais, rien à voir avec les sujets ethniques, je n’avais aucun reproche à faire à Laurent
BUCYIBARUTA. » Pourquoi ces contradictions?
« Je disais cela à propos de ce qui se passait avant le génocide, quand il y avait la paix. Je parlais
d’événements à l’approche du génocide. Après, Laurent BUCYIBARUTA a changé » précise le témoin.
Dernière question au témoin. « A votre retour à Mubuga, la ville avait été reprise par le FPR? » Le
témoin confirme.
Monsieur le président reprend la parole pour demander au témoin s’il a assisté à des pillages sur les
corps des victimes. » J’en ai vu beaucoup, partout« .
« Et des femmes violées? » demande monsieur LAVERGNE. « Je n’en ai pas vu de mes yeux mais ça se
dit beaucoup. » (NDR. Même si des rescapés ont assisté à des viols, ils ne le diront pas. Pas directement
en tout cas.)
Le Père NGOGA? « J’ai entendu dire qu’il serait mort à Butare. »

Audition de monsieur Protais UWIMANA, rescapé.
Protais UWIMANA : je suis agriculteur, j’habite à NYAMABUYE, cellule de MATA, district de
NYARUGURU. Avant le génocide j’ai vu Laurent BUCYIBARUTA deux fois car j’étais un membre de
l’autorité administrative de GIKONGORO.
Président : vous vous êtes constitué partie civile ?

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PU : non
Prestation de serment.

Déclaration spontanée :
Avant ce génocide, le 8 avril 1994, nous sommes allés en réunion à la commune de RWAMIKO. Une
fois sur place, on nous a dit que cela ne nous concernait pas et donc nous sommes rentrés.
Président : vous l’avez vu à d’autres occasions ?
PU : une autre fois mais je me souviens pas bien de la date. Lorsque nous nous sommes réfugiés à
l’église de KIBEHO, il est venu et a demandé que la population pourchassée et qui s’était réfugiée soit
déplacée et installée dans un endroit appelé NYARUSHISHI.
Président : vous avez souvenir d’avoir vu Laurent BUCYIBARUTA alors que vous étiez à l’église de
KIBEHO ?
PU : oui
Président : vous êtes sûr que c’était lui ?
PU : c’était lui. Lorsque nous avons fait la réunion, je l’ai vu de mes propres yeux avec le bourgmestre
Silas MUGERANGABO.
Président : je vous demande de vous retourner
PU : cela fait longtemps. Moi-même j’étais un jeune enfant mais je ne suis pas sûr que ce soit lui.
Président : vous n’êtes pas sûr que c’est la personne que vous avez vu à l’église ou à la réunion avec le
bourgmestre à RWAMIKO ?
PU : avec le temps qui s’est écoulé, et le fait qu’à l’époque j’étais un enfant, je ne suis pas sûr que ce
serait lui.
Président : j’aimerais que vous nous expliquiez ce que vous faisiez en 1994, quel était votre métier ?
PU : j’étais adjoint au responsable de la cellule.
Président : de quelle cellule ?
PU : cellule de NYAMUBUYE
Président : dans quelle commune ?
PU : commune de RWAMIKO
Président : secteur ?
PU : RWAMIKO aussi
Président : vous faisiez partie d’un parti politique ?
PU : à l’époque, nous faisions tous partie du MRND
Président : à l’époque vous êtes agriculteur, vous travailliez à la plantation de thé de MATA ?
PU : je n’y ai jamais travaillé
Président : comment se comportait le bourgmestre MUGERANGABO ? Apparemment vous le
connaissiez.
PU : je le connaissais en sa qualité de bourgmestre.
Président : il avait une attitude neutre, comment était-il par rapport aux Tutsi ?

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PU : en ce qui concerne les Tutsi, avant le génocide, je voulais dire qu’il nous considérait tous sur un
pied d’égalité mais après la tenue de la réunion, il est devenu clair qu’apparaissait le divisionnisme.
Président : quelle réunion ?
PU : après que BUCYIBARUTA est venu, il n’y a pas eu d’autre réunion.
Président : c’est la réunion à laquelle vous n’avez pas pu assister ?
PU : nous autres ne sommes pas allés à la réunion, nous avons fui immédiatement.
Président : fui la réunion ?
PU : la chasse à l’homme avait commencé, ainsi que les incidents.
Président : dans votre souvenir, c’était avant ou après la mort de Juvénal HABYARIMANA ?
PU : il y a eu d’abord une réunion quand ils étaient en train de faire leur politique, avec la CDR
Power [15].
Président : je ne comprends pas bien, c’est Laurent BUCYIBARUTA qui est venu sur place faire une
réunion CDR power?
PU : c’était une réunion à RWAMBA avec le sous-préfet NYABARINZE
Président : Damien BINIGA, ça vous dit quelque chose ?
PU : il était sous-préfet
Président : À MUNINI ?
PU : oui
Président : le témoin ne confond pas Damien BINIGA avec Laurent BUCYIBARUTA ?
PU : non, je ne confonds pas. Damien BINIGA je le connaissais. Lorsque le préfet BUCYIBARUTA nous a
trouvés à l’église, il a expliqué que c’était le préfet qui demande qu’on nous déplace à NYARUSHISHI.
Président : qui a dit ça ?
PU : ils sont venus et nous ont trouvé là où on avait trouvé refuge à KIBEHO. C’était le préfet, souspréfet et bourgmestre de RWAMIKO. Ils nous ont expliqué comment nous devions nous réfugier à cet
endroit-là à l’écart.
Président : ça c’est au moment où vous êtes réfugié à KIBEHO ?
PU : oui
Président : c’est combien de temps après la mort d’HABYRIMANA ?
PU : ça devait être le 11 avril.
Président : on a annoncé la mort du Président HABYARIMNANA le 7 avril. Vous vous souvenez
comment il a appris sa mort ?
PU : c’était un mercredi qu’il est mort. Le lendemain on nous a convoqués pour une réunion et une fois
sur place on nous a dit que nous n’étions pas les bienvenus. Donc nous sommes rentrés rapidement
puisque les autres restés derrière mettaient le feu aux maisons.
Président : votre maison est incendiée ?
PU : oui, celle de ma famille
Président : c’est à ce moment-là que vous partez à KIBEHO ?
PU : oui
Président : situation familiale à cette époque ?
PU : j’avais une fiancée et les travaux de ma maison étaient finis.
Président :vous viviez avec sa fiancée ?
PU : pas encore
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Président : quand vous allez à la paroisse de KIBEHO, vous y allez avec vos parents ?
PU : tout le monde.
Président : votre fiancée aussi ?
PU : oui
Président : à cet endroit des membres de votre famille sont tués ?
PU : oui, des gens y ont péri. Ma mère, Marguerite, ma sœur Béatrice MUKAGERANGWA et KAREKESI
Jean-Baptiste. Et d’autres dont il m’est pénible de donner les noms.
Président : qui est KAREKESI Jean-Baptiste ?
PU : mon père
Président : vous aviez un frère ?
PU : c’était mon petit frère qui travaillait à l’usine de MATA
Président : il été bien traité là-bas ?
PU : non, il y a été tué
Président : quand ?
PU : pendant la même période. Ils ont été enfermés dans l’enceinte de l’usine et ont été tailladés de
partout avec les couteaux. C’était pour nous montrer le traitement qu’ils allaient nous infliger.
Président : vous avez vu le corps de votre frère tailladé ?
PU : ils l’ont amené en camionnette, l’ont mis debout et l’ont remis dans la camionnette pour le tuer à
l’usine.
Président : vous savez si des jeunes Hutu ont été conduits à faire des formations militaires ?
PU : ils en recevaient.
Président : qui étaient ces jeunes ? Des Interahamwe ?
PU : les jeunes Interahamwe étaient amenés dans les camps militaires locaux pour recevoir cet
entrainement.
Président : vous avez vu ces jeunes s’entrainer ?
PU : non, ils les emmenaient au camp militaire.
Président : vous avez entendu ensuite ce qu’ils comptaient faire ?
PU : ils ont mis en pratique sans tarder.
Président : vous vous souvenez d’avoir été entendu par les enquêteurs du TPIR ?
PU : certains m’ont auditionné mais je me souviens pas très bien
Président : dans cette déclaration – D352.
PU : j’ai entendu ces propos et je me dis que c’est la même chose que ce que j’ai dit à ceux qui m’ont
auditionné.
Président continue la lecture. Dans votre audition, vous ne parlez jamais de Laurent BUCYIBARUTA ?
PU : oui, ça s’est passé ainsi. À ce moment-là je croyais Laurent BUCYIBARUTA mort et je ne croyais
pas opportun de parler d’un mort.
Président : vous ne parlez pas de Laurent BUCYIBARUTA mais vous allez parler de Damien BINIGA.
Avez vu Damien BINIGA à KIBEHO ?
PU : oui
Président : il était seul ou avec d’autres personnes ?
PU : ils nous ont demandé de quitter l’église pour partir dans un endroit reculé dans le but de nous
exterminer aisément. Ils étaient avec des Interahamwe venus du côté de MUGASOMWA mais aussi de
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NYAMAGABE. À ce moment-là, Laurent BUCYIBARUTA, les militaires ainsi que les bourgmestres
venaient à peine de partir de là et nous nous sommes battus. Le 3e jour ils avaient pris le dessus sur
nous donc avec d’autres rescapés, nous avons fui.
Président continue la lecture.
Président : BINIGA s’est présenté comme l’étrangleur des enfants ?
PU : oui, il s’est appelé lui-même ainsi.
Président : vous avez expliqué que BINIGA a parlé au père NGOGA pour lui demander de dire aux
personnes réfugiées qu’elles devaient partir de l’enclos de la paroisse pour aller à NYARUSHISHI.
PU : ces propos de nous amener à NYARUSHISHI avaient déjà été échangés avec le préfet. Après le
départ du préfet, l’autre était en train d’expliquer à l’abbé qu’il fallait nous relâcher. Quand l’abbé a
exprimé son refus, BINIGA a changé son nom en « étrangleurs d’enfants ».
Président : pourquoi, pour exprimer son mécontentement ?
PU : il était très furieux car, après, les militaires et Interahamwe ont lancé un assaut.
Président : vous vous êtes défendus ?
PU : nous avons résisté mais nous étions affaiblis. C’est après que les rescapés ont pu sortir.
Président : il y a eu une ou plusieurs attaques ?
PU : plusieurs attaques.
Président : à un moment, on a tenté d’incendier l’église ?
PU : le 13, tout le monde était affaibli, il y avait des corps de partout. Les gens sont rentrés dans
l’église, d’autres ont défoncé les maisons, d’autres ont mis de l’essence et le feu.
Président : vous étiez là lorsqu’il y a eu des incendies ?
PU : lors des incendies, il y avait sur place une maison avec une arrière-cour, c’est par là que je me suis
échappé. C’était avec d’autres jeunes avec moi. D’autres étaient attendus plus loin et ont été tués.
Président : vous vous enfuyez, tout seul ou avec d’autres personnes ?
PU : ceux qui ont tenté de partir avec moi ont été tués en cours de route, aucun d’eux n’a survécu.
Président : comment se passe votre fuite pour le BURUNDI, vous êtes poursuivi ?
PU : ils nous ont poursuivis. Lorsqu’ils ont incendié KIBEHO, ils nous ont suivi à CYAHINDA.
Les Interahamwe nous ont fait asseoir par terre et BINIGA ainsi que les deux bourgmestres sont venus
et ont dit aux Burundais que nous étions en train de fuir la famine. Ils ont répondu en demandant si la
famine tailladait les gens.
Président : vous vous réfugiez au BURUNDI, vous vous engagez dans l’armée ?
PU : à mon retour d’exil, oui, mais je n’y suis pas resté longtemps à cause du traumatisme.
Président : que pouvez-vous dire à propos de ce traumatisme ?
PU : quand on faisait des exercices et le soir dans mon lit, les souvenirs de ce qui m’est arrivé me
revenaient.
Président : c’était des cauchemars ?
PU : je rêvais des gens de mon âge, je me souvenais de mon père, ma mère, que j’avais laissé à
l’intérieur de l’église. Je demandais à Dieu de m’aider pour que je ne verse pas de sang.
Président : je vais vous présentez quelques photo – D10483 établies par les enquêteurs de l’OCLCH.
D10483/70 : vous vous souvenez si à l’époque en arrivant il y avait un centre de santé ?
PU : oui, il y en avait un
Président : il a été détruit ?
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PU : oui, on y a tué des gens.
Président : au fond on voit l’église, c’est bien là – D10483/74 ?
PU : oui
Président : est-ce que dans ces grands bâtiments il y avait des classes – D10483/7 ?
PU : oui, tout au fond, les bâtiments faisaient le tour.
Président fait défiler les photos. D10483/13– ici ce sont le presbytère et les bureaux, c’est ça ?
PU : oui, il y avait des bureaux
Président : vous alliez souvent à la paroisse ?
PU : oui
Président : vous êtes catholique ?
PU : oui
Président continue à faire défiler. Les gens réfugiés à la paroisse : certains étaient dans l’église,
d’autres au presbytère et d’autres bâtiments ?
PU : lorsqu’on se place à l’entrée principale, toute la cour intérieure était remplie.
Président : c’est la cour devant le presbytère – D10483/18 ?
PU : oui
Président : il y avait d’autres bâtiments qui ont été détruits il me semble.
PU : je ne peux pas savoir car ils ont été détruits après notre départ.
Président continue de faire défiler la planche photographique. Ces photos correspondent bien au lieu
où vous étiez ?
PU en pleurs : ce sont des endroits que je reconnais. Je me souviens de l’endroit où étaient mes
parents ainsi que les membres de ma famille. Excusez-moi, les souvenirs me reviennent.
Président : vous n’avez pas à vous excuser Monsieur. Est-ce que vous avez pu, plus tard, lorsque vous
revenez, retrouver le corps de vos parents ?
PU : j’ai vu celui de ma sœur. Pour les autres, ils les avaient déjà brûlés dans l’église.
Président : aujourd’hui, si je comprends bien, il y a un mémorial à KIBEHO.
PU : oui
Président : est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ?
PU : non

Pas de question des PC.

QUESTIONS de l’avocate générale :

MP – SH : vous avez parlé, dans votre déposition, du Préfet. Vous voulez parler de l’autorité
préfectorale qui était le sous-préfet BINIGA ?
PU : à cette époque, l’autorité de la sous-préfecture de MUNINI était BINIGA qui avait lui-même un
supérieur hiérarchique.

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MP : en tout cas l’autorité préfectorale que vous connaissiez était le sous-préfet BINIGA ?
PU : non, le sous-préfet BINIGA avait des supérieurs hiérarchiques à la préfecture.
Président : vous connaissiez bien le Père NGOGA ?
PU : oui
Président : qu’est-il devenu ?
PU : une fois qu’on avait découpé des gens et brûlé l’église, il était rescapé aussi et a été tué en route
avec les autres.
Président : vous l’avez vu ou on vous l’a dit ?
PU : quand nous avons fui, nous nous sommes dispersés. Ce sont des choses qu’on m’a dites.
Président : aujourd’hui quelle est votre situation ?
PU : la tristesse ne m’a pas achevée, je me suis reconstruit. Je me suis marié et j’ai des enfants. Parce
que nous avons des personnes qui nous réconfortes, la vie revient.
QUESTIONS DÉFENSE :
Me LÉVY : une précision. On a compris que dans votre déposition devant les enquêteurs du TPIR,
vous n’avez pas mentionné la venue du préfet Laurent BUCYIBARUTA à KIBEHO. J’ai compris que
c’était pour deux raisons : soit vous n’étiez pas sûr que c’était lui, soit car vous pensiez qu’il était mort
et vous ne voulez pas parler des morts. Entre ces deux raisons, laquelle est la bonne ?
PU : dans ces temps-là, nous nous sentions délaissés, abandonnés de tous les pays. Il n’était pas
nécessaire de parler d’une personne décédée. L’autre raison, quand j’ai appris par la suite qu’il avait
été arrêté et qu’il y a eu ce procès, je me suis réjoui en me disant que ça serait bien qu’il puisse
répondre de ce qu’il a fait.
Me LÉVY : donc votre témoignage aujourd’hui devant la Cour d’assises c’est de dire que vous ne
l’aviez pas mentionné car vous pensiez qu’il était mort ?
PU : je ne l’ai jamais mentionné car je savais qu’il était mort.
Me LÉVY : quand vous donnez la liste des personnes se présentant à la paroisse de KIBEHO, vous citez
Damien BINIGA, Silas MUGERANGABO et Charles NYLIDANDI. Mais quand vous donnez la liste en
2002, vous savez que Charles NYLIDANDI est mort ?
PU : je pensais qu’il avait fui
Me LÉVY : vous ne savez pas qu’il était mort en mai 1994 ?
PU : nous étions encore en fuite, je n’avais pas de nouvelles.
Me LÉVY : mais vous saviez que le préfet Laurent BUCYIBARUTA était mort ?
PU : non, on disait qu’il était mort.

Parole donnée à Laurent BUCYIBARUTA.
Président : il nous reste du temps. Je vais donc vous laisser la possibilité, comme exprimé par Me
FOREMAN, M. Laurent BUCYIBARUTA de réagir aux témoignages de ce jour.
Laurent BUCYIBARUTA : j’aimerais réagir sur le dernier témoin. Il a dit que j’aurais dirigé une réunion
à RWAMIKO et que j’aurais écarté des Tutsi. Cette réunion n’a jamais eu lieu, je n’ai pas déclaré des
conseillers et responsables de secteurs indésirables, ça ne m’est jamais venu à l’esprit.
Président : vous dites que vous n’êtes jamais allé à RWAMIKO le 8 avril ?

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Laurent BUCYIBARUTA : oui. Ensuite le témoin a dit que le 11 avril il m’a vu à KIBEHO. Mais vous le
savez vous-même, le 11 avril j’étais à KIGALI. Je ne pouvais pas être à KIGALI et KIBEHO en même
temps. Ensuite le dernier témoin dit qu’il ne m’a pas cité car il croyait que j’étais mort. C’est la 1 e fois
que je l’entends d’un témoin. C’est tout. Le témoin Théoneste BICAMUMPAKA a dit qu’il était Hutu et
que le préfet aurait dit que les étrangers qui venaient dans la commune de MUBUGA demandaient où
sont les habitants et les Tutsi qui habitaient précisément. Je n’ai jamais dit ça à personne. Lui-même
dans ses déclarations ne l’avait jamais dit. Par contre SILAS a fait une déclaration qui se rapproche.
Président : j’essaie de suivre. Vous dites que pour le premier témoin Théoneste BICAMUMPAKA, vous
êtes surpris par ce qu’il vous attribue comme propos ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : vous êtes surpris par quoi exactement ?
Laurent BUCYIBARUTA : j’aurais dit lors d’une réunion que ces étrangers venaient dans la région, ces
étrangers avaient fui. Je ne l’ai jamais dit. Je n’ai jamais dit à personne de répondre dans un sens ou
dans un autre à des étrangers que je ne connais pas. Par contre, SILAS a imaginé une telle déclaration
car on la lui a suggérée.
Président : vous faites référence à des déclarations faites par un dénommé Silas, dont je n’ai pas
compris le nom ?
MP – CV : je pense qu’il fait référence au témoin Silas NSANZABAGANGWA, qui sera entendu le 14
juin.
Laurent BUCYIBARUTA : oui c’est ça. Il a dit qu’un gendarme a fusillé Charles NYLIDANDI. C’est la
1e fois que je l’entends. Ce n’est pas exact car le préfet fait la réquisition à la gendarmerie et les affecte
là où c’est nécessaire. Le témoin a persisté pour dire que Charles NYLIDANDI était mort avant les
attaques de KIBEHO alors que dans le dossier on voit qu’il est mort le 15 mai.
Président : vous aurez d’autres occasions de vous exprimer sur la situation de KIBEHO, que ce soit
avant ou après les attaques. Des questions des PC ?
Me FOREMAN : un point qui n’est pas dans le centre du dossier mais qui est revenu tout au long de la
journée. Il semble que le directeur de l’usine de thé formait des jeunes miliciens, est-ce que Laurent
BUCYIBARUTA avait des liens avec le directeur et est-ce qu’il était au courant ?
Laurent BUCYIBARUTA : je connais l’emplacement de l’usine à thé et m’y suis rendu. Quand je me
déplaçais dans la région, je m’arrêtais dans ces endroits-là pour voir des chefs de projets. Je m’y suis
effectivement rendu et sur place j’y ai rencontré le directeur, notre entretien n’était pas public. On
parlait de ce qui nous venait à la tête. Je n’ai jamais entendu parler des milices dans l’usine ni en
dehors. Je sais que non loin de l’usine MATA se trouvait un camp militaire en construction, sous le
commandement militaire BUTARE-GIKONGORO mais je ne peux pas parler de ce camp, je ne peux rien
dire car je n’étais pas sur place et pas informé de ces milices.
Me FOREMAN : M. BUTERA a parlé d’agressions, de maisons brûlées dès 1993, il a dit que le préfet ne
pouvait pas ne pas être au courant, vous n’avez jamais entendu parler de ces agressions en août
1993 ?
Laurent BUCYIBARUTA : il peut y avoir eu des conflits de voisinages en août 1993, entre Tutsi ou
entre Hutu eux-mêmes. Si les gens avaient des problèmes de voisinage, ce que je pouvais conseiller
c’était de s’adresser à l’autorité administrative locale et s’ils n’arrivaient pas à régler le problème, ils
pouvaient s’adresser à la justice.
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Me FOREMAN : ce n’est pas ma question qui était de savoir si vous étiez informé de la situation.
Laurent BUCYIBARUTA : je ne sais pas bien dire. Je sais que vers la fin de l’année 1993, j’ai été
informé d’un conflit qui opposait des voisins Hutu et Tutsi. Quand j’ai su, j’ai réglé le problème par
correspondance administrative. Je n’ai pas toutes les archives donc je ne sais pas exactement pour
avant.
Me FOREMAN : je n’arrive pas à comprendre si les violences dont fait référence Laurent
BUCYIBARUTA en fin d’année 1993 correspondent aux faits abordés par M. BUTERA ?
Laurent BUCYIBARUTA : je ne peux pas donner les détails.
Me FOREMAN : la notion de maisons ayant pris feu ne vous dit rien ?
Laurent BUCYIBARUTA : non
Me TAPI : bonjour M. le préfet, je vais vous appeler comme ça. Je voudrais revenir sur la
problématique de la réquisition. Vous avez dit que le préfet pouvait réquisitionner les gendarmes. Qui
contrôle la réquisition ? En cas de mauvaise utilisation de la réquisition, quelles pouvaient être les
sanctions et mesures prises ?
Laurent BUCYIBARUTA : comme vous le savez, lorsque le Préfet fait une réquisition aux forces de
l’ordre, c’est le commandant de la force, en l’occurrence la gendarmerie à GIKONGORO car il n’y avait
pas de camp militaire, qui devait apprécier les moyens à mettre en œuvre pour exécuter la réquisition.
Le commandant organise ses gens et il les contrôle lui-même. Le préfet n’était pas une autorité
hiérarchique sur le commandant. Et on sait que les forces armées/de l’ordre dépendent du Ministre de
l’intérieur sur le plan disciplinaire. Le commandant et le préfet ont des relations de contact. Le préfet
ne donne pas des ordres aux gendarmes en opération.
Me TAPI : j’imagine quand même que M. le sous-préfet faisait un rapport de ces relations avec le
commandant. Vous-même étiez informé j’imagine ?
Laurent BUCYIBARUTA : une brigade dépend du commandement de la gendarmerie. Quand j’avais
les informations, je les partageais avec le commandant de la gendarmerie. Je précise que le Major
BIZIMUNGU Christophe était commandant et non le capitaine SEBUHURA comme certains l’avancent.

Me KARONGOZI : j’aimerais avoir des informations. Comme l’ancien procureur de KIGALI nous l’a dit
hier, les violences démarrent tôt à GIKONGORO, ce qui est étonnant. Avez-vous une explication sur
comment à RUHANGA des réunions ont lieu dès le 8 et à KIBEHO le 10/11 avril, les choses s’accélèrent
avec des tueries d’autour 40 000 personnes tuées avec des acteurs de toute la chaine administrative
préfectorale. Comment expliquez-vous cette organisation, quel est votre rôle, vous suivez de près ou
vous êtes dépassé ?
Laurent BUCYIBARUTA : je précise que vous avez parlé de la réunion du 8 avril à RUHENGA dans la
commune de RWAMIKO. J’ai dit que j’ignorais cette réunion. Il y a eu des tueries dès le 7/8 avril à
MUGASOMWA et une autre commune. J’ai été informé par les autorités locales, parfois au téléphone
quand il fonctionnait encore. Cite un exemple d’un bourgmestre qui l’appelle pour l’informer de
violences à la paroisse de MUSHUBI, commune de MUKO.
Président : précisions ?
Laurent BUCYIBARUTA : à la paroisse de MUSHUBI dans la commune de MUKO.
Président : ça n’a rien à voir avec KIBEHO, c’est au Nord ?
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Laurent BUCYIBARUTA : oui, c’était un exemple.
Président : vous recevez une communication de ce bourgmestre à quel moment ?
Laurent BUCYIBARUTA : le 8
Président : que signale-t-il ?
Laurent BUCYIBARUTA : qu’il y a déjà des agressions dans la commune de MUKO, notamment dans
la paroisse de MUSHUBI.
Président : il vous dit qu’un prêtre ne se sent pas en sécurité dans son église et qu’il y a des incidents,
quels incidents ?
Laurent BUCYIBARUTA : des agressions
Président : c’est-à-dire ?
Laurent BUCYIBARUTA : des meurtres.
Président : quand on vous annonce des meurtres, vous conseillez au prêtre de regagner un évêché
pour sa sécurité et vous demandez une enquête ?
Laurent BUCYIBARUTA : à cette époque-là, ma priorité était d’informer le commandant de
gendarmerie.
Président : vous pouvez répondre à ma question ?
Laurent BUCYIBARUTA : demander des enquêtes à qui ?
Président : vous n’arrêtez pas de dire qu’il faut s’adresser aux autorités judiciaires. Il y a un Procureur
de la République, un sous-préfet.
Laurent BUCYIBARUTA : le procureur de la République n’était pas en mesure de faire son travail.
Président : ah bon ? Il a assisté aux conseils de sécurité ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : il pouvait interroger des prêtres ?
Laurent BUCYIBARUTA oui
Président : donc il peut interroger des prêtres mais pas mener des enquêtes sur des meurtres ?
Me BIJU-DUVAL se plaint que le Président interrompe son client.
Président : comment se fait-il qu’un Procureur qui n’a aucun moyen selon vous, peut procéder à des
interrogatoires de prêtres réfugiés dans un évêché mais pas des enquêtes ?
Laurent BUCYIBARUTA incompréhensible et HS
Président : vous l’avez informé de troubles graves à MUKO ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui absolument, que ce soit le Procureur ou le commandant de la
gendarmerie.
Président : donc ils n’ont rien fait ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : cela vous a paru normal au vu de la situation de l’époque ?
Laurent BUCYIBARUTA : non pas normal mais je me suis dit que des enquêtes pourraient être
menées quand la situation se sera stabilisée. Par exemple quand Turquoise vient stabiliser.
Président : on parle d’incidents de partout dans la préfecture dès le 8 avril, vous êtes informé ?
Laurent BUCYIBARUTA : le seul dont je suis informé est celui de la commune de MUDASOMWA.
Président : qui dépend de quelle sous-préfecture ?
Laurent BUCYIBARUTA : ça ne dépend pas d’une sous-préfecture.
Président : quels types d’incidents ?
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Laurent BUCYIBARUTA : il y avait un chantier et les ouvriers de ce chantier logeaient là-bas. Il
semblerait que l’entreprise menant les travaux ait eu des soucis avec les habitants de la région.
Président : ce que vous nous décrivez sont des incidents mêlant des Hutu et Tutsi mais pas dans le
cadre génocidaire mais indépendant donc je n’ai pas bien compris ?
Laurent BUCYIBARUTA explique l’histoire de l’entreprise.
Président : il y a un fond de conflit ethnique dans cette histoire ?
Laurent BUCYIBARUTA : moi je dirais que non.
Président : je n’ai aucune information au dossier sur cet incident. Mais il y aura des questions sur un
certain nombre de documents au dossier provenant de la préfecture de GIKONGORO en rapport avec
des conflits ethniques : D10882, 24/10/1992 – D8185 ; D8288 – demande au bourgmestre de
RWAMIKO sur la mention d’ethnie sur les CNI ; D8256/7.

Me KARONGOZI : une dernière question. Le préfet de BUTARE vous propose une réunion après les
massacres de KIBEHO car il y a une déportation de rescapés vers BUTARE. J’imagine que la réunion
proposée est pour contenir les éléments venant de GIKONGORO vers BUTARE ?
Laurent BUCYIBARUTA : il faut dire les choses telles qu’elles sont. Les massacres dans la préfecture de
BUTARE ne venaient pas seulement de GIKONGORO. J’étais en contact constant avec JB
HABYARIMANA, il y avait des massacres dans sa propre commune de RUNYINYA. Il y avait des
attaquants à BUTARE.
Président : ce qui nous intéresse est de savoir si vous étiez au courant que des attaquants qui avaient
attaqué des Tutsi dans la préfecture de GIKONGORO avaient poursuivi les rescapés dans la préfecture
de BUTARE ?
Laurent BUCYIBARUTA : je n’ai pas été informé de ça.
Président : si je peux me permettre, pourquoi le préfet de BUTARE vous demande de faire une
déclaration commune ?
Laurent BUCYIBARUTA : c’était convenu comme ça car nous avions les mêmes préoccupations donc
on s’est organisé pour faire les déclarations ensemble.
Me KARONGOZI : Laurent BUCYIBARUTA propose comme solution à l’attaque des prêtres de
MUSHUBI, MUKO de les transférer à un évêché, que deviennent ces prêtres ?
Laurent BUCYIBARUTA : il n’y avait qu’un prêtre car le deuxième, Canisius, était déjà parti, il était en
vacances et l’autre je me rappelle pas son nom.
Me KARONGOZI : Canisius MURINZI, il a été tué par la suite. Quand vous parlez de problèmes à
MUGASOMWA, à combien de temps se trouve ce lieu du chef-lieu de GIKONGORO ?
Laurent BUCYIBARUTA : peut-être une vingtaine de km.
Me KARONGOZI : vous n’avez pas l’intention de vous déplacer sur place car ce n’est pas loin ?
Laurent BUCYIBARUTA : je suis allé une 1e fois pour voir une famille belge avec une femme Tutsi
menacée.
Président : une précision, on reviendra sur cette question de prêtre. Sur ce qui se passe à MUSHUBI, je
vous invite à lire le journal de Madelaine RAFFIN – D77 (1e page de son journal – 8 avril 94). Le prêtre
s’appelle Jean-Marie-Vianney KUMUYANGE et il relate un massacre se déroulant à la paroisse.
Laurent BUCYIBARUTA : oui c’est ça le nom.
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Me GISAGARA : je partage mon étonnement avec vous sur votre réaction avec ce que vous avez
entendu. Vous n’avez aucune compassion pour vos administrés, je suis surpris. Le témoin Théoneste
BICAMUPAKA a estimé à 40 000 le nombre de victimes, cela vous parait correct ?
Laurent BUCYIBARUTA : je vous indique que j’ai du mal avec cette question des chiffres car le
nombre victimes varie d’année en année. Dans une commune de 30 000 habitants, on dit qu’il y a 50
000 morts. Alison DESFORGES a relevé que le nombre de victimes à MURAMBI est passé de 5 000 à 50
000 puis 60 000.
Président : on ne va pas débattre là-dessus ce soir mais juste vous indiquez que vous n’avez pas idée
du nombre.
Me GISAGARA : je comprends, cela vous semble exagéré ou en-dessous ?
Président : s’il vous dit qu’il ne peut pas répondre.
Me GISAGARA : un témoin a parlé d’un bulldozer utilisé pour enterrer des corps, vous avez des
éléments.
Laurent BUCYIBARUTA : je n’ai pas d’éléments à donner car je n’ai jamais envoyé de bulldozer. Dans
les déclarations antérieures du témoin, il ne mentionne pas cela.
Me GISAGARA : ce matin on a dit que vous avez intronisé le bourgmestre Innocent BAKUNDUKIZE,
comment ça s’est passé ?
Président : on aura l’occasion d’interroger Laurent BUCYIBARUTA sur sa visite à KIBEHO le 17, il en
ressort du dossier, aussi sur les raisons pour lesquelles Charles NYLIDANDI a été tué puis son
remplacement par Innocent BAKUNDUKIZE. Ne vous inquiétez pas, les questions seront posées. Là je
constate qu’il est 18h35 et que nous avons rempli l’ordre du jour.
Monsieur le Président annonce, avant de clôturer définitivement la journée, qu’un autre juré a
demandé de se faire excuser pour raisons de santé!
Mathilde LAMBERT/Jade FRICHIT
Alain GAUTHIER

References
↑1

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑2

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑3

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

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↑4

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑5

Charles NYIRIDANDI : bourgmestre de Mubuga tué par les gendarmes, voir l’audition de
Théoneste BICAMUMPAKA

↑6

Damien BINIGA : sous-préfet de Gikongoro

↑7

Ibid.

↑8

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les
Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑9

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie
des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se
sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRNDPOWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑10

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑11

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑12

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑13

Ibid.

↑14

Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda.
L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de
la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de
l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui
contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises
d’État. Cf. Glossaire.

↑15

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. A partir de 1993, la plupart des partis
politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power », et l’autre
modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

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Procès Laurent BUCYIBARUTA du mercredi 18
mai 2022. J8
19/05/2022

• Audition de monsieur Innocent BAKUNDUKIZE, en visioconférence. détenu à la prison de
Mpanga.
• Audition de madame Théodette MUKAMURARA, rescapée de l’école Marie-Merci. Partie civile.
• Audition de monsieur Second TWAKIRAMUKIZA, rescapé de l’église de Kibeho. Partie civile.
• Audition de madame Agnès KAMAGAJU, rescapée de Kibeho. Partie civile.
A la reprise, il est procédé au remplacement d’un juré qui doit cesser sa mission pour des raisons de
santé.
Audition de monsieur Innocent BAKUNDUKIZE, en visioconférence. détenu à la prison de
Mpanga.
Déclaration spontanée :
Ce que je sais sur BUCYIBARUTA Laurent, au moment du génocide, il était préfet. Je sais que c’était un
homme calme et posé, qui respectait la législation du pays. Je l’ai rencontré lorsqu’il me faisait prêter
serment pour devenir bourgmestre de la commune de MUBUGA. C’était en juin 1994. C’est à ce
moment-là que j’ai prêté mon serment d’être à la tête de MUBUGA. Je remplaçais alors le bourgmestre
NYIRIDANDI Charles qui venait de décéder. C’est Laurent BUCYIBARUTA qui m’a fait prêter serment en
sa qualité de préfet de GIKONGORO. Avant, il m’avait invité dans son bureau, m’informant que le
gouvernement intérimaire m’avait nommé bourgmestre de la commune de MUBUGA. C’est à ce
moment-là que le préfet m’a dit que je devais me présenter à la population au mois de juin. C’était en
période de guerre, le pays était pris par les militaires du FPR [1]. À ce moment-là, les gens étaient en
train de fuir en masse. C’est à cette époque-là que j’ai vu pour la dernière fois le préfet Laurent
BUCYIBARUTA.

Président : quel a été votre parcours personnel ? Si j’ai bien compris, vous avez démarré votre carrière
en tant que fonctionnaire, agronome à la commune de MUBUGA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est exact, j’ai commencé mes activités professionnelles en 1977 comme
agronome de MUBUGA.
Président : vous y restez à peu près 2 ans ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, juste après, je suis devenu agronome de la sous-préfecture de MUNINI
Président : ça c’est de 1980 à 1982 ?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’est exact
Président : ensuite vous êtes désigné bourgmestre de la commune de MUBUGA
Innocent BAKUNDUKIZE: c’est exact, de 1982 à 1987
Président : qui vous a proposé pour exercer ces fonctions ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je ne saurai pas dire. J’ai d’abord été agronome de cette commune, d’où
j’étais originaire.

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Président : vous étiez connu de tout le monde à cette époque, vous faisiez partie du MRND [2] ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est exact
Président : pourquoi êtes-vous désigné bourgmestre de la commune en 1982? Et ces fonctions
cessent en 1987 ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque, le critère était qu’on choisissait des gens originaires de telle ou
telle commune ou alors des personnes qui y résidaient. On tenait compte de leur comportement.
Président : vous vous êtes porté candidat pour être bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne l’avais pas demandé. Je ne sais pas qui l’a suggéré. À l’époque on ne
demandait pas votre avis, on regardait juste le comportement de la personne.
Président : c’est parce qu’on l’a observé, qu’on l’a estimé apte à exercer les fonctions de
bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque, il y avait comme un programme gouvernemental qui désignait
comme bourgmestre les agronomes dans le but de faire augmenter les activités agricoles de la
commune. Je crois que c’est ce critère qui a prévalu.
Président : donc, selon vous, c’est seulement vos qualités professionnelles qui ont prévalu ? Quoi de
vos activités politiques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque, quand j’étais bourgmestre, j’étais en même temps président de
la commune du parti MRND.
Président : donc bourgmestre et président de la section locale du MRND?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’était le système de l’époque
Président : en vigueur avant le multipartisme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : à cette époque, vous avez connu Laurent BUCYIBARUTA en tant que bourgmestre de
MUSANGE ou sous-préfet ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je l’ai connu quand il était sous-préfet à la préfecture.
Président : quel poste ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque il était chargé des affaires administratives et politiques
Président : il était à GIKONGORO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : sous-préfet à GIKONGORO, chargé des affaires administratives et
politiques. SI je me rappelle bien, il était sous-préfet attaché au respect de la loi.
Président : pourquoi cessez-vous vos fonctions de bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai cessé mes activités de bourgmestre en 1987 à l’expiration de mon
mandat de 5 ans
Président : que devenez-vous ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai continué mes activités d’agronome mais cette fois-ci dans l’usine à thé
de MATA, dans l’ancienne commune de RWAMIKO.
Président : votre successeur en 1987 est Charles NYIRIDANDI ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : Charles NYIRIDANDI fait aussi parti du MRND ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, le système était tel que le bourgmestre était aussi le président du parti
au niveau communal

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Président : que pouvez-vous dire de vos activités d’agronome à l’usine à thé ? Elles durent jusqu’à ce
que vous soyez à nouveau bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je suis resté agronome de l’usine à thé de MATA jusqu’en juin 1994 jusqu’à
ma nomination en tant que bourgmestre
Président : le président de l’usine à cette époque était Juvénal NDABARINZE?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’était lui
Président : que pouvez-vous nous dire à son sujet ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne vois rien d’autre à dire à part qu’il était notre chef en tant que
directeur de l’usine
Président : c’était une personnalité originaire du Nord du RWANDA, il était lié à la famille du Président
Juvénal HABYARIAMANA ou de sa femme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je sais qu’il était originaire du Nord du pays. En ce qui concerne la filiation
avec HABYARIMANA ou son épouse, je n’en sais rien ?
Président : Juvénal NDABARINZE était un homme politiquement engagé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à y voir de près, on constate que ce sont ces gens qui étaient originaires
du Nord qui étaient beaucoup dans la politique et qui dirigeaient.
Président : est-ce que ses activités politiques l’ont mené à soutenir l’entrainement militaire de jeunes ?
Vous avez été informé de ce genre d’activités ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce que je sais, c’est qu’à MATA, il y avait des militaires de l’école des sousofficiers qui y entrainaient des jeunes dans le but de les envoyer se battre au front.
Président : mais l’usine à thé de MATA n’est pas une école militaire. Quel lien entre l’usine à thé et
l’école militaire ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on avait exproprié la population pour y installer un camp militaire, même
avant l’attaque du FPR.
Président : mais le camp militaire ne dépend pas de l’usine à thé de MATA ? Les jeunes qui sont allés
suivre une formation militaire n’étaient pas militaires eux-mêmes ? Est-ce que les jeunes envoyés làbas étaient envoyés aussi pour des raisons d’ordre politique ? Par engagement politique ?
Innocent BAKUNDUKIZE : même avant, on formait des militaires démobilisés. Par après, avec
l’attaque du FPR, on a commencé à informer des gens qu’on voulait les envoyer au front pour se
battre.
Président : les jeunes formés dans ce camp étaient Hutu ou Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’était des Hutu puisque l’armée était en général composée de Hutu
Président : que pouvez-vous nous dire des changements entrainés par le multipartisme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il y a eu des changements. Du temps du parti unique, on n’était pas libre,
pas d’émancipation. Avec l’avènement du multipartisme, chacun a pu adhérer au parti politique de son
choix. Généralement, tout ceci a été accompagné de troubles. Il y a eu une période de racolage, des
personnes qu’on prenait de force d’un parti pour qu’ils adhèrent à un autre parti.
Président : c’est le Kubohoza ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui
Président : à cette époque, le bourgmestre de MUBUGA a fait l’objet de pressions ?
Innocent BAKUNDUKIZE: à l’époque, les bourgmestres du MRND subissaient des pressions pour
qu’ils soient débauchés.
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Président : Charles NYIRIDANDI a changé de parti ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non il est resté membre du MRND
Président : vous, vous avez changé de parti ?
Innocent BAKUNDUKIZE : moi j’ai changé pour adhérer au PSD.
Président. : il y a eu beaucoup de troubles comme vous l’avez dit à cette époque. vous vous souvenez
du sous-préfet Damien BINIGA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je me souviens de lui, il était sous-préfet de MUNINI. Il était lui aussi
membre du MRND
Président : il a fait face à des situations difficiles ?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’était quelqu’un de très virulent pour le MRND, il ne s’entendait pas bien
avec les autres partis. Chacun voulait avoir le maximum d’adhérents.
Président : est-ce qu’à un moment, les tensions ont été telles qu’il a dû fuir ?
Innocent BAKUNDUKIZE : tout le monde a fui
Président : je ne parle pas de fuir en 1994, mais avant ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, il a toujours résidé là-bas.
Président : nous verrons qu’un certain nombre de documents font état de troubles et que le souspréfet BINIGA a dû partir à KIGALI car il ne se sentait pas en sécurité. Il y a aussi un certain nombre
d’assassinats d’hommes politiques à cette époque. Qu’en savez-vous ?
Innocent BAKUNDUKIZE: dans notre localité je ne vois pas qui a été tué mais ailleurs il y en a eu.
Président : je vais être plus précis. Vous avez dit que vous étiez du PSD, vous vous souvenez de
Félicien GATABAZI ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui j’allais justement parler de lui, il est mort à cause de ces troubles-là. Il
était parmi les membres du PSD au niveau national.
Président : c’était en effet un dirigeant du PSD au niveau national et sauf erreur de ma part, ministre
des transports ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : quand a-t-il été assassiné et pourquoi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je me souviens pas des dates. Il a été victime de la politique, ce sont des
choses dont j’ai entendu parler.
Président : apparemment, il a été assassiné le 21 février 1994. À la suite de cet assassinat, il y a un
autre assassinat, celui de Martin BUCYANA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : que savez-vous de cet assassinat ? Où, par qui, comment ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce que je sais c’est qu’il est mort dans le cadre de ses activités de partisan.
Il était aussi président du CDR [3]. (NDR. Tué près de Butare en représailles de l’assassinat de Félicien
GATABAZI.)
Président : on peut décrire le parti CDR comme extrémiste Hutu ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui
Président : vous souvenez-vous s’il y a eu des troubles dans la préfecture de GIKONGORO à la suite de
ces assassinats ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je n’en connais pas.

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Président : est-ce qu’il y a eu, avant avril 1994, des conflits entre Hutu et Tutsi ? Donc d’ordre
ethnique.
Innocent BAKUNDUKIZE : dans la localité où j’habitais, il n’y en a pas eu. Tout ce que je sais c’est que
de Tutsi ont été arrêtés au début de l’attaque du FPR car ils étaient complices.
Président : donc ça c’était en 1990 ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : donc vous nous dites qu’en 1994, la situation est calme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : la situation était calme, la cohabitation des gens était pacifique. Par contre
les troubles commencent après la mort du Président HABYARIMANA.
Président : que pouvez-vous dire sur la façon dont les troubles vont se développer après la mort du
Président HABYARIMANA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : après sa mort, on a passé un communiqué comme quoi tout le monde
devait rester à la maison, Hutu comme Tutsi. Mais dans la commune voisine de RWAMIKO, on a
commencé à incendier des maisons.
Président : quand ?
Innocent BAKUNDUKIZE : l’avion est tombé le 6 et vers le 8/9, dans la localité citée, on a entendu
que les domiciles des Tutsi étaient incendiés.
Président :avez-vous vu à cette époque-là des Hutu prendre les armes et attaquer leurs voisins Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’était la guerre qui régnait et les informations venant de MURAMBA
disaient que la CDR était en train d’incendier les maisons des Tutsi.
Président : des employés de l’usine à thé de MATA ont participé à ces premières attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non
Président : que faisaient les employés de l’usine à thé de MATA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : eux aussi restaient chez eux pendant cette période.
Président : par exemple Thomas GAKUMBA, Callixte NDAYISABA, Ildephonse, Philippe KIMONYO,
Julien, Vincent MUVINI, tous ces gens sont restés chez eux tranquillement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est le personnel qui travaille avec moi à l’usine. Ils habitaient des
logements de fonction, sur place ; alors que moi je travaillais dans la plantation de thé mais je rentrais
chez moi dans le secteur KIBEHO.
Président : donc vous ne savez pas ce qu’ils ont fait ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas ce qu’ils ont fait pendant cette période.
Président : est-ce vous êtes sorti de chez vous à un moment, est-ce que vous avez vu quelque chose ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il y a eu une réunion au secteur KIBEHO, organisée par le bourgmestre
Charles NYIRIDANDI ainsi que le conseiller de secteur KIBEHO, Mathias GASHUMBA. Nous y avons
participé ainsi que la population du secteur parce qu’il y avait également des Tutsi qui avaient trouvé
refuge à la paroisse de KIBEHO. Certains de ces Tutsi ont participé à la réunion.
Président : qu’est-ce qu’il s’est dit à cette réunion ?
Innocent BAKUNDUKIZE: on nous a dit que nous devions assurer la sécurité, faire des rondes afin de
repousser ces attaques venant des autres secteurs.
Président : attaques de qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’était pour repousser les attaques de MURAMBA pour que ces troubles
n’arrivent pas chez nous.
Page 72 sur 711

Président : mais qui attaque qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : comme on avait commencé à incendier les maisons des Tutsi à MURAMBA,
les Tutsi de chez nous avaient eu peur et se sont enfuis à la paroisse. C’est la raison pour laquelle nous
les avions convoqués à la réunion, pour repousser les attaques.
Président : lors de cette réunion on convoque les Tutsi pour leur dire « On va faire des rondes
ensemble pour éviter que vous soyez attaqués », c’est ça ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui c’est ça car les Tutsi de chez nous n’avaient pas encore été attaqués,
les troubles étaient encore localisés à MURAMBA.
Président : je suppose que pendant cette réunion on a expliqué que les Tutsi n’étaient pas l’ennemi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on n’en a pas parlé.
Président : pourquoi, alors que justement les gens s’enfuient ?
Innocent BAKUNDUKIZE : parce que ces troubles étaient encore localisés à MURAMBA, pas chez
nous et on considérait qu’on pouvait régler ça ensemble.
Président : donc si on est ensemble on ne considère pas le Tutsi comme ennemi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : chez nous, nous pensions que nous étions pareil, tous les mêmes. On
entendait que c’était les CDR qui brûlaient les maisons, il n’y en avait pas chez nous.
Président : il va y avoir des troubles à KIBEHO et pourquoi ?
Innocent BAKUNDUKIZE: les troubles sont arrivés à KIBEHO car les gendarmes étaient à ce lieu-là à
MURAMBA et d’autres à MUNINI. Ces gendarmes sont venus nous dire que les Tutsi venus trouver
refuge chez nous étaient là avec le plan de nous attaquer.
Président : c’est en effet ce qu’il a indiqué dans sa déclaration – D10365.
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : que se passe-t-il ensuite ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on nous a dit de chasser ces Tutsi qui avaient trouvé refuge à KIBEHO
Président : « chasser », que cela veut dire ?
Innocent BAKUNDUKIZE : les déloger de là pour partir ailleurs
Président : pour les « déloger », il fallait s’équiper, s’armer ?
Innocent BAKUNDUKIZE : nous devions nous équiper d’armes traditionnelles
Président : c’était la façon de chasser ou tuer ?
Innocent BAKUNDUKIZE: ils nous avaient demandé de les chasser. C’était une confrontation car ils
n’allaient pas se laisser chasser comme ça, c’était un combat entre nous et eux.
Président : c’est les Tutsi qui ont provoqué ce combat ? Qui est le responsable de cet affrontement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce sont des Hutu qui ont commencé ces combats car les Hutu ont attaqué.
Président : quand ils attaquent, leur but c’est quoi ? Chasser ou tuer ?
Innocent BAKUNDUKIZE: le but était de les chasser mais cela a changé car ils se défendaient donc
cela s’est transformé en tuerie.
Président : j’imagine que si je vois des attaquants Hutu avec des armes traditionnelles, si je suis Tutsi
c’est peut-être normal que je me défende ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui c’est ça. Cette fois-là ils nous ont repoussés, ils ont été plus forts que
nous, nous avons fait demi-tour.
Président : quel a été le rôle des gendarmes, des autorités administratives, de l’usine à thé ?

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Innocent BAKUNDUKIZE : le rôle des gendarmes est que ce sont eux qui nous ont conduits dans
cette attaque. Ils étaient armés de fusils. Le rôle des autorités, bourgmestres, gendarmes ou policiers
communaux, ils étaient tous dans l’attaque.
Président : les gendarmes venaient d’où ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à cette époque-là, il y a des troubles dus aux partis politiques. L’État avait
dépêché des gendarmes dans les centres afin d’assurer la sécurité. C’est ceux-là qui nous ont conduits
dans ces attaques parce qu’ils avaient été déployés en grand nombre dans les centres.
Président : les gendarmes de MUNINI, de GIKONGORO, d’ailleurs ?
Innocent BAKUNDUKIZE : de GIKONGORO, ils étaient envoyés par l’État et déployés dans les
différents centres.
Président : quelle était leur mission quand ils ont été déployés ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ils disaient qu’ils venaient assurer la sécurité de la population car il y avait
des troubles liés aux partis politiques.
Président : c’est quoi la sécurité des personnes ? Assurer la sécurité de tout le monde ou tout le
monde sauf les Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cela voulait dire assurer la sécurité des biens et des personnes, y compris
les Tutsi car ils sont venus au moment des troubles politiques, bien avant la mort d’HABYARAMANA.
Président : qu’est-ce qu’i va changer puisque, si je comprends ce que vous me dites, ils n’assurent plus
la sécurité des Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cela veut dire qu’après la mort du Président HABYARIMANA, ils ont
éprouvé une telle colère ( les gendarmes, les miliaires, les autorités administratives supérieures) qu’ils
ont propagé dans la population.
Président : j’aimerais savoir pourquoi Charles NYIRIDANDI organise une réunion disant qu’il fallait
organiser des rondes avec les Tutsi?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’imagine qu’il devait avoir cette pensée au début mais ça a dû changer
peut-être par rapport aux directives reçues, mais je l’ignore.
Président : selon vous, ils ont peut-être reçu des directives ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est une supposition, je ne le sais pas
Président : dans cette supposition, les directives viendraient de qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : des autorités supérieures
Président : c’est qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je suppose que c’est venu des autorités supérieures militaires
Président : le nom d’Aloys SIMBA [4] vous parle ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui, il était colonel.
Président : il était présent en avril 1994 ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il n’était pas dans notre district mais dans la préfecture car il était chargé
de la défense civile.
Président : dès début avril ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas quand il a pris ses fonctions
Président : vous, personnellement, à combien d’attaques avez-vous participé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : trois attaques
Président : on a compris que la première attaque a été repoussée.
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Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : elle a lieu quel jour ?
Innocent BAKUNDUKIZE : le 11 avril
Président : la deuxième attaque s’est déroulée quel jour ?
Innocent BAKUNDUKIZE: j’ai oublié ; il me semble que c’est le 11 qu’a eu la réunion de secteur ; la
première attaque a eu lieu le 12. Il ne s’est rien passé le 13 et le 14 il y a eu la deuxième attaque et la
troisième le 15.
Président : il y avait beaucoup de monde ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il y avait beaucoup, beaucoup trop de monde car il y avait des personnes
venant des communes avoisinantes.
Président : comment ces personnes se sont retrouvées pour participer à cette attaque, des instructions
ont été données ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je ne peux pas savoir pour les instructions mais je sais que beaucoup de
personnes provenaient d’autres communes et secteurs.
Président : comment étaient transportées ces personnes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : une grande partie était à pied mais j’ai vu aussi des véhicules transporter
des gens comme ceux de MUDASOMWA.
Président : des véhicules de l’usine à thé ont servi à transporter des gens ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, j’ai vu un de type Daihatsu.
Président : NDABARINZE était là avec son véhicule personnel ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui.
Président : les gendarmes sont venus à pied ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je n’ai vu aucun véhicule de la gendarmerie ce jour-là.
Président : vous aviez vu des fusils ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, beaucoup d’armes à feu. En plus des gendarmes, il y avait des
militaires.
Président : d’où venaient ces militaires ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas mais je les ai vus.
Président : des gens qui avaient reçu une formation militaire étaient-ils présents avec des armes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ces personnes-là n’étaient pas des employés de l’usine mais des gens qui
venaient de partout et venaient recevoir des entrainements militaires là.
Président : ils ont reçu des armes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cette jeunesse entrainée, chargée de la défense civile dont SIMBA était le
supérieur, était armée.
Président : comment pouvez-vous décrire ces attaques ? Vous, vous avez des gens ?
Innocent BAKUNDUKIZE : personnellement je n’ai tué personne mais j’ai fait partie de ces attaques. Il
y a eu trois attaques, personne n’est mort lors de la première attaque. La seconde, les gens étaient
armés, il y a eu des tirs et donc des morts. La deuxième et troisième attaques se sont déroulées de la
même manière : d’abord des tirs à feu puis les armes traditionnelles. Il y a eu beaucoup de morts.
Président : c’est quoi « beaucoup de morts » ?
Innocent BAKUNDUKIZE : beaucoup de Tutsi sont morts
Président : combien ?
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Innocent BAKUNDUKIZE : je ne peux pas savoir
Président : des femmes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : toutes les personnes réfugiées là sont mortes : des hommes, femmes,
enfants
Président : quel était le crime commis par ces enfants ?
Innocent BAKUNDUKIZE : aucun crime, ils étaient juste victimes à cause de leur ethnie
Président : tous étaient victimes
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : selon vous c’était des dizaines, centaines, milliers de morts ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne peux pas vous dire le nombre car je ne savais pas combien de
personnes s’étaient réfugiées là.
Président : quand on écoute les Tutsi, ils ont dit qu’ils étaient allés se réfugier dans la maison de Dieu.
Est-ce que vous êtes catholique, vous alliez de temps en temps à la paroisse de KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui je suis catholique et j’allais à la paroisse, à la messe.
Président : avec les Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui avec eux
Président : qui a enterré les morts ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je n’ai pas saisi la question
Président : qui a enterré les corps, concrètement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce sont les autorités communales et de secteur qui ont participé aux
enterrements. Ils ont utilisé la population.
Président : on a utilisé des engins particuliers, de chantier, comme des bulldozers ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, il y a des bulldozers de la société MGEKO, qui faisait des travaux à la
préfecture.
Président : à la préfecture ou sous-préfecture ?
Innocent BAKUNDUKIZE: à la préfecture
Président : donc l’engin venait de GIKONGORO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il venait de la commune de MUDASOMWA où il y avait des travaux.
Président : c’était une société privée ou publique ?
Innocent BAKUNDUKIZE : aucune idée
Président : qui pouvait commander l’utilisation d’un bulldozer de cette société pour enterrer les
morts ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’imagine que ça doit être le préfet à la préfecture qui devait donner
l’autorisation en cas de besoin.
Président : il y a eu un incendie, est-ce que vous avez vu l’incendie ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui je l’ai vu. L’église a brûlé. On l’a incendiée à cause des personnes à
l’intérieur, pour qu’elles brûlent à l’intérieur.
Président : on a utilisé de l’essence, on a mis des bûchers devant les portes, comment ça s’est passé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ils ont utilisé l’essence et des branchages d’eucalyptus secs. Ils ont brûlé en
commençant par la porte.
Président : des gens ont réussi à s’enfuir ?

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Innocent BAKUNDUKIZE: certains ont pu sortir. D’ailleurs, je les entends donner des témoignages
mais il y en a très peu.
Président : est-ce qu’ils ont été poursuivis ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai entendu par des témoignages que certains sont allés à KARAMA et
qu’ils ont été poursuivi jusque-là.
Président : certains ont dit avoir été poursuivis jusqu’à la frontière avec le BURUNDI.
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, je l’ai aussi entendu dans les témoignages.
Président : KARAMA c’est dans la préfecture de BUTARE ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : après le 15 avril, il y avait encore des Tutsi dans la commune, la sous-préfecture ?
Innocent BAKUNDUKIZE : vous parlez de maintenant ?
Président : après le 15 avril, la fin des attaques.
Innocent BAKUNDUKIZE : non, ils avaient tous fui, d’autant plus que certains avaient déjà fui au
BURUNDI, sans passer par la paroisse.
Président : pour ceux qui n’avaient pas fui, s’était cachés, il y a eu des meurtres ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, après il y a eu des campagnes de recherche de Tutsi dans leurs
maisons. Quand on en trouvait un, on le tuait.
Président : c’était en même temps que ce qu’on appelle « la campagne de pacification » ?
Innocent BAKUNDUKIZE: par la suite, il y a eu un temps d’accalmie, on a dit aux gens de retourner
chez eux, à leurs occupations.
Président : à quel moment ont lieu les derniers assassinats de Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : vous me parlez de KIBEHO ou tout le district ?
Président : de ce que vous connaissez.
Innocent BAKUNDUKIZE : la région est vaste donc je ne peux pas vraiment savoir. Mais là où j’étais, il
y a eu d’autres massacres au mois de juillet. À cette époque-là, j’étais devenu bourgmestre de
MUBUGA, il y a eu des congrégations avec des prêtres et religieuses et ils ont été tués. La manière
dont sont mortes ces personnes, elles étaient encore à BUTARE jusqu’à l’arrivée des Français avec la
zone Turquoise. Les Français sont allés les chercher pour les amener dans la zone Turquoise. Il y a eu
un premier convoi avec les Français et les autres qui suivaient derrière, arrivés à MUBUGA, ont été tués.
Président : parce qu’ils étaient Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : il y a eu des pillages à KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, des vaches
Président : des femmes ont été violées ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, pas lors des attaques
Président : les pillages ont continué après les attaques de KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, car ils allaient dans les maisons de Tutsi pour piller.
Président : savez-vous si le préfet et l’évêque sont venus à la paroisse de KIBEHO après les attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il me semble qu’ils sont venus à la paroisse un dimanche et sont venus
constater ce qui s’était passé.
Président : ils ont vu les morts ?

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Innocent BAKUNDUKIZE : oui, ils sont venus et ont constaté des morts car j’y étais également. Je me
rappelle d’ailleurs qu’ont a sorti un ou deux enfants des cadavres. Ils les ont mis dans les voitures pour
les amener à l’hôpital de KIGEME.
Président : c’était des cadavres ou des blessés ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ils étaient blessés mais en vie.
Président : le préfet et l’évêque ont demandé qui avait mené ces attaques, ce qui s’était passé,
pourquoi cela s’était passé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : comme ils étaient avec le bourgmestre Charles NYIRIDANDI, ils ont
sûrement dû lui demander et il a dû donner des explications.
Président : à votre avis, est-ce que le préfet pouvait ignorer le rôle des autorités locales lors des
attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on ne peut pas dire qu’il pouvait l’ignorer mais le préfet n’avait pas la
possibilité de les arrêter.
Président : ce n’est pas ma question. Est-ce qu’il pouvait savoir, ils ont posé des questions ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne peux pas avoir ce qu’il a demandé au bourgmestre mais je sais qu’ils
étaient ensemble et qu’ils échangeaient.
Président : que pouvez-vous nous dire de la mort de Charles NYIRIDANDI ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne pouvais pas savoir car lui était à MUNINI et moi à KIBEHO. J’ai
entendu dire qu’il aurait pris des éclats de grenade quand il empêchait la population de piller le
grenier de la sous-préfecture de MUNINI.
Président : je ne comprends pas bien, MUNINI ce n’est pas MUBUGA, que faisait-il là-bas ?
Innocent BAKUNDUKIZE : le chef-lieu de la sous-préfecture de MUNINI était MUBUGA.
Président : il meurt autour du 15 mai 1994 il semblerait, ça vous semble correct ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je n’ai pas retenu la date, j’ignore la date.
Président : vous connaissez un HATEGEKIMANA Jean ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, il était le conseiller au secteur et il faisait l’intérim en cas d’absence du
bourgmestre.
Président : ce conseiller, apparemment du secteur de NYARUSHISHI, a participé aux attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il était présent, il a eu un rôle
Président : vous allez être désigné pour devenir le nouveau bourgmestre de MUBUGA. Vous avez
indiqué avoir rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA avant la prestation de serment, rencontre dans
son bureau ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est exact, je l’ai rencontré dans son bureau
Président : à ce moment-là, le préfet vous a posé des questions pour savoir ce qui s’était passé à
KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non il ne m’a posé aucune question
Président : vous vous souvenez de l’enterrement de Charles NYIRIDANDI ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je ne me souviens pas de la date mais lors de l’attaque, quand il a été
blessé, on l’a conduit à l’hôpital de BUTARE et il décède là. Il a été enterré chez lui.
Président : il y avait du monde à son enterrement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas car je n’étais pas présent, j’avais déjà commencé le travail
Président : quel travail ?
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Innocent BAKUNDUKIZE : avant, je travaillais comme agronome à l’usine à thé.
Président : donc pas présent à l’enterrement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non
Président : il me semble important à ce stade de donner lecture d’un document – D8294 : rapport de
circonstances sur la mort de Charles NYIRIDANDI écrit par le préfet Laurent BUCYIBARUTA, adressé au
Ministre de l’Intérieur, et en copie au Président et au Premier Ministre. Est-ce que Charles NYIRIDANDI
était un homme de bravoure ou il a participé à des actes de nature inhumaine ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je sais qu’avant il était enseignant donc il était habitué à être prêt des
hommes. Ensuite il a été nommé responsable de zone puis maire de la commune de MUBUGA. Je ne
sais pas comment il fonctionnait dans son travail. Je sais qu’il a participé aux attaques car on était
ensemble.
Président : quand il participait, c’était un homme de bravoure ou il participait aux actes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il était comme d’autres tueurs.
Président : vous avez entendu lors de réunions publiques ou privées, le préfet Laurent BUCYIBARUTA
condamner les actes de violence/massacres commis contre les victimes Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce que vous évoquez pour les entretiens privés, il n’y en a jamais eu et je
n’ai jamais participé à des réunions qu’il a fait tenir. Mais en se référant à son discours lors de ma
prestation de serment, le préfet Laurent BUCYIBARUTA m’ a recommandé de me préoccuper de la
sécurité de la population. Ceux qui étaient morts ou avaient fui, c’était le passé, il devait plutôt s’atteler
à la sécurité maintenant.
Président : est-ce vous avez conscience que pour un certain nombre de personnes, sa nomination a
pu être perçue comme une récompense pour ses « bons services » ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne pense pas que cette nomination pouvait être analysée comme une
récompense mais je pense qu’on a surtout tenu compte d’une urgence de remplacement de la
personne décédée. Comme il avait déjà été antérieurement bourgmestre, je pense qu’on a tenu
compte de cela, surtout qu’il était originaire de la commune.

Juge assesseure 1: en 2012, vous êtes entendu par des gendarmes français au tribunal de
NYAMAGABE ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Juge assesseure 1 : on vous a posé la question suivante – D10365/2. Pourquoi avez-vous changé
d’avis depuis ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui j’ai dit ça car à ce moment, j’ai laissé parler la peur car à cette époquelà, il fallait aller témoigner selon ce que le gouvernement vous disait de dire. Et si tu n’acceptais pas, les
suites étaient catastrophiques.
Juge assesseure 1 : donc vous dites qu’à l’époque vous auriez eu peur de venir devant une juridiction
française ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, exactement, car je n’étais pas sûr de ma sécurité
Juge assesseur 1 : en prison ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je craignais pour ma sécurité en prison si je témoignais de façon contraire
à ce que les autorités souhaitaient.
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Juge assesseure 1 : qu’est-ce qui a changé maintenant et qui fait que vous n’avez plus peur
aujourd’hui de témoigner ?
Innocent BAKUNDUKIZE : les choses ont changé.

QUESTIONS des parties civiles :
Président : vue l’heure, je vous demande de faire court.
Me FOREMAN : vous avez parlé tout à l’heure de la jeunesse entrainée qui n’était pas des employés
de l’usine mais qui venaient dans la région de MATA recevoir un entrainement miliaire. C’était connu à
l’époque, cette jeunesse qui venait s’entrainer ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cet entrainement se faisait de plein jour, on les entrainait pour qu’ils soient
aptes à aller dans l’armée. Ils allaient livrer bataille contre les Inkotanyi [5].
Me FOREMAN : ils ont « livré bataille » à KIBEHO donc ? J’ai cru comprendre que oui tout à l’heure.
Innocent BAKUNDUKIZE : effectivement, ceux qui ont eu des entrainements pour lutter contre
les Inkotanyi faisaient partie des groupes à KIBEHO avant de partir au front.
Me FOREMAN : cela se faisait de plein jour, donc à votre avis le préfet devait être informé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne suis pas certain que tout ce qui se faisait en plein jour était connu par
le préfet ou les canaux habituels.
Me FOREMAN : mais vous avez dit tout à l’heure que ces jeunes avaient comme supérieur Aloys
SIMBA, qui travaille aux côtés du préfet!
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai bien dit que SIMBA était chargé de la défense civile, je ne sais pas
comment il travaillait avec le préfet.
Me FOREMAN : je comprends votre grande prudence. Est-ce la même prudence qui vous a poussé à
répondre que Charles NYIRIDANDI recevait des instructions des autorités supérieures puis vous avez
précisé militaires. Mais l’armée ne donnait pas d’instruction aux bourgmestres, n’est-ce pas ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne comprends pas
Président : est-ce qu’on peut juste lui demander si à son avis, Charles NYIRIDANDI a reçu des
instructions des autorités militaires ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, je ne le sais pas
Me FOREMAN : est-ce que la police communale a participé aux attaques également ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, j’ai bien dit qu’ils faisaient partie de ceux qui ont attaqué
Le Président sourit et se penche vers le deuxième juge assesseur pour lui chuchoter que les questions vont
être longues.
Me GISAGARA : M. le Président, je sais que je formule souvent de longues questions donc je vais
tâcher de faire court. Vous faites partie des attaquants de la paroisse de KIBEHO. Il y a l’école MarieMerci juste à côté. Elle ne fait pas l’objet d’attaques, on est d’accord ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, on n’a attaqué que l’église de KIBEHO
Me GISAGARA : vous savez pourquoi ? Parce qu’il y avait aussi des étudiants Tutsi j’imagine
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est parce ce que nous avions seulement peur des Tutsi de la paroisse
Me GISAGARA : mais finalement ces étudiants seront tués. Vous pouvez me dire pourquoi ?

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Innocent BAKUNDUKIZE : ces étudiants ont continué à étudier, c’était des Tutsi mélangés à des Hutu.
Quand il y a eu un semblant de paix, nous sommes retournés à nos occupations habituelles, je n’ai pas
de détails sur leurs morts.
Me KARONGOZI : à l’usine à thé de MATA, les rémunérations étaient plus importantes que cellesde la
fonction publique ?
Innocent BAKUNDUKIZE : exactement
Me KARONGOZI : à votre avis, pourquoi on nomme comme directeur un membre de l’ Akazu, du
Nord ?
Innocent BAKUNDUKIZE: la raison simple est que le système était conçu comme ça. Ce qu’on faisait à
cette époque-là, ces personnes de l’Akazu avaient des postes juteux.
Me KARONGOZI : pensez-vous que la création de la CDR [6], qui va commencer à brûler des maisons à
MATA, ces actes ont été encouragés par le directeur ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je pense que vous avez mal compris. Je n’ai pas dit que ces personnes
entrainées et qui travaillaient à l’usine sont allées attaquer.
Président : je pense qu’il faut garder du temps pour la Défense.
Me KARONGOZI : la commune que vous avez dirigée compte, je pense que vous le savez, beaucoup
de Tutsi. Vous avez précisé que tout le monde s’entendait jusqu’à la chute de l’avion. Vous recevez des
instructions qui résultent en un nombre impressionnant de victimes et il y a une mobilisation générale
des populations, y compris des communes avoisinantes. Vous pouvez nous citer des personnes venues
de ces communes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il est difficile de connaitre les noms de ces personnes
Me KARONGOZI : le nom des communes
Innocent BAKUNDUKIZE : MUDASOMWA, KIVU, RUNYINYA.
Me KARONGOZI : à votre connaissance, vous avez parlé de gendarmes venant de MURAMBA,
MUNINI et qui auraient diffusé des informations. À votre avis, toute cette mobilisation aurait pu
échapper au préfet Laurent BUCYIBARUTA ?

QUESTIONS du ministère public :
Ministère public : sur les attaques de la paroisse, vous avez évoqué une action coordonnée entre les
gendarmes, la population civile. Sur les autorités civiles, vous avez mentionné les bourgmestres. Vous
avez dit qu’étaient présent Charles NYIRIDANDI et Jean HATEGEKIMANA. Dans votre déposition, vous
aviez mentionné d’autres personnes. Vous pouvez nous citer l’ensemble des autorités civiles présentes
ce jour-là ?
Innocent BAKUNDUKIZE: ceux dont je me souviens le nom : le bourgmestre de RWAMIKO, Silas
MUGERANGABO. Je n’ai pas d’autre noms.
Ministère public : est-ce que le sous-préfet était présent et son nom ?
Innocent BAKUNDUKIZE : BINIGA Damien
Ministère public : cette présence des autorités locales donnait un sentiment de blanc-seing à la
population ?
Président : on pourrait formuler en disant « Est-ce que les attaquants se sont sentis encouragés par la
présence des autorités locales ? »
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Innocent BAKUNDUKIZE : certainement que la présence de toutes ces autorités encourageaient la
population dans ces actions.
Ministère public : et au-delà, est-ce que ça donnait à la population un sentiment d’impunité, de bon
droit ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas pour les autres
Ministère public : vous-même, est-ce que vous avez craint des poursuites ou pas du tout au contraire
car les gendarmes participaient par exemple.
Innocent BAKUNDUKIZE : personnellement, je sais que j’ai mal agi, j’ai regretté et demandé pardon à
Dieu et aux autorités.
Ministère public : d’accord pour maintenant, mais à l’époque, est-ce que vous vous en êtes caché ?
Est-ce que c’était « normal » ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à ce moment-là, ces actes étaient contraires à la loi.
Ministère public : on peut dire que votre participation était de notoriété publique, tout le monde
savait que vous aviez participé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je comprends que ma participation n’ait pas eu le même poids qu’un
simple citoyen.
Ministère public 2 : vous avez indiqué lors de votre exposé mais aussi de votre audition par les
gendarmes que les institutions ne fonctionnaient plus après votre nomination comme bourgmestre le
3 juin – D10365/3.
Ensuite vous dites organiser des réunions pour assurer la continuité des fonctions – D10365/7
Malgré cette situation que vous décrivez, vous décrivez aussi un retour au calme, tous les Tutsi sont
morts sur la colline de KIBEHO. Malgré tout, vous continuez d’exercer vos fonctions selon les directives
du préfet Laurent BUCYIBARUTA qui garde toujours son autorité. C’est une réalité ? Vous avez pris vos
fonctions et agi en fonction des directives du préfet ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai fait faire des réunions dans les secteurs. C’est vrai, le préfet m’avait
donné des recommandations pour rétablir la paix parmi les citoyens, c’est ce qui m’a poussé à me
rendre dans les secteurs.
Ministère public 2 : à partir du moment où il n’y a plus de Tutsi, ce sont vos mots, quel est le sens de
ce message de pacification ?
Innocent BAKUNDUKIZE : certes il ne restait que les Hutu mais il pouvait y avoir des conflits internes.
QUESTIONS DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : est-il exact que les troupes du FPR ont pris le contrôle de la préfecture de
GIKONGORO après le départ des troupes françaises de Turquoise ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je voudrais que vous reformuliez s’il vous plait…
Me BIJU-DUVAL répète.
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne me rappelle pas. Vous pouvez me rappeler les dates ? Quand part
Turquoise ?
Me BIJU-DUVAL : nous avons un document Dc5/15 qui indique que les dernières troupes françaises
partent le 24 août 1998.

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Innocent BAKUNDUKIZE : dans ma commune, nous avons collaboré avec les militaires du FPR. Nous
avons collaboré avec d’autres conseillers de secteur car d’autres avaient fui, nous avons organisé des
élections.
Me BIJU-DUVAL : vous avez indiqué lorsque vous êtes entendu par les enquêteurs français, que vous
avez continué à exercer vos fonctions de bourgmestre jusqu’à décembre 1994 – D10365/2. À ce
moment-là, les nouvelles autorités du FPR n’ont pas d’informations qui auraient pu les pousser à vous
exclure du poste de bourgmestre, on peut conclure cela ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui car je ne leur ai jamais révélé ce que j’avais fait auparavant.
Me BIJU-DUVAL : tout à l’heure vous avez décrit le moment où le préfet Laurent BUCYIBARUTA se
rend à l’église de KIBEHO après les massacres et vous avez indiqué l’avoir vu converser avec le
bourgmestre Charles NYIRIDANDI et à ce moment, en parlant des massacres, vous avez dit « le préfet
ne pouvait rien arrêter ». Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je dis cela car à ce moment-là, dans la situation de l’époque, et tenant
compte de la colère des militaires après avoir eu l’information que le chef d’État était mort et en même
temps ils subissaient des défaites dans les combats alors qu’ils avaient des armes modernes donc ils
étaient censés être plus forts que toute autre autorité politique ou administrative.

Audition de madame Théodette MUKAMURARA, rescapée de l’école Marie-Merci. Partie civile.

Mémorial de Kibeho

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« Ce que je voudrais vous dire et ce qui me tient à cœur, d’abord c’est de vous m’exprimer mes
remerciements pour me prêter une oreille attentive, entendre nos blessures et notre chagrin, ce qui
nous a poussés à nous constituer partie civile. Cette situation douloureuse que nous vivions depuis le
génocide ne nous quitte pas.
Tout ce qui me concerne rentre dans la période du génocide, où j’étais élève au lycée scolaire de
KIBEHO, et je venais d’y passer trois ans. Les autres élèves, pendant cette période, étaient en vacances,
mais j’étais à l’école suite à une grève qui avait eu lieu avant les évènements du génocide. Le Ministre
de l’Éducation avait pris la décision de fermer momentanément notre établissement scolaire. Donc,
pendant le génocide, nous étions restés à l’école pour rattraper le temps que nous avions perdu
pendant que l’école était fermée.
Peu avant le génocide, à cette école, j’ai vu la persécution comme un exercice menant vers le massacre
des Tutsi. Nos collègues les Hutu ont décidé de tuer les Tutsi. Un soir, nous avons vu tous les élèves
entrer faire une manifestation. Un enfant de GIRA a divulgué ce secret comme quoi les élèves Hutu
avaient ourdi un complot de tuer les élèves Tutsi. Elle l’a révélé au directeur qui a rassemblé tous les
élèves dans l’église, a donné ces informations et a transmis ces mêmes informations aux autorités.
Comme les élèves concernés venaient de constater qu’ils avaient été démasqués, ils ont pris des
cartons et des troncs de bananiers, et ils se sont rendus au cimetière tout proche de l’école . Ils étaient
en train de chanter. Lorsque nous avons vu cette scène, nous nous sommes enfuis.
Après environ trois jours, nous sommes revenus à l’école, on nous avait dit que la situation s’était
calmée et on nous avait aussi dit qu’on avait envoyé sur place des militaires. Les comploteurs auraient
dû mettre leur projet en œuvre avant qu’ils ne soient démasqués. Ce qui nous a montré qu’ils étaient
tous de mèche, c’est que le Ministre e l’Éducation nous a ramenés à l’école, et il n’a pas été question
de savoir qui était le meneur afin qu’il soit sanctionné. Par contre, on a licencié le directeur qui était
Tutsi, on a aussi changé d’animatrice, nommé un autre directeur. Les élèves nous ont dit qu’ils étaient
contents car on avait nommé leur congénère Hutu. Vous comprenez que tout en poursuivant nos
études, on se sentait menacé car ils nous disaient qu’ils allaient s’en prendre à nous.
Le moment fatidique a sonné lorsqu’il y a eu l’attentat de l’avion d’ HABYARIMANA. Vers cinq heures
du matin, des élèves ont poussé des cris: ils avaient entendu la nouvelle à travers un communiqué qui
avait été diffusé, entendu par un veilleur de nuit de notre école. Ils ont tous crié ensemble « Notre père
vient de mourir, notre père vient de mourir. Il n’a pas été tué par des personnes autres que des Tutsi. »
Nous avons vu que les choses avaient changé. Nous avons tenté d’aller en classe, les autres élèves
n’étaient pas là, les professeurs non plus. Le 8 avril, les réfugiés ont commencé à affluer à l’église qui
était très voisine de l’école. Certains des élèves logeaient à l’arrière de l’église, d’autres dans les
bâtiments situés dans la cour du presbytère. Les autorités ont fait descendre les élèves à l’école, c’est là
qu’ils dormaient désormais; tous les élèves ont été rassemblés dans l’école. A ces dates-là, du 8/9/10
avril, le nombre de réfugiés a augmenté dans l’église.
Comme ils commençaient à avoir faim, ils sont descendus à l’école demander de la nourriture et de
l’eau; il y avait mes parents, frères et sœurs. Un véhicule administratif est arrivé, je ne me souviens pas

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s’il appartenait à la préfecture ou à la commune, il transportait des gendarmes. Les autorités sont
descendues de ce véhicule pour nous dire qu’elles amenaient des gendarmes pour assurer notre
sécurité. Un commandant de gendarmerie est resté sur place. Là où nous étions, nous avions une vue
sur la route d’en face, aux dates des 12/13/14 avril, nous pouvions voir ce qui se passait à cet endroit là. Beaucoup de gens donnaient des coups de sifflet et chantaient « Exterminons-les, exterminons-les ».
Ils sont venus et ont encerclé l’église, l’école, et ils se sont mis à tuer les réfugiés. Les gendarmes
disaient « taisez-vous », ils écoutaient tout simplement le bruit des balles. Ils les ont tués, nous les
avons entendus hurler, gémir. Finalement, il est arrivé un moment où nous n’entendions que cette
musique de balles, pas une voix humaine.
Après le 14, les gens qui venaient tuer étaient en petit nombre. Entre-temps, quiconque fuyait,
les Interahamwe [7] les tuaient. Après environ cinq jours plus tard, les corps de ces personnes qui
gisaient partout dans l’église et dans la cour ont commencé à sentir mauvais. Le directeur nous a dit
qu’il allait réclamer que ces personnes soient enterrées. Nous autres étions fort chagrinés, car c’était
nos parents, nos frères et sœurs et nos voisins. La manière dont ils les ont enfouis était fort affligeante.
Ceux qui travaillaient là-bas pour les enterrements, percevaient une rémunération de 400 francs
rwandais, valeur de l’époque. Ils agissaient deux par deux, ils prenaient les corps, les entassaient les
uns sur les autres pour faire beaucoup de tas. Puis arrivait le bulldozer de couleur jaune qui prenait de
la terre pour la déverser sur chaque tas. A ce moment-là, sans distinction, quiconque qui respirait
encore ou qui avait perdu un bras, se retrouvait sous cette terre. Tout le monde se retrouvait sous
cette terre. On nous a dit que ces camions étaient venus de GIKONGORO pour nous aider à enterrer
les corps. Ils étaient contents lorsqu’ils les ont enfouis. Entre-temps, restait la question de savoir ce que
nous allions advenir et où nous allions aller. D’abord, nous souffrions de savoir que nos proches
avaient été tués et que nous allions subir le même sort, le même traitement, nous subissions la torture
morale et quotidienne de la part de nos collègues élèves.
J’ai vu deux choses là-bas que je garderai toujours en moi. Notre veilleur est allé à l’arrière de l’école, a
ramené un bébé en train de téter le sein de sa maman qui avait été tuée. Il nous a confié ce bébé.
Comme cet enfant ne voyait plus sa maman, il pleurait tout le temps. Ce qui m’a attristé c’est que cet
homme nous a dit: « Est-ce que vous ne voyez pas qu’il serait opportun que je tue cet enfant qui pleure
tout le temps ? ». Ce qui est stupéfiant c’est que les élèves lui ont dit oui qu’il fallait tuer cet enfant car
il était de sexe masculin. Ce qui n’arrive pas à me quitter, c’est que c’était moi qui tenais cet enfant et
qu’il me l’a pris. J’ai serré fort cet enfant, mais l’autre a été plus fort et me l’a arraché. Il l’a emmené
devant le dortoir, il l’a frappé contre le mur et lui a donné un coup de gourdin. Ensuite, les enfants qui
sont venus à l’école dont ceux de chez nous, nous les avons cachés dans une ancienne salle qui jadis
servait de réfectoire. Nous leur apportions de quoi manger et un jour nous avons vu que les élèves leur
avaient cassé le dos, ils se traînaient par terre n’arrivant plus à s’asseoir. Nous ne sommes plus
retournés là-bas car nous savions que nous allions être tués, ils sont morts de faim. Le plus affligeant
c’est que le directeur Emmanuel était au courant de tout cela, il ne faisait rien du tout. Nous
demandions à Emmanuel ce qui allait se passer, car à chaque fois les élèves nous menaçaient en nous
disant que ça allait être notre tour. Nous leur avons donc demandé ce qui allait advenir de nous. Il a dit
qu’il attendait les instructions de l’autorité, qu’il allait à GIKONGORO, et qu’à son retour il aurait une
réponse.

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A son retour, il ne nous a rien dit. Il a été silencieux et nous a conduits à l’École des Lettres. Durant tout
notre trajet, il y avait devant nous des gendarmes et des enfants dont on avait tailladé les corps mais
qui étaient toujours en vie. Il nous a dit qu’on avait la messe pour nous, il y avait aussi
des Interahamwe qui sont venus, ils avaient déposé leur machette à l’entrée de l’église. Ce qui est
étonnant, c’est qu’on nous a dit qu’on ne nous donnerait pas l’Eucharistie car il n’y avait pas
suffisamment d’hosties : les « cafards » les avaient toutes consommées (allusion au Tutsi). On nous
disait que ceux qui allaient en bénéficier étaient ceux qui étaient au « travail » (les tueurs, les Hutu).

Quand nous sommes retournés à l’école, on a vu quelque chose de terrible. Notre Doyen avait caché
un Tutsi dans une grande marmite. Les élèves Hutu ont dit que la nourriture était empoisonnée et qu’il
fallait que les élèves Tutsi la mangent sous leurs yeux. On l’a fait car on savait qu’elle n’était pas
empoisonnée. Les gendarmes sont arrivés dans une voiture de la préfecture, et à son bord, il y avait
d’autres autorités diverses. Parmi eux, il y avait Damien BINIGA (sous-préfet), Laurent BUCYIBARUTA
(préfet de GIKONGORO), le bourgmestre de MUBUGA et un assistant de santé locale, ainsi que
l’évêque MISAGO. C’était un grand groupe, ceux que je viens de citer sont ceux dont je me souviens.
Ils ont dit qu’en ce qui nous concerne la situation était réglée, qu’on allait être protégés par les
gendarmes. En réalité, on savait de quelle sécurité il s’agissait, nous savions que par « sécurité », ils
voulaient dire que tous les Tutsi allaient être tués et que seuls les Hutu seraient en sécurité. Ils ont tenu
une réunion, nous n’arrivions pas à savoir ce qu’ils disaient. Ils se sont fait rejoindre par les chefs
(jeunes gens qui étudiaient à l’école) avec le directeur Emmanuel.
Après la réunion, les autorités sont reparties en laissant sur place les gendarmes. Certains élèves qui
avaient tenté de fuir vont se mettre en danger, effectivement personne n’a pu fuir, car les gendarmes
nous surveillaient. En réalité, nous savions ce qui nous attendait. Nous tentions de rester forts. Ils nous
disaient que, d’un moment à l’autre, notre heure allait arriver, ils attendaient un coup de sifflet.
Pour dire vrai, du 7 au 30 avril, nous avons connu beaucoup de problèmes, nous n’avons eu rien de
bon, et nous avons essayé de faire tout ce qui était en notre pouvoir pour fuir. Ce n’était pas possible
de nous concerter pour nous mettre d’accord sur la route que nous allions emprunter. Mais, à un
certain moment, nous avons pu nous mettre ensemble à 10. Nous nous sommes mis d’accord, qu’il
fallait s’évader de là dans la nuit du 1er, au moment où les autres seraient entrés au réfectoire pour
manger. C’est à ce moment que les gendarmes en ont profité pour aller manger aussi. Nous avons
amorcé une descente à travers une forêt située en contrebas de l’école. C’était donc moi, une jeune
fille, et neuf garçons, tous les noms ne me reviennent pas, nous étions 10. Nous sommes descendus à
travers la forêt, et nous nous sommes retrouvés nez à nez avec une barrière. Nous avons rebroussé
chemin jusqu’au collège Marie-Merci et nous avons encore rencontré une barrière. Je connaissais bien
la localité, nous avons pu traverser la route pour aboutir à une vallée. J’ai marché devant eux afin de
les aider à fuir vers le Burundi, mais ce trajet n’était pas du tout facile.
Nous marchions la nuit, et nous nous cachions dans les forêts, dans les brousses. Quand la pluie
tombait, les tueurs ne venaient pas beaucoup à notre chasse. De notre cachette, nous voyions les gens

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se faire tuer. Même si c’est moi qui les ai guidés du haut de mes 14 ans ce n’était pas facile, je ne
connaissais pas très bien les lieux. Nous fuyions depuis plusieurs jours, pour nous rendre compte que
nous étions revenus à la case départ. Nous avons discuté, nous étions morts de faim et nous sommes
allés chercher de la nourriture, arracher du manioc en vue de le croquer. Je me suis endormie sur place
à cause de la faiblesse, de la faim et de la fatigue. Ils m’ont laissée, mais une fois en haut de la colline,
ils se sont rendus compte qu’ils m’avaient abandonnée. Ils sont revenus me chercher.
Nous avons continué notre périple. Il y a eu, ce que je pourrais qualifier de la « chance ». Les gens
nous ont entendus et ont poussé des cris. Nous avons couru jusqu’au moment où nous sommes
arrivés dans la vallée. Nous avons couru jusqu’au moment où nous sommes arrivés jusqu’à la hauteur
des gens qui cultivaient la terre de l’autre côté. Nous avons commencé à nous adresser à eux en leur
mentant, en leur disant que nous étions des Hutu. Ils nous ont dit de ne pas mentir : « Ne nous mentez
pas, vous êtes en train de fuir, mais vous êtes au Burundi ».
C’est ainsi que nous sommes arrivés au Burundi. Ce qui est le plus affligeant c’est que c’est comme si
nous avions précipité la mort de nos collègues. Nous avions laissé nos collègues Tutsi à l’école, ils ont
été tués. Nous avions appris qu’ils les avaient tués d’une mort atroce. Quiconque voulait violer venait
et prenait qui il avait envie de prendre, en mentant et en disant qu’il allait la sauver et faire d’elle une
épouse. Certaines d’entre elles ont pu survivre dans cette situation. Ce sont elles qui nous l’ont
raconté. Par exemple, son « veilleur » avait, à lui seul, quatre filles chez lui à la maison. il les prenait à sa
guise et à tour de rôle selon ses envies. Les camarades Tutsi restés sur place sont morts d’une mort
atroce. Ils avaient été encerclés par les Hutu qui étaient dans leur collège. Aucune autorité n’a plaidé
leur cause, toutes ces personnes ont canalisé sur eux la fureur qu’ils ressentaient parce que nous leur
avions échappé. Ils ont beaucoup souffert.

Audition de monsieur Second TWAKIRAMUKIZA, rescapé de l’église de Kibeho. Partie civile.
Déclaration spontanée :
Permettez-moi de dire comment les autorités d’avant le génocide ont fait pour que les Hutu haïssent
les Tutsis. J’ai débuté l’école primaire en 1966. En 1967 j’étais en deuxième année. J’étais camarade de
classe de Claver, son père était notre enseignant. Il nous a demandé de nous scinder en deux
(Tutsi/Hutu). J’ai suivi Claver car c’était mon ami. Le maitre m’a dit non, toi tu es Tutsi. Le maitre s’est
levé et m’a frappé à la tête avec une barre. Ma tête était en sang. Je l’ai dit à mon père à mon retour. Il
m’a dit d’écouter le professeur. Des élèves et des étudiants de BUTARE sont venus à l’école où nous
étions à KIBEHO, ils sont venus dans un véhicule officiel, ils étaient armés. Quand ils sont arrivés sur la
place, un enseignant a dit que ç’en était fini pour les maitres et les élèves Tutsis.
Les enseignants ont fui. Nous aussi. J’ai appris que j’étais Tutsi aussi, j’ai fui. En 1990, le 1 octobre,
quand les Inkotanyi ont attaqué le RWANDA, le lendemain matin, les autorités communales, les
policiers sont venus, ils ont arrêté les Tutsis enseignants. À cette époque j’étais responsable de cellule.
Ils sont restés en prison une semaine, ils ont été molestés. Quand on les a relâchés, ils ont été conduits
à l’hôpital. Le 14 juin 1993, je ne peux pas l’oublier, il y avait le multipartisme. Ce jour-là il y a eu un

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meeting du parti MDR. On disait que le MDR était pour les Hutu qui n’avaient pas épousé les Tutsi et
qui ne soient pas parents des Tutsi. Celui qui dirigeait le meeting, il y avait le sous-préfet Damien
BINIGA et notre bourgmestre. J’étais là car on nous avait dit que les responsables devaient être au
courant et assurer la sécurité des personnes présentes. Je devais faire un rapport. La personne au
micro a parlé fort « qui est notre ennemi ? » : « les Tutsi ». Ils ont tous acclamé le bourgmestre et le
sous-préfet. Quand j’ai vu ça, j’ai fait comme si j’allais aux toilettes et je suis parti.
En date du 7 avril matin, j’ai entendu à la radio que le Président HABYARIMANA était mort. Personne
n’est allé au travail. Je suis allé dans ma cellule pour voir comment ça se passait, j’ai croisé l’autre
conseiller Mathias GASHUMBA. Il m’a demandé quelle était la situation. Je lui ai dit que personne ne
travaillait, que tout le monde était arrêté. Il m’a dit que des cafards avaient attaqué, que ces cafards
avaient des grosses oreilles pendantes, ainsi que des grandes queues comme des moutons. Il m’a dit
de veiller à la sécurité et de cesser cela, j’ai acquiescé. J’ai dit à la population d’arrêter ces cafards.
Nous avons veillé toute la nuit pour arrêter ces gens. Dans les cellules il n’y avait pas de Hutu. Le
lendemain je n’ai trouvé que les Tutsi. Je leur ai demandé pourquoi. Ils m’ont dit que c’était moi le
responsable. Je suis allé m’informer et je suis allé voir mon collègue. Arrivé minuit, le conseiller est
venu. Je lui ai dit que les Hutu ne voulaient pas venir veiller avec nous. Il m’a dit « Ces gens sont
impossibles, je vais te montrer demain ». Il a dit qu’il allait demander au bourgmestre d’arrêter les Hutu
qui ne voulaient pas veiller.
Le lendemain vers 16h je suis allé vers l’église. J’y ai trouvé des réfugiés Tutsi. Ils m’ont dit qu’il y avait
des gens qui venaient de NYAMAGABE qui étaient venu détruire leur maison et piller leurs vaches. Ils
ont passé la nuit sur place. Le 9, je ne suis pas retourné veiller. J’ai passé ma journée là. Le 10 je suis
allé à la messe. Après je suis rentré. Il était autour de 11h, il y avait un bar qui était tenu par un Tutsi.
J’ai trouvé tous les Hutu rassemblés là, ils avaient cassé la porte et bu l’alcool. Celui qui était employé
(Jean), petit frère du propriétaire, a dénoncé ces gens. Je suis venu sur place. J’ai vu qu’ils avaient des
machettes dans la ceinture de leur pantalon. Je lui ai fait un signe pour qu’il sorte. Je lui ai montré
qu’ils avaient des machettes. Je suis parti. Vers 19h j’ai entendu des balles pas loin de ce bar. J’ai
entendu des bruits avec des voix qui disaient « Power! Power! ». Je me suis dit que là c’était le feu.
J’étais en face. Ils ont commencé à brûler. J’ai couru chez moi pour prévenir ma famille. Ils ont pu fuir.
Mon père est parti avec sa vache, la mienne et celle de mon grand-père. Mon père a donné les vaches
à mon petit frère. Nous sommes ,avec mon père, restés dans les champs pour regarder s’ils allaient
venir chez nous. Mon père avait un rôle à l’église catholique, il était très respecté. Mais les Hutu ont
brulé ses biens. Ils ont mis le feu avec des branches d’eucalyptus. Ils ont abattu les chèvres. Mon père
m’a dit qu’on allait fuir à KIBEHO. Nous nous sommes séparés en chemin. Arrivé sur place, j’ai trouvé
un jeune homme qui avait des troubles mentaux, avant on disait qu’il était fou, il était Tutsi. Ils l’avaient
découpé. Je suis allé à l’église.
Le lendemain matin je suis allé chercher l’herbe pour le bétail. Avant que je ne parte, le prêtre NGOGA
nous a apporté des vivres. Quand je suis allé chercher l’herbe je suis resté sur place. Mes camarades
Tutsi m’ont dit que les autorités étaient venues et que le bourgmestre m’avait demandé. Il est ensuite
revenu, il m’a dit qu’il m’avait cherché avant, alors que les autres autorités pensaient qu’il était
compétent. À la station d’essence on a trouvé des partisans du CDR, chapeau et béret rouge. On nous
a dit que les gens qui nous avaient attaqués étaient des voyous, qu’il fallait que l’on rentre, qu’on allait
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nous donner des logements et assurer notre sécurité. Innocent BAKUNDUKIZE, m’a dit « Notre père est
mort (président) et vous vous parlez, vous devez mourir aussi ». Nous avons pris la fuite, nous sommes
retournés à l’église.
Quand nous sommes arrivés à la paroisse, c’était un mardi, des gendarmes sont montés au nombre de
trois avec des fusils. Je ne distinguais pas ça avant, mais aujourd’hui j’arrive à savoir, ils sont allés à
l’arrière du presbytère. Au bout de 30 minutes nous les avons vu revenir avec Emmanuel UWAYEZU. Il
avait une valise. Quand ils sont descendus, le prêtre Pierre NGOGA nous a dit: « Ce que j’ai entendu
dire, c’est grave, faites attention ». Nous lui avons demandé de qu’il avait entendu. Il a répondu « laisse
». Dès que nous étions à la paroisse, il y avait des écoles primaires en contre-bas qui étaient pleines,
les écoles du haut aussi étaient pleines. Le prêtre Pierre a vu qu’il y avait des parents, des jeunes
mamans, des vieillards. Il a laissé ces bâtiments à ces gens-là. Quand il a dit ça, une femme a accouché
devant lui. Elle a été présentée à l’hôpital. Le directeur du centre de santé l’a refusée. Ils l’ont ramenée
et elle a rejoint les autres dans ces bâtiments-là.
Vers 13h30, nous avons entendu les personnes qui contrôlaient la paroisse dire: « Nous sommes
attaqués, nous sommes attaqués ». Une foule est montée jusqu’à la hauteur du Centre de santé. Nous
avons décidé de demander aux jeunes femmes et aux filles de ramasser des cailloux pour nous
défendre. Les tueurs sont venus, ils ont tiré et ont lancé des grenades. Un enfant est mort, l’autre a eu
la jambe coupée (mais pas complètement détachée de son corps). Ils ont pris le jeune, ils ont mis une
épée sur sa tête et l’ont enfoncée à l’aide d’un marteau. Nous avons compté les corps, ils étaient au
nombre de sept.
Le témoin quitte subitement la salle en pleurant.
*** Suspension d’audience – 16h56 ***
*** Reprise d’audience – 17h12 ***
Je parlais de la personne dont on a enfoncé une épée dans la tête, c’était mon cousin. Quand on a eu
le dessus sur eux et qu’ils sont partis, nous avons compté les corps. Nous sommes ensuite retournés à
l’église. C’était en date du 14, nous y avons passé la journée. Ce jour-là nous étions avec des Hutu qui
avaient fui avec nous. Leurs proches sont venus les chercher. Ces Hutu étaient des amis. Nous avons
passé là toute la journée jusqu’au milieu de la nuit. Ils nous ont lancé une attaque de grande
envergure. Ils sont venus en quatre groupes. nous entourant de tous côtés.
Nous nous trouvions ainsi en tenaille entre ces groupes. Les gendarmes qui gardaient les élèves de
Marie-Merci sont passés derrière pour que personne ne leur échappe. Ils ont fait un acte tellement
mauvais que Dieu les punira pour ça : ils ont tiré le bras de la statut de la Vierge (qui était pointé vers
le ciel). Ils ont crié « leur vierge vient de les abandonner ». Ils se sont mis à tirer, après avoir fait 50
mètres, les uns sont allés au Centre de santé pour y tuer les patients (femmes qui ont accouché). Après
les avoir tuées, ils sont revenus tuer les autres avec des gourdins. Ils sont partis aux établissements
scolaires et ont tué toutes les personnes qui s’y trouvaient. Les Interahamwe ont achevé les gens. Ceux
qui étaient passé derrière l’église ont tué les femmes ayant accouché et les vieux qui s’y trouvaient
après avoir encerclé l’église de partout. À ce moment, je suis à l’intérieur de l’église. Nous avons pris
les bancs de l’église avec lesquels nous avons condamné les portes. Ils n’avaient nulle part où aller. À
ce moment, les attaquants ont commencé à faire des tours dans l’église pour tirer. Notre église, on
l’avait construite avec de la terre. Mais aux alentours nous avions mis du ciment ce qui rendait facile la
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destruction. Ils se servaient de petites houx usées. Ils ont fait des trous tout autour des murs de l’église.
Ils faisaient passer par là des grenades. Ils lançaient dedans avec leur fusil des bombes lacrymogènes.
On avait mal aux yeux.
À ce moment c’était la nuit, ils n’ont pas pu passer. Ils ont reculé. Après, le prêtre est arrivé (Pierre). Il a
dit: « Quiconque se sent avec encore de la force doit s’approcher pour prier pour eux ». Il s’est approché
de l’hôtel, s’est assis dans le fauteuil principal du curé et a chanté un chant d’enterrement. Après, il a
tendu son bras, il a fait un signe de bénédiction en disant : « Vous partez sans pécher ». Il s’est assis
dans le fauteuil immédiatement. À ce moment-là, les gendarmes ont donné l’ordre que personnes ne
s’échappe. Ils nous disaient que nous allions avoir la vie sauve une fois arrivés à BUTARE dont le préfet
est Tutsi. Des personnes ont tenté de fuir, moi aussi. Mais une fois dans la forêt on nous a tiré dessus.
Je suis alors retourné à l’église. J’avais participé à la construction d’un WC. C’était fait de manière qu’en
cas de besoin on pouvait se cacher. Je m’y suis caché. Les gendarmes ont continué la ronde pour
empêcher les gens de partir, cela s’est déroulé jusqu’au matin (tirs). De nouveau, ils ont encerclé
l’église le matin. Je les connaissais par leurs noms. Innocent BAKUNDUKIZE, agronome à l’usine de
Mata, a dit de prendre les branchages des enclos des Tutsi et ceux du prêtre. Ils ont d’abord discuté
entre eux. Ils ont dit: « On ne peut pas trouver des branchages qui suffiraient pour brûler l’église et tous
les faire brûler dedans ». C’est alors qu’il a enfourché une motocyclette en disant: « Je vais vous
chercher de l’essence ». Il l’a fait. Ils ont mis des branches sèches partout, dont le toit de l’église qui
était fait de tuiles, de charpente en bois. Ils y ont mis le feu. L’église a brûlé. Ce fut des bruits et des
hurlements dans l’église. Ils ont passé des heures. Quand ils ont vu que tout le monde était mort ils
ont chanté: « Nous venons d’éliminer l’ennemi ». Il a même dit à haute voix: « Allons nous récompenser
avec des bières que nous avons pillées chez Jean ». Après leur descente, il n’y avait plus personne là-bas.
En ce qui me concerne, je mourrais déjà de faim. Je me suis dit qu’il fallait que je me rende à la
paroisse pour manger des bananes crues. Partout où je passais, le sol était jonché de cadavres. C’était
plutôt les mamans qui m’affligeaient. En réalité, les mamans et un papa ce n’est pas la même chose. Il
s’agit chaque fois de la mort, mais c’est quand même différent. J’ai eu un peu de bananes, la nuit est
tombée. J’ai pris la direction de la vallée. J’ai longé celle-ci dans le but de me rendre à Butare. Je suis
arrivé à NYUMBA. Lorsque j’y suis arrivé, on nous a de nouveau attaqués. Les gens que j’ai trouvés sur
place nous on dit: « Partons avant qu’ils nous tuent, si Dieu le veut nous arriverons au BURUNDI ». Dieu
était de mon côté, je suis arrivé au BURUNDI, mais seul d’une famille nombreuse.
Président : quel âge aviez-vous?
Le témoin : 34 ans, j’étais marié avec 4 enfants.
Président : que sont-ils devenus ?
Le témoin: 2 sont morts, ma femme a été grièvement blessée. Après le retour d’exil elle est décédée.
Le cadet avait 8 mois. Donc deux ont survécu. Mon grand frère avait 8 enfants, c’était l’ainé de mon
père. Tous ont été tués. Ma sœur et son mari ont tous été exterminés. Mon père aussi et mon petit
frère. Mon père n’est pas mort à l’église, il est retourné à son domicile, c’est là qu’il est mort. Je ne sais
pas où est son cadavre.
Président : vous nous avez parlé d’Innocent BAKUNDUKIZE qui a encouragé les massacres.
Le témoin : oui.
Président : Charles NYLIDANDI a fait lui aussi partie des attaquants ?
Le témoin : oui
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Président : aujourd’hui, comment vivez-vous ? Vous y pensez souvent ?
Le témoin : cela me pèse lourd, voyez j’ai 62 ans mais à cet âge je dois encore m’occuper d’un bébé.
Au moment où mes voisins ont des petits enfants.
Juge assesseure 1 : vous évoquez un meeting du pari MDR ? Il n’était pas accessible aux Tutsi ?
Le témoin: ce parti avait instauré cela.
Président : cela était-il fréquent de faire cette différence ?
Le témoin : non
Président : pouvez-vous donner d’autres exemples, ou c’était spécifique à ce parti ?
Le témoin : je peux vous en donner, tout ce qui concerne ce parti je dois vous dire que tout Tutsi
n’avait pas le droit de s’y tenir. Avant, les Tutsi comme les Hutu faisait partie du MDR. Le MDR rénové a
été mis en place pour qu’aucun des Tutsi ne participe.
Pas de question des PC, du MP ni de la Défense
Laurent BUCYIBARUTA : M. le Président, nous avons écouté le récit du témoin ici présent, je n’ai pas
de commentaires pour les évènements auxquels je n’ai pas assisté. Je précise que le 17 avril quand j’ai
appris qu’il y avait eu des massacres à KIBEHO, nous sommes allés ensemble avec l’évêque. J’ai
constaté tant de cadavres entassés. J’ai compris que les Tutsi à KIBEHO avaient été tués dans des
conditions atroces. J’étais tellement touché que je ne pouvais plus voir les cadavres des gens. C’était
atroce.

Audition de madame Agnès KAMAGAJU, rescapée de Kibeho. Partie civile.
Déclaration spontanée :
Ce que je voudrais dire, c’est que j’ai été baptisée dans la paroisse de KIBEHO. J’ai étudié
l’enseignement primaire. J’y ai grandi. Je voudrais accélérer M. le président. Pour que je puisse arriver à
cette année 1994. La mort du Président HABYARIMANA. On a dit qu’il est tombé le 7 avril. En date du
4, on avait eu une petite fête pour mon frère ainé. Il avait fait baptiser son fils ainé. Toute la famille
était réunie. Mon frère travaillait à BUTARE dans la préfecture. En date du 7, on nous a dit qu’il fallait
que l’on reste chez nous. À cette date spéciale j’étais en train de préparer la fête. En date du 7 et du 8
j’étais en famille. On a commencé à voir à RWAMIKO des maisons qui brûlaient. J’avais encore tous
mes parents. Ils nous ont dit: « La situation est difficile, levez-vous, fuyez pour vous réfugier ». En date
du 9 avril, tous ces enfants, je les ai conduits. Arrivés en chemin je sentais que nous devions aller nous
réfugier à la paroisse avec tous ces enfants et les autres enfants de la famille élargie qui étaient aussi à
la fête. Ils nous ont posé la question à la commune de MUBUGA « Agnès, pourquoi tu fuis ? ». J’ai dit
que les gens avaient commencé à incendier nos maisons. Les prêtres ont dit: « N’exagère pas, ce sont
peut-être des voleurs ». J’ai reconduis tous ces enfants à la maison, j’ai fais demi-tour.
J’ai traversé une commune. C’est un chemin qui pouvait prendre du temps. J’ai croisé des Hutu qui
avaient commencé à tuer les vaches en les coupant en morceau. Des personnes étaient également
mortes près de la rivière. Arrivés en chemin, j’ai croisé des personnes qui courraient me disant qu’il y a
un enseignant qui venait d’être tué.

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Nous avons continué, nous sommes retournés encore à la paroisse. J’avais les clés de là où je travaillais
à la paroisse. Dans cette maison-là, je vendais du matériel scolaire. J’étais en charge de tous les livres
scolaires pour les enseignants. Même les inspecteurs venaient chez moi car je vendais des cahiers
d’appel. Le local dans lequel je travaillais, il y avait un fût d’essence, de pétrole, de mazout. À ce
moment, je suis allée demander la permission de cacher ma famille ici (au directeur de l’école MarieMerci et au prêtre qui était son chef hiérarchique et représentant légal). J’ai eu cette permission mais je
ne devais toucher à rien.
Pendant que nous étions là, des réfugiés Tutsi sont venus de toutes parts, le 1 er, 2ème et 3ème jour. Tout
était plein (cour d’école, paroisse…). Pendant que les réfugiés étaient tous ensemble, les autorités sont
venues nous rendre visite. Le premier que j’ai vu, était le sous-préfet Damien BINIGA, les bourgmestres
des communes MUBUGA, de RWAMIKO (et d’autres communes). Ils nous ont tranquillisés. Mais je
comprends qu’ils nous trompaient en nous offrant de quoi manger. Cette nourriture était insuffisante
au regard du nombre de personnes.
La date que je peux me rappeler est la date des 12, 13, 14 et 15 avril. Ces dates, c’est là où j’ai vu des
choses horribles auxquelles je ne m’attendais pas.
En date du 12, ils sont venus nous tuer. Il y avait beaucoup de jeunes, qui ont attaqué aux bruits de
sifflet, de tambour. Ils étaient vêtus de feuille de bananiers, d’autres couverts d’herbe (croisés dans
tous les sens, mélangé avec des branches de cyprès). Ils sont venus, ils ont coupé des personnes avec
des machettes, lances, gourdins cloutés, haches… Des jeunes gens et des hommes qui avaient une
force jeune, des Tutsi, des jeunes filles fortes nous ont demandé de prendre des pierres et de les
cacher dans nos vêtements. On nous a dit de nous défendre. Ce jour-là, ça s’est passé comme ça, ils ne
nous ont pas vaincus mais ils avaient tué quelques personnes.
En date du 13, nous avons passé la nuit de partout. Ce jour-là, tous les Hutu étaient calmes. J’ai posé la
question au prêtre: « Que se passe-t-il ? ». Il a répondu que les responsables administratifs étaient allés
dans une réunion à GIKONGORO.
En date du 14, vers 9h du matin, ils nous ont amené du riz, du porridge, mais ce qui m’a fait mal c’est
que personne n’était capable de manger. Vers 13h ils étaient éparpillés un peu partout : femmes,
hommes, jeunes enfants. Ils avaient des sifflets, des tambourins, des cris. Nous avons couru nous
réfugier dans l’église, les classes, chez les prêtres… Tout d’un coup j’ai commencé à entendre pour la
première fois des coups de feu. On nous a dit que c’était des fusils et qu’il fallait se cacher. Ceux qui
étaient dans l’église comme moi, on a reçu des bombes lacrymogènes. On avait mal aux yeux. Ceux qui
ont eu un peu de force ont commencé à fuir. Ils ont commencé à tuer les personnes. Je suis allé me
réfugier à la sacristie. Ils avaient toutes les armes possibles : machettes (divers format), haches, coupecoupe, gourdins cloutés. J’étais là, nous avions ouvert la fenêtre, on a reçu des lances.
Ils ont dit qu’il y avait des vivres, que chaque personne pouvait s’en saisir et s’enfuir avec ; certains
l’ont fait. On était encore là, à travers la fenêtre on voyait l’école, ils ont tué une enfant, Valentine, la
fille d’un médecin, dans le secondaire, ils l’ont coupée avec une machette. Son papa (Barnabé)
regardait aussi à travers la fenêtre, il a beaucoup pleuré (on lui a coupé le bras car il voulait partir, son

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bras est tombé sur moi) ; on était dans la chapelle des prêtres. Un prêtre est venu en courant, il a dit: «
Que celui qui peut prier le fasse ». Il nous a donné l’hostie et a prié pour nous : « Demandez pardon
pour vos péchés, même les non baptisés ».
Je suis tombée par terre, ventre contre terre ; toutes les victimes sont tombées sur moi. Toutes ces
personnes qui venaient chercher les vivres, je les connaissais, elles m’appelaient par mon nom et
disaient: « Agnès prie pour nous pour que nous allions au ciel ». Ceux à qui j’ai pu serrer la main pour
les encourager, je l’ai fait.
Les Hutu avaient un secret (signe secret) entre eux, quand ils avaient fini leur travail, ils revenaient le
lendemain. Le prêtre est venu, il m’a dit: « Vous qui respirez encore, venez avec moi, fuyez ». J’ai
répondu que j’avais beaucoup de cadavres sur moi. Il m’a passé sa main dans le dos, il m’a dit « Tiens
fort et essaye de remonter, de te lever ». Il a été un héros. J’ai essayé de tenir sa main et de remonter car
j’ai vu certaines personnes mutilées (tête et bras coupés) crier. Je suis tombée dans leur sang. Le prêtre
m’a retendu la main. Je me suis levée. On m’a demandé de l’eau à boire mais où est-ce que je pouvais
en trouver ? Tout avait été coupé.
J’ai continué en marchand, j’ai croisé ma mère. Elle avait un petit enfant entre ses bras, le fils une
grande sœur. Elle m’a dit: « Mon enfant, ma fille, je pensais qu’on t’avait coupée en morceaux, je te bénis
ma fille ». J’ai dit à maman « partons ». Maman a répondu: « Je n’ai pas la force ». À travers ces
cadavres, j’ai entendu un coup, avec celui-là j’ai perdu la mémoire. C’était le toit de l’église qui était
tombé. Je suis entrée dans l’église, j’ai pu voir que certaines personnes respiraient encore, d’autres
étaient coupées avec la machette, c’est là où j’ai perdu la force de bouger.
J’ai pu circuler au milieu de ces cadavres. C’était plein de sang. Certains m’appelaient pour me
demander de l’eau. Je ne pouvais pas trouver de l’eau. Je me suis assise dans une niche, il y avait
beaucoup de cadavres. Certains professeurs, une dame Marie- Michel (enseignante)… ses amis (sœur
de l’épouse de l’enseignant), une autre enseignante… je me suis assise là-bas. Tout d’un coup j’ai
entendu le bruit des oiseaux, j’ai essayé de marcher mais je n’ai pas pu. Heureusement, j’ai réussi à
sortir de là. Je n’avais plus envie de vivre car j’avais trouvé beaucoup d’enfants, de bébés qui tétaient
leurs mamans déjà mortes. J’ai continué à descendre.
Arrivée près de l’école, pas loin de l’hôpital, j’ai trouvé un militaire. La différence entre militaire et
gendarme, c’est la tenue. Il avait un fusil avec beaucoup de grenades sur lui. Il m’a arrêtée: « Où vastu ? Continue et on va te tuer ». J’ai continué mon chemin. Je suis allée dans le lieu où il y avait les
religieuses. Je me suis assise dans les cyprès. Il est apparu un serpent. J’ai couru. Arrivée à l’extérieur
j’ai vu une foule qui venait attaquer (enseignants de Marie-Merci ou école de fille, des dirigeants, des
jeunes). Je cherchais de l’eau. Tout d’un coup j’ai vu que ces personnes portaient du bois, ils portaient
beaucoup de choses sur eux. Ils se sont dirigés vers l’église.
De là où j’étais (chez les sœurs) et l’église il n’y avait pas une grande distance. J’ai entendu des
explosions. Les attaquants sifflaient et criaient très fort. Ils disaient: « Les serpents se réveillent et se
multiplient ». Je suis arrivée aux portes des sœurs. J’en ai rencontré une, je lui ai demandé refuge. Elle
m’a dit de venir vite en courant. La sœur a enlevé son voile et m’a dit: « Même si c’est un péché, je le
fais ». Elle a mis son voile sur ma tête. Elle m’a enlevé mes vêtements et m’a donné un pull et d’autres
vêtements avec des sandales. Elle m’a dit: « Tiens-toi debout ».

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Pendant ce temps, le directeur de l’école est entré avec ceux qui avaient des armes, fusils, grenades sur
leurs ceintures. Il m’a demandé: « Depuis quand es-tu devenue une religieuse ? ». À ce moment, le
policier m’a enlevé le voile que j’avais sur ma tête. Il a posé la question: « C’est elle que l’on doit tuer? ».
On lui a répondu non. La sœur religieuse est venue en courant et m’a embrassée et a dit: « C’est une
sœur de chez nous ». Il y avait une autre sœur, je ne connais pas son nom. Cette dernière a dit: «
Suivez-moi ». Ils ont dit « nous cherchons le Père NGOGA car il a tiré sur un gendarme ». Ils sont entrés
dans les locaux. Il y avait des mamans qui s’était consacrées à Dieu. Quand ils sont entrés, ils les ont
tuées sur place. Ils ont aligné les cadavres. On les a tous sortis de cette cour des religieuses.
Quand on m’a sortie, la sœur religieuse a pris un enfant dont la mère avait déjà été tuée. Elle me l’a
donné pour que l’on puisse l’apporter à la croix rouge située à BUTARE. Les Interahamwe avaient tout
encerclé, l’église brûlait. Ceux qui n’étaient pas encore morts étaient achevés avec les gourdins. On m’a
enlevé cet enfant qu’on m’avait donné. On pensait que c’était peut-être un enfant de mon frère. Les
gendarmes sont venus, ou les militaires, je n’en sais rien, ils ont dit: « Non, ne le tuez pas ici ». Ils m’ont
accompagnée jusqu’à la statue de la Sainte Vierge dans la cour. Là était garé un véhicule de la marque
Toyota, j’y ai trouvé un homme sans pitié qui tue tout ce qu’il voit. C’était un veilleur à l’école MarieMerci. Il m’a soulevée avec ses bras, il m’a jetée dans ce véhicule. On devait épargner les passagers en
les cachant à la préfecture. Les militaires et policiers m’ont laissée, je suis restée dans ce véhicule. Un
militaire a dit: « Si on la tue, je tuerai l’un de vous ».
Tout à coup j’ai vu que le directeur, c’était celui de Marie-Merci, il allait cacher des gens (professeurs).
Il voulait les conduire à BUTARE. Comme j’étais dans la voiture, on ne m’a jamais bougée de là. J’ai
fermé les yeux. Les Interahamwe l’ont encerclée. Ils voulaient me percer d’ une lance ; j’ai fermé les
yeux. Le directeur a démarré immédiatement. Nous avons rencontré une barrière. Il y avait le
bourgmestre, Ildephonse (bourgmestre de RWAMIKO), un policier (Ruco), responsable directeur d’une
école de garçon, Innocent BAKUNDUKIZE, des enseignants de Marie-Merci, des jeunes qui avaient des
armes. Ils ont dit à une professeure: « Tu devrais réciter ta dernière prière avant que l’on te tue ». Elle
avait dans son dos son enfant. Le véhicule a été arrêté. Le directeur est sorti de la voiture. Il a dit qu’il
avait dans sa voiture des Zaïrois. Les Interahamwe m’ont demandé si Dieu se souvenais encore de moi.
Je me suis tue, je ne pouvais rien dire en voyant du sang partout. On nous a fait descendre là. Ils ont
sifflé (signe disant « tu peux partir »). Nous sommes arrivés à une deuxième barrière.
Il y avait beaucoup d’Interahamwe. Ils ont demandé au directeur de nous faire descendre. Il a dit que
c’était des Zaïrois. Nous avons pu repartir. Nous sommes arrivés à une troisième barrière. C’était une
route qui allait vers la paroisse en descendant de BUTARE. Ils ont sifflé beaucoup en disant qu’ils ne
pouvaient pas passer cette barrière car il y avait des Tutsi dans la voiture. Le prêtre Emmanuel a dit: «
Depuis que vous avez tué, vous n’êtes pas satisfaits ». Il a dit: « Cette femme, je la prends pour moi, si
vous la tuez, on va vous tirer dessus ». Ils nous ont laissés passer.
On arrive à une nouvelle barrière. Il y a des femmes et des enfants Hutu qui criaient aussi beaucoup.
J’ai fermé les yeux. Je n’ai pas vu le véhicule repartir. On est arrivé à la rivière. À ce niveau nous avons
croisé un véhicule de la gendarmerie. Ils ont dit qu’ils allaient aider les Tutsi à KIBEHO alors qu’ils
avaient été décimés. Le prêtre a tiré sur un gendarme et ils nous ont laissé partir.
On est arrivé à BUTARE avec les quatre gendarmes. Ils m’ont dit de descendre de la voiture, la sœur lui
a dit: «Jje voulais t’accompagner ici jusqu’à l’évêché, rends-moi mon voile ». Ils ne m’ont pas accueillie.
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Pendant qu’ils ne voulaient pas m’accueillir, j’ai vu le prêtre Jean-Marie, il m’a salué car nous avions un
lien parental. Il a dit: « Où est ce que vous la prenez ? ». Les militaires ont dit: « Celle-ci est devenue la
nôtre. Où devons-nous la conduire ? » Il y a une petite maison pas loin, ils m’ont mis dedans. Dans
cette maison il y a un grand fusil, ils m’ont dit: « Reste ici, tu ne mourras pas ». Tu vas accompagner le
père (Président HABYARIMANA). Je suis restée dans cette maisonnette. Ils me faisaient sortir deux
jours après puis on rentrait. Ainsi de suite jusqu’au mois de juillet.
Au mois de juillet, les militaires français sont venus, on nous a dit qu’ils venaient aider les personnes. Ils
m’ont dit de me sauver. Je suis entrée dans un véhicule des sœurs. Ils m’ont emmenée dans la zone
Turquoise à MURAMBI. Entrer là-bas, c’était difficile. Je ne pouvais pas entrer là-bas si on n’était pas
Hutu. Il y a eu des négociations. Ils m’ont demandé: « Tu es Tutsi ou Hutu ? ». Je leur ai dit: « Je suis
Tutsi ». Ils m’ont dit: « Ta place n’est pas ici ».
Les négociations ont continué, ils m’ont demandé avec qui j’étais et j’ai répondu que j’étais dans la
team de monseigneur GAHAMANYI ( NDR. L’évêque tutsi de Butare). Nous sommes arrivés à entrer.
L’hélicoptère les a conduits au ZAÏRE. Mais je suis restée là, il y avait du sang, des cadavres,
des ossements. Il y avait également des réfugiés, j’y suis restée jusqu’au mois d’août. Un véhicule est
venu pour ceux qui voulaient retourner à BUTARE.
Laurent BUCYIBARUTA : je n’ai pas de réaction particulière car le récit qui vient d’être fait ne se
rapporte pas à moi. Je comprends que le témoin a eu des difficultés comme tous les réfugiés qui
étaient dans différents endroits. (NDR. Noter que l’accusé manifeste peu de compassion avec le témoin!)

Président : le directeur vous a sauvée ?
Agnès KAMAGAJU : le directeur ne m’a pas sauvée, car ce n’était pas moi qu’il souhaitait protéger
mais les religieuses. Il me connaissait car je travaillais à la libraire scolaire.
Président : selon vous, ce directeur a tué ou sauvé les gens ?
Agnès KAMAGAJU : il se déplaçait parmi les Interahamwe, ils allaient partout, son véhicule était
couvert d’herbes.
Président : vous l’avez vu tuer ?
Agnès KAMAGAJU : non
Président : selon vous, s’il se déplaçait au milieu des Interahamwe c’était pourquoi ?
Agnès KAMAGAJU: je ne pouvais pas savoir ce qui se disait entre eux, ils parlaient ensemble et
allaient là où ils voulaient.
Précisions. Nous avons choisi de restituer les propos des témoins sans les condenser. Ceci pour
conserver leur valeur de témoignage. Pardon pour la longueur de ce compte-rendu.
Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT et Jade FRICHIT

References
↑1

FPR : Front patriotique Rwandais

Page 95 sur 711

↑2

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑3

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑4

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑5

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑6

Ibid.

↑7

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Jeudi 19 mai
2022. J9
20/05/2022

• Audition de madame Christine KAYITESI, rescapée partie civile de Kibeho. En visioconférence.
• Audition du général Jean-Philippe REILAND, chef de l’OCLCH.
• Audition de monsieur Jacques UWIMANA, rescapé partie civile.
• Audition de monsieur Simon Pierre NZUBAHIMANA, pasteur de l’Eglise ADEPR (Pentecôtiste)
en visioconférence de Manchester (Grande Bretagne).
• Confrontation avec monsieur Jacques UWIMANA.

Audition de madame Christine KAYITESI, rescapée partie civile de Kibeho. En visioconférence.
Le témoin est originaire de Rwamiko, dans la préfecture de Gikongoro dont le préfet était monsieur
Laurent BUCYIBARUTA. Le 6 avril, jour de l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA,
madame KAYITESI est en vacances dans sa famille. Ce sont ses voisins qui leur demande, le 7 au matin,
s’ils connaissent la nouvelle. Ce jour-là, elle et ses proches ne quittent pas leur maison.
Dans la journée, ils aperçoivent de la fumée s’élever au-dessus des collines voisines: des maisons
brûlent sur MATA et RURAMBA. La peur s’emparent des esprits d’autant que la radio appelle les gens à
tuer. Le lendemain, les incendies approchent. Les collines de Uwababanda, Nyacyondo et Nyamabuye
sont essentiellement peuplées de Tutsi. Avec sa famille, elle passe la nuit dans la brousse.
Le 9 avril, vers 5 heures, des bruits se font entendre. Les Hutu de Rwamiko risquent de venir brûler
leurs maisons. Décision est prise de se réfugier à la paroisse de Kibeho. A leur arrivée, ils se rendent
compte que l’église et ses alentours sont peuplés de réfugiés tutsi.
Avec les intellectuels et les personnes les plus instruites, ils constituent un groupe de crise pour
interpeller les autorités. Personne ne répond à leurs appels. Le 10 avril, des Tutsi venus d’autres collines
les rejoignent en pleine nuit.
Une vieille maman, grand-mère de ses amis, est abattue. Le lendemain, lors de l’enterrement, des cris
se font entendre, ceux des attaquants. Ils n’ont pas d’autre solution que d’abandonner le corps et
retournent près de l’église.
Le 11 ou le 12 avril, arrive le sous-préfet Damien BINIGA qui s’adresse aux gens rassemblés dans la
cour pour les intimider. Il rencontre ensuite l’abbé NGOGA, le curé de la paroisse. Leur entretien ne
mène à rien. Le sous-préfet s’adresse au prêtre: « Si tu as peur, viens, on va t’emmener en lieu sûr. » Le
prêtre refuse de partir, ne pouvant se résoudre à abandonner ses ouailles.
« A partir de là, nous avons compris que c’en était fini pour nous » continue le témoin.

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Le 13 avril, c’est le calme qui règne à la paroisse. Ce n’est que le lendemain, le 14 avril, qu’arrivera
l’apocalypse. Des gens affluent des collines alentour et préparent l’attaque qui va se produire un peu
avant midi.
Madame KAYITESI, sa sœur et ses cousines se rendent au Home l’école Marie-Merci pour puiser de
l’eau. Arrivent alors de Kajonge des gens armés de lances qui s’approchent de la paroisse. Le témoin
rejoint elle aussi la paroisse et croise des gens qui fuyaient une attaque qui arrivait du couvent des
religieuses. Les réfugiés décident de se défendre à coups de pierres.
Les attaquants, qui ont entouré la paroisse de tous côtés, commencent à lancer des grenades.
Beaucoup de réfugiés tentaient d’entrer dans l’église. Le témoin se réfugie alors dans la petite maison
du cuisinier, dans le bruit continu des armes. Avec ceux qui ont trouvé là un abri, elle entend des cris,
des gémissements. Elle pense que son tour va arriver. Pendant ce temps, « on continuait à tuer, à tuer »
ajoute le témoin. Puis, « un grand silence absolu! »
L’abbé NGOGA s’adresse alors à ceux qui ont échappé à la mort: « Quiconque a survécu doit sortir de
sa cachette et s’enfuir. » Le témoin et ceux qui l’entourent arrivent à sortir de leur cache, sans se faire
voir. Elle-même prend des sentiers qu’elle connaît bien mais finit par tomber dans un ravin et se
blesse. Quand elle revient à elle, elle se retrouve seule.
Arrivée près d’une plantation de thé elle entend quelqu’un qui l’interpelle: « Cache-toi, ils vont te voir. »
Arrivée près d’un ruisseau, à Kavuguto, elle croise un instituteur qui avait enseigné à Runyinya et qui
connaissait le chemin. Il avait perdu femme et enfants. Ce dernier lui demande de le suivre. Il va guider
les rescapés jusqu’à la paroisse de Karama où ils arrivent vers 8 heures du matin. Les massacres battent
leur plein et le témoin réussi une nouvelle fois à s’enfuir et à rejoindre le Burundi. Elle reste seule
survivante de sa famille.
Place aux questions.
Président : quels sont précisément les membres de votre famille qui sont morts ?
Christine KAYITESI : pour la paroisse de KIBEHO, mon père MUSABIMANA Claudien, ma mère Victoria
NYRAMUKONDO, ma belle-sœur enceinte de 8 mois Thérésie MUKANDAMAGE, mes quatre neveux
(enfants de mon frère). Ces derniers ont été brûlés dans la paroisse de KIBEHO. Les autres ont réussi à
courir. C’est ce qu’on m’a rapporté plus tard : mon neveu, mon frère, ma sœur ont réussi à partir mais
différemment de moi. Dans les jours qui ont suivi, ils ont été tués à BUTARE.
Président : par qui ?
Christine KAYITESI : je ne sais pas bien, mais je connais les circonstances de la mise à mort de ma
grande sœur. Ma grande sœur, ainée de la famille est religieuse. Ma grande sœur, mon frère et mon
neveu sont allés à BUTARE, au couvent des religieuses. Selon ce que m’a dit mon autre grande sœur, le
26 avril dans la nuit, on leur a conseillé de fuir, car mon grand frère connaissait le BURUNDI. Comme il
pleuvait abondamment, ils se sont dit qu’il était opportun de partir jusqu’au BURUNDI sous la pluie. Ils
sont partis et nous ne savons pas comment ils sont morts, il y avait des barrières partout, on ne sait
pas exactement ce qui s’est passé. Ma grande sœur était restée au couvent des religieuses, ainsi que
d’autres femmes et d’autres jeunes filles, c’est en tout cas ce que ma grande sœur m’a raconté. Elles
sont restées sur place et ont demandé à la mère supérieure de leur donner des voiles, car on ne tuait
pas les religieuses. La mère supérieure a refusé.

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Par la suite, on les a cachées dans les tas de bois de chauffage, la nuit, pour que les tueurs ne les
voient. Ils sont restés sur place jusqu’au mois de juin. Le 8, on est venu les sortir des tas de bois, on les
a conduits dans la préfecture de BUTARE. Tout le monde est parti là-bas, il y avait des femmes et des
enfants, ma sœur a pris un enfant des voisins, elle l’a mis sur son dos. Au moment où les assassins sont
arrivés, ces tueurs désignant ma grande-sœur ont dit : « Celle-là, ce n’est pas une femme, il faut la
violer ». Elle a résisté et ils ont dit qu’il fallait la tuer sur place. Ils ont mis sur son cou une corde, ils l’ont
étranglée et après ils l’ont trainée, l’ont tirée et mise dans un véhicule. Ils l’ont emmenée et il n’y a pas
eu de suites. Quand ils l’ont prise, elle était déjà décédée mais nous ignorons jusqu’à aujourd’hui
l’endroit où ils l’ont mise, où elle se trouve.
Président : Pour revenir à ce qui s’est passé dans la paroisse de KIBHEO, avez-vous vu partir les
attaquants, des gendarmes ou des militaires ?
Christine KAYITESI : Les circonstances dans lesquelles je me trouvais ne me permettaient pas de les
voir.
Président : Vous n’aviez donc pas la possibilité de voir pendant l’attaque ?
Christine KAYITESI : Non, car j’étais dans la maison du cuisinier et donc je ne pouvais pas les voir.
Mais nous les entendions tirer avec des kalachnikovs et des explosions de grenades. De là, nous avions
déduit qu’il y avait des gendarmes et des militaires. Nous ne les avons pas vus , sinon nous ils nous
auraient tués.
Président : J’ai compris que vous aviez des neveux morts dans l’incendie de KIBEHO, étiez-vous
présente dans l’église ? Ou étiez-vous déjà partie ?
Christine KAYITESI : Je voudrais vous dire que l’église a été incendiée après et pas tout de suite.
Quand je parle de mes neveux et de mon père, les voisins m’ont dit qu’ils avaient réussi à entrer dans
l’église. J’ai couru au moment où eux étaient restés à l’intérieur.
Président : Donc, si j’ai bien compris vous étiez partie vous cacher dans une plantation de thé ?
Christine KAYITESI : Lorsque nous avons fui, nous avons emprunté les chemins qui était familiers, que
nous connaissions.
Président : Vous êtes tombée dans un ravin et vous vous êtes fracturé ?
Christine KAYITESI : Oui, aussi au niveau du dos.
Président : Vous vous êtes cachée dans la plantation de thé, car sinon quelqu’un allait vous voir ?
Christine KAYITESI : Je me suis retrouvée sur la route où j’ai entendu quelqu’un qui me disait « ils
vont te voir », donc j’ai compris que c’était quelqu’un qui fuyait comme moi, et je suis rentrée dans la
plantation. Je ne suis pas restée longtemps, et j’ai continué de traverser.
Président : Si j’ai bien compris, vous avez rencontré un instituteur accompagné de femmes, qui vous a
guidée jusqu’à la paroisse de KARAMA ?
Christine KAYITESI : Je dois préciser que cet instituteur qui était de KIBEHO, m’avait donné cours dans
le temps. Il était en train de fuir comme moi, et il laissait derrière lui sa femme et ses enfants qui avait
été tués.
Président : Cet enseignant était Tutsi ?
Christine KAYITESI : Bien sûr. Les deux femmes avaient- elles aussi laissé leur famille décédée à
KIBEHO, elles étaient en train de fuir comme moi.
Président : Il va y avoir aussi une attaque sur la paroisse de KARAMA, le 21 avril ?
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Christine KAYITESI: C’est exact, je me trouvais aussi à l’intérieur de l’église, mais je me trouvais à
l’entrée, à côté de la porte, on a lancé une grenade à l’intérieur qui a tué tous ceux qui étaient devant,
près de l’autel.
Président : À la paroisse de KARAMA, il y avait du monde ? Plus de monde qu’à KIBEHO ?
Christine KAYITESI : Je dirais qu’ils étaient plus nombreux, car tous les réfugiés de KIBEHO étaient à
KAMARA et tous les réfugiés de MUNINI.
Président : C’était dans la préfecture de GIKONGORO ou de BUTARE ?
Christine KAYITESI: Dans la préfecture de BUTARE.
Président : Quelle est votre situation aujourd’hui ? Qu’est-ce qui est important pour vous ?
Qu’attendez-vous de ce procès ?
Christine KAYITESI: Je vous remercie. Pour ce qui nous concerne, nous autres rescapés, lorsqu’un tel
procès a lieu, ça panse nos plaies. Les gens comme l’ancien préfet Laurent BUCYIBARUTA, avaient une
grande autorité et du pouvoir. Il a abandonné les gens pendant le génocide et a abandonné ses
administrés à leur sort dont il avait la charge, alors que nous avions demandé son assistance.
En réalité, ce n’est pas moi qui ai téléphoné directement mais comme je faisais partie du comité de
crise, nous avons demandé du secours à toutes les autorités, mais personne nous a apporté de
l’assistance. Cela prouve la manière dont ils avaient planifié de nous exterminer. En ce qui me
concerne, le génocide a été commis, la vie s’est arrêtée, la famille a été exterminée. Voyez-vous je suis
restée seule alors que j’avais une grande famille. Voir quelqu’un qui a joué un rôle circuler
impunément 28 ans sans que rien ne se passe! Quand nous avons vu les juridictions juger, nous nous
sommes dit que nous étions finalement entendus par rapport à la cruauté dont nous avons été
victimes. Les criminels comparaissent devant la justice pour que ce qui nous est arrivé n’arrive plus à
nos enfants. Ce qui nous est arrivé, ce sont des choses avec lesquelles nous vivons au quotidien, mais
nous devons lutter pour continuer à vivre.
Président : Vous avez dit que vous faisiez partie du comité de crise et qu’on avait prévenu les autorités
? Est ce qu’il y avait un téléphone dans la paroisse ?
Christine KAYITESI : Il y avait un téléphone.
Président : Est-ce qu’on vous l’ a dit ou avez-vous vu qu’on avait appelé les autorités ? Qui a-ton
appelé ?
Christine KAYITESI : Je voudrais préciser que la paroisse de KIBEHO, c’est là où j’ai été baptisée, d’où
venait toute ma famille. Ce comité de crise était constitué d’intellectuels, il y avait des enseignants, des
médecins, des Tutsi qui était instruits, moi aussi j’en faisais partie. Le curé était aussi Tutsi. Dans cette
paroisse, il y avait trois prêtres, si je m’en souviens bien. Dans cette paroisse, il y avait le curé de la
paroisse, je me souviens aussi d’un prêtre âgé, qui s’appelait Lucien, et il y avait aussi ce prêtre Paul,
directeur de l’école Marie Merci, qui était un Hutu qui ne se faisait pas voir et qu’on ne voyait pas dans
ces situations difficiles. Le curé ne pouvait rien faire. C’est pourquoi on faisait des réunions avant midi
dans ce comité et l’après- midi parfois. La personne qu’on a appelé la première c’est Monseigneur
MISAGO.
Président : C’était quand ?
Christine KAYITESICK : C’était le curé qui appelait par téléphone, il avait cette qualité d’appeler.
Président : Quand a-t-il appelé ?
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Christine KAYITESI: Quand je suis arrivée le 9 avril, je suis entrée dans ce comité de crise. Le curé nous
a dit qu’il avait déjà appelé en expliquant toute la situation qui prévalait. Le curé a appelé toutes les
autorités, dont Mgr MISAGO et les autorités responsables, le préfet Laurent BUCYIBARUTA, le souspréfet, et le bourgmestre.
Président : Quand vous dites que le curé a appelé toutes les autorités, est-ce qu’il a parlé à Laurent
BUCYIBARUTA ?
Christine KAYITESI : Oui, il a appelé le préfet Laurent BUCYIBARUTA.
Président : Donc il lui a parlé ?
Christine KAYITESI: Je confirme que c’est le curé qui a appelé le préfet. Le curé donnait le compte
rendu au comité.
Président : C’était quand ? Avant ou après l’attaque ?
Christine KAYITESI: Je précise que c’était avant, le 12 avril 1994.
Président : On sait que le 11, il n’était pas là. Le 11 avril 1994, Laurent BUCYIBARUTA était présent à
une réunion à KIGALI. C’était quand, avant le 11, ou après ?
Christine KAYITESI : Les rapports étaient donnés entre le 9-12 avril 1994. Donc, avant le 12 avril, on a
pu téléphoner. À partir du 12 avril, on a vu Damien BINIGA, et après ils se sont résignés. On n’a pas vu
de bourgmestres.
Président : Donc à partir du 12, pas de contact téléphonique ? Avant le 12, il y a eu des contacts et
vous avez vu Damien BINIGA et qu’on préparait des attaques, et vous vous êtes dit que c’était fini. Il
n’y a pas eu de contact avec la préfecture de GIKONGORO avant l’attaque ?
Christine KAYITESI : Non je ne pense pas. Le 11, on nous a attaqués.
Président : Avez-vous vu des bourgmestres ?
Christine KAYITESI: Moi, personnellement, non.
Président : Est-ce que vous savez si votre téléphone fonctionnait encore ou a-t-il été coupé ?
Christine KAYITESI : Je ne peux pas préciser si la ligne téléphonique avait été coupée, car je voulais
savoir comment fuir, je n’avais pas le temps de chercher à savoir si téléphone marchait.
Président : Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Christine KAYITESI : A cette date du 12 avril 1994, dans le comité de crise, il y avait aussi un
enseignant. Il nous a donné un conseil, en disant que si quelqu’un pouvait se sauver, il pouvait le faire.
A ce moment-là, quelques personnes se sont sauvées. Je m’en rappelle bien, car moi aussi on m’a dit
de me sauver et de fuir, mais on ne l’a pas fait car j’en avais discuté avec mes parents. Nos parents
nous avaient dit que dans les années 59/60, ils avaient déjà tué des Tutsi, ceux qui avaient voulu
essayer de se sauver on les avait tués dans les forêts, sur les routes. Mais, ceux qui avait pris refuge
dans les paroisses, on les avaient sauvés. C’est la raison pour laquelle nos parents nous ont conseillé
de rester dans la paroisse pour avoir la vie sauve. Ceux qui se sont sauvés vers le Burundi, le 12 avril
1994, on les a tués en chemin.
Questions de la défense :
Me BIJU-DUVAL : vous nous avez indiqué à l’instant que le curé vous avez fait part des contacts
téléphoniques que lui avait eu avec des autorités. Mais, vous-mêmes, personnellement, vous n’avez
pas assisté à ces conversations téléphoniques ?
Christine KAYITESI: c’était le curé de la paroisse seul qui téléphonait aux autorités, pas un téléphone
mobile mais fixe.
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Me BIJU-DUVAL : pouvez-vous nous indiquer, si vous vous en souvenez, le nom des membres de ce
comité de crise ?
Christine KAYITESI : oui, mais je ne peux pas tous les citer, je ne vais pas dire tous les noms, mais ceux
dont je me rappelle. Il y avait le prêtre NGOGA, Augustin (enseignant), KASIRE (enseignant), Venantie
MUKAMAZINA (infirmière), MUNYANKINDI (enseignant à Marie-Merci), MUNYENTWALI Alphonse et
son père qui était enseignant.
Président : merci Madame, il est sans doute souhaitable que Monsieur Laurent BUCYIBARUTA réagisse
sur cette question car il est question d’un contact téléphonique le 12 avril.
Réactions de monsieur BUCYIBARUTA. « Je comprends le fondement de l’angoisse que le témoin a eu
avant de quitter son domicile. Pareil pour Kibeho.. Je comprends la souffrance qu’elle a pu endurer. Ce
sont des événements bien regrettables. Tous les téléphones fixes de la préfecture étaient répertoriés. Il
n’y en avait pas à la paroisse de Kibeho. Il est donc exclu que le curé ait pu en utiliser un. Il n’y avait pas
de téléphone de la paroisse dans l’annuaire. Le curé ne m’a jamais téléphoné. Par contre, le 16 avril, il a
téléphoné à monseigneur MISAGO, depuis Butare. » (NDR. Compassion à minima de la part de monsieur
le préfet!)
Monsieur le président propose de faire des lectures d’extraits du livre Aucun témoin ne doit
survivre d’Alison DESFORGES et du Journal de Madeleine RAFFIN. Ce sera pour la fin de la journée.

Audition du général Jean-Philippe REILAND, chef de l’OCLCH.
Le témoin annonce les trois parties de son intervention:
1.

Présentation de l’OCLCH (Office Central de Lutte contre les Crimes contre l’Humanité et les
crimes de Haine).

2.

Fonctionnement de l’Office;

3.

Le dossier BUCYIBARUTA.

1) L’OCLCH est une structure de police judiciaire créé par le Premier Ministre qui comprend 13 offices
centraux. Créé en novembre 2013, cet Office répond à des besoins internationaux de la France. Le
témoin évoque ensuite la création de la CPI (Cour Pénale Internationale) dont 123 états sont
signataires. Cette création a provoqué une modification de la Constitution française. Apparaît alors la
notion de « compétence universelle » qui permet de juger des étrangers qui ont commis des crimes à
l’étranger sur des étrangers à condition que ces personnes soient localisées sur le sol français au
moment de la plainte. En 2012 sera créé le Pôle crimes contre l’Humanité, puis l’OCLCH pour épauler
les juges. Cet Office sera confié tout naturellement à la gendarmerie. Trente neuf OPJ travaillent dans
cette structure, dont 40% de femmes.
2) Le fonctionnement. L’Office gère 150 dossiers dans plus de trente pays. Concernant le Rwanda, des
demandes d’entraide pénale internationale sont faites. Il faut entendre les témoins, visiter les lieux des
crimes, avoir des contacts avec les autorités locales qui invitent. Les gendarmes conduisent alors des
auditions de témoins. Contacts fréquents avec le GFTU [1] (chargé des génocidaires en fuite) et avec
« la section Protection des témoins » du Parquet de Kigali, section chargée de contacter les témoins et
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d’établir le planning des auditions. Ces auditions se font avec l’aide d’un interprète, au plus près des
lieux de résidence des témoins. Les prisonniers sont entendus dans un local du lieu de leur détention.
Ils peuvent aussi être « extraits » de la prison.
3) Dossier BUCYIBARUTA. Cette partie de l’exposé consistera essentiellement dans le commentaire de
photos que le témoin a fait verser au dossier. La préparation du procès a permis sept déplacements au
Rwanda. Plus d’une centaine de témoins ont été entendus. Le général REILAND souligne les difficultés
que peuvent rencontrer les OPJ. Certains témoins ont été entendus par des enquêteurs de pays
différents. Il faut alors croiser les informations. Il est aussi parfois difficile de retrouver les témoins
(NDR. Vu l’ancienneté de l’affaire, des témoins sont morts (6 parmi ceux qui avaient été cités par le
Ministère public), les mémoires défaillent, des témoins, rescapés ou tueurs, ne veulent plus témoigner,
d’autres enfin, ayant pardonné à leurs bourreaux, renoncent à confier ce qu’ils savent). Sans oublier les
témoins disséminés à travers le monde qu’il faut retrouver.
Maître LEVY demande pourquoi il n’y a pas eu d’enquêtes entre 2001 et 2006. Le témoin ne peut que
répondre qu’en 2005 les témoins habitant l’Europe ont pu être auditionnés. L’avocat de la défense veut
savoir aussi si les gendarmes ne rencontrent pas de difficultés pour enquêter.
« La liste des personnes à auditionner est établie par les enquêteurs français et transmise au Rwanda qui
recherche les témoins. Les auditions sont pratiquées par les gendarmes français avec la seule présence
d’un interprète » répond le témoin.
Se référant au témoignage du prisonnier BAKUNDUKIZE, maître LEVY voudrait savoir si les témoins ne
seraient pas manipulés. Le général REILAND répond qu’il n’a jamais noté de pressions sur les témoin.
Les enquêteurs ne reçoivent aucune instruction pour mener leurs auditions. L’avocat de la défense
s’étonne enfin que seuls cinq témoins ont été confrontés à leur client et que deux ne sont plus sur la
liste des témoins cités. Cette question n’est manifestement pas du ressort du général REILAND.
Quant à savoir, sur question de maître BIJU-DUVAL, si, dans leurs recherches documentaires les
enquêteurs doivent les demander au GFTU [2] ou à la CNLG [3], ou s’ils peuvent aller les chercher euxmêmes, le témoin répond que les deux cas existent.
Audition de monsieur Jacques UWIMANA, rescapé partie civile.
Jacques UWIMANA: je souhaiterais m’exprimer en kinyarwanda pour être plus à l’aise;
Président : je vous informe que votre constitution de partie civile a été déposée mais elle a fait l’objet
de contestations donc il en a juste été donné acte pour le moment.
Déclaration spontanée :
En 1994, j’avais environ 17 ans, nous habitions au centre de NYAMAGABE, mes parents habitaient là.
Mon père était pasteur dans l’église ADEPR [4], il était le représentant de cette église dans la préfecture
de GIKONGORO. Nous avons grandi dans une famille de cinq enfants, avec deux parents qui nous ont
bien élevés comme les parents le font, nous étions épargnés par les problèmes ethniques au Rwanda.
J’ai commencé à apprendre ce genre de choses au secondaire, lorsque dans nos écoles il y a eu des
troubles, et les Tutsi ont dû aller passer la nuit dans des buissons à cause de ces persécutions.
En 1994, quand l’avion présidentiel est tombé, chez nous, à GIKONGORO, il y avait des grands
problèmes qui ont commencé : des menaces contre les Tutsi ont débuté, ça a commencé dans les
régions de MUDASOMWA et de MUSEBEYA. Dès le 7, on a commencé à tuer certains dans ces
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communes-là. Comme il y avait des paroissiens de mon père qui habitaient ces localités, ils ont
commencé à fuir vers l’église. Vers le 10 avril, les paroissiens qui s’étaient réfugiés chez nous étaient
environ une centaine. Mon père en tant que responsable devait informer les autorités qu’il y avait des
réfugiés sur place pour qu’elles puissent fournir la nourriture, des logements.
A cette date, il a pris le téléphone et a appelé le préfet de GIKONGORO, il lui a parlé du problème de
sécurité qu’il y avait. En date du 11, est venu le bourgmestre de la commune NYAMAGABE, Félicien
SEMAKWAVU, qui est venu avec des gendarmes, ils ont pris tous ces réfugiés, ils les ont amenés au
camp de Murambi et notre famille est restée sur place. Ils nous avaient demandé de nous rendre à
MURAMBI pour notre sécurité. Mais mon père a refusé de partir car on pensait qu’en partant d’autres
personnes allaient venir vers lui et il ne voulait pas laisser ses fidèles. Par la suite, d’autres personnes
sont venues et ont été tuées sur place à la paroisse. Toutes ces personnes n’ont pas pu se rendre à
MURAMBI. Toutes ces personnes (environ 100), qui voulaient aller à MURAMBI sont décédées là. Nous
en famille, nous sommes restés à la paroisse. Le 21 avril, MURAMBI a été attaquée, tous les Tutsi qui se
trouvaient là ont été tués. Jusqu’à aujourd’hui, on dénombre 50 000 Tutsi qui ont péri là.

Église de Cyanika
Le 23 avril, on nous a attaqués à la maison chez nous, donc cela veut dire que nous savions déjà qu’on
avait déjà tué les gens de MURAMBI. Les Interahamwe [5] qui avaient déjà tué le 21 avril, ont attaqué le
21 au matin et une fois qu’ils les avaient tués ils sont allés sur le site de CYANIKA. Les personnes qui
ont pu fuir MURAMBI pour CYANIKA ont été poursuivies. On dit également que 35 000 personnes
auraient péri. Parmi ces personnes, j’ai des membres de ma famille : mes tantes maternelles, mes
cousins ainsi que beaucoup d’autres car ils habitaient autour de là. Je retourne chez moi à la maison, le
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23 avril, c’est là qu’on nous a attaqués, ce jour-là, un jour de marché, un samedi. Les gens qui nous ont
attaqués savaient que nous étions là. Une grande attaque d’environ 15 personnes ou plus. Je ne les ai
pas vus mais je les ai entendus, nous étions tous à la maison (mon père, ma mère, 5 enfants, un cousin
qui vivait chez nous et un fidèle de la paroisse). Ils sont venus en soufflant dans des sifflets. Ils nous ont
ordonné de sortir de la maison. Nous étions à l’intérieur, nous avions fermé à double tour. Ma mère a
ouvert la porte. Quand j’ai entendu ça, comme j’étais adolescent, j’ai grimpé sur une chaise et je suis
allé me cacher dans un faux plafond. On a fait sortir tous les autres. On les a emmenés vers l’entrée de
la propriété. On a fait sortir tous les autres, on les a tués avec les gourdins.
Après leur mise à mort, la personne qui avait dirigé l’attaque était Alphonse, employé d’une entreprise
publique Electrogaz. c’était un Interahamwe, entrainé par l’État. On a mis les gens par terre, on leur a
asséné des coups de gourdins. Mais mon petit frère n’était pas encore mort. Les autres sont morts sur
place. Mon petit frère a pu survivre, jusqu’au mois de juin. Comme il n’a pas pu trouver du secours, il
n’a pas pu trouver quelqu’un pour le cacher, le secourir et l’aider, au mois de juin ils sont revenus, l’ont
tué. J’ai survécu car j’ai été aidé par nos amis Hutu. Ces personnes m’ont caché jusqu’au mois de juin,
vers le 10. À ce moment là, je suis allé à MURAMBI. On avait déjà tué des gens, très peu de personnes
avaient survécu à MURAMBI et on avait mis là bas des vieilles personnes dont on avait dit qu’après
l’enterrement du président, on allait les enterrer. J’ai pu arriver à MURAMBI comme ces vieilles et ces
enfants. Par chance, autour du 18 juin, il y a eu la zone TURQUOISE [6]. Les soldats français sont venus
dans leur mission donnée par l’ONU, et ils nous ont protégés. A ce moment là, d’autres personnes qui
n’étaient pas mortes et qui se cachaient ont pu venir à MURAMBI, car elles avaient compris qu’il y avait
la présence des Français jusqu’au mois de juillet. Début juillet, problème car on mélangeait les réfugiés
: Hutu et Tutsi. Des Hutu de KIGALI et de BUTARE qui fuyaient le FPR [7], notamment
des Interahamwe et des génocidaires, mais aussi nous. Nous avions la sécurité due à la présence des
militaires français, mais nous n’étions pas à l’aise de cohabiter avec ces personnes- là. Parmi nous, il y
avait des personnes plus âgées et instruites qui ont pu discuter avec l’ONG Solidarité, qui les a mis en
lien avec le FPR. Ils ont expliqué le problème que nous avions, notamment de cohabitation avec les
génocidaires. L’association Solidarité a amené des camions. Ils ont demandé qui voulait rejoindre
BUTARE, donc la zone FPR, car GIKONGORO était la zone Turquoise. Nous avons donné nos noms sur
les listes, on nous a mis dans un véhicule pour partir dans la zone du FPR. C’est ainsi que j’ai survécu.
Projection de photos familiales.
• Photo 1 : Mon père, il me semble que Laurent BUCYIBARUTA doit le reconnaitre, d’autant plus
qu’il était aussi un responsable et ils devaient se croiser lors des réunions de sécurité
élargies, car lui aussi faisait parties des réunions de sécurité élargies.
• Photo 2 : mon père et sa mère. L’enfant est le cadet de la famille.
• Photo 3 : Certaines personnes sont des membres de sa famille. On peut me voir plus jeune, la
sœur de ma mère qui a été tuée, la cousine de mon père, mon petit frère tué en juin et mon
autre petit frère né en 1983 qui a été tué avec les parents.

Président : Laurent BUCYIBARUTA reconnaissez-vous son père qui était sur la photo ?

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Laurent BUCYIBARUTA : Le témoin vient de dire que son père était pasteur ADEPR dans toute la
préfecture et qu’il assisté aux réunions de sécurité de la région. Il y a deux organes que les gens
confondent souvent : comité préfectoral de sécurité (petit nombre de personnes) et conférence
préfectorale (élargie). Dans la dernière, les pasteurs, bourgmestres pouvaient venir si le préfet voulait
qu’ils viennent. Quand je demandais au secrétariat d’envoyer les invitations, cela ne voulait pas dire
que je connaissais son père personnellement, le témoin dit peut être vrai mais je ne l’ai pas connu. Je
ne le connaissais pas à titre personnel. Il dit aussi que son père m’a téléphoné le 10 avril 1994, je ne
sais pas si son père m’a téléphoné au bureau ou à mon domicile car le téléphone pouvait être utilisé
que je sois au domicile ou au bureau. Je ne sais pas où son père m’a téléphoné. Pour conclure, je n’ai
pas eu de contact particulier avec son père mais je savais qu’il y avait une église dans la commune.
Président : Donc, si je résume, les photos projetées ne vous rappellent rien de particulier ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, car je ne connaissais pas cette famille.
Président : Eglise protestante pentecôtiste à GIKONGORO, il est possible que des pasteurs aient été
invités à des conférences préfectorales élargies ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, possible. Mais pas de souvenir sur le père de Jacques UWIMANA.

Jacques UWIMANA : J’ai compris mais je demanderai à réagir. En partant de la composition des
autorités à cette époque au Rwanda, il est impossible que le préfet Laurent BUCYIBARUTA ne
connaisse pas mon père. Il peut ne pas connaitre les simples pasteurs, mais mon père dirigeait environ
30 pasteurs, comme l’autorité préfectorale. Ce n’est pas normal de dire qu’il ne connaissait pas le
représentant d’une grande église ADEPR, qui est une église importante et qui est à cette époque-là
une grande église. Cette église avait des écoles, c’est comme s’il disait qu’il ne connaissait pas l’évêque
de l’église catholique, monseigneur MISAGO. Dans le cadre de la mobilisation de la population, les
autorités passent par les responsables d’églises pour atteindre facilement les fidèles.
Président : Précision du dossier, vous avez constitué partie civile pendant la procédure. Vous avez été
entendu par le juge d’instruction, et dans sa décision de renvoi, il avait considéré qu’il n’existait pas de
charges suffisantes concernant la mort de votre famille. Il a estimé qu’il devait y avoir un non-lieu sur
l’exécution des poursuites concernant l’exécution de vos parents. Pas d’élément suffisant à charge. Il y
a eu un appel, la Chambre d’appel a maintenu le non-lieu. S’agissant de ces faits là, la décision de nonlieu est définitive. Nous ne pouvons en parler que dans le cadre d’un contexte. Vous avez pu dire que
des personnes réfugiées chez vos parents ont été conduites à MURAMBI et vous nous dites que
certains membres de votre famille étaient à CYANIKA.
Jacques UWIMANA : Ce que je peux ajouter pour clarifier c’est que nos autorités de chez nous sont
très différentes de celles de la France. Je ne sais pas où se limitent les compétences du préfet en
France, mais au Rwanda il s’agit d’une personne très importante au niveau de l’État. Les directives du
ministère était données au préfet, qui les transférait aux bourgmestres qui eux avaient des conseillers.
Tout cela allait jusqu’à la population en bas de l’échelle. La raison pour laquelle je me suis constitué
partie civile c’est pour la mort de mes parents qui ont fait appel au préfet pour avoir du secours et de
l’aide quand les choses sont devenues dangereuses : le préfet ne les a pas aidés.
Autre chose, vu que les directives allaient jusqu’aux autorités les plus vastes, le bourgmestre devait
faire des rapports au Préfet. Pendant le génocide, les massacres étaient dirigés par les autorités, ces
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directives devaient venir de plus haut et les bourgmestres devaient transmettre les rapports de ce qui
s’était passé chaque jour.
Président : Nous allons entendre un témoin : Simon-Pierre NZUBAHIMANA vous le connaissez ?
Jacques UWIMANA : C’est un Pasteur, mon père était son responsable et il était son adjoint. Il fait
partie des personnes ayant accéléré le génocide à NYAMAGABE. Après qu’on a conduit ces personnes
à la paroisse, quand les Interahamwe sont arrivés, ils les ont enfermées. Simon Pierre a demandé qu’on
ouvre les portes et a préféré qu’on les tue pour ne pas qu’on détruise ses écoles. Aujourd’hui, on nous
dit qu’il a fui et qu’il vit en Angleterre, et il a été condamné par les Gacaca [8].
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA a dit qu’il ne savait pas les circonstances de l’appel de
votre père, connaissez-vous des précisions ?
Jacques UWIMANA : Je ne peux pas savoir, ce que je sais c’est que j’étais un enfant de 17 ans. Je
discutais avec mes parents car j’étais l’ainé, c’est comme ça que j’ai su mais je ne peux pas savoir si
c’est à la maison ou au bureau. Mais je sais qu’ils se sont parlés, car il a demandé de l’assistance pour
ses réfugiés et lui-même.
Président : Dites-nous combien de personnes étaient réfugiées chez votre père ? Combien sont allés à
MURAMBI ?
Jacques UWIMANA : je peux estimer le nombre : personnes conduites à MURAMBI, environ 100 et les
personnes venues après et tuées sur place étaient entre 15 et 20, à la maison nous étions cinq enfants
et parents + cousins et une autre personne ayant trouvé refuge chez nous.
Président : Vous avez parlé du bourgmestre, des gendarmes aussi sont venus ?
Jacques UWIMANA : Le bourgmestre de la commune est venu dans le véhicule qui roulait au pas et
on les a mis en file indienne, le véhicule ouvrait le chemin, il roulait au pas et les gendarmes les ont
emmenés à Murambi.
Président au préfet : avez-vous ordonné l’ordre d’assister les réfugiés à KIBEHO ?
Laurent BUCYIBARUTA : non car je n’ai appris le rassemblement à KIBEHO que le 13 avril lors d’une
conférence préfectorale. On avait déjà fait la réquisition le 10 avril pour tous les centres où il y avait
des réfugiés.
Président : avez-vous donné des instructions pour que l’on aille protéger les gens à KIBEHO ? Avezvous réquisitionné des gendarmes pour qu’ils aillent protéger les gens à GIKONGORO ?
Laurent BUCYIBARUTA : on a fait une réquisition lors de la réunion du 10 avril
Président : vous faites une réquisition indéterminée à des endroits indéterminés pour porter une
éventuelle assistance ?
Laurent BUCYIBARUTA : non, c’était déterminé : KIBEHO, MURAMBI, KADUHA, CYANIKA, tous ces
centres de réfugiés.
Président : je ne sais pas mais personnellement je n’ai pas souvenir d’un seul document au dossier
venant supporter cela.
Me BIJU-DUVAL : nous avons des preuves que cette réunion du 10 avril a eu lieu
Président : cela ne m’apporte rien, que la réunion ait eu lieu n’est pas une preuve en soi.
Me BIJU-DUVAL : nous avons la réponse de Laurent BUCYIBARUTA. Nous n’avons que les archives
que les autorités rwandaises ont bien voulu nous transmettre.

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Président : vous sous-entendez qu’elles n’ont sciemment pas fourni tous les documents ?
Me BIJU-DUVAL : nous aurons l’occasion d’en parler plus tard.
Président : vous avez eu des contacts téléphoniques avec le préfet de BUTARE ?
Laurent BUCYIBARUTA très peu intelligible sur tout cet interrogatoire : oui souvent
Président : le 15 avril vous l’avez eu au téléphone au sujet d’un massacre ?
Laurent BUCYIBARUTA : pas le 15 puisque nous nous sommes vus le 16 et les massacres avaient
commencé.
Président : nous sommes au courant de cette réunion. Avez-vous donné des instructions quand vous
avez eu vent de ces attaques ? Avez-vous réagi, demandé un rapport en apprenant ces massacres
autre que cette réunion ?
Laurent BUCYIBARUTA : non puisque je vous dis que nous avons tenu une réunion avec le préfet de
BUTARE
Président : en avez-vous demandé ?
Laurent BUCYIBARUTA : on avait prévu de se rencontrer le samedi 16
Président : vous n’aviez plus de téléphone, pas un annuaire pour téléphoner ?
Laurent BUCYIBARUTA : non
Président : nous avons entendu un certain nombre de témoignages disant que le sous-préfet BINIGA
était sur les attaques, vous lui avez demandé un rapport ?
Laurent BUCYIBARUTA : je n’ai pas demandé de rapport car à ce moment-là je n’avais pas
d’information sur son comportement éventuel.
Président : M. Laurent BUCYIBARUTA, à un moment vous êtes informé d’un massacre. Avez-vous
demandé à M. BINIGA, à des bourgmestres de faire des rapports ?
Laurent BUCYIBARUTA : ce qui importe d’abord est d’assurer la sécurité avec des gendarmes pour
protéger. Si les gendarmes n’exécutent pas correctement les ordres, ce n’est pas ma faute. C’est le
commandant de gendarmerie qui organise ses équipes.
Président : avez-vous téléphoné au commandant de gendarmerie pour avoir des informations ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : votre mission en tant que préfet ce n’est pas de protéger des gens ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui mais il y a des règles et une hiérarchie.
Président : donc vous réquisitionnez la gendarmerie pour des éventuels évènements à une date
éventuelle, dans des lieux éventuels ?
Laurent BUCYIBARUTA : je vous ai cité les centres. J’ai demandé le 10 avril.
Président : c’est intéressant ça, dès le 10 avril vous savez qu’il faut aller à KADUHA, KIBEHO, MURAMBI
et CYANIKA ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui j’avais envisagé ces lieux.
Président : si le site de MURAMBI a été évoqué c’est car le comité préfectoral a évoqué cette idée-là ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui
Président : ce n’était pas une idée spontanée des réfugiés ?
Laurent BUCYIBARUTA : non
Président : comment savez-vous pour la paroisse de KIBEHO ?
Laurent BUCYIBARUTA : quand il y a des troubles, les gens vont généralement se réfugier dans les
lieux de culte.
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Président : vous vous êtes renseigné pour savoir si des gendarmes avaient été envoyés ?
Laurent BUCYIBARUTA : moi j’ai réquisitionné la gendarmerie et après je lui fais confiance s’il me dit
qu’il a réquisitionné ses gendarmes.

Audition de monsieur Simon Pierre NZUBAHIMANA, pasteur de l’Eglise ADEPR [9] (Pentecôtiste)
en visioconférence de Manchester (Grande Bretagne).
Témoin : Je veux bien faire une déclaration spontanée, mais je préfère que vous me posiez des
questions.
Président : Qu’elle était votre situation en avril 1994 et où étiez-vous?
Témoin : J’étais pasteur chez moi à GIKONGORO.
Président : De quelle église ?
Témoin : J’étais en charge de ma propre église, qui fait partie de la branche de GIKONGORO. Cette
église existe partout au Rwanda, mais j’étais en charge de ma propre église.
Président : Étiez-vous le responsable de cette église à GIKONGORO?
Témoin : Oui, effectivement, j’étais en charge de cette église locale, et j’étais supervisé par un autre
pasteur régional, en charge de plusieurs églises.
Président : Quel était le nom de ce pasteur et où restait il ?
Témoin : Faustin MUNYARUBUGA. Il était considéré comme le pasteur régional au sein de cette église.
Président : Est-ce que vous avez connu le préfet Laurent BUCYIBARUTA?
Témoin : Fin juillet 1993, effectivement. A mon retour au Rwanda, j’ai pu rencontrer Laurent
BUCYIBARUTA. Je ne le connaissais pas avant. Il était préfet de la région de GIKONGORO. Je précise
que Laurent BUCYIBARUTA a été nommé en tant que préfet avant mon retour au Rwanda.
Président : Quand est-ce que vous êtes retourné au Rwanda ?
Témoin : Le 18 juillet 1993.
Président : Vous avez été entendu par des policiers anglais sur commission rogatoire des autorités
françaises. Vous avez déclaré que nous n’avez jamais eu de réunion en 1994 avec le préfet Laurent
BUCYIBARUTA.
Témoin : Effectivement, je ne considère pas cela comme des réunions, mais des rencontres avec
plusieurs services vu mon travail et mon poste.
Président : étiez-vous en charge de l’ensemble de la région ?
Témoin : Oui.
Président : Dans les relations administratives, entre les préfets et le représentant de l’église qui était
l’intermédiaire ?
Témoin : Au tout début, on m’avait demandé d’être en charge de l’école, premier poste que j’ai
occupé a mon retour au Rwanda. On se préparait pour le début de l’année scolaire. Ça me permettait
de rencontrer les services administratifs de mon côté, mais en rapport avec mon travail dans les écoles.
Président : Est-ce que vous vous souvenez avoir été entendu par les policiers anglais, sur commission
rogatoire par les autorités françaises ?
Témoin : Oui je pense qu’il s’agit de 6 ans ou 7 ans en arrière.
Président : C’était en 2016.
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Témoin : Oui environ, mais je n’ai jamais reçu une copie de mes déclarations.
Président : Ce qui m’intéresse c’est que dans ces déclarations, vous avez déclaré ne jamais avoir
participé à une réunion en 1994 avec le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Témoin : Oui, en fait je ne considère pas cela comme des réunions mais des rencontres avec plusieurs
services vu mon travail et mon poste.
Président : vous avez indiqué vous souvenir d’avoir été présent à un centre de conférence ?
Témoin : Ça fait 20 ans maintenant, je me rappelle d’un événement particulier, j’étais censé parler lors
de cet évènement et toute la région était très enthousiaste de voir en personne le Premier ministre. Je
précise que le Premier Ministre venait particulièrement dans la région, pour pacifier les esprits dans la
région. Je précise également qu’il venait d’accéder au poste de Premier Ministre, tout le monde ne le
connaissait pas non plus et tout le monde était enthousiaste de le voir [10].
Président : Est-ce que le pasteur Faustin était enthousiaste de voir le Premier ministre ?
Témoin : Je ne sais pas exactement, ce que je peux dire c’est que tout le monde dans la région était
enthousiaste de voir le Premier ministre.
Président : Est-ce que le pasteur Faustin était présent ?
Témoin : Je ne me souviens plus s’il en a fait partie, je ne me souviens plus de cette réunion, mais
avez-vous une date à me communiquer?
Président : Pas une date, mais une question : avez-vous entendu parler du massacre de MURAMBI?
Avant ou après la réunion ?
Témoin : Le massacre a pu avoir lieu longtemps après, quelques temps après. La réunion a eu lieu
pendant les trois premières semaines du mois d’avril. Il s’agit d’évènement qui a eu lieu il y a bien
longtemps.
Président : Est-ce qu’il y a eu des adeptes ou des fidèles de l’église tués à MURAMBI ?
Témoin : Oui, il y en a eu beaucoup.
Président : Est-ce que des membres de l’église sont venus chercher sécurité à GIKONGORO dans votre
église ?
Témoin : Je précise que tout le monde a essayé de se réfugier dans l’église la plus proche de chez soi,
il y a eu des adeptes, des fidèles. Concernant mon église, des personnes sont venues de l’église
pentecôtiste, mais d’autres aussi.
Président : Que sont-elles devenues ?
Témoin : Quand les personnes ont commencé à courir dans tous les sens, à MURAMBI, les autorités
ont voulu les diriger vers un seul endroit pour les mettre en sécurité. Je me souviens d’un pasteur, mais
vous voyez, ce n’est pas possible avec ce grand nombre de personnes, on laissait ces personnes se
déplacer librement.
Président : Ces personnes avaient-elles une particularité ?
Témoin : Il s’agit de la population des Tutsi qui fuyaient.
Président : Donc vous ne savez plus très bien si le massacre c’était avant où après la visite du Premier
Ministre ?
Témoin : Vu tout le temps passé, je ne me souviens pas bien, mais je pense que sa visite a eu lieu
avant.
Président : Est-ce que vous vous êtes inquiété de savoir ce que les fidèles pentecôtistes étaient
devenus à MURAMBI ?
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Témoin : Absolument, on leur a même envoyé de la nourriture.
Président : Et après ?
Témoin : Ils ont été tués, il y a eu un massacre.
Président : Vous semblez avoir un problème de mémoire. La visite semble avoir lieu après le massacre.
Témoin : C’était il y a longtemps.
Président : Qu’est-il arrivé au pasteur Faustin MUNYARUBUGA ?
Témoin : il a été tué mais je n’ai pas plus d’informations sur les circonstances de sa mort.
Président : Est-ce que vous vous êtes rendu à son domicile?
Témoin : oui, quand on a entendu parler de la tuerie qui a eu lieu à cet endroit là, on a couru dans la
direction de sa maison pour voir si l’on pouvait porter secours à qui que ce soit, mais
malheureusement, tout le monde avait été tué.
Président : je vais vous donner une information, un de ses enfants a survécu.
Témoin : Oui, je sais qu’on l’a caché quelque part.
Président : Qui ça « on » ?
Témoin : Moi et j’ai demandé aux personnes à l’église de le cacher.
Président : Vous avez rencontré ce fils et vous l’avez protégé ?
Témoin : Oui et je l’avais même emmené sur mon scooter.
Jacques UWIMANA s’approche de la barre sur invitation du Président : Je vous remercie. Je
connais Simon-Pierre mais il nous a chassés de là en nous demandant de sortir parce qu’il ne
voulait pas que l’église soit détruite. Concernant ce qu’il a dit, qu’il m’aurait transporté sur sa moto,
c’est vrai. Une fois, les gendarmes l’ont arrêté, c’est vrai, ils m’ont emmené en voiture à une barrière
pour que ceux-ci me tuent. Par chance, il est passé par là, je leur avais dit que j’étais Hutu, j’avais renié
mes origines Tutsi. Il s’est entretenu avec un gendarme et ils se sont mis d’accord qu’il devait me
prendre sur sa moto pour me ramener à la brigade de police. Il n’y a là aucun acte de
magnanimité puisque la gendarmerie à laquelle j’ai été conduit, c’est là que des gens étaient tués. Par
chance, j’ai réussi à m’enfuir et à aller à Murambi. (… ).
Président : le témoin souhaite réagir ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA répond en kinyarwanda : c’est triste d’entendre aujourd’hui un enfant
s’exprimer comme ça et de ne pas reconnaitre notre rôle pour qu’il soit en vie. Au moment où on
venait de tuer ses parents, je suis passé par là avec quelques membres de l’église, nous savions qu’il
était dans la maison (en anglais), nous avons fait ce que nous pouvons, l’avons conduit chez un
chrétien. Quand il était là, il était tout le temps à l’extérieur, nous avons constaté qu’il ne serait pas en
sécurité là-bas et l’avons conduit dans un lieu où il ne pourrait pas sortir. Cet autre endroit est une
petite maison érigée au bord de la route, où habitait un jeune homme célibataire. Personne ne pouvait
imaginer que nous cachions cette personne. Seul moi et un autre évangéliste avions cette information
puisque c’est lui-même qui le cachait. Un jour, un dimanche, on a découpé mon grand-frère et je suis
allé le voir pour l’enterrer. Une fois là-bas, j’ai constaté qu’il n’était pas complétement mort, je suis
revenu avec le cercueil et je l’ai ramené là où je l’avais acheté. J’ai pris la moto pour aller à KIGEME, là
où on avait amené mon frère là l’hôpital. C’était la nuit. Arrivé à la barrière on m’a demandé si cet
enfant était le mien. Je ne savais pas ce qu’il avait dit mais dire le contraire était synonyme pour moi de
mort. Au lieu de leur dire « C’est mon enfant », je l’ai grondé en disant « Toi, enfant, comment es-tu
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arrivé ici ? ». Ils ont été confus à la barrière car ils pensaient que c’était mon enfant. Pour que je puisse
le leur arracher des mains, je leur ai dit de le garder et que demain je viendrais avec ses papiers
d’identité. À ce moment-là, il n’y avait pas d’éclairage sur les routes donc il n’était pas possible de leur
montrer les papiers d’identité. Je l’ai déposé à la gendarmerie et j’ai demandé au chrétien de le garder
la nuit. Il y en a même qui ont passé la nuit là-bas, ce n’était pas prévu. Le lendemain, ce sont ceux-là
qui l’ont escorté pour que rien ne lui arrive et l’ont déposé au camp des Français à MURAMBI. Pour ce
qui concerne leur petit frère, après l’assassinat de ses parents, il est resté avec deux de ses cousins, ce
sont ceux-là qui se sont occupés de lui. Je n’ai pas d’information sur sa mort. Pour sa petite sœur,
bébé, une chrétienne l’a prise et je me dis qu’aujourd’hui elle doit être devenue une grande jeune fille.
Ça m’attriste d’entendre maintenant Jacques me charger et je me dis qu’un jour on devrait se
rencontrer et prendre une tasse de thé.
Jacques UWIMANA : je n’ai pas beaucoup de choses à dire. Le témoignage qu’il donne est vrai en
partie mais le reste, il mélange. Compte-tenu de ce que je vous ai dit, vous pouvez réfléchir et démêler
le vrai du faux.
Président : vous avez dit que votre frère a été coupé en morceaux, quand est-ce que c’est arrivé et
dans quelles circonstances ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je ne peux pas me rappeler des circonstances exactement mais
quand la situation s’est dégradée, tout le monde tuait tout le monde. J’ai été moi-même attaqué, j’ai
reçu un coup. Je pensais que mon frère était mort car il était plein de sang, tout son visage était
couvert de sang et il était jeté dans un buisson. Quand j’ai reçu l’information que mon frère avait été
tué, j’ai dû me déplacer, environ 35 km. Avec quelques amis on avait même acheté son cercueil car je
ne pensais pas qu’il était encore vivant. On n’a pas pu se croiser car c’était très tôt le matin quand on a
récupéré mon frère.
Président : que pouvez-vous nous dire de plus sur le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je peux dire qu’à un moment donné, je pense qu’on peut avoir un
peu pitié de sa propre situation à l’époque ; sa propre maison a été vandalisée car on cherchait des
Tutsi chez lui.
Président : sa maison a été vandalisée et perquisitionnée ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je parle des personnes sans aucun scrupule qui rentrent dans les
maisons, qui profitent du temps de guerre pour rentrer et voler les maisons, même celles des policiers.
Président : vous avez vu des gens qui sont rentrés dans la résidence du préfet, de vos propres yeux?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA non, mais je l’ai entendu dire car il habite à quelques centaines de
mètres de chez moi; donc tout se savait.
Président : mais vous ne l’avez pas vu ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : non, je l’ai entendu dire. Apparemment il avait un chauffeur Tutsi
chez lui.
Président : ils ont trouvé des Tutsi chez lui en fouillant ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : non, sa résidence et son jardin sont immenses. Je crois que sa
femme est Tutsi. Beaucoup de gens sont venus chez lui.
Président : on a emmené sa femme ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je ne sais pas parce que quand ils sont venus fouiller, les gens
associaient le fait que sa femme soit Tutsi avec le fait de cacher des Tutsi.
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Président : avez-vous été témoin que le préfet soit sujet à des menaces ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : un certain Monsieur GASANA disait que c’était la faute du préfet qui
ne prenait pas les choses en main
Président : vous avez vu ou entendu ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je l’ai entendu dire.
Président : entendu parler ou présent quand ce GASANA a tenu ces propos ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : après l’évènement, tout le monde fuyait dans tous les sens et
GASANA l’a dit de façon très directe « Comment ça se fait qu’on en est arrivé là ? », il disait que le
préfet n’avait pas vraiment de pouvoirs et ne pouvait pas changer les choses. GASANA n’était pas
content de voir que des personnes pouvaient s’en prendre à des institutions.
Jacques UWIMANA : je n’ai pas beaucoup de choses à dire car Simon-Pierre NZUBAHIMANA a luimême était jugé au RWANDA par les Gacaca [11], des décisions ont été prises. Aujourd’hui nous
sommes en train de nous occuper du préfet BUCYIBARUTA.
Président : est-ce que Simon-Pierre NZUBAHIMANA sait qu’il a été jugé par des
juridictions Gacaca ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : c’est la première fois que je l’entends mais ça ne m’étonne pas car
ils font toujours leurs procès.

Questions du Ministère Public :
Ministère public: vous avez été entendu en 2016. Quand on vous a demandé de vous présenter, vous
avez dit: « Hutu, membre du peuple Bantu et je suis fier de dire que je suis Hutu » – D 10769
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je n’ai pas dit ça.
Ministère Public : c’est clairement écrit et cela a été pris en note par des policiers anglais.
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : peut-être il y a eu un problème de traduction.
Ministère Public : donc vous contestez ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : il n’y a rien à être fier. Pourquoi je dirais de ça ?
Ministère Public : très bien, je note.
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je n’ai jamais dit ça.
Ministère Public : vous nous avez confirmé que Faustin MUNYARUBUGA était bien votre supérieur et
l’interlocuteur privilégié des autorités administratives et donc de M. Laurent BUCYIBARUTA ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : oui c’est juste
Ministère Public : vous avez évoqué l’enthousiasme qu’avait évoqué la visite du Premier Ministre
KAMBANDA. Vous vous souvenez aussi de la visite du Président de la République SINDIKUBWABO ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : si je me souviens bien, il n’a jamais visité GIKONGORO. Je ne veux
pas dire que je me souviens pas qu’il n’a pas mis les pieds mais je m’en souviens pas.
Ministère Public : je parle bien de la période à partir 1994.
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : personnellement, je ne l’ai pas vu en personne.
Ministère Public : je n’ai pas saisi si vous étiez présent quand M. GASANA a proféré ces propos ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : ce sont des ouï-dire.
Ministère public : lors de la réunion avec KAMBANDA, pouvez-vous nous dire ce que Laurent
BUCYIBARUTA a dit ?
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Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je ne peux pas me rappeler mais je peux dire que je faisais partie
des personnes qui avaient vraiment envie de voir le Premier Ministre, surtout au vu des circonstances.
Ministère Public : vous connaissiez les autorités de la gendarmerie en 1994 ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je me souviens d’un certain un major BIZIMUNGU et un capitaine
SEBUHURA.
Ministère Public : qui était le commandant ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : Major BIZIMUNGU
Ministère Public : que savez-vous de leur rôle pendant 1994 ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : personne ne comprenait pourquoi le capitaine SEBUHURA se
comportait comme il se comportait. Je précise qu’il y avait aussi des militaires et des paramilitaires. Je
précise que personne n’a jamais vu le Major BIZIMUNGU.
Ministère Public : la population voyait bien le capitaine SEBUHRA qui se baladait au sein de la
population ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : oui.
Ministère Public : vous avez dit que BIZIMUNGU ne faisait rien, c’était SEBUHURA qui donnait les
ordres, c’est ça ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je pense effectivement qu’à cette époque-là, ce qui s’est passé est
que des petits officiers n’écoutaient pas les ordres et faisaient ce qu’ils souhaitaient.
Ministère Public : Laurent BUCYIBARUTA vivait près de chez vous ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : oui. Je précise que GIKONGORO n’est pas si grand que Paris, c’est
plus minuscule.
Ministère Public : en 1994, vous le voyiez se déplacer, il avait une escorte ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je précise que je l’ai vu effectivement car il fréquentait l’église, il
était très croyant. J’étais surpris car je voyais un préfet en ces temps de génocide seul dans la rue sans
escorte.
Ministère Public : c’est en effet ce que vous aviez dit. Vous reconnaissez qu’il y a eu un génocide de
Tutsi au RWANDA en 1994 ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : oui
Ministère Public : vous n’avez rien d’autre à ajouter sur cela ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je n’ai pas de commentaire particulier mais ce n’est pas un
évènement qui passe inaperçu.
Me LÉVY : je n’ai pas de question, merci. Je souhaite faire observer aux jurés qu’il n’y a pas de
jugement Gacaca à ce sujet dans le dossier, il n’y a pas de preuve que ce jugement existe.
Président : par rapport à la réunion préfectorale à laquelle il dit avoir participé, y-avait-il la parole ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : pourriez-vous préciser de quelle réunion ? il s’agit
Président : la seule réunion à laquelle il dit avoir assisté, celle avec Jean KAMBANDA présent.
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : non, je n’ai pas eu la parole, je n’ai même pas offert de cadeaux.
Président : je précise que vous avons au dossier un carnet de Jean KAMBANDA avec une réunion
tenue le 30 avril 1994 – Annexe (111/22) versées au débat du rapport de M. GUICHOUA [12]). Je
vois qu’il y a effectivement le Premier Ministre, le préfet, Mgr KAYUMBA (évêque anglican de KIGEME),
Mgr MISAGO (évêque catholique de de GIKONGORO), le sous-préfet de KADUHA, le bourgmestre de

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MUCO, le président de la CDR de GIKONGORO et un fonctionnaire encadreur de la jeunesse. Vous
vous souvenez si ces personnes étaient présentes à la réunion ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : non, car il y avait une grande foule ce jour-là, je n’ai pas pris de note
du tout.
Me BERRAHOU : le témoin a dit qu’il a rencontré souvent Laurent BUCYIBARUTA dans ses visites à
l’église. Est-ce que Laurent BUCYIBARUTA rencontrait aussi votre supérieur Faustin MUNYARUBUGA ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : je précise qu’il est catholique, croyant. Il ne fait pas partie de l’église
pentecôtiste.
Me BERRAHOU : il ne répond pas à ma question
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : quand je disais qu’il il fréquentait l’église, je ne parlais pas de la
mienne.
Me BERRAHOU : oui, mais si vous pouviez rencontrer Laurent BUCYIBARUTA, votre supérieur aussi,
non ?
Simon-Pierre NZUBAHIMANA : bien sûr qu’il le connaissait. Il n’y a pas du tout un contexte
particulier où Laurent BUCYIBARUTA et mon supérieur auraient pu se rencontrer.
Me BERRAHOU : le fait de savoir qu’ils se connaissaient me suffit.
Président : y-a-t-il des questions pour M. Jacques UWIMANA ?
Me ARZALIER : quelle est la distance entre l’église où officiait votre père et la préfecture de
GIKONGORO ?
Jacques UWIMANA : je vais donner une estimation mais environ 3 km.
Me ARZALIER : vous avez raconté tout à l’heure le meurtre de vos parents, frères et sœurs. Est-ce que
vous avez pu enterrer vos parents ?
Jacques UWIMANA : lorsqu’on les a tués le 23 avril, il n’y avait pas moyen de les enterrer. Ce qui a été
fait est qu’ils ont creusé des fosses communes, ce sont des fidèles de l’église qui l’ont fait. On y a
déposé les 4 corps : mes parents et mes 2 petits frères. Après, l’État a mis en place un programme pour
enterrer dignement les personnes. En 2009 nous les avons enlevées de là et enterrées dignement au
site de MURAMBI.
Me ARZALIER : sur la notion de regroupement, quand le préfet Laurent BUCYIBARUTA conseille à vos
parents et aux réfugiés de se rendre sur le site de MURAMBI, pensez-vous qu’à cette date, il a déjà
connaissance du sort qui va être réservé aux gens qui vont trouver la mort sur ce site ?
Jacques UWIMANA : quand ça eu lieu en 1994, je n’avais pas suffisamment de compétences pour
mener une telle analyse. Surtout que quand nous allions à la gendarmerie, nous les considérions
comme des personnalités assurant la sécurité de la population. Quand ils les ont amenés à MURAMBI
accompagné de bourgmestres et de gendarmes, je me disais que c’était pour assurer leur sécurité. Je
me disais que quiconque arrivait à atteindre MURAMBI allait être sauvé. Cela m’a attristé car mon père
refusait d’aller à MURAMBI. Après, quand j’ai compris les choses et que le génocide avait été préparé
par les autorités, c’était une façon de rassembler les réfugiés pour que personne ne puisse leur
échapper. Il s’agit d’une colline vaste entourée de grandes montagnes. Donc la stratégie de les tuer làbas était facile puisqu’il n’y avait pas moyen de leur échapper. MURAMBI était sur un site élevé et il y
avait moyen de tirer sur eux. Ceux qui tentaient de fuir, ils les tuaient avec des armes traditionnelles.
Pour conclure, après avoir compris la nature du génocide et sa préparation, je confirme que ces sites

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de MURAMBI, CYANIKA et beaucoup d’autres, les autorités y amenaient la population Tutsi dans le but
de mettre en exécution leur plan que personne ne survive.
Me TAPI : vous avez déclaré que votre père a téléphoné au préfet pour demander aide et assistance.
En répondant à cette déclaration, Laurent BUCYIBARUTA a dit qu’il ne savait pas si votre père avait
appelé chez lui ou à son bureau. Ce matin, Christine KAYITESI a dit que l’abbé NGOGA avait appelé le
préfet Laurent BUCYIBARUTA pour obtenir aide et assistance mais que ce n’était pas possible car il
n’avait pas ce numéro dans l’annuaire.
Président : est-ce que l’accusé a eu l’occasion de parler avec le père de la partie civile au téléphone ?
Laurent BUCYIBARUTA : j’ai dit que non. Le témoin n’a pas confirmé s’il était avec son père quand il
avait téléphoné. Ensuite le site de MURAMBI n’était pas encore ouvert puisque la décision s’est prise
lors de la réunion du 10 avril.
Président : M. Laurent BUCYIBARUTA, à KIBEHO, il y a beaucoup d’endroits. Vous nous dites qu’il n’y a
aucun endroit dans le ressort de la paroisse de KIBEHO avec un téléphone fixe, c’est ça ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui. Je persiste à affirmer que je ne connais aucun téléphone fixe à KIBEHO.
Me BIJU-DUVAL : je souhaiterais poser une question à M. Laurent BUCYIBARUTA.
Président : vous souhaitez réagir d’abord M. Laurent BUCYIBARUTA ?
Laurent BUCYIBARUTA : les documents auxquels vous avez fait référence à la visite du Premier
Ministre KAMBANDA, ce n’était pas le 30 mais le 28.
Président : j’entends bien mais je lis ce qui est noté. Mais je prends note de ce que vous dites que la
réunion a eu lieu le 28 mais non pas le 30. Je précise que je donnerai lecture d’un dernier extrait
d’Alison DESFORGES sur l’abbé NGOGA pour finir sur ce sujet, p. 617/18 [13] – D1870/71.
Me BIJU-DUVAL : tout à l’heure Laurent BUCYIBARUTA s’est exprimé sur une réunion du conseil de
sécurité tenue le 10 avril 1994 , au cours de laquelle des décisions de mettre fin aux violences et les
prévenir. Je voudrais vous donner lecture d’un message du 10 avril diffusé sur Radio Rwanda pour lui
rafraichir la mémoire – D9152. Est-ce qu’à l’occasion de cette réunion du 10 avril à laquelle se réfère ce
transcript, vous avez réquisitionné à l’oral ou à l’écrit la gendarmerie pour réprimer ces actes ?
Laurent BUCYIBARUTA : le commandant de gendarmerie était sur place. Le Major BIZIMUNGU
Christophe était lui-même présent à cette réunion du 10 avril.
Président procède à la lecture du livre d’Alison DESFORGES sur l’abbé NGOGA pour finir sur ce sujet p.
617/18 [14] – D1870/71.
Laurent BUCYIBARUTA : j’ignore ces faits avec l’abbé NGOGA puisqu’ils se sont déroulés dans la
préfecture de BUTARE. C’est la première fois que j’entends cette histoire.
Président : pourtant vous avez lu le livre d’Alison DESFORGES.
Laurent BUCYIBARUTA : oui, il y a des choses qu’elle a écrit qui représentent la vérité et d’autres qui
sont contestables.
Président : donc vous dites que c’est contestable ?
Laurent BUCYIBARUTA : non, seulement je n’ai pas d’éléments pour supporter cela.
Président : je vais lire un dernier extrait en me limitant aux journées du 14 et 15 avril dans le journal de
Madeleine RAFFIN – Annexe de D77
Président : le 17 avril vous vous rendez avec l’évêque à KIBEHO ?
Laurent BUCYIBARUTA : c’est exact
L’audience est suspendue à 18h20. Rendez-vous demain à 9h30.
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Mathilde LAMBERT et Carole FRISCHIT
Alain GAUTHIER, président du CPCR

References
↑1

GFTU : « Genocide Fugitive Tracking Unit », section du parquet de Kigali en charge des
fugitifs.

↑2

Ibid.

↑3

CNLG : Commission Nationale de Lutte contre le Génocide

↑4

ADEPR : Association des Églises de Pentecôte au Rwanda

↑5

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑6

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994. Lire également le témoignage de
Patrick de SAINT-EXUPÉRY

↑7

FPR : Front patriotique Rwandais

↑8

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑9

Ibid.

↑10

Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑11

Ibid.

↑12

André Guichaoua : Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda,
1990-1994 – La Découverte (Paris) : annexes documentaires en ligne :
Les agendas et carnet de notes de Jean Kambanda:
– Agendas (document pdf, 28 Mo)
– Notes et déposition au TPIR (document pdf, 35 Mo

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↑13

Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé
par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999

↑14

Ibid.

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Vendredi 20
mai 2022. J10
21/05/2022

• Audition de monsieur Vincent de Paul NSABIYERA,condamné pour génocide. En
visioconférence.
• Audition de madame Juliette MUKAKABANDA, rescapée.
• Audition de monsieur Simon MUTANGANA, rescapé.
• Audition de madame Julienne UMUGWANEZA, rescapée.
Audition de monsieur Vincent de Paul NSABIYERA, en visioconférence. Condamné pour
génocide à 10 ans de prison entre 1996 et 2006.
Pendant toute son audition, le témoin va parler lentement, semblant peser ses mots, avec une colère
rentrée. Toujours sur ses gardes.
Dans sa courte déposition spontanée, le témoin déclare qu’il a bien connu Laurent BUCYIBARUTA,
préfet de Gikongoro pendant le génocide commis contre les Tutsi en 1994. Il habitait lui-même près
de la préfecture.
Sur questions de monsieur le président de la cour, le témoin précise qu’il était à l’époque responsable
du service de Santé dans le cadre de la vaccination des maladies endémiques. Il était directeur du PEV,
Programme Élargi de Vaccinations. Son activité ne dépendait pas des services de la préfecture. Il ne
rencontrait le Préfet qu’à certaines occasions, lors de l’Umuganda par exemple (travaux
communautaires de développement).
Le témoin était membre du PSD, parti social démocrate mais n’a jamais participé à des entraînements.
Par contre, il connaît un certains nombre de personnes dont le président égraine les noms. Il a aussi vu
des Interahamwe [1] qui s’entraînaient à SOS Village Enfants, tout près de la préfecture. Ces
entraînements se déroulaient sous la responsabilité d’un certain Cassien BARUGIRA. Le témoin n’a pas
participé à l’auto-défense civile. Quant aux rondes, il n’y a participé qu’une fois, et encore forcé de le
faire.
Les troubles à Gikongoro ont commencé après la chute de l’avion du président HABYARIMANA. La
RTLM [2] désignait les Tutsi et les militaires du FPR [3] comme auteurs de l’attentat.
Monsieur NSABIYERA nie avoir été présent sur les barrières qui avaient été érigées pour « barrer la
route aux Inkotanyi [4] qui infiltraient le pays« . Après l’attentat, les ennemis n’étaient plus seulement les
Inkotanyi, mais les Tutsi. Il a entendu dire que des réfugiés s’étaient rendus à l’évêché et conduits
ensuite à Murambi sur décision des autorités. il entendait dire aussi qu’on tuait les Tutsi aux barrières
tenues par des gens armés d’armes traditionnelles.
Le témoin justifie les tueries par la colère des gens dont on avait tué le président. Il avoue que les
gendarmes, sous l’autorité de SEBUHURA, qui « haïssait les Tutsi », aurait dû protéger les gens.
Lorsque monsieur le président LAVERGNE lui demande ce que la date du 21 avril 1994 évoque pour
lui, il fait semblant de ne pas comprendre la question pour finir par reconnaître que « ça (lui) dit
quelque chose: le massacre des Tutsi à Murambi. J’étais tout près et j’ai participé aux attaques. »

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Vêtements de Murambi : près de 50 000 personnes ont été massacrées dans et autour de cette école
technique. Les ossements et les cadavres momifiés ont été ramassés et déterrés pour le mémorial.
Photo : © Bruce Clarke
« Vous étiez vous aussi en colère? » questionne le président.
« Pas de colère particulière, répond le témoin, je suis allé me liguer aux autres parce que c’est là que
j’habitais. Les gendarmes ont attaqué à l’aube avec des armes lourdes. J’ai entendu les explosions de loin.
Nous sommes allés à Murambi, avons encerclé le site pour que les Tutsi ne puissent s’échapper. Quant
aux nombre de victimes, je n’ai pas compté. Les autorités doivent savoir mieux que moi. » Et de
poursuivre qu’après avoir tué à Murambi, certains sont partis à Cyanika sous la supervision des
gendarmes, pour tuer.
Le nom de Philippe NTETE lui dit quelque chose: « Il a fui et a survécu par chance. » Quant à Faustin
TWAGIRIMANA, qui dit être son frère, le témoin dit qu’il n’a pas d’information à ce sujet!
Sur question de l’assesseure, il ne confirme pas sa participation à la barrière de Kabeza pendant la
journée. Elle était simplement sur son chemin!
Me QUINQUIS : vous avez indiqué vivre proche des bâtiments de la préfecture, est-ce qu’il y avait une
bonne vue depuis ces bâtiments sur l’ETO [5] de MURAMBI ?
Vincent de Paul NSABYERA : oui très bien, on voyait bien.
Viennent ensuite les questions de maître KARONGOZI. Pourquoi a-t-on tué, dès le 7 avril, des
responsables du PSD? « Ça s’est passé comme ça » rétorque le témoin. Ils étaient de connivence avec le
FPR. Le MDR [6] avait peur de Frédéric NZAMURAMBAHO, le président du PSD [7]. » Il reconnaît qu’en
allant à Murambi, il a été « faible« . S’il a rejoint ses semblables, c’est pour qu’ils ne viennent pas le
tuer! (NDR. Une explication comme une autre.)

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Maître GISAGARA demande la parole mais monsieur le président, manifestement énervé, hésite à lui
la donner. Pour finir par dire: « Posez votre question. » La question portait sur la qualité des autorités
dont parlait le témoin: « Les autorités préfectorales, médicales, mon supérieur » répond le témoin.
Le ministère public évoque le rôle de la RTLM dont le témoin a parlé dans son audition par les
enquêteurs du TPIR [8] en 2002: « C’est le FPR et les Tutsi qui ont abattu l’avion » aurait-il répété. Pas de
réelle réponse du témoin. Quant à SEMAKWAVU, il le connaît comme bourgmestre de Nyamagabe,
mais il ne l’a pas vu.
La parole est enfin donnée à la défense. Maître BIJU-DUVAL rappelle au témoin qu’il a déclaré,
entendu par les enquêteurs, qu’l avait plaidé coupable mais qu’il n’avait tué personne. « Vous êtes sûr
que vous n’avez tué personne? »
« J’étais là pour empêcher les Tutsi de fuir » se contente de répondre le témoin.
« Vous voulez effacer votre propre responsabilité » conclut l’avocat.

Audition de madame Juliette MUKAKABANDA, rescapée.
« Je suis veuve à cause du génocide. J’avais un mari et trois enfants. Il me reste un enfant. J’ai suivi
l’enseignement primaire de base et j’ai travaillé dans la plantation de thé de KITABI, comme responsable
du groupe des filles.
C’est sur le lieu de mon travail que j’ai rencontré celui qui devait devenir mon mari. Il était orphelin des
événements de 1963. (NDR. A Noël 1963 et dans les jours qui ont suivi, des massacres d’envergure ont
été organisés à Gikongoro lors de ce qu’on a appelé peut-être à tord le « petit génocide de Gikongoro. On
a dénombré environ 20 000 Tutsi tués).
Elle-même est Hutu et elle explique les tueries de 1994 par l’impunité dont ont bénéficié les tueurs
depuis plusieurs décennies. Son mariage avec une Tutsi n’avait pas posé de problèmes et elle avait été
très bien acceptée dans sa belle-famille.
« L’attentat contre le président HABYARIMANA est aussitôt attribué aux Inkotanyi [9]. Les Hutu se
déplaçaient, participaient à des réunions, brûlaient les maisons des Tutsi. La radio proclamait que
l’ennemi était le Tutsi. Les Hutu pillaient les maisons et les autorités leur disaient de tuer d’abord les
occupants avant de prendre leurs biens.
En entendant les premiers coups de feu, nous avons décidé de fuir avec les voisins. Nos voisins hutu nous
demandaient pourquoi nous fuyions. Je voulais aller rejoindre mes parents mais mon mari a refusé que
j’aille à MUDASOMWA car il ne voulait pas voir ses enfants se faire tuer sous ses yeux.. Nous prenons la
décision de nous réfugier à l’église ADEPR [10]. Je pars avec mon bébé au dos et mon mari me rejoint deux
jours plus tard. Ils sont accueillis par le pasteur Faustin. SEMAKWAVU est alors arrivé avec des
gendarmes. Il répercute l’ordre de Laurent BUCYIBARUTA: nous devons partir à MURAMBI.
L’adjoint de l’église ADEPR, Simon-Pierre NZUBAHIMANA, refuse de nous cacher, craignant que les
locaux des classes ne subissent des dommages. Nous partons avec SEMAKWAVU et les gendarmes. Sur la
route, les Hutu nous interpellaient et tuaient partout.
A notre arrivée à MURAMBI, l’eau avait été coupée et nous avions peur d’aller puiser en dehors du site.
Deux personnes sont mortes de soif. On avait bien compris qu’on nous avait rassemblés pour nous tuer.

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Les Hutu réfugiés avec nous sont invités à se rassembler ailleurs. Eux bénéficiaient de la nourriture qui
était distribuée. »
En face des nombreuses attaques, les réfugiés se défendent en lançant des pierres et des briques. Un
recensement auprès des réfugiés est organisé afin de prévoir la quantité de nourriture à distribuer, soidisant. Probablement, selon les réfugiés, pour préparer les attaques.
Les militaires auraient reçu l’ordre du préfet de fouiller les Tutsi. Ils n’avaient pas de machettes,
seulement des petits couteaux qu’on leur a repris. Pour pouvoir manger, les réfugiés décident de tuer
une vache. Ils doivent manger la viande crue.
« Ma belle-famille m’aimait beaucoup, poursuit le témoin. Ils voulaient sauver leur belle-fille. Mon mari
intervient auprès des gendarmes pour qu’ils me laissent quitter le camp. Comme ces derniers ne veulent
pas que je parte avec ses enfants, je refuse de partir. »
La CARITAS fait distribuer de la nourriture et une attaque est organisée après une réunion animée par
le président SINDIKUBWABO, le 19 juin, dans la salle du CEPEP. Les réfugiés sont décidés à se défendre
mais son mari est blessé.. Le témoin garde sur elle sa Bible et sa carte d’identité. Les assaillants jettent
des pierres que les réfugiés leur lancent à leur tour.
« Ne tuez pas ma femme, implore le mari du témoin. C’est votre sœur. »
« Si elle est Hutu, donne-nous sa carte d’identité! » répondent les tueurs. « Mais si tu veux qu’on la
sauve, qu’elle laisse son enfant. » Ces derniers lui prennent sa Bible et sa carte d’identité. Ils fracassent
la porte d’entrée à l’aide d’une grosse pierre. Madame MUKAKABANDA sors avec son bébé au dos. Elle
va être sauvée par un jeune homme qui menace les tueurs de les abattre s’ils lui font du mal. Le
témoin demande aux tueurs de lui laisser le temps de prier. Et de promettre, dans sa prière: « Toi, Dieu,
si tu sauves mon enfant et moi, nous te servirons« . (NDR. On apprendra, à l’occasion des questions, que
ce jeune homme avait fait un rêve et qu’il avait reconnu dans la personne du témoin la femme qu’il avait
vue dans son rêve.)
Le témoin continuera de raconter longuement la suite de sa fuite. Dieu exaucera sa prière.
Aucune des parties ne souhaite poser des questions tant le récit du témoin a touché tout le monde.
Maître BIJU-DUVAL tient toutefois à dire quelques mots: « Nous vous remercions infiniment d’être
venue. Nous rendons hommage à votre courage pour venir décrire ce que vous avez vécu. Après 28 ans,
ce doit être une grande souffrance que de raviver tous ces souvenirs. »
Une question lui est toutefois revenue à la dernière minute: « Laurent BUCYIBARUTA était-il présent à
MURAMBI dans la matinée du 21 avril. Nous comprenons que dans la situation atroce que vous viviez
vous n’étiez pas en état de regarder autour de vous. En Gacaca [11], certains accusés qui ont plaidé
coupable ont fait courir le bruit que Laurent BUCYIBARUTA était là. Avez-vous eu connaissance de la
présence de Laurent BUCYIBARUTA? »
Le témoin se contente de répondre: « Cette information émanait de toutes les cellules. »
Intervention de monsieur Laurent BUCYIBARUTA: « Je trouve que le témoin a eu beaucoup de courage.

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Elle a exprimé beaucoup de peine, de souffrances, à MURAMBI et dans sa fuite. Je compatis à ses
souffrances. Ce sera à la Cour d’apprécier vos déclarations. »

Audition de monsieur Simon MUTANGANA, rescapé.
Simon MUTANGANA: Laurent BUCYIBARUTA a joué un rôle dans le génocide contre les Tutsi en
1994. J’ai perdu des enfants, mon père, des cousins, des tantes maternelles, mes beaux-parents, mes
beaux-frères et beaucoup d’amis.
Président : ce qui nous importe est ce dont vous avez été témoin.
Simon MUTANGANA : nous avions fui au diocèse de KIGEME, il (le préfet) est venu nous prendre de
là, disant que c’était pour assurer notre sécurité à MURAMBI. À KIGEME, nous étions bien entretenus,
nous avions à manger et à boire mais quand nous avons été déplacés, dans un premier temps ils ont
coupé l’eau. Nous avons souffert, là-bas, de la faim et de la soif. Après ils ont envoyé
des Interahamwe [12] qui nous ont attaqués vers 3h du matin. Nous nous sommes battus en essayant
de les repousser mais ça a échoué. Nous nous battions uniquement avec des pierres et des bouts de
bois alors qu’ils pouvaient utiliser des balles, des grenades et des machettes. Nous sommes arrivés à
l’épuisement, certains avaient été tués, d’autres avaient fui. Après que nos agresseurs ont pris le dessus
sur nous, il (le préfet) est arrivé et il a demandé aux Interahamwe d’aller à CYANIKA. Ceux qui sont
partis avaient les grenades et les fusils, ceux avec les machettes et les gourdins sont restés pour
achever les blessés. Je n’ai plus revu Laurent BUCYIBARUTA.
Président : en 1994, quel âge aviez-vous, quelle était votre situation de famille, où habitiez-vous ?
Simon MUTANGANA : j’étais marié et j’avais des enfants.
Président : où habitiez-vous?
Simon MUTANGANA : j’habitais alors la commune de MUDASOMWA, préfecture de GIKONGORO,
secteur NYAMIGIMA, cellule NYAMIGIMA.
Président : quelle distance entre votre domicile et GIKONGORO ?
Simon MUTANGANA : si je fais une estimation, environ 11 km.
Président : je me trompe ou il est exact que KIGEME est entre l’endroit où vous habitiez et
GIKONGORO
Simon MUTANGANA : de KIGEME environ 7 km.
Président : pour aller de chez vous à GIKONGORO, on passe par KIGEME ?
Simon MUTANGANA : oui.
Président : vous avez parlé du diocèse de KIGEME, c’est le diocèse anglican ?
Simon MUTANGANA : Oui
Président : vous-même êtes anglican ?
Simon MUTANGANA : oui, je le suis.
Président :vous connaissiez bien l’évêque anglican ?
Simon MUTANGANA : oui, c’est KAYUMBA Norman, nous étions à l’école ensemble. Il avait un
adjoint Alexis mais il est retraité aujourd’hui.
Président : dans le passé il y a eu des troubles ? Et pendant cette période, des Tutsi anglicans sont
allés chercher refuge à l’église anglicane ?
Simon MUTANGANA : en 1959, ils s’y sont rendus.
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Président : en 59 c’était peut-être juste une église, pas un évêché ?
Simon MUTANGANA : c’était une paroisse
Président : vous pouvez décrire un peu KIGEME ? Il y a d’autres institutions que le diocèse.
Simon MUTANGANA : il y a l’hôpital, le groupe scolaire de KIGEME, une deuxième école devenue
école secondaire et un Centre de santé.
Président : il y avait des institutions militaires ?
Simon MUTANGANA : à l’époque il n’y avait pas d’établissement militaire. Le camp de gendarmerie
était situé à GIKONGORO.
Président : combien de Tutsi y avait-il quand vous arrivez à KIGEME ?
Simon MUTANGANA : je fais une estimation, mais plus d’une centaine.
Président : les locaux étaient adaptés, c’était possible pour vous de rester là ou vous deviez
absolument partir ?
Simon MUTANGANA : il y avait une très grande salle des élèves, nous ne la remplissions même pas.
Président : il y avait des attaques à KIGEME quand vous arrivez ?
Simon MUTANGANA : non, il n’y en avait pas jusqu’à notre départ.
Président : donc si vous allez à KIGEME c’est qu’il y a eu des troubles autour de vous, quels troubles ?
Simon MUTANGANA : le génocide avait commencé, on tuait les Tutsi. Ça avait commencé le 7, on
avait tué 8 personnes. Le lendemain, ils ont tué un voisin Frédéric. Ils ont incendié sa maison et pillé
ses biens dont les vaches qu’ils ont emportées. Le 9, date à laquelle nous nous sommes rendus à
KIGEME, les Interahamwe sont venus du centre de GASENGERA et MUDASOMWA, ils ont attaqué les
Tutsi et les ont tués. Les rescapés se sont rendus à GIKONGORO, d’autres à KIGEME. Les collines
étaient jonchées de cadavres.
Président : vous êtes parti avec votre épouse et vos enfants à KIGEME ?
Simon MUTANGANA : non, à l’arrivée des attaques, tout le monde a couru. Ils ont pris une direction à
part, ils sont partis vers GIKONGORO et moi KIGEME, après avoir passé 2 jours dans la forêt.
Président : donc la famille est éparpillée.
Simon MUTANGANA : oui, mes frères, mes sœurs, ma femme et mes enfants sont allés à
GIKONGORO.
Président : vous savez où ils sont allés à GIKONGORO ?
Simon MUTANGANA : non, je les croyais morts.
Président : combien de temps restez-vous à KIGEME ?
Simon MUTANGANA : je suis arrivé et le même jour, le préfet Laurent BUCYIBARUTA, le bourgmestre
SEMAKWAVU et le capitaine SEBUHURA sont venus. Dès notre arrivée, ils ont dit qu’ils allaient assurer
notre sécurité tous ensemble. Ils ont dit qu’ils allaient amener les gendarmes qui devaient nous
conduire mais ce jour-là il ne sont pas venus. C’est le lendemain que les gendarmes sont venus nous
conduire à MURAMBI.
Président : c’est difficile, mais vous avez une idée du jour ?
Simon MUTANGANA : quand nous sommes partis de KIGEME ?
Président : vous avez dit que le bourgmestre SEMAKWAVU et le capitaine SEBUHURA sont venus,
c’était quand ?
Simon MUTANGANA : ce dont je me rappelle, c’est que les attaques se sont produites le 9, j’ai passé
2 jours dans la brousse et après ces 2 jours je suis arrivé au diocèse.
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Président : le 9 avril il y a une attaque, vous vous réfugiez dans la brousse 2 jours et ensuite vous
arrivez à KIGEME ?
Simon MUTANGANA : oui
Président : donc vous arrivez sans doute le 11 avril ?
Simon MUTANGANA : je crois que c’est ça.
Président : le 11 avril, dans votre souvenir, vous avez vu le préfet en plus du bourgmestre et du
capitaine SEBUHURA ?
Simon MUTANGANA : oui, le préfet Laurent BUCYIBARUTA a même tenu un discours avant son
arrivée. Il a dit aux évêques présents qu’ils allaient nous prendre.
Président : on va en discuter mais on sait que le 11 le préfet n’était pas à GIKONGORO mais à KIGALI.
Simon MUTANGANA : sauf si je me suis trompé et ça se serait déroulé le 12. Je l’ai personnellement
vu.
Président : on va faire un point sur la chronologie car nous avons certains points de repères. En tout
cas vous avez vu le préfet faire un point avec les évêques anglicans ?
Simon MUTANGANA: oui, les évêques sont encore là, vous pouvez leur poser la question
Président : on le fera, nous entendrons l’évêque Norman KAYUMBA. Ce qui m’intéresse est de savoir si
vous êtes passé par GIKONGORO ou directement à MURAMBI ?
Président : à ce moment-là, vous retrouvez des membres de votre famille ?
Simon MUTANGANA : j’ai vu certains, d’autres avaient déjà été tués. J’ai vu mon épouse et mes
enfants.
Président : vous allez à MURAMBI à pied, dans des véhicules, comment ça se passe ?
Simon MUTANGANA : ceux qui avaient encore de la force sont partis à pied ; mais ceux qui étaient
affaiblis, nous les avons transportés à bord d’un véhicule du diocèse de KIGEME.
Président : vous avez passé une nuit à l’évêché ou juste une étape ?
Simon MUTANGANA : je n’y ai pas passé la nuit, juste une étape
Président : il y avait des barrières sur la route ?
Simon MUTANGANA : elles n’étaient pas encore érigées mais on les a installées directement après
notre passage. Ceux qui sont arrivés après nous ont dit qu’ils avaient dû passer par des barrières.
Président : en arrivant à MURAMBI, il y avait de l’eau courante ?
Simon MUTANGANA : de l’eau coulait encore
Président : il y avait de la nourriture ?
Simon MUTANGANA : non
Président : vous avez demandé de l’aide à ce moment-là ?
Simon MUTANGANA : certains qui étaient avec nous ont adressé une lettre au préfet qui est arrivé.
Beaucoup étaient déjà morts de faim. On leur a dit que nous étions affamés, que certains étaient morts
de faim, il devait nous aider. Il est parti et après il a envoyé un Blanc qui travaillait à la Caritas. Ils ont
livré 3 tonnes de riz, ce qui était très peu
Président : c’était un homme ou une femme ?
Simon MUTANGANA : une Blanche. (NDR. Il s’agit de Madeleine RAFFIN, responsable de la Caritas de
GIKONGORO)
Président : il sait si elle s’appelait Madeleine ?
Simon MUTANGANA : j’entendais les gens l’appeler comme ça
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Président : vous avez entendu ce qu’a dit le préfet lors de sa visite ?
Simon MUTANGANA : quand il est arrivé, il a demandé qu’on recense les gens pour évaluer ce qu’il
fallait leur rapporter.
Président : quand vous arrivez à MURAMBI, il y a déjà des gendarmes ?
Simon MUTANGANA : hormis ceux qui nous avaient escorté, je n’ai pas trouvé d’autres. Par contre,
par après on les a envoyés pour qu’ils nous gardent.
Président : combien y en avait-il ?
Simon MUTANGANA : un petit nombre, je n’ai pas compté mais entre 8 et 10.
Président : vous vous souvenez quand vient le préfet ?
Simon MUTANGANA : environ 3 ou 4 jours après.
Président : après votre arrivée ?
Simon MUTANGANA : oui
Président : lorsque le préfet est venu, il y avait encore de l’eau ?
Simon MUTANGANA : non, il n’y avait plus d’eau.
Président : le problème a été évoqué ?
Simon MUTANGANA : oui
Président : qu’est-ce qu’il dit ?
Simon MUTANGANA : il a dit qu’il allait voir comment réparer ceci mais il n’a rien fait.
Président : ensuite, est-ce que pendant ces quelques jours, il y a des attaques ? À partir du moment
où vous arrivez à MURAMBI, le camp est sécurisé ou il y a des problèmes ?
Simon MUTANGANA : à ce moment-là, deux attaques ont été menées, mais je ne me rappelle pas les
dates. La première attaque est arrivée, nous nous sommes battus, ils ont reculé en face sur la colline.
Nous leur avons dit: « Venez qu’on en vienne aux mains ». Finalement ils sont repartis. Le lendemain ils
sont revenus et ça s’est passé comme la veille. Finalement, dans la nuit du 20 au 21, est arrivée une
attaque exterminatrice qui a tué les Tutsi qui s‘étaient réfugiés à MURAMBI
Président : vous avez parlé d’un recensement. Est-ce que vous avez entendu le préfet dire qu’il fallait
faire un recensement ?
Simon MUTANGANA : je l’ai entendu
Président : pourquoi fallait-il faire un recensement ?
Simon MUTANGANA : il disait que c’était pour nous apporter de la nourriture suffisante, mais ça
s’entend que ce n’était pas la raison. C’est la version du préfet, mais je pense que c’était une ruse pour
pouvoir savoir le nombre de gens qui s’y trouvaient.
Président : est-ce que les gendarmes envoyés à MURAMBI étaient là pour assurer la sécurité du camp
?
Simon MUTANGANA : c’est ce qu’ils disaient mais la réalité c’est qu’ils n’assuraient pas la sécurité
Président : Est-ce que le nombre de gendarmes à MURAMBI pour assurer la sécurité a changé, vous
avez dit 8 ou 9 je crois ?
Simon MUTANGANA: peut-être que le nombre serait même inférieur à celui-là. La réalité c’est qu’on
les a changés pour les remplacer par d’autres. MURAMBI est grand, il m’est impossible de les connaître
tous.
Président : est-ce que vous avez pu sortir du camp de MURAMBI ?

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Simon MUTANGANA : quand ils sont arrivés, ceux qui avaient de l’argent pouvaient sortir et aller
dans une boutique derrière pour acheter de la nourriture à un commerçant et rentrer avec.
Président : est-ce que cela a pu continuer ou ça s’est arrêté ?
Simon MUTANGANA : qui avait de l’argent pouvait aller faire des achats, mais très peu en avaient.
Président : vous avez dit que des barrières s’étaient installées rapidement. Savez-vous si les gens qui
étaient arrivés pouvaient passer les barrières ?
Simon MUTANGANA: une barrière a été érigée à KABEZA.
Président : à votre avis, les gens qui étaient à MURAMBI pouvaient quitter le site ?
Simon MUTANGANA: ils pouvaient aller à la boutique sans problème, mais ils évitaient d’aller loin
parce que sinon les Interahamwe qui étaient un peu partout les auraient tués.
Président : vous vous souvenez s’il y a eu des visites avant l’attaque? Le préfet est-il revenu ? Le
bourgmestre est revenu ? Le capitaine SEBUHURA est venu ?
Simon MUTANGANA: lorsqu’on l’avait fait venir et que nous lui disions que nous avions besoin de
manger, le bourgmestre SEMAKWAVU était là, lui aussi. Ils ne sont pas revenus.
Président : est-ce que vous vous souvenez s’il y a eu une fouille qui a été faite pour savoir s’il n’y avait
pas des armes ?
Simon MUTANGANA : nous étions nombreux. Moi, de là où je me trouvais, je n’ai pas vu cela.
Président : pouvez-vous nous expliquer où vous étiez dans le camp de MURAMBI ?
Simon MUTANGANA : j’étais à l’arrière dans une salle de classe du coté de là où est érigé le site du
mémorial. Il y avait une salle de classe en construction à l’époque à l’endroit où est le mémorial. C’est
là que mes proches et moi nous nous trouvions. Nous passions des nuits blanches en redoutant une
attaque. Comme nous voyions qu’il n’y avait pas d’attaque, quand le sommeil nous prenait nous
pouvions rentrer à l’intérieur et dormir un peu. Donc, de là où j’étais je n’ai pas vu de gens nous
fouiller.
Président : est-ce qu’il est exact de dire que vous êtes dans le bâtiment le plus éloigné des grands
bâtiments administratifs de l’entrée principale ?
Simon MUTANGANA : ce n’est pas éloigné, c’est juste en face, mais la nuit, nous, les hommes, nous
restions autour du site pour que l’on ne nous attaque pas.
Président : c’est devant le bâtiment administratif ?
Simon MUTANGANA : je ne vois pas le bâtiment administratif dont vous nous parlez parce que les
travaux n’avaient pas commencé. Les salles de classe que nous occupions étaient encore en
construction, personne ne les occupait.
Président : s’agissant de l’attaque, j’ai compris qu’il y avait eu des attaques avec des armes. Certains
avaient des fusils et des grenades. J’ai bien compris ?
Simon MUTANGANA: oui, ainsi que des machettes, des gourdins avec des clous. Certains étaient
armés également de lances.
Président : est-ce qu’il y avait aussi des militaires ou est-ce que les Interahamwe et les militaires c’est
la même chose ?
Simon MUTANGANA : non, ce n’est pas la même chose, les Interahamwe ce sont des civils à qui on a
appris le maniement des armes. C’étaient des membres du parti MRND [13] ou de la CDR [14]. Ce sont
eux à qui on avait appris le maniement des armes. Mais des gendarmes on fait aussi partie de ces
attaques.
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Président : beaucoup ?
Simon MUTANGANA : difficile à dire. Ils étaient tellement nombreux, impossible de dire le nombre.
Toujours est-il que les Interahamwe étaient les plus nombreux
Président : est-ce que certains attaquants avaient des tenues particulières ?
Simon MUTANGANA : à un certain moment ils ont porté des feuilles de bananiers afin de se
camoufler.
Président : des herbes aussi ?
Simon MUTANGANA : ce sont ces feuilles de bananier qui les caractérisaient, c’était pour que, s’ils
devaient se retrouver avec quelqu’un qui ne les portait pas, en déduire que c’était un Tutsi et donc le
tuer.
Président : est-ce qu’ils criaient, chantaient, il y avait des sifflets ? Que pouvez-vous nous dire ?
Simon MUTANGANA : ils sont venus silencieux pour que nous ne puissions pas le savoir. Par contre,
ce que nous avons entendu, c’est le bruit des engins explosifs.
Président : est-ce qu’à un moment vous voyez des autorités sur place ?
Simon MUTANGANA: le colonel SIMBA [15], le sous-préfet HAVUGA, le bourgmestre SEMAKWAVU de
NYAMAGABE, le bourgmestre de MUDASOMWA, le directeur de l’usine de thé, David KARANGWA
(greffier du Tribunal).
Président : il y avait un dénommé Alphonse GASANA ?
Simon MUTANGANA: GASANA était là. On le surnommait « BIHEHE » (la hyène). Il s’était qualifié luimême de major et portait des habits militaires alors que c’était un civil.
Président : toutes ces autorités étaient là dès le début de l’attaque, au milieu, sont-elles restées
jusqu’à la fin ?
Simon MUTANGANA : quand je les ai vus, il faisait déjà jour. La nuit je ne pouvais pas les voir.
Président : vous les voyez de jour mais vous ne savez pas si ces autorités-là étaient là avant ou pas ?
Simon MUTANGANA : on voyait les véhicules avec des Interahamwe venir et partir mais avant je ne
les ai pas vus.
Président : comment pouvez-vous affirmer que c’était ces autorités ? Vous les avez vus, on vous l’ a
dit, vous avez deviné?
Simon MUTANGANA: c’est ce que j’ai personnellement vu. Lorsque nous étions en train de les
affronter, nous courrions vers eux en leur lançant des pierres. Quand les Interahamwe lançaient des
grenades, nous retournions en arrière. J’ai vu certains à entre 50 et 100 mètres et d’autres entre 30 et
50 mètres.
Président : qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que c’était bien le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Me BIJU-DUVAL et Me LÉVY : il ne l’a pas nommé.
Président : au temps pour moi. Il a vu le préfet alors ?
Simon MUTANGANA: le préfet est arrivé quand nous étions déjà affaiblis et c’est à ce moment-là qu’il
a demandé aux Interahamwe armés de fusils et grenades de partir à CYANIKA
Président : donc vous l’avez vu après ?
Simon MUTANGANA: je l’ai vu après que les gens soient tués en nombre.
Président : les autres autorités, vous les voyez avant ou en même temps ?

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Simon MUTANGANA : le bourgmestre de SEMAKWAVU et celui de MUDASOMWA sont venus
ensemble mais avant ils étaient aussi-là. C’est eux que je voyais à une distance d’une centaine de
mètres. C’est à ce moment-là que sont arrivés aussi SIMBA, KAMODOKA et HAVUGA, le bourgmestre.
Président : d’abord vous reconnaissez les bourgmestres de NYAMAGABE et MUDASOMWA et ensuite
SIMBA, le colonel ?
Simon MUTANGANA : oui, le colonel, il était avec eux
Président : vous voyez le sous-préfet HAVUGA ?
Simon MUTANGANA : oui
Président : et le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Simon MUTANGANA : oui
Président : le préfet était à la même distance que les autres ?
Simon MUTANGANA : je l’ai vu après celui-là.
Président : vous le voyez à quelle distance ?
Simon MUTANGANA : je dirais entre 30 et 50 mètres?
Président : comme les autres ?
Simon MUTANGANA : les autres entre 50 et 100 mètres environ.
Président : quelle était l’attitude du préfet ?
Simon MUTANGANA : ce que je vous dirais c’est que l’ai vu d’abord à KIGEME et ensuite à MURAMBI,
je n’ai pas d’autres informations.
Président : il me semble que tout à l’heure, il a été question d’aller à CYANIKA. Si j’ai bien compris,
c’était à l’instigation du préfet.
Simon MUTANGANA : oui, il est arrivé, il a vu les corps jonchant le sol et il a demandé
aux Interahamwe armés d’armes à feu de se rendre à CYANIKA.
Président : vous avez pu voir si le préfet était assez près de ce triste spectacle ? Quelle était sa réaction
?
Simon MUTANGANA : on voyait que ça le satisfaisait puisqu’on le voyait qui faisait un hochement
approbateur de la tête en disant:« C’est bon, venons maintenant à CYANIKA ».
Président : vous l’avez entendu ou vous avez deviné ?
Simon MUTANGANA : ce sont des choses que j’ai entendu de mes oreilles.
Président : selon vous, combien de personnes ont été tuées ce jour-là ?
Simon MUTANGANA : je ne sais pas mais ceux qui sont restés là ont été tués. On était environ 50 000
réfugiés, voire plus.
Président :vous souhaitez ajouter autre chose ?
Simon MUTANGANA : les gens qui ont joué un rôle dans le massacre de ces personnes, certains
circulent toujours impunément à gauche à droite, je voudrais demander qu’ils soient arrêtés et traduits
en justice, qu’ils soient sanctionnés pour cela. C’est que nous autres, les victimes, nous devrions
bénéficier de dommages et intérêts.

Juge assesseure 1 : une question sur la chronologie. Vous avez, dit monsieur. que vous étiez arrivé à
KIGEME le 9 avril, que le préfet est arrivé ce même jour.

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Simon MUTANGANA: pas le 9 puisque c’est à cette date que les gens ont commencé à être tués chez
nous, dans ma cellule, et j’ai passé 2 ou 3 jours dans la brousse.
Juge assesseure 1 : il me semble que vous avez dit ça et que les gendarmes sont arrivés le lendemain
?
Public : mais non!
Juge assesseure 1JA 1 : donc vous arrivez le 11 dans tous les cas ?
Public : le 12
Juge assesseure 1 : donc le 11 ou le 12 ?
Simon MUTANGANA : le 9 on était chez nous.
Juge assesseure 1: sur l’attaque principale, vous dites que l’attaque démarre la nuit et que vous
pouvez voir les autorités quand le jour se lève. À quelle heure se lève le jour à peu près ?
Simon MUTANGANA : entre 6h et 7h.
Juge assesseure 1 : vous avez dit que le préfet est arrivé après quand vous étiez un peu fatigués. Vous
pouvez situer quand c’était, dans la journée, si vous vous souvenez ?
Simon MUTANGANA : le matin
Juge assesseure 1 : mais vous avez dit quand vous étiez fatigués, qu’ il y avait déjà beaucoup de
morts.
Simon MUTANGANA : étaient déjà morts ceux qui les avaient combattus. Les femmes et les enfants
étaient encore vivants. Nous avions commencé à nous battre à 3h du matin et nous étions déjà
épuisés.

QUESTIONS des Parties Civiles :

Me KARONGOZI : j’aimerais demander au témoin comment se fait-il que dans toute la préfecture les
violences commencent dans cette localité de NYAMAGABE?
Simon MUTANGANA : c’est à cause du directeur KAMODOKA de l’usine de KITABI, en collaboration
avec d’autres membres de la CDR. Ce sont ceux-là qui ont entrainé les Interahamwe à cette usine-là à
thé et des fois dans la forêt de NYUNGWE.
Me KARONGOZI : si j’ai bien compris, vous dites que les Interahamwe qui attaquent viennent en
partie de cette localité de MUDASOMWA ?
Simon MUTANGANA : oui, en étant rejoints par d’autres venant de KIGEME et GIKONGORO.
Me KARONGOZI : vous êtes au courant que les Interahamwe de MUDASOMWA ont aussi attaqué à
KIBEHO ?
Simon MUTANGANA : ce sont ces Interahamwe de MUDASOMWA qui ont été entrainés et qui ont
attaqué MUDASOMWA et KARAMA aussi.

QUESTIONS du Ministère Public :

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Ministère Public : vous avez estimé qu’étaient présents environ 50 000 réfugiés. Vous avez aussi
évoqué un recensement effectué. Lors de vos nombreuses auditions au cours de la procédure, vous
aviez donné un nombre très précis grâce à ces recensements justement. Vous vous en souvenez
malgré le temps ?
Simon MUTANGANA : je ne m’en souviens pas mais du jour de notre arrivée au jour du massacre, les
réfugiés n’ont cessé d’affluer.
Ministère Public : je vais vous rappeler les chiffres que vous aviez donné – D10330 : 49500 devant le
le juge d’instruction et 48 600 devant le TPIR. Ça vous semble cohérent ?
Simon MUTANGANA : je me rappelle pas des chiffres mais d’autres ont continué à affluer. Si on
compte ces derniers, on serait à 50 000 ou plus.
Ministère Public : vous aviez du mal à répondre à Mme l’assesseur sur l’heure d’arrivée du préfet à
MURAMBI. Vous avez dit devant le TPIR qu’il est arrivé vers 6h du matin ; devant le juge d’instruction,
7h du matin, et lors de la confrontation, entre 7 et 8h. Donc on peut dire qu’il arrive entre 6h et 8h du
matin ?
Simon MUTANGANA: je ne portais pas de montre pour être précis. Ensuite? la situation était difficile
et critique.
Ministère Public : je comprends mais vous êtes quand même cohérent sur les horaires. Vous vous
souvenez être allé sur le site de MURAMBI avec la juge d’instruction pour faire une sorte de mise en
situation. Vous vous êtes placé là où vous étiez le matin, où vous avez vu le préfet Laurent
BUCYIBARUTA.
Simon MUTANGANA : je m’en souviens, je pourrais m’y replacer aujourd’hui.
Ministère Public : les gendarmes ont mesuré la distance entre là où vous vous étiez placé et là où
vous aviez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA: elle était de 47,40 m – D10384/93. Ça vous semble
cohérent ?
Simon MUTANGANA : oui, puisque j’ai dit entre 30 et 50 mètres.
Ministère Public: avez-vous été témoin de l’ensevelissement des corps ?
Simon MUTANGANA : je suis sorti des cadavres de MURAMBI et je suis descendu. Je suis resté 2 jours
: le premier, ils ont tué toute la journée sous mon regard ; le lendemain, les Interahamwe sont venus
tuer ceux qui sont restés sur place. Ensuite, le bulldozer est venu pour l’enfouissement. Quand ils ont
amené un bulldozer, ils ont creusé puis les camions-bennes déversaient des cadavres, je les voyais.

QUESTIONS de la Défense :
Me BIJU-DUVAL : je voudrais revenir sur le moment où vous dites avoir vu le préfet Laurent
BUCYIBARUTA un matin entre 6 et 8h. Vous avez participé à une mise en situation et vous indiquez
vous placer devant le bâtiment principal, devant ce qui est aujourd’hui une stèle, un mémorial. Vous
confirmez ce positionnement ?
Simon MUTANGANA : ce que je confirme, c’est que c’était entre 6h et 8h du matin. C’était la
catastrophe.
Me BIJU-DUVAL – D10384/8 : et vous étiez dans ce qu’on peut appeler la cour du centre de
MURAMBI, on est d’accord ?
Simon MUTANGANA : c’est exact
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Me BIJU-DUVAL : j’ai cru comprendre que vous étiez au milieu des cadavres, c’est ça ?
Simon MUTANGANA : j’étais couché, autour de moi il y avait des cadavres.
Me BIJU-DUVAL : d’accord. Selon votre témoignage, c’est dans cette position-là que vous auriez vu le
préfet Laurent BUCYIBARUTA à 30 ou 50m, c’est ça ?
Simon MUTANGANA: oui
Me BIJU-DUVAL : je voudrais rappeler à votre intention des déclarations que vous avez faites au
Parquet de GIKONGORO le 17/08/2001– D132.
D’abord, êtes-vous d’accord pour dire que les plants de sorgho sont une excellente cachette à cette
époque car les plans sont très hauts ?
Simon MUTANGANA: c’est la question ?
Me BIJU-DUVAL : oui. On est d’accord pour dire que pendant le génocide, c’était l’une des rares
cachettes possibles.
Simon MUTANGANA : oui. À ce moment-là, ils ont couru derrière nous, ils m’ont lancé une pierre et
ensuite je suis allé dans le champ de sorgho.
Me BIJU-DUVAL : dans votre audition vous dites que c’est depuis ce champ de sorgho que vous
voyez le préfet Laurent BUCYIBARUTA. On est d’accord pour dire que ce champ n’a rien à voir avec la
cour du camp de MURAMBI ?
Simon MUTANGANA : ce que je vous dis c’est que ce champ de sorgho était en contre-bas de la
cour, je suis sorti des cadavres pour m’y rendre.
Me BIJU-DUVAL : donc pourquoi avoir dit lors de la mise en situation que vous étiez dans la cour
lorsque que vous auriez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ? On est d’accord que ce sont deux
endroits totalement différents ?
Simon MUTANGANA : ce que je vous ai dit est que je l’ai vu sur le terrain et ensuite j’ai quitté cet
endroit pour aller dans le champ de sorgho tout près de là.
Me BIJU-DUVAL : je comprends que vous tentez de rendre compatibles DEUX auditions opposées
mais je vais passer. Je comprends que vous dites avoir entendu de vos propres oreilles les propos
tenus par le préfet Laurent BUCYIBARUTA demandant aux Interahamwe de se rendre à CYANIKA, c’est
ce que vous avez dit aujourd’hui. Est-ce que vous vous souvenez que le 30/09/2014, lorsque vous êtes
entendu par le juge d’instruction vous indiquez autre chose – D10620/6.
Voilà donc deux affirmations totalement différentes. Quelle est la vérité ?
Simon MUTANGANA : le préfet? je l’ai entendu de mes propres oreilles quand il est venu
Me BIJU-DUVAL : alors pourquoi vous avez dit le contraire au juge d’instruction ?
Simon MUTANGANA : je me souviens pas mais je confirme ce que je vous ai dit aujourd’hui.
Me BIJU-DUVAL : une précision sur un autre point. Vous nous avez parlé du colonel Aloys
SIMBA [16] qui aurait été sur les lieux. Vous pouvez préciser s’il arrive avant ou après le préfet ?
Simon MUTANGANA : il est arrivé après que les autres soient épuisés
Me BIJU-DUVAL : D 588/30 – lors de cette audition, vous indiquez que M. Aloys SIMBA serait arrivé
1h plus tard que le préfet. Est-ce que véritablement vous avez un souvenir précis et sincère de ces
évènements-là et de l’arrivée de ces personnes-là ?
Simon MUTANGANA : ce que je me dis, c’est que c’est SIMBA qui est arrivé le premier.

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Me BIJU-DUVAL : alors pourquoi avoir dit le contraire à l’enquêteur du TPIR ?
Simon MUTANGANA : ce que je dis aujourd’hui est exact.
Me BIJU-DUVAL : est-il exact que depuis 1994, vous avez eu l’occasion de vous exprimer à plusieurs
reprises sur les faits de MURAMBI ?
Simon MUTANGANA : les journalistes venaient me voir très souvent
Me BIJU-DUVAL : les journalistes sont très souvent orientés vers vous pour que vous racontiez ce qui
s’est passé à MURAMBI ?
Simon MUTANGANA : les journalistes rwandais et étrangers sont venus me voir à différents
moments.
Me BIJU-DUVAL : voilà, est-il exact que vous vous exprimez dans le journal La nouvelle relève au mois
d’avril 2011 ?
Simon MUTANGANA : je ne peux pas me rappeler exactement des dates et des journaux, ils sont
venus à plusieurs reprises.
Me BIJU-DUVAL : vous vous souvenez de cette rencontre du 7 avril 2007 ? Est-il exact que vous êtes
intervenu aux côtés du Président Paul KAGAME en avril 2007 ?
Simon MUTANGANA : je me souviens pas de la date mais j’ai eu à prendre la parole alors que lui
aussi était là.
Président : je donnerai la parole à M. Laurent BUCYIBARUTA éventuellement la semaine prochaine.

Audition de madame Julienne UMUGWANEZA, rescapée.
Nous avons assisté à une très longue déposition du témoin. Fatigue aidant, il ne m’a pas été
possible de noter tous les propos. Ce compte-rendu pourrait être complété si d’autres personnes
ont pu prendre des notes. Veuillez m’en excuser d’avance.
« Je vais vous faire part de ce qui m’est arrivé pendant le génocide. Après l’attentat du 6 avril, dès le 7 un
communiqué nous demandait de rester chez nous. Je suis restée à la maison avec mes parents. Nous
avons tous eu très peur toute la journée. Nous n’avons rien pu manger ni faire quoi que ce soit. J’avais 16
ans. Mes parents nous ont demandé d’avoir voir au Centre ce qui se passait en faisant semblant d’aller
puiser de l’eau. Nous avons trouvé là un attroupement: commerçants, voyous Interahamwe. Ces gens
avaient des armes, des lances, des haches. Ils nous ont apostrophés: « Vous n’avez pas honte de venir
jusqu’ici? »
Nous avons rebroussé chemin pour raconter tout cela à nos parents. Un oncle paternel, commerçant, a
suggéré que nous ne restions pas à la maison. Dans la nuit, nous avons entendu des coups de feu en
provenance de la maison de Jean NTWALI. Sa maison était en feu et il venait d’être tué.
Les voyous ont incendié la maison d’un certain Callixte GASANA et sont venus jusques chez nous. Nous
nous sommes cachés dans les champs de sorgho puis sommes partis jusqu’au bureau communal de
MUNYASOMWA. Le bourgmestre n’a rien fait et nous a demandé de rester sur place. A 20 heures, les
Interahamwe sont arrivés pour nous tuer. Les policiers communaux se sont placés entre eux et nous.
Lorsque le bourgmestre est revenu, GASANA et MUSERAMANZI lui ont demandé de nous aider à
rejoindre l’évêché de GIKONGORO. Nous sommes partis sous protection policière. On nous a installés
dans les classes occupées par CARITAS (NDR. Section locale du Secours Catholique dont Madeleine
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RAFFIN était responsable.) Nous avons passé là un certain nombre de jours, rejoints par beaucoup
d’autres.
C’est alors que des gendarmes sont venus nous dire de nous rendre à MURAMBI. Forcés de partir, nous
avons cheminé en convoi. A notre arrivée sur le site, il y avait de l’eau qui sera coupée par la suite. Il nous
était interdit de nous rendre aux boutiques.
Des enfants ont commencé à mourir. Nous avions soif, la situation allait de mal en pis. Les gendarmes
ont été remplacés par des militaires qui nous regardaient d’un œil méchant. Nous avons passé la nuit
debout et avons vu des camions arriver de MUDASOMWA.
Au lever du jour, les jeunes réfugiés ont lancé des briques sur les attaquants. Les soldats tiraient des
balles et lançaient des grenades. Cachée dans une des classes, je m’interrogeais: « Est-ce que je vais
rester ici voir mes parents se faire découper? » Je me rends dans une classe voisine pour y prendre la clé
et fermer notre classe. J’ai conservé la clé pendant que les tueurs, à l’extérieur, continuaient leur travail.
(NDR. Le témoin, apparemment, se trouve dans la même salle que Juliette MUKAKABANDA qui a
témoigné avant elle.)
Les Interhamwe se plaignent que les gens soient encore en vie. Un blessé demande qu’on ouvre la porte
pour mourir plus vite. Je reconnais un homme qui est armé d’un gourdin. Un autre a pris l’agent d’une
femme qu’il tue avec son enfant. Madame UMUGWANEZA implore: « Aie pitié de moi! »
Le reste de son récit sera la narration d’un véritable chemin de croix.

Mémorial de Murambi, ancienne ETO (École Technique Officielle) où près de 50 000 Tutsi ont été
assassinés lors de l’attaque du 21 avril 1994 (doc. genocidearchiverwanda.org.rw)

Président : est-ce que oui ou non VOUS avez vu Laurent BUCYIBARUTA à un moment quelconque ?

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Julienne UMUGWANEZA : oui une autre fois je l’ai vu. Voyez-vous, on voyait le véhicule et les gens
disaient « Ce véhicule est au préfet ».
Président : c’était où ?
Julienne UMUGWANEZA: à MURAMBI. Il y avait deux véhicules. Il y avait le capitaine responsable de
la gendarmerie. Ces véhicules sont repartis car on dit que les grenades tuaient trop de gens. Une
voiture au préfet BUCYIBARUTA et l’autre à SEBUHURA.
Président : la première fois que vous évoquez Laurent BUCYIBARUTA, c’est quand vous êtes à l’école à
côté de la cathédrale ?
Julienne UMUGWANEZA : oui, on a été déplacés.
Président : vous dites qu’il y a un ordre pour qu’on les conduise au camp de MURAMBI ?
Julienne UMUGWANEZA : oui
Président : vous avez entendu les gens autour de vous dire que l’ordre venait du préfet ?
Julienne UMUGWANEZA : oui ; les gendarmes ont dit: « Le préfet a dit de vous emmener à
MURAMBI. »
Président : mais vous ne l’avez pas vu?
Julienne UMUGWANEZA : à part l’entendre dire, il y avait trop de gens
Président : on vous a dit si le préfet était là ?
Julienne UMUGWANEZA : ils ont dit qu’il avait donné l’ordre de nous amener mais personne ne s’en
est occupé. Nous avions peur et étions perdus.
Président : vous partez à MURAMBI sur ordre du préfet mais vous ne l’avez pas vu ?
Julienne UMUGWANEZA : il y avait beaucoup de véhicules là où nous étions.
Président : vous évoquez un deuxième épisode où vous êtes à MURAMBI. Cette fois-ci il y a beaucoup
de monde avec deux véhicules : celui du préfet et du capitaine SEBUHURA. Vous avez vu Laurent
BUCYIBARUTA ?
Julienne UMUGWANEZA : les adultes présents disaient que c’était le véhicule du préfet, moi je ne
pouvais pas m’approcher pour regarder.
Président : donc pas de certitude sur sa présence ?
Julienne UMUGWANEZA : on disait que c’était son véhicule, je ne pouvais pas m’approcher.
Président : je cherche juste à comprendre, je ne vous fais pas de reproches.
Julienne UMUGWANEZA : si on vous dit que tel véhicule est celui du préfet, on suppose que c’est lui
dedans ; c’est comme celui du Pape.
Président : mais vous ne l’avez pas vu ou entendu directement ?
Julienne UMUGWANEZA : j’ai vu le véhicule mais je ne l’ai pas vu
Président : vous avez pu approcher ou voir Laurent BUCYIBARUTA à d’autres occasions ?
Julienne UMUGWANEZA : je ne l’ai jamais approché, je n’étais qu’une jeune étudiante. Mais pendant
les examens, on pouvait nous poser des questions sur le procès, il figurait aussi dans les journaux.
Président : on vous a entendue à plusieurs reprises, notamment lors de l’audition par les gendarmes
français. À cette occasion, vous avez notamment dit que vous aviez souvenir d’une réunion à laquelle
le Président SINDIKUBWABO [17] avait participé.
Julienne UMUGWANEZA : oui, mais c’était avant MURAMBI.
Président : combien de temps avant?
Julienne UMUGWANEZA : je me souviens pas des dates
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Président : mais vous avez vu vu ou entendu dire ?
Julienne UMUGWANEZA : nous étions des enfants, nous avons suivi pour écouter aux portes des
gens qui venaient aux réunions. Un garçon qui était avec nous nous a rapporté qu’on avait dit à la
réunion qu’il fallait rassembler les gens avant de les tuer : « Rassembler les branchages avant de mettre
le feu ».
Président : mais vous n’étiez pas là.
Juge assesseure 1 : lors de votre audition par les gendarmes français, vous avez dit qu’avant votre
arrivée au camp de MURAMBI, l’eau avait été fermée et on vous avait empêché de faire des courses.
J’ai compris que vous sortiez du camp pour aller chercher de l’eau par une brèche et qu’à un moment,
les militaires ont encerclé la brèche pour que vous ne passiez plus, c’est ça ?
Julienne UMUGWANEZA : oui
Juge assesseure 1: vous avez dit avoir entendu le préfet venir au camp, accompagné de militaires et
de gendarmes avec le capitaine SEBUHURA. Vous avez dit que lors de cette visite « il, je pense que
c’est le préfet, a obligé les personnes qui se trouvaient à bord du véhicule de casser les robinets d’eau
pour que les réfugiés meurent de soif ». Vous avez vu cette scène ou on vous l’a racontée ?
Julienne UMUGWANEZA : il y avait beaucoup d’autorités qui venaient. Quand on est un enfant, on va
voir ce qui se passe et on écoute ce que disent les autorités. Il y a même eu un recensement. Je ne me
souviens pas très bien mais je sais que beaucoup d’autorités venaient.
Juge assesseure 1:: Madame, vous venez de dire à l’instant que vous n’avez vu que de loin un véhicule
du préfet.
Julienne UMUGWANEZA : oui
Juge assesseure 1: : vous comprenez que c’est une contradiction de dire après que vous l’avez
entendu dire qu’il fallait couper l’eau.
Julienne UMUGWANEZA : voyez-vous, quand il est venu, il y avait l’eau courante, quand il est parti il
n’avait plus l’eau courante. On a dit que c’était sa faute.
Juge assesseure 1: : je vous demande, car j’avais compris, moi, qu’il n’y avait déjà plus l’eau courante
quand vous êtes arrivée.
Julienne UMUGWANEZA : vous comprenez, quand on est arrivé il y avait l’eau courante, les autorités
ont demandé combien nous étions. Ensuite il n’y avait plus l’eau courante, les adultes ont dit que
c’était le préfet qui avait donné l’ordre de couper l’eau.
Juge assesseure 2: : avez-vous été témoin des opérations d’ensevelissement des corps ?
Juge assesseure 1: : ça fait très longtemps, il faut aller doucement pour se rappeler. Je me rappelle
que quand on les a tués, je me cachais dans les champs de sorgho. Ensuite, deux engins sont arrivés et
quand je suis partie, ils creusaient encore. Je n’ai pas passé la nuit sur place. Les engins sont venus
juste après le massacre. Je n’ai pas vu l’ensevelissement.
Pas de question de la Défense.

Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT et Jade FRISCHIT

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References
↑1

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑2

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

↑3

FPR : Front patriotique Rwandais

↑4

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑5

ETO : Ecole Technique Officielle.

↑6

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑7

PSD : Parti Social Démocrate

↑8

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑9

Ibid.

↑10

ADEPR : Association des Églises de Pentecôte au Rwanda

↑11

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑12

Ibid.

↑13

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑14

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑15

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑16

Ibid.

↑17

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA. Lundi 23
mai 2022. J11
24/05/2022

• Audition de madame Jeanne MUKAMUNANA, rescapée, en visioconférence depuis le Rwanda.
• Audition de madame Suzanne NYIRASUKU, rescapée, en visioconférence de puis le Rwanda.
• Audition de madame Bélie MUKANDAMAGE, rescapée, en visioconférence depuis le Rwanda.
• Audition de madame Marie MUJAWIMANA, rescapée, en visioconférence depuis le Rwanda.
Audition de madame Jeanne MUKAMUNANA, rescapée, en visioconférence depuis le Rwanda.
« Je suis née à MUKO. En 1992, j’ai épousé Charles GASARASI, de NYAMAGABE. Je connaissais Laurent
BUCYIBARUTA comme une autorité.
Un matin, alors que mon mari s’apprêtait à partir au travail à l’école de KIGEME, nous avons appris
l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA. Nous sommes restés à la maison. Le lendemain,
mon mari m’a envoyé acheter de la nourriture. En chemin, j’ai croisé une voiture qui transportait des
blessés vers l’hôpital de KIGEME.
De retour à la maison, j’ai dit à mon mari que la situation était critique et nous avons passé le début de
la nuit dehors. Vers minuit, nous sommes allés nous coucher. Vers 3 heures du matin, nous avons
entendu des bruits: c’est MUNDERERE qui venait de subir une attaque. Nous avons été attaqués à notre
tour une heure plus tard. Les attaquants ont lancé des pierres sur notre maison en disant qu’ils allaient
revenir quand il ferait jour.
Le lendemain, le 10, la colline en face de chez nous était en feu et nous avons renoncé à aller au culte.
Après avoir pris quelques habits, mon bébé de cinq mois au dos, j’ai suivi des gens qui fuyaient. Ma bellemère, une belle-sœur et un beau-frère m’accompagnaient. Mon mari devait venir me rejoindre après.
En cours de route, nous avons entendu dire que le bourgmestre SEMAKWAVU demandait aux gens de se
rendre à la paroisse catholique. On nous a installés dans des salles de classe. Mon mari est arrivé et il m’a
dit que la situation était grave, qu’un certain GISURI avait été tué ainsi qu’un autre membre de la famille.
Mon mari a demandé à SEMAKWAVU de veiller sur nos biens mais notre maison a été détruite et nos
biens pillés.
Vers 15 heures, ordre a été donné de nous rendre à MURAMBI où nous serions protégés. Arrivés à
KABEZA, nous avons rencontré une barrière sur laquelle se tenaient des gens qui nous ont menacés en
nous lançant des pierres. Des dirigeants sont intervenus en demandant aux attaquants de nous laisser
passer.
A MURAMBI, nous avons subi des attaques, avons souffert de la soif et de la faim. Ils avaient coupé l’eau.
Si nous descendions dans la vallée pour puiser, on nous attaquait. Un certain KANKWI, qui tenait une
boutique tout près, nous a dit qu’on pouvait venir puiser de l’eau chez lui et acheter des vivres. Une
livraison de riz a bien été faite mais en quantité insuffisante. Nous avons reçu un verre de riz pour 6.
Lorsque mon mari et d’autres hommes partaient dans la vallée pour aller chercher des patates douces, ils
subissaient des jets de pierres et revenaient sans rien.
Une jeune fille m’aidait à m’occuper de mon enfant mais sa famille hutu est venue la chercher. « Si vous
survivez, elle reviendra travailler chez vous, disent-ils, mais il y a peu de chance! »

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Mon mari désirait partir pour le BURUNDI mais je m’y suis refusée, prétextant que rien n’allait nous
arriver, que les Hutu ne pouvaient pas tuer une telle foule. « Mieux vaut rester sous la protection de
Dieu ». Et nous sommes restés sur place. »
« Mon bébé a pleuré plusieurs heures et vers trois heures du matin, nous avons entendu des bruits de
balles. Beaucoup de tueurs avant encerclé le site et ils avaient commencé à tuer les gens qui avaient
trouvé refuge au rez-de-chaussée du bâtiment où nous nous trouvions. C’en était fini pour nous. Nous
devions nous repentir.
En sortant, j’ai vu un véhicule militaire. Les occupants ont commencé à tirer. Mon beau-frère est venu me
dire que mon mari avait été tué. Je l’ai recouvert d’un drap. Mon beau-frère, qui était monté à l’étage, a
commencé à se battre mais il est mort à son tour, la tête fracassée par une balle.
Le petite soeur de ma belle-mère avait épousé un Hutu qui se trouvait parmi les attaquants. Il m’a
reconnu et m’a demandé de le suivre avec mon enfant. Il m’a pris par le bras et m’a fait passer par la
fenêtre. Arrivés au rez-de-chaussée, il m’a demandé de m’habiller de branches d’eucalyptus pour qu’on
me prenne pour une femme qui était venue piller. C’est alors que les attaquants m’ont arraché mon bébé
des bras et l’ont jeté par terre. Le garçon qui m’accompagnait a pris ma défense.
Nous avons continué à marcher jusqu’au domicile d’un pasteur du nom de SAMSON. C’est là que j’ai
rencontré un jeune surnommé PETIT, fils d’un voisin BENJAMIN. Ce jeune m’a demandé où était ma
petite fille PEACE. Il est alors parti à sa recherche. J’ai continué ma route jusqu’à KABEZA où se
trouvaient d’autres attaquants, toujours défendue par mon compagnon de route. »
PETIT lui ramènera sa fille et le témoin décide de retourner dans sa famille. Sa mère, qui s’était réfugiée
à KADUHA, était elle aussi revenue chez elle. Elle était grièvement blessée à la tête et était
méconnaissable. Des membres de la famille de son père venaient soigner sa maman pendant la nuit.
Le témoin veut alors retourner dans la famille de son mari afin qu’elle ne soit pas tuée avec sa mère.
Elle restera enfermée un mois dans une pièce.
Madame MUKAMUNANA apprend alors que les tueurs sont en train de fuir vers le Zaïre et que les
Inkotanyi ont pris le pays. Elle décide alors de fuir à son tour avec ses belles-sœurs. Un véhicule les
transportera jusqu’au Congo où elle passera une année, rejointe par sa mère. Les gens apprennent
qu’elles sont Tutsi: de nouvelles menaces se précisent. Elles décident de rentrer au Rwanda.
Président : Merci madame pour votre déposition. Je vais vous poser quelques questions. Si je
comprends bien, vous êtes issue d’une famille mixte ? (Hutu/Tutsi).
Jeanne MUKAMUNANA: C’est exact.
Président : Si je commence par vos parents, votre père était Hutu et votre mère était Tutsi ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui.
Président : Dans ces situations-là, les enfants étaient considérés comme Hutu ou Tutsi?
Jeanne MUKAMUNANA : Ça dépendait. Quand j’avais environ l’âge de 15/16ans mon père est
décédé, et comme j’avais hérité du physique de ma mère, j’étais considérée comme Tutsi.
Président : Aviez-vous une carte d’identité?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui.
Président : Quel était l’ethnie mentionnée sur votre carte d’identité ? Hutu ou Tutsi ? [1]
Jeanne MUKAMUNANA : Hutu.

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Président : Donc, si je comprends bien, d’un point de vue administratif, vous étiez considérée comme
Hutu, mais comme vous avez l’apparence des Tutsi, vous étiez considérée comme telle ?
Jeanne MUKAMUNANA : Ça faisait plus d’une dizaine d’années que notre père était décédé, nous
avions passé le plus gros de notre temps avec notre mère. Comme nous avons une taille élancée, on
nous considérait comme des Tutsi.
Président : En ce qui concerne la famille de votre mari, ils étaient tous Tutsi, était-elle mixte ?
Jeanne MUKAMUNANA : Non.
Président : Donc ils étaient tous Tutsi ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui, mon beau-père et ma belle-mère étaient des Tutsi.
Président : Donc votre famille est née à MUKO ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui.
Président : Alors que la famille de votre mari habite à NYAMAGABE ?
Jeanne MUKAMUNANA : Ou, plus précisément à GASAKA.
Président : La famille de votre mari et votre famille étaient des chrétiens anglicans ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui, nous étions des anglicans.
Président : Votre mari était enseignant dans une école à KIGEME ? Était-elle anglicane ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui, c’était une école anglicane.
Président : Au moment du génocide, vous avez un ou plusieurs enfants ?
Jeanne MUKAMUNANA : J’avais cet enfant de 5/6 mois, mais j’étais aussi enceinte de 3 mois.
Président : Cet enfant était une fille qui s’appelait PEACE ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui.
Président : Est-elle toujours vivante ? A-t-elle survécu ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui? elle est toujours vivante.
Président : Combien de personnes sont mortes et ont survécu dans votre famille ?
Jeanne MUKAMUNANA : Dans ma famille d’origine, personne n’est mort. Ma mère qui s’était
réfugiée à KADUHA a survécu, les Hutu ont protégé ma famille. Les autres membres de ma famille
s’étaient cachés chez les familles voisines.
Quant à la famille de mon mari, leur père était aussi décédé il y a longtemps. Il y avait 4 garçons, et
mon mari était le 3ème des garçons. Il y avait aussi une fille et ma belle-mère. L’un est mort à KIGALI,
et tous les autres sont morts à MURAMBI: personne n’a survécu. Je suis la seule survivante dans cette
famille avec mes deux enfants.
Président : L’enfant que vous portiez est-il toujours vivant ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est une fille, elle est toujours vivante.
Président : Au début de l’attaque, vous étiez encore chez vous et vous êtes allée à KIGEME pour aller
chercher de la nourriture?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact.
Président : Quand vous êtes allée à KIGEME, c’est le moment où vous voyez des personnes blessées
que l’on emmène à l’hôpital de KIGEME ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact et c’est là où j’ai croisé un véhicule avec des blessés qu’on allait
faire soigner.

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Président : Et donc, c’était le lendemain de l’annonce de l’attentat de l’avion contre le président ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je ne me souviens plus si c’est le lendemain ou le troisième jour.
Président : Étiez-vous dans votre maison quand vous avez été attaquée ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact, c’était la nuit.
Président : Vous aviez expliqué que le dimanche vous alliez à l’église, mais que là vous n’y êtes pas
allée ? Vous avez cherché un refuge ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact, on avait vu des personnes qui fuyaient et qui avaient des
bagages sur eux.
Président : C’est à ce moment-là que vous partez et que vous allez rencontrer le bourgmestre ?
Jeanne MUKAMUNANA : On ne l’a pas rencontré, mon mari a appelé le bourgmestre pour l’ avertir
de l’attaque et qu’il fallait qu’il prenne soin de la maison.
Président : Vous ne l’avez pas rencontré, simplement un appel téléphonique entre votre mari et le
bourgmestre ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact.
Président : Est-ce qu’il a dit qu’il fallait aller à la paroisse de GIKONGORO ?
Jeanne MUKAMUNANA : Ce n’est pas à la paroisse mais à l’école de GIKONGORO.
Président : Où était-elle située par rapport à l’église ?
Jeanne MUKAMUNANA : Il y a plus ou moins une distance de 200 mètres.
Président : A un moment, quand vous étiez là-bas, on vous a dit d’aller à MURAMBI ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact, ils nous ont dit que c’était pour assurer notre sécurité.
Président : Une autorité s’est déplacée, qui vous a dit ça ?
Jeanne MUKAMUNANA : Mon mari était déjà là, les autorités ont dit ça.
Président : Est-ce que vous avez vu les autorités ou est-ce que vous avez su qu’elles avaient dit ça ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je n’ai pas vu ces autorités. Ceux à l’extérieur ont dit qu’il fallait aller à
MURAMBI.
Président : Comment êtes-vous allée à MURAMBI? A pieds, en voiture ?
Jeanne MUKAMUNANA : J’y suis allée à pied.
Président : Et donc les Tutsi qui se déplaçaient à pieds étaient menacés ?
Jeanne MUKAMUNANA : Exactement, nous étions arrivés vers KABEZA, en chemin on nous lançait
des pierres et on nous disait d’aller à MURAMBI, qu’on allait nous tuer là-bas.
Président : Quand vous vous déplacez pour aller à la paroisse de MURAMBI, des dirigeants sont-ils
intervenus ? Avez-vous vu des gens ?
Jeanne MUKAMUNANA : Comme j’étais nouvelle dans cette famille où j’étais mariée, je ne
connaissais pas les autorités.
Président : Des gens se sont-ils rassurés que les réfugiés arrivent à MURAMBI ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je ne m’en rappelle pas, il y avait une grande foule de personnes. Les
déplacements ont commencé vers 14/15h.
Président : Sur le site de MURAMBI, vous aviez dit que vous étiez à l’étage ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact, même maintenant je pourrais vous montrer du doigt là où
j’étais.
Président : C’était quel bâtiment ?
Jeanne MUKAMUNANA : Pendant le génocide, il y avait un hangar pas complètement construit.
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Président : Vous avez parlé de votre mère qui s’était réfugiée à KADUHA. Que vous a-t-elle raconté
sur la situation à KADUHA ?
Jeanne MUKAMUNANA : Ma mère avait des blessures sur la tête, elle m’a raconté ses blessures. Ses
doigts aussi ont été blessés. Là où était ma maman, il y avait une seconde famille dont la personne
était enseignante. On les a frappés avec des gourdins (elle était avec ses enfants). On a frappé la tête
de ma mère, quand elle a levé son bras on l’a frappé aussi, elle est tombée par terre. Ces attaquants ne
sont pas repartis, ils regardaient s’ils étaient encore en vie pour les achever et leur prendre leur argent.
Ces attaquants étaient ceux qui sont revenus le lendemain pour voir si elle était complètement morte.
Elle n’était pas complètement morte. Elle a vu un cadavre qui avait encore un vêtement, elle l’ a pris
pour faire un bandage à sa tête. Elle a quitté ce groupe, elle est montée doucement à l’extérieur. Elle
n’avait plus de force, elle est tombée et a dormi là. Une femme voisine qui a appelé
les Interahamwe [2] a dit qu’une femme Tutsi se cachait là. Les Interahamwe sont venu l’achever, elle
leur a dit: « Pourquoi vous venez m’achever alors que moi je vous ai fait du bien dans la vie en
enseignant à vos enfants ». Ils lui ont demandé qui était son mari et elle a répondu que c’était KAGIMA.
Quelqu’un a dit: « Ne tuez pas cette femme, elle fait du bien, c’est une gentille femme et si vous la tuez,
je vous tue ». Ils ont demandé de l’argent à ma mère. Elle est allée en chercher chez elle, ils lui ont pris
la main pour l’aider. Elle leur a donné l’argent qui était chez elle.
Président : Est-ce que vous vous souvenez si les violences qui ont eu lieu à KADUHA se sont déroulées
en même temps qu’à MURAMBI ?
Jeanne MUKAMUNANA : Ces attaques ont eu lieu le même jour.
Président : Pouvez-vous nous indiquer si à un moment quelconque vous avez vu ou entendu Laurent
BUCYIBARUTA ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je n’ai jamais entendu parler de lui.
Président : Avez-vous été en contact avec l’évêque de KIGEME durant de le génocide ?
Jeanne MUKAMUNANA : Non, cela n’a jamais eu lieu.
QUESTIONS :
Juge assesseur numéro 1 : Vous avez dit que vous ne connaissiez pas le préfet Laurent
BUCYIBARUTA, mais que vous le connaissiez de réputation. Est-ce que vous vous souvenez si avant
avril 1994 le préfet avait une réputation particulière ? Et si oui, qu’est-ce qu’on disait de lui ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je ne peux rien dire à ce propos car je ne m’intéresse pas à la politique. Je
n’ai rien entendu avant 1994.
Pas de question de la part des parties civiles.
Ministère public :
Ministère public : Lorsque les Tutsi et les réfugiés ont été conduits à MURAMBI, y a-t-il eu des
menaces aux barrières de KABEZA ? Saviez-vous que votre sécurité était menacée ? Quelles mesures
de protection ont-elles été mises en place ? Est-ce que l’école technique a été gardée par les
gendarmes ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je ne m’en souviens pas.
Ministère public : Donc vous n’avez vu personne pour assurer votre protection ? Est-ce que vous avez
eu l’impression d’être abandonnée par les autorités ?
Jeanne MUKAMUNANA : C’est exact.
Président : Aviez-vous un sentiment d’abandon par les autorités ?
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Jeanne MUKAMUNANA : Les autorités nous avaient abandonnés.
Défense :
Me BIJU-DUVAL: Je voudrais revenir sur ce moment du déplacement vers l’école technique de
MURAMBI. Vous quittez l’école primaire de GIKONGORO, et vous nous avez indiqué que les autorités
ont dit qu’il fallait aller à MURAMBI pour vous protéger. Vous nous avez parlé tout à leur d’un épisode
dont vous n’aviez pas parlé jusqu’à présent : à KABEZA, vous nous avez expliqué que les réfugiés allant
vers MURAMBI sont confrontés à des gens (probablement des Interahamwe), qui vous disaient qu’il
fallait vous laisser à MURAMBI pour vous faire tuer, et qu’ils vous lançaient des pierres.
Jeanne MUKAMUNANA : Ils ont dit qu’ils nous laissaient aller jusqu’à MURAMBI, et qu’on allait se
faire tuer là-bas.
Me BIJU-DUVAL: Vous avez d’abord dit qu’ils voulaient vous tuer ?
Jeanne MUKAMUNANA : Oui, ils voulaient nous tuer.
Me BIJU-DUVAL : Alors, qui vous a protégé durant ce trajet ?
Jeanne MUKAMUNANA : On ne peut pas le dire dans cette situation, en plein milieu de la foule en
train de fuir, impossible de regarder qui assure notre sécurité.
Me BIJU-DUVAL: Vous avez dit que certaines personnes avaient dit qu’il fallait aller à MURAMBI vous
faire tuer. Qui dit ça? Les gens sur le parcours qui vous lancent des pierres ou d’autres personnes ?
Jeanne MUKAMUNANA : Ce sont des personnes qui riaient de nous et qui nous ont menacés. Les
personnes qui nous menaçaient nous jetaient des pierres.
Me BIJU-DUVAL: Vous avez été entendue par les enquêteurs français, (à la côte D10361 page 3), et
sur ce moment du déplacement vous avez dit: « Vers 15h, SEMAKWAVU nous a demandé de le
rejoindre pour aller à l’école technique de MURAMBI, une réunion se serait tenue où il avait été décidé de
transférer les réfugiés à MURAMBI, car à cet endroit nous serions protégés par des agents de sécurité… ».
Lors de votre audition vous ne parlez pas du tout de ce passage ? Est-ce que l’on peut penser et
comprendre que le discours des autorités à ce moment-là est de vous protéger ?
Jeanne MUKAMUNANA : Moi, j’ai bien dit que j’étais dans la maison de l’intérieur, mon mari était à
l’extérieur et qu’il avait bien eu ce message.
Me Biju-Duval : Lecture d’un extrait (en annexe à la côte D77). Est-ce que ces notes de Madame
Madeleine Raffin, directrice de l’organisation CARITAS, correspondent ou non à vos souvenirs?
Jeanne MUKAMUNANA : Moi, ce que je vous ai dit c’est que je n’étais pas responsable de ces
réunions et je m’occupais de mon enfant à ce moment-là. Je ne peux rien dire sur ces réunions, j’avais
toutes les informations par l’intermédiaire de mon mari.
Me Biju-Duval : Lorsque vous arrivez à l’école technique de MURAMBI, y avait-t-il de l’eau disponible
à ce moment-là?
Jeanne MUKAMUNANA : Il y avait encore de l’eau mais qui a été coupée par après.
Me BIJU-DUVAL: Pouvez-vous nous rappeler, approximativement, les dates où vous fuyez vers le
Zaïre ? Pour quelles raisons fuyez-vous vers le Zaïre ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je fuyais car j’avais peur de la mort.
Me Biju-Duval : S’agit-il du moment où le FPR [3] a pris le contrôle le de GIKONGORO ?
Jeanne MUKAMUNANA : Je ne m’en souviens pas.

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Mémorial de Murambi (doc. genocidearchiverwanda.org.rw)

Audition de madame Suzanne NYIRASUKU, rescapée, en visioconférence de puis le Rwanda.
Le témoin est veuve de monsieur Faustin RUKWAVU et a perdu ses huit enfants.
« Un samedi, vers 14 heures, nous avons vu des gens venir en courant de SOVU et de GISANZE. Ils ont dit
qu’ils fuyaient ceux qui brûlaient leurs maisons et volaient leurs vaches.
Chez nous, à NZEGA, nous avons passé la nuit au presbytère. Le lendemain, le dimanche, on nous a
conduits à MURAMBI autour de 15 heures. On devait nous y protéger car il y avait davantage de place.
Sur place, au bout d’un certain temps, l’eau a été coupée. Nous n’avions rien à boire ni à manger.
Un jour, le prêtre a apporté du riz mais dès le lendemain dès attaques se sont produites: nous n’avions
pas pu manger. Le mercredi 20, la nuit, ils nous sont tombés dessus, ils ont machetté les enfants, ont
coupé des jambes. »
Le témoin fond en larmes et reste un long moment prostrée.
Monsieur le président se demande si madame NYIRASUKU est bien en état de témoigner: « L’audition
ne doit pas être une souffrance pour le témoin. »
Monsieur le président essaie toutefois de s’adresser au témoin: « C’est très difficile pour vous. Vous avez
perdu vos huit enfants. »
Le témoin de préciser: « Mes enfants, mon mari, mes frères, mes sœurs. »
A la question de savoir qui est le prêtre qui est venu, le témoin répond qu’elle ne le connaissais pas.
Comme autorité, elle n’a vu que le sous-préfet HAVUGA. De l’église à MURAMBI, elle est venue à
pieds. Les gendarmes, elle les a trouvés en arrivant. Des réfugiés arrivaient tous les jours, dans des
véhicules. Une maman qui était arrivée de NYARUGURU est morte avec ses enfants. Des attaques
avaient déjà eu lieu à KIBEHO.
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Président : Étiez-vous installée dans un bâtiment qui devait servir de classe ?
Suzanne NYIRASUKU : Oui.
Président : Souvenez-vous si parmi les attaquants, il y avait des militaires ? Pouvez-vous décrire les
attaquants qui ont participé à l’attaque ? Pouvez-vous nous décrire ces personnes ?
Suzanne NYIRASUKU : Les militaires sont venus et ont tiré, d’autres personnes sont venues dans
l’attaque habillées de feuilles de bananier et d’eucalyptus.
Président : Comment avez-vous survécu à cette attaque? Où êtes-vous allée après l’attaque de
MURAMBI? Savez-vous si les attaquants sont allés ailleurs ?
Suzanne NYIRASUKU : Là où j’étais, ils ont cassé la porte, et est entré un homme originaire de
KAMIRO. Ils sont entrés et ont commencé à découper à la machette les personnes qui étaient
allongées par terre. Moi, je ne pouvais pas me coucher car j’avais mon enfant dans le dos. Cet homme
a dit: « Celle-ci est ma belle-sœur » et il les a empêchés de me frapper.
Président : Connaissiez-vous cet homme ?
Suzanne NYIRASUKU : Je connaissais bien sa sœur et sa famille. Je suis sortie de cette pièce et en
arrivant à l’extérieur, je suis tombée nez à nez avec le sous-préfet. Il m’a demandé où j’allais. Cet
homme a répondu au préfet que j’étais Hutu. Il m’a demandé qui était mon père. Quand je lui ai dit le
nom de mon père, il m’a dit que mon père n’a jamais été Hutu. Il m’a repoussée à l’intérieur. Ils ont
commencé à me frapper partout, à me frapper à l’épaule. Cela a eu des conséquences même
aujourd’hui sur ma santé. Ils m’ont arraché l’enfant, ils m’ont fait tomber par terre, m’ont déshabillée et
pris mes vêtements. Un jeune homme (un voisin : Emmanuel) a dit: « S’il vous plaît, laissez-la, c’est ma
sœur ».
Le témoin fond de nouveau en pleurs. Elle n’est pas en état de continuer car c’est une grande
souffrance pour cette personne. Monsieur le président révèle que son audition par les
enquêteurs français avait déjà dû être interrompue. La défense souhaite toutefois poser une
question.
Me LÉVY : Vous nous aviez indiqué qu’à votre arrivée à MURAMBI (D10360/3), vous aviez été escortée
par des militaires et des gendarmes. Vous souvenez-vous de cette escorte par les gendarmes de
MURAMBI durant le trajet ?
Suzanne NYIRASUKU : Non, je ne les ai pas vus sur le chemin.

Audition de madame Bélie MUKANDAMAGE, rescapée, en visioconférence depuis le Rwanda.
« Ce que j’aurai à dire, c’est au sujet de la guerre qui a éclaté à GIKONGORO. Cette guerre ne nous a
pas laissés en paix. Nous avons fui vers les écoles de la paroisse. Arrivés vers trois heures de l’après-midi,
nous sommes partis pour MURAMBI où on nous a installés dans des classes.
J’avais trois enfants. Les tueurs sont entrés dans le bâtiment et ont tué mes enfants. Un voisin de bon
cœur a saisi le bras d’un tueur pour l’empêcher de me tuer. Les assassins sont partis dans les autres
classes. Ils ont tué ma belle-mère, une femme au grand cœur, et l’ont dépouillée de son argent.
Celui qui m’avait protégée m’a entraînée à l’extérieur du bâtiment et m’a cachée quelque part. Vers 5
heures du matin, il m’a ramenée et m’a cachée chez une personne de bien. Mais toute ma famille, je
l’avais laissée là-bas. Il ne me reste plus personne. »
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Le témoin va ensuite répondre aux questions de monsieur le président.
« Mes quatre enfants ont été tués ainsi que sept membres de ma belle-famille. En 1994, j’étais mariée et
cette guerre a achevé tout ce qui me restait.. Mon mari avait été tué en 1963. En 1994, ce fut le tour de
mes enfants qui étaient en âge de fonder une famille.
Mon mari a été tué à CYANIKA. Alors que j’étais allée voir mes parents, il était venu me voir pour me dire
qu’il rentrait pour veiller sur notre maison. Arrivé à CYANIKA, il a été tué par des montagnards qui se
rendaient à NYANZA. Il a été tué parce qu’il était Tutsi.
En 1994, il y avait des tensions entre Hutu et Tutsi. Les Hutu n’avaient plus envie de vivre avec les Tutsi..
Je savais que Laurent BUCYIBARUTA était le préfet mais je ne l’avais jamais vu. »
Monsieur le président fait remarquer au témoin que lors d’une audition en 2012, elle avait dit du préfet
que c’était « un bel homme, gentil. » Le témoin ne semble pas avoir entendu la remarque de monsieur
LAVERGNE. Elle enchaîne: « C’était le chef des tueurs. C’est lui qui donnait des armes. C’est lui qui nous a
attaqués avec des armes. S’il était resté gentil, il n’aurait pas quitté le Rwanda. »
Toujours sur questions de monsieur le président, le témoin continue son récit. Son mari était
enseignant chez les Adventistes. Peu après l’attentat contre le président HABYARIMANA, on a détruit
sa maison, pris ses biens, tué ses chèvres et ses cochons.
On a tué sa belle-mère qui l’avait encouragée à fuir avec ses enfants. Elle est morte dans sa maison
alors qu’elle-même avait trouvé refuge chez un voisin, « un homme de bien. » Profitant d’une accalmie,
elle retourne chez elle mais ne retrouve que des ruines.
Après avoir vécu chez son voisin, elle sera installée dans une maison vide, puis dans une maison qu’on
avait construite pour les rescapés. « Nous avons vécu là selon la volonté de Dieu qui m’a aidée. »
Quant aux autorités, elles étaient venues pour nous tromper. « Quand nous avons quitté l’école pour
MURAMBI, nous avons couru. Ceux qui nous poursuivaient, civils et militaires, nous tuaient. Lors d’une
réunion qui avait précédé notre départ, le bourgmestre avait prétendu qu’il nous protègerait. Nous avons
été abandonnés par les autorités. Des réfugiés arrivaient de partout. Certains venaient de KIBEHO. Nous
avions peur d’aller puiser, peur de mourir. »
Question du ministère public. Entendue par les gendarmes français, le témoin avait signalé la
présence de Laurent BUCYIBARUTA lors de leur « course » vers MURAMBI. Et elle avait ajouté:
« Comment voulez-vous qu’il ne soit pas là? » « Mais l’avez-vous vraiment vu? » insiste l’avocate
générale. Réponse: « Nous l’avons vu. »
Maître BIJU-DUVAL fait remarquer au témoin qu’elle avait déclaré ne pas le connaître « de visage »,
ce qui contredit ce qu’elle dit aujourd’hui. Le témoin de se justifier: « Ceux qui le connaissaient me l’ont
montré. » Et de confirmer que le site de MURAMBI était bien gardé par des gendarmes.
Réactions de monsieur BUCYIBARUTA. « Je comprends l’émotion du témoin. Mais elle a dit qu’elle n’a
pas vu le préfet car elle était cachée. Cachée pendant trois semaines dans sa maison. Elle n’était donc pas
à MURAMBI! »
Le témoin, avec raison, conteste avoir tenus les propos que l’accusé lui attribue.
Monsieur le président, pour conclure, remercie le témoin d’avoir fait l’effort de venir témoigner.

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Audition de madame Marie MUJAWIMANA, rescapée, en visioconférence depuis le Rwanda.
Le témoin n’a pas de déclaration spontanée à faire. Elle veut bien répondre aux questions qui lui seront
posées.
Sur questions de monsieur le président, le témoin répond.
« En 1994, j’étais mariée et j’avais cinq enfants (quatre en vie car un était décédé d’une mort naturelle).
Mon mari était agriculteur. J’étais Tutsi et mon mari également. »
Le président. « Vous avez dit que vous n’aviez jamais vu le visage de Laurent BUCYIBARUTA, mais
dans vos déclarations (D.10362) vous aviez également dit que vous l’avez vu une fois en 1992. Et que
c’était une période où il y avait la famine et que vous étiez allée à la préfecture qui distribuait de la
nourriture. »
Madame Marie MUJAWIMANA: « Avant le génocide, je vivais ici chez moi, quand sont venus les
Français. Je pense qu’il y a une confusion (l’interprète explique de nouveau la question du
Président) Je voudrais savoir où ils m’ont trouvé pour m’auditionner.

Le président. Dans les locaux du tribunal de NYAMAGABE à Gikongoro.
Madame Marie MUJAWIMANA. « Je ne m’en souviens pas, je ne me souviens pas des Français qui
sont venus m’auditionner. Je me souviens qu’après le génocide, lors des commémorations j’ai donné
mon témoignage.
Le président. « Vous souvenez-vous d’une famine en 1992 et d’une distribution de vivre à Gikongoro ?
Madame Marie MUJAWIMANA. « Avant le génocide, il y avait une famine, beaucoup de gens allaient
demander des vivres à la préfecture. Ces gens, on les trouvait par terre en grand nombre.
Le président. « Êtes-vous allée demander des vivres à la préfecture ? »
Madame Marie MUJAWIMANA: « Oui, j’y suis allée. »
Le président: « Lorsque vous y êtes allée, avez-vous vu des autorités ? Notamment le préfet ? »
Madame Marie MUJAWIMANA: « J’y suis allés, j’y ai vu des autorités, j’y ai vu un homme, on disait
que c’était le préfet. Il m’a demandé ce que je faisais là. »
Le président: « S’agissait-il de Laurent BUCYIBARUTA ou d’ une autre personne ?
Madame Marie MUJAWIMANA: « On disait que c’était le préfet, mais il n’y avait pas un autre préfet
que Laurent BUCYIBARUTA. Il y avait des gens qui le connaissaient. »
Le président: « Des gens qui le connaissait vous ont dit que c’était Laurent BUCYIBARUTA ?
Madame Marie MUJAWIMANA: « Oui. »
Le président évoque une réunion qui se serait tenue peu de temps avant le génocide dans la vallée de
Mwogo. Le témoin
ne sait pas si une réunion se serait tenue là. Même si elle avait eu lieu, elles, les femmes n’avaient pas
l’habitude de s’y rendre.

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En côte D10362, en parlant du préfet Laurent BUCYIBARUTA, vous aviez dit l’avoir revu peu avant la
chute de l’avion présidentiel lors d’une réunion sur le stade de foot dans la vallée de Mwogo. La
population y était rassemblée pour y évoquer des problèmes de sécurité. Le préfet indiquait qu’il fallait
monter des rondes car les Inyenzi [4] voulaient encore attaquer le pays. Il a répété plusieurs fois le
terme Inyenzi pour désigner les Tutsi du FPR [5]. Il a aussi dit qu’il fallait débroussailler la brousse pour
que les membres du FPR ne trouvent pas de cachette.
Madame Marie MUJAWIMANA: « Je vous ais dit que même si la réunion se serait tenue, nous autres,
les femmes nous ne y rendions pas. C’étaient les hommes qui nous disaient ce qui s’y disaient. Mon
mari m’en a parlé mais il n’était pas le seul. Les autres hommes rapportaient aussi les propos du
préfet. »

Le président: « Était-il fréquent que l’on demande à la population de débroussailler ? »
Madame Marie MUJAWIMANA: « Non, on allait faire l’Umuganda [6], on faisait les travaux ordinaires.
Après cette réunion les responsables des communautés de cellules et les conseillers des comités de
secteurs nous ont dit d’aller débroussailler. C’est mon mari qui y est allé.
A ce moment, il y a eu des problèmes. Les Hutu ont pris des machettes pour aller couper et enlever
les broussailles. Arrivés à l’endroit où se trouvaient ces brousses, les Hutu, au lieu de couper les
brousses, ont commencé à couper les gens. Les conseillers du comité de secteurs ont dit de couper les
brousses mais pas les gens. »
Le président lit une déclaration que le témoin avait faite et qui confirme ce qu’elle vient de dire). « Le
préfet avait demandé à la population de couper la végétation, en aucun cas de couper les gens. » Cela
correspond-il à vos souvenirs ?
Madame Marie MUJAWIMANA: « Je me souviens de cela aussi. »
Le président: « Vous souvenez-vous aussi de l’attitude du sous-préfet Havuga ? »
Madame Marie MUJAWIMANA: « Je me souviens que lorsque l’on est allés chercher la nourriture à
la préfecture, il était à côté. Il a dit qu’il n’avait rien à faire avec les Tutsis.
Le président: « Que se passe t-il après que vous ayez appris pour l’attentat du président Juvénal
HABYARIMANA ? »
Madame Marie MUJAWIMANA: « Nous avons appris qu’on avait tiré sur lui. Nous nous sommes dit
que notre « père » venait de mourir et que les Hutu allaient commencé à nous voir d’un mauvais œil.
Ils s’entretenaient entre eux, et nous entre nous. Mon mari ne participait pas aux réunions avec les
Hutu. Ce qui m’a poussé à fuir et d’ailleurs je n’étais pas la seule, c’est que nous voyions en face de
notre colline des maisons brûler. Mon mari et moi, ainsi que les enfants, avons descendu la colline
pour nous réfugier dans la vallée, dans les plantations. Nous y avons passé la journée. La nuit nous
avons marché vers Gikongoro. Dans notre cachette dans les plantations de sorgho nous avons regardé
derrière nous et nous avons constaté que notre maison était en train de brûler.
Les plantations dont je parle se trouvaient dans la vallée. Une école CERAI [7], où les gens apprenaient
des métiers, était construite non loin de la rivière. Nous avons traversé un groupe de gens pour nous
rendre dans ce bâtiment-là ; Il y avait d’autres personnes dont ceux qui y habitaient.

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Une attaque est venue de l’autre côté de la rivière qui venait prendre les gens qui s’y étaient réfugiés.
Le président: « Je vais lire vos déclarations (p.3) : « le dimanche 10 avril, les tensions se sont
accentuées. De nouvelles réunions se sont tenues. Mon mari a voulu y prendre part. Mais un Hutu, son
filleul, lui a dit de ne pas venir car il risquait d’être tué. Nous, les Tutsi, nous nous demandions s’il fallait
nous défendre ou mourir comme en 1963. Mais mon mari a préféré fuir. Nous sommes partis de notre
maison, nous ne savions pas où aller. Alors nous avons rejoint l’école des métiers CERAI. Le directeur
du centre CERAI nous a cachés. De là, nous avons vu nos maisons incendiées. On a vu aussi un véhicule
dans le Centre qui diffusait des instructions: il fallait commencer à travailler, l’ennemi était le même, le
Tutsi. D’un coup on a vu trois attaques venues de trois collines. Ces attaques se sont rejointes à
GASUMBA. Ils sont venus dans notre direction. Nous nous sommes cachés dans une autre salle du
CERAI. Puis un hutu marié à une tutsi s’est vu contraint de faire sortir les gens de leur cachette. Il a
refusé. Les deux hommes sont rentrés et nous ont demandé de sortir. Je suis restée derrière. Les
enfants sont sortis en premier, dont mon enfant Agnès. On a été menacés d’être coupés si on sortait.
Moi et mon mari sommes restés dans la salle. Mes autres enfants étaient dispersés depuis notre fuite.
Les personnes qui étaient sorties de la classe, dont ma fille, ont été emmenées à GISIZA (15
personnes). J’ai appris plus tard qu’ils avaient été enfermés dans une salle puis tués. La femme du
directeur nous a fait sortir. » Cela s’est passé comme ça ?
Le témoin confirme. Ensuite elle explique que le 11 avril au matin, il se sont présentés à la barrière
tenue par des militaires ou des gendarmes et ce sont eux qui nous ont dit de continuer jusqu’à l’église
de Gikongoro.
« Ensuite, nous avons croisé une blanche, Madeleine qui nous a dirigés à Murambi. C’est pourquoi
nous y sommes allés. À l’ETO [8], j’ai trouvé une place dans le bâtiment à étage. Nous y sommes restés
environ deux semaines. Nous étions au rez-de-chaussée. »

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Bâtiment d’accueil du Mémorial de Murambi, ancienne école technique (doc.
genocidearchiverwanda.org.rw).
Quels sont ses souvenirs à Murambi, avant, pendant et après l’attaque ?
« Avant de dire ce dont je me souviens de MURAMBI, si vous permettez, je dois vous demander
quelque chose. Tout ce que vous venez de lire, il s’agit là d’un témoignage que j’ai donné lors de la
10ème commémoration à Murambi au niveau national. Ce n’est pas une audition que j’aurais donnée
ailleurs à des Blancs ».
Le président. Pouvez-vous nous donner des informations sur un véhicule dont émanait des
instructions à l’aide d’un mégaphone. S’agissait il d’un véhicule des autorités ? d’un civil ?
Madame Marie MUJAWIMANA. « C’était un véhicule pick-up de couleur rouge, avec des gens qui
tenaient un mégaphone qui diffusait des propos qui disaient que l’ennemi c’était le même. Nous
étions là à l’école CERAI. Les gens qui étaient là disaient que c’était un véhicule de la commune.
Lorsqu’ils ont commencé à nous tuer à Murambi, ils sont venus à 3h du matin. Nous venions d’y passer
environ deux semaines. Nous avons entendu des bruits de balles. Nous étions sans eau, ils avaient
coupé les tuyaux qui conduisaient l’eau. Il y avait une borne fontaine, les gens qui étaient proches ont
été déplacés plus haut dans les écoles pour que le Tutsi n’en bénéficient pas.
Le président. « Y a-t-il eu une distribution de nourriture ? de riz ? »
Madame Marie MUJAWIMANA. A un certain moment, les gens que je ne connaissais pas ont
apportés du riz et l’on distribuait kilo par kilo. Nous n’avions pas d’ustensile pour le cuisiner. Nous le
mangions cru.
Le président. « Vous souvenez vous si le camp de Murambi était gardé ? »
Madame Marie MUJAWIMANA. « Une fois, les gendarmes sont venus en véhicule, ils ont fait le tour
du terrain et ils nous regardaient sans rien dire. »
Le président. « Vous souvenez vous s’il y avait chaque jour des réfugiés qui arrivaient au camp ? »
Madame Marie MUJAWIMANA. « Oui, ils venaient progressivement en grand nombre. Certains
étaient même déposés en voiture. Parmi les gens qui étaient déposés là , il y en avait qui était blessés.
Personnellement, je n’ai pas subi de fouille. Les gens étaient venus à 3h du matin, il faisait noir. Nous
avons entendu le bruit des balles là bas au camp. A 3h du matin, nous entendions seulement les balles.
Par contre, quand le jour s’est levé, nous avons vu ceux qui venaient avec les machettes.
Quand il a fait jour, nous avons vu les machettes arriver, les gourdins… il y avait des gens qui portaient
autour de leur tête et autour de leur taille des branchages de bananier, et ils s’étaient blanchi le visage
à la chaux.

Quand il a fait jour, j’ai cherché mon mari. J’ai vu qu’il était encore vivant. Il a demandé des pierres. Les
hommes qui portaient des feuilles de bananiers sont entrés et nous avons couru. Un peu plus loin, les

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autres entraient avec les machettes. Mon mari m’a appelé, il m’a dit: » Mélie, notre dernier jour, c’est
celui-ci ». Je lui ai répondu: « C’est ainsi ».
Nous sommes descendus en contrebas où il y avait un champ de sorgho. Nous sommes entrés dans ce
champ, mon mari marchait devant. Il est sorti de ce champ jusqu’à atteindre une maison en face. Un
homme a crié et on l’a abattu. Je suis resté derrière. C’est là qui l’ont abattu. Je me suis couchée puis je
suis partie avec les personnes qui fuyaient ces tueurs vers la vallée. Nous sommes donc allés dans
cette vallée. Il y avait une brume matinale, je suis tombée dans un étang d’eau. Ils nous suivaient. Ils
ont lancé une grenade. Cette grenade est tombée dans l’eau. J’ai été touchée sur mon corps par des
éclats (comme des morceaux de braise). Nous sommes arrivés sur la colline d’en face. Nous sommes
arrivés à un pont et nous avons entendu ceux qui étaient de l’autre côté dire: « Ceux là aussi sont des
Tutsi, ils ne doivent pas vous échapper ». J’ai réussi à m’enfuir. Ceux qui avait un peu plus de force ont
couru, je suis resté seule avec des jeunes gens dont une fille qui avait son uniforme scolaire. On nous a
lancé des objets dont des machettes. Nous sommes descendus dans les brousses. Finalement les
épines des framboises ont retenu l’habit que je portais. Je suis restée comme ça toute seule. La jeune
fille a été tuée. Je suis restée dans le buisson où j’étais lorsqu’ils ont tué le jeune homme qui
m’accompagnait. J’y suis restée car j’étais très affaiblie.
Mes enfants n’ont pas survécu. Mon mari non plus.
Je suis arrivée dans la brousse le jeudi. J’y ai passé la journée du jeudi et du vendredi. J’ai quitté cet
endroit le dernier jour de la semaine à 22h. Le vendredi, quelqu’un est venu couper son fourrage un
peu plus haut de là où j’étais. C’était en soirée. Je n’ai pas bougé, je ne l’ai même pas regardé. Je me
suis dit que s’il arrivait jusqu’à moi il allait me tuer. Il a eu suffisamment de fourrage puis il a pris son
fagot, je l’ai vu repartir en sifflant.
Je suis passée par CYANIKA un peu plus tard. . Je ne connaissais pas cet endroit. J’ai quandmême
reconnu l’église: il y avait des corps partout sur la route.
Après, je sui passée à Sumba. J’y avais une connaissance, une vieille femme que j’ai trouvée devant sa
maison en train de couper des lianes de patates douces en vue de les planter. Une fois à Sumba, avant
d’arriver au domicile de cette femme, j’ai vu des hommes assis devant leur maison. Ils avaient des
machettes et des gourdins, mais ils étaient assis. L’un d’entre eux m’a vue mais moi je les ai vu la
première. Je m’étais couverte la tête avec le pagne qui m’était resté pour me cacher les cheveux et que
l’on ne m’identifie pas comme Tutsi. Je me suis dit qu’ils allaient me tuer. J’ai ouvert mes yeux et aplati
mon nez pour ne pas qu’ils voient que je suis Tutsi et qu’ils me tuent. Dans un premier temps, l’un
d’entre eux est arrivé et a dit quelque chose à l’autre. L’autre s’est retourné pour me regarder. Dans le
but de me camoufler, je leur ai dit bonjour. Et ils m’ont répondu. J’ai continué mon chemin. C’est à ce
moment là que j’ai pu rejoindre cette femme, Félicité.
Le témoin souhaite ajouter quelques mots: « Je demande que justice nous soit rendue. Les autres ont été
tués sans avoir rien fait de répréhensible. Moi aussi ils m’ont maltraitée. »

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Parole est donnée à monsieur Laurent BUCYIBARUTA. Il reconnaît que le témoin est restée calme lors
de son témoignage mais il veut relever quelques erreurs.
Il n’a pas tenu de réunion dans la vallée de MWOGO à la date qu’elle a donnée. La réunion que j’ai
tenue là, c’était en mai 1994. Le témoin parle d’un sous-préfet nommé HAVUGA. Il n’y avait pas de
sous-préfet qui portait ce nom-là. Il parle enfin du « déplacement de Hutu qui avaient peur de
représailles de la part des Tutsi« ! Monsieur le président lui fait remarquer que le témoin n’a jamais d’un
tel déplacement.
Concernant l’expression « on va débroussailler les collines pour que les Inyenzi [9] ne puissent pas se
cacher« , l’accusé tente de s’expliquer: « Débroussailler, cela se faisait lors de l’Umuganda [10], mais
c’était dans le cadre d’un programme d’assainissement, pour éviter des incendies, par exemple. D’ailleurs,
avant avril 1994, Hutu et Tutsi vivaient en parfaite harmonie. » Explications qui ne convainquent pas
grand monde.
Des témoins auraient vu l’accusé à MURAMBI. Que peut-il en dire?
« Je ne suis allé à MURAMBI qu’une seule fois, invité par les réfugiés qui m’avaient transmis leurs
doléances, notamment en ce qui concerne la nourriture. Mais seule la CARITAS avait des vivres. C’était le
15 avril, après avoir reçu une lettre des réfugiés. Quant au problème des canalisations, j’avais demandé
au technicien, GASHAYIJA, de faire les réparations. les canalisations avaient probablement été détruites
par des malfaiteurs pour priver d’eau les réfugiés. Ou pour un autre objectif! »
Questionné sur cette dernière remarque, Laurent BUCYIBARUTA finit par reconnaître que c’était
certainement pour priver d’eau les réfugiés.
Maître Simon FOREMAN demande à l’accusé pourquoi il n’est pas retourné plus souvent à
MURAMBI.
Monsieur BUCYIBARUTA de se justifier par le fait qu’il avait demander la réquisition des gendarmes.
Ce n’était pas à lui de s’occuper de savoir comment cela se passait. Même chose concernant la
canalisation: puisqu’elle avait été réparée, je n’avais pas besoin de venir vérifier.
Maître FOREMAN s’insurge: « Mais il y avait des réfugiés qui n’avaient rien à manger! »
L’accusé de rétorquer: « Je n’avais pas de vivres à distribuer. » Quant à la sécurité, c’était l’affaire des
gendarmes.
Maître FOREMAN: « Mais les gendarmes participaient au génocide. Vous le savez puisque vous étiez
allé à KIBEHO le 17. »
Laurent BUCYIBARUTA: « On a assez parlé de KIBEHO. Parlons de MURAMBI ».
Maître FOREMAN: « Vous n’avez jamais demandé de compte-rendu? »
Laurent BUCYIBARUTA: « Non. Il y avait un règlement qui interdisait au préfet de s’immiscer dans le
travail de la gendarmerie. On m’avait d’ailleurs dit que les attaques qui avaient eu lieu avant le 21
avaient été repoussées par la gendarmerie. » (NDR. Ce qui est faux. Tous les témoins racontent que ce
sont les réfugiés eux-mêmes qui ont repoussé les attaquants.)
Maître GISAGARA s’étonne que l’accusé puisse dire que Hutu et Tutsi vivaient en harmonie. Le mari
du témoin était mort en 1963.
Laurent BUCYIBARUTA: « Notre affaire concerne l’année 1994. En 1963, j’étais encore jeune! »

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Le ministère public revient sur la lettre lui adressée par les réfugiés.
Laurent BUCYIBARUTA: « Les témoins racontent leurs histoires comme ils l’entendent. A MURAMBI,
le problème c’était l’eau, la nourriture. Concernant les menaces, j’ai demandé aux réfugiés de rester
calmes. J’ai parlé aussi aux gens de KABEZA en leur demandant d’essayer de vivre en harmonie. Les
Hutu se plaignaient que les vaches des Tutsi venaient paître dans leurs champs.
Le ministère public: « Aviez-vous conscience que les réfugiés étaient en danger? Il n’y a eu aucune
attaque entre le 7 et le 21 avril?
Laurent BUCYIBARUTA reconnaît qu’il y a eu des attaques, qu’il a été averti par la gendarmerie.
Le ministère public d’enfoncer le clou: « Comment pouvez-vous être surpris par l’attaque du 21? »
Laurent BUCYIBARUTA: « D’après le commandant de gendarmerie, il s’agissait d’une attaque qu’ils
n’ont pas pu repousser. Il ne restait qu’un faible contingent de gendarmes. Le 18 avril, lors de la venue du
président SINDIKUBWABO [11], j’avais d’ailleurs demandé des renforts. Ce qui m’a été refusé ».
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT et Fade FRISCHIT

References
↑1

Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des
années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des
colonisateurs.

↑2

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑3

FPR : Front patriotique Rwandais

↑4

Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande
raciste. Cf. « Glossaire« .

↑5

Ibid.

↑6

Umuganda : travail communautaire, corvées communales obligatoires. Le nom de ces activités
d’intérêt général, inscrites dans la tradition du pays (défrichage, entretien des chemins etc…) a
été dévoyé par l’idéologie génocidaire pour désigner les tueries contre les Tutsi que les paysans
avaient l’obligation d’accomplir (Cf. « Glossaire« ).

↑7

CERAI : Centre d’Apprentissage Rural et Artisanal Intégré

↑8

Ecole Technique Officielle de Murambi.

↑9

Ibid.

↑10

Ibid.

↑11

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide
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Procès Laurent BUCYIBARUTA du mardi 24 mai
2022. J12
25/05/2022

• Audition de monsieur Cyprien MUNYANZIZA, commerçant témoin de l’attaque. En
visioconférence.
• Audition de madame Annonciata MUHAYIMANA, rescapée.
• Audition de monsieur Juvénal GAKUMBA, rescapé. En visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Immaculée MUKAMANA, partie civile.

Mémorial de Murambi : près de 50 000 personnes ont été massacrées dans et autour de cette
ancienne école technique
(doc. genocidearchiverwanda.org.rw).

Audition de monsieur Cyprien MUNYANZIZA, commerçant témoin de l’attaque [1]. En
visioconférence.
Lé témoin déclare habiter tout près du site de MURAMBI. Commerçant, c’est chez lui que les réfugiés
qui en auront les moyens viendront s’approvisionner avant le 21 avril. Les premières victimes, après la
chute de l’avion sont des employés de la société EMGEKO, Beaucoup de Tutsi s’étant réfugiés à la
paroisse de GIKONGORO, Laurent BUCYIBARUTA et SEBUHURA [2] décident des les faire venir jusqu’à
MURAMBI. afin « d’assurer leur sécurité ».
Comme « la guerre » redouble d’intensité, le flot des réfugiés augmente. Des Tutsi s’installent sur le
site de MURAMBI avec leur bétail. Quelques jours plus tard, une barrière est érigée sous la
responsabilité d’un certain HAVUGA, de son vrai nom HAVUGIMANA, un ancien sous-préfet. Il est un
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autre membre actif en la personne de David KARANGWA, greffier au Tribunal de canton de
NYAMAGABE. Les réfugiés qui passent sur cette barrière s’y font tuer.
Sur le site, l’eau sera coupée peu après. Les réfugiés s’étant révoltés, Laurent BUCYIBARUTA et
SEBUHURA viennent pour participer à une réunion. Promesse est faite aux réfugiés que rien ne leur
arrivera. « Comme on disait que son épouse était Tutsi, les réfugiés avaient confiance dans le
préfet » précise le témoin. Mais l’eau ne sera jamais rétablie. La CARITAS finira par livrer quelques sacs
de riz qui se révèleront insuffisants.
Les réfugiés, faisant confiance au préfet, décident de rester sur le site de MURAMBI. « S’ils étaient
partis, précise le témoin, ils ne seraient pas tous morts. » Façon indirecte de rendre le préfet
responsable des massacres?
Le témoin d’évoquer ensuite la nuit du 21 avril. Comme il habite tout près, il voit des véhicules déposer
des tueur, entend le bruit des armes. Les assaillants qui se battent avec les réfugiés vont réclamer des
renforts au préfet. Un véhicule transportant des militaires serait venu de BUTARE. Ces derniers vont
vider leurs armes sur les réfugiés.
Ceux qui pourront s’échapper vont se rendre à CYANIKA. Mais les véhicules les poursuivent.
Ainsi se termine la « déposition spontanée » du témoin.
Comme à son habitude, monsieur le président va poser beaucoup de question au témoin pour
l’amener à préciser un certain nombre de points abordés dans sa déposition. Les Interahamwe [3] ont
bien bénéficié d’un entraînement militaire, soit au bureau communal de NYAMAGABE, soit dans les
forêts environnantes. A leur tête, les responsables que le témoin a cités, les deux « frères »,
HAVUGIMANA Frodouald et David KARANGWA . Sans oublier SEBUHURA, le capitaine de gendarmerie
qui a évincé son chef resté « invisible ». Le colonel SIMBA [4] aurait aussi été présent.
Quant à BUCYIBARUTA, « on avait beaucoup confiance en lui » redira le témoin, il avait une femme
tutsi. » Il ne s’était jamais fait remarquer par des propos anti-Tutsi.
Sur question du président, monsieur MUNYANZIZA rapporte la façon dont les réfugiés se sont rendus
de GIKONGORO à MURAMBI, encadrés par quatre gendarmes. BUCYIBARUTA et SEBUHURA sont bien
venus sur le site de MURAMBI, le témoin déclarant avoir participé lui-même à deux réunions. Il
confirme qu’une barrière avait bien été érigée à KABEZA, un peu avant l’entrée du site, en vue de tuer
les Tutsi. Une fosse avait d’ailleurs été creusée tout près. « Je circulais, et quand je passais par là, je
voyais les tueries » ajoutera le témoin. Il connaissait Madeleine RAFFIN. Quand elle était passée sur la
barrière, on lui avait arraché les gens qu’elle convoyait.
Des viols sur les barrières? Le témoin signale celui d’un père qu’on a tué. La fille a été tuée à son tour.
Il est clair que les gens n’avaient pas assez à manger à MURAMBI. D’autant que des haricots ont été
détournés et remis aux gens qui travaillaient sur les barrières. Si Laurent BUCYIBARUTA a évoqué les
massacres de KIBEHO, c’est pour en parler en termes de « rumeurs ».
L’ensevelissement des corps? « Un véhicule du ministère des Travaux publics est venu, un camion-benne
pour transporter les corps et un engin pour creuser les fosses. Les camions ont fait une dizaine d’allers et

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retours. Le préfet aurait été présent. Le deuxième jour, on a fait appel aux prisonniers car les corps
commençaient à sentir mauvais ».
Maître FOREMAN demande au témoin si avant le 7 avril il y avait des problèmes entre Hutu et Tutsi. Le
témoin répond par la négative alors que dans une audition précédente il avait évoqué « des tensions à
GIKONGORO. On pensait qu’il allait y avoir des tueries. » Le témoin n’est pas à une contradiction près.
Le ministère public et la défense poseront des questions à leur tour pour tenter d’expliquer les
déclarations parfois contradictoires du témoin. Également pour faire remarquer qu’il aborde
aujourd’hui des points dont il n’avait jamais parlé avant.
Pour clôturer l’audition, monsieur le président fera préciser au témoin le nombre de barrières à
MURAMBI. « Une à KABEZA, une autre à KARAMA. La barrière de GAHUNZIRE sera érigée après les
massacres. »

Audition de madame Annonciata MUHAYIMANA, rescapée.
Annonciata MUHAYIMANA : Les autres criaient en disant: « Fuyez, fuyez, on va vous tuer ». C’est ainsi
que nous avons pris la fuite, chacun dans une direction. En ce qui me concerne, j’ai réussi à fuir avec
mes enfants et mes belles-sœurs, et mon mari a fui d’un autre côté avec d’autres membres de la
famille. Nous avons escaladé une colline et sommes arrivés sur la route asphaltée de KIGEME. J’étais
restée derrière, mais ils m’ont laissée partir en disant qu’ils allaient tuer le prochain : mais le prochain
ils l’ont uniquement blessé. J’ai retrouvé ma famille à la route asphaltée, au moment où nous
attendions qu’ils nous tuent, car ils avaient les armes pour. Un homme du nom de GASANA a dit qu’il
fallait laisser les gens continuer leur route. Nous avons continué vers MURAMBI.
Arrivés à l’école de KIGEME, nous avons vu des gendarmes ou des militaires, je ne peux pas faire la
différence, ils remplissaient un véhicule et demandaient aux Interahamwe [5] pourquoi ils ne
commençaient pas à tuer. Je suis allée chercher des vêtements car je n’avais rien à me mettre. J’ai
continué avec ma famille et nous sommes arrivés à un endroit que l’on appelle SOS Village Enfants.
Nous y avons passé la nuit, mais à GACYAZO, il y avait une barrière que les Interahamwe avaient déjà
érigée et ce n’est que grâce à Dieu que nous avons pu y échapper. Nous étions une population de
partout, nous étions avec les enfants, et d’autres gens. Des gens se sont approchés de nous en se
plaignant d’avoir faim: nous n’avions pas de quoi leur venir en aide.
Ceux qui fuyaient et qui avaient de l’argent nous en ont donné pour que l’on puisse aller acheter de
quoi manger. Nous étions gardés par des militaires ou des gendarmes. Les enfants se lamentaient que
nous les faisions dormir sur des pierres, mais nous n’avions rien d’autre. Les gens nous ont demandé
ce que nous fuyions et nous avons répondu que nous fuyions ceux qui incendiaient nos maisons. Nos
interlocuteurs nous ont demandé sur quoi nous nous basions pour savoir pourquoi eux n’allaient pas
nous tuer ? Et nous avons répondu que avions cherché refuge auprès des autorités et que s’ils
voulaient nous tuer ils pouvaient le faire. Le lendemain, nous étions beaucoup plus nombreux, et ils
nous ont demandé de nous enregistrer, secteur par secteur. Mais il n’était pas question de nous aider,
c’était plutôt pour savoir combien nous étions.

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Ils nous ont emmenés à MURAMBI, les agents de gendarmerie se déplaçant devant. Quand nous
descendions de la colline des gens à gauche, à droite nous disaient que quand nous arriverons là bas,
nous n’allions pas revenir. Là-bas, c’était des écoles en construction, pas terminées mais il y avait de
l’eau et de l’électricité. Mais quand nous sommes arrivés, eau et électricité ont été coupées. Nous
avons continué à vivre cette très mauvaise vie. La faim a commencé à tuer des gens et nous autres
nous avons voulu aller chercher de l’eau accompagnés des personnes fortes, et lorsque nous puisions
de l’eau, les Interahamwe nous jetaient des pierres. Mais nous puisions quand même et nous
retournions à l’école. À un certain moment, il a été question que nous nous enregistrions de nouveau.
Mais rien n’a été fait. Nous avons continué notre vie très difficile, et les Interahamwe ont continué à
nous attaquer mais ils n’ont pas pénétré dans le camp.
À un certain moment, ils sont venus pour attaquer. Ils sont venus avec des grenades, des lances et des
machettes, donc des armes traditionnelles et des gourdins dans lesquels ils avaient enfoncé des clous.
Ce jour-là, ils sont venus nous tuer. Les Interahamwe nous ont encerclés de partout, ils nous ont lancé
des grenades, pour ceux qui étaient dans des salles de classe, ils ont titré des balles sur les gens. À un
certain moment, le terrain était couvert de cadavres, certains avaient leurs jambes coupées par des
grenades. Certains avaient des yeux arrachés par des balles, nous étions environ 50 000 personnes.
Quand nous avons constaté que c’en était fini pour nous, nous autres avons commencé à fuir en
courant. Personnellement, j’avais fui avec mes trois enfants, ils en ont tué deux. Le troisième, en bas
âge, j’ai continué à le porter au dos. Pour les autres membres de la famille, ils ont péri à MURAMBI. Ce
fut la même chose pour beaucoup de personnes venues de partout qui étaient venues se réfugier ici.
Nous avons couru nous cacher, les Interahamwe portaient des feuilles de bananier et ils tiraient sur les
gens de MURAMBI qui fuyaient en courant. J’ai couru pour retourner à MURAMBI pour qu’ils me tuent
là bas. Ce n’est pas arrivé et je me suis dirigée vers un champ. Nous étions nombreux dans ce champ
mais quand je suis revenue là, il n’y avait plus que des cadavres. Nous étions trois ainsi que l’enfant
que je portais. Les Interahamwe nous ont demandé de dévoiler les noms des personnes que nous
connaissions. Nous leur avons répondu que nous connaissions un homme du nom de MUNYANZIZA,
un homme auprès de qui nous allions acheter des vivres. Il avait un moulin et de la farine.
« Ne tuez pas vos propres congénères, ceux-ci font partie des vôtres » disait-il aux tueurs. Ces derniers
prétendaient que nous mentions, que notre nez était un nez de Tutsi et pas de Hutu. Après avoir tenu
ces propos, ils ont pris les matelas mouillés de sang, les habits dépouillés des personnes qu’ils avaient
tuées. Ils nous ont laissés tranquilles et nous ont abandonnés dans la plantation.
Nous avons passé la journée dans la plantation jusqu’à la tombée de la nuit, et vers 20 heures, lui et
ses employés sont venus nous sortir de là. Ils nous ont fait passer par l’endroit où il y avait les cadavres
à MURAMBI. Il a dit de continuer la route et qu’ils se reverraient s’ils survivaient, que lui ne pouvait rien
faire de plus.

Président : Est-ce que vous avez été blessée au moment de ces attaques ?
Annonciata MUHAYIMANA : Lors de ces attaques, on m’a lancé une brique dans la tête, il y avait du
sang qui coulait. Plusieurs années après, mon mari est allé témoigner à ARUSHA. Après cela, ils ont

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continué à me poursuivre, ils m’ont blessée, ils m’ont tailladé sur la tête. Ils ont coupé mon mari au
niveau de son visage, et ils avaient jeté des briques sur lui.
Président : Est-ce que votre mari a survécu ?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui.
Président : Est-il toujours vivant ?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui.
Président : Vous aviez des enfants ?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui, j’avais 3 enfants.
Président : Et ces enfants ont été tués à MURAMBI ?
Annonciata MUHAYIMANA : Ils ont été tués. Je suis restée avec mon bébé sur le dos, en me disant
que s’ils tuaient mon enfant, ils me tueraient moi aussi.
Président : Vous parlez d’un commerçant, c’était Cyprien MUNYANZIZA?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui.
Président : Vous avez parlé de troubles dans votre village d’origine ?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui, il y avait beaucoup d’Interahamwe.
Président : Connaissez-vous le nom de certaines de ces personnes, de ces Interahamwe ?
Annonciata MUHAYIMANA : À MURAMBI, il y avait beaucoup de gens, mais comme ils nous avaient
encerclés, celui que j’ai vu c’était le bourgmestre de MUDASOMWA. Il avait une voiture, avec
beaucoup d’autres véhicules.
Président : En quittant votre maison, vous êtes donc passée par la barrière de GACYAZO ?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui.
Président : Et à GACYAZO, il y a des gens qui vous ont laissé passer ?
Annonciata MUHAYIMANA : C’est exact, ils m’ont laissé passer.
Président : Savez-vous si des gens avaient été tués à cette barrière ?
Annonciata MUHAYIMANA : Il n’y avait pas de cadavres sur les routes, mais on les jetait dans les
trous.
Président : Les avez-vous ou l’avez vous entendu dire ?
Annonciata MUHAYIMANA : Je n’ai jamais vu les cadavres sur la route, car j’étais en train de fuir mais
c’est des gens qui m’ont raconté ça.
Président : vous allez alors arriver au village SOS ?
Annonciata MUHAYIMANA : Après être passée par GACYAZO, je suis partie au centre SOS.
Président : Et c’est là qu’on a dit aux réfugiés qu’il fallait se rendre au site de MURAMBI ?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui.
Président : Savez-vous qui a dit aux réfugiés qu’il fallait aller à MURAMBI ?
Annonciata MUHAYIMANA : C’est les gendarmes qui ont dit ça, les gendarmes qui nous ont escortés
ont sûrement dû recevoir des ordres de leurs supérieurs.
Président : Que vous dit-on concernant MURAMBI ?
Annonciata MUHAYIMANA : On nous disait qu’il y avait trop de monde et qu’à MURAMBI il y avait
assez d’espace et que la sécurité serait assurée.
Président : Est-ce que les gendarmes vous ont escortés jusqu’à MURAMBI ?
Annonciata MUHAYIMANA : Les gendarmes nous ont escortés et ils n’assuraient pas notre sécurité
car on avait faim et qu’on avait coupé l’eau. Ils voulaient nous mettre ensemble pour nous tuer.
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Président : Est-ce que vous avez eu le sentiment d’être protégée par les gendarmes ? Aviez-vous peur
lors du transfert ? Saviez-vous que vous étiez en danger de mort à ce moment-là ?
Annonciata MUHAYIMANA : Nous avions très peur, et moi je voulais faire marche arrière pour
retourner à GACYAZO et mourir là-bas, mais les autres m’ont qu’il fallait rester ensemble.
Président : Vous souvenez-vous si à MURAMBI il y a avait des barrières ?
Annonciata MUHAYIMANA : A MURAMBI, il n’y avait pas de barrière.
Président : Une barrière a-t-elle été construite après ?
Annonciata MUHAYIMANA : Quand je suis arrivée, tous les réfugiés pouvaient venir.
Président : Quand vous êtes arrivée, des réfugiés sont-ils encore arrivés après ?
Annonciata MUHAYIMANA : Oui, tous les jours, de plus en plus nombreux. Ils venaient de plusieurs
endroits différents, il y a ceux qui venaient de KIBEHO, ceux de KADUHUA.
Président : Ceux qui venaient de KIBEHO, saviez-vous ce qu’ils avaient vécu ? Avaient-ils déjà été
attaqués ?
Annonciata MUHAYIMANA : Ils pensaient comme nous, que notre sécurité allait être assurée. Je ne
savais s’ils venaient d’un centre ou de leur domicile car chacun s’occupait de sa propre sécurité.
Président : Des gens sont-ils morts de faim ?
Annonciata MUHAYIMANA : C’est vrai, il y avait 3 personnes déjà mortes suite à la faim. Nous étions
presque tous comme ces personnes-là, je faisais 65 kilos chez moi et en arrivant là-bas j’en faisais 25.
Président : Parmi les réfugiés qui arrivaient, parmi les gens qui avaient séjourné à MURAMBI, est-ce
que certains étaient déjà blessés et avaient besoin de soins ?
Annonciata MUHAYIMANA : Il y a des personnes qui n’étaient pas complètement mortes.
Président : Parce qu’elles étaient mortes à ce moment là ?
Annonciata MUHAYIMANA : Certaines personnes, ont leur avait coupé les pieds et les jambes, crevé
un œil. Il y avait des personnes qui respiraient encore mais ne pouvaient plus bouger.
Président : Ces personnes-là sont arrivées ainsi ou ont été blessées dans les attaques de MURAMBI ?
Annonciata MUHAYIMANA : Je n’ai pas vu de personnes venant d’autre part blessées.
Président : Quant aux conditions d’hygiène, était-ce organisé ? Y avait-il un endroit pour faire ses
besoins ?
Annonciata MUHAYIMANA : À l’école, il y avait des WC, mais à cause du nombre important de
personnes, il y a des gens qui allaient dans la brousse.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Annonciata MUHAYIMANA : Les Interahamwe nous ont pris beaucoup de famille, ils ont fait
disparaître des jeunes enfants. On ne sait ce que ces personnes seraient devenues maintenant, nous
avons vécu dans des familles tous et maintenant nous sommes seuls, nous n’avons plus rien. Je
voudrais que les Interahamwe qui ont décimé tout le monde se rappellent qu’ils ont laissé des
survivants qui ont pu raconter à tout le monde. Nos familles, nos enfants disparus, on les a confiés à
Dieu, mais aussi à vous, la justice.
Président : Avez-vous vu Laurent BUCYIBARUTA, à un moment ou un autre ?
Annonciata MUHAYIMANA : Je ne suis pas allée à cette réunion.
Président : L’avez vous vu au moment de l’attaque ?
Annonciata MUHAYIMANA : Au moment des attaques, je ne l’ai pas vu mais j’entendais parler de lui.
Pas de question de la Cour.
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Pas de question des parties civiles.
Questions du Ministère public.
Ministère public. : Quel est le nom de votre époux ?
Annonciata MUHAYIMANA : Simon MUTANGANA.
Ministère public.: Il a été entendu, il y a quelques jours, devant cette cour. Pourriez-vous me préciser
l’âge de vos enfants ?
Annonciata MUHAYIMANA : 7 ans et 3 ans.
Ministère public.: Lorsque vous étiez à MURAMBI, est-ce que vous avez souvenir d’une fouille avant la
grande attaque pour rechercher les armes ?
Annonciata MUHAYIMANA : Avant l’attaque, les personnes qui entraient dans le camp étaient
fouillées car on disait qu’ils pouvaient avoir des armes.
Ministère public.: Vous avez évoqué la présence du bourgmestre du MUDASOMWA, vous rappelezvous le rôle qu’il a pu avoir lors de cette attaque ?
Annonciata MUHAYIMANA : Son rôle était de distribuer les armes qui étaient stockées.
Ministère public.: Vous rappelez-vous des armes ?
Annonciata MUHAYIMANA : Il y avait des grenades et des armes à feu, elles étaient entreposées.
Ministère public.: Était-il habillé d’une façon particulière ?
Annonciata MUHAYIMANA : Il était habillé en civil.
Questions de la Défense :
Me Lévy : Vous avez indiqué que les personnes qui arrivaient au camp de MURAMBI avaient été
fouillées. Avez-vous été fouillée ?
Annonciata MUHAYIMANA : Nous sommes entrés au début donc je n’ai pas été fouillée.
Me Lévy : Vous aviez indiqué devant les gendarmes français (D-10366): « Il me semble que ces
personnes qui fouillaient c’était des civils qui passaient parmi nous et nous demandaient si nous avions
des armes. », était-ce juste avant l’attaque ?
Annonciata MUHAYIMANA : C’était avant l’attaque.

Audition de monsieur Juvénal GAKUMBA, rescapé. En visioconférence du Rwanda.
Une audition marathon attend jury, parties au procès et public. Nous nous contenterons de
retranscrire la déclaration spontanée du témoin, les nombreuses questions n’ayant pas permis
de faire émerger une vérité, le témoin s’étant contredit à plusieurs reprises et ayant parlé
d’événements dont il n’avait jamais été question jusque-là. D’où une remise en cause de sa
crédibilité.
« Lorsque l’avion est tombé je me trouvais à l’hôpital de KIGEME où je veillais mon frère qui était
malade. C’est par la radio que nous avons appris la nouvelle. Un employé de EMGEKO et un
commerçant venaient d’être tués. Un véhicule transportant des cadavres est arrivé de MUDASOMWA:
il fallait que nous les voyions pour nous impressionner.

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C’est alors que Boniface NZAMURAMBAHO m’a conseillé de fuir pour qu’on ne me tue pas. Les
gendarmes croisés sur la route se plaignaient qu’on n’ait pas encore commencé à tuer les Tutsi.
Je suis allé à mon domicile. Les assaillants ont commencé à brûler les maisons et à tuer les gens. Ma
sœur, (sa cousine germaine), Agnès MUKAMUSONI, est tuée tandis que son ami s’est réfugié chez
nous en disant qu’on venait de tuer son épouse et son enfant.
Le lendemain, des maisons brûlaient non loin de chez nous. Les attaquants ont été repoussés grâce à
l’intervention d’un conseiller. Puis a succédé une attaque plus forte. Hutu et Tutsi sont allés barrer la
route aux assaillants. Parmi les attaquants, il y avait des Hutu de la famille de ceux qui combattaient à
nos côtés. Mais peu à peu, ces derniers nous ont quittés.
On m’a alors conseillé de partir. Ma femme, qui est Hutu, est partie dans sa famille avec nos enfants.
Vous devez savoir qu’un de mes cousins travaillait chez le préfet. Il était gardien et sera tué.
Je suis parti avec mon grand frère Tatien TWAGIRIMANA. Sa femme était la soeur de ma propre
femme. Nous sommes allés à la paroisse de la cathédrale car en 1963, on n’était pas tué dans les
églises. Avant d’arriver, nous avons rencontré des gens qui voulaient nous faire du mal. Une des
barrières était contrôlée par un certain MAPENGU. D’autres assaillants nous poursuivaient pour nous
tuer. J’ai rencontré NDAYISABA, alias BISUBI: ils l’ont tué sur place.
Quand je suis arrivé dans la cour de l’école, il y avait des réfugiés venus de partout. Le capitaine
SEBUHURA [6] et SEMAKWAVU [7], ainsi qu’un sergent surnommé CDR, sont arrivés. Était présent aussi
le sous-préfet. Ce sont ceux que j’ai reconnus. Puis nous avons été conduits à MURAMBI. On nous a
installés dans des classes et le lendemain l’eau a été coupée.
Alors que nous voulions quitter MURAMBI, Laurent BUCYIBARUTA est arrivé accompagné d’autres
personnalités, dont SEBUHURA. On nous a demandé de rester sur place car le problème de l’eau serait
résolu.
Nous avons repoussé une première attaque en lançant des pierres: les attaquants sont repartis. Nous
avons alors reçu un peu de riz. De l’extérieur, nous apprenions que les Hutu allaient nous tuer. S’est
tenue une réunion à laquelle je n’ai pas participé: Laurent BUCYIBARUTA et le président
SINDIKUBWABO [8] étaient là. Nous pensions que nous serions sauvés. C’est mes beaux-frères hutu qui
tentaient de nous faire des informations.
Le 20, je suis sorti du site vers 21 heures, la veille des massacres. Mais je suis tombé sur une ronde. Les
Hutu qui étaient avec nous ont été déplacés dans les locaux de la préfecture. Cette nuit-là, j’ai été
arrêté, ainsi que Ladislas, un cousin germain. Ceux qui étaient avec nous ont été tués. Je suis retourné
au camp. Nous nous sommes battus, certains d’entre nous sont morts, d’autres ont perdu leurs
jambes. Au lever du jour, les attaquants sont allés chercher d’autres munitions.
Nous souhaitions nous rendre à CYANIKA car on nous disait que là-bas les gens ne mouraient pas. En
fait, je me suis rendu à NYANZA où il y avait un préfet qui s’opposait aux massacres. Plusieurs d’entre
nous ont été tués encours de route. Arrivé à la rivière MWOGO, je n’ai pas pu traverser et j’ai pris la
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décision d’aller à KIGOMA où je suis resté quelques jours. Je me suis caché jusqu’à l’arrivée des
Français [9].
Comme dit dans le chapeau, les innombrables questions posées au témoin n’ont pas réussi à
faire la lumière sur les nombreuses contradictions contenues dans son récit. A tel point que la
défense a même douté de la présence de Juvénal GAKUMBA sur le site de MURAMBI.

Audition de madame Immaculée MUKAMANA, partie civile.
Monsieur le président a averti que, quoi qu’il arrive, on ne pourra prolonger la journée au-delà
de 18h30 et que le témoin n’aura que 45 minutes pour s’exprimer, ce qui provoque
l’incompréhension légitime de son avocat, maître GISAGARA. Devant l’intensité et la force du
témoignage, un compromis sera trouvé. Madame MUKAMUMANA pourra de nouveau être
entendue, mais en visioconférence de Kigali avant la fin du procès.
L’histoire de madame MUKAMANA ne commence pas en 1994. En effet, en 1964, une partie de sa
famille va être décimée. Trois de ses frères et sœurs sont exécutés sous les yeux de sa maman qui
tentera alors de se suicider en se jetant dans la rivière.

Père « Stanny » ou Stanislas de JAMBLINNE, Père Blanc belge en poste alors à CYANIKA, bien connu au
Rwanda pour ses actes de bravoure en faveur des Tutsi. Il est décédé le 12 novembre 2021 à l’âge de
99 ans après avoir passé une très grande partie de sa vie au Rwanda.
C’est le Père Stanny de JAMBLINNE qui la sauvera. Le prêtre la conduira à l’hôpital de BUTARE où elle
accouchera d’une fille. Arrêté auparavant, son papa sera libéré.

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« En 1994, mes parents avaient 14 enfants. Ils ont tous été tués par les Hutus. Nous sommes deux
rescapés, plus un neveu, l’enfant de mon frère qui avait un an. Depuis 1964, notre vie se déroule dans
une peur permanente. Mes parents vivaient dans l’angoisse, ils n’ont cessé d’être persécutés.
En 1973, les Tutsi vont être chassés des écoles. Mon frère survivant n’échappera pas à cette décision.
En 1990, c’est l’attaque des Inkotanyi [10]. Papa va décéder par manque de soins. Lors de son décès, les
militaires sont venus fouiller son corps et papa sera inhumé dans l’intimité, presque personne ne pouvant
participer aux funérailles.
Très tôt, une barrière avait été érigée devant la maison. Nous subissions des contrôles chaque fois que
nous sortions. En février, c’est l’assassinat de BUCYANA, le président de la CDR [11]. Cette mort va
entraîner l’établissement d’une liste de Tutsi à éliminer. Mon frère était le numéro 1 de cette liste.
Aucun Tutsi ne pouvait passer la nuit chez lui. J’ai dû moi-même me cacher. Je passais un jour à la
maison, un jour dans une cachette. Mon frère, commerçant, était pourchassé.
En 1994, le 7 avril, la peur d’être tués s’est de nouveau emparée de nous. J’ai fui et arrivée à MACYAZO,
des attaquants m’ont arrêtée et m’ont ramenée à la maison. J’ai retrouvé ma mère apeurée au souvenir
de la mort de ses enfants, peur qu’on ne tue de nouveau les siens sous ses yeux. On nous a alors conseillé
de nous enfuir.
Nous avons vu des gens qui fuyaient leurs maisons en feu. On venait de tuer le frère de l’épouse d’un
oncle paternel. Seuls les véhicules militaires circulaient, ainsi que ceux du bourgmestre SEMAKWAVU et
d’un commerçant. Nous sommes tous montés à bord d’un véhicule. Après avoir croisé un véhicule
militaire, un jeune homme a dit à ma mère qu’on allait à MURAMBI se faire tuer. Ma mère a demandé au
chauffeur de la ramener à la maison, ce qu’il a fait. Je suis descendue avec elle. Les autres, qui ont été
conduits à MURAMBI ont tous été éliminés.
Je suis restée à la maison. Mon grand frère a donné de l’argent à quelqu’un pour qu’une moto vienne me
chercher. Il craignait que les filles soient violées. Je suis donc partie en abandonnant ma mère.. Nous
avons pu passer une barrière en donnant de l’argent. Le motard m’a fait arriver en ville et m’a remise à
mon frère. Il avait peur lui aussi et préparait ses affaires pour fuir avec son épouse.
Nous nous sommes tous cachés dans des endroits différents. Pour survivre, nous avons traversé beaucoup
d’épreuves. J’ai été contrainte de creuser ma propre tombe pour me cacher. Mon frère, son épouse et
leurs trois enfants ont été tués. Leur bébé, qui avait moins d’un an a survécu, caché par la domestique qui
s’occupait de lui. Je l’ai récupéré à leur retour du CONGO.
Tous mes frères et sœurs ont été tués, dont cinq à MURAMBI. Ma famille paternelle a été décimée. Quant
à ma mère (NDR. Le témoin garde un long silence), comme elle était âgée, elle a fui en se cachant dans
quatre familles différentes: chaque fois on la chassait. Elle a été cachée par un jeune qui avait creusé un
trou sous son lit. Des attaquants sont venus fouiller la maison. Ils ont découvert maman et une tante
maternelle cachée avec elle, les ont fait sortir et les ont déshabillées. Toutes nues, ont les a conduites sur
la colline. Maman était âgée et de grande corpulence. On la frappait parce qu’elle ne marchait pas assez
vite. On les a découpées en morceaux arrivées au sommet. ils ont jeté les morceaux dans un ravin et les
ont recouverts d’un peu de terre. Moi seule ai survécu.
Notre vie pendant le génocide a été très difficile, nous éprouvions un chagrin immense. Tous les
survivants de ma famille ont été exterminés pour avoir été Tutsi: c’était leur seul crime. Ceux qui auraient
dû nous protéger n’ont rien fait quand nous étions en train de mourir. C’est comme si les Hutu avaient eu
l’autorisation de nous tuer.
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Je suis venue ici devant vous en ma qualité de partie civile. Je ne réclame rien de matériel. Étant donné
que les nôtres sont morts d’une mort atroce, injustement, sans le secours de personne, je demande une
vraie justice. Les conséquences de ce génocide sont innombrables. Nous n’avons pas cessé d’être
persécutés. J’avais le projet de retourner vivre dans ma région d’origine, mais j’ai dû abandonner le
projet. Je suis retournée à KIGALI comme quelqu’un qui fuit encore.
L’enfant que j’ai gardé me pose des questions. Il veut savoir où sont ses parents. Je dois lui dire qu’ils sont
morts, assassinés. Et il se demande ce qu’ils ont fait pour être tués. Tués par des voisins!
Les autorités avaient donné des ordres. Quand je pense à la vie de ma mère! Nous sommes vivants mais
avec des blessures béantes dans nos cœurs.
Je demande la justice. Je vous remercie pour la justice que nous espérons voir être rendue. »
Monsieur le président, visiblement ému: « Nous vous remercions aussi. Il ne sera pas possible de vous
entendre davantage ce soir. Nous pouvons envisager une visioconférence depuis KIGALI. Si cela est
possible pour vous. »
Le témoin donne son accord. Elle veut bien revenir témoigner.
« Nous vous contacterons, poursuit le président LAVERGNE, et nous vous entendrons depuis KIGALI.
Vous souhaitez rajouter quelque chose? »
Le témoin: « La persécution contre les Tutsi n’a pas commencé en 1994. J’ai subi cette persécution tout
au cours de ma vie. Quand mon père est mort, ils sont venus profaner sa dépouille. J’en suis affectée
jusqu’à aujourd’hui. Avec 1994, ce fut le sommet, ma famille a été décimée. Nous ne sommes restés qu’à
deux. J’ai dû retourner à l’école alors que j’étais mariée, en m’occupant de mes enfants, de mon foyer, des
orphelins. Jusqu’à aujourd’hui, c’est dans cette situation que nous vivons ».
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT et Fade FRISCHIT
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

References
↑1

Attaque de l’école technique de Murambi – Lire également les témoignages des jours
précédents :
• Audition de monsieur Jacques UWIMANA, rescapé partie civile.
• Audition de monsieur Vincent de Paul NSABIYERA,condamné pour génocide
• Audition de madame Juliette MUKAKABANDA, rescapée.
• Audition de monsieur Simon MUTANGANA, rescapé.
• Audition de madame Julienne UMUGWANEZA, rescapée.
• Audition de madame Jeanne MUKAMUNANA, rescapée.
• Audition de madame Suzanne NYIRASUKU, rescapée.
• Audition de madame Bélie MUKANDAMAGE, rescapée.
• Audition de madame Marie MUJAWIMANA, rescapée.

↑2

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

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↑3

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑4

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑5

Ibid.

↑6

Ibid.

↑7

Félicien SEMAKWAVU : bourgmestre de la commune de Nyamagabe où se trouve Murambi.

↑8

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑9

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑10

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑11

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les
Impuzamugambi., cf. glossaire.

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Mercredi 25
mai 2022. J13
27/05/2022

• Audition de monsieur Philippe NTETE, rescapé. En visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Hildegarde KABAGWIRA, rescapée. Partie civile.
• Audition de madame Chantal MUKAMUNANA, rescapée. Partie civile.
Audition de monsieur Philippe NTETE, rescapé. En visioconférence du Rwanda.
Ce que je voudrais dire à la Cour, c’est que j’aurai un bref témoignage à lui donner. Ce que j’aurai à
dire, ce sont les faits qui ont eu lieu et qui ont commencé le 7 avril 1994. C’était effectivement à l’aube
de cette date du 7 avril 1994. J’ai allumé Radio Kenya. Cette radio a dit que le président du RWANDA,
HABYARIMANA, ainsi que le président du BURUNDI, étaient morts. J’ai eu très peur et j’ai réveillé mon
épouse. Nous nous interrogions sur ce qui venait de se passer. J’ai allumé Radio Rwanda et j’ai
entendu qu’elle ne diffusait plus que de la musique classique. Ensuite, on a diffusé un communiqué qui
appelait tous les Rwandais à rester chez eux jusqu’à nouvel ordre. C’était un mercredi, nous sommes
donc restés à la maison.
Après, nous avons commencé à nous rendre derrière nos maisons et c’est ainsi que nous avons
constaté que beaucoup de réfugiés commençaient à venir en provenance de la commune de
MUDASOMWA, ainsi qu’ailleurs dans les environs de la ville de GIKONGORO. Le nombre a continué à
augmenter jusqu’au samedi, qui, je crois, était un 10 avril. Ce jour-là, notre préfet Laurent
BUCYIBARUTA a provoqué une réunion en présence du bourgmestre de la commune de NYAMAGABE,
ainsi que du commandant de la gendarmerie qui s’appelait SEBUHURA. À l’occasion de cette réunion,
le préfet Laurent BUCYIBARUTA a dit à tous les réfugiés qu’ils devaient descendre un peu plus bas à
l’école technique de MURAMBI. Il leur disait qu’ils devaient se rendre là car il y avait plus de places et
pour s’abriter. Ils seraient aidés., Mais les choses ne se sont pas passées comme on le leur avait dit.
À l’arrivée des réfugiés, j’étais présent, le bourgmestre SEMAKWAVU, ainsi que les conseillers de
secteurs ont recensé les réfugiés secteur par secteur, dans le but de leur donner de l’aide. En réalité,
c’était pour compter le nombre de ceux qu’ils allaient tuer. Après, ils ont commencé à tuer atrocement
les gens, et ont coupé les tuyaux d’eau. Immédiatement, les barrières ont été érigées. Ils se sont mis à
incendier les maisons des Tutsi et à manger leurs vaches. Ils se sont mis à tuer sur les barrières les Tutsi
qui affluaient sur le camp de MURAMBI. À ce moment-là, les massacres ont redoublé d’intensité. Ils
ont tué les gens, les Tutsi de tout âge : les vieux, les adultes, les femmes, les enfants et même les
bébés, sans épargner personne. Ils éventraient et tuaient aussi les femmes enceintes. Quand ça a
commencé, ils tuaient des gens à des barrières, mais à MURAMBI même, ils ne les avaient pas encore
tués. Sur le site, les gens ont commencé à mourir de faim et de soif. Les jeunes gens qui tentaient de
sortir de là pour puiser de l’eau dans la vallée étaient aussitôt tués. Les massacres ont continué à être
commis partout à des barrières.

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Les trois dirigeants suprêmes de ces massacres étaient ceux qui dirigeaient à la préfecture. Je parle du
préfet Laurent BUCYIBARUTA, du bourgmestre SEMAKWAVU, ainsi que du chef de la gendarmerie,
SEBUHURA. Il y avait, en outre, les responsables des attaques dans chaque cellule. Par exemple, dans
ma cellule, il y avait trois responsables de l’attaque : il y avait donc HAVUGA, Vincent de Paul
NSABIYERA qui était responsable de la région sanitaire, ainsi que David KARANGWA qui était greffier
comptable du tribunal du canton de NYAMAGABE. Il s’agit des personnes qui supervisaient les
attaques dans la commune de MURAMBI où j’habitais.
Les attaques ont continué jusqu’au moment où sont arrivés des assaillants qui allaient tuer tous les
réfugiés de MURAMBI. Je ne me souviens pas exactement de la date, probablement entre le 19 et le 21
avril. Durant cette nuit, vers 20H/21h je pense, ils ont encerclé tout le site de MURAMBI qui était
immense, et ils ont tué. C’était des Hutu qui portaient des feuilles de bananiers, et il y avait aussi
beaucoup de gendarmes. Ils ont encerclé le site en très grand nombre. Ils avaient des lances et des
machettes, des gourdins, des houes usées. Quant aux gendarmes, ils avaient des fusils. Mais je ne
pense pas qu’il s’agissait uniquement des gendarmes de GIKONGORO car ils était tellement nombreux
qu’ils pouvaient encercler le site.
Les Hutu qui avaient tué là-bas provenaient de toutes les communes voisines de NYAMAGABE, et ils
étaient très nombreux. Les réfugiés ont essayé de se défendre avec des morceaux de briques car les
travaux de cette école n’étaient pas terminés. Nous avons donc essayé de nous défendre. Mais nous
n’avons pas pu le faire car ils nous avaient enlevé les armes que nous avions prises en fuyant. Ils nous
avaient pris jusqu’au moindre petit bâton. Ils ont tué, tiré des balles, découpé et ce durant toute la nuit
jusqu’au matin. Vers 8h, ils étaient toujours en train de tirer en cherchant ceux qui n’étaient pas
complètement morts. Des jeunes élèves de l’école primaire avaient essayé de sauter pour s’enfuir, ils
les ont débusqués. Les tueurs cherchaient des enfants avec des chiens qui portaient leur matériel de
chasse. Ils ont tué, ils ont exterminé, et si je fais une estimation, environ quarante mille personnes ont
péri ce jour-là. Nous autres, les rescapés de ce carnage, ceux que j’ai pu identifier sont au nombre de
6.
Les massacres ont continué, ils ont poursuivi les rescapés à CYANIKA, à GIKONGORO, ils ont continué
à tuer. Ça a continué jusqu’à l’arrivée des militaires français et moi-même, j’ai été sauvé par ces
derniers. Mais, ce que je dirai, ce qui m’a affligé et qui me tient à cœur, c’est que je me suis réfugié
auprès des militaires français, et quand je leur ait dit que j’étais Tutsi et que je fuyais, ils ne m’ont pas
laissé monter dans leur véhicule. Près de là, il y avait une barrière, et même si le jour ne s’était pas levé,
si les tueurs Hutu étaient arrivés, ils m’auraient abattu sur place. Par contre, ils m’ont désigné un
endroit à environ 200 mètres où se tenait un militaire français et ils m’ont dit que ce dernier allait me
recevoir. Mais ils ne m’ont pas laissé rentrer dans leur véhicule et j’ai commencé à perdre confiance car
ils m’avaient laissé dans un piteux état. Je ne portais qu’une couverture sur moi. J’ai essayé de me
déplacer lentement et j’ai fini par arriver au militaire à la barrière. Ils m’ont aidé et m’ont donné des
biscuits que j’ai mangés. Ils m’ont donné à boire, et j’ai senti la vie me revenir. Je dirai que, malgré tout,
quoi qu’il en soit, ce sont les militaires français qui m’ont sauvé.

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Un autre élément qui m’a brisé le cœur, c’est que lorsque je suis arrivé au camp, comme je comprenais
un peu le français , ils m’ont pris avec eux pour me montrer un endroit où ils allaient secourir
quelqu’un. Nous avons passé des barrières sur lesquelles se tenaient des tueurs et ils ne leur faisaient
rien. Je me suis dit: « Mais ces militaires français qui viennent nous secourir, pourquoi ils n’empêchent
pas les tueurs de nous tuer ? » Je me pose encore aujourd’hui cette question. Lorsque nous étions au
camp, avec les militaires français, nous étions protégés. Nous étions deux catégories: il y avait des
tueurs qui venaient de partout pour se rendre au camp en fuyant le FPR [1] et il y avait des rescapés.
Nous avions peur, mais les militaires français nous ont gardés [2]. Ils nous ont déplacés pour nous
conduire dans la zone du FPR, dans la préfecture de BUTARE.
Comme il le fait lors de chaque audition, monsieur le président va poser des questions au témoin.

Site de Murambi vu de la Préfecture.

Président : Où était votre maison par rapport à l’école et aux barrières ?
Philippe NTETE : Je vous remercie Monsieur le président. J’habitais près de ce site, où ils nous ont tué,
à environ 300 mètres. En réalité, là où j’étais, il y avait deux barrières. Une était juste en face de l’entrée
principale du site où nous étions, et l’autre barrière était érigée au centre de négoce de KABEZA. La
barrière de KABEZA était effrayante. J’ai vu quelqu’un qui était mon voisin qui y a tué 99 personnes et
qui le reconnait lui-même. Il manquait une personne pour qu’il ait tué 100 personnes. Je le connais très
bien , il s’appelle Emmanuel NYIRIMBUGA. Ce massacre, il l’a commis à KABEZA. (NDR. Ce témoin

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devrait être entendu au cours du procès). Donc, ces deux barrières étaient situées près de mon
domicile. A la barrière située en face de l’école, on y a tué beaucoup de réfugiés.
Monsieur le président propose de projeter des photos qui sont au dossier D10384/74,75,80,82 et
84. Le témoin va être amené à les commenter.
Président : Vous nous confirmez que c’est bien la barrière de KABEZA ?
Philippe NTETE confirme.
Président : Où est-ce que vous habitiez par rapport aux barrières ? Aviez-vous une vue sur les
barrières ?
Philippe NTETE : J’habitais en haut, près de ce bois sur la colline.
Président : Ça veut dire que vous aviez une vue d’un côté sur l’école et de l’autre sur la route qui
menait à la barrière ?
Philippe NTETE : Je pouvais venir regarder, on ne m’avait pas encore pourchassé, puisque j’avais une
femme Hutu. Mais beaux-frères étaient des tueurs.
Président : On va y revenir. De votre maison, vous voyez la route qui mène à GIKONGORO et à
MURAMBI, ou bien il fallait vous déplacer pour voir ?
Philippe NTETE : En ce qui concerne la barrière de KABEZA, même si elle est située près de mon
domicile, je devais descendre pour y jeter un coup d’œil. En ce qui concerne l’école, de chez moi, on a
une vue claire.
Président (D10384/75) : Il y a des plots, et on indique que ces plots indiquaient là où il y avait la
barrière. Est-ce que ça correspond ?
Philippe NTETE : C’est vrai.
Président (D10384/80) : photo d’une fosse commune Pour accéder à cette fosse, il faut prendre le
chemin en direction du village de KABEZA. Pouvez-vous me dire si vous aviez connaissance de cette
fosse ?
Philippe NTETE : La fosse, je la connais bien. C’est dans cette fosse qu’ils voulaient me jeter. Je sais
même comment elle a existé et comment elle a été creusée. En réalité, cette fosse était une latrine qui
avait été creusée par un certain ALPHONSE qui travaillait à l’Electrogaz (certainement Alphonse
GASANA « BIHEHE », chef des Interahamwe – mentionné par Simon MUTANGANA). Il avait construit
près de là une maison. C’était un trou très profond, qu’il avait fait creuser à l’époque.
Président : ALPHONSE était un tueur, un Interahamwe [3] ?
Philippe NTETE : C’était un Interahamwe de renom, il portait l’uniforme des Interahamwe. Il tuait aussi
avec un fusil.
Président : Savez-vous ce qu’est devenu ALPHONSE ?
Philippe NTETE : Il a fui avec les autres, j’ignore l’endroit où il se trouverait, que ce soit au CONGO ou
ailleurs. Il était le chef des Interahamwe à GIKONGORO. Quand il a fait creuser cette fosse, c’est parce
qu’il savait ce qui allait arriver.
Président : La fosse, c’était pour sa maison ou dans le but de tuer des Tutsi ?
Philippe NTETE : Cette maison qu’il construisait, il ne l’a pas terminée et il n’allait même pas l’habiter
puisqu’il avait construit ailleurs. Je pense que c’était pour leurrer les gens et quand il a fait creuser
cette fosse, il savait pourquoi.
Président (D10384/82) : C’est la vue de la route pour aller à GIKONGORO, donc la vue opposée par
rapport aux précédentes photos. Reconnaissez-vous cette photo ?
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SOS Village Enfants aujourd’hui.
Philippe NTETE : Je reconnais cet endroit. Je pense qu’il y avait un établissement que l’on appelait
SOS Village Enfants.
Président : Est-ce que le village SOS Enfants était sur cette route entre la barrière de KABEZA et
GIKONGORO ?
Philippe NTETE : Je crois que c’est ça.
Président (D10384/84) : Vue sur la barrière de GAHUNZIRE, à l’entrée de l’école de MURAMBI. On voit
sur le côté une route qui va à KADUHA.
Philippe NTETE : Oui je vois bien l’endroit.
Président : Pouvez-vous confirmer qu’il y avait bien une barrière à cet endroit ?
Philippe NTETE : Je peux peut-être me tromper de quelques mètres, mais c’était par là.
Les parties n’ont pas d’observations à faire.
Sur questions du président, le témoin confirme qu’il habitait là depuis longtemps, qu’il était marié à
une femme hutu originaire de l’endroit et qu’ils avaient trois enfants.
Président : Comment ça s’est passé pendant la période du génocide ? Vous êtes toujours restés
ensemble ou vous avez dû vous séparer à un moment ?
Philippe NTETE : Le samedi, le 9 avril, lorsque les réfugiés sont venus à MURAMBI, c’est à ce momentlà que j’ai commencé à avoir peur. J’ai demandé à mon épouse ce qu’il y avait lieu de faire. Elle m’a dit
que ses frères allaient nous protéger. Le lendemain, le dimanche le 19 avril, tous les Hutu de cette
colline ont tenu une réunion près de mon domicile. Mes beaux-frères ont dit à mon épouse qu’il
n’était pas prudent que j’aille à cette réunion. Après un certain temps, ils ont envoyé des hommes me
demander d’aller à la réunion. J’ai eu très peur mais finalement j’ai pris mon courage à deux mains, une
arme, ma machette, et je suis moi aussi parti. Je me suis tenu debout près d’eux. Ils se sont scindés en
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deux groupes, soi-disant pour lutter contre l’arrivée des Inkotanyi [4]. Moi aussi, j’ai été placé dans une
équipe mais je les voyais murmurer entre eux et j’ai eu très peur. J’ai su qu’ils étaient en train de dire
qu’il fallait me tuer. Le soir, j’ai participé à la ronde: je marchais derrière eux. Partout où nous arrivions,
nous voyions qu’ils étaient en train de manger les vaches des Tutsi qu’ils avaient tuées. Ils
transportaient des tuiles des maisons de Tutsi qu’ils avaient déjà incendiées. J’ai eu peur et j’ai voulu
courir mais j’étais confiant à cause de la présence de mes deux beaux-frères. Nous sommes retournés
dans le centre de négoce de KABEZA.. J’ai vu SEBUHURA qui tenait une réunion. Il était en train de
gronder les participants en leur disant qu’ailleurs on avait « travaillé » et en leur demandant pourquoi
ils n’avaient pas encore « travaillé ». J’étais le seul Tutsi. Sur cette colline, aucun autre Tutsi ne vivait,
hormis deux vieilles femmes qui avaient survécu aux massacres de 63/64, génocide qui n’a pas été
reconnu.
Sur toute la colline que vous avez vu en photo, il n’y avait que moi et les deux vieilles veuves qu’ils ils
avaient tuées dont ils avaient pillé les biens et réparti leurs récoltes. En réalité, je faisais confiance à
mes beaux-frères, c’est-à-dire à la famille de ma femme. Ce jour-là, à la tombée de la nuit après la
réunion tenue par SEBUHURA, ils étaient trop nombreux, ils se sont tous retournés pour me regarder.
L’un des responsables des attaques, HAVUGA Frodouald, qui fut sous-préfet, m’a appelé seul et il m’a
dit: « Va là-bas dans la maison d’ALPHONSE et vois si à l’intérieur il y a des Inkotanyi ». En réalité, il
m’orientait là-bas pour qu’on me tue et me jette dans la fosse. Un Hutu m’a menacé de sa machette;
j’ai manié aussi la mienne pour lui faire peur. De là, j’ai pris mes jambes à mon cou et j’ai couru. Ils se
sont précipité à mes trousses mais j’ai été plus rapide qu’eux. J’ai couru pour me rendre à MURAMBI
sans regarder en arrière. Je suis passé par l’autre versant, pas par la barrière.
Président : Ça se situe combien de jours après l’attentat ?
Philippe NTETE : L’avion a été abattu le 6 avril, et ceci s’est produit aux alentours, entre le 10 et le 20,
lorsque qu’ils sont venus exterminer tous les réfugiés.
Président : Vous avez dit que vous connaissiez le préfet, dans quelles circonstances l’aviez-vous
rencontré avant le génocide ?
Philippe NTETE : Avant l’éclatement de la guerre, il faisait des réunions ordinaires avec la population
et je le voyais. Je l’ai rencontré à la réunion qui s’est tenue à TABA. À l’époque, c’était une réunion
ordinaire de la population qui parlait du développement et de la sécurité.
Président : Qu’est-ce qu’on disait à propos de la sécurité ?
Philippe NTETE : Le préfet BUCYIBARUTA disait aux gens comment ils allaient assurer leur sécurité et à
ce moment-là, le multipartisme avait commencé. Il y avait le brouhaha des partis politiques.
Président : À ces réunions, on parlait des Inkotanyi [5] ou des Inyenzi [6] ?
Philippe NTETE : Non, c’était avant.
Président : Cette réunion avant le génocide à TABA, c’était combien de temps avant le génocide ?
Philippe NTETE : Le préfet de GIKONGORO venait à peine d’arriver, c’était pour se présenter à la
population.
Président : Quel était son comportement, comment se présentait-il à la population ?
Philippe NTETE : En réalité, le préfet BUCYIBARUTA était quelqu’un de bien, c’était un homme qui
avait un bon comportement. Nous avions tous voté pour lui.
Président : C’est un homme en qui on avait confiance ?
Philippe NTETE : Beaucoup beaucoup, c’était un homme très bien avant.
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Président : Pendant le génocide, avez-vous eu l’occasion de voir le préfet ?
Philippe NTETE : Non, nous ne nous sommes jamais rencontrés. À ce moment-là, je ne voulais pas me
déplacer là ou des réunions se tenaient car j’avais peur.
Président : À un moment, vous parlez d’arrivée de réfugiés très nombreux qui sont allés dans les
écoles de GATYAZO. Que sont ces écoles ? Elles sont catholiques, elles dépendent de la cathédrale ?
Philippe NTETE : Oui, les gens sont venus de MUDASOMWA , et ils avaient trouvé refuge à l’évêché.
C’est l’évêque qui avait dit aux gens d’aller à ces écoles-là car leur nombre ne permettait pas de leur
trouver de la place dans la cathédrale.
Président : Ces écoles sont à côté ?
Philippe NTETE : Elles sont juste à côté.
Président : Ces écoles sont près de chez vous ou loin ?
Philippe NTETE : On les voit d’en face. Lorsqu’on revient sur notre colline, là où je vous ai montré,
c’est par là.
Président : Étiez-vous allé dans ces écoles ou avez-vous entendu ce qui se passait là-bas ?
Philippe NTETE : nous étions nombreux sur cette colline et nous voyions en face de nous ces réfugiés
qui se trouvaient dans les écoles. C’était tellement près que nous pouvions même entendre les vox des
gens qui s’y trouvaient ?
Président : Avez-vous souvenir d’instructions données à ces gens dans ces écoles ?
Philippe NTETE : Les instructions données à ces gens étaient de descendre vers l’école de MURAMBI,
qui était un grand établissement. Le nombre de réfugiés allait progressivement croissant, ils étaient
très nombreux. On leur disait que c’est à MURAMBI qu’ils allaient recevoir de l’aide et que d’ici-là on
n’allait pas les tuer car Laurent BUCYIBARUTA était quelqu’un de bon.
Président : Comment savez-vous que c’est Laurent BUCYIBARUTA qui parlait ?
Philippe NTETE : Nous étions là et tout le monde disait qu’une réunion du préfet à ces réfugiés allait
se tenir.
Président : Dans vos déclarations, une fois aux enquêteurs du TPIR [7] et une fois aux gendarmes
français, il a indiqué qu’on avait utilisé un mégaphone, est-ce le cas ?
Philippe NTETE : Oui, ils étaient nombreux, le mégaphone était utilisé.
Président : Pouvez-vous nous décrire comment les gens réfugiés à l’école se sont réfugiés à
MURAMBI ?
Philippe NTETE : Ils étaient en deux files indiennes très longues, les gendarmes qui marchaient sur le
côté les avaient alignés tels des écoliers. Les derniers étaient toujours à l’école au moment où les
premiers étaient déjà arrivés à MURAMBI.
Président : Vous souvenez-vous du jour où ça s’est produit ?
Philippe NTETE : Le 10 avril.
Président : Souvenez-vous d’autres fois où on aurait pu utiliser des mégaphones ?
Philippe NTETE : De ma cachette, j’ai eu à entendre le mégaphone dire aux gens d’avoir du courage
et du zèle pour se débarrasser de l’ennemi.
Président : Saviez-vous qui utilisait ce mégaphone ?
Philippe NTETE : Beaucoup de gens s’en servaient. Le mégaphone ne permet pas de bien reconnaitre
la voix.

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Président : Je rappelle que la première fois que vous êtes entendu, c’est en 1996 par les enquêteurs
du TPIR. Vous aviez dit que vous aviez entendu le préfet et le bourgmestre SEMAKWAVU dire aux Hutu
qu’ils soient courageux et qu’ils exterminent tous les ennemis, qui sont les Tutsi.
Philippe NTETE : Ils faisaient le tour des barrières.
Président : Quand vous êtes entendu par les gendarmes français en 2014, vous dites : « Non il faut
rectifier, le mégaphone n’a été utilisé qu’une fois. Comme je viens de le dire, qu’une fois le 10 avril pour
les réfugiés de l’école de GIKONGORO. En ce qui concerne ce que j’avais raconté pour la date du 12 avril,
le préfet et le bourgmestre étaient en contact avec les groupes de Hutu mais ils parlaient sans
mégaphone. J’ai pu voir leurs déplacements mais je n’étais pas avec eux pour témoigner de leur
discussion. J’imagine qu’ils les sensibilisaient à éliminer les Tutsi. Lorsque j’ai été entendu en 1996, c’était
encore chaud dans ma tête, et ce n’était pas la pure vérité, j’étais traumatisé ».
Philippe NTETE : Oui, c’est exact. À ce moment-là, quand nous étions interrogés, les rescapés
pouvaient raconter des choses comme s’ils avaient été témoins alors qu’ils les avaient entendues. Nous
étions encore perturbés au niveau de la tête, nous n’étions pas encore sûrs que nous allions survivre.
Pour ce qui concerne le mégaphone, il aurait été utilisé mais je ne confirme pas que c’est Laurent
BUCYIBARUTA ou SEMAKWAVU qui l’ont utilisé. Ce que je confirme est que lorsque le génocide était
en train d’être perpétré, le préfet, le bourgmestre et le commandant circulaient à des barrières quand
les massacres ont eu lieu, ils y portaient main forte.
Président : Pouvez-vous nous dire combien de fois vous avez vu, vraiment vu, le préfet à des barrières
et quelles barrières ?
Philippe NTETE : À MURAMBI je ne me suis pas approché de la voiture mais nous pouvions voir la
voiture du préfet, celle du bourgmestre ainsi que la Jeep du commandant passer par la barrière. C’est
d’ailleurs ce véhicule qui la plupart du temps passait par-là.
Président : Pouvez-vous nous décrire la voiture du préfet ?
Philippe NTETE : Si ma mémoire est bonne, c’était une 305 ou 304 de couleur blanchâtre.
Président : Quand avez-vous rejoint le camp de MURAMBI ?
Philippe NTETE : Je suis arrivé avant, tout au début, quand les réfugiés venaient de GATYAZO.
J’apportais du thé à ma sœur et à mon beau-frère que je ne trouvais pas parmi ces réfugiés-là. Le thé,
je l’ai donné à d’autres gens même s’ils n’ étaient pas là car je ne les trouvais pas. Je suis retourné chez
moi
Président : Que pouvez-vous nous dire des conditions de vie à MURAMBI ?
Philippe NTETE : Beaucoup de gens, des enfants, commençaient déjà à mourir de faim et de
déshydratation. Ils ont été enterrés sur place. On avait coupé l’eau. Personne ne pouvait aller acheter
de quoi cuisiner à la boutique tout près. Un seul homme courageux, Samson GASARAZI, permettait
aux gens de se nourrir.
Président : Vous avez aussi indiqué dans votre déclaration que des gens sont morts de maladies. Il y
avait la possibilité de recevoir des soins à MURAMBI ?
Philippe NTETE : Beaucoup sont morts de maladies : dysenterie, malaria… Certains sont arrivés
malades et sont morts sur place
Président : Vous souvenez-vous si, avant l’attaque, il y a eu des fouilles à l’école de MURAMBI ?
Philippe NTETE : Nous nous défendions des attaques avec des morceaux de briques, presque tous les
jours.
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Président : Tout à l’heure vous aviez dit que vous aviez pris tous des morceaux de bois, de briques
pour vous défendre. Est-ce que des gens sont venus prendre ces armes, ces bâtons ?
Philippe NTETE : J’ai vu cela le jour de l’arrivée, le samedi 10 avril 1994, les conseillers et le
bourgmestre sont passés par ces gens, ils on tout pris: bâtons, machettes, même les cannes des vieux.
C’est à ce moment-là qu’on a ordonné qu’on se regroupe secteur par secteur.
Président : S’agissant des attaques, vous avez dit qu’il y a eu une grande attaque mais il y a eu des
attaques avant. Vous aviez indiqué dans des dépositions que vous ne vous rappeliez pas s’il y avait des
autorités (D10665).
Philippe NTETE : Je pense que c’était le colonel SIMBA [8] car il venait souvent.
Président : Où est-ce que vous avez vu le colonel SIMBA ?
Philippe NTETE : Cette nuit-là, personne ne pouvait voir. J’ai reconnu aussi certains visages de
gendarmes de GIKONGORO.
Président : S’agissant de gendarmes, souvenez-vous combien de gendarmes étaient chargés de
garder, de protéger les réfugiés à MURAMBI ?
Philippe NTETE : Il n’y avait pas de gendarmes à MURAMBI.
Président : Vous n’en avez pas vu ?
Philippe NTETE : Non. Par contre, quand les gens venaient vers MURAMBI, il y avait des gendarmes
tous les 10 mètres.
Président : S’agissant de votre famille, vous avez indiqué dans votre déposition que votre mère était
morte à RWAMIKO. Vous avez perdu des frères et sœurs, notamment GATETE et ses enfants qui ont
été tués à MATA. C’est là où il y avait une usine à thé ?
Philippe NTETE : Oui.
Président : Pouvez-vous nous raconter la mort de vos parents ?
Philippe NTETE : Normalement, je suis originaire de cet endroit-là, de MATA. A GIKONGORO, j’étais
venu pour des raisons professionnelles. Donc, ils ont été tués et ont perdu la vie dans notre localité
natale. Ma soeur avait épousé un homme de KIBEHO. Elle a été tuée en même temps que toute sa
famille, son époux et ses enfants ont été tués dans l’église de KIBEHO.
Président : Qu’est-ce que vous avez appris ?
Philippe NTETE : J’ai appris ce qui s’était passé à KIBEHO après la guerre quand je cherchais à
savoir. Ce sont des rescapés de là qui me l’ont dit.
Président : Quand vous étiez à MURAMBI, est-ce qu’on parlait déjà de ce qui s’était passé à KIBEHO?
Philippe NTETE : Oui, on en parlait et c’est là que des massacres d’une grande envergure ont été
commis, les premiers supervisés par Damien BINIGA, sous-préfet de MUNINI.
Président : Si j’ai bien compris vos déclarations, vos trois enfants ont survécu ?
Philippe NTETE : Oui.
Président : Donc, ils ont été caché par votre belle-famille, la famille de votre épouse ?
Philippe NTETE : Mon beau-père qui est allé habiter à la région du BUGESERA avait épousé une autre
femme mais ma belle-mère était une vieille femme qui habitait là-bas à MURAMBI et j’étais là avec
cette belle mère qui avait vieilli. Cette vieille n’a eu de cesse à les protéger ainsi que ma femme, elle
leur donnait de l’argent pour qu’on ne les tue pas. Mais tous les jours, il y avait des attaques jusqu’au
moment où mon beau-père revienne de BUGESERA et quand il est arrivé il a demandé à mes enfants
de qui ils étaient, ils ont répondu qu’ils étaient de ma femme. C’était un homme courageux que tout le
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monde craignait sur la colline lorsqu’il en habitait toujours et il a dit que quiconque allait tuer les
enfants il les tuera aussi.
Président : Vous avez dit que parmi vos beaux-frères, certains étaient des tueurs ?
Philippe NTETE : Ils étaient des tueurs de renom.
Président : Est-ce que vos beaux-frères ont participé à l’attaque de MURAMBI ?
Philippe NTETE : Oui, beaucoup, beaucoup.
Président : Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?
Philippe NTETE : Je voudrais ajouter ceci à ma déclaration : ceux qui nous ont fait du tord se trouvent
dans tous les pays, y compris dans le vôtre, en Europe. Ils nous ont fait beaucoup de mal alors que
nous étions des frères. Ce que je vous demanderai, honorable monsieur le président et vous autres
honorables, c’est qu’il y ait une vraie justice qui rétablisse les gens dans leur droit. Je demanderai que
toute la communauté internationale dans son ensemble fasse tout ce qui est dans son pouvoir pour
contrecarrer ce génocide.
QUESTIONS :
Assesseur 3 : Vous avez parlé d’un certain Alphonse, pouvez-vous nous donner son nom ? Et est-ce
qu’il travaillait pour Électrogaz ?
Philippe NTETE : Je me rappelle juste son prénom, je me souviens juste qu’il était électricien.
Assesseur 3 : Un électricien n’est pas susceptible d’intervenir sur des canalisations d’eau ?
Philippe NTETE : Alphonse était électricien et le plombier s’appeler François.
• QUESTIONS DES PARTIES CIVILES :
Me TAPI : Tout à l’heure, vous avez dit que le préfet circulait d’une barrière à une autre avec le
bourgmestre et le commandant de gendarmerie : est-ce que vous avez une idée de ce que le préfet
faisait à chaque barrière ?
Philippe NTETE : Ce que je pense, même si je n’y étais pas physiquement, ce qu’il disait c’était
d’intensifier les tueries. S’il avait dit aux gens d’arrêter, ils auraient arrêté, mais au contraire partout où
il passait, les massacres s’intensifiaient.
Me TAPI : A vous entendre, le préfet circulait librement sans être inquiété. Dans le contexte qui était le
vôtre, pouvait-on s’imaginer que le préfet pouvait circuler sans s’inquiéter, est-ce que c’était lié à sa
qualité d’autorité ?
Philippe NTETE : Vous parlez de tranquillité? Non, car personne n’était tranquille vu les temps dans
lesquels nous vivions. Même les tueurs n’étaient pas tranquilles.
• QUESTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC :
Pas de question.

• QUESTIONS DE LA DÉFENSE :
Me LÉVY : Je voudrais être sûr de vos déclarations : sommes-nous d’accord pour dire que vous- même
n’avez pas vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Philippe NTETE : Pendant le génocide, non, je ne l’ai pas vu et j’ai seulement vu passer le véhicule.
Me LÉVY : Vous aviez dit qu’aux alentours du 10 avril, vous avez participé à des rondes, puis vous avez
été identifié comme Tutsi, vous avez cherché à rejoindre l’ETO

[9]

de MURAMBI, vous avez été

pourchassé par des personnes qui voulaient vous tuer et vous avez réussi à atteindre l’école de
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MURAMBI. Est-ce qu’on est d’accord, qu’à ce moment là, vous êtes protégé à l’école de MURAMBI de
ceux qui veulent vous tuer ?
Philippe NTETE : Je me suis mis avec les autres et nous avons essayé de nous défendre, nous savions
tous que nous allions mourir.
Me LÉVY : On est d’accord pour dire que quand vous arrivez à MURAMBI, vous échappez à des
personnes qui veulent vous tuer ?
Philippe NTETE : Oui.
Me LÉVY : Et qui vous protège au moment où vous arrivez à MURAMBI ?
Philippe NTETE : C’est un chemin de croix, par les buissons, par la forêt, par les cours d’eau, les
maisons en ruine ou en construction, ça a été un chemin de croix que je ne peux pas raconter.
Me LÉVY : J’aimerais juste rajouter : lecture de D10375/5.
Vous souvenez-vous maintenant d’avoir été protégé par les gendarmes ?
Philippe NTETE : Au début, les gendarmes circulaient sur le site mais après ils sont partis.

Audition de madame Hildegarde KABAGWIRA, rescapée. Partie civile.
« En 1994, j’habitais la préfecture de GIKONGORO, je travaillais dans le Projet de Développement
Agricole de GIKONGORO (PDAG). À l’époque, j’avais mon mari, trois enfants et j’étais enceinte. Mon mari
s’appelait KALISA François et travaillait avec moi au PDAG. Il était orphelin, son père ayant été tué dans
un génocide qui n’a jamais été reconnu en 1963. Mon beau-père a été tué le jour de Noël en rentrant de
la messe avec mon mari à ses côtés. KALISA vivait toujours avec cette blessure qui ne le quittait pas. Les
gens le narguaient en le qualifiant de « méchant » car il avait vu mourir son père. Après l’assassinat de
mon beau-père, on a détruit leur maison, on a mangé leurs vaches. On leur a fait subir les pires
traitements que l’on peut imaginer. Les tueurs, nos voisins, n’ont jamais été sanctionnés.
En 1973, mon mari a été renvoyé de l’école, victime du fait d’être Tutsi, sans qu’il n’ait commis aucun
autre fait répréhensible. Il a eu la chance, après 1973, et après la prise du pouvoir par HABYARIMANA,
d’être réadmis à l’école. Il a étudié mais quand il est arrivé en 5ème année du secondaire; il a été de
nouveau renvoyé. Il a essayé d’entrer à l’armée de l’époque mais il venait à peine d’y passer un an et
demi qu’il a été renvoyé. J’ai commencé à travailler au PDAG et je l’ai rencontré. Nous sommes devenus
collègues puis nous nous sommes mariés. Il me racontait tout le temps son chagrin. »
Le témoin rappelle alors la politique des quotas qui éloignait la plupart des Tutsi de l’école et des
métiers de l’administration. Elle évoque ensuite l’attaque du FPR [10] en octobre 1990. Dès lors, leurs
collègues ne leur parlaient plus. Cette ambiance a duré jusqu’en 1993. Puis de parler de l’assassinat du
responsable de la CDR [11], BUCYANA, en plein jour, à MBAZI, tout près de BUTARE. C’était en février
1994. Le mari du témoin est soupçonné d’avoir informé les tueurs sur les déplacements de la victime.
« Nous avons continué à vivre cette mauvaise vie jusqu’à l’annonce de la chute de l’avion du président
HABYARIMANA, que nous avons apprise un jeudi à l’aube. La peur avec laquelle nous vivions depuis
plusieurs années s’était accentuée et nous nous demandions ce que nous allions faire. Nous sommes
restés sur place ne sachant pas quoi faire. Le vendredi matin, nous avons vu les maisons brûler et les
Tutsi partir avec le bétail et les enfants. Nos proches parents sont venus à la maison en nous disant qu’ils

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étaient dans un camp à MURAMBI et en demandant de quoi manger et des couvertures. Ils nous
demandaient de venir à MURAMBI, mais nous avons refusé, les événements n’ayant pas encore atteint
GIKONGORO. Le vendredi soir, un communiqué radiodiffusé a fait état que les gens pouvaient sortir faire
des courses. J’étais vétérinaire, le samedi était jour de marché et comme à l’accoutumée les bouchers
m’ont demandé d’aller examiner la viande. Je suis partie tôt le matin en motocyclette. Je suis arrivée à la
place du marché, à environ 2km de chez moi. J’ai trouvé que la situation n’était plus la même, que les
gens me criaient dessus, les bouchers n’ont été d’aucune aide. Les gens du marché ont continué à
m’intimider en me désignant comme Inyenzi [12].
J’ai alors aperçu la voiture du préfet qui passait. Il s’est arrêté. À cette époque, j’étais la seule femme à
GIKONGORO qui roulait en moto. Il m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai expliqué que j’étais
vétérinaire et que je devais examiner la viande. Il m’a dit : « Tu n’as pas entendu ce que la population a
dit ? Elle ne veut pas de toi, rentre. » Il m’a demandé où j’habitais. Je lui ai dit que j’étais de chez KALISA,
mon mari. Il m’a dit que je devais demander à ma famille d’aller à MURAMBI où ils allaient assurer notre
sécurité. Je suis tout de suite rentrée et mon mari a dit que j’étais chanceuse d’être en vie. Nous n’avons
pas passé la nuit à la maison. J’habitais une colline où tous étaient Tutsi, sauf un voisin. Nous avions tous
peur et nous avons tous passé la nuit dans les brousses. J’étais enceinte et j’ai souffert de dormir en
dehors de la maison.
Un voisin nommé GATERA et sa femme ont tenté de chercher des solutions pour que je cesse de dormir
dehors et sont allés demander des conseils à un prêtre ami de la famille.. Cette femme avait un frère qui
travaillait à l’Economat général de BUTARE. Le prêtre a accepté de nous prendre dans sa chambre. Mais
nous ne sommes pas restés longtemps car nous avons été obligés de quitter cet endroit. On avait dit à
tout le monde d’aller à MURAMBI. Il a été su que nous aussi nous étions chez le prêtre et de nouveau il y
a eu une autre intervention du préfet: on nous a chassé de là.
Nous sommes toutefois restés là, ne sachant pas où nous rendre, aucun Tutsi habitant notre colline
n’était encore allé à MURAMBI. Notre vieux voisin Hutu nous a avertis que nous allions être attaqués et
nous avons décidé de nous protéger et d’aller dormir quelque part dans notre maison en construction
tout près de là. Elle était grande, tous les Tutsi de la colline y ont passé la nuit. Vers l’aube, alors que le
jour allait se lever, l’attaque est arrivée et on nous a lancé des grenades. Parmi les blessés de cette
attaque, il y avait ce voisin qui était gravement touché au ventre. Un un ami locataire avait un tibia
cassé en deux. Nous avons attendu que le jour soit levé. Le préfet Laurent BUCYIBARUTA et son fils sont
venus chez nous. Le préfet nous a demandé pourquoi nous n’avions pas rejoint les autres à MURAMBI. il
m’a demandé où était mon mari: il le soupçonnait d’avoir lancé lui-même les grenades. Nous tentions
d’expliquer ce qui s’était passé mais nous voyions qu’ils ne voulaient rien entendre. Il a fallu réfléchir à
comment transporter les blessés à l’hôpital, car nous n’avions personne pour conduire. Nous avons
finalement trouvé quelqu’un pour les emmener à l’hôpital de KIGEME. Nous sommes arrivés à l’hôpital
de KIGEME et là encore, on envoyait des réfugiés à MURAMBI. L’hôpital était rempli de malades et de
réfugiés. Les blessés étaient trop gravement atteints, il fallait les transporter à BUTARE. Le préfet Laurent
BUCYIBARUTA était là mais je ne sais pas ce qu’ils ont dit avec le directeur.
Nous sommes partis à bord d’une ambulance. Arrivés vers un rond-point, j’ai vu une camionnette remplie
de gendarmes qui me connaissaient en ma qualité de vétérinaire. Même s’ils me connaissaient, ils ne
s’étaient jamais imaginés que j’étais Tutsi. Le capitaine SEBUHURA était là. Je l’ai supplié de nous venir
en aide car ma maison brûlait. Il m’a dit que selon les informations qu’il avait, c’était le domicile de
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KALISA qui brûlait. Quand je lui ai appris que KALISA était mon mari, il a été étonné et surpris, comme
s’il avait été attristé que mon domicile brûle.. Tout cela s’est passé avant 11 heures.
Par hasard, j’ai vu arriver Laurent BUCYIBARUTA et s’entretenir avec SEBUHURA. Ce dernier a dit que je
pouvais partir avec les gendarmes. Je suis montée avec eux et ils m’ont déposée chez moi. Nous sommes
arrivés près de la maison et ils ont vu que mon domicile brûlait. Je me suis rendue chez Damien, mon
voisin Hutu, en trompant la vigilance des gendarmes et je lui ai demandé ce qui était arrivé aux
personnes qui étaient dans ma maison. Il m’a dit que tous étaient allés à MURAMBI et que mon mari
était allé ailleurs. Je suis restée jusqu’à que tous soient partis. Moi aussi, j’ai voulu savoir comment aller à
MURAMBI, car pour moi, arriver à MURAMBI, c’était comme arriver au paradis. J’ai essayé d’aller à
MURAMBI, mais j’ai échoué.
Je me suis rendue sur la route asphaltée et j’ai trouvé le chef du PDAG, RUHIGANA Vénuste, dont
l’épouse était Tutsi. Ils se sont arrêtés tout de suite, et m’ont demandé ce que je faisais là. Il m’a fait
monter dans le véhicule m’a conduite jusqu’à BUTARE à KARUBANDA. Je me suis installée chez des amis,
et j’y ai passé une nuit. Mais ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas m’héberger davantage car j’étais une
Inyenzi. Je suis allée à l’hôpital de BUTARE voir les malades déposés la veille et j’ai vu qu’ils avaient été
accueillis et recevaient des soins. J’ai décidé de rester là. »
Le témoin va errer dans la ville de BUTARE pour arriver à la CARITAS où des jeunes vont l’aider à se
faire établir une carte d’identité avec la mention « Hutu ».
Le témoin va alors raconter longuement son retour à GIKONGORO, au milieu des embûches. Elle doit
éviter les nombreuses barrières érigées sur son chemin.
Madame KABAGWIRA revient sur un épisode dont elle a oublié de parler. Lors de son séjour à BUTARE,
enceinte, elle avait pris la décision d’aller revoir son gynécologue, Sosthène MUNYEMANA [13]. Cela ne
s’est pas bien passé. Elle s’est alors rendue là où le médecin avait l’habitude de recevoir ses
patients. « Je l’ai attendu naïvement avec d’autres patientes, pensant qu’il allait nous soigner comme
d’habitude. Mais nous avons été surprises car, quand il est arrivé, il n’était pas comme avant: il portait
une arme à feu au niveau de sa cuisse et nous a demandé ce que nous faisions là. Il nous a demandé de
partir et il est ressorti en prenant un objet qui ressemblait à un fusil. »
Arrivée chez un certain KUBITO Pie, son hôte lui a dit comment KALISA avait été battu à la brigade. Ses
dires confirmaient ce que sa sœur lui avait raconté. « Je vous rappelle que mon mari avait été emmené
par Laurent BUCYIBARUTA. Un jeune homme, Anastase, nous a révélé aussi avec beaucoup
d’enthousiasme comment on avait tué à MURAMBI, comment la tête de mon mari avait été mise à
prix ».
Après un véritable chemin de croix qui va durer de longues semaines, Hildegarde va finalement
pouvoir rejoindre une partie de sa famille à KIGALI. Le 2 octobre, elle va donner naissance à DARIUS, le
fils qu’elle avait porté pendant tout le génocide. Elle restera là jusqu’en mars 1995. Elle ne reprendra
son travail qu’en août de la même année.
« Mon enfant a grandi et me posait des questions. Dans un premier temps, c’est moi qui était perturbée.
Aujourd’hui, cet enfant est en train de vivre le génocide. Ce jeune homme de 28 ans est fort perturbé. Je

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ne lui suis d’aucune aide. Il me demande comment sont morts mes autres enfants. Je lui explique
comment est mort son papa. Nous vivons dans un chagrin perpétuel. »
Suivra la série traditionnelle des questions. Le témoin rapporte ce qu’on lui a dit de la mort de son
mari. Elle cite le nom de ses enfants et des personnes de sa famille qui ont trouvé la mort à MURAMBI.
D’évoquer aussi, sur questions du président, la connaissance qu’elle avait du préfet.
Le président: Vous aviez confiance en lui ?
Madame KABAGWIRA: Nous n’avions confiance en personne qui faisait partie du MRND, c’était le
parti au pouvoir. Depuis l’attaque du FPR, ils nous avaient montré de quel côté ils étaient. Les Tutsi
n’étaient pas vus d’un bon œil.
Le Président : vous saviez que le préfet avait une épouse Tutsi ?
Madame KABAGWIRA: : tous les hommes puissants du RWANDA avaient des épouses Tutsi et
pourtant c’était des léopards. Même KAYIBANDA qui haïssait profondément les Tutsi [14] avait une
femme Tutsi.
Le Président : si je comprends bien, les voisins Hutu que vous connaissiez bien sont venus vous
attaquer?
Madame KABAGWIRA: : vous savez, au RWANDA on leur a longtemps enseigné à haïr les Tutsi, les
voisins ont radicalement changé. Je ne pense pas que quiconque originaire de GIKONGORO aurait
caché mon mari. À GIKONGORO, il y avait déjà eu un génocide pas reconnu par la communauté
internationale en 1963.
Le Président : vous dites qu’en 1963 des gens sont tués dans le cadre d’un génocide « non reconnu »
comme vous l’appelez et ces gens-là n’ont jamais été punis ?
Madame KABAGWIRA: c’est ce que je dis. J’ai dit que même mon beau-père a été tué en plein jour
après la messe. Il n’a pas été le seul, beaucoup ont été tués. C’était un jour de Noël.
Le Président : vous avez été caché par un prêtre dans une église ?
Madame KABAGWIRA: : oui. Il s’appelait Irénée NYAMWASA, il était Tutsi. Il est mort. On dit qu’il a
été dénoncé par l’évêque MISAGO [15].
Le Président : pourquoi la tête de votre mari a été mise à prix, il avait un rôle particulier?
Madame KABAGWIRA: : jusqu’à aujourd’hui, si vous avez la chance d’auditionner des témoins de la
ville de GIKONGORO, on vous dira que KALISA était détesté par les Hutu mais je ne sais pas pourquoi.
Le capitaine SEBUHURA le haïssait beaucoup. Au point où KALISA pensait que ce serait le seul à mourir
et que nous survivrions. Je pense que c’est parce qu’on avait tué son propre père devant ses yeux
qu’on disait qu’il était méchant. Alors que ceux qui avaient tué son père n’ont jamais été poursuivis,
c’était nos voisins pendant toutes ces années. Je pense que c’est ces voisins qui faisaient de la
propagande.
Le Président : je pense qu’à ce stade, il me semblerait utile que je puisse donner la parole à l’accusé
pour entendre ce qu’il a à dire.
Réaction de Laurent BUCYIBARUTA : je viens d’écouter le récit du témoin et j’ai étendu certaines
choses. D’abord elle a utilisé un mot qui convient à une citation qu’elle a vécue : un chemin de
croix. Pour une dame enceinte et qui a vécu beaucoup d’évènements et a entendu beaucoup de
choses depuis longtemps, je comprends qu’elle le désigne ainsi. Je souhaite qu’elle puisse être aidée.

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Elle relate des événements ou des faits dont j’ai eu connaissance et c’est pourquoi dans un souci de
clarté, je voudrais apporter des précisions concernant le transfert des blessés qui étaient dans la
grande maison de son mari. C’est moi qui les ai conduits à l’hôpital de KIGEME où ils ont été pris en
charge par le docteur.
Pourquoi suis-je allé dans cette maison? C’est parce qu’à mon domicile quelqu’un a téléphoné pour
dire qu’il y avait un lancement de grenade non loin du rond-point de GIKONGORO. Comme j’ai été
sollicité, j’y suis allé avec un gendarme, j’y suis allé moi-même et j’ai conduit les blessés à KIGEME car
ils étaient dans un état grave. Je n’ai pas posé de questions sur les grenades car la personne qui avait
téléphoné n’a pas dit qui avait lancé la grenade. Le docteur m’a demandé de trouver un véhicule pour
emmener les blessés à BUTARE et il m’a promis de les accompagner avec un véhicule que j’ai
réquisitionné. J’ai demandé au major Christophe de me donner des gendarmes.
Je n’ai jamais conduit son mari à la brigade car dans mon existence, dans mes fonctions de préfet, je
n’ai jamais procédé à des arrestations. J’ignore si son mari a été conduit à la brigade.
Elle dit qu’elle a été logée à la paroisse de GIKONGORO par le curé? Il était curé de MUBUGA et est
arrivé à GIKONGORO pour se réfugier. Madame le témoin a raconté son histoire comme elle l’a
imaginée mais je ne peux pas m’empêcher de préciser les faits que je connais.
Madame KABAGWIRA:: je n’ai jamais dit qu’il était le curé de la paroisse.
Le Président : M. Laurent BUCYIBARUTA, vous connaissiez la partie civile et son mari ?
Laurent BUCYIBARUTA : je ne les connaissais, pas personnellement mais je les connaissais car il
arrivait que j’emprunte un véhicule au PDAG et son mari était chauffeur. Une fois il m’a conduit. Je
connais madame car elle est originaire du même endroit que moi.
Le Président : donc vous la connaissiez mais ne le montriez pas. La partie civile dit qu’elle vous a
rencontré le 9 avril quand vous lui avez dit de se rendre à MURAMBI. Vous souvenez-vous de cet
événement du 9 avril où vous lui auriez dit d’aller à MURAMBI ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le 9 avril c’était un samedi, je ne connais pas d’évènement particulier mais le
camp de MURAMBI a été ouvert le 10 et la décision a été prise le 10 au soir, donc je ne pouvais pas le
dire si le site n’était pas ouvert aux réfugiés.
Le Président : Donc ceux qui parlent du 9 avril se trompent ?
Laurent BUCYIBARUTA: Oui.
Le Président : d’accord, je note simplement que vos souvenirs divergent.
Laurent BUCYIBARUTA hausse les épaules et reste silencieux.
Le Président au témoin : Vous avez eu l’occasion d’aller à Murambi, vous avez pu retrouver les traces
de vos proches ?
Madame KABAGWIRA: Je ne me rappelle plus si c’était en 1995 ou 1996, à la première
commémoration du génocide au Rwanda. À cette époque, on m’a donné un véhicule pour que j’y aille.
Quand j’étais sur place, j’ai perdu la raison, je me suis évanouie. Cela m’est arrivé quand je suis arrivée
dans la pièce où il y avait le corps des enfants. Je me suis octroyée un temps de repos et je ne suis plus

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jamais retournée à Murambi, j’ai eu peur d’y retourner. Je n’y suis retournée que vers 2006. Même
aujourd’hui, quand j’y vais, je ne peux pas aller là où se trouvent les corps des enfants.
Le Président à l’accusé : quand est-ce qu’on vous prévenait quand on arrêtait des gens ? Avez-vous
su si KALISA a été emmené à la brigade?
Laurent BUCYIBARUTA: KALISA est resté à la maison. Je ne sais rien de lui. Je n’étais pas informé de
toutes les arrestations. On m’informait quand un mandat d’arrêt était délivré, comme dans le cas des
prêtres.
Madame KABAGWIRA: : il ment, dire qu’il me connaissait comme une personne originaire du même
lieu que lui! Nous avons une grande différence d’âge. Il pouvait me connaitre, je pense, car j’étais la
seule femme qui pilotait une moto. Dire qu’il connaissait KALISA! Je pense qu’il le connaissait comme
une personne qui devait être tuée. Il conduisait des camions pas des véhicules légers. Il a conduit une
fois un dirigeant. Une fois muté ailleurs il n’a jamais conduit un petit véhicule et je pense qu’il n’a
jamais croisé le préfet. Il devait le connaître autrement, d’une mauvaise manière, car tous les Hutu
haïssaient KALISA.
Maître FOREMAN: J’aimerais simplement souligner qu’en procédure, lors de l’interpellation d’un
voleur de moto en 1993, Laurent BUCYIBARUTA avait été prévenu et avait envoyé un télégramme.
Questions des Parties civiles.
Maître FOREMAN : j’ai compris que vous avez voulu aller à MURAMBI, mais d’abord vous avez essayé
de vous cacher ailleurs pourquoi?
Madame KABAGWIRA: Ce n’est pas moi seule qui ne voulait pas, je vous ai dit qu’il y a des gens de la
famille de mon mari qui habitaient à GATABA et qui sont venus demander de la nourriture et de quoi
se couvrir. Dans ces conditions de vie pénibles, on n’allait pas quitter nos conditions de vie.
Maître FOREMAN : Laurent BUCYIBARUTA était-il protecteur ? A-t-il essayé de calmer les choses ?
Madame KABAGWIRA: Les autorités n’ont jamais voulu montrer qu’il y avait des problèmes. Elles
voulaient nous faire croire que MURAMBI était sûr. Je ne l’ai jamais vu comme un protecteur, c’était
une façon déguisée pour nous rassembler.
Maître FOREMAN : dans l’épisode où votre maison brûle et au rond-point, vous avez croisé le
capitaine SEBUHURA et Laurent BUCYIBARUTA. Avez vous observé qu’ils étaient ensemble, qu’ils se
connaissaient-ils ?
Madame KABAGWIRA: Ils se connaissaient parce qu’ils travaillaient ensemble mais je ne sais pas ce
que je peux dire, c’était des collaborateurs.
Maître FOREMAN : ils discutaient ensemble ?
Madame KABAGWIRA: La première fois, c’était une camionnette remplie de gendarmes, je ne sais
pas où elle allait. Avec SEBUHURA, on se connaissait bien et j’ai arrêté le véhicule. Il ne pensait pas que
j’avais une relation avec KALISA. On a vu arriver Laurent BUCYIBARUTA.
Maître FOREMAN : Laurent BUCYIBARUTA prétend depuis le début du procès qu’il ne connaissait pas
SEBUHURA et qu’il ne connaissait que son supérieur, le major, alors que vous venez de dire qu’ils se
connaissaient et discutaient comme « collaborateurs » comme vous l’avez dit, et cela pourrait
intéresser la Cour.
Madame KABAGWIRA: Les gens du Nord avaient une influence capitale, SEBUHURA venait du nord
aussi. Quant au major, il venait de CYANGUGU. Mais celui qu’on craignait, c’était SEBUHURA. C’était
lui qui donnait des ordres.
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Me GISARAGA : Laurent BUCYIBARUTA vous a dit que vous avez reçu un appel anonyme, votre
interlocuteur vous a-t-il dit pourquoi il avait été attaqué ?
Laurent BUCYIBARUTA : il ne s’est pas identifié, il n’a pas dit qui avait lancé une ou plusieurs grenade
et n’a pas décrit les circonstances, son objectif était de demander des secours.
Le Président : vous avez répondu ?
Laurent BUCYIBARUTA: Oui, c’était à mon domicile, avant d’aller au service.
Maître GISARAGA : Il vous arrivait souvent de prendre des appels anonymes que vous preniez au
sérieux?
Laurent BUCYIBARUTA : un appel comme celui-là ce n’est pas anodin, si je peux porter secours, je
dois porter secours. En plus, cela rentre dans mes responsabilités en tant que préfet.
Maître GISAGARA : est-ce que vous ne pensez pas non plus que cela rentre dans vos responsabilités
de savoir ce qui s’est passé ?
Laurent BUCYIBARUTA : le temps des enquêtes vient après, ce n’est pas moi qui mène les enquêtes
judiciaires. Nous étions dans une situation exceptionnelle. Dans cette situation, les autorités judiciaires
et autres ne fonctionnaient pas
Maître GISAGARA : je pense que c’est contradictoire. Si le système judiciaire fonctionnait
normalement, je comprends que vous laissiez faire mais si là on vous appelle personnellement, vous
n’êtes pas l’hôpital, vous ne cherchez pas à savoir ce qui se passe ?
Laurent BUCYIBARUTA : je vous donne un exemple. S’il y a un incendie, vous vous occupez d’abord
de l’incendie, le temps des enquêtes vient après.
Maître GISAGARA : je ne suis pas d’accord, il faut identifier la cause de l’incendie en même temps
pour éviter que cela arrive à nouveau. Vous ne cherchez pas à vous assurer que tout le monde soit en
sécurité ?
Laurent BUCYIBARUTA : non il y avait le service des enquêteurs
Maître GISAGARA : si vous dites que la gendarmerie ne marchait pas, le service des enquêtes non
plus. À qui revient la mission de l’enquête ?
Laurent BUCYIBARUTA : je ne dis pas que la gendarmerie ne marchait pas. Il y avait des effectifs
réduits à partir du 6. Le personnel était affecté à différents endroits. Le service des enquêtes ne
marchait pas non plus car les membres ne venaient pas.
Maître GISAGARA : je peux en conclure, qu’après, vous ne vous êtes pas du tout intéressé au sort de
Monsieur KALISA ?
Laurent BUCYIBARUTA : c’était le travail de ceux qui mènent les enquêtes ultérieurement. À ce
moment-là, la population était en fuite et le personnel qui pouvait mener des enquêtes n’était plus en
mesure de le faire.
Maître TAPI : M. BUCYIBARUTA a dit qu’il avait reçu un appel à son domicile le prévenant de cet
incident. Devons-nous comprendre qu’il sélectionnait les appels qu’il recevait ? Il a dit qu’il n’avait pas
le numéro de l’abbé Pierre NGOGA [16]. Concernant le fils du pasteur Faustin, il a dit qu’il ne savait pas
s’il avait téléphoné au travail ou à sa résidence.
Laurent BUCYIBARUTA : il faudrait être complet dans les questions. Pour l’abbé NGOGA, j’ai dit qu’il
n’y avait pas de téléphone à la paroisse de KIBEHO. Il n’a téléphoné qu’en arrivant à BUTARE. Ici j’ai
écouté cet appel et j’ai fait ce que j’avais à faire.

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Maître TAPI : vous écoutiez les messages qu’on vous laissait mais pas ceux du pasteur Faustin qui
vous appelait à l’aide, que ce soit à la préfecture ou à votre domicile?
Laurent BUCYIBARUTA : j’ai déjà répondu que je ne sais pas si le pasteur m’a appelé au bureau ou à
ma maison. J’ai répondu que je n’étais jamais rentré en contact avec le pasteur.
Questions du Ministère Public.
Le ministère public : François Xavier NZANZUWERA a évoqué ce lien entre les préfets et les
gendarmes. Dans ce genre de situation, ils travaillaient ensemble et le fait que vous alliez sur le
terrain, ça montre que vous étiez bien sur le terrain, vous n’êtes pas enfermé dans votre bureau?
Laurent BUCYIBARUTA : vous vous trompez. Quand on appelle, cela ne veut pas dire que le préfet
doit être au lieu où il y a la gendarmerie. Quand le commandant réquisitionne, c’est lui qui décide
d’envoyer ses effectifs comme il le sent. Le préfet ne contrôle pas les actions de la gendarmerie
Le ministère public précisant sa question: vous êtes appelé pour la commission d’un crime, vous
êtes préfet, vous n’êtes pas un service de secours. Vous êtes allés avec les gendarmes, cela laisse
entendre que vous avez un rôle opérationnel en cas de troubles, vous n’êtes pas enfermé dans votre
bureau.
Laurent BUCYIBARUTA : je pense que vous avez votre opinion, moi la mienne, c’est votre droit. Dans
ma fonction, j’avais des compétences étendues ou limitées, je connaissais ces limites.
Le ministère public : donc, quand il y a la commission d’un crime, vous vous déplacez sur site ?
Laurent BUCYIBARUTA : si un crime est commis, il doit être poursuivi par les autorités judiciaires, pas
par les autorités civiles.
Le ministère public : mais vous n’êtes pas autorité judiciaire, sauf erreur de ma part ?
Laurent BUCYIBARUTA : justement. C’est comme si vous me reprochiez d’être intervenu.
Le ministère public: je ne vous reproche rien du tout. Je souligne simplement le fait que depuis le
début vous refusez ce rôle opérationnel. Vous reconnaissez que vous n’êtes pas autorité judiciaire,
médecin, gendarme mais que vous vous rendez sur place pour gérer la situation.
Laurent BUCYIBARUTA : c’est comme ça, si je croise un blessé sur la route, je l’aide. Je dis que je suis
intervenu suite à un appel.
Parole est donnée à la défense.
Maître BIJU-DUVAL : Quand vous intervenez à côté de chez vous pour acheminer les blessés à
l’hôpital, c’est parce que vous êtes préfet ou parce que vous êtes un homme ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non seulement j’étais préfet mais en plus j’étais à côté.
Maître BIJU-DUVAL : M. Laurent BUCYIBARUTA, quand vous intervenez ce jour-là à proximité de chez
vous pour acheminer les victimes vers l’hôpital, vous intervenez en tant que préfet ou comme un
homme qui porte secours à ses semblables ?
Laurent BUCYIBARUTA : parce que je suis préfet et aussi parce que je dois porter secours à mes
semblables. Tout homme, à mon sens, doit porter secours quand il le peut, sans risquer sa vie luimême.
Maître BIJU-DUVAL au témoin : vous dites que vous auriez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA trois
fois le jour où votre mari aurait été emmené à la brigade. Vous nous avez parlé du 13 avril 1994. Êtesvous sûre de cette date ?

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Madame KABAGWIRA : je sais bien que c’était un mercredi, le 13
Maître BIJU-DUVAL : à quel moment de la journée ? Vous l’avez vu 3 fois ?
Madame KABAGWIRA: tout cela s’est passé avant 11h, je ne peux pas donner plus de précision.

Audition de madame Chantal MUKAMUNANA, rescapée. Partie civile.
« Mon témoignage se rapporte à la manière dont j’ai survécu au Rwanda pendant le génocide perpétré
contre les Tutsi.
Tour a commencé le 6 avril, après l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA. Aussitôt, les Tutsi
ont commencé à être tués là où j’habitais. Les maisons ont été pillées puis incendiées.
Le 9 avril, mes parents sont partis se réfugier à l’église catholique de GIKONGORO. Nous, les enfants,
nous sommes restés chez des voisins. Vivait là un Interahamwe [17] du nom de GASANA, surnommé « la
Hyène ». C’est lui qui nous gardait chez lui. Mais il m’a chassée, me disant d’aller rejoindre mes parents à
MURAMBI. Il me reprochait le fait que sa fille soit tombée enceinte! Mais mon frère et ma sœur sont
restés chez lui.
J’ai demandé qu’on me cache chez son frère, Évariste KABANDA. En arrivant, j’ai retrouvé ma grandmère et une de mes tantes. Ce voisin m’a accueilli ; il cachait trois autres personnes. Il aurait souhaité
que je parte à MURAMBI car il ne pouvait pas nourrir tout le monde. Comme il ne pouvait pas
m’accompagner, je suis restée là.
Le bourgmestre SEMAKWAVU circulait avec un mégaphone. Il demandait que les gens qui cachaient les
Tutsi devaient se dévoiler. Les Tutsi devaient se rendre à MURAMBI pour qu’on assure leur sécurité. »
Le témoin se rend alors à l’hôpital de KIGEME en compagnie de gendarmes mais revient chez elle. On
lui demande alors de rejoindre le groupe qui partait pour MURAMBI. On la met dans la file des
réfugiés, avec sa grand-mère et sa tante.
Beaucoup de Hutu disaient: « Ces Tutsi vont à MURAMBI. Ils ne reviendront que quand HABYARIMANA
sera revenu »!
A MURAMBI, nous avons rejoint un groupe arrivé avant nous et dont mon père faisait partie. Les gens
avaient faim et soif. L’eau avait été coupée, il fallait aller puiser dans la vallée. Nous devions nous faire
accompagner par des hommes car il y avait des attaquants partout. Certains d’entre nous mouraient,
les hommes se battaient. Devant cette situation, les hommes se sont concertés: il fallait avertir le
préfet.
Laurent BUCYIBARUTA est venu à MURAMBI pour s’enquérir de la situation mais la situation n’a pas
évolué. Pour pouvoir se procurer de la nourriture, des hommes partaient la nuit. Certains ne revenaient
pas.
« Les attaquants nous lançaient des pierres et nous nous défendions.
Plus tard, Laurent BUCYIBARUTA est revenu à MURAMBI. Il a rassemblé les gens mais je n’ai pas pu
participer à la réunion. Il est reparti et le 21 avril, nous subissions la grande attaque, vers 3 heures du

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matin. Nos parents sont venus nous dire au revoir car ils avaient vu les Interahamwe recouverts de
feuilles de bananier.
Lorsque les premières grenades ont été lancées, apeurée par le bruit, je suis montée à l’étage avec deux
garçons pour me cacher dans le faux plafond. Au petit matin, j’ai sauté. Je devais rejoindre les gens de
mon secteur de MUDASOMWA: nous devions partir à CYANIKA. Je me suis vêtue moi aussi de feuilles de
bananier.
Sur le chemin, nous sommes arrivés près d’une rivière qui était sortie de son lit. Des Interahamwe se
tenaient des deux côtés. Je suis tombée dans la rivière mais, par chance, elle m’a rejetée sur l’autre rive.
J’ai pu continuer ma route vers CYANIKA, affamée, les Interahamwe à mes trousses. J’ai rejoint ceux qui
m’y avaient précédée.
Arrivée à CYANIKA, j’ai retrouvé Agnès, une petite fille qui était aussi arrivée de MURAMBI. A une
barrière, j’ai vu un véhicule de gendarmerie avec SEBUHURA. J’ai entendu dire: « Frappez ces enfants,
tuez-les! » Je me suis mise à courir en direction d’une forêt et me suis cachée dans un buisson. »
Aux attaquants qui pillaient le couvent des religieuses, on a entendu dire: « Arrêtez de piller. Tuez
d’abord. »
« J’ai profité de l’absence des Interahamwe à une barrière pour m’échapper en direction du Centre. Je
suis tombée sur une nouvelle barrière: les tueurs avaient allumé un feu. Je suis alors allée me cacher dans
un champ de sorgho. Je suis restée là jusqu’à ce que les Interahamwe ne s’endorment. J’ai pu alors passer
en contournant la barrière. Je ne savais pas trop où j’allais. J’ai traversé un ruisseau pour arriver au
Centre de CYANIKA.
Il y avait des barrières partout. Arrivée à TABA, il y avait un centre commercial. Les tueurs, là aussi,
étaient endormis sur la barrière. Comme j’avais étudié à l’ACEPER [18], je suis allé voir une
monitrice ». Des gendarmes sont arrivés, ils cherchaient « une Inyenzi [19] cachée à l’intérieur ». Ils ont
fouillé « avec leurs lances sous le lit où je me cachais sans parvenir à m’atteindre ».
Le périple du témoin se terminera à MURAMBI où elle sera remise aux soldats français de l’Opération
Turquoise avant de repartir vers l’ONG « Terre des Hommes ».
Sur questions de monsieur le président, Chantal MUKAMUNANA cite les noms des victimes de sa
famille, dont son papa, Athanase MUNYANKINDI? sa tante Félicité TWAGIRAMARIYA et ses trois
enfants.
Le président voudrait savoir si la sœur du témoin, qui est restée cachée chez un certain BIHEHI, avait
eu la vie sauve en échange de faveurs sexuelles, Chantal répond par la négative. (NDR. Je pense que la
question n’était pas innocente quand on connaît le comportement des tueurs qui cachaient de jeunes
filles tutsi.)
Le témoin redit avoir vu Fidèle, le fils de Laurent BUCYIBARUTA, à une barrière. Mais il n’était pas armé.
Maître BIJU-DUVAL veut savoir comment le témoin s’est déplacée pour aller à MURAMBI. Elle doit
repréciser ce qu’elle avait déjà dit.
Une dernière question. L’avocat de la défense revient sur un témoignage du témoin versé au dossier
par maître PATRY, l’ancien avocat du CPCR (décédé depuis plusieurs années). Il voudrait savoir qui a

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recueilli ce témoignage et dans quelles conditions. « Vous l’avez remis à monsieur GAUTHIER? »
demande l’avocat. Le témoin ne sait pas.
On s’en tiendra là. Le président lève la séance. Rendez-vous est donné au lundi 30 mai à 9h30.

Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT et Jade FRISCHIT
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

References
↑1

FPR : Front patriotique Rwandais

↑2

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑3

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑4

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑5

Ibid.

↑6

Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande
raciste. Cf. Glossaire.

↑7

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑8

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑9

ETO : Ecole Technique Officielle.

↑10

Ibid.

↑11

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑12

Ibid.

↑13

Le docteur Sosthène MUNYEMANA est poursuivi pour génocide depuis 1995.
Lire : Sosthène MUNYEMANA comparaîtra bien devant la cour d’assises

Page 187 sur 711

↑14

Grégoire KAYIBANDA : premier président du Rwanda indépendant, le 1er juillet 1962. En
1957, il avait déjà publié le « Manifeste des Bahutu » qui désigne le Tutsi comme étant d’une
race étrangère avant de créer en 1959 le parti Parmehutu qui proclame que la masse Hutu est
constituée des seuls «vrais Rwandais». voir Focus – les origines coloniales du génocide.

↑15

Lire notre article (publié il y a déjà plus de 10 ans!) : La mort de Monseigneur Misago : un
témoin potentiel dans l’affaire Bucyibaruta disparaît

↑16

À la fin de l’audition de Christine KAYITESI, Laurent BUCYIBARUTA a affirmé qu’il n’y
avait pas de téléphone à la paroisse de Kibeho.

↑17

Ibid.

↑18

ACEPER : Association pour la contribution à l’éducation et au perfectionnement au Rwanda.

↑19

Ibid.

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Lundi 30 mai
2022. J14
31/05/2022

• Audition de monsieur Jean-Paul MWONGEREZA. Détenu à la prison de KARUBANDA, à
BUTARE. En visioconférence.
• Audition de monsieur Jean-Damascène GAHUNZIRE. En visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Marie-Grâce MUKANTARINDWA, rescapée. En visioconférence du
Rwanda.
• Audition de monsieur Michel KAYITABA, rescapé. Partie civile.
Audition de monsieur Jean-Paul MWONGEREZA. Détenu à la prison de KARUBANDA, à BUTARE.
En visioconférence.
Un témoin qui va avoir du mal à reconnaître les propos qu’il a tenu devant les enquêteurs français et à
qui le président va devoir tirer les vers du nez.
Il habitait près de la barrière de KABEZA, mais lorsqu’il se rendait dans ce petit centre de négoce,
c’était pour y faire ses courses. Il a bien vu qu’on demandait les cartes d’identité des gens qui
passaient, qu’on y tuait les Tutsi [1]. Lorsque monsieur le président lit ses déclarations devant les
enquêteurs français, il les conteste et dit qu’on n’a pas retranscrit les propos qu’il a tenus: « Une partie
ne correspond pas à ce que j’ai dit » répètera-t-il à plusieurs reprises.
Concernant l’événement de la venue de Madeleine RAFFIN, monsieur le président lit un passage du
livre que la responsable de la CARITAS écrira plus tard: « Rwanda. Un autre regard ». Elle voulait se
rendre à MURAMBI pour secourir les réfugiés, accompagnée de trois gendarmes.
« Parvenue à proximité de l’entrée du camp, nous nous trouvâmes face à face avec un grand nombre de
gens, armés de bâtons et machettes. Deux gendarmes sont sortis de la voiture pour parlementer avec le
chef de bande et l’autre est resté dans la voiture. Ce chef de bande était un ancien sous-préfet bien
connu, sans doute renvoyé pour incompétence, originaire de GASAKA. Ils tirèrent de la voiture les trois
ouvriers en promettant de ne rien leur faire mais le chef donna aussitôt le signe ordonnant de tuer. L’un
fut abattu d’un coup de massue sous mes yeux. La fille fut emmenée à l’écart, je compris qu’on voulait
d’abord la violer. Le troisième a réussi à s’enfuir mais fut rattrapé plus tard et subit le même sort. Les
gendarmes ne firent rien à part peut être négocier ma protection. Après avoir parlementé, ils ont tiré
seulement en l’air ». Madeleine RAFFIN réussira à faire demi-tour. Elle précise aussi que dans la nuit,
vers 2 heures du matin, elle a entendu des détonations en provenance de MURAMBI. « Et cela dura
toute la nuit. Le bruit ne cessa qu’au petit matin, j’avais compris ce qui avait pu se passer »
Le témoin dit être « globalement d’accord » avec cette version des faits. La jeune fille dont il est
question a été tuée mais n’a pas été violée. S’il y a eu des viols sur la barrière, il en a entendu parler
mais n’en a jamais été témoin. Quant à Frodouald HAVUGA et David KARANGWA, ils étaient bien les
responsables de la barrière et ne s’en cachaient pas. Pas impossible qu’ils aient eu des liens avec les
gendarmes qui venaient de temps en temps les épauler. Par contre, le témoin n’a vu aucune autorité
passer à cette barrière.

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Avant l’attaque du 21 avril, MWONGEREZA reconnaît qu’il y a eu des petites attaques dont les
gendarmes devaient avoir eu connaissance. Il confirme aussi le déplacement des femmes, enfants,
vieillards, malades hutu vers l’école ACEPER [2], de crainte que les Tutsi n’attaquent la population. Luimême faisait partie du nombre. Vers 8 heures du matin, il a vu de nombreux attaquants quitter
MURAMBI pour se rendre à CYANIKA. habillés de feuilles de bananier, et probablement accompagnés
de gendarmes. Mais lui ne faisait pas partie de l’équipée. Après l’attaque de MURAMBI, des engins
sont venus creuser des fosses pour enterrer les victimes.
Le témoin évoque ensuite, sur question du président, ses condamnations par les Gacaca [3], d’abord à
17 ans de réclusion puis, accusé de viols, il a été condamné à la prison à perpétuité.
Pour conclure, monsieur le président revient sur le fait que le témoin ait déclaré n’avoir jamais connu
Laurent BUCYIBARUTA.
« C’est cela, confirme le témoin, avant je vivais à CYANGUGU et donc juste avant le génocide je n’ai pas
vu le préfet. Jusqu’en mars 1994, je n’étais pas revenu chez nous à GIKONGORO. C’est pour cela que je
ne pouvais pas connaître beaucoup de choses sur le préfet Laurent BUCYIBARUTA. »
Maître FOREMAN interroge le témoin sur le déplacement de la population hutu à l’ACEPER. « On était
une centaine, précise le témoin, c’était une école secondaire mais je ne sais pas ce que veulent dire ces
lettres ACEPER. »
Me LÉVY, pour la défense, tente une question: « Vous avez été condamné à la perpétuité. Si je
comprends bien, vous n’avez pas participé à la procédure du plaider coupable qui consiste à dénoncer
des gens pour avoir une remise de peine ? »
J.P MONGEREZA : Non je n’ai pas plaidé coupable.
La remarque de maître LEVY, qui déclare que « le plaider coupable consistait à dénoncer des personnes
pour avoir une remise de peine » attire à propos la réplique de maître GISAGARA: « Plaider coupable ne
veut pas dire dénoncer un autre« .
Maître LEVY semble bien être le seul à avoir cette interprétation.

Audition de Jean-Damascène GAHUNZIRE. En visioconférence du Rwanda.
Dans sa déclaration spontanée, le témoin évoque le rassemblement des réfugiés tutsi à l’ETO [4] de
MURAMBI le 14 avril. Le 15, il a vu Laurent BUCYIBARUTA et les autres autorités de la région tenir une
réunion auprès des réfugiés. Le préfet promet d’assurer leur sécurité et leur ravitaillement. Le 18,
KARANGWA aurait fait couper l’eau après le départ du préfet. La nourriture promise aurait été
détournée à la barrière par HAVUGA au profit des tueurs.
Le 19, la population hutu est invitée à rejoindre les locaux de l’ACEPER [5].
Le 20 avril, vers 18 heures, Laurent BUCYIBARUTA serait passé à la barrière avec SEBUHURA et
beaucoup de gendarmes. « Tenez bon, aurait-il dit, que personne ne passe par là. Quiconque arrive avec
un fusil, vous devez l’arrêter. » En arrivant avec un grand nombre de gendarmes, le préfet pouvait laissé
croire qu’ils venaient assurer la sécurité. Les réfugiés étaient invités à se défaire de leurs « outils ». Les
gendarmes se sont saisis de toutes les « armes » pour les déposer dans la jeep dans laquelle ils étaient

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venus. Laurent BUCYIBARUTA aurait demandé aux réfugiés de ne pas avoir peur. Ces derniers ont cru
aux promesses du préfet.
Dans la nuit, MURAMBI a été encerclé, des armes lourdes ont tiré sur les réfugiés, beaucoup de
véhicules transportant des Interahamwe [6] sont arrivés.. Les réfugiés ont essayé de se défendre: en
vain. Les plus vigoureux ont réussi à fuir vers CYANIKA où ils seront poursuivis. D’autres se sont
réfugiés à la gendarmerie où ils ont été tués.

À Murambi comme ici à Cyanika, des fosses communes avaient été creusées l’aide d’un bulldozer.
Les corps resteront deux jours avant d’être enterrés par des engins des travaux publics. Les prisonniers
ont participé à l’enterrement des corps qui étaient déversés par des camions-benne dans les fosses
communes. Laurent BUCYIBARUTA serait venu voir si le travail était fini. HAVUGA a demandé de bien
nettoyer la place car les Français allaient arriver. (NDR. Cette dernière remarque attirera une précision:
a-t-on parlé de Français ou de Blancs? La présence des soldats français de Turquoise ne sera signalée que
deux mois plus tard [7]. Le témoin finira par reconnaître qu’il s’agissait bien de Blancs. Impossible donc
d’évoquer la présence de soldats français le 28 mai comme l’affirme le témoin. »
Monsieur le président évoque « un problème de calendrier« . Le témoin dit avoir été membre du
MRND [8] et qu’il n’a jamais cédé aux sirènes du MDR [9], David KARANGWA ayant tout fait pour l’attirer
au MDR PAWA [10]. Il reconnaît être venu sur les barrières et il en a demandé pardon. Mais il n’a jamais
travaillé comme jardinier à la préfecture. Il remplaçait son frère comme gardien le week-end au
PDAG [11].
Les déclarations qu’il fait concernant Laurent BUCYIBARUTA sont assez souvent incohérentes. On a du
mal à le suivre. Si le préfet était un homme calme avant le génocide, il aurait bien changé en 1994.

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Le témoin confirme les propos que, sur lecture de monsieur le président, il a tenus auprès des
enquêteurs français. Il a bien vu le préfet plusieurs fois, en particulier le jour des « fouilles ».
SEBUHURA [12] était craint, la présence du préfet rassurait.
Quant au plaider coupable, il a été « le premier » à le faire et a été suivi par d’autres. « Je l’ai fait de
mon plein gré, cela m’a apaisé le cœur. J’ai accompli ma peine. Mon cœur ne me condamne plus. »
A la question d’un assesseur, il répond qu’il a perdu plusieurs membres de sa famille maternelle à
MURAMBI. Plus de vingt personnes.
Maître BIJU-DUVAL interroge le témoin sur l’exécution de la peine à laquelle il a été condamné. Il a
bien eu une remise de peine pour avoir donné des informations aux Gacaca [13]. Il a bien témoigné
contre SEBUHURA et BUCYIBARUTA mais s’il a plaidé coupable, c’est « en pleine conscience » comme il
aime le répéter. Sa remise de peine, il ne l’a pas obtenue en dénonçant les autorités. Il a bien assisté à
la coupure de l’eau par KARANGWA. Il était tout près, chez lui, sur la route. L’avocat de la défense n’est
pas convaincu. Par contre, il n’a pas vu BUCYIBARUTA avec un fusil.
Quant à savoir s’il a été entendu par la commission MUCYO, sur la responsabilité de la France dans le
génocide, il ne peut l’affirmer. Il a donné son témoignage à des journalistes et au parquet, mais il ne
sait pas devant qui.
Laurent BUCYIBARUTA est invité à réagir à la déposition du témoin. Il conteste plusieurs points: il n’est
jamais allé à MURAMBI le 14 avril avec SEBUHURA, il est allé à l’ETO avec BIZIMUNGU. Il n’a jamais
confié de mission à HAVUGA, le 16 avril n’a pas accompagné des militaires et des gendarmes, il n’a
jamais été au courant de la coupure d’eau, il ignore le regroupement des Hutu à l’ACEPER, conteste la
saisie de la nourriture au profit des tueurs à la barrière. Enfin, il n’est pas au courant de la fouille dont
parle le témoin.
La suite du procès permettra-t-elle d’y voir plus clair dans la responsabilité du préfet BUCYIBARUTA? Il
y a encore beaucoup de témoins à entendre.

Audition de madame Marie-Grâce MUKANTARINDWA, rescapée. En visioconférence du Rwanda.
Le témoin, dans sa déclaration spontanée, commence par évoquer l’incendie des maisons des Tutsi et
la fuite des habitants? Ils pensaient passer la nuit chez ses parents mais finiront pas aller directement à
MURAMBI. A la demande des siens, le témoin part se réfugier chez leur voisin hutu, Juvénal
RWANDANGA, qui la chassera le lendemain matin. De retour chez elle, elle voit arriver un autre voisin,
François RWEMERA, qui dit à son père: « Nous ne venons pas pour vous tuer. Nous voulons tuer les Tutsi
qui ont fui. Nous vous tuerons après. »
Vers 10 heures, le témoin part en courant en voyant arriver des attaquants à la suite d’une réunion
organisée par RWEMERA. Son père ne voulait pas voir ses enfants mourir sous ses yeux.
Un autre voisin, prénommé YUSUF est arrivé à son tour. Il a demandé à son père de ne pas partir, qu’il
le protègerait ainsi que ses vaches, comme il l’avait fait en 1959.

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Le témoin, à la demande de son père, est partie en courant, poursuivie par les tueurs. Elle s’est cachée
sous un rocher pour laisser passer ses poursuivants.
Madame MUKANTARINDWA éclate en sanglots, comme elle le fera à plusieurs reprises lors de sa
déposition. Elle est manifestement troublée au point qu’elle demandera, par la suite, d’arrêter qu’on lui
pose des questions car elle est malade.
A des gendarmes qu’elle croise dans sa fuite, elle dit qu’elle se rend à l’église, à une réunions d’enfants
de chœur. Les gendarmes n’en croient pas un mot. Elle disait cela pour que ces derniers ne sachent
pas où elle irait se cacher.
Un gendarme lui demande, en lui pinçant le nez, si elle voulait aller au CND, pas celui de KIGALI, mais
un endroit sous un pont où ont découpait les gens en morceaux. Maître FOREMAN fera connaître à la
cour que le CND de KIGALI était le Parlement où 600 soldats du FPR [14] avaient installé leur QG suite
aux accords d’ARUSHA.
En voulant traverser un marais, la jeune Grâce va s’embourber dans la vase et éprouvera les pires
difficultés à s’en dégager. Ce sera fait le lendemain matin et elle se dirigera vers KIZIRA pour se rendre
à MURAMBI. A une barrière, elle tombe sur une file de réfugiés que les tueurs, fatigués de tuer,
obligent à sauter vivants dans une fosse. La jeune fille fait tout pour retarder son tour. Elle trouvera
finalement la force de s’élancer et de sauter par dessus la fosse. Elle continuera sa fuite pour arriver à
MURAMBI au bout de trois jours.
Là, elle ne connaît aucune sécurité, contrairement à ce que les autorités prétendaient. « Nous n’avions
aucune vie » finira-t-elle par ajouter, les Hutu venaient tous les jours. »
Pas d’eau, pas de nourriture, personne ne pouvait sortir sans courir le risque d’être découpé. Le témoin
affirme que des fils électriques avaient été placés sur le sol. Deux gendarmes étaient présents,
simplement pour les dissuader de partir. Le préfet est venu accompagné de gendarmes et a promis de
les aider. En repartant, il a dit aux Hutu, presque comme un secret: « Avant de brûler les mauvaises
herbes, il faut les rassembler ». (NDR. Phrase qui fera l’objet de nombreuses questions de la part de
maître BIJU-DUVAL quand viendra son tour d’interroger le témoin.) Le préfet ne tiendra pas ses
promesses. Toutefois, un jeudi, Madeleine RAFFIN apportera du riz mais les réfugiés n’avaient ni eau,
ni bois de chauffage, ni marmite.
Et de poursuivre: « Dans la nuit, ils sont venus nous fusiller. Ils ont beaucoup tiré, toute la nuit. » Les
réfugiés ont bien lancer des pierres pour se défendre. En vain, les assaillants lançaient des grenades.
Vers 11 heures sont intervenus des miliciens armés de machettes. Le témoin s’est enfuie vers CYANIKA.
« Arrivée à CYANIKA, les gendarmes nous y avaient précédés. Ils nous ont rassemblés dans la cour
intérieure du presbytère et nous ont tiré dessus. Nous étions cernés de partout » déclare le témoin.
Réfugiée dans une chambre des prêtres, la jeune Grâce sera alors violemment frappée au front par des
gendarmes. Une balle la blessera au niveau du cou. Elle montre ses blessures. Revenue à elle, elle voit
les Hutu venir achever les blessés.

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Elle restera elle-même longtemps cachée au milieu des cadavres. Les tueurs venaient découper les
victimes en morceaux pour emporter des parts de chair humaine. Des prisonniers sont venus emporter
les cadavres dans des camions-benne pour les enterrer elle ne sait où.
Le calvaire du témoin n’est pas encore fini. Elle s’est trouvée ensevelie sous des corps qu’on avait
entassés sur elle. Et par-dessus, les tueurs aveint placé une armoire. Par miracle, elle échappera encore
à ses bourreaux alors que ces derniers venaient enlever les corps un à un.
Elle se rendra chez des amis hutu chez qui elle restera un mois, puis retournera à MURAMBI. Les
soldats de Turquoise [15] étaient là. De là elle choisira d’être emmenée dans la zone tenue par
les Inkotanyi [16], à MARABA.
Avant de conclure, madame MUKANTARINDWA voudra ajouter une dernière précision: « Depuis ma
naissance, je n’avais jamais vu la nudité de mes parents. Avant, c’était un tabou devoir ses parents nus.
Cela m’a terriblement affligée. Et ça continue de m’affliger encore aujourd’hui. »
Monsieur le président interroge le témoin sur la composition de sa famille, sur les victimes. Elle est la
seule rescapée avec un de ses frères qui n’était pas dans la région. Des questions aussi sur les
responsables de la préfecture qu’elle nomme. sur la notion d’Interahamwe, « des gens devenus des
tueurs » dira-t-elle. Tous ses voisins hutu étaient devenus des Interahamwe. Ses parents, elle ne les
aura revus que morts.
Concernant la fosse dans laquelle elle devait se jeter, le témoin précise qu’elle était presque pleine: des
femmes, des enfants, des hommes, des vieillards. Des viols? Elle en a été témoin à MURAMBI où elle
dit être restée trois semaines. (NDR. Bien se rappeler que, pour des gens qui ont subi de tels
traumatismes, la notion du temps est complétement annihilée. Trois jours peuvent paraître trois
semaines. C’est la réponse que le témoin fera lorsqu’on lui demandera combien de temps elle est restée
sous les cadavres à CYANIKA).
Le témoin n’en peut plus de répondre aux questions qu’elle semble subir comme un interrogatoire.
Elle pose sa tête sur la table qui est devant elle, demande qu’on arrête. Elle acceptera finalement de
répondre aux questions de la défense qui met en doute les propos qu’elle attribue au préfet: « Les
mauvaises herbes, il faut les rassembler avant de les brûler. » Maître BIJU-DUVAL voudrait bien lui faire
dire qu’elle n’a pas pu entendre de telles paroles, qu’elle les aurait entendues en Gacaca [17].
Réponse du témoin: « Je n’ai jamais participé aux Gacaca. »
Monsieur le président met fin à une audition qui aura été une véritable épreuve pour le témoin.

Audition de monsieur Michel KAYITANA, partie civile.
Dans une longue déclaration spontanée, le témoin va faire le récit de ce qu’a été la vie de sa famille;
Depuis 1959, c’est toujours le même mode opératoire qui a été utilisé: 1963, massacres à GIKONGORO,
le jour de Noël, au cours desquels la famille de son père sera exterminée. Le témoin avait 12 ans. Les
tueries auront duré quatre jours au bout desquels les autorités, qui avaient ordonné de tuer,
demanderont que l’on arrête les massacres. Il en sera de même en 1990 et en 1994.

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En 1990, suite à l’attaque des Inkotanyi [18] le 1er octobre, ce sera la chasse aux complices, les Ibyitso [19].
Dans la nuit du 4 au 5 octobre, on fera courir le bruit que les Inkotanyi ont attaqué KIGALI; Cette
rumeur sera suivie de l’arrestation d’un grand nombre de Tutsi. A GIKONGORO, les Tutsi seront arrêtés,
mais après qu’on aura organisé des perquisitions. Le témoin sera conduit au parquet mais rien ne
pouvant lui être reproché, il pourra rentrer chez lui.
1994. Monsieur KAYITANA va raconter dans le détail les différentes visites qu’il fera à des « amis »
hutu. à partir du 8 avril. Le 9, il va rendre visite à des connaissances: on lui dit que la situation est
dramatique. Dans la soirée, l’évêque de KIGEME vient le voir. Norman KAYUMBA est son évêque, mais
aussi son ami. Il sera dirigé chez un pasteur, du nom de Samuel MUNDERERE, qui va l’héberger et lui
fera croire qu’il va le protéger. En réalité, ce dernier cèdera aux appel d’un homme à moto (il utilise un
mégaphone et invente la mort de deux Tutsi pour encourager les gens à le suivre) et ira se ranger du
côté des Interahamwe dont il adoptera la tenue. Le témoin, aujourd’hui encore, est hanté par cette
vision. On est le vendredi 15 avril.
Dans un retour en arrière, le témoin parle du sort des membres de sa famille à MURAMBI. Ils seront
tous tués là-bas.
Une réunion est organisée qui rassemble, entre autres, tous les responsables religieux, sous la houlette
du préfet. Les décisions prises lors de cette réunion, à laquelle participe Norman KAYUMBA, vont
ramener le calme chez les réfugiés. On leur promet eau et nourriture.
Samuel MUNDERERE incite alors le témoin à se rendre chez l’évêque Norman. Monsieur KAYITABA
cherche toujours une réponse à une question: le préfet était-il au courant de ce qui se préparait à
MURAMBI? Si un citoyen le savait, Laurent BUCYIBARUTA devait le savoir aussi? Une question restée
pour lui sans réponse.
Le témoin reste chez Norman KAYUMBA qui, le lendemain, lui ramène deux de ses enfants qui étaient
scolarisés à KIGEME. Ils vont restés cachés à 5 dans une petite chambre. Dans la nuit, ils vont entendre
des explosions, vers 3 heures du matin, en provenance de MURAMBI. Les rescapés courent sur les
collines, au milieu des cris. Le témoin précisera qu’on a fouillé les cadavres pour voir s’il faisait partie
des victimes. Comme on ne le trouvait, déduction a été faite qu’il devait être chez l’évêque KAYUMBA.
En fait, il logeait avec sa famille chez une maison louée par l’évêque à un propriétaire qui voulait
chasser le témoin et les siens.
Monsieur KAYITABA va vivre là « le jour le plus long de (sa) vie. » Il va le passer en prière et en
préparant les siens à la mort. Ils iraient au ciel. Le soir, Norman KAYUMBA revient et les dirige chez un
jeune homme, KAMANZI, qui accepte de les héberger. Ils resteront là pendant cinq semaines.
Monsieur le président, le maître des horloges, demande au témoin de conclure. Le témoin de déclarer
que le 22 mai, pour la Pentecôte, l’hôpital de KIGEME a été attaqué. L’évêque a demandé de l’aide aux
autorités de GIKONGORO qui ont pris la décision de conduire tout le monde à MURAMBI. Ce que le
témoin ne comprend pas.

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Parole est donnée à l’accusé. « Je suis content de revoir le témoin. A GIKONGORO, il était considéré
comme un bon chrétien ». Il souhaite toutefois réagir sur sa déclaration.
Il conteste la date du 11 avril concernant l’accompagnement des réfugiés par le bourgmestre à
MURAMBI. C’était le 13 que la décision a été prise.
Le 15 avril, il n’a pas participé à une réunion au cours de laquelle il aurait dissuadé les attaques.
L’homme à la moto et au mégaphone, il ne le connaît pas: c’est le témoin qui dit l’avoir vu deux fois
qui aurait dû essayer de l’identifier.
L’attaque du 21 avril aurait été « minutieusement préparée« ? Par qui? Il n’était pas au courant.
Le 22 mai, attaque à KIGEME. Si la décision a été prise de conduire les gens à MURAMBI, c’est parce
qu’il y avait déjà des rescapés là-bas et qu’on ne pouvait assurer la sécurité des gens sur les deux sites.
Monsieur le président s’étonne des derniers propos de l’accusé. Le préfet affirme que des rescapés ont
été protégés à MURAMBI jusqu’à l’arrivée des soldats de Turquoise.
Le témoin contestera à son tour les explications du préfet. En partant, il lui serrera toutefois
chaleureusement la main.
Alain GAUTHIER, président du CPCR, pour la synthèse
Mathilde LAMBERT et Jade FRISCHIT pour la prise de notes
Jacques BIGOT pour les notes et la mise n page

References
↑1

Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des
années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des
colonisateurs.

↑2

ACEPER : Association pour la contribution à l’éducation et au perfectionnement au Rwanda.

↑3

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
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les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
↑4

ETO : Ecole Technique Officielle.

↑5

Ibid.

↑6

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑7

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑8

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑9

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑10

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie
des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se
sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRNDPOWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑11

PDAG : Projet de Développement Agricole de Gikongoro

↑12

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑13

Ibid.

↑14

FPR : Front patriotique Rwandais

↑15

Ibid.

↑16

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑17

Ibid.

↑18

Ibid.

↑19

Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Mardi 31 mai
2022. J15
01/06/2022

• Audition de madame Alphonsine MUKAREMERA. rescapée. En visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Valérie MUKAMANA, rescapée.
• Audition de monsieur François MUDAHERANGWA. En visioconférence du Rwanda.
• Audition de monsieur Emmanuel HANGARI, rescapé. En visioconférence du Rwanda.
Audition de madame Alphonsine MUKAREMERA. rescapée.
« Ce que j’aurai à dire sur Laurent BUCYIBARUTA, ainsi que sur le bourgmestre SEMAKWAVU, c’est que
nous nous sommes réfugiés à l’église et ils ne nous ont pas permis d’y passer la nuit. Comme c’était il y a
longtemps, je ne me souviens pas des dates. A ce moment là, SEMAKWAVU, Laurent BUCYIBARUTA et un
militaire que je ne connais pas de taille élancée était avec eux. Ils sont arrivés à notre lieu de
refuge. Nous étions une grande foule, ils nous ont demandé de sortir: ils allaient nous indiquer un
endroit où nous devions nous rendre pour y assurer notre sécurité. Ils nous ont conduits à MURAMBI.
Beaucoup d’autres personnes ont continué à affluer vers cette destination. Nous sommes donc arrivés à
MURAMBI et après une certain nombre de jours, Laurent BUCYIBARUTA, le maire ainsi qu’un autre
militaire sont venus tenir une réunion. A l’occasion de cette réunion, ils nous ont dit qu’ils allaient nous
donner du riz.
Ma mère s’est adressée à Laurent BUCYIBARUTA: « Vous voyez, ma fille a une grossesse presque à
termes, est-ce que vous ne pouvez pas la conduire pour moi à KIGEME pour qu’elle accouche là-bas? ».
Laurent BUCYIBARUTA nous a demandé pourquoi nous ne pouvions pas nous y rendre nous mêmes et
c’est ainsi que je suis allée là-bas avec l’épouse de mon frère qui allait accoucher. Quand nous sommes
arrivées à KABEZA, ils étaient en train de tuer les gens. C’était sur notre route vers KIGEME. Les tueurs
courraient derrière quatre jeunes gens dont mon frère. Ils les ont poursuivis jusqu’à la vallée où ils les ont
tués. Nous sommes retournés à MURAMBI. Laurent BUCYIBARUTA est revenu et nous lui avons demandé:
« Vous nous avez donné du riz mais vous nous avez coupé l’eau, qu’allons nous faire ? ». Il nous a
indiqué un endroit où nous pouvions aller puiser. Ceux qui sont allés puiser de l’eau dans la vallée ont été
immédiatement tués. Les combats ont commencé à ce moment-là. Moi, comme je n’ai pas fait d’études,
je ne peux pas chronologiquement indiquer les dates, mais je parle des choses que j’ai vues.
Les combats ont commencé, les assaillants venaient et nous lançaient des pierres. Nous étions affamés.
Vers l’aube, nous avons été surpris par les détonations des grenades qui allaient de paire avec les
machettes et les gourdins ».

La témoin déclare: « Je n’en peux plus ».
« Les tueurs ont lancé une grenade dans la pièce dans laquelle nous étions. Quant à moi, je suis sortie et
j’ai couru. couru, couru, j’ai couru beaucoup. Je portais un enfant sur mon dos et seul Dieu m’a fait sortir
de là. J’ai couru et je n’ai vu que des cadavres. On a reçu des coups de gourdins et nous a enlevé nos
vêtements. Je suis passée par un endroit où gisaient mes cousins et j’ai continué à courir.

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Arrivée un peu plus loin, j’ai rencontré un certain Samuel, un enseignant de chez nous. Un homme est
arrivé et lui a donné un coup de machette. Au troisième coup de machette, l’enseignant est tombé, mort.
Nous sommes allés en courant dans un champ de sorgho, mais on nous a débusqués. Etendue dans un
ravin, j’ai vu un homme du nom de NYIRIKINDI courir en direction de CYANIKA: ils l’ont abattu. En ce qui
me concerne, je suis allée vers la prison de GIKONGORO. Une fois là-bas, j’ai trouvé une barrière, puis
d’autres encore ».
*** Suspension d’audience à la demande du témoin***

Alphonsine MUKAREMERA reprend le cours de son récit.
« Les choses qui ont été commises à ces barrières sont indescriptibles. Après la mort du président
HABYRIMANA , nous n’avons pas eu la paix, les gens en provenance de la colline d’en face nous ont
envahis en incendiant les maisons jusques chez nous. Il arrive qu’on soit saisi d’émotion et qu’on se
trouve dans l’impossibilité de tout dire. Ils ont donc incendié nos maisons. Nous nous sommes retrouvés à
l’église. C’est donc une fois à l’église que Laurent BUCYIBARUTA et SEMAKWAVU nous ont livrés. Le
préfet ne nous a été d’aucune utilité ».
« Je vais m’arrêter là, finit par dire le témoin. Je vais m’arrêter là, j’ai mal à la tête. Si vous avez des
questions à me poser, vous pouvez me les poser ».
Le témoin accepte de répondre aux questions de monsieur le président. Elle donne les noms des
membres de sa famille dont la plupart ont été tués. Ils étaient dix personnes, dont sa mère, Esther. Le
témoin est la seule survivante de sa famille. Son papa était décédé de maladie avant le génocide.
Monsieur le président cherche à savoir où le témoin habitait. Elle a du mal à situer sa maison par
rapport à GIKONGORO. « Si on prenait un taxi, il nous en coûtait 300 francs » finira-t-elle par dire.
Les gens qui brûlaient les maisons venaient de SOVU, et ils s’approchaient de chez nous.
Le préfet Laurent BUCYIBARUTA, elle ne le connaissait pas. Elle l’a vu pour la première fois à l’église
puis quand il est venu tenir une réunion à MURAMBI. En tout, elle le verra trois fois. Il s’est lui-même
présenté comme le préfet. leur dira qu’il allait les conduire en lieu sûr. C’est escortés par des
gendarmes qu’ils seront conduits à MURAMBI. Il n’y avait pas encore de barrière sur la route. Le
témoin a beaucoup de mal à dire où se tient la première réunion avec le préfet. Monsieur le président
a beau insister, il n’arrive pas à obtenir de réponse satisfaisante.
Monsieur le président tentera d’interroger le témoin qui a beaucoup de mal à donner des réponses. Il
veut alors parler de la grande attaque.
« Les tueurs sont d’abord venus en lançant des pierres. Puis, ils sont revenus à l’aube et ont lancé des
grenades. Ils ont tué des gens, ils les ont décimés. Ils étaient habillés de feuilles de bananier. Après, je n’ai
plus revu ni le préfet, ni le bourgmestre SEMAKWAVU ».
Monsieur le président donne alors lecture de la déposition du témoin devant les enquêteurs français. Il
n’en tirera que peu de réponses satisfaisantes.

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Me BERAHOU (juge assesseur) : Vous avez dit avoir vu à plusieurs reprises le préfet Laurent
BUCYIBARUTA et le bourgmestre SEMAKWAVU. Ma question est très simple : comment étaient-ils
habillés?
Alphonsine MUKAREMERA : Je me souviens très bien que Laurent BUCYIBARUTA avait une veste
noire et un pantalon noir. Quant à SEMAKWAVU, je ne m’en souviens pas.
Me BERAHOU (juge assesseur) : Lors de votre audition devant les gendarmes français en 2012, et lors
de cette audience quand vous parlez spontanément, vous dites que le préfet et le bourgmestre
SEMAKWAVU étaient accompagnés de militaires. Quand Monsieur le Président vous a demandé si
vous avez été escortée par des gendarmes à MURAMBI, vous avez répondu: « Oui, il y avait des
gendarmes ». Ma question est la suivante : faites-vous la différence entre un militaire et un gendarme ?
Comment sont-ils habillés ? Comment peut-on les distinguer ?
Alphonsine MUKAREMERA : Je ne sais pas faire la différence.
QUESTIONS DES PARTIES CIVILES.
Me KARONGOZI : Est-ce que, Madame, vous pouvez nous dire votre niveau d’étude quand le
génocide commence ?
Alphonsine MUKAREMERA : Je n’ai jamais étudié, j’ai grandi en élevant des vaches.
Me KARONGOZI : Est-ce que vous portiez une montre à cette époque, pendant le génocide ?
Alphonsine MUKAREMERA : Non.
Me KARONGOZI : Saviez-vous reconnaitre les jours et les heures pendant le génocide?
Alphonsine MUKAREMERA : Non.
Me KARONGOZI : Vous dites que quand le préfet et le bourgmestre vous demandent de quitter
l’église de GIKONGORO, vous considérez qu’ils vous livrent. Est-ce que quand le préfet vous demande
d’aller avec votre belle-sœur à pied à KIGEME, est-ce que vous pensez aussi que le préfet vous livre ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, le préfet nous a abandonnées, nous a livrées.
Me KARONGOZI : Est-ce que, madame, vous pouvez nous dire pourquoi votre esprit est brouillé ? Estce que vous avez été traumatisée ? Est-ce que vous avez des cauchemars ? Est-ce que vous avez été
blessée ?
Alphonsine MUKAREMERA : Quand j’y pense beaucoup, ça me trouble. Je me fais fait soigner à
BUTARE car j’ai des maux de tête suite à ces événements..
QUESTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC.
Ministère public: Je suis désolée, ma question est un peu délicate, mais on est nombreux à se la
poser. Vous avez dit avoir fui avec un bébé sur le dos, votre bébé était votre enfant ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, c’était mon enfant.
Ministère public: Est-ce qu’il a survécu ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui.
Ministère public : Vous souvenez-vous que dans votre audition vous avez dit qu’il a été blessé ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, une balle l’a blessé au cou.
QUESTIONS DE LA DÉFENSE.
Me BIJU-DUVAL : Aujourd’hui, vous nous avez relaté un épisode important, celui où vous sortez du
centre de MURAMBI avec votre frère et votre belle-sœur qui tente d’aller accoucher à l’hôpital de
KIGEME. Vous avez expliqué que vous renoncez à ce déplacement à la barrière de KABEZA, car vous

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constatez qu’il y a beaucoup de gens. Vous regagnez donc le centre de MURAMBI. C’est ce que j’ai
compris.
Alphonsine MUKAREMERA : Oui.
Me BIJU-DUVAL : Cet épisode est important, vous pourriez nous expliquer pourquoi vous n’en avez
pas parlé aux enquêteurs français lorsque vous avez été entendue ?
Alphonsine MUKAREMERA : Je vous ai expliqué que lorsqu’on a vécu ce genre de choses, on peut
être embrouillé. Parfois j’ai des maux de tête.
Me BIJU-DUVAL : Vous avez indiqué avoir vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA et le bourgmestre
SEMAKWAVU franchir la barrière de KABEZA. Est-ce que vous les avez vu vous-même franchir cette
barrière?
Alphonsine MUKAREMERA : Je vous ai tout expliqué. Tout ce que j’ai vu, je l’ai raconté et tout ce qui
a été commis, ce sont des choses horribles.
Me BIJU-DUVAL : Cet évènement-là, le franchissement de la barrière par le préfet et le bourgmestre,
vous n’en avez pas non plus parlé lorsque vous voyez les enquêteurs français. C’est parce que vous
n’aviez pas repris vos esprits ?
Alphonsine MUKAREMERA : Nous sommes partis avec eux et juste après la barrière, ils ont été plus
rapides que nous et la barrière a été fermée juste après eux. (NDR. Propos traduits légèrement confus,
Un autre interprète se lève pour donner des indications à son collègue).
Me BIJU-DUVAL : J’aimerais revenir sur les conditions de votre fuite. Lorsque vous avez été entendue
par les enquêteurs français, D10425/3, vous avez dit : « Je suis tombée sous le corps des morts. Mon
enfant léchait le sang des morts. J’ai fui avec NYIRIKINDI et me suis réfugiée chez Marie pendant une
semaine pour revenir chez moi. » Est-ce que ça correspond à vos souvenirs ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, je me rappelle avoir dit ça. Tout ce que j’ai raconté, je l’ai vu de mes
propres yeux, ce ne sont pas des choses que l’on m’a dites.
Me BIJU-DUVAL : Mais, dans le récit que j’ai lu, il n’est pas du tout question d’un retour vers
MURAMBI pour mourir, comme vous l’avez exprimé. Est-ce que vous êtes véritablement revenue dans
le centre de MURAMBI ce jour-là ?
Alphonsine MUKAREMERA : Quand je suis partie, je suis partie une fois pour toute.
Me BIJU-DUVAL : Dois-je comprendre que vous n’êtes pas revenue au centre de MURAMBI ?
Le Président intervient : « Écoutez, si elle vous dit « une bonne fois pour toute », c’est qu’elle n’est pas
revenue.
Il sera mis fin à une audience très éprouvante pour le témoin.

Audition de madame Valérie MUKAMANA, rescapée.
Le témoin ne désire pas faire de déclaration spontanée. Monsieur le président lui posera des questions
au sujet des propos qu’elle a tenus devant les enquêteurs français.
Sur questions de monsieur le président, le témoin déclare :

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« En 1994, j’étais mariée, mon époux s’appelait Alexis, et j’avais un enfant, un autre était déjà décédé
sans lien avec le génocide. Je suis Hutu et mon mari était Tutsi. Je vivais avec mon mari, dans ma bellefamille., dans la cellule de MURAMBI, près de l’école. Aujourd’hui, j’habite toujours là.
J’ai appris la mort du président HABYARIMANA à la radio et à partir de ce jour, les Tutsi n’ont plus eu de
sécurité. Les maisons ont commencé à brûler. Une réunion a été organisée par le conseiller KAJUGA mais
les Tutsi n’ont pu y participer. Je connaissais l’ex sous-préfet HAVUGIMANA, appelé aussi HAVUGA.
C’était un Interahamwe [1]. Je l’ai vu en compagnie de Laurent BUCYIBARUTA ainsi que du bourgmestre
SEMAKWAVU à MURAMBI, quand il était venu tenir une réunion auprès des Tutsi réfugiés. J’étais là.
C’était entre le 10 et le 12 avril. Je m’y étais réfugiée avec mon mari et sa famille, sans passer par la
cathédrale de GIKONGORO.
Nous étions restés quelques temps à la maison mais les Interahamwe nous ont fait parvenir un écrit
disant qu’ils allaient venir, « s’en prendre à ces Tutsi qui avaient refusé de rejoindre les autres. » Des
gendarmes et des militaires assuraient la sécurité. Ils étaient peu nombreux. Nous sommes arrivés à
MURAMBI environ une semaine avant la grande attaque. Il n’y avait pas de quoi boire car l’eau avait été
coupée, il n’y avait pas de nourriture non plus. On nous a apporté du riz, mais peu de gens en ont reçu. Il
n’y avait pas d’eau, ni bois de chauffage donc cela ne servait à rien.
J’ai su que l’eau avait été coupée. On m’a dit que c’était David KARANGWA ou HAVUGIMANA qui avait
procédé à cette coupure. A MURAMBI, j’ai vu le préfet, il venait rassurer les Tutsi, leur dire qu’ils étaient
en sécurité. Il était venu accompagné de militaires et de gendarmes. HAVUGIMANA et SEMAKWAVU
étaient là aussi.
Des vieilles femmes et des enfants mouraient de faim et de soif. Au début, on pouvait sortir pour nous
approvisionner mais après, une barrière a été érigée. Les jeunes gens qui allaient puiser de l’eau dans la
vallée étaient attaqués par les Interahamwe et rentraient parfois bredouille. Des attaques avaient
repoussées par les réfugiées.
J’ai quitté le camp en portant un enfant âgé de un an. Nous nous sommes concertés en famille et comme
moi j’étais détentrice d’une carte d’identité Hutu, je n’étais pas pourchassée [2]. Donc je me suis concertée
avec mon mari et ma belle-famille et ils m’ont dit qu’ils me priaient de mettre cet enfant à l’abri car il n’y
avait pas suffisamment de sécurité ici. J’ai d’abord refusé mais ils ont continué à insister. Je me rappelle
que ce jour-là c’était le 19 avril, à ce moment là le préfet Laurent BUCYIBARUTA était revenu tenir une
autre réunion.
C’était plutôt le 20 car le 19. Laurent BUCYIBARUTA a fait une réunion et il a dit de sortir tout ce qu’on
avait comme matériel, que ce soit un couteau ou une machette, pour que les gendarmes assurent bien
notre sécurité. Ces derniers ont déposé les objets réquisitionnés dans un véhicule et pendant la nuit, du
19 au 20 avril, ma belle-famille a insisté disant qu’il n’y avait pas de sécurité ici. C’est ainsi que je suis
sortie de là, au matin du 20 avril. J’ai pris la direction de RUKUNDO, ma localité d’origine et mes parents
étaient là.
Vous me dites que je n’avais pas parlé de cette seconde visite du préfet? Ce serait peut être un oubli
quant aux dates, ne m’en tenez pas rigueur. Cela s’est passé il y a 28 ans. L’enfant avec lequel je suis
partie est toujours vivant.
J’ai quelque chose à ajouter, je réclame justice, justice doit nous être rendue. »
Questions

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Juge assesseur : Madame, par rapport à cet enfant, une femme est venue à la barre, elle était dans le
camp de MURAMBI, elle était Hutu, avec sa belle-famille et son enfant très jeune et elle a dit qu’elle
avait eu énormément de difficultés à sortir l’enfant car on lui disait que si elle était Hutu, l’enfant était
Tutsi. Vous n’avez pas eu cette difficulté ?
Valérie MUKAMANA : Quand je suis sortie, j’ai dit que j’allais faire soigner l’enfant car il n’y avait pas
de soin sur place.
Pas de question des Parties civiles.
Questions du Ministère Public.
Ministère Public : Concernant les barrières, que vous avez évoquées, pouvez-vous nous dire quel était
le rôle de ces barrières ? Comment vous l’avez-vous vécu ?
Valérie MUKAMANA : Sur la barrière on demandait la pièce d’identité, je leur ai montré ma carte
d’identité et ils m’ont laissée passer. Mais si tu étais Tutsi tu ne pouvais pas passer. Les gens sur ces
barrières ont été tués.
Ministère Public : Vous confirmez vos deux déclarations, que vous avez vu des gens être tués à ces
barrières ?
Valérie MUKAMANA : Concernant celle de KABEZA, je ne l’ai pas vu mais il y a des signes de gens qui
sont morts.
Ministère Public : Vous êtes retournée après l’attaque, quelques jours après, à MURAMBI, vous n’avez
pas retrouvé les corps de vos proches, avez-vous été témoin des opérations d’ensevelissement des
corps ?
Valérie MUKAMANA : Je n’étais pas présente quand ils ont enterré les corps, mais les nouvelles que
j’ai eu, c’est que des machines avaient été utilisées.
Questions de la Défense.
Me LÉVY : Tout à l’heure, vous avez évoqué la première venue du préfet à MURAMBI, on vous a
demandé s’il était venu seul ou avec d’autres personnes. Vous avez répondu qu’il est venu avec des
militaires et des gendarmes. Le président vous a demandé si c’est à ce moment là qu’il y avait le souspréfet HAVUGIMANA. Est-ce que vous dites que l’ancien sous-préfet HAVUGIMANA est avec le préfet
à ce moment-là ?
Valérie MUKAMANA : Oui.
Me LÉVY : Quand vous aviez été entendue par les enquêteurs du Tribunal pénal international pour le
Rwanda, vous aviez indiqué au sujet de cette visite : « Je me souviens qu’un jour le préfet Laurent
BUCYIBARUTA et le bourgmestre de la commune SEMAKWAVU sont venus à MURAMBI s’adresser à
nous. » Donc là vous ne mentionnez pas l’ancien sous-préfet HAVUGA comme quelqu’un qui aurait
accompagné le préfet Laurent BUCYIBARUTA, pour quelle raison ?
Valérie MUKAMANA : Il est possible que je ne l’ai pas dit mais je l’ai vu de mes yeux.
Me LÉVY : Quand vous avez été entendue par les enquêteurs français, vous dites au sujet du préfet
Laurent BUCYIBARUTA qu’il est venu accompagné de militaires et qu’ils vous a dit que vous étiez en
sécurité et que c’est tout ce dont vous vous souvenez. On vous demande, alors qu’en 2002 vous aviez
indiqué qu’il était venu avec le bourgmestre pour votre promettre une assistance alimentaire et vous
promettre sécurité, si vous vous en souvenez et vous répondez, « oui je m’en souviens ». Là aussi vous
ne mentionnez pas du tout HAVUGA comme faisant partie des gens accompagnant Laurent
BUCYIBARUTA ?
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Valérie MUKAMANA : Je pense que je l’ai dit, mais je ne sais pas pourquoi cela n’a pas été retranscrit.
Me LÉVY : Vous aviez indiqué qu’avant le génocide vous n’aviez jamais vu le préfet Laurent
BUCYIBARUTA ?
Valérie MUKAMANA : Oui c’est cela.
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA souhaitez-vous réagir ?
Laurent BUCYIBARUTA : Merci Monsieur le Président, quand je suis allé à MURAMBI, je n’ai jamais
été accompagné par HAVUGA, dont j’ai expliqué le comportement hier. S’il était là, il y était à titre
personnel et ne faisait pas partie de la délégation officielle. Je ne suis allé qu’une seule fois à
MURAMBI. Le reste a été dit par ma Défense. Le responsable de gendarmerie m’accompagnait, c’était
Christophe BIZIMUNGU.
Président : Nous verrons cela plus tard parce que de nombreux témoins disent que ce n’était pas
BIZIMUNGU à coté de vous mais SEBUHURA. Vous, vous dites que votre interlocuteur officiel était
BIZIMUNGU et pas SEBUHURA.
Me KARONGOZI : Je voudrais poser la question à Laurent BUCYIBARUTA. Je comprends que le souspréfet n’est pas fréquentable, vous avez fait un rapport à son sujet. Est-ce qu’il faut considérer que
toute la délégation qui vous accompagne est irréprochable ?
Laurent BUCYIBARUTA : Les personnes qui m’accompagnent sont les personnes les plus proches, le
Commandant de la gendarmerie, le président du Tribunal de première instance, le Procureur de la
république. Quand à leur comportement, ce n’est pas à moi de juger leur comportement, je les
considérais simplement comme les chefs de service qui pouvaient donner des conseils au préfet pour
assurer la sécurité.
Président : Quand vous vous déplacez à MURAMBI, vous ne vous êtes pas déplacé avec le Procureur
de la République ?
Laurent BUCYIBARUTA : Si.
Président : Vous ne l’avez jamais déclaré avant.
Laurent BUCYIBARUTA : Si, si.
Président : Lors de votre déplacement pour rendre visite aux réfugiés de Murambi vous y êtes allé
avec qui ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le commandant de la gendarmerie, le bourgmestre, le procureur, le
responsable du Service de Renseignements Préfectoral, c’est ceux-là dont je me souviens, je ne sais
plus si le président du Tribunal de première instance était là. Dans tous les cas, il était membre du
comité préfectoral de sécurité.
Président : Donc, le commandant BIZIMUNGU, le bourgmestre SEMAKWAVU, le responsable du
service de renseignement de la préfecture (SRP). Le responsable du SRP faisait des rapports fréquents ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non pas fréquemment au préfet mais au premier ministre, oui.
Président : Le responsable du service de renseignement de la préfecture vous informait seulement de
temps en temps ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, il faisait ses rapports au premier ministre, sinon.
Président : Vous vous teniez au courant fréquemment de la situation auprès du chef du SRP ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, on avait souvent des réunions dans mon bureau.
Président : Il est venu souvent de sa propre initiative pour expliquer ce qui se passait ?
Laurent BUCYIBARUTA : De temps en temps.
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Président : Vous pensez avoir eu tous les renseignements nécessaires ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non. Le fonctionnement était déjà comme cela avant et quand il y a eu le
gouvernement de transition multipartite, le service de renseignement est resté dans le bureau du
premier ministre.
Président : Est-ce qu’il fonctionnait ou dysfonctionnait, ce service ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il y avait un dysfonctionnement pour moi.
Président : Quand avez-vous eu connaissance de ce dysfonctionnement ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’était connu.
Président : Le fait qu’il passe par dessus le préfet, sans l’informer, c’est un dysfonctionnement ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Président : Vous avez envoyé des courriers de réclamation ? Des rapports officiels pour dénoncer
cette situation ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’était au ministre de l’intérieur d’en informer ses supérieurs. Ce n’était pas à
moi en tant que préfet de dire que le service connaissait un dysfonctionnement. Nous le signalions à
notre supérieur hiérarchique, le Ministre de l’Intérieur.
Président : Pourquoi ce n’était pas à vous de signaler un dysfonctionnement du service de
renseignement qui était à la préfecture ?
Laurent BUCYIBARUTA : Parce que pour nous, préfets, notre supérieur c’était le Ministre de l’Intérieur
et nous devions nous adresser à lui d’abord.
Président : Monsieur, c’est un service qui dépend de la préfecture. Êtes-vous responsable des services
de votre préfecture ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le préfet est responsable de sa préfecture selon les lois et règlements en
vigueur..
Président : Est-ce que la loi en vigueur dit que ce n’est pas à vous de vous en occuper ?
Laurent BUCYIBARUTA : (Laurent BUCYIBARUTA indique le décret précis et l’article précis — Article
46 du décret Loi portant organisation de la préfecture de 1975 ) qui dit que le préfet a autorité sur
tous les services mais sur ceux de la sécurité, il n’est pas responsable totalement.
Président : Est-ce que l’article 46 du décret loi dit que s’agissant des services de renseignements, vous
n’êtes pas totalement responsable ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, les services de sécurité, pas seulement les services de renseignements,
ne dépendent pas du préfet.
Président : Les services de renseignement, ils dépendent en partie quand même du préfet, ils ne sont
pas autonomes ?
Laurent BUCYIBARUTA : Les agents affectés dans ces services dépendent du ministère plus que de la
préfecture.
Président : nous verrons en détail la lecture de ce décret-loi.
Laurent BUCYIBARUTA : Ce qu’il faut comprendre d’autre, c’est que l’administration préfectorale n’est
pas décentralisée mais déconcentrée.
Président : Personne ne contestera que vous avez un supérieur hiérarchique qui est le Ministre de
l’Intérieur. Mais néanmoins, à chaque niveau, il y a des personnes responsables. Pour que ce soit
parfaitement clair, pouvez-vous nous dire à quelle date exactement, vous vous êtes rendu, pour la
seule fois, à Murambi ?
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Laurent BUCYIBARUTA : Le 15 avril.
Juge assesseur 3 : Sur la visite du 15 avril, est-ce que la Croix-Rouge est représentée ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, elle n’intervenait pas à GIKONGORO parce que le bureau local de la
Croix-Rouge ne disposait pas de biens ou de nourriture à distribuer.
Juge assesseur 3 : J’ai cru comprendre qu’un prénommé Félicien est secrétaire général de la CroixRouge et fait partie du personnel à la préfecture de Gikongoro, est-ce qu’il était présent ? Cette
absence m’étonne.
Laurent BUCYIBARUTA : Vous avez raison, il s’occupait, en plus de ses fonctions, de la section locale
de la Croix-Rouge, mais c’était pour tenir de temps en temps des réunions, mais il n’avait pas de
produits à distribuer à des personnes dans le besoin. Le siège était à KIGALI et c’est lui qui disposait de
tous les produits de première nécessité. En cette période, même les offices de KIGALI ne pouvaient pas
fonctionner normalement. La Croix-Rouge n’avait vraiment aucun moyen d’assistance.
Président : Sur les personnes qui vous accompagnent : BIZIMUNGU, SEMAKWAVU, le responsable du
Service de Renseignement préfectoral, le dénommé Fabien, le président du Tribunal de première
instance, mais vous n’êtes pas sûr pour ce dernier, et le Procureur.
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Président : Vous aviez eu l’occasion de discuter avec le procureur ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, et on constatait la même chose.
Président : Le rôle d’un procureur c’est à priori de poursuivre les délinquants, qu’est-ce qu’il vous
disait ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il me disait qu’à ce moment-là, il n’était pas en mesure de mener les
enquêtes. Il disait qu’il ne pouvait pas faire des enquêtes car personne ne venait au bureau, et son
adjoint venait de mourir. Il devait être informé de la situation car les enquêtes n’étaient pas forcément
exclues. Donc, s’il avait été informé à l’avance, les enquêtes auraient pu avoir lieu si on avait retrouvé la
sécurité nécessaire.
Président : S’il n’était pas en mesure d’effectuer son rôle, pourquoi était-il là ? Pour faire de la
figuration ? Qui lui a demandé de venir ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il devait au moins être informé de la situation. Les enquêtes n’étaient pas
exclues et pouvaient avoir lieu ultérieurement si on avait retrouvé la sécurité nécessaire.

Questions des Parties civiles (à Monsieur Laurent BUCYIBARUTA).

Me GISAGARA : Vous vous rendez le 15 à MURAMBI avec des responsables de services préfectoraux,
c’est vous qui les convoquez ? Comment ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai reçu la lettre des réfugiés et j’ai téléphoné aux chefs de services.
Me GISAGARA : Y avait-il un responsable d’ethnie Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non je ne crois pas.
Me GISAGARA : Donc aucun n’était Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai collaboré avec les gens sur place, je ne nommais pas les gens et je
travaillais avec eux.

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Me GISAGARA : Est-ce que ce serait erroné de considérer qu’à cette date les services préfectoraux
fonctionnaient parfaitement parce que vous y allez avec des chefs de service?
Laurent BUCYIBARUTA : Qu’ils fonctionnent parfaitement ou partiellement, je devais aller régler la
situation.
Maître TAPI : Est-ce que dans votre service il y avait un certain Théoneste, chef comptable préfectoral
?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Maître TAPI : Ce Théoneste était Tutsi, est-ce qu’il était convoqué ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il dépendait du Ministère des Finances et ne faisait donc pas partie des
réunions du comité préfectoral.
Président : Aucune dépense n’était donc prévue pour les réfugiés de MURAMBI ?
Laurent BUCYIBARUTA : Son rôle était celui de comptable de bureau.
Président : Il n’est pas venu parce que son rôle était pour les dépenses de bureau. Ma question n’est
pas cela, est-ce que des dépenses étaient prévues pour les réfugiés de Murambi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le comptable gérait les subventions envoyées par le Ministère des Finances
pour les différents services de la préfecture.
Président : Aucune subvention susceptible d’être utilisée en faveur des réfugiés de Murambi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, parce que à ce moment-là on ne recevait plus de subventions, le
gouvernement lui-même était en déroute.

Audition de monsieur François MUDAHERANGWA. En visioconférence du Rwanda.
Président : Avez-vous été condamné pour des faits en lien avec le génocide dans la préfecture de
GIKONGORO ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Compte tenu des faits pour lesquels vous avez été condamné, qui sont connexes à ceux
qu’on reproche à Laurent BUCYIBARUTA, vous ne prêterez pas le serment de témoin, mais je vous
invite tout de même à parler avec franchise et sincérité.
Le témoin ne souhaite pas faire de déclaration spontanée.
Président : Est-ce que vous pouvez nous dire la peine à laquelle vous avez été condamné ?
François MUDAHERANWA : J’ai été détenu pendant 10 ans, j’ai fait un plaidoyer de culpabilité, j’ai
demandé pardon et le pardon m’a été accordé.
Président : Pouvez-vous nous dire ce que vous avez reconnu dans votre plaidoyer de culpabilité ?
François MUDAHERANWA : Oui je vais le dire. J’ai plaidé coupable pour le crime de génocide que
j’ai commis dans la préfecture de GIKONGORO, à MURAMBI. C’était en date du 7 avril et les Tutsi sont
venus au diocèse de GIKONGORO. Dans la soirée, les gendarmes sont arrivés, ils les ont pris de là et ils
les ont conduits à MURAMBI. En ce qui me concerne, j’habitais au centre de négoce de KABEZA, sur la
route qui menait à MURAMBI.
Le lendemain, Laurent BUCYIBARUTA, SEMAKWAVU, HAVUGA, et quelqu’un qui était greffier au
Tribunal ainsi que SEBUHURA sont arrivés. Dans la soirée de ce jour-là, ces personnes que j’ai citées

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sont venus tenir une petite réunion dans le même centre de négoce où j’habitais. Après cette petite
réunion, ils nous ont demandé d’installer une barrière. Ils nous ont demandé d’ériger la barrière et ils
ont également dit que les Tutsi qui allaient passer par là nous devions les laisser continuer leur route
pour rejoindre les autres là où ils les avaient mis à MURAMBI. Nous les avons donc laissé passer et
après un certain nombre de jours, ils sont retournés là-bas et ils nous ont dit que le nombre de Tutsi
avait augmenté. Ils ont également dit que les personnes qui devaient passer à la barrière, nous devions
leur demander de montrer leur carte d’identité et si nous trouvions que c’était des Tutsi, nous devions
les tuer. C’est ce que nous avons fait.
Après un certain nombre de jours, ils sont allés perquisitionner les armes dont ils disposaient. Un jour,
en soirée, nous avons mené une attaque contre eux, ils ont été plus forts que nous, et nous avons
rebroussé chemin. Le lendemain, ils nous ont dit que comme notre nombre était insuffisant, il était
opportun que nous demandions des renforts. Des renforts ont été demandés aux communes
MUDASOMWA et KAMARA. Les gens de là sont venus.
Ainsi, après l’arrivée de ces renforts, nous avons attaqué les gens vers l’aube, et nous les avons tués.
C’est ainsi que ça s’est passé, mais ces dirigeants dont j’ai parlé et qui nous avaient tenu une réunion
étaient aussi présents. J’ai donc plaidé coupable pour ces faits, ma conscience me demandait de le
faire, j’ai demandé pardon et il m’a été accordé.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
François MUDAHERANWA : J’appelle BUCYIBARUTA à écouter la voix de sa conscience, à demander
pardon et à l’obtenir pour que nous construisions notre mère patrie, le Rwanda, sans laisser nos
enfants dans les discordes.
Président : Est-ce que vous aviez un surnom ?
François MUDAHERANWA : Oui, « Baguette ».
Président : C’est ce surnom qu’un témoin vous a désigné, Emmanuel NYIRIMBUGA.
François MUDAHERANWA : Je le connaissais car quand nous commettions le génocide, nous étions
ensemble.
Président : Pourquoi vous appelait-on « Baguette » ?
François MUDAHERANWA : C’est suite à mes activités de soudeur.
Président, faisant un peu d’humour : Ce n’est pas parce que vous êtes obéissant ?
François MUDAHERANWA : Non, on attribuait un surnom aux gens en faisant référence à son activité
professionnelle.
Président : Ce que vous avez fait, vous l’avez fait de plein gré ou on vous a forcé?
François MUDAHERANWA : Je l’ai fait de mon propre gré, personne ne m’a forcé. Mais, vous parlez
du plaidoyer de culpabilité ou de la commission du génocide ? (Malentendu).
Président : Je parle de ce que vous avez fait, de la commission du génocide.
François MUDAHERANWA : Ce sont les autorités qui nous dirigeaient qui nous ont incité à le faire car
nous ne nous dirigions pas nous-mêmes. S’ils ne nous avaient pas demandé d’aller tuer, nous
n’aurions pas pu aller tuer nos voisins, les personnes avec qui nous vivions.
Président : Souvenez-vous d’avoir été entendu par des enquêteurs ?

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François MUDAHERANWA : Oui, mais je ne les connais pas, je ne peux pas vous citer leurs noms.
Président : Sans dire leur nom, qui étaient ces enquêteurs, d’où venaient-ils ?
François MUDAHERANWA : C’était des Blancs français. Je leur ai dit la même chose que je viens de
vous dire.
Président : Ah…pas tout à fait. Vous confirmez bien que vous habitiez à KABEZA, là où il y avait la
barrière ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Vous nous avez expliqué que le lendemain de la mort du président HABYARIMANA, il y a
eu une réunion qui avait eu lieu à KABEZA.
François MUDAHERANWA : Oui. C’est au lendemain de sa mort, que les Tutsi ont commencé à fuir
en direction du diocèse de GIKONGORO. Après, on les a pris là bas pour les conduire à MURAMBI. Ce
que je viens de dire, c’est la même chose que j’avais dit aussi.
Président : Quand avait eu lieu la réunion qui s’est tenue au centre de KABEZA ?
François MUDAHERANWA : La date est le 7 au soir, après le départ des premiers Tutsi. Après qu’ils
ont emmené les premiers Tutsi, c’est à ce moment-là qu’ils ont tenu la réunion d’installation des
barrières.
Président : Qui a participé à cette réunion ? Avez-vous participé à cette réunion ?
François MUDAHERANWA : Nous autres, nous étions tout près de là, ils ont tenu une réunion à 4,
sinon à 5. Après cette réunion, ils nous ont demandé aussitôt d’ériger la barrière.
Président : Avez-vous vu personnellement entendu le préfet s’adresser à vous ou aux autres pour
ériger la barrière ?
François MUDAHERANWA : Moi même j’en faisais partie, car j’habite dans ce centre de négoce.
Président : Comment saviez-vous que c’était le préfet Laurent BUCYIBARUTA qui s’adressait à vous ?
François MUDAHERANWA : C’était lui qui était notre dirigeant et à KABEZA, là oui j’habitais, c’était lui
le dirigeant. Tu ne pouvais pas ne pas connaitre ton dirigeant, sauf si vous habitez très loin.
Président : Vous savez qu’il était préfet ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Vous avez dit qu’il y avait le bourgmestre SEMAKWAVU ?
François MUDAHERANWA : Oui, ils étaient ensemble, ainsi que le capitaine SEBUHURA, le souspréfet HAVUGA, et KARANGWA qui était greffier.
Président : Donc c’est ça votre déclaration, ils étaient tous ensemble (Laurent BUCYIBARUTA et les
autres) ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Dans quelle maison sont ils allés tenir cette réunion?
François MUDAHERANWA : Ils étaient dans le petit centre, et après ils sont allés de l’autre côté, à la
maison d’un certain Jonathan BOYI.
Président : Est-ce que Jonathan BOYI était là ?
François MUDAHERANWA : Ils sont entrés dans la maison, s’il était dedans je ne sais pas, mais quand
ils sont sortis de cette réunion, ils nous ont dit: « Erigez la barrière ».
Président : C’est la première réunion qui a eu lieu. Vous avez parlé d’une autre réunion?

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François MUDAHERANWA : L’autre réunion qui a eu lieu, c’est celle qui s’est tenue le jour où nous
allions tuer.
Président : J’ai cru comprendre qu’il y avait eu une autre réunion, peu de temps après et qu’on avait
dit que le nombre de Tutsi avait augmenté.
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Savez-vous si lors de cette réunion, ils ont rencontré des Tutsi qui étaient à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Ils venaient de là, de MURAMBI.
Président : Vous n’avez pas vu s’il y avait une réunion avec les Tutsi ?
François MUDAHERANWA : Non, ils étaient dans l’établissement qui se trouvait là-bas et nous autres,
la population, nous n’y sommes pas entrés, nous n’y sommes allés que ce jour pour les tuer.
Président : Vous avez dit que le préfet serait revenu quelque jours après pour aller chercher des
armes, pour perquisitionner des armes.
François MUDAHERANWA : Oui ça s’est passé comme ça.
Président : Donc, c’est la troisième fois que vous voyez le préfet passer pour aller à KABEZA ou pour
aller à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Vous avez aussi expliqué qu’un soir il y a eu une attaque, que vous avez été repoussés et
que le lendemain on vous a dit qu’il vous fallait des renforts ?
François MUDAHERANWA : Oui, ça c’est passé comme ça.
Président : Qui a dit qu’il fallait des renforts?
François MUDAHERANWA : SEBUHURA, ses instructions provenaient d’en haut.
Président : C’est à dire ? Que c’était des ordres du préfet ?
François MUDAHERANWA : Oui, mais leur réunion ne pouvait pas se tenir sans qu’il en fasse partie,
c’était lui qui était à la tête de la préfecture.
Président : Vous l’avez vu aussi le matin de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : Oui, je vous l’ai dit, quand nous sommes allés là-bas il faisait encore
sombre, mais le lendemain matin je l’ai vu.
Président : Vous avez vu qui ?
François MUDAHERANWA : J’ai vu le préfet, ainsi que d’autres personnes dont je vous ai parlé avant.
Sinon, les autorités étaient nombreuses, il y en avait qui étaient venues de MUDASOMWA et KARAMA.
Président : Donc, ceux que vous m’aviez cités, c’était SEBUHURA, HAVUGA, KARANGWA le greffier du
Tribunal ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Donc, vous avez vu tous ces gens le matin de l’attaque de MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Oui, nous étions ensemble.
Président : Qu’est-ce que vous faisiez ensemble ?
François MUDAHERANWA : Ils ont fait une réunion, et ils nous ont incité à aller tuer, c’est eux qui
nous ont incités à le faire.
Président : Ils ont fait une réunion où ?
François MUDAHERANWA : L’autre réunion, ils l’ont tenue dans l’enceinte de l’établissement-même
lorsqu’ils ont perquisitionné les réfugiés qui s’y trouvaient.
Président : Quand était cette réunion ? Je parle de la réunion après la perquisition ?
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François MUDAHERANWA : Le lendemain de la perquisition, nous sommes allés tuer. Les armes
avaient été saisies la veille pour qu’ils ne s’en servent pas pour nous tuer nous aussi.
Président : Y a-t-il eu une réunion soit au moment de la perquisition, soit au moment de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : L’attaque à proprement parlé, comme nous avions attaqué à l’aube, la
réunion ils l’avaient faite dans la nuit. Après quoi, ils nous ont dit que des renforts allaient être
cherchés et que nous devions attendre pour attaquer.
Président : Que faisaient-ils le matin de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : Les Tutsi venaient de mourir et eux étaient en train de rebrousser chemin
pour rentrer.
Président : Donc, il n’y a pas eu de réunion le matin de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : Comment voulez-vous qu’une réunion se tienne alors que ce jour-là les
gens étaient en train de mourir.
Président : Donc, ils étaient juste venus voir ?
François MUDAHERANWA : Nous étions partis ensemble la nuit. Si la réunion avait eu lieu, n’est-ce
pas qu’ils nous auraient demandé d’arrêter et de ne pas tuer les gens.
Président : Que se passe-t-il pendant l’attaque ?
François MUDAHERANWA : C’est ce que je vous ai expliqué plus haut.
Président : C’est-à-dire ?
François MUDAHERANWA : Je vous ai dit qu’on avait mené une première attaque qui a été avortée.
Le lendemain, quand les renforts furent demandés, nous sommes repartis en grand nombre et c’est ce
que je vous ai expliqué, nous les avons tués.
Président : Est-ce qu’il y avait des gendarmes ?
François MUDAHERANWA : Oui, ils sont venus apporter des grenades.
Président : Y avait-il le capitaine SEBUHURA ?
François MUDAHERANWA : Oui, il dirigeait la gendarmerie.
Président : Avez-vous déjà entendu parler d’un officier, le major Christophe BIZIMUNGU ?
François MUDAHERANWA : Je ne le connais pas.
Président : Est-ce qu’il y avait des militaires ?
François MUDAHERANWA : A MURAMBI, il n’y avait pas de militaires.
Président : Y avait-t-il que des gendarmes ? Pas de renfort de militaires ?
François MUDAHERANWA : Les renforts, c’était des gens de la population qui étaient venus dans un
véhicule en provenance de communes que je vous ai citées.
Président : Avez-vous entendu parler d’un ancien officier Aloys SIMBA ?
François MUDAHERANWA : J’ai entendu parler de lui.
Président : L’avez-vous vu ?
François MUDAHERANWA : Lors de l’attaque de MURAMBI, je ne l’ai pas vu, mais je l’ai vu dans une
réunion qu’il avait organisée à une place du marché. Mais je n’avais pas participé à cette réunion.
Président : Donc, vous l’avez vu sans participer à cette réunion?
François MUDAHERANWA : Moi, je le connaissais déjà avant, mais je n’ai pas été présent là où il avait
organisé la réunion car c’était loin de mon domicile. Mais on m’a dit qu’il avait organisé la réunion.
Président : Donc, on vous l’a dit, vous ne l’avez pas vu ?
François MUDAHERANWA : Oui, je ne sais pas ce qui s’est dit à cette réunion du marché.
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Président : Parmi les attaquants, y avait-il des gens habillés avec des feuilles de bananier?
François MUDAHERANWA : Oui, lorsque nous sommes allés à MURAMBI lors de la première attaque?
nous portions des feuilles. Lors de la deuxième attaque nous portions des feuilles aussi, c’était une
sorte d’insigne pour se reconnaitre et ne pas nous tuer nous-mêmes. Nous portions des feuilles de
bananiers.
Président : Donc, Monsieur, selon vous, ce que vous venez de nous dire, ça correspond à vos
déclarations faites aux enquêteurs français ?
François MUDAHERANWA : Oui, les propos que je viens de vous dire sont les mêmes.
Président : Il doit y avoir un problème de lecture car ce ne sont pas les mêmes choses…
François MUDAHERANWA : Ce n’est pas moi qui prenais les notes, mais ce que je viens de vous dire
correspond à ce que je leur ai dit à l’époque.
Président : Je vais faire lecture de ce que vous avez dit à l’époque.
Question. Est-ce que les gens que vous venez de citer ont commis des exactions contre les Tutsi à la
barrière de KABEZA?
Réponse. Quand j’étais avec ces personnes que je viens de citer, je n’ai jamais vu l’une d’entre elles tuer
un Tutsi. Mais j’ai entendu dire dans les procès Gacaca que Félicien a été accusé d’avoir tué des Tutsi sur
la barrière de KABEZA. En plus de ça, j’ai vu Félicien en train de tuer un Tutsi à côté de cette barrière trois
jours après l’attaque de MURAMBI. J’ai témoigné de cela à la Gacaca.
Question. Mais vous veniez de dire qu’aucune des personnes que vous veniez de citer n’avait commis
d’exaction et aussitôt vous dites le contraire. Qu’en est-il?
Réponse. Je m’excuse, j’avais oublié de vous le dire, je m’excuse.
François MUDAHERANWA : Comment j’ai pu ne pas en parler alors que cette barrière était située
jusqu’à côté de mon domicile ?
Président : Vous avez vu des Tutsi tués à cette barrière ?
François MUDAHERANWA : Il y en a qui ont tué, d’autres sont allés là où ils ont été tués. À cette
barrière, nous y avons tué des gens, ce sont ceux-là qu’on a jeté dans la fosse ; d’autres ont perdu la
vie là où on les avait conduits pour les rassembler. Je ne sais pas pourquoi celui qui a fait les
transcriptions a noté que je n’avais rien vu, alors que moi-même je me trouvais à côté de cette
barrière. Si vous avez une question à me poser, une question par rapport à ce qui se passe après, je
suis prêt à répondre aux questions.
Le président enchaine avec la lecture de l’audition devant les gendarmes français – D10375/4 jusqu’à
D10375/6 en entier. Est-ce que ça vous semble cohérent avec ce que vous avez dit ?
François MUDAHERANWA : J’ai dit tout ce que je viens de vous dire, je l’avais dit de la même
manière mais je ne sais pas pourquoi on ne l’a pas noté.
Président : D’accord, donc ce sont les enquêteurs français qui ont mal noté ?
François MUDAHERANWA : C’est possible, les déclarations que je viens de vous dire sont les mêmes.
Le Président continue la lecture – D10375/7. Après la lecture, il soulignera les contradictions du
témoin qui rendent difficile la compréhension de la situation.
Président continue la lecture – D10375/7
Président : Ce n’est pas tout à fait ce que vous avez dit Monsieur. C’est parce que ça a été mal noté
par les enquêteurs français ?
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François MUDAHERANWA : il se peut qu’ils aient mal noté. Je n’étais pas à la barrière jour après jour.
En fait, nous nous relayions et quand je venais, on me disait que des dirigeants étaient passés et
avaient donné telle ou telle instruction.
Président : En fait ce que vous nous dites sont plus des choses qu’on vous a dites que vous avez
entendu vous-même?
François MUDAHERANWA : Ce que je vous ai dit est ce dont j’ai été témoin mais les gens qui
collaboraient avec moi m’ont informé d’autres choses. Mais la plupart de ce que je sais est contenu
dans ce que je vous ai dit.
Président : Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe après l’attaque ?
François MUDAHERANWA : nous sommes allés ratisser ceux qui s’étaient cachés. Les autres étaient
allés se cacher à CYANIKA mais c’était loin. Des jeunes gens les ont poursuivis mais moi je n’y suis pas
allé.
Président : La barrière est-elle restée à KABEZA ?
François MUDAHERANWA : Elle est restée, elle a été enlevée par les Français à leur arrivée.
Président : Vous avez connu une dame blanche, MADELEINE ?
François MUDAHERANWA : Oui, je la connaissais.
Président : Vous saviez si elle venait à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Elle est venue une fois à la barrière, elle avait avec elle des gens, nous les
lui avons arrachés, elle est repartie et n’est jamais revenue. On lui a interdit de revenir. En fait, elle avait
l’intention de secourir les gens qui s’y trouvaient mais les autorités lui ont dit de ne plus jamais revenir
là-bas.
Président : C’était combien de temps avant la grande attaque ?
François MUDAHERANWA : Elle est venue avec des gens, trois jours après nous sommes allés tuer les
autres mais ceux qu’elle avait amenés avec elle, nous les avons tués.
Président : Il y a eu d’autres gens en dehors de MADELEINE qui apportaient du riz à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Un commerçant a amené des denrées mais c’était pour les vendre pour
que les réfugiés aient quelque chose à manger. On l’a immédiatement arrêté et on lui a dit de rentrer
avec sa nourriture, il est reparti d’où il était venu.
Président : Après la grande attaque, d’autres réfugiés sont venus à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Il n’y a pas d’autres personnes qui se sont réfugiés. Les autres étaient
ceux qu’on avait amenés mais que les Français avaient pris pour les amener au camp. Parmi ce dernier
contingent, personne n’y a perdu la vie.
Président : C’était des réfugiés Hutu ou Tutsi ?
François MUDAHERANWA : Ils les avaient amenés du diocèse de BUTARE.
Président : Réfugiés Hutu ou Tutsi ?
François MUDAHERANWA : Je ne sais pas, je les ai vus comme ça.
Président : Vous avez vu comment on a enterré les gens ?
François MUDAHERANWA : Est arrivé un bulldozer de marque CATERPILLAR qui provenait du
Ministère des travaux publics, il a creusé une fosse de l’autre côté, où se trouve un bâtiment à étages.
On les a tous enfouis là, personne n’a été enterré en dignité. Il y a eu un camion venu de la prison.
Président : autre chose à ajouter ?

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François MUDAHERANWA : Celui qui était un dirigeant devrait faire preuve d’humilité, écouter la voix
de sa conscience, demander pardon et que le pardon lui soit accordé, comme nous avons écouté la
voix de notre conscience.

Pas de question des Parties civiles.

QUESTIONS MINISTÈRE PUBLIC.
Ministère public : Je voudrais clarifier un point sur la question des réunions. En France, une réunion
c’est assez formel, avec des gens qui s’assoient autour d’une table. Je comprends qu’au RWANDA ce
n’est pas ça, c’est plutôt un rassemblement de population dans un espace public, avec des autorités
qui viennent communiquer des informations. C’est ça ?
François MUDAHERANWA : Ce n’était pas une réunion ordinaire.
Ministère public : Ma question c’est « en général », pour que la Cour et les jurés comprennent bien.
François MUDAHERANWA : Pour que vous compreniez, c’est par exemple une personne qui vient et
donne une information à 10 personnes.
Ministère public: C’est un rassemblement de population ?
François MUDAHERANWA : Par exemple, vous rencontrez 5 personnes, vous leur dites quelque
chose et ils font passer l’information à d’autres.
MP : Là vous parlez de la réunion.
François MUDAHERANWA : C’était une petite réunion à laquelle participaient 4 personnes et nous
sommes allés le dire à d’autres personnes.
MP : M. le Président a indiqué que vos déclarations divergeaient entre celles d’aujourd’hui et celles
devant les gendarmes. Vous nous avez aussi dit que vous avez plaidé coupable en Gacaca et on
comprend que vous devez faire attention à surveiller ce que vous dites aujourd’hui, à ne pas trop en
dire pour ne pas risquer de poursuites par la suite. Est-ce que cela explique pourquoi vous avez très
largement minimisé ce qui s’est passé durant le génocide ? Que ce soit votre propre rôle ou celui des
autres.
François MUDAHERANWA : Ce que j’ai dit aux gendarmes, c’est ce que j’ai fait. C’est aussi ce que j’ai
dit aux audiences Gacaca. Qu’est-ce que j’aurais pu raconter de plus aux gendarmes ? Moi, j’ai plaidé
coupable pour les faits que j’ai commis, aucun gendarme ne m’a jugé. Moi, j’ai plaidé coupable à cause
de ma conscience, j’ai dit tout ce que j’avais fait, j’ai avoué tous mes crimes devant les tribunaux
Gacaca.
Ministère public : Sur le préfet, vous indiquez qu’il avait tenu une réunion à KABEZA pour ordonner la
mise en place de barrières. Vous l’avez vu passer à la barrière que vous teniez alors qu’il revenait du
camp de Murambi en disant qu’il y avait de plus en plus de Tutsi là-bas ; une troisième fois, sur un
nouveau passage de la barrière pour aller à la perquisition au camp ; une quatrième fois, le matin de
l’attaque, après l’attaque qui est survenue la nuit, où il est venu avec d’autres autorités sans rien faire
et après il est parti. Je me trompe ou j’ai bien compris ce que vous avez dit aujourd’hui ?

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François MUDAHERANWA : Les choses se sont déroulées telles que je vous l’ai dit, ce n’est pas moi
qui l’écrivait et je l’ai cité comme ça s’est passé.
Ministère public: Ma question est de savoir si ces 4 épisodes que vous avez évoqués aujourd’hui
correspondent à la réalité ? Je ne parle plus des auditions.
François MUDAHERANWA : Oui, et c’est comme ça que je l’ai raconté avant.
Ministère public : Une précision sur les barrières. Vous avez évoqué un basculement sur les méthodes,
le fonctionnement de la barrière de KABEZA où vous étiez. Vous avez dit que dans un premier temps il
fallait laisser passer les réfugiés pour aller à l’école de MURAMBI et qu’ensuite les autorités vous ont
dit qu’il fallait contrôler et arrêter les Tutsi. Vous avez dit que ce changement dans la pratique avait été
décidé par les autorités car le nombre de réfugiés avait beaucoup augmenté à l’école. Qu’est-ce que
vous avez compris de ça, selon vous, les autorités craignaient de faire face au nombre de réfugiés, des
milliers, rassemblés dans cette école ?
François MUDAHERANWA : Bien sûr, quand ils sont devenus nombreux, ils avaient un plan de les
tuer. S’il n’y avait pas eu un plan, on les aurait laissés tels qu’ils étaient, aucune personne de la
population n’aurait pu les attaquer.
Ministère public : Donc, quand vous expliquez que les premières attaques ont été repoussées par les
réfugiés et qu’ensuite des villageois des autres communes sont venus, selon vous, c’est parce qu’il
fallait attendre le moment opportun pour attaquer, pas ‘n’importe quand mais quand les autorités
décidaient que c’était le bon moment pour attaquer ?
François MUDAHERANWA : Oui, parce qu’ils avaient peur. Quand nous étions peu nombreux, ils ont
demandé d’attendre les renforts pour attaquer en nombre.
QUESTIONS DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : Vous avez indiqué aux enquêteurs français – D10375/2, que vous aviez été arrêté le
24 février 1995 et libéré le 28 août 2005.
François MUDAHERANWA : La première date n’est pas la bonne.
Me BIJU-DUVAL : Alors dites-nous la bonne!
François MUDAHERANWA : C’était au début février.
Me BIJU-DUVAL : Quelle année ?
François MUDAHERANWA : février 1995, au début du mois.
Me BIJU-DUVAL : Entre la date de votre arrestation et celle de votre libération de la prison de
GIKONGORO, pouvez-vous nous indiquer la date de votre jugement Gacaca qui vous a libéré ?
François MUDAHERANWA : J’ai été jugé quand les tribunaux Gacaca ont commencé à siéger. Il y a eu
d’abord la période de collecte d’informations, ensuite c’était le début des procès Gacaca. On a dit
qu’on devait juger les personnes en prison. Ils ont trouvé que nous avions plaidé coupable en toute
conscience, donc on nous a laissés aller dans nos familles. Nous avons comparu et quand ils ont
comparé la peine avec le temps que nous avions passé en prison, ils ont trouvé que ça correspondait.
Me BIJU-DUVAL : On peut considérer que vous avez été jugé et libéré en août 2005, c’est bien ça ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Me BIJU-DUVAL : Donc, au moment où vous êtes interrogés par les enquêteurs français en 20012, ça
fait presque sept ans que vous avez été jugé et avez purgé votre peine ? Vous nous confirmez que ce
que vous avez dit aux enquêteurs français est ce que vous avez dit aux Gacaca ?
François MUDAHERANWA : Oui.
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Me BIJU-DUVAL : Votre peine étant définitive, vous n’auriez aucune raison d’avoir peur d’une peine
pour des faits que vous n’auriez pas évoqués en Gacaca ?
François MUDAHERANWA : J’ai répondu aux questions posées.
Me BIJU-DUVAL : Prenons l’exemple des réunions, évoquées par Mme l’avocate générale. Aujourd’hui
vous nous avez parlé de plusieurs réunions après le 7 avril, l’attentat, n’est-ce pas ? Lorsque vous avez
été interrogé par les enquêteurs français, vous avez dit que vous n’en saviez rien. Que vous citiez les
réunions ou pas, en quoi cela pouvait-il vous incriminer ?
François MUDAHERANWA : J’ai commencé en disant qu’il y avait eu une réunion le 7 et je vous ai dit
que l’autre a eu lieu quand nous avons interrompu notre attaque. L’autre, une fois qu’on avait fouillé
les réfugiés.
Me BIJU-DUVAL : D’accord. La lecture par M. le Président de votre audition de 2012 a répondu à bien
des questions donc je n’en ai plus qu’une. M. le témoin, qui vous a demandé de modifier vos
déclarations pour venir charger/accuser le préfet Laurent BUCYIBARUTA lors de ce procès.
François MUDAHERANWA : Nous avons reçu une convocation au Parquet, et comme on avait déjà
témoigné une fois contre lui, on nous a dit que nous allions témoigner aussi là où il est emprisonné.
Me BIJU-DUVAL : M. le témoin, vos déclarations entre 2012 et aujourd’hui sont radicalement
différentes. Ma question est la suivante : qui vous a demandé de venir modifier vos déclarations pour
charger le préfet BUCYIBARUTA ?
Président : Pour la loyauté des débats, il me semblerait mieux de poser la question ainsi: « Est-ce
quelqu’un vous a demandé de changer vos déclarations ». Posez des questions un peu plus ouvertes
Me BIJU-DUVAL : est-ce que quelqu’un vous a demandé de venir changer vos déclarations pour y
inclure des éléments à charge contre le préfet BUCYIBARUTA ?
François MUDAHERANWA : Personne ne m’a demandé de changer mon témoignage. Ce que j’avais
dit sur Laurent BUCYIBARUTA est la même chose que j’avais dit. Je ne sais pas pourquoi la personne
qui écrivait n’écrivait pas mes propos.

Audition de monsieur Emmanuel HANGARI, rescapé, en visioconférence.
Le témoin ne souhaite par faire de déclaration spontanée. Il veut bien répondre aux questions qu’on
lui posera.
Sur questions de monsieur le président, le témoin déclare:
« En 1994, j’étais maçon, j’avais 22 ans, j’étais célibataire et j’habitais chez ma grand-mère sur le secteur
KAMEGERI, près de GIKONGORO. J’ai bien été entendu voici des années, mais je ne sais pas si c’était des
gendarmes français.
Mon père habitait dans le district de HUYE, secteur KINANI, dans la préfecture de BUTARE. Mes parents
étaient séparés. Maman habitait CYANIKA. »
Sur question du président, le témoin énumère les victimes de sa famille. Sept de ses frères et sœurs
sont morts, cont cinq à CYANIKA. Son papa et deux autres enfants seront tués à RUSATIRA. Quant à sa
grand-mère, elle aura la vie sauve pour avoir cédé un champ à un Interahamwe [3], un certain GASANA,
en échange de sa protection.

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Le témoin n’apprend la mort d’HABYARIMANA que par des voisins. Le 8 avril, les maisons ont
commencé à brûler.
« Quand j’ai vu les incendies s’approcher de chez nous, j’ai fui avec ceux qui étaient à la maison, ma
tante maternelle, Alivera MUKASINE, Charles UWAMAHORO, le fils de ma tante, Cécilia MUREKATETE, sa
fille. Avec des voisins, on est partis à MURAMBI. Nous avons essayer de nous arrêter à la cathédrale de
GIKONGORO, mais on nous a demandé de partir pour MURAMBI où des gens nous avaient précédés.
D’autres arriveront après nous. Nous n’avons pas rencontré de barrière et n’avons pas été escortés par
des gendarmes.
Des autorités sont venues à MURAMBI: Vincent SEMAKWAVU, le bourgmestre, Laurent BUCYIBARUTA, le
préfet, le capitaine SEBUHURA et d’autres. Le préfet, je ne le connaissais que pour l’avoir vu en photo lors
de la campagne des élections législatives. SEBUHURA, on m’a dit qui il était. Il était très en colère en
poussant les réfugiés. Il nous a demandé de déguerpir au moment de la réunion.
SEMAKWAVU était arrivé avec deux Interahamwe qu’il avait arrêtés pour avoir brûlé des maisons. Mais
ils ne seront pas jugés. C’était une façon de nous mentir, de nous faire croire qu’on luttait pour combattre
l’insécurité. Nous avons soumis nos difficultés au préfet qui nous a dit qu’il n’y avait pas de nourriture.
On avait déjà enterré des personnes mortes de faim dans le camp. »
Monsieur le président va souligner les contradictions entre ce que le témoin a dit aux enquêteurs et ce
qu’il affirme à l’audience. Ce dernier confirme toutefois un certain nombre de déclarations extraites du
dossier.
Concernant la grande attaque, le témoin est invité à s’expliquer. « Les assaillants sont arrivés à l’aube.
Nous avons entendu le sifflement des balles. Nous nous attendions à cette attaque. Nous avons tenté de
résister en lançant des pierres, mais, en face, ils avaient des armes à feu. »
Le témoin va alors se réfugier dans le faux plafond de la maison à étage en arrachant une tôle du toit
qu’il avait atteint en passant par un échafaudage. Un de ceux qui étaient avec lui a manifesté sa
présence et les Interhamwe sont montés à leur tour. Un d’eux va le reconnaître et lui demander de se
vêtir de feuilles de bananier. C’est ainsi qu’il pourra retourner chez sa grand-mère.
L’ensevelissement des corps, les événements de CYANIKA? On lui racontera plus tard.
Ministère public. Vous viviez dans l’attente d’une attaque. D’autres attendaient la mort. Or, Laurent
BUCYIBARUTA dit que c’était imprévisible. Pourquoi vous dites que vous vous attendiez à une attaque.
Emmanuel HANGARI: Ils étaient venus nous attaquer plusieurs fois. C’est donc qu’ils avaient un plan.
Maître LEVY veut savoir si, lorsque le préfet leur demande de retourner chez eux, comme le prétend le
témoin, c’était pour les piéger. Le témoin répond que c’est SEMAKWAVU qui avait fait cette demande.
BUCYIBARUTA, lui, a dit qu’il n’y avait pas de nourriture, qu’il y avait d’autres réfugiés à nourrir. Le
préfet voulait bien les piéger. Il ne le connaissait pas, mais il l’avait bien vu sur des affiches.
Laurent BUCYIBARUTA est invité à réagir. « Le témoin tient des propos imaginés. J’ai dit que j’allais
entamer des démarches pour obtenir des vivres. Je ne pouvais pas imaginer que le camp serait
attaqué. Je n’ai pas entendu le bourgmestre dire aux gens de rentrer chez eux. C’est inimaginable. »
Monsieur le président va alors essayer de pousser le préfet dans ses derniers retranchements. Ce
dernier va croiser le fer avec lui. Comment a-t-il pu ignorer qu’une attaque aller se produire. Il était allé

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à KIBEHO, sa femme se cachait du côté de RWAMAGANA et un de ses beaux-frères avait été tué parce
que Tutsi.
Le président: Vous saviez qu’à d’autres endroits on tuait les Tutsi?
Laurent BUCYIBARUTA: je n’ai jamais considéré les Tutsi comme des ennemis. Le préfet de KIBUNGO
m’a bien dit qu’il y avait eu des massacres dans sa préfecture, mais en précisant qu’il avait été débordé.
Je ne sais pas par qui et pourquoi il a été tué. C’est lui qui a ramené mon fils à KIGALI.
D’évoquer ensuite son déplacement à KIGALI le 11 avril. Il y avait des barrières, la plus terrible à
NYABUGOGO. Mais la présence de gendarmes à ses côtés lui a permis de passer sans problème.
Va alors commencer une assez longue discussion sur la notion de génocide. Pour qu’il y ait génocide,
selon la loi française, il faut qu’il y ait eu entente, martèle monsieur le président. Maître BIJU-DUVAL
fait remarquer que cette notion d’entente est une spécificité française. L’accusé reconnaît bien qu’il y a
eu un génocide, mais il n’est pas concerné par l’entente: « Je ne peux pas dire qu’il y ait eu un plan! »
Toutes les parties auront beau tenter de convaincre le préfet qu’il aurait dû savoir ce qui allait arriver,
ce dernier n’en démord pas. « J’ai envoyé des gendarmes à MURAMBI pour assurer la sécurité. A KIBEHO
des gendarmes avaient retourné leurs armes contre la population mais je ne pouvais pas imaginer que
cela se produise à MURAMBI. Je n’étais pas le chef hiérarchique des gendarmes. »
Le préfet se perd dans les explications qu’il donne concernant sa propre famille.
« Protéger les réfugiés, c’était le rôle des gendarmes. Je ne pouvais pas intervenir sans mettre ma vie en
danger! »
Concernant les émissions de la RTLM [4] que le préfet écoute, il reconnaît que c’était une radio
extrémiste.
Le ministère public: Oui, mais c’est la première fois dans l’Histoire qu’une radio appelait à commettre
les massacres!
Le préfet ne sait pas combien de gendarmes il y avait à MURAMBI. Il va même jusqu’à suggérer qu’il
pourrait y avoir eu « des gendarmes en civil, comme cela se voit en France. »
Concernant la rencontre avec le préfet de BUTARE, le 16, et la diffusion d’un communiqué commun,
monsieur Laurent BUCYIBARUTA rappelle qu’ils avaient des préoccupations communes. Les décisions
ont été prises en commun.
La fin de l’audience est un véritable dialogue de sourds. Le président souhaite clôturer la journée en
rappelant qu’on aura l’occasion de revenir sur cette discussion et sur le rôle du préfet.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT pour la prise de notes en audience
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

Page 218 sur 711

References
↑1

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑2

Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des
années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des
colonisateurs.

↑3

Ibid.

↑4

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Mercredi 01
juin 2022. J16
02/06/2022

• Audition de monsieur Emmanuel NYIRIMBUGA. Ancien détenu. En visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Liberata MUKANTANGANIRA, rescapée de CYANIKA.
• Audition de monsieur Kizito KAREKEZI. Réfugié en Belgique.
Audition de monsieur Emmanuel NYIRIMBUGA. Ancien détenu. En visioconférence du Rwanda.
Le témoin va faire une déclaration spontanée, comme le lui propose monsieur le président.
« Après la chute de l’avion, je suis allé à mon travail (aide chauffeur) mais j’ai rencontré un gendarme qui
m’a dit de rentrer à la maison.
Le lendemain, je me suis rendu au centre de KABEZA pour essayer de trouver un petit travail. J’ai alors vu
des gens qui fuyaient vers l’église de GIKONGORO. Par manque de place, on les a conduits à MURAMBI
où il était prévu d’installer une école technique. Le préfet, SEMAKWAVU [1] et SEBUHURA [2] leur avaient
promis la sécurité.
Le lendemain, alors que je me trouvais au centre, le capitaine SEBUHURA, le sous-préfet HAVUGA, David
KARANGWA, le greffier du tribunal, un gendarme surnommé CDR et chauffeur du capitaine ont tenu une
réunion chez un certain HABIMANA à l’issue de laquelle ils nous ont demandé d’ériger une barrière,
provisoire d’abord, plus solide ensuite.
Nous avions reçu l’instruction de laisser passer les Tutsi qui se rendaient à MURAMBI, sans leur faire de
mal. Plus tard, le flot des réfugiés ayant augmenté, nous devions demander la carte d’identité des gens: et
tuer les Tutsi [3]. Près de la maison en construction d’un certain Alphonse, avait été construit une fosse
devant servir de latrines. C’est là qu’on jettera les corps des Tutsi.
Une première attaque des Tutsi a MURAMBI a échoué car nous n’étions pas assez nombreux. On devait
nous fournir des renforts. Un Interahamwe [4] qui avait un mortier a tiré un obus dans la vallée sans
blesser personne. Ce jour-là, nous sommes rentrés sans tuer. On nous a demandé de porter autour de la
tête des feuilles de bananier.
Le 20 avril, à la fin de la journée, le préfet, SEBUHURA et SEMAKWAVU sont passés à la barrière pour se
rendre auprès des réfugiés pour récupérer les « armes » dont ils pouvaient être en possession. A leur
retour, ils se sont entretenus avec KARANGWA et en partant, le préfet nous a dit: « Demain, c’est le
travail. » Nous avions compris qu’il fallait aller tuer.
De nombreux renforts sont arrivés d’un peu partout. Vers trois heures du matin, des gendarmes ont été
amenés par SEBUHURA. Nous sommes aller encercler le camp de MURAMBI. Les gendarmes ont
commencé à tirer sur les réfugiés qui se sont défendus en lançant des pierres. Nous avons reculé mais les
autorités présentes ont menacé ceux qui se dérobaient au combat.
D’autres gendarmes sont arrivés. Les Tutsi se sont dispersés et nous les avons tués avec nos armes
traditionnelles. Nous obéissions aux autorités. On nous a demandé ensuite de poursuivre ceux qui étaient
partis à CYANIKA. Auparavant, on nous avait recommandé d’évacuer de MURAMBI les membres de nos
familles pour les mettre à l’abri. Pour nous récompenser, le secrétaire du préfet et l’encadreur de la
jeunesse nous ont donné du riz et des haricots.

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Nous avons tué les Tutsi alors que c’était nos proches. Cela aura de graves conséquences pour nos
consciences (sic). »
Le témoin souhaite toutefois ajouter quelques mots concernant les réfugiés de KIGEME.
« Les assaillants sont allés chercher les blessés de KIGEME pour les installer à MURAMBI. Nous voulions
aller les tuer mais les gendarmes les ont protégés. Pour les tuer, nous devions avoir l’autorisation du
préfet. Ce dernier nous a fait savoir qu’il ne fallait pas tuer ces Tutsi car on allait les présenter à la
communauté internationale. »
Monsieur le président fait remarquer au témoin qu’il a été entendu plusieurs fois par différents
enquêteurs et qu’on doit noter des contradictions importantes avec ce qu’il dit aujourd’hui. Le témoin
affirme que si des différences existent, c’est parce que ceux qui ont pris ses dépositions n’ont pas écrit
ce qu’il avait dit. Il ne cessera d’avancer cet argument tout au long de son audition.
Avant 1994; le témoin appartenait au MDR [5] et il avait des relations harmonieuses avec les Tutsi. Les
destructions des maisons, les incendies ont été faits d’après les instructions des autorités. Les
incendiaires n’étaient pas arrêtés: c’est bien qu’ils étaient soutenus. Les rondes avaient bien pour objet
de tuer les Tutsi, sur instructions du préfet. S’il ne se sentait pas responsable, il aurait cessé ses
fonctions. Il confirme avoir vu Laurent BUCYIBARUTA à la barrière de KABEZA. Le 20 avril, c’est lui qui a
parlé du « travail » à accomplir. Sans cesse, le témoin incrimine le préfet.
Monsieur le président lit des extraits de ses dépositions pour mettre le témoin devant ses nombreuses
contradictions. Il aborde ensuite le passage de Madeleine RAFFIN à la barrière [6]. Le témoin s’en
souvient très bien. Il s’agissait de deux jeunes d’une même fratrie conduits par la responsable de la
CARITAS. « Nous avons stoppé la voiture et avons empêché Madeleine de les conduire à MURAMBI. Un
des gendarmes a alors donné le signal pour les tuer. J’ai participé aux meurtres. J’ai asséné un coup de
gourdin sur la tête de la jeune fille qui est tombée. Par contre, elle n’a pas été violée! D’ailleurs, aucun
viol n’a été commis à cette barrière, du moins à ma connaissance. Si des viols ont été commis, ils l’ont été
à l’écart. »
On reparle de la coupure de l’eau pour priver les réfugiés de nourriture. Rien de nouveau sur ce qu’on
sait déjà. De nombreux témoins en ont parlé. Le témoin redit que le préfet est repassé à la barrière
après la fouille des réfugiés en disant: « Demain, c’est le travail. » Une expression qui lui sera reprochée
par la défense qui est persuadée que c’est une invention du témoin.
De préciser aussi que les assaillants étaient beaucoup plus nombreux que les réfugiés. Par contre, il ne
peut pas évaluer le nombre de gendarmes présents.
Et de redire: « Ce sont les autorités qui nous ont poussés à commettre ces horreurs. »
Monsieur le président rappelle au témoin ce qu’il a dit concernant les blessés de KIGEME, des
déclarations faites à l’association African Rights. Il n’a jamais dit qu’il s’était rendu lui-même à KIGEME.
Encore des propos qu’on lui prête. Il faut dire que le témoin semble être un « bon client ». Il a été très
souvent sollicité par chercheurs et journalistes. (NDR. On trouve de temps en temps des témoins quasi
« professionnels », près à répondre à toutes les sollicitations. Valérie BEMERIKI, la journaliste de la RTLM
en est un bel exemple. Elle est toujours prête à dire ce que ceux qui l’interrogent veulent entendre dire.)

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Les parties vont se se succéder pour demander au témoin des éclaircissements sur ses déclarations. Il
va jusqu’à évoquer son débit de paroles trop rapide pour expliquer les contradictions ou les
informations nouvelles qu’il donne. Ce qui décrédibilise son témoignage. Bien sûr, ils n’ont pas fait
exprès de mal retranscrire ses propos, mais ils ont pu en oublier certains.
Sur question du ministère public, le témoin tente d’expliquer comment ils ont été avertis de l’attaque
du 21 avril. Pour qu’autant d’assaillants arrivent en même temps, il fallait bien que l’attaque soit
prévue. Pour le témoin, les instructions sont parties du haut de la hiérarchie pour être transmise
jusqu’à la population. Le creusement des fosses, il l’a vu aussi.
D’où lui vient ce « goût » de parler des meurtres qu’il a commis: « Je le fais car j’étais attristé par les
crimes que j’avais commis alors que les Tutsi étaient nos frères. Je ne peux pas oublier mon propre rôle,
ni rendre les autres responsables de mes propres crimes. » Il finira par en reconnaître 9 alors qu’un
témoin que nous avons déjà entendu lui en attribue 99 [7]!
La défense, en la personne de maître BIJU-DUVAL ne va avoir de cesse à son tour de mettre le témoin
devant ses mensonges. Ce dernier à toujours réponse à tout. L’avocat s’étonne surtout de la clémence
de ses juges qui l’ont condamné à 7 ans de prison. Ne serait-ce pas pour avoir accepté de témoigner
contre Laurent BUCYIBARUTA? Et le témoin de rabâcher: « C’est ma conscience qui m’a poussé à
avouer. Ma peine est conforme à la loi. J’aurais pu dire que je n’avais rien fait. Dénoncer les autorités, ce
n’est pas pour nier ma responsabilité »
Maître BIJU-DUVAL exprime sa conviction: « Vous auriez été condamné à la perpétuité si vous n’aviez
pas accusé les autorités. »
Un témoignage glaçant, tant pour la propension du témoin à raconter ses méfaits que pour le ton
dénué d’émotion avec lequel il s’exprime.

Audition de madame Liberata MUKANTANGANIRA, rescapée de CYANIKA.
Président : Je vais vous donner la parole si vous souhaitez faire une déclaration spontanée.
Liberata MUKANTANGANIRA :
« Au début des massacres, nous avons commencé à être tués le 7 avril 1994, c’était le lendemain de
l’attentat de l’avion du président HABYARIMANA. Le lendemain, les Hutu avaient changé de visage et
nous avons commencé à nous cacher auprès des voisins, en cherchant un endroit nous mettre à l’abri.
Par la suite, les autorités, dont le bourgmestre, sont venues à bord d’un véhicule, et quand il est arrivé, il
parlait dans un mégaphone en disant: » Tous les Tutsi, fuyez à la paroisse de CYANIKA ». C’est alors que
nous avons commencé à fuir.

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Église de Cyanika (aujourd’hui rénovée)

« Tout au long de la route, on nous a frappés et on a pris nos biens et jusqu’au moment où nous sommes
arrivés à CYANIKA.. Nous y avons vécu une vie compliquée et nous y avons trouvé des gendarmes qui
nous gardaient. Nous y avons vécu sans manger et nous sommes restés de cette façon pendant que les
autorités des instances de base venaient voir ce qu’il en était. Cette équipe était dirigée par Joseph
NTEGEYINTWALI, celui qui était le sous-préfet de la sous-préfecture de KARABA. Ils venaient donc voir
des personnes déjà arrivées là et ils nous rassuraient.
La situation a évolué ainsi, jusqu’au moment où, en soirée, on a lancé une grenade: des gens ont été tués
et d’autres furent blessés. Un membre de ma famille est décédé ce jour-là, une tante paternelle. Cela a
continué ainsi, ils nous rassuraient mais en même temps les attaques arrivaient. Les gendarmes les
repoussaient.
Mais à un certain moment, au matin du 21 avril 1994, est arrivée la voiture de Joseph NTEGEYINTWALI,
sous-préfet de KARABA, avec dans le véhicule des militaires et des citoyens ordinaires avec des armes
traditionnelles. Dans cette matinée, ils nous ont tous rassemblés dans la cour intérieure du presbytère et
des massacres ont commencé. Ils ont fermé les portes et ont commencé à tirer. Les Tutsi qui étaient là et
qui en avaient la force se sont mis à lancer des pierres pour tenter de se protéger, mais ce fut peine
perdue car les balles tombaient et les gens mouraient à cause des grenades qui étaient lancées.
À la fin, ils se sont mis à nous tuer et les personnes qui étaient à l’intérieur furent affaiblies. Papa nous a
indiqué un endroit où nous asseoir avec la famille. Il est parti et nous ne l’avons plus revu. Pendant cette
nuit, mon frère fut tué, c’était un enfant de deux ans. Dans un premier temps, ils s’étaient mis à frapper
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ma petite sœur, il a commencé à pleurer, ils l’ont vu, ils l’ont soulevé et ont vu que c’était un garçon. Ils
l’ont laissé tomber sur les cuisses de ma mère et c’est là qu’ils l’ont frappé. Ils lui ont donné trois coups de
gourdin, et il est mort immédiatement.
Nous y avons passé la nuit et la journée suivante. Les gens avaient été tués, d’autres étaient en train de
gémir de douleur, il n’y avait plus de personnes valides. Ils étaient venus tuer avec des machettes. Nous
sommes restés jusqu’à la tombée de la nuit, et nous étions fort blessés.
Au milieu de la nuit, maman nous a demandé d’essayer de nous trainer vers l’extérieur pour voir ce qu’il
en était. Nous sommes sortis de là ensanglantées dans un état fébrile. Nous sommes retournés dans
notre localité d’origine pour trouver un endroit où nous réfugier mais sans succès car partout où nous
allions on nous pourchassait. Ma mère et moi avions passé la nuit quelque part, et le jour s’est levé.
Quand elle voyait que la situation devenait difficile et qu’elle ne pouvait trouver refuge nulle part, elle a
décidé de se suicider. Elle est allée dans la maison de son frère qui avait été détruite, mais les murs
étaient encore debout. Elle est montée, elle s’est pendue et elle est décédée. J’ai tenté la même chose car
je voyais qu’aucune vie ne me restait. J’ai tenté de me suicider aussi, j’ai mis ma corde en haut, je suis
tombée avec, mais ce fut raté.
J’ai continué seule la route jusqu’à un champ de haricots. Je me suis assise et je suis restée là toute la
journée. Après un laps de temps, les gens qui pillaient les haricots m’y ont trouvée. Un homme m’a
aperçue, nous nous sommes regardés et j’ai constaté que je le connaissais. Il portait sur lui une machette
et un gourdin. Il m’a donné un coup de machette et je me suis effondrée par terre. Il s’en est allé. J’ai
passé la nuit là-bas et plus tard, quand je suis revenue à moi-même, je me suis trainée pour partir de là.
Je suis allée quelque part mais on m’a chassée, je suis allée ailleurs et ça n’a pas marché non plus. J’ai
perdu connaissance suite aux blessures graves que j’avais.
Plus tard, j’ai continué le trajet, je me suis retrouvée entre les mains de quelqu’un qui m’avait ramassée
pour m’installer chez lui. J’avais perdu connaissance et quand je suis revenue à moi, c’était dans le
courant du mois de juin. J’ai continué à vivre à cet endroit et quand la paix fut retrouvée, j’ai continué la
vie.
J’ai oublié quelque chose : ce soir-là, quand j’ai rencontré cet homme dans le champ de haricots, j’ai été
violée. Tel fut mon calvaire. Au grand jamais je n’oublierai la date du 21 avril, car c’est à cette date-là
que j’ai perdu ma famille, mes frères et mes amis. C’est à ce moment là que j’ai eu un handicap
inguérissable. »
Président : Merci pour votre déposition.
Dans le dossier Laurent BUCYIBARUTA, nous avons deux auditions vous concernant. Une audition a été
effectuée par des enquêteurs du TPIR [8], et une autre par des enquêteurs qui étaient des gendarmes
français. Ces deux auditions ont été faites à plusieurs années d’intervalle. La première a eu lieu en
septembre 2000, et celle réalisée par les gendarmes français a eu lieu en 2012.
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Quelle était votre situation familiale en 1994 ?
Liberata MUKANTANGANIRA : J’étais célibataire, je vivais encore à la maison.
Président : Qui vivait avec vous à la maison ?
Liberata MUKANTANGANIRA : J’avais mes parents, mes grandes sœurs, un frère et mes oncles
paternels.
Président : Ça faisait combien de personnes en tout à la maison ?
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Liberata MUKANTANGANIRA : Nous étions sept à la maison. Trois ont survécu. Moi, ma petite sœur
et mon frère. Ils sont toujours vivants.
Président : Vous habitiez dans le secteur de GITEGA ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Monsieur le Président cherche à faire préciser au témoin la localisation de son lieu d’habitation.
Exercice difficile pour elle.
Président : Vos parents étaient agriculteurs ?
Le témoin confirme. Elle précise qu’elle est la seconde de sa fratrie. Elle avait une grande sœur. Ont
survécu sa petite sœur et son petit frère.
Président : Vous avez dit qu’il y avait plusieurs partis politiques et qu’il y avait des réunions.
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Quand vous avez été entendue par les enquêteurs, vous avez dit que vous saviez qu’il y
avait différents partis politiques et qu’il pouvait y avoir des réunions. Vous avez dit que vous ne saviez
pas ce qu’il s’y disait, que vous n’y aviez jamais participé. Vous avez dit : « Je ne me rappelle pas
précisément la date de cette réunion, je ne sais pas qui les organisaient, mais je pense qu’il s’agissait du
responsable car elles se tenaient habituellement dans le bureau de la cellule, la cellule de BUNGOMA ».
Président : Vous avez dit que votre domicile était à côté et que vous pouviez entendre des chants,
Qu’est-ce que c’était que ces chants ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ça parlait des choses concernant les Tutsi et les tueries.
Président : Vous avez dit qu’ils avaient l’habitude de chantonner des chansons à propos du « travail »
? Compreniez-vous que c’était contre les Tutsi ou bien c’est quelque chose que vous avez compris
après ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, j’ai compris après, avant nous ne savions pas bien.
Président : Avant, quelles étaient les relations avec vos voisins Hutu?
Liberata MUKANTANGANIRA : Avant le génocide, nous vivions bien ensemble, ils ont commencé à
changer après la chute de l’avion de HABYARIMANA.
Président : Vous avez dit qu’ils avaient changé de visage ? Comment cela se manifestait ?
Liberata MUKANTANGANIRA : A la chute de l’avion, ils ont commencé à nous regarder
méchamment, ils avaient des outils et ils ont commencé à nous les montrer, celui qui te parlait avant
ne te parlait plus.
Président : C’était quel type d’outil ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ils avaient des gourdins, des machettes, des lances.
Président : Des gourdins avec des clous ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Et ça c’était dès l’annonce de la mort du président ou après?
Liberata MUKANTANGANIRA : Le lendemain de la chute de l’avion ça a commencé.
Président : Vous avez parlé de maisons qui avaient été incendiées, quand est-ce que ça a commencé ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ça a commencé après la chute de l’avion, c’est le lendemain que ça a
commencé.
Président : Quelles sont les maisons qui ont été incendiées ?

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Liberata MUKANTANGANIRA : Toutes les maisons des Tutsi, y compris les nôtres. C’est pour cela
que nous sommes partis.
Président : C’est à ce moment là que vous êtes allée à la paroisse ou pas tout de suite ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Pas à ce moment-là, pas ce soir-là, car nous avons d’abord essayé de
chercher refuge chez les voisins.
Président : Combien de temps êtes-vous restée chez les voisins ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Une seule nuit. Quand le véhicule nous a dit que nous devions fuir,
nous avons tout de suite fui.
Président : C’était le bourgmestre de la commune de KARAMA ? Où il y a la paroisse de CYANIKA ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Vous le connaissiez bien ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Vous n’avez que vu sa voiture ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Il était dans cette voiture.
Président : Quand vous dites que vous voyez sa voiture, l’avez-vous vu lui même ou juste sa voiture?
Liberata MUKANTANGANIRA : Je l’ai vu, il passait à côté de nous en prenant des gens en voiture.
Président : Comment êtes-vous allée à CYANIKA ?
Liberata MUKANTANGANIRA : À pied.
Président : Quelles étaient vos relations avec le bourgmestre ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Nous n’avions pas de problème particulier, mais quand le génocide a
commencé nous avons vu qu’il dirigeait les tueries.
Président : Pourquoi dites-vous cela ? Vous l’avez revu à CYANIKA .
Liberata MUKANTANGANIRA : La raison pour laquelle je dis ça c’est qu’il nous a appelé à fuir en
disant que c’était là-bas à CYANIKA qu’on allait nous protéger, et après, on nous a tués alors qu’il était
présent et les tueries étaient dirigées par les autorités.
Président : Sur le chemin, vous êtes passée par des barrières pour aller à la paroisse ? Y-a-t-il eu
plusieurs barrières ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, il y avait des barrières à tous les carrefours.
Président : Il y avait des gendarmes ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non, pas à la campagne.
Président : Sur ces barrières, on vous frappait et on vous volait ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Est-ce que vous avez vu de vos yeux des gens êtres tués aux barrières ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Avez-vous vu les cadavres de vos yeux ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Beaucoup ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ils en ont tué quelques uns, car les autorités ont dit qu’il fallait
rassembler tout le monde à CYANIKA, mais cela ne les empêchait pas de tuer. Près du bureau de
secteur, j’ai vu des cadavres et nous sommes passés à côté des cadavres en partant.
Président : On vous demandait votre carte d’identité [9] ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
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Président : Quand vous arrivez à la paroisse, c’est le soir ? Le matin ?
Liberata MUKANTANGANIRA : C’était l’après-midi.
Président : À la paroisse, il n’y avait que l’église, le presbytère ou d’autres bâtiments ? Un centre de
soins ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Il y avait la paroisse, un centre de santé et des écoles.
Président : Les réfugiés qui arrivent à la paroisse, où s’installent-ils exactement ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ils allaient au presbytère et à l’église, ils étaient accueillis par le père
NIYOMUGABO, qui était Tutsi, c’est lui qui nous accueillait.
Président : C’était le prêtre de la paroisse ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, c’était l’abbé.
Président : Est-ce qu’il a survécu ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non, il n’a pas survécu. Nous avons vécu avec lui là-bas jusqu’à sa
mort.
Président : Savez-vous si ce prêtre a essayé de rentrer en contact avec les autorités ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ce dont je me rappelle, avant qu’ils attaquent, il a appelé le préfet
Laurent BUCYIBARUTA, en disant que les réfugiés venus vers lui n’allaient pas bien, et en demandant
s’il pouvait les aider, mais nous n’avons rien eu.
Président : Quand vous dites « nous n’avons rien eu », vous n’aviez pas eu assez de quoi manger ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Nous n’avons pas eu d’aide.
Président : Quel type d’aide ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Que ce soit pour la nourriture et même nous venir en aide, nous
n’avons rien eu. Ils avaient coupé l’eau, nous avions faim, nous avions soif, on le leur a dit et il n’a rien
fait.
Président : Qui a coupé l’eau ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Je ne sais pas.
Président : Au centre de soins, y avait-il des personnes pouvant apporter des soins ? Est-ce que
certains blessés sont partis à l’hôpital de KIGEME ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non, c’était au centre de soins de CYANIKA. Il y avait le centre de
santé et il y avait des soignants.

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Président : Qui avait-il comme personnel ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Dans les premiers temps, il y avait des religieuses, des bonnes sœurs
qui essayaient d’aider les blessés, elles les aidaient avant le génocide, mais quand le génocide est
arrivé cela s’est arrêté.
Président : Est-ce que les sœurs sont parties ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Celles qui étaient Tutsi sont parties.
Président : Quand est-ce que vous êtes partie de la paroisse ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Nous avons quitté nos maisons le 8 avril, et nous avons quitté ce lieu
le 22 au soir.
Président : Vous avez dit qu’à la paroisse vous aviez eu la visite des autorités ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Vous avez aussi parlé de militaires ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Le jour des massacres.
Président : Est-ce que des gendarmes sont venus vous protéger ?
Liberata MUKANTANGANIRA : L’endroit était gardé par les gendarmes.
Président : Ces gendarmes, étaient-ils de GIKONGORO ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Je ne sais pas.
Président : Il y avait beaucoup de gendarmes ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non, ils n’étaient pas nombreux, peut-être dix.
Président : Quand sont-ils arrivés ?
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Liberata MUKANTANGANIRA : Ils étaient déjà là quand nous sommes arrivés.
Président : Ils étaient là habituellement ou parce que les réfugiés étaient là ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ils sont arrivés pour les réfugiés.
Président : Est-ce qu’ils vous ont protégés ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Pendant les premiers jours oui, mais pendant les massacres ils sont
partis.
Président : Ont-ils participé aux massacres ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non.
Président : Que pouvez-vous dire du sous-préfet Joseph NTEGEYINTWALI ?
Liberata MUKANTANGANIRA : C’est lui qui a emmené les Interahamwe [10] dans son véhicule, avec
les conseillers, des personnes de la population. C’est eux qui ont fait débuter les massacres.
Président : Y a-t-il eu un signal pour le début de l’attaque ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, ils nous ont rassemblés, ils nous ont enfermés.
Président : Y avait-il aussi les écoles?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, il y avait l’église, le presbytère, la cour, les écoles.
Président : Selon vous, y avait-il beaucoup de réfugiés ? Où étaient-ils ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Il y en avait dans la cour, dans les classes, à l’extérieur, dans l’église.
Au moment de tuer, ils nous ont tous rassemblés dans la cour du presbytère.
Président : Quand vous avez vu les Interahamwe, est-ce que ceux qui n’étaient pas en uniforme
militaire avaient une tenue particulière?
Liberata MUKANTANGANIRA : Les gens de la population portaient des feuilles de bananiers.
Président : Que pouvez-vous nous dire sur la population qui était là ?
Liberata MUKANTANGANIRA : ll y avait de tout, des hommes et des femmes qui pillaient.
Président : Il y avait des enfants ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, la jeunesse.
Président : On a tué devant les enfants ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Avez-vous reconnu les gens qui attaquaient ? Des voisins ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, j’en ai vu certains.
Président : L’attaque a commencé par les tirs, et ensuite ceux qui avaient des machettes sont venus
? Comment ça s’est passé ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ils ont d’abord commencé par tirer et ceux qui étaient forts ont lancé
des pierres. Le soir, quand ils ont vu qu’il y avait beaucoup de cadavres et que les réfugiés ne
pouvaient pas se défendre, ils se sont retirés et là les gens de la population avec les armes
traditionnelles sont venus pour tuer.
Président : Vous avez dit que les attaques avec les grenades, c’était avant le 21 avril ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, c’était avant.
Président: Combien de temps avant ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Je crois que c’était trois jours avant.
Président : Y-a-il eu des grenades pendant l’attaque ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non, cela est revenu après le 21.
Président : Quand les gens de la population sont entrés, que disaient les militaires ?
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Liberata MUKANTANGANIRA : Je n’ai pas entendu les militaires à cause des balles, mais les gens de
la population, quand ils sont entrés, ceux qui les connaissaient les appelaient et eux répondaient de se
lever, que notre jour était arrivé. Ils les appelaient par leur nom et les tuaient.
Président : Quand vous avez été entendue par les enquêteurs du TPIR, vous avez dit que vous étiez au
milieu des tirs, que vous pouviez voir des civils se joindre aux soldats, que les civils étaient vêtus de
feuilles de bananiers et de caféiers pour ne pas être reconnus, mais qu’on pouvait voir qu’ils avaient
des armes traditionnelles. Vous avez dit que les tirs s’étaient prolongés jusque dans la soirée du 21
avril ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, les tirs ont commencé du matin jusqu’au soir et les tueurs se
sont retirés.
Président : Vous avez dit que vous vous souveniez quelqu’un avoir que Dieu lui-même ne protégeait
plus les Tutsi et que nous devions mourir. Et que vous n’oublierez jamais cette date-là.
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui. Je n’oublierai jamais cette date car mon frère mes sœurs ont été
tués à cette date.
Président : Vous avez dit que vous aviez vu des femmes que l’on avait trouvées encore vivantes, vous
vous souvenez de ce que vous dites sur elles ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Elles ont été violées.
Président : Ils les violaient là où ils les trouvaient?
Liberata MUKANTANGANIRA: Je ne connais pas le nom de ces femmes, je ne me rappelle pas avoir
entendu les assaillants avoir dit quelque chose de particulier. Ils se contentaient de battre les gens et
de violer les femmes. Le reste de ma famille et moi-même nous étions cachés sous des cadavres, c’est
ainsi que nous avons réussi à survivre. Plus tard, dans la nuit, nous avons réussi à déplacer les cadavres
et nous nous sommes enfuis de la concession. Quelques temps plus tard, j’ai entendu que le père
NYOMUGABO avait été tué par les assaillants, le 24 avril.
Président : Vous avez expliqué que vous êtes retournée à votre domicile, mais personne ne voulait de
vous. Les gens de RUGOMA vous les connaissiez bien ? Vous aviez confiance en eux ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : C’était des gens en qui vous aviez confiance avant ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Avant que ça arrive, on pensait que les gens pouvaient nous aider.
Président : Saviez-vous où les autres membres de votre famille étaient ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Nous avions quitté ensemble CYANIKA, nous nous sommes quittés à
un moment car des personnes ont accepté de les garder. Je les ai retrouvés après le génocide.
Président : Vous avez dit avoir été violée et avoir reçu un coup de machette ?
Liberata MUKANTANGANIRA : À la tête. (Elle montre l’endroit exact).
Président : Vous avez dit que vous aviez perdu conscience à ce moment-là. Donc, si j’ai bien compris,
vous n’avez pas un souvenir précis des faits de viol.
Liberata MUKANTANGANIRA : Si je m’en rappelle.
Président : Dans votre déposition, vous dites que quand vous vous êtes réveillée vous aviez très mal à
votre vagin.
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Pouvez-vous nous dire quelles sont les séquelles que vous gardez de ce que vous avez
vécu ?
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Liberata MUKANTANGANIRA : Un handicap de la tête, des maux de têtes incessants, et le viol a eu
des conséquences sur moi aussi. J’ai toujours mal.
Président : Ce viol, cette attaque, vous les situez combien de jours après la grande attaque du 21 ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Je n’étais plus à CYANIKA, j’étais retournée chez nous, à la campagne.
C’était le lendemain, le 23, et j’ai parlé d’une personne qui m’a trouvée dans le champ des haricots,
c’est cette personne qui m’a donné le coup de machette à la tête et m’a violée.
Président : Vous avez dit que cet agresseur a été jugé et est détenu ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui, il est toujours en prison.
Président : Le voisin qui vous a accueilli chez lui, c’était un voisin Tutsi ou Hutu?
Liberata MUKANTANGANIRA : Hutu.
Président : Vous le connaissiez avant ou pas du tout ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui je le connaissais. C’est Damascène BUCYEYE.
Président : Après le mois de juin, Damascène vous a conduit chez une autre personne, une femme
nommée Thérèse MUKANGWIJE (Hutu). Êtes-vous restée là jusqu’à la paix ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Vous nous avez dit que vous aviez des problèmes, avez-vous des soins ? Arrive-t-on à
traiter vos maux de tête ?
Liberata MUKANTANGANIRA : On nous donne des soins.
Président : Est-ce que vous dormez bien ? Avez-vous des cauchemars ? Avez-vous pu vous marier ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Je ne dors pas bien, et dans le corps? ça ne va pas bien, mais je vis et
la vie continue.
Président : Avez-vous pu créer une famille ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non.
Président : Est-ce que pendant toute cette période, vous avez vu ou entendu parler du préfet Laurent
BUCYIBARUTA ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Pendant le génocide, j’ai entendu des informations sur lui, seulement
je ne l’ai pas vu.
Président : Quelles étaient ces informations ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Que c’est lui qui dirigeait ces tueries dans la préfecture de
GIKONGORO, qu’il avait tenu une réunion à CYANIKA. Le fait que le prêtre l’ai contacté en demandant
de l’aide! Qu’il n’a rien fait. Je ne l’ai pas vu. On m’en a parlé.
Président : Vous vivez avec votre frère et votre sœur qui ont survécu ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
Président : Ont-ils pu fonder une famille ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Seul mon frère.
Président : Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose?
Liberata MUKANTANGANIRA : Ce que je souhaite, c’est que la cour, dans sa clairvoyance, puisse
nous rendre justice car le génocide a été commis par les autorités et Laurent BUCYIBARUTA était celui
qui dirigeait les autorités dans la préfecture de GIKONGORO. Nous avons besoin de justice pour les
nôtres qui ont été tués injustement.
QUESTIONS :

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Juge assesseur 3 : Vous avez dit que le prêtre Joseph avait contacté et appelé à l’aide le préfet.
Comment le savez-vous et comment l’a-t-il fait ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Il l’a appelé par téléphone, nous lui avions demandé de nous aider
car nous étions en difficulté.
Juge assesseur 3 : Donc, il y avait un téléphone à la paroisse?
Liberata MUKANTANGANIRA : Oui.
QUESTIONS PARTIES CIVILES :
Maître KARONGOZI : Savez-vous quand est-ce qu’on a coupé l’eau ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Je ne me souviens pas de la date, on a coupé l’eau une fois arrivée
sur place.
KARONGOZI : Est-ce que vous fréquentiez l’école au moment du génocide ?
Liberata MUKANTANGANIRA : Non, je n’étais pas à l’école, j’étais cultivatrice.
Président : Quel âge avez-vous en 1994?
Liberata MUKANTANGANIRA : 20 ans.
Le Ministère public et la défense n’ont posé aucune question.

Audition de monsieur Kizito KAREKEZI. Réfugié en Belgique.
Le témoin connaît bien Laurent BUCYIBARUTA et sa famille. Il a étudié avec un de ses fils. Il a surtout
connu son chauffeur, Aloys KATABARGWA. En 1975, la famille doit quitter BUTARE pour CYANIKA, le
père du témoin ayant été accusé d’être un Tutsi du Sud infiltré. C’est à CYANIKA que les liens avec la
famille du chauffeur du préfet vont s’intensifier, la maman du témoin ayant soigné le chauffeur qui
souffrait d’une plaie à la jambe qui ne guérissait pas. Monsieur KAREKEZI a rencontré Laurent
BUCYIBARUTA une fois dans un bar: c’était un homme simple, un homme bien proche de la
population.
En 1994, la femme du chauffeur KATABARGWA et ses enfants étaient réfugiés chez un certain
NYIRIBUMGA. Inquiète de ne pas avoir de nouvelles de son mari, elle a téléphoné au père du témoin
qui va envoyer un de ses fils chez le préfet. Ce dernier en revient avec l’assurance que le chauffeur est
vivant. Il ramène aussi sa moto pour la remettre à on épouse. Après le génocide, KATABARGWA
retournera chez lui à CYANIKA où il mourra de maladie.
Monsieur le président lit une partie de la déposition que le témoin a faite en présence d’enquêteurs
belges.
« Le 10 avril 1994, j’étais à CYANIKA avec maman et ma petite sœur. Papa était à KIGALI où son frère et
ses trois enfants seront tués. Chez nous, nous cachions des Tutsi.
A CYANIKA, ma famille a toujours été une famille respectée, une famille de référence. Mon arrièregrand-père avait été un des premiers baptisés du pays. Il était originaire de SAVE, près de BUTARE, la
première paroisse du pays. Il était venu à CYANIKA pour devenir catéchiste. Il a protégé la famille d’un

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ministre actuel, monsieur BIZIMANA. Hutu, Tutsi et Twa vivaient en harmonie. Laurent BUCYIBARUTA
avait connaissance de la notoriété de notre famille.
A Pâques, nous avions l’habitude de nous réunir à CYANIKA pour faire la fête. Nous nous retrouvions
chez notre grand-mère. J’ai donc rejoint CYANIKA le 3 avril. Ceux qui étaient venus de Kigali sont
repartis le 4. Mon frère qui devait faire la soutenance de son mémoire est reparti le 6.
Ce soir-là, je suis allé voir un match de foot à GIKONGORO avec mon ami Édouard. Je suis rentré tard à
CYANIKA, vers minuit. Au matin, j’apprends la mort du président HABYARIMANA. Le 8, on voit les
maisons brûler et le lendemain, les Tutsi de la colline viennent se réfugier chez nous. D’autres partent
vers la paroisse.
Vers le 14/15, un catéchiste de la paroisse, un certain GODEFROID, se fait tuer, ses assaillants lui
reprochant d’aller acheter de la bière pour le curé de la paroisse, l’abbé NIYOMUGABO.
Papa rentre le 15 avec mon frère et ma sœur. Il est perturbé à cause de la mort de son frère, tué à
KIGALI. Il était directeur d’une usine textile. Papa se rend chez la grand-mère pour lui annoncer la mort
de son fils. De retour, il passe près du stade où les jeunes qui avaient tué le catéchiste préparent une
attaque à la grenade. Mon père n’arrive pas à les dissuader d’accomplir leur forfait. Menacé lui-même,
papa revient à la maison et m’envoie chez grand-mère pour que je ramène ceux qui sont là.
Dans la nuit, nous sommes réveillés par le bruit des armes en provenance de MURAMBI. Vers 7 heures,
les réfugiés arrivent en foule à la paroisse. Ma mère récupère un enfant que les gens veulent tuer. »
A l’évocation de ses souvenirs, le témoin pleure. Il rapporte que les gens couraient partout, se
défendaient en lançant des pierres alors que les autres avaient des fusils.
Monsieur le président, pour permettre au témoin de se reprendre, propose de faire la lecture des
propos qu’il a tenu lors de son audition.
Monsieur KAREKEZI, après le génocide, va alors être accusé d’avoir participé aux massacres. En
détention, il retrouve celui qui avait lancé la première grenade et qui lui dit: « Si nous avions écouté ton
papa, on ne serait pas là. » Ce jeune s’appelait KAZUNGU, de son vrai nom Etienne URINZWENIMANA.
Le témoin revient à son récit des événements. C’est vers 6h30 que les massacres commencent à
CYANIKA. Monsieur KAREKEZI ne sait pas les gendarmes qui tuaient étaient les mêmes qui avaient
protégés jusques là les réfugiés. On avait recensé entre 3000 et 5000 personnes réfugiées à la paroisse.
Les autorités présentes sont là, « passives ». Il s’agit du sous-préfet Joseph NTEGEYINTWALI, qui porte
un pistolet à la ceinture, et du bourgmestre Désiré NGEZAHAYO, connu pour détester les Tutsi. Le
sous-préfet tuera « accidentellement » le jeune MASABO, le gardien de nuit de la famille du témoin. Il
l’avait frappé d’un coup de crosse et la balle était partie!
Le témoin pensait que le sous-préfet protégeait les réfugiés. Le président lui fait remarquer que c’est
lui qui, avec le bourgmestre, avait fait venir les tueurs. « Je l’ai appris en prison » dira le témoin.
Monsieur KAREKEZI avoue que tout est allé très vite. Le discours que le président SINDIKUBWABO [11],
le 19 avril à BUTARE, est un élément déterminant dans le déclenchement des massacres. Ainsi que les
émissions de la RTLM [12]. Le 21, le bourgmestre, au mégaphone, va demander d’aller tuer les Tutsi à la
paroisse. Le témoin apprendra en détention que le sous-préfet était aussi accusé.

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Le 24 avril, des prisonniers sont venus procéder à l’ensevelissement des corps. Un bulldozer avait été
amené pour creuser deux fosses. Le témoin ne sait pas qui en a donné l’ordre. Quant au prêtre
NIYOMUGABO, il sera tué par des miliciens qui l’ont débusqué dans la pharmacie du Centre de santé.
Le témoin ajoute: « Nous avons vécu l’impensable. Quand je faisait des études, je pensait que c’était pour
construire notre pays. Nous avons perdu nos familles et nos amis. C’est insoutenable. Je souhaite que le
Rwanda retrouve la paix et que tout le monde vive en harmonie »
Sur question de monsieur le président, le témoin évoque sa fuite au Zaïre avec sa famille, leur vie dans
les camps à BUKAVU, pendant deux années au cours desquelles trois de ses frères trouveront la mort.
Lui-même, joueur de foot, décide de rentrer au Rwanda. Il évoque ses démêlés sportifs: pour avoir
abandonné son équipe de Butare pour rejoindre Rayon Sport, on va trouver des prétextes pour le faire
arrêter. Jugé en Gacaca [13], accusé puis acquitté, soumis à des pressions, racketté, après une véritable
saga judiciaire, il finira par choisir l’exil en Belgique où il vit actuellement.
Maître TAPI demande au témoin s’il connaît l’abbé NIYOMUGABO. Le témoin confirme, il a été tué
avec deux autres prêtres. Et le colonel SIMBA [14]? Une de ses sœurs a épousé un de ses fils. L’avocat
des parties civiles veut savoir si la famille du témoin a été inquiétée. « Mon père a été emprisonné à son
retour du Congo. Il était malade, a été libéré et est mort par manque de soins. Deux de mes frères
avaient été réquisitionnés sur une barrière. Ils avaient toutefois sauvé deux enfants qu’on avait jetés dans
des latrines ».
Maître GISAGARA revient sur la notion de « plan concerté », déjà évoquée avec l’accusé. « Je n’ai pas
vu ce plan, déclare le témoin. Je n’ai jamais vu personne venir me voir pour participer au génocide. Je
suis réservé sur cette notion de plan concerté. Là où j’habitais, nous étions seuls sur la colline. Les tueurs
recrutés étaient loin de chez moi Quant au recensement, il a été fait par le bourgmestre au vu de tous. »
Maître GISAGARA: Vous avez dit que vous étiez de la famille de SIMBA(insinuant par là qu’il avait pu
bénéficié de sa protection).
Le témoin: Non! Mais c’est grâce à SIMBA que ma famille a pu revenir de KIGALI.
Maître FOREMAN (se plaint de ne pas pouvoir poser toutes les questions qu’il souhaite, par manque
de temps.) Il en posera une seule. Avant le 21, vous redoutiez les massacres ou vous avez été surpris?
Le témoin: le 9, on a passé la nuit dans l’inquiétude. La mort du catéchiste GODEFROID nous a fait
peur. Avec le lancement de la grenade le 17 et le discours du président de la république le 19, les
choses ont changé. Mais les gendarmes protégeaient les Tutsi!
Le ministère public fait remarquer au témoin qu’il est venu à l’audience avec un exemplaire de la
copie de sa déposition devant les enquêteurs belges. En France, ce n’est pas possible. « Vous avez pu
vous rafraîchir la mémoire? » Puis l’avocate générale évoque la présence surprenante du sous-préfet
une arme à la ceinture, celle des policiers municipaux dont l’un avait une arme lourde. « Vous
connaissiez les les conditions de vie des réfugiés à la paroisse? » continue l’avocate. Le témoin précise
qu’au début, le curé a ouvert les greniers. Ce sont des miliciens qui se faisaient appelés MINUAR qui
ont coupé l’eau.
Puis allusion à la fuite de toute leur famille au Congo. Le témoin avoue que des soldats de l’Opération
Turquoise [15], qui venaient chez lui voir des matchs de foot à la télévision, ont pu l’aider. « Et puis on
disait que le FPR [16] tuait les intellectuels! Comme nous étions des intellectuels, on a décidé de partir. »

Page 234 sur 711

Maître BIJU-DUVAL remercie le témoin, remercie le ministère public de l’avoir fait citer. Il cite les
propos du témoin lors de son audition en Belgique: « Je tiens à préciser que lors de ma détention, j’ai
été sollicité par des membres du pouvoir actuel, j’ai toujours refusé ces manœuvres. » Vous pouvez
nous en dire plus sur ces manœuvres? »
Le témoin: Le substitut KABALISA m’a sollicité pour témoigner contre SIMBA. On voulait que je
l’accuse. Mais, je le répète, si ma famille est vivante, c’est grâce à lui.
Maître BIJU-DUVAL: il voulait que vous fassiez un faux témoignage?
Le témoin: on m’a accusé à la radio de vouloir empêcher des gens d’aller témoigner à ARUSHA [17].
Mais le Procureur a pris ma défense.
On s’en tiendra là. Il est largement temps de clôturer cette audience. Rendez-vous demain à 9h30.

Alain GAUTHIER pour la synthèse
Mathilde LAMBERT pour la prise de notes en audience
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

References
↑1

Félicien SEMAKWAVU : bourgmestre de la commune de Nyamagabe où se trouve Murambi.

↑2

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑3

Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des
années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des
colonisateurs.

↑4

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑5

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑6

Monsieur le président avait lu un passage du livre que la responsable de la CARITAS écrira
plus tard: « Rwanda. Un autre regard » au cours de l’audition de monsieur Jean-Paul
MWONGEREZA.

↑7

Voir l’audition de monsieur Philippe NTETE, rescapé.

↑8

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑9

Ibid.

↑10

Ibid.

Page 235 sur 711

↑11

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑12

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

↑13

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑14

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑15

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑16

FPR : Front patriotique Rwandais

↑17

Ibid.

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Procès Laurent BUCYIBARUTA du jeudi 2 juin
2022. J17
04/06/2022

• Audition de monsieur Etienne URINZWENIMANA, ancien détenu en visioconférence du
Rwanda.
• Audition de monsieur Azarias NZUNGIZE, détenu, en visioconférence du Rwanda.
• Audition de monsieur Ignace MBONEYABO, prêtre à la paroisse de MUGANZA.
Audition de monsieur Etienne URINZWENIMANA, ancien détenu en visioconférence du Rwanda.
Condamné à 30 ans de prison, le témoin est détenu à la prison de Nyamagabe. Il habitait à CYANIKA et
travaillait comme secrétaire de la sous-préfecture de KARABA. Ce témoin est celui dont monsieur Kizito
KAREKEZI a parlé hier lors de son audition.
Déclaration spontanée.
« Après la mort du président HABYARIMANA, le 6 avril 1994, nous avons commencé à incendier les
maisons des Tutsi du côté de GASHIRA, près de là où Laurent BUCYIBARURA était dirigeant. Les Tutsi
sont venus à la paroisse de CYANIKA avec leur bétail qu’ils ont installé dans la cour. Eux, ils sont rentrés
à l’intérieur des bâtiments de la paroisse.
Le 16, le sous-préfet de KARABA, Joseph NTEGEYINTWALI est arrivé et a demandé aux personnes qui
étaient là qui les avaient désignées pour garder les vaches des Tutsi. Les Hutu se sont précipités sur les
vaches et les ont tuées.

Presbytère de la paroisse de CYANIKA.

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Le 17, on a entendu des coups de sifflets pour demander à la population de se rendre dans la cour du
presbytère. Nous y sommes allés, nous avons attaqué les réfugiés Tutsi et les avons tués. Un enfant de la
famille du colonel SIMBA [1], Mbaga KAREKEZI, avait deux grenades à sa ceinture. Il a dû les remettre au
sous-préfet qui a alors donné des instructions pour aller tuer les Tutsi. Il m’a remis une de ces grenades
car il savait que j’avais été militaire. « Va devant, m’a-t-il dit, lance cette grenade sur les Tutsi. Que les
autres s’occupent de ceux qui sortiront. »
J’ai lancé la grenade mais peu de Tutsi sont sortis. Au bruit de la détonation, la population a pris peur et
s’est enfuie. Des coups de sifflet les ont incités à revenir. « Vous êtes des lâches, a lancé le sous-préfet, je
vais aller demander des renforts. Vous, les lâches, partez, je vous verrai à un autre moment. »
Le 21 à trois heures du matin, nous avons entendu des bruits de balle en provenance de MURAMBI. De
nouveaux coups de sifflet ont retenti pour mobiliser les tueurs. « Quiconque sera absent ne sera pas avec
nous » a-t-on entendu dire.
Vers 8 heures, nous sommes montés vers la cour de la paroisse. Tous les bourgmestres de la région
étaient présents avec leur population qui les accompagnait : Charles, le bourgmestre de KINYAMAKARA,
celui de NYAMAGABE, de MUDASOMWA, sans oublier SEBUHURA [2] et ses gendarmes. « Cette fois-ci,
allons-y » s’est exclamé le sous-préfet.
SEBUHURA et ses gendarmes ont pris les devants avec des armes lourdes. Ils ont lancé des grenades
lacrymogènes et des grenades de combat pour affaiblir les réfugiés. Ils ont ensuite utilisé leurs armes.
Ceux qui échappaient aux balles étaient découpés par les machettes des tueurs.
Vers 17 heures, SEBUHURA est venu nous dire que nous étions en mesure d’achever les survivants. Il est
reparti vers MUSANGE avec ses gendarmes et nous avons appliqué ses conseils. On ne sait pas ce qu’ils
sont devenus. C’est ainsi que s’est terminé le massacre des Tutsi à CYANIKA. Tel est mon témoignage. »
Monsieur le président précise au témoin qu’il a été entendu plusieurs fois par des enquêteurs, dont
des Français. Il ne s’en souvient pas. S’appuyant sur les déclarations qu’il a faites aux enquêteurs
français en 2012 alors qu’il était encore en prison, monsieur le président va lui rafraîchir la mémoire. De
1988 à 1993, le témoin a bien été militaire dans le Bataillon commando BIGOGWE, un bataillon d’élite
dirigé alors par un certain David TURIKUNKINKO. Le témoin quitte l’armée en 1993 avec le grade de
caporal.
Pourquoi quitte-t-il l’armée ? « Mon cousin, le major SEBAKUNZI a perdu un combat contre
les Inkotanyi [3] à la tête de ses troupes. On l’aurait alors considéré comme un complice et il aurait été
emprisonné. Bien qu’il fût acquitté à son procès, on a continué à pourchasser ses propres parents dont je
faisais partie. On m’a alors conseillé de prendre mes distances avec l’armée et j’ai déserté. Après avoir
pris la direction de GISHWATI, je suis revenu chez moi à CYANIKA alors que je souhaitais quitter le pays.
C’est là que le génocide m’a trouvé. »
Monsieur le président lui fait remarquer qu’il n’a pas donné tous ces détails aux enquêteurs français,
qu’il a bien parlé de l’attaque du 21 mais pas, comme aujourd’hui, des événements des 16 et 17 avril.
Le témoin ne sait que répondre. Puis, à la demande du président, il reconnaît qu’il est surnommé
KAZUNGU.
Que sait-il du bourgmestre de KARAMA, Désiré NGEZAHAYO ?

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Depuis longtemps, il détestait les Tutsi. Il le disait ouvertement dans les cabarets. Il est même allé
jusqu’à dire à un Tutsi : « Tu as un joli nez. Il aurait été bien qu’on se torche le cul avec ce nez-là. »
Membre du MRND [4], il avait été débauché par le PSD [5] selon la pratique du kubohoza [6]. Il avait
toujours la haine contre les Tutsi. Il a envoyé les policiers tirer sur les réfugiés.
Monsieur le président révèle alors que son débauchage à suscité des rapports, ce que semble ignorer
le témoin. En D 10890/58, on trouve un courrier du préfet Laurent BUCYIBARUTA daté du 3 novembre
1993, courrier adressé au ministre de l’Intérieur qui fait suite à un rapport du sous-préfet de KARAMA.
Ce document concerne « le comportement indigne du bourgmestre de KARAMA dans la nuit du 7
octobre 1993. » Il avait arraché le drapeau du MRND pour bien signifier qu’il quittait son parti. Le préfet
avait fait savoir au bourgmestre qu’il devait éviter toute provocation.
Monsieur le président continue la lecture du courrier : « Le bourgmestre doit faire preuve de neutralité
dans ses fonctions, sachant qu’il a le droit au parti de son choix. J’ai invité les militants du MRND à
garder leur calme. »
Monsieur le président cherche à savoir où se situe l’habitation du témoin. Difficile pour lui de donner
des précisions. (NDR. Chaque fois qu’on évoque des noms de lieux, il pourrait être utile de montrer une
carte.)
Des véhicules sont bien passés pour demander aux Tutsi, à l’aide d’un mégaphone, de venir à la
paroisse. On allait leur assurer la sécurité d’après les autorités. Quant aux réfugiés de CYANIKA, ils
venaient de partout, de toutes les communes des alentours. Certains étaient arrivés de MURAMBI. La
population était accompagnée de leur bourgmestre. Sans oublier SEBUHURA, omniprésent.
Le témoin, sur question du président, se défend d’avoir pu être un Interahamwe [7] puisqu’il était
militaire. Le PSD avait sa propre milice, les Abakombozi qui chantaient les chants de leur parti et
insultaient les membres du MRND. Parfois, ils criaient le slogan : « Tuez-les tous ! Tuez-les tous ! » Mais
le témoin ne savait pas ce que cela voulait dire ! (NDR. Vraiment ? Qui peut le croire ? »
Des barrières avaient bien été installées dans les environs, dont une en face du bureau du sous-préfet.
Mais le témoin n’y a jamais stationné. Il a entendu dire qu’on y avait tué des Tutsi. On y demandait
bien les cartes d’identité : identifiés comme tels, les Tutsi étaient tués. Le témoin n’a vu qu’un cadavre
à une barrière, celui d’un certain KABERA.
A la paroisse, les Tutsi n’avaient ni à manger, ni à boire après la coupure de l’eau. On avait mangé leurs
vaches. C’est le sous-préfet qui a fait couper l’eau, à GASURA. Le témoin l’a vu. Mais c’est NZIRAGUMA
qui a fait arrêter la pompe.
Le 16 avril, le témoin redit avoir vu le sous-préfet arriver de GIKONGORO dans sa voiture, une
Samouraï blanche. C’est à ce moment qu’il a dit à RUBERA, en pointant le canon de son arme sur sa
tempe : « Vous, les lâches, les chiens, qui vous a dit de garder les vaches des Tutsi ? »
Le 17, nouveau rassemblement à l’initiative du conseiller MUNYANKINDI qui avait distribué des sifflets
à des « voyous », signal donné pour attaquer les Tutsi de CYANIKA. Le témoin avoue avoir lancé la
grenade : ordre était donné de « découper » les Tutsi qui sortiraient des bâtiments. Les gens ont eu
peur et se sont enfuis en courant. De préciser ensuite, mais était-ce nécessaire, qu’aucune arrestation
n’a eu lieu, les autorités étant présentes sur les lieux.

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En ce qui concerne les gendarmes, avant le 21, aux dires du témoin, seuls trois montaient la garde, non
pas pour protéger les réfugiés mais pour empêcher de leur livrer de la nourriture.
Monsieur le président fait remarquer au témoin que, devant les enquêteurs français, il n’a jamais parlé
de l’attaque à la grenade. « C’est bien moi qui l’ai lancée » dira-t-il, confirmant ce que Kizito KAREKEZI
avait dit. Occasion est donnée au témoin de parler de la famille KAREKEZI : « Les enfants KAREKEZI ont
fui au Congo avec leurs parents. Quand ils sont rentrés d’exil, Kizito a été arrêté, ainsi que son père qui
n’était pas en bonne santé. Ce dernier sera libéré et mourra peu après. Quant à Kizito, il a été
condamné, puis acquitté en appel. Il a fui et a été condamné par défaut. (NDR. Le témoin Kizito
KAREKEZI a longuement parlé de sa saga judiciaire dans sa déposition de la veille.)
Etienne URINZWENIMANA s’étonne que les enfants de chez KAREKEZI aient pu posséder des grenades
: ils les avaient probablement obtenues du colonel SIMBA. Il redit, sur question du président : « La
grenade, je l’ai lancée par-dessus le mur et nous avons couru. Le sous-préfet est parti pour aller chercher
des renforts car les gens de CYANIKA avaient eu peur et avaient fui. Personnellement, je portais moi aussi
des feuilles de caféier pour qu’on ne s’entretue pas lors de l’attaque. C’est la consigne que nous avions
reçue. »
Ce jour-là, de très nombreux Tutsi ont été tués. Le témoin avance le chiffre de 50 000. Des réfugiés, il y
en avait partout. Le Centre de santé a été pillé et détruit. Quant au père NIYOMUGABO, il était caché
dans la pharmacie et il est mort après l’ensevelissement des corps. Le préfet aurait envoyé un engin du
MINITRAPE [8]. Le témoin se souvient de l’existence de quatre fosses. C’est un camion-benne qui
amenait les corps et les déversait dans ces fosses. Des policiers communaux étaient là, ainsi que des
prisonniers accompagnés de leurs surveillants.
Les massacres ne sont pas arrêtés le 21. « On tuait ceux qui sortaient de leurs cachettes. Comme on
avait annoncé une accalmie, les Tutsi sont sortis et ont été tués. Tout cela sur les ordres du sous-préfet »
ajoute le témoin.
L’assesseur 1 s’étonne que le témoin n’ait eu que 14 ans lorsqu’il est entré à l’armée. Peut-être s’est -il
trompé sur sa date de naissance?
Maître GISAGARA reviendra assez longuement sur ce point lorsqu’il posera des questions à son tour.
Il veut savoir aussi si le témoin se sent libre de témoigner aujourd’hui.
Etienne URINZWENIMANA : J’ai été jugé selon la loi rwandaise. On a comparu d’abord pour les
tueries, puis pour le vol des vaches. Quant aux massacres, ils ont continué jusqu’à l’arrivée
des Inkotanyi [9]. On a continué à tuer jusqu’au bout sur ordre des autorités. Le préfet ne pouvait que
savoir, il était le supérieur des sous-préfets. Personnellement, j’ai manqué de sagesse en participant
aux massacres.
Sur questions de maître KARONGOZI, le témoin précise que les membres de la famille KAREKEZI ont
bien participé au génocide. C’est un des fils qui portait des grenades à la ceinture. Quant au souspréfet, il a écopé d’une « peine spéciale » pour avoir préparé le génocide.
Le ministère public : L’accalmie annoncée, c’était un piège ?
Le témoin : On disait que c’était la « pacification ».
Le ministère public : Les gendarmes français vous ont demandé pourquoi on avait tué les femmes, les
enfants. Vous avez répondu que c’était parce qu’ils étaient simplement des Tutsi, qu’ils étaient tous

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considérés comme des Inkotanyi, que vous vous êtes senti obligé de tuer et qu’on vous avait éduqué à
détester les Tutsi. Vous confirmez? Mais qui est ce « on » ?
Le témoin : Je confirme ce que j’ai dit. Même à l’école on séparait les Hutu et les Tutsi. Dans la vie
courante, Hutu et Tutsi ne s’entendaient pas. Il manquait une étincelle. Personnellement, je n’ai pas
entendu le discours du président SINDIKUBWABO [10]. Les attaques à la grenade avaient pour objectif
de voir si la population de KARAMA avait la faculté de tuer les Tutsi sans besoin d’aide. Je confirme
que, vers midi, les gendarmes ont quitté CYANIKA pour KADUHA. Quant au bourgmestre
NGEZAHAYO, je l’ai vu le soir des tueries, dans un bar.
Le ministère public : Vous avez dit aux enquêteurs que le soir du 21 vous avez rendu votre fusil. C’est
que vous en aviez un ?
Le témoin : Je confirme que j’ai rendu au bourgmestre le fusil que je portais .
Maître BIJU-DUVAL va clôturer la série des questions. Le témoin va tenter de répondre.
Le témoin : Concernant ma date de naissance, après le génocide, on donnait la date qui convenait à
notre situation. J’ai plaidé coupable pour avoir lancé la grenade et pour avoir participé au génocide. Si
je n’ai pas parlé de la grenade aux enquêteurs français, c’est tout simplement parce qu’on ne m’a pas
posé la question. J’avais une arme, je le reconnais, mais elle n’était plus en état de fonctionnement.
J’aurais dit que j’ai tiré sur les fuyards, sur la foule jusqu’à midi ? Il est possible qu’on m’ait prêté des
propos que n’ai pas tenus.
Maître BIJU-DUVAL s’exclame : Mais comment voulez-vous qu’on vous croie ?
Le témoin : Est-ce que les enquêteurs parlaient le Kinyarwanda ? L’interprète ? Je n’avais pas confiance
en lui.
Maître BIJU-DUVAL : l’interprète a pourtant relu votre déposition ?
Le témoin : Je ne m’en souviens pas.
Le ministère public porte à la connaissance des parties qu’il a fait verser au dossier une déposition de
madame Alison DESFORGES datée de 2005.

Audition de monsieur Azarias NZUNGIZE, détenu, en visioconférence du Rwanda.
Déclaration spontanée :
Azarias NZUNGIZE : Ce que j’aurai à dire à la Cour, c’est que je parlerai des choses en rapport avec
l’endroit où j’habitais à CYANIKA. Quand le génocide a commencé à CYANIKA, la population Tutsi avait
fui à la paroisse. Ils ont commencé à y aller petit à petit, et à un certain moment les Tutsi qui avait
trouvé refuge à la paroisse de CYANIKA ont été tués. L’attaque exterminatrice a eu lieu le 21 avril. Les
attaquants était venus de MUDASOMWA, GIKONGORO, et il y avait des gendarmes et
des Interahamwe [11] venus de partout. Les Tutsi qui ont été tués à cette paroisse était nombreux, ils
ont donc été tués le 21 et le 22 avril, nous avons essayé de les enterrer. Pour le faire, nous avons été
aidés par des prisonniers de la prison de GIKONGORO. Je pense que c’est cela que j’avais à dire.

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Fosse commune creusée à Cyanika à l’aide d’un Caterpillar.

Président : Revenons sur votre situation, sur vos fonctions en avril 1994. Quelles étaient exactement
vos fonctions ?
Azarias NZUNGIZE : Je venais de commencer mes activités professionnelles en 1993. J’ai commencé
comme secrétaire du sous-préfet. J’étais chargé de l’enregistrement du courrier. J’avais commencé à
travailler à KIGALI, au Ministère de la Fonction Publique, puis j’ai été muté à KARABA. Je ne sais pas
pourquoi on a fait cette mutation. J’avais commencé à travailler en juin 1992 et en décembre de la
même année, j’ai été envoyé à KARABA.
Président : Je me trompe où vous êtes né à KINYAMAKARA ?
Azarias NZUNGIZE : Non, c’est le cas.
Président : Donc, quand vous êtes venu exercer les fonctions de secrétaire auprès du sous-préfet, vous
êtes revenu dans votre région de naissance ou pas ?
Azarias NZUNGIZE : KINYAMAKARA était une des communes qui composait la sous-préfecture de
KARABA, cela veut dire que je revenais dans ma région natale. Mais, entre les deux endroits, il y a une
distance de plusieurs kilomètres. Je ne pouvais donc pas rentrer tous les jours.
Président : Mais vous connaissez bien cette région, vous y avez fait vos études ?
Azarias NZUNGIZE : j’ai fréquenté l’école primaire de KINYAMAKARA, le secondaire à KIGALI, puis j’ai
terminé mes études au collège St Wenceslas à GISENYI, à NYUNDO.
Président : Donc, peut-on dire que vous connaissiez bien votre région, la région de la sous-préfecture
de KARABA ?
Azarias NZUNGIZE : Je n’y ai pas vécu beaucoup.
Président : Avez-vous, à un moment de votre carrière, travaillé auprès du préfet Laurent
BUCYIBARUTA ?
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Azarias NZUNGIZE : Non, on n’a jamais travaillé ensemble, lui, il travaillait à la préfecture, il ne me
connaissait pas bien.
Président : Vous, vous aviez l’occasion de le rencontrer ?
Azarias NZUNGIZE : Nous ne nous sommes jamais rencontrés, sauf quand j’allais à la préfecture et
que je le voyais en tant que préfet ou quand je lui répondais au téléphone quand il voulait parler au
sous-préfet.
Président : Quelle était la réputation, le comportement de Laurent BUCYIBARUTA avant le génocide ?
Azarias NZUNGIZE : Je n’ai pas eu vent d’un mauvais comportement de sa part.
Président : Au sein de la sous-préfecture, vous nous avez dit que vous étiez le secrétaire. Vous étiez le
seul ou il y en avait plusieurs ?
Azarias NZUNGIZE : Il y avait d’autres secrétaires et des dactylographes.
Président : Combien de secrétaires ?
Azarias NZUNGIZE : Il y avait deux dactylographes, et moi j’étais secrétaire en chef.
Président : Donc, à la sous-préfecture, vous étiez secrétaire en chef et en-dessous il y avait deux
dactylographes ?
Azarias NZUNGIZE : Oui.
Président : Pouvez-vous nous expliquer? Vous avez dit que vous vous occupiez de recevoir et
d’enregistrer le courrier qui arrivait et repartait de la sous-préfecture ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, c’est cela.
Président : Quand il y avait un rapport adressé par le sous-préfet au préfet, est-ce que vous
l’enregistriez ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, sauf les rapports estampillés confidentiels.
Président : Il y avait souvent des rapports confidentiels ?
Azarias NZUNGIZE : Non, très peu.
Président : Que pouvez-vous nous dire du sous-préfet, était-il en fonction à KARABA depuis
longtemps ?
Azarias NZUNGIZE : Je pense qu’il n’y était pas depuis longtemps, il venait en remplacement de
GAYISABA Pascal.
Président : Qu’est-il devenu ?
Azarias NZUNGIZE : Je crois qu’il est allé travailler au ministère, c’est là qu’il a été muté.
Président : Le sous-préfet faisait-il partie d’un parti politique ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, il était membre du MRND [12].
Président : Est-ce qu’il y avait un responsable local du MRND ?
Azarias NZUNGIZE : Dans la commune de KARAMA, je crois qu’il y en avait un qui s’appelait Gaspard.
Président : Et vous, vous faisiez partie d’un parti politique ?
Azarias NZUNGIZE : Non.
Président : Que pouvez-vous nous dire des relations entre le sous-préfet et le préfet, ils se voyaient
souvent ou pas ?
Azarias NZUNGIZE : Le préfet ne venait pas le voir à KARABA, c’est quand le sous-préfet allait à
GIKONGORO qu’ils se voyaient.
Président : À quelle fréquence le sous-préfet allait-il à GIKONGORO ?

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Azarias NZUNGIZE : Il y allait souvent, car c’est là c’est là qu’ils s’approvisionnait en carburant pour la
voiture.
Président : Souvent, ça veut dire quoi ?
Azarias NZUNGIZE : Je dirai environ trois fois par semaine.
Président : En dehors des visites personnelles et des rapports adressés par courrier, est-ce qu’il y avait
d’autres moyens de communication entre le préfet et le sous-préfet ?
Azarias NZUNGIZE : Sauf alors s’ils s’entretenaient par téléphone, à ce moment-là il y avait le
téléphone. Ça pouvait être le téléphone à la résidence ou au bureau.
Président : De ce que vous savez, est-ce qu’il y avait des coups de téléphone tous les jours ?
Azarias NZUNGIZE : Je ne peux pas le savoir.
Président : Est-ce que le téléphone a fonctionné pendant la période du génocide ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, il fonctionnait mais à un certain moment il s’est arrêté, ça n’a plus
fonctionné.
Président : A quel moment ?
Azarias NZUNGIZE : En avril, le téléphone fonctionnait, mais au début du mois de mai on les avait
enlevés. Après, on les a remis.
Président : Mis à part une période au mois de mai, le téléphone a toujours fonctionné ?
Azarias NZUNGIZE : Quand il n’était pas en panne il fonctionnait.
Président : il était en panne souvent ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, quand la pluie tombait, ça tombait en panne.
Président : Vous avez parlé d’une attaque qui a eu lieu le 21 avril, est-ce que vous vous souvenez si
avant ou après le téléphone fonctionnait ?
Azarias NZUNGIZE : Il fonctionnait même le jour du 21 oui, je m’en souviens très bien.
Président : Vous savez si le sous-préfet a téléphoné au préfet à ce moment-là ?
Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas s’il a téléphoné.
Président : Est-ce que vous avez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA à la sous-préfecture de KARABA ?
Azarias NZUNGIZE : Depuis mon arrivée en 1993, il n’est jamais venu, je ne l’ai pas vu.
Président : Que pouvez vous nous dire des relations entre le sous préfet et le bourgmestre ?
Azarias NZUNGIZE : Il entretenait de bonnes relations avec ses bourgmestres, hormis celui de
KARAMA.
Président : Combien de communes dépendait de la sous-préfecture ?
Azarias NZUNGIZE : La sous-préfecture de KARABA comptait trois communes : KINYAMAKARA,
KARAMA et RUKONDO.
Président : Pourquoi le sous-préfet avait de mauvaises relations avec le bourgmestre de KARAMA ?
Azarias NZUNGIZE : Quand je suis arrivé, ils ne s’entendaient déjà pas, je me suis informé et j’ai cru
comprendre que c’était à cause des divergences de parti politique. L’un membre du PSD et l’autre du
MRND, les idéologies divergeaient.
Président : Les autres bourgmestres étaient des bourgmestres du MRND ?
Azarias NZUNGIZE : Je ne me rappelle pas du parti de celui de RUKONDO, je pense que celui de
KINYAMAKARA était membre du MDR [13].
Président : De quelle tendance ? Avez-vous entendu parler du MDR-POWER [14] ?
Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas, oui j’en ai entendu parler surtout du côté de KIGALI.
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Président : Avant le 6 avril 1994, est-ce qu’il y avait des problèmes particuliers enter Tutsi et Hutu ?
Azarias NZUNGIZE : Il n’y en avait pas.
Président : Vous même vous êtes Hutu ou Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE : Je suis Hutu.
Président : Est-ce qu’il y avait des bourgmestres Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE : Je n’ai pas de connaissance à ce sujet, en tout cas, à KARABA, il n’y en avait pas.
Président : Est-ce que parmi le personnel de la préfecture, certains étaient Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas bien, mais il avait une des secrétaires qui avait épousé un Tutsi.
Président : Cette secrétaire, est-ce qu’elle s’appelait BERNADETTE ?
Azarias NZUNGIZE : C’est elle, je constate que vous la connaissez.
Président (sourit) : Non, je n’ai pas cet honneur. Qui était BERNADETTE ?
Azarias NZUNGIZE : Au travail, elle était secrétaire dactylographe. Elle était l’épouse du chauffeur du
préfet.
Président : Qui s’appelait ?
Azarias NZUNGIZE : Il s’appelait GATABARWA Aloys.
Président : Qu’est-il devenu ?
Azarias NZUNGIZE : Il a survécu au génocide et après il est mort de maladie.
Président : Lui, il était Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE : C’est ce qu’on disait.
Président : Et son épouse, la dactylo, elle était Tutsi ou Hutu ?
Azarias NZUNGIZE : On disait qu’elle était Hutu.
Président : En dehors d’elle, qui était Tutsi parmi les fonctionnaires de la sous-préfecture ?
Azarias NZUNGIZE : Je n’en connais pas, je pense qu’il n’y en avait pas d’autres.
Président : Oui, mais Bernadette, elle état Hutu pas Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE : Elle avait épousé un Tutsi.
Président : Est-ce qu’il y avait des fonctionnaires Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE : Il y en avait dans des services variés.
Président : Le 6 avril, vous êtes au travail, comment apprenez-vous la mort de Juvénal HABYARIMANA
?
Azarias NZUNGIZE : Nous avons entendu cela à la radio, on a dit que les gens devaient rester chez
eux, on avait dit que personne ne devait sortir. Après deux jours, voyant que personne ne sortait, j’ai
décidé de rentrer chez moi à KINYAMAKARA. Le 6, j’étais à KARABA. Je suis rentré chez moi après
quelques jours et je suis finalement revenu le 10.
Président : Quand vous dites que vous êtes à KARABA, vous êtes à KARABA même ou à CYANIKA ?
Azarias NZUNGIZE : Entre la sous-préfecture de KARABA et la paroisse, il y a quelque chose comme
500 mètres, en tout cas, moins d’un kilomètre.
Président : Donc 500 mètres entre la sous-préfecture et la paroisse ?
Azarias NZUNGIZE : Entre 500 mètres et un kilomètre.
Président : Quand vous étiez à KARABA, vous logiez dans la préfecture ? Dans la sous-préfecture ?
Azarias NZUNGIZE : Je logeais dans la maison de ce GATABARWA dont nous parlions. Le 17 avril,
cette maison a été détruite et on m’a dit que je devais quitter la maison des Tutsi. J’ai quitté cette

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maison pour occuper une pièce de la sous-préfecture. J’ai pris une pièce des bureaux qui n’était pas
utilisée et c’est dans cette pièce que j’ai logé.
Président : Donc, vous étiez dans la maison du chauffeur du préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Azarias NZUNGIZE : Oui.
Président : Et cette maison a été brûlée ?
Azarias NZUNGIZE : C’était une maison dont le toit était fait en tôle, on a enlevé les tôles, on a enlevé
son toit.
Président : On l’a brûlée ou on l’a détruite ?
Azarias NZUNGIZE : On l’a détruite.
Président : Vous êtes donc parti à KINYAMAKARA au bout de deux jours, c’est cela ?
Azarias NZUNGIZE : Oui.
Président : Quelle était la situation à ce moment-là ?
Azarias NZUNGIZE : il y avait un mauvais climat. Moi-même, tout au long de la route, on me
demandait ma carte d’identité [15]. J’ai continué à me déplacer et, au retour, ce fut la même chose. J’ai
décidé de rester sur place pour éviter de rencontrer d’autres problèmes parce que je n’étais pas connu
dans cette région.
Président : donc, sur la route entre la sous-préfecture et KINYAMAKARA, vous avez vu des barrières ?
Azarias NZUNGIZE : non, c’étaient seulement les gens qui étaient là et qui demandaient des
documents d’identité à toute personne qui leur était inconnue.
Président : ils arrêtaient tout le monde sur la route ?
Azarias NZUNGIZE : ils ciblaient ceux qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils soupçonnaient.
Président : c’étaient des groupes de personnes, des civils, des gens qui dépendaient de la commune ?
Qui étaient ces gens ?
Azarias NZUNGIZE: rien de spécial, c’étaient des jeunes gens.
Président : qui leur avait demandé d’être là ?
Azarias NZUNGIZE : personne ne leur avait donné cette tâche, ils le faisaient d’eux-mêmes.
Président : selon vous, il n’y a jamais eu d’instructions officielles pour demander aux gens de procéder
à ces contrôles ?
Azarias NZUNGIZE : ça, c’est arrivé plus tard, vers le mois de juin, lorsque les
Inkotanyi [16] approchaient et qu’ils étaient arrivés au niveau de NYANZA. Là, on a dit qu’il fallait
regarder les documents d’identité pour éviter les infiltrations.
Président : est-ce qu’il y avait des rondes organisées ?
Azarias NZUNGIZE : il y en a eu.
Président : qui les organisait et pourquoi ?
Azarias NZUNGIZE : ce sont les conseillers qui les planifiaient
Président : les conseillers de secteur ?
Azarias NZUNGIZE : oui
Président : est-ce qu’ils avaient eux-mêmes reçu des instructions en ce sens ?
Azarias NZUNGIZE : ils avaient reçu des instructions pour mettre en place cela, ils n’auraient pas pu le
faire de leur propre initiative.
Président : qui avait donné les instructions ?
Azarias NZUNGIZE : ils les recevaient des bourgmestres qui eux aussi les avaient eues de quelque part
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Président : d’où ?
Azarias NZUNGIZE: silence.
Président : est-ce que les instructions venaient de la sous-préfecture ?
Azarias NZUNGIZE : quand ils allaient à des réunions
Président : qu’est-ce qui se passait pendant les réunions ?
Azarias NZUNGIZE: à ce moment-là, il n’y en avait pas eu beaucoup, mais par exemple pendant les
réunions de sécurité, c’est de là que venaient les instructions
Président : pouvez-vous nous dire quand il y a-t-il eu une réunion de sécurité ?
Azarias NZUNGIZE : elle a eu lieu en mai ou alors à la fin du mois d’avril. Après celle-là, on m’a
demandé de mettre sur pied les rondes.
Président : quel était l’objectif des rondes ?
Azarias NZUNGIZE : c’était pour voir s’il n’y avait pas des infiltrations.
Président : comment savait-on si quelqu’un était infiltré ou pas ?
Azarias NZUNGIZE : il y avait beaucoup de rumeurs qui circulaient, on disait que les Inkotanyi étaient
entrés.
Président : est-ce qu’on vérifiait si les personnes étaient Tutsi ? Et si c’était le cas, étaient-elles
considérées comme un infiltré, un ennemi ?
Azarias NZUNGIZE : de temps en temps, on qualifiait les Tutsi de complices.
Président : est-ce que lors de ces contrôles d’identité, des Tutsi étaient battus ou tués justement parce
qu’ils étaient Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE: certains on les frappait, je n’ai pas vu quelqu’un qui en était mort.
Président : mais vous avez vu des gens qui ont été frappés ?
Azarias NZUNGIZE : comme beaucoup de Tutsi avaient fui et que d’autres étaient morts, les barrières
ont été installées par après.
Président : quand a-t-on installé les barrières ?
Azarias NZUNGIZE : dans le courant du mois de mai.
Président : il n’y en a pas eu en avril ?
Azarias NZUNGIZE: non pas en avril.
Président : avez-vous entendu des véhicules équipés de mégaphones qui servaient à diffuser des
messages à la population ?
Azarias NZUNGIZE : non, il n’y en avait pas.
Président : est-ce qu’avant la grande attaque du 21 avril il y a eu d’autres attaques ? Vous parliez de la
maison du chauffeur qui a été détruite.
Azarias NZUNGIZE : cette maison, c’était le 17. A cette date, il y a eu une attaque, les gens sont allés
lancer une grenade chez les réfugiés, à l’intérieur de la cour, chez le prêtre.
Président : savez-vous qui a jeté la grenade et pourquoi ?
Azarias NZUNGIZE : j’ai entendu dire que c’est KAZUNGU [17] et il l’a reconnu lors de son procès.
Président : savez-vous comment il l’a obtenue ?
Azarias NZUNGIZE: je ne sais pas.
Président : savez-vous si KAZUNGU avait été militaire ?
Azarias NZUNGIZE : j’ai entendu dire qu’il était soit militaire, soit policier.
Président : à la suite de cette attaque, des gens sont-ils arrêtés ?
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Azarias NZUNGIZE: rien n’a été fait.
Président : pourquoi ?
Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas, il y avait un mauvais climat, des gens faisaient des choses qui
n’étaient pas sanctionnées. Je pense que c’est cela qui a fait que le génocide a eu lieu.
Président : est-ce que dans la sous-préfecture il y avait un juge ? Un procureur ? Une juridiction
quelconque ?
Azarias NZUNGIZE : dans les sous-préfectures, il y avait des IPJ (instructeurs de police judiciaire).
Président : combien ?
Azarias NZUNGIZE : j’en connaissais un de KARAMA.
Président : il travaillait à ce moment-là ?
Azarias NZUNGIZE : je pense qu’il était originaire de BUTARE, qu’il était parti en congé mais par après
il est revenu.
Président : en congé au moment du génocide ?
Azarias NZUNGIZE : il est parti pour les vacances de Pâques et est revenu après.
Président : vous-mêmes, vous êtes parti, puis revenu. Avez-vous travaillé à la sous-préfecture pendant
tout le génocide ?
Azarias NZUNGIZE : il n’y avait pas beaucoup de travail. J’habitais là, j’y habitais mais il n’y avait pas
de travail.
Président : en ce qui concerne les réfugiés, y a-t-il eu des rapports faits à la préfecture ? Au ministère ?
Azarias NZUNGIZE : je pense qu’à leur arrivée nous avons recensé les réfugiés. Le curé, en
collaboration avec le bourgmestre de KARAMA essayaient de leur trouver des aides. Je pense qu’on les
a recensés dans le but de leur chercher des aides et de la nourriture
Président : la préfecture a-t-elle adressé des rapports pour demander de l’aide ? Des gendarmes ? De
quoi vous souvenez-vous ?
Azarias NZUNGIZE: le sous-préfet n’a rien fait par rapport à ces statistiques, c’est le bourgmestre qui
l’a fait en collaboration avec le prêtre: il a dressé ce rapport. Après, il y a eu d’autres instructions quand
les réfugiés ont voulu rejoindre la population car ils avaient des problèmes de vivres et donc ils
voulaient rentrer chez eux. Tout le monde voyait qu’il allait y avoir des conflits avec les gens restés làbas. On les a empêchés de retourner au sein de la population. On y a envoyé les gendarmes pour
assurer leur sécurité. Je ne sais pas qui avait demandé ces gendarmes, mais je les ai vus venir.
Président : selon vous, le rôle de ces gendarmes c’était que les réfugiés ne quittent pas la paroisse ou
c’était autre chose ?
Azarias NZUNGIZE : on disait que c’était pour assurer leur sécurité.
Président : les réfugiés pouvaient quitter la paroisse ou pas ?
Azarias NZUNGIZE: avant ils partaient. On pouvait même en voir qui partaient chez eux avec des
gendarmes et ramenaient leurs effets sans problème. Après, on les a empêchés de partir pour des
raisons de sécurité disaient-ils. Ils sont restés là et le 21 les choses ont changé. Sont arrivés plusieurs
gendarmes. Je pense que les anciens sont partis et beaucoup d’autres gendarmes et
des Interahamwe sont arrivés.
Président : ces gendarmes venaient d’où selon vous ?

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Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas d’où ils venaient, c’était après l’attaque de MURAMBI. Ils sont venus
nombreux avec les Interahamwe, il y avait beaucoup beaucoup de monde. Mais ceux qui étaient venus
avant assurer la sécurité des Tutsi étaient venus du camp de gendarmerie.
Président : les premiers gendarmes étaient de GIKONGORO ?
Azarias NZUNGIZE : oui
Président : savez-vous si le sous-préfet avait des liens avec les responsables de la gendarmerie de
GIKONGORO et si oui, avec qui ?
Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas car je vous ai dit que je ne savais pas qui du bourgmestre ou du
sous-préfet avait fait venir les gendarmes.
Président : ce n’est pas ma question. Avez-vous vu des commandants de gendarmerie venir à
CYANIKA ? Si oui, lesquels et étaient-ils en contact avec le sous-préfet ?
Azarias NZUNGIZE : je ne connaissais pas le commandant de la gendarmerie, à cause du peu de
temps que je venais de passer là-bas. J’entendais parler de lui
Président : savez-vous s’il est venu à KARAMA ou à CYANIKA ?
Azarias NZUNGIZE : au mois de juin, on a commencé à parler de la défense civile et c’est là qu’on a
beaucoup commencé à parler du Colonel SIMBA.
Président : il y a eu des personnes qui ont utilisé des armes traditionnelles, et des personnes qui ont
utilisé des armes, fusils, grenades. Avez-vous été au courant de la présence d’armes apportées ou
fournies aux personnes ayant attaqué les tutsi ?
Azarias NZUNGIZE: au RWANDA, chaque ménage avait une machette. En ce qui concerne les fusils,
on a utilisé les fusils de policiers de la commune, les autres ont été distribués lors de la défense civile
après que les civils eurent été tués.
Président : selon vous, avant le 21 avril, on n’a pas distribué d’armes aux personnes qui allaient
procéder aux attaques ?
Azarias NZUNGIZE : sauf celles utilisées par les policiers communaux, je parle de la localité tout près
de CYANIKA, je ne sais rien pour ailleurs.
Président : KAZUNGU, il était policier communal ?
Azarias NZUNGIZE : on s’était servi de lui pour qu’il aide à garder le grenier de la paroisse et c’est là
qu’il a rencontré le policier communal. C’est ainsi qu’il est devenu finalement policier communal.
Président : il est devenu policier ?
Azarias NZUNGIZE: il est devenu policier car on lui avait donné l’arme d’un policier.
Président : on lui a donné une arme pour garder le silo ou tuer des Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE : on lui avait donné l’arme pour garder le silo mais je ne sais pas s’il l’a utilisée
pour tuer des Tutsi
Président : le sous-préfet avait une arme ?
Azarias NZUNGIZE : je pense qu’il avait un pistolet.
Président : il avait tout le temps un pistolet ?
Azarias NZUNGIZE: non, il arrivait qu’il ne l’ait pas sur lui.
Président : mais le plus souvent il l’avait ou non ?
Azarias NZUNGIZE : pas souvent.
Président : après le 17 avril, il y a eu l’attaque du 21 avril. Il y a eu d’autres attaques entre le 17 et le 21
ou pas du tout ?
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Azarias NZUNGIZE : à ma connaissance, entre le 17 et le 21 il n’y a pas eu d’attaques.
Président : je reviens aux armes, vous avez été entendu par les gendarmes français en 2014 et vous
avez dit à ce sujet – D10598/5 :
Question: des armes auraient été livrées, peut-être par le colonel SIMBA chargé de la défense civile, à la
jeunesse de KARABA, avant ou pendant le génocide. Est-ce exact?
Votre réponse: Oui, c’est vrai. Des armes ont été livrées pendant le génocide mais pas avant. C’était en
juin 1994 je crois. Des fusils Kalachnikov ont été livrés à RUKONDO et à KINYAMAKARA, pas à KARAMA.
Je n’en connais pas la quantité exacte. Ce sont des militaires qui ont donné ces armes. Je ne connais pas
l’autorité militaire qui a ordonné ces remises mais il est tout à fait possible que ce soit sur les ordres du
colonel SIMBA Aloys alors chargé de la défense civile su la préfecture de GIKONGORO. Ces armes ont été
données aux bourgmestres pour remise aux policiers ou aux villageois.
Ça correspond à vos souvenirs ?
Azarias NZUNGIZE : j’ai moi-même dit que ça a été distribué dans chaque commune en juin.
Président continue la lecture – D10598/5 : il est question d’un courrier émanant du bourgmestre de
RUKONDO qui informait le sous-préfet de la mise en place du comité de défense civile sur son ressort
et en listait les membres. Le but de ces comités de défense civile était d’assurer la sécurité sur les
communes et de lutter contre les tentatives d’infiltration du FPR. Des rondes armées étaient
organisées. Les villageois de la défense civile étaient surtout munis d’armes traditionnelles car les
Kalachnikov étaient trop peu nombreuses.
Azarias NZUNGIZE : je m’en souviens, j’ai vu cette lettre du bourgmestre de RUKONDO, il était au
comité d’autodéfense civile de la commune.
Président : à cette époque, il restait encore des Tutsi dans la sous-préfecture de KARABA ? Ils ont tous
été tués ou d’autres étaient en fuite ?
Azarias NZUNGIZE : à ce moment-là, ils étaient morts et d’autres avaient fui. Mais certains étaient
encore là puisqu’à un moment il y a eu l’instruction d’arrêter les massacres
Président : et les massacres ont arrêté ?
Azarias NZUNGIZE : ça s’est arrêté mais à certains endroits, mais des gens n’écoutaient pas et des
malchanceux étaient tués
Président : les auteurs de ces meurtres étaient poursuivis ?
Azarias NZUNGIZE : ils n’étaient pas poursuivis mais à ce moment-là la population avait vu qu’il ne
fallait pas continuer à tuer ces gens qui avaient survécu. La population se battait contre ceux-là qui
voulaient continuer à tuer des gens. Sinon, les autorités dont nous avons parlé, ces instances-là ne
fonctionnaient pas.
Président : la population se battait contre ceux qui voulaient continuer à tuer les Tutsi ?
Azarias NZUNGIZE: oui, ces Interahamwe-là qui voulaient continuer à tuer ces Tutsi alors qu’il y avait
des instructions de ne pas les tuer
Président : d’accord, mais vous avez dit que la population luttait contre ceux qui voulaient tuer les
Tutsi ? J’ai bien compris ?
Azarias NZUNGIZE : les tueurs n’étaient pas nombreux.
Président : où étiez-vous le 21 avril 1994 ?
Azarias NZUNGIZE: j’étais à KARABA.
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Président : qu’est-ce que vous avez vu ?
Azarias NZUNGIZE : j’étais tout près de la route. Alors le matin vers 6h, j’ai vu beaucoup de gens, des
jeunes gens qui provenaient de MURAMBI et qui étaient en train de fuir. Il y en a qui venaient dans des
véhicules. Ils sont arrivés à CYANIKA. D’autres venaient de MURAMBI et continuaient en direction de
NYANZA. Ceux qui étaient dans les véhicules étaient des Interahamwe, des tueurs.
Président : comment savez-vous que les gens venaient de MURAMBI ?
Azarias NZUNGIZE: je l’ai su car certains, je les ai vus, je les ai reconnus. Trois se sont cachés dans la
sous-préfecture. Après les attaques de CYANIKA, les gens sont partis après avoir pillé des choses.
Certains transportaient des chaises. Quant aux jeunes gens, je leur ai dit de prendre eux aussi des
chaises et de partir avec ceux qui venaient de piller puisque personne ne se préoccupait plus de
personne. Ils sont partis avec eux, ils ont fui.
Président : la nuit, vous avez entendu des bruits qui venaient de MURAMBI, des explosions, des bruits
d’arme ?
Azarias NZUNGIZE : dès l’aube, on n’entendait pas beaucoup mais on entendait quelque chose.
Président : vous entendiez des bruits ?
Azarias NZUNGIZE : oui
Président : et des coups de sifflet ?
Azarias NZUNGIZE : le son du bruit du sifflet ne peut pas arriver là.
Président : je ne parle pas à MURAMBI mais à KARABA ou CYANIKA ?
Azarias NZUNGIZE : oui, des coups de sifflet ont été donnés après qu’on eut tiré. Des jeunes gens aux
aguets sont arrivés dès qu’ils ont entendu les coups de sifflet.
Président : comment étaient-ils habillés ?
Azarias NZUNGIZE : ceux qui sont passés par la route pour monter à la paroisse portaient des habits
civils ordinaires, des serre-têtes et des machettes.
Président : certains étaient habillés avec des feuilles ?
Azarias NZUNGIZE: je n’en ai pas vu
Président : et vous, où êtes-vous, que faites-vous ?
Azarias NZUNGIZE : j’étais assis tout près de là, près de la route
Président : vous y êtes allé ?
Azarias NZUNGIZE : je n’y suis pas allé.
Président : c’était un risque de ne pas y aller, il y avait un risque de ne pas être allé à l’attaque ?
Azarias NZUNGIZE : ils ne pouvaient pas savoir qui y était allé ou pas allé, c’était la zizanie.
Président : le sous-préfet était où ?
Azarias NZUNGIZE: un court moment, le sous-préfet est passé par le bureau, il a pris la voiture et est
parti en direction de RUKONDO et MUKO.
Président : qu’est-il allé faire là-bas ?
Azarias NZUNGIZE : je l’ai vu revenir. Il suivait la voiture de la commune de RUKONDO, ainsi que la
population et les policiers. Ils sont montés en direction de la paroisse.
Président : selon vous, le sous-préfet a pris la voiture pour aller chercher des assaillants ?
Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas mais la voiture est revenue avec des gens à son bord, et il les a
déposés à la paroisse.
Président : à votre avis, pourquoi y sont-ils allés ? Pour aller à la messe ?
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Azarias NZUNGIZE : non, ils y allaient tuer des gens, ils faisaient beaucoup de bruit, ils criaient.
Président : vous entendiez « Exterminons-les » ?
Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas mais de toute façon, quoi qu’il en soit, ils allaient attaquer.
Président : que pouvez-vous nous dire sur le fonctionnement du centre de santé de CYANIKA ?
Azarias NZUNGIZE: vous parlez de quelle période ?
Président : du génocide et juste avant.
Azarias NZUNGIZE: à ce moment-là, le Centre de santé fonctionnait, le personnel soignant pensait
même les plaies des personnes blessées qui y allaient. Le 21, lorsque la paroisse a été pillée, le Centre
de santé non plus n’a pas été épargné, lui aussi a été pillé.
Président : une partie du personnel était déjà partie avant le 21 ?
Azarias NZUNGIZE : certains étaient partis le 17, certains étaient partis accompagnant les blessés vers
l’hôpital de BUTARE. Ils ne sont pas revenus.
Président : combien de prêtres/religieux à la paroisse ?
Azarias NZUNGIZE : je ne me rappelle pas bien mais je pense qu’il y en avait trois.
Président : trois prêtres ?
Azarias NZUNGIZE : je me souviens du prêtre NIYOMUGABO et les autres étaient des grands
séminaristes.
Président : que s’est-il passé avec eux ?
Azarias NZUNGIZE: l’information que j’ai est que l’abbé NIYOMUGABO a été tué par les gens qui
enterraient les victimes.
Président : il y avait des religieuses ?
Azarias NZUNGIZE : il y avait une religieuse, sœur JOSÉE, partie le 17.
Président : il n’y avait qu’une seule sœur ?
Azarias NZUNGIZE: je ne sais pas ce qui s’est passé pour les autres ; celle-là travaillait au Centre de
santé, titulaire, responsable de ce Centre de santé.
Président : l’ensevelissement des corps, on a compris que des engins sont venus, que pouvez-vous
nous dire à ce sujet ?
Azarias NZUNGIZE : je pense qu’est arrivé un engin ainsi qu’un camion du MINITRAPE [18] qui venait
en transportant les prisonniers. Je ne sais pas qui l’a fait venir mais je pense que c’était le bourgmestre
puisqu’il n’a pas réussi à obtenir l’aide de la population. Ils disaient que les corps étaient nombreux.
C’est ainsi qu’il a eu recours à ces prisonniers, ainsi que ce Caterpillar qui est venu creuser. Je ne sais
pas qui l’avait envoyé.
Président : en ce qui vous concerne, est-il exact que des témoins vous ont accusé d’avoir participé au
génocide ? Est-ce pour cette raison que vous avez été condamné ?
Azarias NZUNGIZE : quels témoins ?
Président : vous savez sûrement mieux que moi.
Azarias NZUNGIZE : Dans un premier temps, lorsque j’ai été jugé, c’était devant un tribunal ordinaire
et lors du procès, j’étais avec ce témoin MUHARI en 1998 dans l’affaire du sous-préfet
NTEGEYINTWALI Joseph. Mais ceux qui m’ont accusé n’ont rien dit à ce moment-là. Il y a eu un appel
et là ils ont dit qu’ils étaient avec moi. Au premier degré, j’étais avec eux et ils n’ont rien dit et au degré
de l’appel, ils ont dit que j’étais avec eux mais uniquement à la barrière. C’était devant la Gacaca [19].
Président : en première instance, vous avez été condamné ou acquitté ?
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Azarias NZUNGIZE : j’avais été acquitté.
Président : est-ce qu’un de vos accusateurs était le bourgmestre de KARAMA ?
Azarias NZUNGIZE : oui, lui uniquement.
Président : est-ce que le sous-préfet Joseph était jugé en même temps à ce moment ?
Azarias NZUNGIZE : il était là.
Président : pourquoi le bourgmestre vous a accusé ?
Azarias NZUNGIZE : c’est à cause de la maison, c’est lui qui a donné l’ordre de la détruire. Et quand je
l’ai dit, il s’est fâché.
Président : donc c’était pour se venger ?
Azarias NZUNGIZE: c’est dans ce cadre-là.
Président : vous nous rappelez la durée de votre peine ?
Azarias NZUNGIZE : trente ans
Président : quand êtes-vous libérable ?
Azarias NZUNGIZE : dans le cadre du génocide, il n’existe pas de libération anticipée, il faut attendre
la fin de l’exécution de la peine.
Président : Donc, en 2028 ?
Azarias NZUNGIZE : quelque part là mais il y a toujours un recours qui reste pendant. Lorsque j’ai
démontré cette injustice, le service de l’ombudsman a demandé à la Cour suprême d’examiner ce cas.
C’est là où le dossier est pendant et je pense que ça dort car ça fait longtemps.
Président : donc vous avez recours à un médiateur pour la révision de votre situation et vous attendez
une réponse depuis plusieurs années?
Azarias NZUNGIZE : j’attends, ça se trouve toujours au niveau de la Cour suprême, j’ai introduit la
demande en 2014.
Président : autre chose à ajouter, Monsieur ?
Azarias NZUNGIZE: il me reste à vous exprimer mes remerciements. Je ne sais pas ce qu’en dit mon
collègue BUCYIBARUTA, il ne me reste plus qu’à lui souhaiter bonne chance.
QUESTIONS :
Juge assesseur 1 : Est-ce qu’il vous est arrivé d’aller voir les réfugiés à la paroisse ?
Azarias NZUNGIZE : Moi, je n’étais pas pourchassé, je pouvais y aller plusieurs fois. D’ailleurs, je suis
allé voir ma collègue BERNADETTE car elle habitait tout près.
Juge assesseur 1 : Vous lui apportiez des choses ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, je lui apportais des choses, et les réfugiés pouvaient aussi me demander
d’acheter des choses et j’y allais.
Juge assesseur 1 : Lors de votre audition vous dites que vous avez apporté une aide alimentaire à vos
voisins. C’est à BERNADETTE ?
Azarias NZUNGIZE : C’était les réfugiés. Quant à BERNADETTE, j’y allais. Elle pouvait aussi m’appeler à
la préfecture et je pouvais lui apporter ce qu’elle demandait. Je donnais aussi à manger aux réfugiés en
cachette.
Juge assesseur 1 : D’autres personnes amenaient des choses aux réfugiés ?
Azarias NZUNGIZE : Chacun avait ses amis et essayait de trouver un ami pour demander d’apporter
des choses.
Juge assesseur 1 : Y avait-il des organisations qui pouvaient apporter de l’aide ?
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Azarias NZUNGIZE : Non, à part la CARITAS qui avait apporté des choses qui se trouvaient dans son
grenier.
Juge assesseur 1 : Connaissez-vous la personne responsable de CARITAS ?
Azarias NZUNGIZE : La CARITAS était à la paroisse, donc ça devait être à la paroisse.
Juge assesseur 1: Donc, ça s’était au début. Et après, les gendarmes ont empêché les gens d’entrer car
c’était trop compliqué avec les Hutu et les Tutsi, c’est ça ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, c’était ainsi.
Juge assesseur 1 : Quand vous avez été entendu par les gendarmes français en 2014/2015, tout à la
fin de votre interrogatoire, on vous demande si vous voulez ajouter quelque chose et vous avez dit
que le préfet était menacé car il avait une femme Tutsi, qu’il aurait été attaqué par
les Interahamwe selon la rumeur. Plus précisément, qu’elle était la rumeur ? Qui vous a dit des choses
comme ça ?
Azarias NZUNGIZE : Souvent, j’entendais dire qu’il avait une femme Tutsi, mais moi je ne la connais
pas. Le préfet pourrait le dire.
Juge assesseur 1 : Mais qui est ce « on » ? Les gens à la sous-préfecture ? Les gens avec qui on va
boire des bières le soir ? Les gens de votre famille ?
Azarias NZUNGIZE : Ce sont les gens qui le disaient, que ce soit les bourgmestres, le sous-préfet, la
population.
Juge assesseur 1 : Vous avez dit que vous étiez un « petit », que vous ne voyiez pas le préfet. Vous le
croisiez juste à la préfecture, mais il y a trois minutes, vous l’avez appelé « un collègue ».
Azarie NZUNGIZE : Je ne parle pas de lui comme un collègue, mais comme une personne qui est
poursuivie des mêmes faits que moi, c’est ce que je voulais dire.
QUESTIONS PARTIES CIVILES :
Me GISAGARA : Vos derniers mots s’adressent à l’accusé et vous lui souhaitez « bonne chance »?
Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas comment il s’explique sur les faits dont on l’accuse, mais je lui
souhaite bonne chance.
Me GISAGARA : Ce matin, un autre témoin nous a dit que quand on est toujours en procédure, on est
pas libre de dire toute la vérité. C’est votre cas, vous êtes toujours en procédure, n’est-ce pas ?
Azarias NZUNGIZE : Le procès que j’attends, c’est celui à la Cour Suprême, j’ai essayé de dire la vérité.
Me GISAGARA : Donc, même si vous êtes encore en procédure, vous vous sentez libre de dire la vérité
?
Azarias NZUNGIZE : J’ai essayé de dire la vérité sur ce que j’ai vu.
Me GISAGARA : Quand vous dites que vous ne savez pas comment le préfet s’est expliqué, est-ce que
vous voulez dire que vous avez une inquiétude qu’il vous ait impliqué vous aussi ?
Azarias NZUNGIZE : Non, nous ne nous connaissions pas. Par contre, il y en a qui ont plaidé coupable,
d’autres non et je ne sais pas ce que lui a fait pour peut-être aider la Cour à comprendre les choses.
Me GISAGARA : Vous avez dit qu’il y avait une réunion fin avril / début mai, une réunion de sécurité
qui aurait donné l’ordre de faire des rondes. Vous n’avez pas dit qui a participé à cette réunion ?
Azarias NZUNGIZE : Il me semble que la réunion a eu lieu le 30 avril, avec les bourgmestres, les
conseillers communaux, les responsables de partis politiques au niveau préfectoral. Ce sont ces
personnes qui figuraient sur les invitations.
Me GISAGARA : Le préfet aussi ?
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Azarias NZUNGIZE : J’ai vu la lettre, c’était une convocation par le préfet. Est-ce qu’il aurait convoqué
une réunion sans y participer ?
Me GISAGARA : Donc, il y avait le préfet et les autres membres des administrations locales ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, et les responsables des partis politiques au niveau de la préfecture.
Me GISAGARA : C’est cette réunion-là qui a instauré les barrières et organisé les rondes au niveau de
la préfecture ?
Azarias NZUNGIZE : Je pense que c’est celle-là. Après cela, il y avait des instructions disant qu’il ne
fallait pas encore tuer.
Me GISAGARA : Ça n’a pas empêché que les gens soient tués ?
Azarias NZUNGIZE : Ça n’avait pas empêché les malchanceux d’être tués.
Me GISAGARA : En répondant à une question de Monsieur le Président, sur l’organisation des
barrières et des rondes, vous avez dit que les conseillers n’auraient pas pu le faire de leur propre
initiative, qu’ils auraient eu des instructions des bourgmestres qui l’auraient eu de plus haut. J’ai bien
compris ? Je vais vous situer au jour du grand massacre. Plusieurs témoins ont dit que la population
est venue de plusieurs communes, encadrée par les bourgmestres de leurs communes. Est-ce que vous
diriez aussi, comme pour les rondes et les barrières, que ces bourgmestres n’auraient pas pu agir de
leur propre et qu’ils avaient eux-aussi des informations qui venaient de plus haut ?
Azarias NZUNGIZE : Le fait de ne pas participer aux rondes pouvait te faire tuer parce que les
conseillers surveillaient la participation aux rondes et les bourgmestres aussi veillaient de plus près au
point où on pouvait être tué si on n’avait pas participé, c’était un ordre.
Ne répond pas du tout à la question.
Me GISAGARA : Vous habitiez dans la maison de GATABARWA, il avait une moto, qu’est-elle devenue
?
Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas comment cela s’est passé, je sais qu’il y a eu des poursuites au
niveau des Gacaca.
Me KARONGOZI : Dans le cadre de vos fonctions en tant que secrétaire du sous-préfet, est-ce qu’il
vous arrive de préparer des projets de lettre du sous-préfet ?
Azarias NZUNGIZE : Non, je ne préparais pas de lettre, à part des lettres simples, sinon c’est lui qui les
préparait. Il les donnait juste aux dactylographes qui les tapaient.
Me KARONGOZI : Mais tous ces courriers passaient entre vos mains. Vous étiez le secrétaire en chef
du sous-préfet et en-dessous de vous il y a deux dactylographes, dont BERNADETTE, on est d’accord ?
Quand le sous-préfet prépare un courrier qui va être dactylographié, cela passe par vous ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, le sous-préfet pouvait lui donner directement pour qu’elle tape la lettre,
mais dans tous les cas elle devait me revenir pour que je la valide.
Me KARONGOZI : De même, tous les papiers non confidentiels passaient entre vos mains pour
enregistrement ?
Azarias NZUNGIZE : Oui.
Me KARONGOZI : Par rapport au téléphone, vous avez un téléphone parallèle à celui du sous-préfet
de façon à ce que quand le préfet appelle le sous-préfet, cela passe par vous ?
Azarias NZUNGIZE : Non, quand on appelait le sous-préfet, il avait son téléphone, moi aussi j’en avais
un. Mais quand il n’était pas dans son bureau, j’allais dans son bureau pour voir qui l’appelait.
Me KARONGOZI : Vous allez dans son bureau ou vous avez un téléphone parallèle ?
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Azarias NZUNGIZE : Il y avait deux lignes : une ligne du secrétariat et une ligne parallèle à la ligne du
sous-préfet. Quand il était dans son bureau je ne répondais pas.
Me KARONGOZI : Est-ce que le sous-préfet vous fait confiance ? Êtes-vous en bonne relation avec
votre patron, le sous-préfet ?
Azarias NZUNGIZE : Je ne peux pas savoir. Comme nouvel employé, je n’avais pas de problèmes avec
lui.
Me KARONGOZI : Êtes-vous au courant qu’il portait un pistolet ?
Azarias NZUNGIZE : Oui, je le voyais.
Me KARONGOZI : Êtes-vous au courant qu’il a tué KARANGANWA avec ce pistolet ?
Azarias NZUNGIZE : Il a été transporté à l’hôpital, je ne sais pas s’il est mort ou pas.
Me KARONGOZI : Vous avez dit que vous êtes allé au procès du sous-préfet, quelle a été sa
condamnation ?
Azarias NZUNGIZE : Dans ce procès, il a été condamné à mort. Mais, devant les Gacaca, il a eu une
peine à perpétuité.
Me KARONGOSI : A quelle peine a été condamné le bourgmestre de KARAMA ?
Azarias NZUNGIZE : Lors du premier procès, aussi la peine de mort. Il a reçu vingt-quatre ans
en Gacaca.
Me KARONGOZI : Savez-vous pourquoi la peine a été diminuée en Gacaca ?
Azarias NZUNGIZE : Devant les Gacaca, il a reconnu ses faits et a demandé pardon.
Me KARONGOZI : BERNADETTE, quand vous lui rendez visite pendant le génocide, est-ce qu’elle vous
parle de la situation de son mari ? Ou il se trouve ? Et sous quelle protection ?
Azarias NZUNGIZE : Elle m’avait dit qu’il était en mission et quand il y a eu la chute de l’avion, il
n’était pas revenu de mission, ce sont les nouvelles que nous avions.
Me FOREMAN : Vous avez dit tout à l’heure « à un moment, il y a eu des instructions pour arrêter les
massacres et cela s’est arrêté ». Est-ce que vous pouvez expliquer à quel moment il y a les instructions
et de qui ?
Azarias NZUNGIZE : Il me semble que les instructions avaient été données par le préfet, ensuite les
bourgmestres et sous-préfets avaient rapporté ces instructions dans leurs communes.
Me FOREMAN : Quand ces instructions sont-elles données ?
Azarias NZUNGIZE : Au début du mois de mai.
Me BERNARDINI : Une question sur les livraisons d’armes et l’organisation des comités de défense
civile. M. le Président vous a rappelé vos déclarations en D10598/5 . Pouvez-vous me donner des
précisions sur la façon dont ces informations sont relayées de la préfecture aux bourgmestres ?
Azarias NZUNGIZE : Je me base sur le rapport du bourgmestre de la commune de RUKONDO qui
écrivait au préfet pour donner le nom des personnes qui composaient le comité de défense civile. J’ai
vu qu’il avait écrit au préfet en informant le coordinateur de la défense civile qui était SIMBA, ainsi que
le sous-préfet. Les instructions venaient d’en haut et il a fait un rapport pour dire comment ça s’était
passé car ils avaient dû recevoir ces instructions.
Me BERNARDINI : Que voulez-vous dire par « les instructions venaient d’en haut » ?
Azarias NZUNGIZE : Comme il donnait le rapport au préfet pour l’informer de la façon dont les choses
se déroulaient, je suppose qu’ils avaient reçu des instructions quelque part. S’il a adressé le rapport au
préfet, c’est que ça devait être lui qui avait donné les instructions.
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Me BERNARDINI : Vous nous dites que les instructions descendent du préfet aux bourgmestres en
passant par vous à la sous-préfecture et qu’ensuite, les rapports remontent par la même procédure ?
Azarias NZUNGIZE : Tel que j’ai vu le rapport, je suppose que le rapport était une réponse de là où
venaient les instructions. Je suppose que le préfet aussi les avaient reçues d’en haut, les instructions
avaient été données par le gouvernement intérimaire. C’est dans ce cadre que cela a été instauré.
QUESTION MINISTÈRE PUBLIC :
Ministère Public : Vous nous avez indiqué être revenu le 13 avril à la sous-préfecture pour travailler, il
ressort des déclarations de Laurent BUCYIBARUTA que lui est venu à CYANIKA le 14 avril. Avez-vous eu
connaissance de la visite du préfet à CYANIKA ?
Azarias NZUNGIZE : Je ne l’ai pas su.
Ministère Public : Cela vous semble possible qu’une personne qui travaille à la sous-préfecture ne soit
pas informé d’une visite officielle du préfet sur le ressort même de cette sous-préfecture ?
Azarias NZUNGIZE : Le 14 avril ?
Ministère Public : Oui, ou vers cette date.
Azarias NZUNGIZE : : Non, je ne sais pas, à moins qu’il ne soit venu voir les réfugiés, mais il n’y a pas
eu de réunion officielle.
Ministère Public : Une visite pour voir les réfugiés, ce n’est pas une visite officielle mais une visite
personnelle ?
Azarias NZUNGIZE : La visite officielle c’est quand les bourgmestres, les conseillers et la population
ont été invités, tout le monde est au courant. Quant à cette autre visite, il devait passer par-là, moi je
ne l’ai pas su.
Ministère Public : Vous parlez d’une visite du préfet aux réfugiés, c’est quelque chose dont vous êtes
informé ou pas ?
Azarias NZUNGIZE : Il n’y a pas de raison, pour moi, si le préfet était venu par là, je le dirais.
Ministère Public : D’accord, vous ne savez pas.
Azarias NZUNGIZE : Ça aurait d’ailleurs été une chance, car le préfet est une personne très
importante. Il ne peut pas arriver sur place sans que les gens ne le sachent.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me LÉVY : Concernant le bourgmestre Désiré NGEZAHAYO, vous avez rappelé qu’il a été condamné à
mort dans un premier temps et dans les Gacaca, sa peine a été réduite à 24 ans. Quand on vous a
demandé pourquoi sa peine a été réduite, vous avez dit qu’il a plaidé coupable. Est-ce qu’en même
temps qu’il a plaidé coupable, il a accusé d’autres personnes qu’il n’avait pas accusées auparavant,
dont vous-même ?
Azarias NZUNGIZE : Non, il a toujours dit comme ça.
Me LÉVY : Vous avez indiqué tout à l’heure que le bourgmestre ne vous avait pas accusé lors du
premier procès. Lors de votre deuxième procès, il vous a accusé alors qu’il ne l’avait pas fait
auparavant, n’est-ce pas ?
Azarias NZUNGIZE : Je n’ai pas bien saisi.
Me LÉVY répète la question.
Azarias NZUNGIZE : Oui, il a dit autre chose, suite aux informations qu’on avait données sur lui lors
des Gacaca.

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Audition de monsieur Ignace MBONEYABO, prêtre à la paroisse de MUGANZA. Présent à
CYANIKA en 1994.

Ignace MBONEYABO : Je voulais témoigner au sujet du génocide qui a été commis contre les Tutsi, à
CYANIKA. Je vais en parler en me basant sur quatre dates :
• La première date est celle du 8 ou du 9 avril.
• La deuxième date est celle du 10 avril.
• La troisième est celle du 21 avril.
• La quatrième est celle du 24 avril.

Le 8 ou le 9 avril, c’est à ce moment-là que les Tutsi se sont réfugiés à CYANIKA. La date du 10 avril
correspond au moment où le bourgmestre de la commune de KARABA et le sous-préfet de la souspréfecture de KARAMA sont venus voir les Tutsi qui s’étaient réfugiés. Ils leur ont demandé de
retourner chez eux et c’est là qu’ils allaient assurer leur sécurité. Le 21 avril, c’est à cette date-là que les
massacres terribles ont été commis à CYANIKA. Avant que je ne parle de la date du 24 avril, je voudrais
dire que lorsque les massacres allaient commencer, un certain Juvénal GASASIRA nous a fait fuir, il
nous a cachés dans une pièce du Centre de santé, nous étions au nombre de sept. Nous avons passé
quatre jours dans cette pièce. Le 24 avril, les tueurs nous y ont débusqués. Ils ont immédiatement tué
cinq d’entre nous et nous avons survécu à deux. Tels sont les éléments que j’aimerais vous
communiquer sur ces dates. Si vous avez des questions vous pouvez me les poser.
Président : Vous êtes né à MATA, dans le district de NYARUGURU ?
Ignace MBONEYABO : C’est vrai, je suis né là-bas.
Président : Est-ce dans la préfecture de GIKONGORO ou cela n’a rien à voir ?
Ignace MBONEYABO : C’est situé dans la préfecture de GIKONGORO.
Président : Près de la paroisse de GIKONGORO ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : MATA, c’est là où il y a une plantation de thé ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : J’ai compris que vous avez effectué des études au séminaire ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Dans quel séminaire êtes-vous allé ?
Ignace MBONEYABO : Le séminaire de BUTARE, puis le grand séminaire de NYAKIBANDA.
Président : Où se situe t-il ?
Ignace MBONEYABO : Dans l’ancienne préfecture de BUTARE.
Président : En 1994, vous aviez quel âge ?
Ignace MBONEYABO : J’avais 28 ans.
Président : Et donc, à ce moment-là, vous étiez séminariste?
Ignace MBONEYABO : J’étais grand séminariste.
Président : Vous alliez être bientôt ordonné prêtre ?

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Ignace MBONEYABO : J’ai été ordonné prêtre en 1999, ça voulait dire qu’il me restait cinq ans.
Président : Pour quelles raisons êtes-vous à CYANIKA en avril 1994 ?
Ignace MBONEYABO : J’étais grand séminariste et j’y effectuais mon stage.
Président : Depuis combien de temps étiez-vous à CYANIKA ?
Ignace MBONEYABO : J’y étais arrivé le 1er octobre 1993.
Président : Depuis combien de temps ?
Ignace MBONEYABO : Depuis un peu plus de 6 mois.
Président : Vous deviez rester combien de temps là-bas ?
Ignace MBONEYABO : Je devais partir le 30 juin.
Président : C’était une grande paroisse ?
Ignace MBONEYABO : Je ne visitais pas tous les endroits, je me rendais surtout à des centrales ou
succursales de la paroisse. Elle était grande et si ma mémoire est bonne, elle s’étendait sur le territoire
de deux communes.
Président : Ces deux communes étaient KARAMA et RUKONDO ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Il n’y avait qu’une seule grande église centrale, c’était celle de CYANIKA ?
Ignace MBONEYABO : Oui, c’est exact.
Président : Depuis combien de temps existait cette église ?
Ignace MBONEYABO : Elle a été créée en 1935.
Président : Savez-vous si lors de précédents troubles (1959, 1963, 1970/1973, 1990), si les Tutsi avaient
eu l’habitude de venir à cette église ?
Ignace MBONEYABO : A l’époque, je ne le savais pas, mais je l’ai su au fur et à mesure en suivant
l’histoire du Rwanda.
Président : Donc, vous avez su qu’il y avait, lors de troubles précédents, des Tutsi qui étaient venus s’y
réfugier ?
Ignace MBONEYABO : A la paroisse de CYANIKA, je ne le sais pas.
Président : On voit aussi qu’il y a une école, un Centre de santé, et un presbytère et peut-être aussi un
endroit où il y avait des religieuses ?
Ignace MBONEYABO : C’est correct.
Président : Au Centre de santé, combien y avait-il de personnes qui travaillaient dans ce centre ?
Ignace MBONEYABO : Je ne les connais pas.
Président : Ce Centre de santé n’était que pour la paroisse ou y avait-il des gens qui venaient de plus
loin que la paroisse ?
Ignace MBONEYABO : Je me dis que ce n’était pas seulement les gens de la paroisse de CYANIKA,
mais aussi des gens qui venaient d’ailleurs.
Président : Y avait-il des gens qu’on soignait sur place?
Ignace MBONEYABO : Je n’ai pas bien compris la question.
Président : Y avait-il des gens qui restaient sur place ou les gens venaient simplement en consultation
?
Ignace MBONEYABO : Il y avait un service d’hospitalisation.
Président : Est-ce que les femmes venaient accoucher ? Est-ce qu’on soignait des blessés ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
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Président : Que pouvez-vous nous dire sur les sœurs à CYANIKA ? A quel ordre appartenait-elle ?
Ignace MBONEYABO : Une congrégation locale rwandaise : « Celle de la vierge ».
Président : Combien de religieuses y avait-il ?
Ignace MBONEYABO : Je ne m’en souviens pas.
Président : Souvenez-vous de noms ? La supérieure des religieuses ?
Ignace MBONEYABO : Je me rappelle de soeur Josée, mais pas des autres.
Président : Donc, vous, vous arrivez là en octobre 1993. Et vous êtes sous la responsabilité du prêtre:
c’était le père NIYOMUGABO ? Et il y a aussi d’autres religieux ? Un autre prêtre ?
Ignace MBONEYABO : Il y en avait même deux.
Président : Que pouvez-vous me dire sur ces deux autres prêtres ?
Ignace MBONEYABO : L’un s’appelait Alphonse UYEMEYE, le deuxième était Aloys MUSONI.
Président : Quelles étaient leurs fonctions ?
Ignace MBONEYABO : Alphonse était économe de la paroisse et Aloys était chargé de la jeunesse au
niveau du diocèse.
Président : Est-ce qu’ils étaient à CYANIKA de façon permanente ?
Ignace MBONEYABO : Ils vivaient là-bas de manière permanente.
Président : Est-ce qu’il y avait également un séminariste ?
Ignace MBONEYABO : Il y avait moi. Mais, au moment du génocide, il y en avait un autre venu en
visite.
Président : S’appelait il Marc NTIMUBURA?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : On n’a pas non plus parlé de ce qui est important, à savoir les écoles. Combien y avait-il
d’élèves ? Étaient-elles mixtes ?
Ignace MBONEYABO : Impossible de connaitre le nombre, je ne m’en rappelle pas. Mais, ce qui est
clair c’est qu’elles étaient mixtes, garçons et filles.
Président : École primaire ? secondaire ?
Ignace MBONEYABO : Deux établissements scolaires, une école primaire et une école secondaire.
Président : Est-ce que c’était un pensionnat ? Est-ce que les élèves rentraient chez eux, restaient sur
place ?
Ignace MBONEYABO : Pour l’école primaire, c’était externe, mais en ce qui concerne l’école
secondaire c’était un pensionnat, les élèves y restaient.
Président : Quel diplôme on avait dans l’école ? Les plus hauts ?
Ignace MBONEYABO : Le diplôme des humanités, après six ans.
Président : C’est l’équivalent du baccalauréat français ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Au moment du génocide, ce sont les vacances de Pâques ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Donc il n’y a pas d’élèves ?
Ignace MBONEYABO : Non, il n’y en avait pas.
Président : Est-ce qu’avant le génocide il y avait des tenions entre les élèves ? Des problèmes
ethniques ?
Ignace MBONEYABO : Non, ça n’a pas eu lieu.
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Président : On sait que pendant un certain temps, il y avait des systèmes de quotas dans l’éducation.
Donc on ne pouvait pas avoir plus d’un certain pourcentage d’élèves tutsi. Est-ce qu’en 1994, il y avait
toujours des problèmes pour les Tutsi pour accéder à l’éducation ?
Ignace MBONEYABO : Si je parle de ces écoles de CYANIKA, il n’y avait pas d’équilibre ethnique.
Président : Donc, il n’y avait pas de quotas ?
Ignace MBONEYABO : Non, il n’y en avait pas.
Président : Tout le monde pouvait accéder à l’école ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Est-ce qu’il y avait un directeur ? C’était le prêtre ?
Ignace MBONEYABO : Il y avait un directeur, qui n’était pas prêtre.
Président : Au moment du génocide, y avait-il des gens sur place ?
Ignace MBONEYABO : Ils étaient restés parce que c’était la période des vacances.
Président : Vous avez dit qu’il y a quatre dates qui sont importantes, dont le 8 et 12 avril, quelques
jours après la mort du président HABYRIMANA. Vous avez expliqué que c’était le moment où les Tutsi
sont venus se réfugier à ce moment-là à CYANIKA. Est-ce qu’ils sont tous arrivés à ce moment-là ou
est-ce qu’ils sont arrivés petit à petit ?
Ignace MBONEYABO : C’est à cette date-là, qu’ils ont commencé à venir, mais leur nombre est
devenu de plus en plus croissant.
Président : S’agissant du nombre de réfugiés, savez-vous s’il y a eu des recensements qui ont été
effectués ?
Ignace MBONEYABO : Au début, ils furent recensés.
Président : Souvenez-vous des chiffres de recensement ?
Ignace MBONEYABO : À l’époque, leur nombre se situait entre quatre et six mille.
Président : C’était le 21 avril ? Savez-vous à quelle date a été fait le recensement ?
Ignace MBONEYABO : Bien avant cette date, dans les jours qui ont suivi la date du 10 avril, ils
commençaient à arriver.
Président : Selon vous, le 21 avril, il y avait combien de personnes à CYANIKA ?
Ignace MBONEYABO : Je ne peux pas connaitre le nombre, mais ils étaient très nombreux.
Président : Plus que le nombre de recensement ?
Ignace MBONEYABO : Ils étaient extrêmement nombreux.
Président : Où étaient-ils ?
Ignace MBONEYABO : Au presbytère, à la cour, dans les classes, dans le couvent des religieuses.
Président : Y a-t-il eu des réfugiés dans l’église ?
Ignace MBONEYABO : Jamais les réfugiés n’ont été installés dans l’église.
Président : Savez-vous si cela correspondait à une volonté particulière ?
Ignace MBONEYABO : Je ne m’en souviens pas, mais je l’ai constaté ainsi.
Président : C’est parce que cela avait été décidé .
Ignace MBONEYABO : Je ne le sais pas.
Président : Que pouvez-vous nous dire des conditions de vie des réfugiés à CYANIKA?
Ignace MBONEYABO : Je dirais que ces conditions étaient difficiles, car dans un premier temps, ils
n’ont plus eu de quoi manger et ils n’ont plus eu de l’eau, en plus de l’incertitude liée à la possibilité
d’être attaqués et tués.
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Président : Savez-vous pourquoi il n’y avait plus d’eau?
Ignace MBONEYABO : Les gens ont coupé l’eau qui arrivait jusque-là, et il n’y a plus eu
d’approvisionnement en eau.
Président : Savez-vous qui a coupé l’eau ?
Ignace MBONEYABO : Je ne les connais pas.
Président : Souvenez-vous quand l’eau a été coupée ?
Ignace MBONEYABO : Il est difficile de connaitre les dates. Ça se situe entre le 21 et le 24 avril.
Président : Avant l’attaque ou après l’attaque ?
Ignace MBONEYABO : Je pense que c’était plusieurs jours avant.
Président : Quand vous avez vu les réfugiés arriver à CYANIKA, est-ce qu’il y avait des blessés ?
Ignace MBONEYABO : Oui il y en avait.
Président : Pourquoi étaient-ils blessés ?
Ignace MBONEYABO : Parmi ceux qui trouvaient refuge, il y en avait qui avaient subi des attaques, qui
avaient été agressés.
Président : Pouvez-vous nous décrire les blessures que vous avez pu constater chez ces réfugiés ?
Ignace MBONEYABO : Certains avaient des blessures au niveau de la tête, d’autres au niveau des
bras, et d’autres encore au niveau des jambes.
Président : Selon vous, avec quoi ont été faites ces blessures ?
Ignace MBONEYABO : Ça pouvait être des morceaux de bois, des coups de pierres ou d’autres objets
avec lesquels on les avait frappés.
Président : Comme des machettes ?
Ignace MBONEYABO : C’est possible.
Président : Est-ce que les réfugiés ont fait état que certains Tutsi avaient été tués ?
Ignace MBONEYABO : Je ne me souviens pas bien.
Président : Avaient-ils parlé de barrière?
Ignace MBONEYABO : Ils ont dit qu’en venant ils traversaient des barrières.
Président : Savez-vous si des femmes ont pu être violées?
Ignace MBONEYABO : Je ne le sais pas.
Président : Vous avez parlé du 10 avril. Vous dites qu’il y a eu une visite. Vous dites que c’est celle du
bourgmestre et du sous-préfet. Sont-ils venus ensemble ? Savez-vous s’il y avait eu d’autres personnes
avec eux ? Comment cela s’est-il passé ?
Ignace MBONEYABO : Comme c’était des dirigeants, ils sont venus à deux, c’est eux que j’ai vus. S’ils
sont venus avec d’autres personnes, je n’en sais rien.
Président : Est-ce qu’ils sont venus spontanément ou parce que les réfugiés voulaient les voir ?
Ignace MBONEYABO : Ils sont venus car il y avait des réfugiés.
Président : Donc, ils sont venus spontanément pour s’occuper des réfugiés ?
Ignace MBONEYABO : Oui, ils étaient détenteurs d’un message qu’ils voulaient leur livrer comme quoi
ils devaient retourner chez eux. Qu’ils allaient s’occuper d’eux quand ils seraient rentrés chez eux.
Président : Quand ils délivrent ce message, il y a toujours des réfugiés qui arrivent ? Des gens qui sont
blessés ? Il y a toujours des incidents à ce moment-là ?
Ignace MBONEYABO : Quand ils ont délivré ce message, les réfugiés ont continué à venir. Le nombre
grandissait de plus en plus.
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Président : Donc, si les réfugiés venaient c’est parce que les troubles continuaient ?
Ignace MBONEYABO : Oui, ça continuait.
Président : Est-ce que vous savez s’il y avait des maisons qui étaient détruites ou incendiées ?
Ignace MBONEYABO : Les maisons ont été détruites et d’autres brûlées, nous les voyions d’en face.
Président : On a des témoins qui font des déclarations contraires aux vôtres. Certains disent qu’au
contraire, ils ont reçu des instructions, quand ils étaient chez eux ou cachés de venir à la paroisse.
Ignace MBONEYABO : Moi, à l’endroit où je me trouvais, c’était à la paroisse, je ne sortais pas pour
voir ce qui se passait à l’extérieur. Je ne peux pas savoir ce qui s’y passait.
Président : Selon vous, quand le bourgmestre et le sous-préfet viennent dire aux réfugiés qu’ils
peuvent rentrer chez eux et que là-bas on assurera leur sécurité, est-ce que vous pensez qu’ils sont
crédibles ?
Ignace MBONEYABO : Que chez eux leur sécurité allait être assurée, je pense que cela ne pouvait pas
être vrai car de toute façon, l’insécurité continuait à sévir, la situation évoluait de mal en pis.
Président : Est-ce qu’à ce moment-là il y a des gendarmes présents à la paroisse ?
Ignace MBONEYABO : Je ne me rappelle pas quand ils sont venus, mais à un certain moment ils
étaient là.
Président : Vous vous souvenez pourquoi ils sont venus ? Est-ce que quelqu’un en a fait la demande ?
Ignace MBONEYABO : Je pense que les instances dirigeantes en ont parlé entre elles et qu’elles se
sont dit qu’il fallait assurer la sécurité à ces gens.
Président : Avez-vous discuté de cette situation avec le père NIYOMUGABO ? Est-ce que lui était
préoccupé par la situation, est-ce qu’il envisageait de demander la présence de militaires, de
gendarmes ?
Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas si c’est le père NIYOMUGABO qui les a appelés ou qui a
demandé qu’ils viennent.
Président : Est-ce qu’à un quelconque moment, vous avez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA venir à
la paroisse de Cyanika ?
Ignace MBONEYABO : Je l’ai vu une fois venir à la paroisse.
Président : Est-ce que vous vous souvenez quand ?
Ignace MBONEYABO : Il m’est difficile de me souvenir des dates, je ne peux pas m’en rappeler.
Président : Est-ce qu’il est venu en même temps que le bourgmestre et le sous-préfet ?
Ignace MBONEYABO : Il était seul.
Président : Est-ce qu’il s’est adressé aux réfugiés ?
Ignace MBONEYABO : Je ne l’ai pas vu s’entretenir avec les réfugiés.
Président : Avec qui s’est-il entretenu ?
Ignace MBONEYABO : J’ai vu le père NIYOMUGABO le raccompagner.
Président : Est-ce que le père vous a dit ce qui avait pu s’échanger entre eux ?
Ignace MBONEYABO : Non, il ne me l’a pas dit.
Président : Selon vous, combien de temps est resté le préfet ?
Ignace MBONEYABO : J’ai vu quand on l’a raccompagné, mais je ne sais pas quand ’il était venu.
Président : Souvenez-vous s’il y a eu des attaques avant le 21 avril ?
Ignace MBONEYABO : Un jour, que je ne me rappelle pas, quelqu’un est venu à travers la clôture, il a
lancé une grenade dans la cour intérieur.
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Président : Souvenez-vous d’attaques à la paroisse que les gendarmes ont repoussées?
Ignace MBONEYABO : Je ne m’en souviens pas.
Président : Était-il possible pour les gens de l’extérieur de voir les réfugiés ?
Ignace MBONEYABO : C’était possible, car il n’y avait pas une porte d’entrée visible et il y avait
plusieurs endroits par lesquels on pouvait entrer.
Président : Y avait-il un peu de soutien ?
Ignace MBONEYABO : Je me rappelle que le père a ouvert un silo de nourriture, et qu’il l’a donnée à
ces réfugiés.
Président : Est-ce que des vivres ont été amenées par des associations comme CARITAS ou autres ?
Ignace MBONEYABO : Le riz qui était dans le silo, le père le leur a donné. C’était du riz que la
CARITAS avait amené là-bas et qui avait été stocké dans le silo.
Président : En dehors de ce riz pris sur des réserves, avez-vous vu des gens venir apporter la
nourriture ?
Ignace MBONEYABO : Non.
Président : Connaissez-vous une dame qui était blanche et qui s’appelait MADELEINE ?
Ignace MBONEYABO : Oui, je la connaissais.
Président : Le 21 avril correspond à la troisième date qui est importante pour vous. À cette date,
pouvez-vous nous dire ce que vous voyez ? Quels sont les premiers souvenirs que vous avez du 21
avril ?
Ignace MBONEYABO : Le 21 avril, nous nous sommes attablés pour le petit déjeuner. Comme
d’habitude, nous avons regagné nos chambres respectives. À ce moment-là, le père NIYOMUGABO
nous a demandé de sortir et qu’on allait se cacher quelque part, dans l’une des pièces du Centre de
santé. On a commencé à tirer sur les réfugiés jusqu’à 17H. A ce moment-là, ce n’était pas fini
totalement, car d’autres massacres ont continué à être commis, on entendait sporadiquement des
bruits de balles. C’est ça qui s’est passé à la date du 21 avril. Ce qui s’est passé, je ne le sais pas, mais
lorsque ça s’est produit, nous étions cachés quelque part et nous ne le voyions pas de nos yeux.
Président : En prenant le petit-déjeuner, voyez-vous des nouveaux réfugiés arriver ?
Ignace MBONEYABO : Tout le temps, ils ne cessaient jamais de venir.
Président : Avez-vous appris qu’il y avait déjà eu une attaque à MURAMBI ?
Ignace MBONEYABO : Si ma mémoire est bonne, ça s’est passé aussi le 21 avril, et à CYANIKA aussi le
21. Donc ça s’est passé en même temps.
Président : Donc, pour vous, ça se passe dans une même unité de temps ?
Ignace MBONEYABO : Ce n’est pas exactement simultanément, car ça a commencé d’abord à
MURAMBI, et après CYANIKA.
Président : Savez-vous si à d’autres endroits il y a eu des attaques ?
Ignace MBONEYABO : Selon ce que j’ai appris après, oui.
Président : Aviez-vous remarqué s’il y avait eu un changement dans l’attitude des gendarmes ?
Ignace MBONEYABO : Ceux qui étaient là et avec qui nous partagions à manger, ils étaient au
nombre de trois, je n’ai pas remarqué de changement.
Président : Avez-vous vu le chef des gendarmes visiter les réfugiés ?
Ignace MBONEYABO : Je ne l’ai pas vu.
Président : Connaissez-vous le nom des personnes réfugiées qui étaient connues chez les Tutsi ?
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Ignace MBONEYABO : Le premier que je citerai c’est le père NIYOMUGABO.
Président : On va revenir sur les prêtres. Vous n’avez pas vu du tout les attaquants ?
Ignace MBONEYABO : Non.
Président : Donc, vous ne savez pas si c’était des militaires ou pas ?
Ignace MBONEYABO : Non, je ne peux rien en savoir car lors des attaques j’étais caché quelque part.
Président : Au Centre de santé, dans une pièce où Juvénal GASASIRA vous avait conduit ?
Ignace MBONEYABO : C’est exact.
Président : Ça faisait partie de la pharmacie ?
Ignace MBONEYABO : C’était la pharmacie même.
Président : Combien de temps êtes-vous resté dans cette pharmacie?
Ignace MBONEYABO : Du 21 au 24 avril.
Président : Pendant le temps où vous êtes restés, avez-vous entendu des tirs, des balles, des coups ?
Ou c’était surtout le 21 ?
Ignace MBONEYABO : Nous avons surtout entendu le 21, même pendant les jours qui ont suivi, on
entendait un cri par ci par là.
Président : Il y a un téléphone à la paroisse ?
Ignace MBONEYABO : Oui, mais on l’a coupé.
Président : Quand ?
Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas.
Président : Pendant le génocide, il a fonctionné ?
Ignace MBONEYABO : Oui, pendant les premiers jours.
Président : Est-ce que les autorités religieuses, notamment l’évêque, ont été prévenues ?
Ignace MBONEYABO : Oui, il a été informé.
Président : Est-ce qu’il est venu ?
Ignace MBONEYABO : Non.
Président : Est-ce que le père NIYOMUGABO vous a parlé des entretiens avec l’évêque ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Qu’est-ce qu’il disait ? Est-ce que le père NIYOMUGABO vous a parlé de ses entretiens
avec l’évêque ?
Ignace MBONEYABO : Il a téléphoné à l’évêque et a dit que nous étions encore en vie, et il lui a dit
que si ça lui était possible, il devait venir nous secourir.
Président : Était-il très concerné par ce qui se passait avec la population ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : A t-il lancé un appel au secours ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Est-ce que vous étiez informé de ce qui pouvait se passer ailleurs qu’à CYANIKA ?
Ignace MBONEYABO : A ce moment-là, non.
Président : On a parlé de KIBEHO, avez-vous su ce qui s’y était passé ?
Ignace MBONEYABO : Je l’ai appris par après.
Président : Du 21 au 24 avril, ce n’était pas des conditions très faciles ? Avez-vous eu à manger ?
Ignace MBONEYABO : C’était très compliqué, de temps en temps, pendant la nuit, GASASIRA nous
apportait à manger, mais pas d’eau.
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Président : Pouvez-vous nous raconter ce qui se passe quand vous avez été débusqué ?
Ignace MBONEYABO : Ce jour-là, il y a eu des prisonniers de la prison de GIKONGORO qui étaient
venus à CYANIKA pour l’ensevelissement des corps. Ils ont coupé et forcé la fenêtre de là où nous
étions, et nous ont vus dedans. Ils sont passés par là, ont ouvert la porte, et beaucoup sont rentrés
dedans. Ils ont commencé à nous frapper et à tuer. Nous sommes restés vivants à deux.
Président : Ceux qui ont été tués, le père Joseph NIYOMUGABO et le séminariste Marc, étaient-ils
Tutsi ?
Ignace MBONEYABO : Je ne le savais pas.
Président : Il y avait aussi des nièces du père ?
Ignace MBONEYABO : Elles étaient deux.
Président : Ces deux nièces ont été tuées aussi ?
Ignace MBONEYABO : Elles ont été immédiatement tuées.
Président : Comment ont-elles été tuées ?
Ignace MBONEYABO : Elles ont été frappées avec des morceaux de bois .
Président : Des gourdins ?
Ignace MBONEYABO : Non, c’était des morceaux de bois, car les gourdins sont taillés d’une certaine
manière.
Président : Vous avez aussi parlé de l’économe de la paroisse Alphonse, a t-il été tué aussi ?
Ignace MBONEYABO : Non, à ce moment-là il était allé en congé à BUTARE.
Président : Donc quatre personnes ont été tuées ?
Ignace MBONEYABO : Cinq avec RUGEMA.
Président : Qui était-il ?
Ignace MBONEYABO : Un habitant de CYANIKA. Quand il a vu qu’on nous évacuait, il est venu parmi
nous et nous sommes partis ensemble.
Président : Quand les prisonniers ont tué tous ces gens-là, il y avait d’autres personnes présentes ?
Ignace MBONEYABO : Non, les personnes que j’ai vues, c’étaient des prisonniers.
Président : Donc, il y a eu deux survivants, vous et Aloys ?
Ignace MBONEYABO : Oui, nous avons quitté CYANIKA, mais dans le courant du mois de mai il est
par la suite décédé.
Président : Pourquoi n’avez-vous pas été tué ?
Ignace MBONEYABO : Car ils ont vu ma carte d’identité.
Président : Ils ont vu que vous étiez Hutu?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Ce fut la même chose pour Aloys ?
Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas.
Président : Que s’est-il passé ensuite ?
Ignace MBONEYABO : On est allé chez l’évêque.
Président : Avez-vous vu chez l’évêque des personnes que vous connaissiez ?
Ignace MBONEYABO : L’évêque, nous le connaissions et il en était de même pour les autres
personnes qui vivaient avec lui. Il y avait le père NYAMWASA, le père MURINZI et le séminariste
GAKWISI.
Président : Que va-t-il leur arriver ?
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Ignace MBONEYABO : Pour les prêtres et Aloys, ils ont été conduits à la prison de BUTARE, et ensuite
ils ont été ramenés à la prison de GIKONGORO et c’est là qu’ils ont été tués. En ce qui concerne le
séminariste, GAKWISI, il a continué à vivre et il est même devenu prêtre.
Président : Pourquoi ont-ils été conduits là ?
Ignace MBONEYABO : Pour le génocide.
Président : Car ils étaient Tutsi ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Président : Qui est venu les chercher ? Comment cela s’est passé ? Comment ont-ils quitté l’évêché ?
Ignace MBONEYABO : Concernant le départ de l’évêché, un commandant militaire est venu les
emmener à BUTARE, je ne connais pas son nom.
Président : Savez-vous comment s’appelle le commandant ? Est-ce que c’était un gendarme ?
Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas.
Président : Avez-vous entendu dire qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt par le Procureur ?
Ignace MBONEYABO : Ça je ne l’ai pas entendu.
Président : En dehors de ces prêtres, est-ce que vous avez retrouvé des religieuses ?
Ignace MBONEYABO : Il y en avait qui vivaient là-bas à GIKONGORO, il y a un couvent des religieuses
et c’est celles-là qu’on a trouvées sur place.
Président : Connaissez-vous la soeur Josépha ?
Ignace MBONEYABO : Je la connais.
Président : Est-ce qu’elle était à l’évêché ?
Ignace MBONEYABO : À ce moment-là, non, elle n’y était pas.
Président : Quelle a été la réaction de l’Evêque lorsque les Tutsi ont été tués ?
Ignace MBONEYABO : Ça l’a attristé.
Président : Était-il allé se plaindre ?
Ignace MBONEYABO : Non.

Président : Est-ce qu’à ce moment-là, il y avait toujours des offices, des messes qui étaient célébrées ?
Ignace MBONEYABO : Non ça s’était arrêté.
Président : Quand est-ce que ça a repris ?
Ignace MBONEYABO : Je ne me souviens pas, mais ça a duré un mois.
Président : Est-ce que le préfet faisait partie des paroissiens fidèles venant à la cathédrale ?
Ignace MBONEYABO : C’était une période difficile, comme celle-là, et c’était à peine que je l’avais vu
quand on l’avait ramené à CYANIKA.
Président : L’avez-vous vu à la cathédrale ?
Ignace MBONEYABO : Le préfet, je ne l’ai pas vu.
Président : Voyez-vous d’autres choses à ajouter ?
Ignace MBONEYABO : Vous avez fait le tour, vous avez posé beaucoup de questions.
Président : Savez vous ce qui s’est passé à MATA et KIBEHO ?
Ignace MBONEYABO : Je ne suis pas au courant de ce qui s’est passé à MATA, mais pour KIBEHO, je
le sais car j’ai entendu les gens raconter ce qui s’était passé.
Président : Est-ce que l’évêque vous a dit qu’il était allé à KIBEHO ?
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Ignace MBONEYABO : Il nous a dit qu’il a été à KIBEHO, ça, il nous l’a dit.
Président : Qu’a-t-il dit de cette visite ?
Ignace MBONEYABO : Il nous a dit qu’il est allé sur place et qu’il a trouvé des élèves, qu’il a ramené
certains d’entre eux qui voulaient rentrer chez eux.
Président : Savez-vous ce qui s’est passé avec les élèves de KIBEHO ?
Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas trop, mais certains d’entre eux sont toujours en vie.
Président : Certains ne sont pas en vie, Monsieur, certains sont morts. Est-ce que vous connaissez le
prêtre, le directeur de l’école Marie Merci de KIBEHO ?
Ignace MBONEYABO : Tout ce que je sais, c’est qu’il a fui et qu’il ne vit plus au Rwanda, il vit en Italie.
QUESTIONS :
Juge assesseur 3 : Je vois que Monsieur a une marque importante sur le côté gauche du crâne, je
voulais savoir si ça a un lien avec les événements du génocide ?
Ignace MBONEYABO : Ma cicatrice je l’ai eu quand j’ai été soigné à l’hôpital.
Juge assesseur 1 : Le jour de la grande attaque, est ce que la soeur Josépha était là, et les autres
sœurs ?
Ignace MBONEYABO : Elles étaient déjà parties.
Juge assesseur 1 : Souvenez-vous de la date et des circonstances de leur départ ?
Ignace MBONEYABO : Je ne me souviens pas de la date, mais ce qui a fait qu’elles partent, je peux me
l’imaginer : c’est parce qu’elles voyaient qu’il n’y avait pas de sécurité. Et des personnes qui les
connaissaient sont venues les prendre, mais je ne les connais pas.
QUESTION DES PARTIES CIVILES :
Me KARONGOZI : Monsieur l’abbé, GASASIRA Juvénal qui vous a protégé, qui vous a mis dans la
pharmacie du Centre de santé, il faisait quoi comme travail à CYANIKA ?
Ignace MBONEYABO : C’était un chauffeur du Centre de santé.
Me KARONGOZI : Est-ce qu’il a été inquiété pour vous avoir caché ?
Ignace MBONEYABO : Il ne l’a pas manifesté.
Me KARONGOZI : Savez-vous qu’il est mort d’une mort naturelle il n’y a pas très longtemps ?
Ignace MBONEYABO : Oui je le sais.
Me KARONGOZI : A propos de l’école secondaire de CYANIKA, c’est une école officielle ou une école
privée ?
Ignace MBONEYABO : École mise en place avec les conventions entre l’Eglise et l’État.
Me KARONGOZI : C’est pour ça qu’il n’y a pas de quotas ?
Ignace MBONEYABO : La raison, je ne peux pas la connaitre.

Me KARONGOZI : À propos de l’abbé NIYOMUGABO, savez-vous qu’il a été décoré comme un juste
par les autorités rwandaises ?
Ignace MBONEYABO : Oui, ça je le sais.
Me KARONGOZI : Est-ce que l’évêque a organisé son enterrement ?
Ignace MBONEYABO : Il a été enterré presque deux fois …
Me KARONGOZI : Est-ce que l’évêque, monseigneur MISAGO, qui était en vie, était présent ?
Ignace MBONEYABO : Il n’était pas là.
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Me KARONGOZI : C’était son diocèse pourtant ?
Ignace MBONEYABO : Je ne pourrai pas connaître les raisons.
Me KARONGOZI : Savez-vous qu’il y a eu un procès contre cet évêque, qu’il a fait de la prison
préventive [20]? Savez-vous que parmi les gens qui ont donné des témoignages à charge figure
GAKWISI qui a survécu, un grand séminariste ? Sœur Josépha aussi ?
Ignace MBONEYABO : Oui, je le sais.
Me KARONGOZI : Vous savez que GAKWISI a quitté la soutane, et s’est réfugié au Canada …
Maître KARONGOZI pose d’autres questions mais sans lien avec le procès.
QUESTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC :
Ministère public : J’aimerais revenir sur un point que vous n’avez pas évoqué. Savez-vous si la veille
de la grande attaque, le père NIYOMUGABO est allé à GIKONGORO pour demander de l’aide ?
Ignace MBONEYABO : Je ne m’en rappelle pas.
Ministère public : Dans le journal de Madeleine Raffin qui était en contact avec lui, elle explique qu’en
date du 20 avril, elle se rend à la gendarmerie, elle rencontre l’abbé venu demander un supplément de
garde pour CYANIKA, car il assure que le ton monte à la paroisse. Vous ne le savez pas ?
Ignace MBONEYABO : Je n’en sais rien non plus.
Ministère public : Vous avez évoqué une attaque à la grenade ?
Ignace MBONEYABO : Oui.
Ministère public : Savez-vous s’il y a eu des morts, des blessés ?
Ignace MBONEYABO : Il y a eu des morts, je ne sais pas si c’est au nombre de quatre qui sont
décédés, et des blessés certainement.
Ministère public : Vous dites « certainement », mais est-ce que vous l’avez constaté ou pas ?
Ignace MBONEYABO : C’est ce que je vous dis, il y a eu des morts et des blessés aussi.
Ministère public : Savez-vous s’ils ont reçu des soins ? Ont-ils été transportés quelque part ?
Ignace MBONEYABO : On les a pris au centre de CYANIKA pour avoir les premiers soins.
QUESTIONS DE LA DÉFENSE :
Me LÉVY : Mon confrère a rappelé que Monseigneur MISAGO avait été détenu provisoirement, vous
rappelez-vous qu’il a été intégralement acquitté par les juges rwandais ?
Ignace MBONEYABO : Oui, je m’en souviens aussi.
Me LÉVY : Il est décédé en mars 2012, j’imagine que les commémorations ont eu lieu en avril 2012
n’est-ce pas ? Donc, c’est peut être la raison pour laquelle qu’il n’a pas pu s’y rendre ?
Ignace MBONEYABO : C’est compréhensible.
Me KARONGOZI : Quand on ouvre officiellement le Mémorial, c’est en février 2012…
Président : Je ne vais pas faire un état de santé de Monseigneur MISAGO !!!
La parole est donnée à monsieur Laurent BUCYIBARUTA.
Merci, Monsieur le Président. Quand je suis allé à cette paroisse, car il y avait des réfugiés, le 14 avril, je
me suis entretenu avec le curé. Après notre entretien à huis clos, il m’a parlé de la situation que je
constatais moi-même et en rentrant je suis passé par le couvent des religieuses car je devais
m’enquérir de leur situation. Et c’est là que j’ai conduit à GIKONGORO soeur Josépha. Elle a était
déposée à l’évêché où se trouve sa maison, ses sœurs ont été logées par Madeleine RAFFIN.

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Ensuite, concernant la coupure d’eau évoquée, le 14 avril, personne ne m’a informé de cette coupure
d’eau. Concernant les denrées alimentaires, dans chaque paroisse, le secours catholique avait déposé
des vivres car nous avions demandé à différentes association caritatives d’avoir des stock de vivres
dans les paroisses. Et, c’est ces paroisses qui s’occupaient de la distribution de vivres disponibles. Il y
avait non seulement les stocks de CARITAS, mais aussi un silo où la population pouvait déposer les
denrées alimentaires, dont une partie spéciale comme riz et haricots distinct de la pratique de dépôt
de vivres de CARITAS.

Précision de calendrier: le vendredi 3 juin 2022, il n’y aura pas d’audience. Monsieur
BUCYIBARUTA doit se rendre chez lui pour y recevoir des soins. Prochaine audience: mardi 7
juin 2022 à 9h30. Monsieur GUICHAOUA revient pour répondre aux questions qui n’ont pu lui
être posées à la suite de son audition.
Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT pour les notes d’audience.
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

References
↑1

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑2

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑3

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑4

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑5

PSD : Parti Social Démocrate

↑6

Kubohoza : racolage pratiqué par certains partis politiques pour obtenir des adhésions forcées.

↑7

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑8

MINITRAPE : Ministère des Travaux Publics et de l’Équipement

↑9

Ibid.

Page 270 sur 711

↑10

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑11

Ibid.

↑12

Ibid.

↑13

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑14

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie
des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se
sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRNDPOWER; PL-POWER), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑15

Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des
années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des
colonisateurs.

↑16

Ibid.

↑17

KAZUNGU, de son vrai nom Etienne URINZWENIMANA qui a été entendu le matin.

↑18

Ibid.

↑19

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑20

Lire notre article (publié il y a déjà plus de 10 ans!) : La mort de Monseigneur Misago : un
témoin potentiel dans l’affaire Bucyibaruta disparaît

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Procès Laurent BUCYIBARUTA du mardi 7 juin
2022. J18
08/06/2022

• Audition de monsieur André GUICHAOUA (suite et fin).
• Audition de madame Espérance MUKAMANA, rescapée partie civile, en visioconférence du
Rwanda.
• Audition de monsieur Rémy KAMUGIRE, rescapé partie civile.
Audition de monsieur André GUICHAOUA (suite et fin).
Cette dernière audition est consacrée aux questions que les parties souhaitent poser au témoin
suite aux deux audiences auxquelles il avait été convié.
Sur question de madame l’assesseure qui veut savoir ce que le témoin entend par « autorité légitime »,
expression qu’il a employée à propos du capitaine SEBUHURA [1], monsieur GUICHAOUA est amené à
expliquer la différence de fonctionnement du MRND [2] sur le plan national et à GIKONGORO, à propos
de ses liens avec les Interahamwe [3]. A KIGALI, Matthieu NGIRUMPATSE souhaitait diriger
les Interahamwe alors qu’à GIKONGORO ces derniers étaient sous les ordres du colonel SIMBA.
Le ministère public fait référence au rapport en D3388 concernant « la reprise en main brutale de
l’appareil administratif » dès le 6 avril 1994. Pour bien illustrer cette « reprise en main« , le témoin
évoque l’élimination des Hutu d’opposition, des magistrats, des associations des Droits de l’Homme,
l’érection des barrages dans tous les quartiers de KIGALI, la vérification des cartes d’identité.
Désormais, « les Interahamwe ont les mains libres« .
Toujours sur questions du ministère public, monsieur GUICHAOUA est amené à situer le rôle du préfet
dans l’organisation administrative: le préfet est le représentant du chef de l’État, en choisissant Laurent
BUCYIBARUTA, on choisit « le moins MRND du MRND« . C’est un fonctionnaire rigoureux et qui n’est
pas sectaire. « Le véritable patron de la préfecture, c’est SIMBA [4]« ajoute le témoin. « En période
normale, le préfet a autorité sur les sous-préfets et les bourgmestres » conclut-il. Mais en 1994, ce n’est
plus le cas. Les bourgmestres ne reçoivent pas de consignes du préfet, ils ont les mains libres.
Le témoin de reconnaître aussi la clarté des propos du président SINDIKUBWABO [5] lorsque qu’il dit
que « maintenant, ce n’est plus le moment de s’amuser, il faut se mettre au travail« , travailler, tout le
monde le comprend ainsi, c’est tuer les Tutsi. On adresse des félicitations aux préfets « zélés », on
élimine ceux qui ne le sont pas. Il reste la fuite pour celui qui ne veut pas se soumettre? « Un préfet qui
fuit, c’est difficile » avoue le témoin qui veut nous faire croire qu’avec SIMBA la fuite est impossible.
Pourtant, beaucoup de réfugiés ont fui? « Laurent BUCYIBARUTA a choisi de ne pas choisir » finit par
concéder monsieur GUICHAOUA. Lors de la réunion du 11 avril, les consignes étaient claires: éliminer
les ennemis, récupérer les terres des Tutsi, « un remake de 1961« , mettre en place des barrières pour
« régler des comptes avec les Tutsi« , une bonne occasion de s’emparer de leurs biens « dans une totale
impunité« .
Dans sa tournée de sensibilisation, le président SINDIKUBWABO prononce des discours pour
« convaincre son auditoire et pour menacer ceux qui seraient réticents. » Que les massacres se
produisent le 21 avril, soit deux jours après les propos du président, ce n’est bien sûr pas un hasard.

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Maître BIJU-DUVAL, pour la défense, va poser une multitude de questions, mais qui ont semble-t-il un
même objectif: faire dire au témoin que l’accusé n’a aucun pouvoir dans la préfecture de GIKONGORO,
que ce pouvoir est entre les mains du Comité préfectoral de sécurité, et donc de SIMBA. Au sein de ce
Comité, il y a des poids lourds contre lesquels BUCYIBARUTA ne peut rien. Le témoin confirme du bout
des lèvres, commence des phrases sans les terminer, fait l’anguille, rend un vibrant hommage à
RUSATIRA qu’il semble vouloir défendre bec et ongle malgré le rôle que ce dernier aurait pu jouer à
l’ETO [6] de KICUKIRO à KIGALI le 11 avril. Après s’être mis sous la protection du FPR [7], il finira pas fuir.
Rattrapé par la justice: « C’est moi qui ai fait l’enquête, il a été libéré grâce à moi« , ai-je cru entendre!
Que pouvait faire BUCYIBARUTA dans la position qui était la sienne? Pour le témoin, trois solutions:
« fuir, résister ou obéir. »
« Fuir? Je ne me prononce pas. C’est à l’accusé de répondre. Mais avec SIMBA! » Pour beaucoup,
toutefois, « il était impensable que les Hutu perdent la guerre, ce qui justifierait la non-fuite du préfet. »
Résister? « C’était s’exposer à la mort. »
Obéir? « C’est la voie que BUCYIBARUTA a choisie en faisant porter les responsabilités sur les niveaux
inférieurs de l’administration, dont les bourgmestres. »
Comme il l’avait dit dans une des deux auditions précédentes, le témoin évoque de nouveau la crainte
qu’avaient les autorités de voir les fuyards déferler sur le BURUNDI! Monsieur GUICHAOUA ne serait-il
pas le seul à parler d’une telle hypothèse? Alors que les frontières du Zaïre leur étaient largement
ouvertes par la présence des soldats français de Turquoise!
Pendant cette séquence consacrée aux questions de la défense, le témoin s’est assis face à maître
BIJU-DUVAL, oubliant qu’il doit s’adresser à la Cour. On se croirait dans une conversation de salon.
L’avocat de la défense fait remarquer au témoin que la présence de plus de 300 soldats de l’Opération
Amaryllis, 600 soldats belges et 300 GI américains positionnés à BUJUMBURA, n’empêche pas les
massacres de se perpétrer début avril. Qu’aurait pu faire son client? « Toutes ces forces n’auraient pas
pu mettre fin au génocide à GIKONGORO » demande l’avocat?
Monsieur GUICHAOUA, dans une déclaration sortie d’on ne sait où, s’étonne: « Au passage, les
génocidaires qui sont en France auraient dû être jugés depuis bien longtemps. » Au moins une
déclaration sans ambiguïté!

Audition de madame Espérance MUKAMANA, rescapée partie civile, en visioconférence du
Rwanda.
Le témoin n’ayant pas de déclaration spontanée à faire, monsieur le président va lui poser des
questions.
Président : Quelle était votre vie juste avant le génocide ?
Espérance MUKAMANA: J’habitais à GIKONGORO, commune de KARAMA, secteur de CYANIKA. Je
suis allée à la paroisse de CYANIKA le 7 avril et ce jusqu’au 13. A peu près à ce moment-là, on est venu
prendre des réfugiés pour les emmener dans des écoles. Ils les ont emmenés à MURAMBI. On a pris

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les gens dans des salles de classes, nous, nous sommes restés dans la cour intérieure du presbytère. Ils
ont été emmenés par celui qui était le préfet de GIKONGORO et les gendarmes qui assuraient notre
sécurité à CYANIKA. Parmi eux, il y avait des Interahamwe [8] qui conduisaient ces personnes. Le 12, une
réunion s’est tenue en face de l’église, qui visait le fait de déplacer les vaches de la cour de l’église.
Lorsqu’ils ont enlevé ces vaches de là, ils les ont conduites, en même temps que les hommes qui les
gardaient, sur un terrain de football situé en contrebas de cette localité. Lorsque ce fut fait,
les Interahamwe se sont rués contre ces personnes, les ont découpés et ils ont emmené les vaches et
les gens, et ceux qui ont fui sont revenus à CYANIKA. Plus tard, on nous a tenu une réunion, et entre
temps on nous avait coupé l’eau, et nous n’avions plus d’eau pour boire. La réunion qui s’est tenue
avait pour objet la coupure d’eau et la nécessité de trouver de la nourriture.
Président : Vous nous avez dit qu’en 1994 vous habitiez sur la commune de KARAMA, dans le secteur
de CYANIKA ?
Espérance MUKAMANA : Oui c’est exact.
Président : Quel âge aviez-vous à ce moment-là ?
Espérance MUKAMANA : Je ne m’en souviens pas, mais c’était dans la vingtaine. Je suis née en 1964.
J’avais plutôt trente ans.
Président : Vous étiez mariée ? Vous aviez des enfants ?
Espérance MUKAMANA : J’étais mariée et j’avais 3 enfants.
Président : Que faisait votre mari ?
Espérance MUKAMANA : Il avait un atelier de menuiserie un peu plus bas que le terrain de football.
Président : Est-ce que votre mari travaillait pour la paroisse ou pour une école de la paroisse ?
Espérance MUKAMANA : Non, il travaillait pour son propre compte.
Président : Est-ce que votre mari était Tutsi ?
Espérance MUKAMANA : Oui, tout comme moi.
Président : Vous êtes allée à la paroisse de CYANIKA ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Président : Quand y êtes-vous allée ?
Espérance MUKAMANA : Le 7 avril.
Président : Y avait-il des personnes présentes ou étiez-vous parmi les premiers à arriver ?
Espérance MUKAMANA : Nous y avons trouvé des gens qui y avaient déjà passé la nuit. Il y en a qui
étaient déjà arrivés le 6 avril.
Président : Quand vous allez à CYANIKA, saviez-vous que le président HABYARIMANA était mort ? Et
si oui, depuis combien de temps ?
Espérance MUKAMANA : Nous l’avions appris la veille. Nous avions passé la nuit dans la peur, et le
lendemain matin, nous sommes partis.
Président : Quand vous arrivez à la paroisse, y avait-il déjà des troubles ? Des gens étaient morts? Des
maisons brûlaient ?
Espérance MUKAMANA : Quand nous sommes partis, nous voyions déjà des maisons brûler sur les
collines en face de chez nous, elles avaient commencé à brûler.
Président : Y avait-il déjà des barrières?
Espérance MUKAMANA : On ne les avait pas encore érigées ce jour-là, mais alors que vous partions,
les gens nous criaient dessus, on nous huait en disant que nous allions à l’école.
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Président : Donc, quand vous êtes partie, vous êtes partie avec votre mari et vos 3 enfants ?
Espérance MUKAMANA : Je suis partie avec les enfants, ainsi qu’avec ma petite sœur. Mon mari nous
a rejoints plus tard dans la soirée. Les hommes étaient restés dans les maisons. Ils nous demandaient
de partir avec les enfants et ils disaient qu’ils allaient nous rejoindre plus tard, ils sont venus
conduisant nos vaches.
Président : Quand vous êtes à CYANIKA, vous avez dit qu’il y avait des personnes qui avaient été
emmenées à la paroisse pour être conduites à MURAMBI. C’est bien ça ?
Espérance MUKAMANA : Oui, on les avait pris des salles de classe.
Président : vous rappelez-vous à quel moment ce départ a eu lieu ?
Espérance MUKAMANA : Je ne me souviens pas de la date.
Président : Le lendemain de votre arrivée ? Quelques jours après ?
Espérance MUKAMANA : Nous y avons passé un certain nombre de jours, mais je ne me rappelle pas
du nombre car nous étions dans la cour du presbytère au moment où les autres étaient dans les salles
de classe.
Président : Vous, vous étiez dans la cour et ceux qui étaient partis étaient dans les salles de classe ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Président : Il y a beaucoup de gens qui sont partis ?
Espérance MUKAMANA : Ils étaient nombreux, mais je ne connais pas le nombre.
Président : Vous avez parlé du préfet de GIKONGORO ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Président : L’aviez-vous déjà rencontré ? Vous le connaissiez ?
Espérance MUKAMANA : Oui, je le connaissais avant parce qu’il était notre préfet.
Président : Comment avez-vous fait sa connaissance ?
Espérance MUKAMANA : Je le voyais souvent passer en voiture et son chauffeur était originaire de
chez nous, de CYANIKA, il s’appelait Aloys GATABARWA [9].
Président : Quelques jours après votre arrivée, vous avez vu le préfet à CYANIKA ?
Espérance MUKAMANA : Lorsqu’on emmenait ces gens qui étaient dans les salles de classe: oui.
Président : Le préfet a-t-il dit quelque chose ?
Espérance MUKAMANA : Il s’est entretenu avec les gens, et il a dit que les gens qui n’avaient pas
d’endroit pour s’installer, pouvaient être emmenés à MURAMBI. Ils ont été emmenés par les Hutu ainsi
que par les gendarmes qui assuraient la sécurité à CYANIKA.
Président : Le nom de MURAMBI a été prononcé ?
Espérance MUKAMANA : Oui, il a été prononcé.
Président : Est-ce que vous connaissiez ces gens qui sont partis ?
Espérance MUKAMANA : Je ne les connaissais pas car nous étions à l’intérieur, nous étions réfugiés
là-bas, je ne pouvais pas dire si c’était un tel ou un tel.
Président : Est-ce que vous, personnellement, vous avez vu le préfet de GIKONGORO (Laurent
BUCYIBARUTA) ou est-ce que c’est des choses que l’on vous a rapportées ?
Espérance MUKAMANA : Je l’ai vu moi même. Il y a aussi des choses qu’on m’a dites à son sujet, et
c’est son chauffeur qui me l’a dit car il est mort après.
Président : Quelles sont ces « choses » que le chauffeur vous a dites ?

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Espérance MUKAMANA : Nous avons vécu avec lui après le génocide, et il nous a dit que le préfet
avait fait venir contre lui des Interahamwe et qu’il leur avait dit d’enlever la saleté de son domicile.
Président : Est-ce que ce sont des choses en lien avec la paroisse de CYANIKA ou c’est autre chose ?
Espérance MUKAMANA : Ce que je viens de dire à propos du chauffeur, ce sont des choses que l’on
m’a dites après le génocide.
Président : Le chauffeur était présent à CYANIKA?
Espérance MUKAMANA : Non, il n’y avait pas vécu, il avait fui à BUTARE.
Président : Est-ce que vous avez vu si les gens sont effectivement arrivés à MURAMBI ?
Espérance MUKAMANA : Non, je n’en sais rien, mais quand on les a amenés, on disait que c’était làbas qu’on les conduisait.
Président : Vous avez dit que le 12 il y avait une réunion qui s’est tenue en face de l’église ?
Espérance MUKAMANA : Oui, la réunion s’est tenue en face de l’église, elle avait pour but de
conduire les vaches loin de l’église, vers le bas.
Président : Qui a parlé à cette réunion ?
Espérance MUKAMANA : Le sous-préfet de la sous préfecture de KARABA, ainsi que le bourgmestre.
Président : Les vaches ont été emmenées sur un terrain de football avec les personnes qui gardaient
les vaches ?
Espérance MUKAMANA : Oui, les vaches avec les gens qui devaient assurer la sécurité de ces vaches,
ça veut dire leurs propriétaires.
Président : Une fois que les vaches et les propriétaires des vaches sont arrivés sur le terrain de
football, on a agressé les propriétaires des vaches ?
Espérance MUKAMANA : Oui, on les a agressés et eux sont revenus à CYANIKA et les tueurs ont pillé
les vaches.
Président : Y a-t-il eu des morts ce jour-là ?
Espérance MUKAMANA : Des blessés, pas des morts.
Président : Y a t-il eu d’autres attaques ? Que se passe-t-il ensuite ?
Espérance MUKAMANA : Le 14, sont arrivés des attaquants qui ont lancé une grenade chez le prêtre
et qui a tué mon mari et les autres. Il y a eu des blessés qui ont été conduits à BUTARE, à l’hôpital, et
d’autres qui sont morts sur le champ. Il y en a qui ont perdu la vie sur la cour intérieure du presbytère.
Ils ont tué ensuite à MURAMBI en date du 20 et ils sont revenus tuer en date du 21.
Président : Le jour où l’on a lancé une grenade, vous avez dit que votre mari avait été tué ? Combien
d’autres sont morts ?
Espérance MUKAMANA : Il y a eu plus de 20 morts, mais tout le monde n’est pas mort en même
temps, il y en a qui ont été blessés, d’autres qui avaient des jambes coupées, et d’autres ont été
conduits à l’hôpital.
Président : Qui a conduit jusqu’à l’hôpital ?
Espérance MUKAMANA : L’ambulance de CYANIKA.
Président : Qui avait appelé l’ambulance ?
Espérance MUKAMANA : Je ne m’en souviens pas, mais comme nous étions tout près de l’hôpital et
que l’ambulance était tout près, je ne sais pas qui avait appelé.
Président : Quand vous parlez d’hôpital, vous parlez du Centre de santé de la paroisse de CYANIKA?
Ou d’un hôpital de KARAMA ?
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Espérance MUKAMANA : Je parle de ce Centre de santé de la paroisse. C’est le personnel de ce
Centre de santé qui les ont conduits, c’était le seul centre de santé de KARAMA.
Président : Est-ce que c’était des religieuses qui s’occupaient de ce Centre de santé ?
Espérance MUKAMANA : Non, il y avait des laïques aussi, des religieuses y étaient, mais elles
n’étaient pas seules.
Président : Donc, c’est avec cette ambulance du centre de santé de CYANIKA qu’on a conduit des
blessés à BUTARE ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Président : Est-ce que vous savez comment les gens sont morts à BUTARE ? Des suites de leurs
blessures ou ils ont été tués ?
Espérance MUKAMANA : Il y en a qui ont été tués qui jusque-là n’étaient pas encore morts, qui ont
été tués à l’hôpital de BUTARE.
Président : Après l’attaque, vous nous avez dit qu’il y a eu une attaque à la grenade et une autre le 21
avril?
Espérance MUKAMANA : C’est exact, c’est l’attaque du 21 qui a tué tout le monde.
Président : Est-ce qu’entre le 14 (attaque à la grenade) et le 21, il y a eu d’autres attaques ?
Espérance MUKAMANA : Personne ne sortait. Si quelqu’un se hasardait à l’extérieur, il était tué.
Il y avait une barrière à côté de l’église, une autre à côté du terrain. Il y a un homme qui a été tué à
coté du terrain, il s’appelait Godefroy, il travaillait pour les prêtres. Quand ils l’ont vu là-bas, ils ont
demandé qu’il choisisse son camp, du côté des Tutsi ou du côté des autres. On l’a tué à ce moment et
à cet endroit-là. Ils se connaissaient déjà bien avant avec les prêtres. Au moment où il s’est réfugié làbas, il se voyait confier les commissions.
Président : Que pouvez-vous nous dire sur l’attaque du 21 avril ?
Espérance MUKAMANA : La veille, ils avaient tué à MURAMBI et les tueries à CYANIKA ont
commencé le matin. Moi-même j’étais sur place, dans la cour intérieure du presbytère.
Président : Quand avez-vous appris pour les tueries de MURAMBI ? Vous l’avez appris après ou vous
le saviez au moment de l’attaque ?
Espérance MUKAMANA : Nous entendions les bruits de balles quand on leur tirait dessus, les bruits
parvenaient jusqu’à nous, à CYANIKA.
Président : Avez-vous vu des réfugiés venant de MURAMBI venir à la paroisse de CYANIKA ?
Espérance MUKAMANA : J’ai vu un homme qui venait de MURAMBI, il avait été blessé par balle, et
était venu à CYANIKA. Il s’était couvert d’un drap de couleur rose. Il est décédé à CYANIKA.
Président : Lors de l’attaque, vous êtes dans la cour intérieure du presbytère ?
Espérance MUKAMANA : Moi-même, j’étais dans le presbytère.
Président : Dans le presbytère ?
Espérance MUKAMANA : Oui, j’étais là-bas, dans la cour du presbytère. Quand on a tué les enfants, je
les avais sur moi. Quand ils sont partis, ils m’ont prise pour morte, je suis revenue à moi-même
quelque temps après.
Président : Vous aviez trois enfants ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Président : Quel âge avaient-ils ?
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Espérance MUKAMANA : Cinq, trois et un an.
Président : Est-ce que vous avez vu les attaquants ? Pouvez-vous les décrire ? Des civils ? Des
militaires ? Ils avaient quels types d’armes ?
Espérance MUKAMANA : Ils avaient des armes traditionnelles, des gourdins, des lances, des épées,
mais il y avait aussi avec des grenades et des fusils.
Président : C’étaient des civils ou des militaires ?
Espérance MUKAMANA : Ils étaient mélangés. Il y avait des civils et des militaires.
Président : Est-ce que les attaquants avaient une tenue particulière ?
Espérance MUKAMANA : Ils portaient des feuilles de bananier.
Président : Est-ce que vous avez reconnu ces attaquants ?
Espérance MUKAMANA : J’ai reconnu un homme qui s’appelle André, aujourd’hui mort, qui est
parvenu jusque là où nous étions.
Président : Avez-vous vu des autorités ?
Espérance MUKAMANA : A l’époque, je ne voyais plus, je pensais que tout était fini pour nous. Les
balles sifflaient, il y en a même une qui est passée au-dessus de la tête d’un enfant et qui l’a blessé. Cet
enfant, on l’a tué après, mais ce n’est pas cette balle qui l’avait tué.
Président : Combien de temps a duré l’attaque ?
Espérance MUKAMANA : Du matin jusqu’au soir. Là encore, le lendemain, ils sont venus achever les
survivants. Le lendemain, à 5h du matin, nous sommes sorties des cadavres dans lesquels nous avions
passé la nuit avec ma belle-sœur, l’épouse de mon frère.
Président : Vous êtes partie avec votre belle-sœur et un homme ?
Espérance MUKAMANA : Nous étions parties à deux.
Président : Vous aviez vu un autre homme qui était un survivant ou un attaquant ?
L’interprète intervient pour dire que c’est lui qui a mal compris. Il n’y avait pas d’homme.
Espérance MUKAMANA : Il y avait un Hutu, parrain d’un de mes enfants, nous sommes parties chez
lui, et il a soigné nos plaies.
Président : Ce Hutu, il avait participé à l’attaque ou pas du tout ?
Espérance MUKAMANA : Je n’ai pas d’informations le concernant, mais il nous a aidées, il nous a fait
du bien.
Président : Il habitait à CYANIKA ?
Espérance MUKAMANA : Oui, il habitait à CYANIKA.
Président : Comment s’appelait-il ?
Espérance MUKAMANA : Innocent.
Président : Quelle a été la nature de vos blessures ?
Espérance MUKAMANA : Au niveau des côtes et au niveau de la tête. Au niveau des côtes, je ne sais
pas si j’ai été blessée par une lance ou une épée. Au niveau de la tête, ils ont utilisés un gourdin.
Président : Et votre belle-sœur a-t-elle été blessée ?
Espérance MUKAMANA : Oui, au niveau des côtes et des tempes, il est possible qu’on ait utilisé une
machette.
Président : Et vos enfants ? Que s’est-il passé avec vos enfants ?
Espérance MUKAMANA : Ils sont morts. Ils ont été tués là-bas sur place.
Président : Votre petite sœur avec qui vous étiez partie, qu’est-elle devenue ?
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Espérance MUKAMANA : Elle a été tuée là-bas. Seule ma belle-sœur et moi avons survécu.
Président : Combien de membres de votre famille sont morts là-bas ?
Espérance MUKAMANA : Ils sont nombreux : mes parents, mes deux frères, mes trois sœurs. Je n’ai
pas parlé de mes oncles et tantes paternels, et dans ma belle-famille il en est de même, personne n’a
survécu.
Président : Vous êtes allées chez un homme Hutu, Innocent, qui vous a soignées. Combien de temps
êtes-vous restées chez lui ?
Espérance MUKAMANA : Nous sommes parties au mois de juin, nous sommes parties chez les
Français et de-là, on s’est retrouvées avec les Inkotanyi [10].
Président : Dans la zone tenue par le FPR ?
Espérance MUKAMANA : Les Français étaient avec nous à MURAMBI, et ils nous ont conduits à KIZI.
Président : Il y avait là des forces Inkotanyi ?
Espérance MUKAMANA : Oui, c’est là où les Inkotanyi étaient à BUTARE.
Président : Combien de temps êtes-vous restée au camp de MURAMBI ?
Espérance MUKAMANA : Moi, je n’y ai passé qu’une nuit et le lendemain j’ai été emmenée où se
trouvaient les Inkotanyi. D’autres y avaient déjà passé une semaine.
Président : À MURAMBI, avez-vous vu des autorités ? des bourgmestres ? des préfets ?
Espérance MUKAMANA : Non je ne les ai pas vus car je suis arrivée le soir, et le lendemain j’ai été
conduite hors de-là, donc je ne pouvais pas les voir.
Président : Il y avait beaucoup de personnes à MURAMBI ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Président : Les personnes présentes, c’était des rescapées Tutsi ou des personnes qui fuyaient
l’avancée de l’attaque du FPR ?
Espérance MUKAMANA : C’était des Tutsi rescapés, que les Français ramassaient.
Président : Pas de Hutu ?
Espérance MUKAMANA : À ce moment-là, il n’y en avait pas.
Président : S’agissant des conditions de vie à la paroisse de CYANIKA, vous souvenez-vous s’il y a des
gens qui sont morts de faim ou morts de maladie ?
Espérance MUKAMANA : Oui beaucoup sont morts là-bas: que ce soit de faim ou de soif. Il n’y avait
pas d’eau à boire, on avait coupé l’eau.
Président : Est-ce qu’à un moment, en dehors du problème des vaches, vous avez revu le bourgmestre
ou le sous-préfet ?
Espérance MUKAMANA : Le bourgmestre et le sous-préfet, je ne l’ai ai pas vus au même moment, je
les ai vus ailleurs, mais là plupart du temps je voyais le bourgmestre.
Président : Vous avez souvent vu le bourgmestre ?
Espérance MUKAMANA : Je l’ai vu plusieurs fois, le préfet qu’une fois quand on conduisait ces gens à
MURAMBI.
Président : Est-ce que vous souhaitez ajouter des choses?
Espérance MUKAMANA : J’avais beaucoup de choses à dire, mais je me sens fatiguée.
Président : Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Avez-vous des problèmes pour dormir ? Faitesvous des cauchemars ? Êtes-vous soignée ?

Page 279 sur 711

Espérance MUKAMANA : J’ai eu des problèmes au niveau de la tête, on m’a soignée et c’est comme
si ça avait diminué.
Président : Est-ce que ça veut dire que vous allez mieux ?
Espérance MUKAMANA : Ça diminue mais pas beaucoup.
Président : Aujourd’hui vous habitez dans le secteur de NYANZA ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Président : Vous n’êtes pas revenue à CYANIKA ?
Espérance MUKAMANA : J’avais complètement perdu l’envie de cette localité-là, et concernant les
commémorations, je ne me sentais pas capable d’y aller.
Président : Aujourd’hui, est-ce que vous avez pu y revenir ?
Espérance MUKAMANA : J’y retourne à cause des miens, mais sinon je n’ai pas envie d’y aller.
Président : Aujourd’hui, avez-vous fondé une nouvelle famille ?
Espérance MUKAMANA : Je vis seule, je suis veuve.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES :
Me FOREMAN : Vous avez parlé tout à l’heure d’Aloys GATABARWA, c’était le chauffeur de Laurent
BUCYIBARUTA, c’est bien ça ?
Espérance MUKAMANA : Oui.
Me FOREMAN : Vous avez vécu avec lui, et il vous a parlé de la période où il vivait caché chez le
préfet, Laurent BUCYIBARUTA ?
Espérance MUKAMANA : Nous nous sommes vus après le génocide.
Me FOREMAN : Pouvez-vous nous préciser dans quel contexte vous vous êtes vus ?
Espérance MUKAMANA : Apres le génocide, nous avons vécu ensemble à BUTARE.
Me FOREMAN : Avez-vous des discussions plus précises de ce qu’il a pu déclarer à l’époque ?
Espérance MUKAMANA : Ce dont je me rappelle, c’est que lorsqu’il était chez le préfet, ce dernier a
appelé des gens pour qu’ils viennent « le débarrasser de la saleté ». Il a entendu ces propos, il a eu
peur et donc s’est échappé.
Me FOREMAN : Plus de détails ou ça se limite seulement à ça ?
Espérance MUKAMANA : C’est cela que j’ai entendu.
Me FOREMAN : Vous souvenez-vous combien de temps il a vécu chez le préfet pendant le génocide ?
Espérance MUKAMANA : Je ne sais pas combien de temps il a vécu là-bas, je sais juste qu’il était son
chauffeur et quand le préfet a appelé les gens, il était chez lui.
Me GISAGARA : Je ne sais pas si vous me voyez, mais je suis maitre GISAGARA, nous comprenons
votre douleur et qu’il est très difficile pour vous de revenir sur ces faits. Je vais juste vous poser une
question : avez-vous quelque chose à dire au préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Espérance MUKAMANA : Ce que je veux lui dire, comme quelqu’un qui était une autorité, il devrait
vous le dire lui- même ce que je vous dis ici. Tout cela a été fait par les autorités et il faisait partie des
autorités.

QUESTIONS du MINISTÈRE PUBLIC :

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Ministère public : Bonjour Madame, brièvement vous avez évoqué la coupure d’eau, vous n’aviez pas
eu à boire dans la paroisse. Pouvez-vous nous dire si vous avez reçu de la nourriture ? Vous êtes
arrivés le 7 et entre le 7 et le 21 vous n’avez pas eu à manger ?
Espérance MUKAMANA : On donnait juste à manger aux enfants, mais quand on a coupé l’eau, tout
s’est arrêté. Nous n’avions eu à manger que les premiers jours mais pas le reste. Après, nous avions
recueilli l’eau de pluie, mais autrement c’était à la grâce de Dieu.
Ministère public : Y avait-il des gendarmes qui gardaient la paroisse ?
Espérance MUKAMANA : Oui, il y en avait.
Ministère public : Savez-vous à peu près combien ?
Espérance MUKAMANA : Je ne peux pas connaitre le nombre. Ils nous ont tués, c’était juste une
façon de nous achever, il ne restait plus grand chose de nous.
Ministère public : Car vous mouriez de faim ?
Espérance MUKAMANA : Nous n’avions plus de force, nous mourions de faim.
Ministère public : Vous n’avez pas su identifier vos attaquants, ce n’est pas une critique de ma part,
vous avez dit qu’il y avait des militaires et des civils. Savez-vous faire la différence entre des militaires
et des gendarmes ?
Espérance MUKAMANA : Non, je ne sais pas les distinguer, je ne sais pas faire la différence entre les
gendarmes et les militaires. Je sais juste que ceux qui nous gardaient à la paroisse, c’étaient des
gendarmes, après, au moment de l’attaque, je ne sais pas.
Ministère public : Un témoin nous a dit que, comme les réfugiés mouraient de faim dans la paroisse,
des civils de l’extérieur essayaient d’apporter de la nourriture mais que les gendarmes les empêchaient
?
Espérance MUKAMANA : La population de l’extérieur ?
Ministère public : Aux gens qui étaient dans la paroisse, je ne sais pas où précisément.
Espérance MUKAMANA : Je n’ai jamais vu une personne apporter à manger. Je n’ai jamais vu
quelqu’un apporter à manger car ils ne souhaitaient pas que l’on vive.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me LÉVY : Vous avez évoqué le déplacement de personnes réfugiées à l’école de la paroisse de
CYANIKA vers l’ETO de MURAMBI. Vous êtes dans la cour de la paroisse à ce moment-là ?
Espérance MUKAMANA : J’étais au presbytère.
Me LÉVY : Donc, dans la cour cour intérieure du presbytère ?
Espérance MUKAMANA : J’étais chez le prêtre en contre haut et les autres étaient en contrebas, dans
les salles de classe.
Me LÉVY : Vous n’étiez pas dans l’enceinte de l’école ?
Espérance MUKAMANA : Non.
Me LÉVY : Êtes-vous certaine d’avoir entendu les paroles du préfet à ce moment-là ?
Espérance MUKAMANA : Ces paroles pour dire qu’il fallait les emmener à MURAMBI ?
Me LÉVY : Oui, savoir si vous avez entendu le préfet, si vous l’avez entendu parler?
Espérance MUKAMANA : Je l’ai vu quand ils sont venus les chercher.
Me LÉVY : Donc, vous ne l’avez pas entendu parler ?
Espérance MUKAMANA : Comment pouvais-je l’entendre alors que j’étais en contre haut et lui en
contrebas ? Mais il était là quand ils les ont emmenés.
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Me LÉVY : Vous étiez finalement éloignée des personnes ?
Espérance MUKAMANA : Ce n’est pas loin de chez le prêtre. Mais chez le prêtre c’est en contre haut,
l’école primaire et secondaire sont en contrebas. Quand on se tenait chez le prêtre, on voyait bien
l’école primaire, devant le secrétariat (de la paroisse).
Me LÉVY : Une autre question : vous avez évoqué Monsieur Aloys GATABARWA. Ce qui vous aurait été
rapporté c’est qu’il était caché chez le préfet, que le préfet aurait appelé des Interahamwe pour aller le
chercher, et que cette conversation aurait eu lieu en présence du chauffeur ?
Espérance MUKAMANA : Il était chez lui, comme quelqu’un qui travaillait chez lui, mais je n’étais pas
présente ce sont des choses que l’on m’a dites après le génocide. Il a appelé les Interahamwe pour le
débarrasser d’une saleté. Il est parti.
Me LÉVY : On vous l’a rapporté après le génocide ?
Espérance MUKAMANA : C’est GATABARWA qui me l’a dit.
Président : Savez-vous ce qui s’est passé dans la commune de KINYAMAKARA ?
Espérance MUKAMANA : Non, je n’ai pas de nouvelles.

Audition de monsieur Rémy KAMUGIRE, rescapé, partie civile.
Déclaration spontanée.
En peu de mots, je voudrais vous décrire la vie de mes parents jusqu’au moment où ils ont été
assassinés, lors du génocide contre les Tutsi, lorsque nous étions réfugiés à la paroisse de CYANIKA. Si
je commence par l’année 1990, lorsque les militaires du FPR menèrent l’attaque de libération du
RWANDA, mon père et ma mère étaient enseignants à l’école primaire de CYANIKA. En décembre
1990, mon père a été arrêté et traité de complice des Inkotanyi. Il a été détenu au cachot communal de
KARAMA, par le bourgmestre Désiré NGEZAHAYO. Ça a continué ainsi, mes parents enseignants
étaient maltraités jusqu’à qu’ils soient mutés à des endroits éloignés dans le but de les maltraiter, alors
que tout près de là il y avait des écoles, ils devaient faire de longs trajets.
Le 6 avril 1994, l’avion du Président HABYARIMANA qui provenait d’ARUSHA (NDR. En réalité, il
revenait de DAR-ES-SALAM où il avait finalement accepté de mettre en place les accords d’Arusha signés
le 4 août 1993) a chuté, vers 21h. Le lendemain, le 7, la Radio Rwanda a dit qu’il y avait un couvre-feu
et que tout le monde devait rester à la maison. Nous avons obtempéré. Nous étions spectateurs. Le 9,
nous étions surpris de voir les maisons de nos voisins incendiées, celles qui appartenaient à des
familles tutsi. Ceci allait de paire avec le fait qu’on s’appropriait leurs biens, les vaches étaient pillées et
emportées. Le 10, les premiers réfugiés tutsi sont arrivés à la paroisse de CYANIKA, ils ont été accueillis
et hébergés à cet endroit. Notre famille est arrivée le 14 avril. Nous sommes arrivés, d’autres réfugiés
tutsi sont arrivés progressivement. Le bourgmestre et le sous-préfet Joseph NTEGEYINTWALI ont fait
un recensement et selon les résultats, il a été constaté que nous étions 4000 personnes. Nous avons
vécu cette vie difficile. Il nous était difficile d’avoir de quoi manger, impossible d’avoir de l’eau à
utiliser, la pompe faisant monter l’eau de la rivière avait été coupée. Le Père NIYOMUGABO Joseph
nous cherchait de quoi manger mais en petite quantité, la nourriture provenait de la CARITAS et était
surtout donnée aux enfants.

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Le 17 avril 1994, le personnel communal de KARAMA, a contacté un ancien militaire Étienne
URINZWENIMANA, ils lui ont donné une grenade et l’intéressé a lancé la grenade en question pardessus la clôture, cela a tué sept personnes. D’autres ont été transférées à l’hôpital universitaire. Ceux
qui étaient décédés sur place, on les a enterrés. Le mardi 19 avril 1994, le Président du gouvernement
intérimaire, Théodore SINDIKUBWABO, est venu faire une réunion à la salle polyvalente de la
préfecture, qu’on appelait le palais du MRND [11]. Étaient invitées les autorités, à partir des instances de
base, les conseillers ainsi que les bourgmestres. C’est dans cette réunion qu’a été redit le plan car deux
jours après, le 21 avril, que ce soit des gens de l’ETO de MURAMBI, ou ceux de la paroisse de CYANIKA
et de même qu’à la paroisse de KADUHA, tous ont été tués, au total plus de 120 000 personnes.
À l’aube de cette journée, vers 5h du matin, les Tutsi, attaqués et blessés par balles, nous ont rejoints à
la paroisse de CYANIKA et nous ont dit que vers 3h du matin, ils avaient été attaqués et tués. Ils nous
ont dit : « Vous qui avez encore de la force, sortez et courez car de là-bas ils vont venir ici ». Le matin
vers 7h, la population nous encerclait, toute la paroisse. Ils portaient des feuilles de bananiers pour ne
pas ressembler aux victimes. Ils attendaient d’être renforcés par les Interahamwe de MUDASOMWA,
qui venaient de tuer à MURAMBI et par les gendarmes provenant de la gendarmerie de GIKONGORO.
Vers 9h, j’ai vu monter quatre véhicules, remplis de gendarmes, et une fois arrivés sur place, ils nous
ont encerclés et ont commencé à nous tirer dessus.
Ils ont frappé au portail menant du presbytère. Nous et les hommes avons essayé de nous défendre
avec des armes traditionnelles, mais ils nous tiraient dessus avec des grenades, nous étions affaiblis:
tous les Tutsi, affaiblis, et les blessés furent achevés par les Interahamwe. On m’a mis un coup de
machette sur la tête, j’en porte encore la cicatrice, et un coup de gourdin. C’est à ce moment-là que les
membres de ma famille, dont ma famille élargie au nombre de 47, a été tuée à la paroisse de
CYANIKA. J’ai essayé de partir de là, un bienfaiteur m’a caché, un voisin à nous. Plus tard, vers le 23
avril, deux engins Caterpillar appartenant au service Ponts et Chaussées de GIKONGORO sont arrivés
en même temps que les prisonniers et détenus de GIKONGORO. Ils ont creusé trois fosses et c’est là
qu’ils ont enfoui nos parents et nos proches. C’est ainsi que se déroulèrent les massacres de CYANIKA.
De mon point de vue, ceux qui ont joué un rôle sont l’ancien sous-préfet de la sous-préfecture de
KARABA (Joseph NTEGEYINTWALI), le bourgmestre de KARAMA (Désiré NGEZAHAYO), le bourgmestre
(Didace HATEGEKIMANA) de la commune RUKONDO, le personnel de la commune de KARAMA dont
l’IPJ [12], dont Jean-de-Dieu*, Jean BOSCO*, SEMAKIHA* (vétérinaire de la commune de KARAMA),
Frodouald, encadreur de la jeunesse, Charles HUGIRINYENDE*, fonctionnaire assistant du bourgmestre
de la commune de RUKONDO. HABIMANA Samuel, brigadier de la police communale de KARAMA
ainsi que son collègue policier Cyprien NIYORIZABA*.
Ce sont ceux-là, qui ont prêté main forte à la population pour mettre en œuvre le complot établi le 19
avril dans la salle polyvalente. Par après, ils ont érigé les barrières sur les voies allant à la commune et à
la sous-préfecture et beaucoup de Tutsi ont été tués à ces barrières, leurs corps ont été jetés non loin
de là dans des latrines qu’ils avaient creusées. Une liste des personnes devant opérer à ces barrières
était dressée et affichée à un bistrot local. Pour conclure, je voulais dire que nous voulons que justice
nous soit rendue. Ceci est d’autant plus vrai que dans les années 1963, nos aïeux ont été victimes, sans
qu’ils ne bénéficient d’une quelconque justice. Par contre, les auteurs de ces faits ont été promus dans
les instances politiques de notre pays. Je vous donnerai l’exemple de celui qui était à l’époque préfet,
NKERABUGABA André qui a été promu député. Je vous remercie.
Page 283 sur 711

Président : Quel âge aviez-vous en 1994 ?
Rémy KAMUGIRE : J’étais âgé de 16 ans.
Président : Vos parents étaient enseignants, combien d’enfants y avait-il dans votre fratrie ?
Rémy KAMUGIRE : J’avais un grand frère de la même famille.
Président : Ils étaient enseignants à l’école de la paroisse avant d’être mutés ?
Rémy KAMUGIRE : C’était l’école de l’église catholique, mais l’État aussi y avait des parts.
Président : Qui faisait les nominations ? L’église catholique ou l’État ?
Rémy KAMUGIRE : L’État, et c’est l’inspecteur scolaire qui décidait.
Président : Vos parents ont été nommés où ?
Rémy KAMUGIRE : Ils ont commencé à enseigner à l’école primaire de NGOMA. Après ils sont venus
enseigner à l’école primaire de CYANIKA.
Président : Et après ?
Rémy KAMUGIRE : Ils ont été tués pendant le génocide à CYANIKA. J’étais là avec mes parents.
Président : C’était la période des vacances scolaires ?
Rémy KAMUGIRE : Oui, j’étais à l’école vétérinaire de KADUHA, dans GIKONGORO.
Président : Ce n’était pas loin de CYANIKA ?
Rémy KAMUGIRA : C’était très loin.
Président : Connaissiez-vous les gens du Centre de santé ?
Rémy KAMUGIRE : Oui, je les connais.
Président : Donc, il y avait du personnel médical, des médecins, des infirmiers laïcs et des religieuses ?
Rémy KAMUGIRE : C’est vrai, il y avait des religieuses aussi car pendant le génocide il y avait une
responsable Sœur Josépha.
Président : Connaissez-vous une sœur nommée KANZIGE Renata ?
Rémy KAMUGIRE : Je ne crois pas.
Le Président lit un extrait d’un procès verbal (D356).
Président : Est-ce que cela vous dit quelque chose ?
Rémy KAMUGIRE : Je ne crois pas que cette personne ait travaillé à la paroisse de CYANIKA. Cela me
rappelle quelque chose, je vais en dire un mot. Merci, Monsieur le président de la Cour. C’est vrai, celui
qui était bourgmestre de la commune de KARAMA a pris des Tutsi avec le pickup de la commune. Le
fait de les avoir déplacés, ce n’était pas par pitié, mais c’était une manière de les tuer plus tard, car l’on
dit que « celui qui veut brûler les mauvaises herbes, il les rassemble d’abord ». Ce que je pourrais dire
c’est que les Tutsi s’étaient réfugiés là-bas avec beaucoup de bétail. Les autorités sont venues, elles ont
dit au curé que ces vaches qui étaient là amenaient de la saleté à la paroisse. On les a déplacées sur le
terrain de football qui est à côté. La même nuit, les voisins ont attaqué et ont volé les vaches, certaines
ont été découpées. Ils disaient que c’était pour les Hutu, pour qu’ils puissent manger de la viande. Ce
que je peux dire, que ce soit au couvent ou au séminaire, dans les écoles proches, partout les réfugiés
étaient là. Au Centre de santé, il y avait beaucoup de monde. Ceux qui avaient été blessés y avaient été
envoyés pour que l’on puisse les soigner. En peu de mots, je pense que c’est cela que je voulais
apporter comme éclairage.
Président : Je vais terminer la lecture de l’interview de la Sœur Renata. Tout à l’heure vous avez parlé
d’une sœur qui s’appelle Josépha ?
Rémy KAMUGIRE : c’est la Sœur Josée qui était titulaire du centre.
Page 284 sur 711

Président : Elle était Tutsi ?
Rémy KAMUGIRE : Je la connais, elle était Tutsi.
Président : Je continue la lecture. » Un jour, un vieil homme nommé Joseph est venu me parler en
secret: les civils hutu voulaient nous tuer. Pourquoi? Parce que nous étions des Tutsi. Les jeunes tueurs
attendaient le signal du commandant de GIKONGORO. Joseph a insisté pour que j’aille en parler au Père
NIYOMUGABO. » Savez-vous si les sœurs et le personnel ont été évacués?
Rémy KAMUGIRE : Moi, je ne me rappelle pas de ces événements, je ne sais que ce qui concerne
Sœur Josépha.
Président : Vous savez si des sœurs sont parties ?
Rémy KAMUGIRE : La sœur Josée est partie, je n’en sais pas davantage. Je ne dirais pas que la
gendarmerie assurait la sécurité. En date du 21, vers 7h30, ils sont sortis du couvent et ont pris le
véhicule du prêtre. S’ils étaient venus assurer notre sécurité, ils seraient restés là et se seraient opposés
aux Interahamwe. Celui qui était le préfet, Laurent BUCYIBARUTA qui est venu au couvent, moi je ne l’ai
pas vu à ce moment-là, je ne le connaissais même pas. Que ce soit le préfet ou le sous-préfet, quand
ils venaient et qu’ils s’entretenaient avec le prêtre, nous ne le savions pas.
Président : Un certain nombre de personnes étaient impliquées dans les massacres, vous avez dit
entre autre qu’il y avait le sous-préfet de KARABA, Joseph NTEGEYINTWALI, le bourgmestre de
KARAMA (Désiré NGEZAHAYO), et le bourgmestre de RUKONDO, Didace HATEGEKIMANA. Mais vous
ne nous avez pas parlé de la sous-préfecture KINYAMAKARA.
Rémy KAMUGIRE : Il y avait des réfugiés de KINYAMAKARA aussi, mais le bourgmestre Charles
MUNYANEZA n’était pas là.
Président : Je vais lire un extrait du livre d’Alison Des Forges (D10754) Aucun témoin ne doit
survivre [13]. Elle décrit un certain nombre de responsables locaux. Elle va notamment parler du
bourgmestre de KINYAMAKARA. Vous êtes au courant d’incendies ? De pillages dans la commune de
KINYAMAKARA.
Rémy KAMUGIRE : Il y a une certaine distance assez remarquable. Tout ce qui a eu lieu de ce côté-là,
ce n’est pas l’information que j’entendais. Je ne peux pas en dire plus.
Président : Je vais continuer ma lecture. qui concerne le bourgmestre de KINYAMAKARA, Charles
MUNYANEZA, connu pour être en bons termes avec les Tutsi et qui était opposé aux tueries.
Rémy KAMUGIRE : Ce que vous dites là, je l’ai aussi entendu par l’information car entre l’endroit où
nous vivions et celui dont vous parlez, c’est un peu éloigné. MUDASOMWA, c’était une commune qui
avait des Interahamwe qui avaient été entrainés dans la forêt par le directeur de l’usine à thé. À
GIKONGORO, aussi à CYANIKA, aussi à KADUHA, ils sont allés partout. Le 7 avril, c’était un jeudi, il y a
des travailleurs de l’entreprise de EMGEKO qui ont été tués. Vous comprendrez que
les Interahamwe avaient été entrainés et ce sont eux qui ont commencé à mettre en pratique le
génocide.
Président : Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter ?
Rémy KAMUGIRE : Oui, ce que j’ai à ajouter c’est que je crois en la sagesse de la Cour, c’est nous qui
avons vécu des situations difficiles. Nous avons besoin de la justice, cela pourrait nous aider aussi par
rapport aux blessures que nous avons, pour nos proches, pour qu’ils ne disparaissent pas impunément.
Président : Qu’est devenu le bourgmestre de KINYAMAKARA ?

Page 285 sur 711

Rémi KAMUGIRE : Charles MUNYANEZA, n’était pas poursuivi, il me semble qu’il n’était pas Tutsi. Il
me semble qu’il est poursuivi pour certains faits et qu’il s’est réfugié en Angleterre.
QUESTIONS de la COUR :
Juge assesseur : Vous avez dit que vous travailliez dans le secteur de l’éducation ? Vous êtes
enseignant ?
Rémy KAMUGIRE : Je travaille dans une ONG qui œuvre dans le domaine de l’éducation, nommée
BRF, d’origine anglaise.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES :
Me GISAGARA : Pour éclairer la cour, de chez vous à l’école de KADUHA, c’est combien de temps à
pied ?
Rémy KAMUGIRE : De chez nous à KADUHA à pieds, environ 6h , en voiture c’est 1h30.
Me GISAGARA : Entre chez vous et la commune de KINYAMAKARA ?
Rémy KAMUGIRE : À pieds c’est 4h et en voiture 1h.
Me GISAGARA : Vous avez aussi parlé d’une attaque à la grenade avant le grand massacre du 21, vous
avez dit que c’était un réserviste qui avait jeté la grenade, est-ce que vous savez d’où venait cette
grenade ?
Rémy KAMUGIRE : Oui je sais, c’est le personnel de la commune KARAMA qui est parti chercher la
grenade à un centre de commerce de la commune de RUKONDO.
Me GISAGARA : Connaissez-vous le nom des personnes qui ont donné ces grenades ?
Rémy KAMUGIRE : Selon les informations que nous avions, c’étaient Jean-Bosco, et Frodouald qui
était en charge de la jeunesse. Il était facile d’avoir des grenades.
Me GISAGARA : Est-ce que vous avez des enfants ?
Rémy KAMUGIRE : Oui, trois.
Me GISAGARA : Vous parlez de leurs grands-parents ensemble ? Où c’est trop douloureux ?
Monsieur Rémy KAMUGIRE pleure.
Me GISAGARA : Pardonnez-moi, ma question n’était pas pour vous faire du mal. Vous n’y répondez
que si vous pouvez.
Rémy KAMUGIRE : Ils nous posent des questions, sur le génocide, il est difficile de leur parler du
génocide et de les convaincre car ils ne comprennent pas comment tout le monde peut mourir en
même temps. Comment les personnes peuvent être tuées sans raison en étant innocentes, tuées par
leurs voisins, par les autorités.
Me GISAGARA : Je ne dis pas cela pour vous blesser mais pour que la Cour comprenne ce que vous
vivez aujourd’hui.
Rémy KAMUGIRE : Je vous remercie.
Pas de questions du Ministère Public.
Pas de questions de La Défense.

La journée va se terminer par la lecture d’auditions de témoins qu’on ne pourra entendre, l’un
ayant refusé de témoigner, l’autre étant décédé.

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En D 10413, il s’agit de l’audition de monsieur Emmanuel NTAGANIRA, entendu par les
gendarmes de l’OCLCH en date du 4 octobre 2012. C’est lui qui a refusé de témoigner devant la
Cour. Il est en prison car il a été accusé par le bourgmestre Désiré NGEZAHAYO.
En D 10335, il s’agit de plusieurs auditions de Désiré NGEZAHAYO.

Alain GAUTHIER et Mathilde LAMBERT
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

References
↑1

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑2

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑3

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑4

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑5

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑6

ETO : Ecole Technique Officielle.

↑7

FPR : Front patriotique Rwandais

↑8

Ibid.

↑9

Voir également l’audition d’Azarias NZUNGIZE

↑10

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑11

Ibid.

↑12

IPJ : Inspecteur de Police Judiciaire

↑13

Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé
par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mercredi
8 juin 2022. J19
09/06/2022

• Audition de monsieur Fidèle NKERAMUGABO, rescapé cité par le ministère public.
• Audition de monsieur Claude NDORIMANA, partie civile.
• Audition de monsieur François SHIKAMA, en visioconférence du Rwanda.
• Audition de monsieur Stanislas HIGIRO, rescapé cité par le ministère public.
Comme prévu, monsieur BUCYIBARUTA est invité à réagir aux témoignages entendus la veille.
« Ce que Désiré NGEZAHAYO disait, c’était pour échapper à la peine de mort. Dans son jugement de
1998, je n’ai rien lu qui puisse me concerner. Il n’a cessé de rejeter la responsabilité de ses actes sur moi.
Au CEPEP, SINDIKUBWABO [1] ne s’est entretenu ni avec les sous-préfets, ni avec les bourgmestres. Quant
à la lettre que NGEZAHAYO prétend avoir adressée au préfet, elle n’existe pas. »
Monsieur BUCYIBARUTA conteste toutes les accusations de NGEZAHAYO. Par contre, il n’a pas de
commentaire à faire concernant les deux autres témoins.
Maître PHILIPPART fait remarquer que Désiré NGEZAHAYO est constant dans ses auditions.
Maître LEVY insiste sur l’importance pour la défense de pouvoir interroger, voire contre-interroger les
témoins. Or, la défense n’a pas pu le faire, ce témoin étant décédé. « Monsieur BUCYIBARUTA a très
bien exposé ce qu’il pensait de ce témoin. Depuis qu’il est condamné à mort, NGEZAHAYO a été très
sollicité. De plus, il a beaucoup menti. Il n’a plaidé coupable que pour son rôle aux barrières alors que
s’était un meneur. »
Monsieur le président évoque le cas de MUNYANEZA, qui a refusé de venir témoigné au procès. Il est
réfugié en Angleterre et a été lui-même mis en cause. Dans la procédure, en D 10912 et D 10911, il est
des courriers qui l’accusent.
Audition de monsieur Fidèle NKERAMUGABO, rescapé cité par le ministère public.
Le témoin va commencer par une courte déclaration spontanée dans laquelle il dit avoir été
pourchassé. Lorsque l’avion est tombé, « les objectifs des gens ont changé. » Laurent BUCYIBARUTA
était préfet de GIKONGORO depuis 1993, originaire de la commune MUSANGE. Les bourgmestres de
NYARUGURU, BUFUNDU et BUNYAMBILI ont changé de comportement. « On a installé des
bourgmestres qui avaient de la force dans le cadre de la préparation du génocide après la chute de
l’avion ».
Et le témoin de nommer les nouveaux bourgmestres mis en place: NTEKABANO à MUSANGE, Augustin
GASHUGI à KARAMBO et HIGIRO à MUSEBEYA.
Monsieur le président souhaite reprendre la main et va poser des questions au témoin.
« Si on a mis en place de nouveaux bourgmestres, c’est pour qu’ils collaborent avec le préfet pour
préparer le génocide. En 1994, j’exerçait une activité modeste, j’étais moniteur agricole dans la commune
de KARAMBE et je dépendais du ministère de l’agriculture. Mon domaine, c’était de m’occuper du

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reboisement, je préparais les pépinières. J’étais marié et j’avais trois enfants. Tous ont été tués pendant le
génocide à l’église de KADUHA. Je suis resté seul. »
Le président: que voyez-vous changer après l’attentat contre HABYARIMANA?
Le témoin: On a dit aux gens de rester chez eux et de ne pas organiser de rassemblement de plus de
trois personnes. Les bourgmestres nous ont dit de nous regrouper à KARAMBO mais nous sommes
allés à KADUHA. Parmi les réfugiés à la commune de MUKO, il y avait beaucoup de Tutsi. Albert
KAYIHURA en était le bourgmestre. On avait commencé à tuer les Tutsi dans la nuit du 6 avril. Les
membres du personnel ont été éliminés: le comptable, l’infirmier du Centre de santé et un juge du
tribunal de canton de MUSHUBI.
A MUKO, le bourgmestre KAYIHURA avait tout fait pour que les gens viennent à MUSHUBI. Mais on a
conduit les gens à KADUHA « pour les sauver ». Le 8, le bourgmestre a séparé les hommes des
femmes et des enfants. IL a conduit les hommes à une barrière où ils ont été tués. Les 19 et 20 avril, les
femmes et les enfants, restés au Bureau communal seront tués à leur tour.
Le 21 seront perpétrés les massacres à KADUHA où les gens de MUSEBEYA avaient été amenés par
HIGIRO dans un véhicule de la commune.
Le génocide à KADUHA a commencé tard dans la nuit du 20 au 21. Des instructions avaient été
données par le préfet en personne venu à la sous-préfecture. On nous avait dit de nous occuper de
l’hygiène. Pour cela, nous devions creuser des tranchées en guise de latrines. Ce sont ces tranchées qui
serviront de fosses communes. Les gens de KADUHA viendront prêter main forte aux gendarmes, avec
leurs armes traditionnelles, dans la commission du génocide. Les tueries ont continué jusqu’au
lendemain. Ceux qui avaient réussi à courir ont pris la direction de NYANZA en passant par le
BUFUNDI et en traversant les rivières MWOGO et RUKARARA. Des gendarmes, venus de CYANIKA avec
leur commandant SEBUHURA, attendaient les fugitifs à la rivière MWOGO pour les sauver. En réalité,
ils seront exterminés sur place.
Monsieur le président demande alors au témoin de bien distinguer ce qu’il a vu de ce qu’il a entendu
dire. Ce dernier va alors raconter comment il s’est rendu à KADUHA où il sera accueilli par une
religieuse « bienfaitrice » et un prêtre burundais du nom de NYANDWI « qui fut le premier à exterminer
les gens de KADUHA. »
Le témoin parle du prêtre NYANDWI comme d’un militaire dont il a revêtu l’uniforme, qui avait « un
comportement particulier avec les jeunes filles » et qui vendait le riz de la CARITAS. Entendu par des
enquêteurs du TPIR, il avait déclaré: « J’ai vu NYANDWI avec les attaquants, il a quitté sa soutane pour
prendre un fusil et tirer. Il a violé des filles qui sortaient en pleurs de sa chambre et qui disaient avoir été
abusées sexuellement. »
« Vous confirmez ? » lui demande le président. Le témoin confirme en soulignant qu’il est confiant
dans la justice d’un pays qui entretient de bonnes relations avec le Rwanda.
Monsieur le président lui fait remarquer qu’il est hors sujet, Si ce dernier lui dit qu’il existe de
nombreuses contradictions entre les déclarations qu’il a faites devant les enquêteurs et ce qu’il dit
aujourd’hui, c’est parce qu’on lui a attribué des propos qu’il n’a jamais tenus ou qu’on a oublié de
noter ce qu’il avait réellement dit.

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Lorsque la défense prend la parole à son tour, maître LEVY souligne les mêmes contradictions que
monsieur le président. Devant le TPIR, le témoin dit ne s’être pas contredit: « Je n’étais pas à l’aise.
Nous avions peur. »
Mêmes contradictions lorsqu’il parle de NYANDWI! Au témoin à qui maître LEVY fait remarquer qu’il
parle pour la première fois de la présence de Laurent BUCYIBARUTA à KADUHA, monsieur
NKERAMUGABO répond, imperturbable: « Je ne répondais qu’aux questions qu’on me posait. Je
témoignais alors sur SIMBA ».
En conclusion, un témoin peu crédible qu’on aimerait pouvoir oublier.

Audition de monsieur Claude NDORIMANA, partie civile.
Je voudrais vous faire part du chemin que j’ai traversé pendant le génocide contre les Tutsi en 1994.
Quand j’ai grandi, je n’ai vu que mon père, je ne voyais pas ma famille paternelle, pas mon oncle
paternel, pas mon grand-père paternel. En réalité, la famille de mon père faisait partie des chefs à
l’époque, toute cette famille a été tuée en 1963 et seul mon père a survécu.
Quelque mois avant 1994, durant l’été 1993, mon père est décédé. En 1994, j’étais en deuxième année
du secondaire, j’étais élève à l’école agri-vétérinaire de KADUHA. C’était une école très voisine de la
paroisse de KADUHA. A ce moment-là, nous étions en vacances et nous nous apprêtions à revenir à
l’école. Au réveil du 7 avril, nous entendions fréquemment les communiqués radiodiffusés faisant état
de l’attentat contre le président HABYARIMANA, qui était décédé. La situation a continué à évoluer,
nous avions peur. Dans l’après-midi, nous avons été informés que celui qui était comptable de la
commune de MUKO ainsi que sa famille venait d’être tué. La mort de cet homme et de sa famille nous
a été communiquée le 8. Vers 15h, est arrivée en courant un femme qui habitait en contrebas de notre
domicile. Elle a dit à ma mère que SEMANZI, qui était instituteur à l’école primaire, venait d’être tué en
contrebas de chez nous. La femme a indiqué qu’elle avait de la compassion en nous désignant, nous
les enfants garçons. Dans ma fratrie nous étions au nombre de 7, elle désignait donc mon grand-frère
et moi. Quand nous avons appris l’assassinat de SEMANZI, nous avons eu peur, et j’ai demandé à ma
mère si ce n’était pas mieux que nous allions dans les faux plafonds. Ma mère m’a dit que ce qu’ils font
en premier lieu, c’est incendier la maison, je lui ai proposé d’aller à RUDEGO, une grande colline juste
en face de chez nous. Elle m’a dit que les collines et les montagnes étaient aussi incendiées. Elle m’a
dit que le seul moyen de survivre c’était d’aller à la paroisse de KADUHA.
Nous sommes immédiatement partis et je n’ai rien pris avec moi. J’avais fait ma valise pour retourner à
l’internat, mais ma mère nous a dit que nous devions porter des pantalons, une chemise et une veste.
Ainsi, nous sommes partis. De chez nous, des collines nous empêchent d’avoir une vue sur KADUHA.
Mais, une fois au sommet, nous avons commencé à voir de la fumée du côté de KIBUYE, vers ce qui
était alors la commune de MUKO. Donc, nous ne sommes pas arrivés à KADUHA le même jour, il
venait d’être 18h. Les gendarmes étaient déjà arrivés à KADUHA, nous nous sommes dit que c’était un
danger si nous nous y rendions. Nous étions à environ 2 km de KADUHA, et à cet endroit-là habitait un
cousin de mon père et nous avons passé la nuit chez lui.

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Le lendemain, nous avons poursuivi notre route, nous sommes allés à KADUHA. Les Tutsi y étaient très
nombreux. Comme je vous l’ai dit, j’étudiais à une école non loin de là, tout près de la paroisse. Là, il y
avait mes collègues, élèves originaires des régions où les batailles opposaient le FPR à l’armée
gouvernementale. Ceux-là ne rentraient pas lorsque nous étions en vacances, ils restaient à l’école. Je
les ai vu assis à la clôture de l’école. J’ai dit à mon grand-frère que j’allais dire bonjour à mes collègues
de classe. Arrivés à leur hauteur, ils m’ont dit bonjour et m’ont demandé si moi aussi je fuyais et j’ai dit
oui. Je n’ai pas voulu leur dire la vérité sur ce que je fuyais. Je leur ai dit qu’après avoir pris
connaissance de la mort du Président, il y avait eu des troubles à la campagne. Je leur ai dit qu’on s’en
prenait aux gens riches, et que comme ma famille était riche, que c’était pour cela que nous fuyions
pour ne pas être pillés, voire même tués. Ils ont dit que le directeur avait dit que s’ils voyaient des
élèves parmi les réfugiés il fallait les laisser entrer. Une fois à l’intérieur de l’école, j’y ai trouvé mes
compagnons et en tout nous étions onze. Nous avons donc vécu là-bas. C’est dans cet établissement
que nous avons trouvé des gendarmes, dont d’autres disaient qu’ils venaient assurer la sécurité des
gens de la paroisse. Je n’ai pas eu le temps de dire au revoir à mon grand-frère, car après qu’il m’a
autorisé à rentrer, ils m’ont dit qu’il était interdit de retourner à cette porte d’entrée. J’ai continué de
suivre les informations quant à la vie que menait ma famille. Il y avait là-bas un des cuisiniers qui
préparaient de la nourriture pour nous, une connaissance qui était notre voisin. Ce cuisinier me
donnait des informations et me disait que toute ma famille était arrivée à la paroisse de KADUHA.
Compte tenu du très grand nombre de personnes à la paroisse, l’église était pleine ainsi que tous les
autres bâtiments environnants. La plupart d’entre eux avait fui sans rien prendre avec eux. Au fur et à
mesure que le temps avançait, s’ajoutaient beaucoup d’autres, et à un certain moment ils ont eu très
faim. Mon école était voisine d’un établissement d’une religieuse nommée MILGITHA [2]. Celui-là
envoyait des gens du personnel qui venaient utiliser les grosses marmites de l’école pour préparer de
la bouillie aux enfants et aux femmes faibles.
Si j’essaie d’aller rapidement, entre le 18 et le 20, ces gendarmes en question sont entrés dans
l’établissement avec toutes sortes d’armes traditionnelles. Les élèves réfugiés qui vivaient dans les
mêmes dortoirs que nous, nous ont dit qu’il s’agissait là de toutes les armes des réfugiés Tutsi avec
lesquelles ils avaient fui et dont on venait de les dépouiller. Dans la nuit du 20, vers 20h, un prêtre du
nom de Albert NYANDWI, qui était en même temps mon professeur de religion, a quitté son
presbytère pour venir vivre avec nous, et est entré avec des jeunes filles. Je ne souviens qu’il a dit: «
Vous, mes élèves, venez m’aider à déposer mes effets », et nous l’avons donc aidé à transporter ses
effets, ses valises dans la chambre près de la sortie. Nous étions à quatre et il nous a donné cent francs
chacun. A l’aube du 21, nous avons été réveillés par l’explosion de deux grenades. Directement après
ces explosions, ont suivi sans tarder directement des balles. Ce que je ne vous ai pas dit encore c’était
qu’entre le 15 et le 21 venaient des attaques contre les Tutsi et les gendarmes tiraient en l’air et les
repoussaient. Donc, après l’explosion de grenades, ils ont commencé à tirer, nos collègues élèves
avaient chacun reçu une machette. Parmi eux, un qui savait manier les armes, KAZUNGU, a reçu des
gendarmes un fusil ainsi que des grenades. Il était en première année et moi en deuxième. Il était plus
âgé que nous, il avait un retard dans sa scolarité. On tirait de partout, certains utilisaient des
machettes. En ce qui me concerne, lorsque j’ai entendu le bruit des balles, je me suis appuyé contre
un mur de l’école, j’avais une vue juste devant moi sur le muret de l’église. Je voyais les gens qui
tombaient atteint par les balles au moment où d’autres étaient découpés. Mais, avant que je n’aille me
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cacher contre le mur, nous étions tous sortis (les élèves) car nous pensions que nous allions mourir. En
fait, lorsque je me suis rendue près du mur, ce n’était pas pour me protéger, mais c’était pour mieux
voir ce qui s’était passé de l’autre côté. Avant d’aller à ce mur-là, lorsque nous sortions du dortoir,
nous voyions ce qui se passait de l’autre côté, à l’hôpital de KADUHA où l’on taillait les gens. Le
responsable de ces gendarmes, qu’on disait adjudant mais dont je ne me souviens pas du nom, a dit: «
Courage, courage, courage ». Comme il était tout près de nous, nous l’avions dit par crainte de lui, pas
pour autre chose car ce « courage » dont il était question incitait à tuer nos proches.
Ceci s’est poursuivi ainsi et c’est quand l’adjudant est passé que je me suis enfui. J’ai observé comment
ils fusillaient et découpaient les gens tout en leur lançant des grenades. Je voyais bien la route qui
venait de l’église et qui entre dans l’établissement médical, je voyais que tout cet endroit était jonché
de corps, sur la route allant dans l’établissement. Ils ont continué ainsi à tuer les gens, et à 13h, ils ont
eu comme une petite pause et les élèves sont venus et ils nous ont dit que nous pouvions venir
prendre une petite pause déjeuner, et que les balles étaient en train de s’épuiser. Ces propos étaient
tenus par KAZUNGU, l’élève au fusil. Il a dit qu’il avait pris un fusil, qu’il avait tiré encore jusqu’à ce qu’il
ait rempli la cour de l’école primaire avec les corps des Tutsi. Nous sommes allés manger mais nous
n’avions pas d’appétit pour ça, pas le coeur à manger. Alors qu’ils prenaient cette pause, les
gendarmes sont revenus à l’école, ainsi que les élèves qui étaient partis avec eux dans les attaques, et
sont entrés également d’autres gens dirigeant les attaques. Ils sont donc entrés dans l’établissement
scolaire pour partager le repas avec eux. Mais, au chef cuisinier du nom de Gérard GAKUBA, ils lui ont
réclamé sa carte d’identité, ils ont constaté qu’il était Tutsi et il lui ont demandé ce qu’il faisait ici car
les Tutsi étaient partis depuis longtemps. Son fils, qui était à la paroisse, avait escaladé la clôture pour
rejoindre son père à l’école et ainsi avoir la vie sauve. Alors qu’ils lui demandaient cela, ils ont
demandé sa carte d’identité, et lui ont demandé de les suivre, lui et son fils sont ainsi partis et les
élèves ont aussi dû présenter leur carte d’identité. Nous étions encore petits, un âge où nous n’avions
pas encore fait de cartes d’identité et parmi nous un élève effectuait son stage sanctionnant les études
secondaires, lui avait une carte d’identité. Quand il l’a présentée, ils ont vu qu’il était Tutsi et ils lui ont
demandé de suivre les deux hommes, à savoir le chef cuisinier et son fils. Ils sont ainsi partis et tout de
suite nous avons entendu le bruit d’une balle. Comme nous n’avions pas de cartes d’identité, ils nous
ont dit de retourner dans les dortoirs et nous avons entendu un tir. Un laps de temps d’environ trente
minutes s’est écoulé et nous avons vu revenir l’élève Philippe HATEGEKIMANA. Il nous a dit que Gérard
venait de le fusiller de derrière et qu’une balle avait atteint de la nuque son cerveau et que son fils
avait été tué à coups de gourdin. Quand ce fut le tour de Philippe, le directeur est intervenu, et il avait
dit que c’était son petit inyenzi [3] et qu’il allait le tuer lui-même. Ainsi nous avons regagné les dortoirs.
Vers 14h/15h, les bruits de balles ont repris. Ils ont tiré beaucoup, et cette fois ils ont dit qu’ils avaient
su qu’il y avait un Inkotanyi [4] avec comme arme un mortier caché dans le dortoir des prêtres. Ils
faisaient allusion à notre professeur de biologie, Denis KANYARUSHOKORO. Ils le craignaient car non
seulement il était jeune, mais il pratiquait le karaté. Ils ont tiré en disant qu’il était recherché, ils l’ont
sorti et l’ont abattu sur le coup et c’est les élèves qui à leur arrivée me le disaient. La nuit est ainsi
tombée et le 21 nous avons regagné les dortoirs pour dormir.
Le lendemain, le 22, les élèves sont repartis porter main forte aux attaquants, en achevant les
personnes pas complètement mortes. C’était donc le 22, et le 23: ce fut pour moi un jour qui sort de
l’ordinaire, on avait tué le 21 et le 22 on a tué ceux qui respiraient encore. Le 23, c’était le jour de
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l’enterrement des personnes mortes dans l’église et dans l’établissement. Nous autres, les élèves, nous
avions comme obligation d’enterrer les personnes mortes dans l’école. Il n’y avait pas de mur de
séparation entre la forêt de l’école et le bois de l’église. Quand beaucoup de gens sortaient de l’église,
ils couraient vers l’école en pensant avoir la vie sauve, ce qui avait fait que beaucoup de gens avaient
été tués dans l’école. Très tôt le matin, nous avons procédé à l’ensevelissement. Nous autres, les onze
élèves Tutsi ainsi que les autres élèves qui ne rentraient pas chez eux durant les vacances, ainsi que les
personnels de l’école dont les cuisiniers et vachers, avons enterrés tous les Tutsi tués au sein de l’école.
Pour certains, nous les enterrions alors qu’ils respiraient encore. Parmi ces derniers, j’ai trouvé le cadet
de ma famille, qui n’avait que six ans. Cette cadette de ma famille s’appelait Angélique. Je l’avais
trouvée dans le bois et quand je l’ai trouvée elle respirait encore et n’était pas complètement morte.
J’ai tenté de lui parler, mais elle ne pouvait pas répondre. J’ai tourné ma tête, mes collègues l’ont
enterrée mais je n’ai rien dit. Ce qui m’afflige et quand j’y pense aujourd’hui, c’est comme si ça s’était
produit hier. Quand on y jetait quelqu’un, avant qu’on y jette le suivant, on y mettait de la terre, on
pouvait voir la terre bouger par le rythme de la respiration.
J’ai gardé courage, vous me voyez pleurer aujourd’hui, mais je ne pleurais pas. À midi, nous arrêtions
pour manger, A mes compagnons d’infortune, parmi les onze, je leur ai dit:« C’est comme si aujourd’hui
j’étais moi-même mort » et je leur ai dit ce qui s’était passé. Les enterrements se sont ainsi clôturés et
nous sommes restés comme des réfugiés jusqu’au mois de juin. Vers la fin de ce mois-là, il y avait une
autre école à KADUHA enseignant les sciences, et dans cette école il y avait beaucoup d’élèves Tutsi
car eux n’étaient pas encore partis en vacances et étaient tous encore à l’école. Ils disaient qu’ils
allaient nous tuer après avoir tués les élèves de l’école de sciences. Alors que notre directeur nous
tenait des propos blessants, le leur leur parlait gentiment. Le notre disait que lorsque
les Inkotanyi allaient prendre le pouvoir, ceux qui avaient fait de beaucoup d’études allaient
immédiatement être promus députés. Ils nous donnaient des sobriquets, on ne nous qualifiait plus de
Tutsi, on nous affublait de surnoms. Nous entendions parler d’un certain Tito, qui dirigeait les
délégations du FPR, lors des négociations du FPR lors des accords d’ARUSHA [5]. On m’a surnommé
aussitôt Tito RUTAREMARA, et même aujourd’hui, quand je rencontre des gens que je n’ai pas vus
depuis longtemps, certains pensent que c’est mon nom.
En juin, vers 11h, à l’intérieur de l’école sont arrivés en uniformes onze Interahamwe [6], ils avaient aussi
des fusils et des uniformes militaires. Ils m’ont aperçu, et à ce moment-là j’étais maigre et je faisais la
même taille que maintenant. Je dis aux gens que ma croissance à cessé, et je n’avais que 16 ans.
Quand ils m’ont vu maigre et de taille élancée, comme ils disaient que les Tutsi étaient maigres et de
taille élancée, ils disaient que s’ils passaient par là où nous étions, ils vont découvrir à l’intérieur au
moins une vingtaine de Tutsis. Ils s’adressaient à nous. Au retour, nous nous sommes retrouvés en face
de camions qui transportaient des militaires français. Le directeur de l’école des sciences qui avait chez
lui beaucoup de Tutsi, avait su que nous avions été livrés et que c’était les onze Interahamwe qui
allaient nous tuer. Lui n’était pas parti avec le véhicule de l’école. Nous ne savions pas comment il avait
procédé pour se déplacer. Toujours est-il que les militaires français avaient leur campement à
MURAMBI. Ils sont donc arrivés rapidement et ont surpris les Interahamwe avant qu’ils ne nous tuent.
Quand ils sont arrivés sans pouvoir retourner dans les dortoirs, ils nous ont dit de venir directement
dans la cour intérieure. Ils nous ont demandé si on préférait rester sur place ou aller ailleurs. Nous
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avons dit d’aller ailleurs et nous sommes montés dans les camions des militaires et nous étions bien
gardés. Ils nous ont fait rentrer dans l’école des sciences, une fois à l’intérieur nous nous sommes
retrouvés avec d’autres blessés soignés au centre de santé et à l’hôpital de KADUHA. En tout, nous
étions 101 personnes, si ma mémoire est bonne. A part les onze, ainsi que la quarantaine des écoles,
nous étions les seuls à ne pas avoir de blessures sur notre corps. Parmi les personnes que nous avions
retrouvées là-bas, comme c’était en période pluvieuse, et que ceux qui n’étaient pas complètement
morts étaient emportés par cette eau, ce sont ceux-là qui ont été soignés et qui ont retrouvé la vie et
que nous avons retrouvés là-bas. Vous pouvez vous demander comment nous pouvions dormir avec
les élèves avec des machettes et grenades sans qu’ils nous tuent.
Au fur et à mesure que les combats s’approchaient et que l’armée gouvernementale perdait, ils nous
disaient qu’avant de fuir, ils allaient nous tuer. Ils ont été pris de court par l’arrivée des militaires qui
nous ont pris avec eux et ils avaient prévu de nous tuer ce jour dans le courant de l’après-midi. Vous
pouvez comprendre quel genre de dirigeants nous avions: si un directeur autorisait les élèves à dormir
avec des machettes à la vue et au su de tout le monde. En ce qui concerne les personnes qui entraient
dans l’école, il y avait un maçon, ils lui ont demandé de creuser sa propre tombe et de vérifier
s’il rentrait bien dedans. Il a creusé toute l’après-midi, les gendarmes qui étaient là ont supervisé les
élèves et sont allés le tuer et ont mis sur lui la terre qu’il avait creusée. Je rajoute que pendant cette
période que nous avons passée à KADUHA, nous vivions dans le même établissement que Robert
NYANDWI, qui était mon professeur de religion, il vivait dans sa chambre avec des jeunes filles. Dans
ses déplacements, il se déplaçait à moto, et chaque fois qu’il se déplaçait, c’était avec son fusil en
bandoulière.
Nous sommes arrivés à MURAMBI, nous y sommes restés. Lorsque le gouvernement a été mis en
place, nous y étions encore. Nous nous entretenions avec les militaires français et nous leur avons
demandé s’ils allaient nous garder ici, mais avant on avait demandé aux adultes instruits de passer par
le camp pour aller dans la zone du FPR, et de signer. Je faisais parti de ceux qui circulaient pour faire
signer et nous avons fait signer environ 800 personnes. Dans le camp, nous étions mélangés avec les
Tutsi pris dans les collines et aussi avec d’autres personnes fuyant les combats au sud de BUTARE.
Après avoir collecté les signatures, les responsables ont demandé aux militaires français de nous aider
à arriver dans la zone sous contrôle du FPR. Ce fut ainsi fait et à un moment sont arrivés des camions
et toute personne souhaitant entrer dans la zone du FPR devait renter dans ces camions. C’est ainsi
que nous avons survécu.
Ce que je ne vous ai pas encore dit, concernant la famille directe, mon père était décédé en été 1993,
et le génocide est survenu en avril 1994. Donc nous étions avec maman et avec les membres de ma
fratrie: nous étions au nombre de sept. Après avoir survécu, nous nous sommes retrouvés à trois : moi
et mes deux soeurs. En ce qui concerne ma famille du côté paternel, il n’y avait plus personne, tous
avaient été tués en 1963. Du côté maternel, c’était une grande famille, il avait neuf enfants et personne
n’a survécu. Il en est de même de ma grand-mère maternelle tuée à KADUHA. Tout comme les trois
grandes soeurs de ma mère ainsi que leurs familles, elles ont aussi été tuées. Ce qui fait que de ma
famille rapprochée, mes oncles et tantes et cousins, il y a facilement 70 membres tués. Je vous
remercie d’avoir prêté une oreille attentive à mes déclarations.

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Président : Je vous remercie aussi pour votre témoignage qui est très émouvant, mais compte tenu de
l’heure, nous allons devoir interrompre l’audience. Si on peut en fin d’après-midi, on va vous demander
de revenir pour vous poser des questions.
Vue l’heure tardive à laquelle le témoin est invité à revenir à la barre, peu de questions seront posées.
Sur question de monsieur le président, monsieur NDORIMANA va évoquer sa vie actuelle. « Ce
génocide a eu un énorme impact sur ma vie. J’ai eu la chance d’étudier, de me marier, d’avoir des
enfants. Ces derniers me demandent parfois si je n’aurais pas une petite photo de grand-père, de grandmère, de mes frères et soeurs. J’ai beau leur dire qu’ils ressemblent à tel ou tel, ils ne sont pas satisfaits.
En 1963, même si le génocide n’a pas été reconnu, la famille de mon père a été décimée. La spécificité de
GIKONGORO? Dès le 7 avril on a commencé à tuer. »
Une dernière question posée par le ministère public qui veut savoir si, à propos des armes
traditionnelles récupérées sur les réfugiés les 18/19 avril, on peut parler de « fouille ». Le témoin
évoque l’attaque du 15 avril. Les gendarmes tiraient en l’air pendant que les réfugiés se défendaient
avec leurs « armes traditionnelles » et des pierres. On leur a confisqué ces armes pour qu’ils ne
puissent pas se défendre.

Audition de monsieur François SHIKAMA, en visioconférence du Rwanda.
• Présentation.
• Pas de déclaration spontanée.
Président : Quelle est votre activité professionnelle ?
François SHIKAMA : Je suis agriculteur.
Président : En 1994, quelle était votre profession ?
François SHIKAMA: Agriculteur maintenant et avant.
Président : Aujourd’hui habitez-vous au même endroit qu’en 1994 ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : Pouvez-vous nous dire si l’endroit où vous habitiez est éloigné de la paroisse ?
François SHIKAMA: Environ 30 minutes de marche.
Président : Etiez-vous marié en 1994 ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : Aviez-vous des enfants ?
François SHIKAMA : A l’époque, j’avais un enfant.
Président : Que s’est-il passé en 1994 ?
François SHIKAMA : Avant qu’on ne commence à tirer à l’église ou voulez-vous que je parle comment
la guerre a commencé ?
Président : D’abord, avant 1994, faisiez-vous partie d’un mouvement politique ? d’un parti politique ?
Avez-vous participé à des réunions ?
François SHIKAMA : Nous avons participé à des réunions.
Président : Quelles réunions ?

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François SHIKAMA : J’ai pris part à une réunion qui s’était tenue à la place du marché de KADUHA.
Président : Quand est-ce que c’était ?
François SHIKAMA : Je ne me souviens pas de la date, mais c’était avant qu’on tire à l’église.
Président : C’était quelques jours avant ? Quelques semaines avant ? Quelques mois avant ?
François SHIKAMA : Je dirai une semaine avant.
Président : Le président HABYARIMANA était-il déjà mort ?
François SHIKAMA : Non, il n’était pas encore mort.
Président : Qui a participé à cette réunion et quel était l’objet de la réunion ?
François SHIKAMA : Cette réunion était dirigée par le sous-préfet Joachim, Laurent BUCYIBARUTA,
l’abbé NYANDWI, ainsi qu’un commerçant qui s’appelait MPAMYABIGWI. Les autres étaient des
citoyens ordinaires.
Président : C’était un commerçant de KADUHA ?
François SHIKAMA : Il était originaire de MUSEBEYA, à part qu’il exerçait ses activités commerciales à
KADUHA.
Président : Que s’est-il dit à cette réunion ?
François SHIKAMA: Dans cette réunion, on nous a dit que nous connaissions l’ennemi, que c’était les
Tutsi.
Président : Avez-vous vu le sous-préfet dire cela ?
François SHIKAMA : Oui, le sous-préfet Joachim, je l’ai vu.
Président : Avez-vous vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA dire cela ?
François SHIKAMA : Oui, on donnait la parole à l’un, il se levait et parlait, et après c’était le tour de
l’autre et ainsi de suite.
Président : Et le curé NYANDWI aussi a dit cela ?
François SHIKAMA : A la place du marché, je n’ai pas entendu ce prêtre prendre la parole à part qu’il
détenait un fusil comme quelqu’un qui assure la sécurité.
Président : Donc, il était là pour servir de garde du corps du préfet et du sous-préfet ?
François SHIKAMA: Oui, il détenait un fusil de type Kalashnikov.
Président : Vous connaissez bien le curé NYANDWI ?
François SHIKAMA : Oui, il était là, à la maison de KADUHA, il disait tout le temps la messe là-bas.
Président : Est-ce qu’il faisait la messe avec la Kalashnikov ?
François SHIKAMA: Non, vous m’aviez posé la question de savoir comment je l’avais connu.
Président : Donc, vous l’avez vu à la messe ?
François SHIKAMA: Oui, nous allions à la messe, et il nous avait donné le travail de fabriquer des
briques.
Président : Revenons à cette réunion, que vous dites avoir eu lieu avant l’assassinat du Président
HABYARIMANA, mais une semaine avant que vous alliez tirer dans l’église ?
François SHIKAMA : Je vous ai dit qu’une semaine environ après la réunion, il y a eu les tirs dans
l’église.
Président : Mais c’était après ou avant la mort de HABYARIMANA ?
François SHIKAMA : C’était avant.
Président : Le sous-préfet Joachim HATEGEKIMANA, vous le connaissez bien ?
François SHIKAMA: Oui je le connaissais.
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Président : Comment ?
François SHIKAMA: Il était préfet à GIKONGORO, et dans le temps il fût sous-préfet à KADUHA.
Président : Mais, attendez, vous parlez de qui ?
François SHIKAMA : Je parle de Joachim. Il était sous-préfet et le préfet c’était Laurent BUCYIBARUTA.
Président : Avez-vous déjà rencontré le sous-préfet ? Si oui, à quelles occasions ?
François SHIKAMA: Le sous-préfet était aussi à cette réunion.
Président : Avant cette réunion, aviez-vous déjà rencontré le sous-préfet ? Si oui, à quelles occasions
?
François SHIKAMA : Le sous-préfet était à la sous-préfecture de KADUHA.
Président : Vous ne répondez pas à ma question. Est-ce que c’était AVANT cette réunion, vous aviez
déjà rencontré le sous-préfet ?
François SHIKAMA : Avant cette réunion, je ne l’avais jamais vu.
Président : Donc, c’était la première fois ?
François SHIKAMA Oui, lors de cette réunion c’était la première fois, mais je le connaissais déjà avant.
Président : Comment le connaissiez-vous ?
François SHIKAMA : Comme c’était un dirigeant et qu’il avait travaillé dans le secteur d’une autre
cellule, je le connaissais déjà.
Président : Est-ce que vous l’aviez déjà vu ?
François SHIKAMA : Le sous-préfet je le connaissais déjà, nous avons même été codétenus à la prison
de GIKONGORO.
Président : Je ne sais toujours pas si vous l’aviez vu AVANT cette réunion ?
François SHIKAMA : Moi, je l’ai vu le jour de cette réunion qui s’est tenue à la place du marché, avant
je ne l’avais pas vu mais je le connaissais déjà.
Président : J’ai les mêmes questions sur Monsieur Laurent BUCYIBARUTA. Est-ce que c’était la
première fois que vous voyiez le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA: Avant, je ne le voyais pas souvent. Quand je le voyais, c’était dans sa maison au
centre de négoce de KADUHA.
Président : Donc selon vous il avait une maison là-bas ?
François SHIKAMA: Même aujourd’hui il a une maison, il y avait aussi un moulin de sorgho.
Président : Donc tout ça c’était au préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA : La maison c’était à lui, même aujourd’hui cette maison s’y trouve encore, mais
entre-temps je ne sais pas si on l’aurait vendue.
Président : Et donc, vous l’avez vu là-bas dans cette maison ?
François SHIKAMA: Dans cette maison, je l’ai vu une fois et à la cour devant cette maison, il y avait
une barrière.
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, aviez-vous une maison à KADUHA ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, j’avais une maison à KADUHA, c’était une maison personnelle où je
vivais quand j’étais en vacances, je l’avais depuis plus de 20 ans.
Président : Après cette réunion, est-ce que vous avez remarqué des attaques contre les Tutsi
? François SHIKAMA: Pouvez-vous me répéter la question ?
Président : Avant l’attaque qui va avoir lieu à KADUHA, on va reprendre votre expression « tirer sur les
Tutsi » : est-ce qu’il va y avoir des attaques ?
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François SHIKAMA: Avant, je n’avais pas vu d’attaques, par contre, après ces réunions qui ont eu lieu,
c’est là où les massacres ont commencé.
Président : Donc, si je comprends, il y a eu une réunion où l’on vous a dit que l’ennemi était le Tutsi, et
après les attaques ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : En quoi ont consisté ces attaques ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
François SHIKAMA : Vous voyez, on a installé des barrières, des gens venaient et on disait que c’était
des complices. Ces gens sont venus à bord des véhicules et à leur arrivée on les a stoppés à cette
barrière érigée en face de chez Laurent BUCYIBARUTA. Après quoi, on leur a demandé d’exhiber leur
document d’identité. On leur a demandé qui ils voulaient voir et eux ont dit un certain THACISSE ainsi
qu’un enseignant prénommé Antoine, ainsi que quelques autres que j’oublie. On venait les prendre
dans ce véhicule, on les a fouillés et on a trouvé sur eux une chanson des Inkotanyi, je présume que
c’était une cassette. Quand on a trouvé cette chanson sur eux, on a estimé que c’était des complices et
on les a découpés.
François SHIKAMA: Oui.
Président : Vous étiez présent à cette barrière ?
François SHIKAMA: Moi, je travaillais en ville chez un cousin, cette barrière je la voyais, je n’y
travaillais pas mais j’y étais tout le temps.
Président : Donc, vous travaillez en ville chez un cousin, vous êtes tout le temps à la barrière sauf
quand on tue les gens ?
François SHIKAMA : J’étais tout près de là, elle n’était pas éloignée.
Président : Avez-vous vu l’arrestation de ces personnes et leurs assassinats ?
François SHIKAMA : Je les voyais. D’ailleurs, l’une de ces personnes a été tuée, décapitée par mon
grand-frère, qui lui a coupé la tête avec une machette.
Président : Comment s’appelle votre grand frère ?
François SHIKAMA : Straton HISHAMUNDA.
Président : C’est la seule fois où vous avez vu un meurtre, ou il y a eu des attaques avec d’autres
personnes tuées ?
François SHIKAMA: D’autres attaques que j’ai vues, c’est d’une part lorsqu’on tuait les gens à l’église
et d’autre part lorsqu’on avait ligoté les gens à une barrière qui se trouvait chez une blanche qui
s’appelait MILIGHITA. A cette barrière, on y a également ligoté les gens. C’était à l’hôpital près de
l’église.
Président : Quand a eu lieu ce ligotage ? Cette attaque chez la Blanche ?
François SHIKAMA : C’est lorsqu’on leur demandait les cartes d’identité, quand ils ne les trouvaient
pas, ils les ligotaient, les tuaient et les jetaient là-bas.
Président : C’était avant la grande attaque ?
François SHIKAMA : Je ne m’en souviens pas bien, mais c’était avant ou après qu’on ait demandé les
cartes d’identité, je ne m’en souviens pas bien.
Président : Souvenez-vous si des gendarmes étaient là pour protéger la paroisse ?
François SHIKAMA : Des gendarmes, il y en avait, et les militaires également. On disait qu’ils
provenaient de GIKONGORO, mais je ne les connaissais pas.
Président : Quand sont arrivés ces gendarmes ?
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François SHIKAMA : Dans un premier temps, les gendarmes étaient arrivés à KADUHA et ils gardaient
les réfugiés et assuraient leur sécurité.
Président : Combien y en avait-il ?
François SHIKAMA: Ils étaient nombreux, on disait qu’ils gardaient ces réfugiés, et puis on nous a dit
que nous devions pas s’en prendre à ces réfugiés, qu’il fallait attendre l’arrivée du matériel et qu’il ne
fallait pas les provoquer car ils étaient nombreux, que nous n’allions pas pouvoir en venir à bout. Par
après, le matériel a été apporté.
Président : Qui a dit cela ?
François SHIKAMA : C’est SIMBA qui avait dit qu’il ne fallait pas les provoquer, qu’il fallait attendre
qu’on apporte le matériel. Le matériel devait venir de MURAMBI pour KADUHA. Les fusils qui avaient
été utilisés à MURAMBI devaient être également utilisés à KADUHA.
Président : Quand vous parlez de SIMBA de qui parlez-vous ?
François SHIKAMA : Ce n’est pas un militaire ? Aloys SIMBA.
Président : Comment connaissez-vous Aloys SIMBA ?
François SHIKAMA: Il est venu faire campagne à KADUHA et c’est dans ces circonstances- là que je
l’ai connu.
Président : Campagne militaire ou électorale ?
François SHIKAMA : Quand il venait là-bas, je pense qu’il faisait campagne pour devenir député.
Président : A-t-il été élu député ?
François SHIKAMA : Je pense que oui.
Président : Apparemment il n’a pas été élu député, nous l’avions déjà évoqué.
François SHIKAMA: Tout ce que je sais, c’est qu’il est passé par là en faisant campagne.
Président : Aloys SIMBA, vous l’avez vu une fois ? Plusieurs fois ?
François SHIKAMA: Même avant je le connaissais.
Président : Pendant le génocide, avez-vous vu une ou plusieurs fois le colonel SIMBA ?
François SHIKAMA : Je l’ai vu deux fois.
Président : Les deux fois où vous l’avez vu c’était quand ?
François SHIKAMA: Quand en soirée nous étions à l’église, il disait qu’il allait apporter les armes qui
se trouvaient à MURAMBI, et qu’on allait les utiliser à KADUHA.
Président : Cette réunion a eu lieu quand vous étiez à l’église ?
François SHIKAMA : Oui la réunion était à l’église. C’était à ce moment- là qu’il précisait qu’il allait
amener du matériel et qu’il ne fallait pas les provoquer.
Président : Donc, l’attaque allait avoir lieu ? C’était combien de temps avant l’attaque ?
François SHIKAMA : On s’approchait du moment de l’attaque de l’église car nous les avions encerclés
partout, devant, derrière avec les gendarmes.
Président : Donc, les armes sont arrivées au moment de l’attaque ?
François SHIKAMA: Quand les armes sont arrivés, c’était le matin, on les a données à des militaires,
nous autres nous avions des machettes. Les fusils ont été donnés à des personnes qui avaient été
choisies.
Président : L’avez-vous vu avant ou après ?
François SHIKAMA: A l’église c’était la première fois. La seconde fois c’était à KADUHA au domicile
d’un Hutu qui avait épousé une Tutsi, on était allés le fouiller. La personne, c’était le premier substitut
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GASANA et son épouse MUNYANA Monique, on les a trouvés dans les faux plafonds et
immédiatement et sur place on a tué les deux.
Président : Le premier substitut, GASANA, il travaillait à KADUHA ou à GIKONGORO ?
François SHIKAMA: Il travaillait à la sous-préfecture de KADUHA.
Président : Y-avait-il un Tribunal à KADUHA ?
François SHIKAMA: C’était le parquet.
Président : Le parquet était à la sous-préfecture ?
François SHIKAMA: Oui.
Président : Revenons à l’attaque. Vous avez dit, au début, que les gendarmes étaient assez nombreux
et qu’ils protégeaient les réfugiés. Ont-ils participé ensuite à l’attaque ?
François SHIKAMA: En ce qui concerne les gendarmes, ils nous avaient dit que nous allions
commencer très tôt le matin vers 5H et quand quelqu’un tentait de fuir, nous lui barrions la route et les
militaires tiraient.
Président : Est-ce que les gendarmes qui protégeaient à la paroisse sont les mêmes gendarmes qui
ont participé à l’attaque ?
François SHIKAMA : Ce sont eux qui les ont tués en collaboration avec la population.
Président : Donc, est-ce que ce sont les mêmes gendarmes ?
François SHIKAMA : Oui.
Président : Est-ce qu’il y a eu d’autres gendarmes ou d’autres militaires ?
François SHIKAMA : Du côté où je me trouvais, il y en a qui venaient de partout et qui s’ajoutaient, ils
étaient des chargés de voiture.
Président : C’est qui ce « ils », des militaires ? des civils ?
François SHIKAMA: C’était un mélange, c’était toutes ces catégories, les véhicules déposaient les
montagnards qui venaient de la forêt ainsi que d’autres citoyens venant des campagnes.
Président : Est-ce qu’il y avait des militaires en plus des gendarmes chargés de surveiller la paroisse ?
François SHIKAMA: Il y avait aussi des militaires.
Président : D’où venaient ces militaires ?
François SHIKAMA : Je ne sais pas.
Président : Quand a commencé l’attaque ?
François SHIKAMA : Ils avaient dit que le signal c’était pour 3H du matin, mais ça a commencé
concrètement à 5H. Nous étions dans les bois, nous les ramenions après leur avoir barré la route dans
les bois.
Président : La population, vous, aviez-vous une tenue particulière ?
François SHIKAMA : Certains portaient des feuilles de bananiers pour que l’on puisse les reconnaitre
ou pour que si tu passes à côté de lui tu saches que c’était un Hutu.
Président : Et vous, en avez-vous eu ?
François SHIKAMA : Oui, j’en portais aussi et autour du crâne.
Président : Avez-vous vu des autorités, des officiels présents au moment de l’attaque ?
François SHIKAMA : Au moment de l’attaque, c’était la nuit et je n’ai pas pu reconnaitre les autorités.
La dernière fois que je les avais vues c’était quand on a reçu les instructions, pour le reste nous avons
surveillé ces gens et je n’ai plus revu les autorités.
Président : Donc, ce jour-là avez-vous vu le sous-préfet ?
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François SHIKAMA : Non, je ne l’ai pas vu.
Président : Le préfet ?
François SHIKAMA : Non, je ne l’ai pas vu.
Président : Le bourgmestre ?
François SHIKAMA : Non, je ne l’ai pas vu.
Président : Des fonctionnaires de la sous-préfecture ?
François SHIKAMA : Non.
Président : Est-ce que vous connaissez NDUNGIZE Gaspard ?
François SHIKAMA : Je le connais mais je ne pense pas l’avoir vu ce jour-là, je pense que c’était
quelqu’un originaire de MUSANGE.
Président : Combien de temps a duré l’attaque ?
François SHIKAMA : Ça avait commencé à 5H, et ça a continué jusqu’à 11H30. C’est à 11H30 que ceux
qui restaient sont partis. Le reste c’était des enterrements.
Président : Est-ce que le curé NYANDWI a participé à l’attaque ?
François SHIKAMA : Il était à la barrière qui se trouvait chez la Blanche, à cette barrière beaucoup de
gens furent tués, c’est à cette barrière qu’il opérait.
Président : Il était à cette barrière le jour de l’attaque ? Le jour où on a tiré ?
François SHIKAMA : Ce jour-là je ne l’ai pas vu, il y avait beaucoup de gens. Avant, je le voyais à la
barrière, quand on arrêtait et tuait les gens qui n’avaient pas de papiers d’identité et qu’on les jetait
dans les latrines. C’étaient des fosses qui avaient été creusées par les réfugiés.
Président : Qui a creusé ces fosses ?
François SHIKAMA: C’étaient des fosses qui servaient de latrines, là où les réfugiés venaient faire leurs
besoins.
Président : Qui a creusé ces fosses ?
François SHIKAMA : Les réfugiés qui étaient là-bas, c’est là où l’on jetait les gens.
Président : Savez-vous qui a demandé aux réfugiés de creuser les fosses ?
François SHIKAMA : Non.
Président : Avez- vous participé à l’enterrement des personnes qui ont été tuées ?
François SHIKAMA : Quand j’y suis allé, c’était tout simplement pour prendre du riz. Quand je suis
arrivé j’ai trouvé qu’on distribuait gratuitement du riz, quand tu portais 10 cadavres, tu recevais un
petit sac de riz.
Président : Donc, vous vous êtes allé porter des cadavres pour avoir du riz ?
François SHIKAMA : Tout simplement, je suis allé là-bas et on m’a donné le riz et je suis parti. Le
lendemain, comme les morts étaient nombreux, MILIGHITA donnait de l’argent à certains et du riz. aux
autres
Président : Qui a donné de l’argent ?
François SHIKAMA : MILIGHITA, c’est la Sœur.
Président : Il y a des gens qui sont morts dans l’église ?
François SHIKAMA : L’église était remplie de cadavres, ainsi que partout ailleurs, dans les salles de
classe.
Président : Des gens sont morts dans les salles de classe, est-ce que ces gens sont morts dans le
presbytère ?
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François SHIKAMA : Dans les bureaux il y en avait, dans les bureaux d’en haut, certains avaient été
tués par balle, d’autres avaient succombé à leurs blessures par des grenades.
Président : On a tué des gens au Centre de santé ?
François SHIKAMA : Partout où tu passais tu trouvais des cadavres.
Président : Il y avait des classes juste à côté de la paroisse, il y avait une école pour infirmier, et une
autre, on est allé tuer dans toutes les écoles ou juste dans certaines ?
François SHIKAMA : Il y avait un endroit à côté de l’école primaire où l’on apprenait l’usage de la
machine à coudre, et partout dans d’autres écoles aucun lieu n’a été épargné.
Président : Vous avez été entendu à plusieurs reprises. D’abord, dans le cadre de procédures instruites
au Rwanda, notamment le 21 novembre 1995 (D7004), le 14 décembre 1995 (D6096), puis le 17 février
1999 (D7007, 7008, 7016-7019). Dans cette dernière audition, on vous a proposé de plaider coupable
dans le cadre des procédures dont vous étiez l’objet. Avant cette date, vous aviez dit que vous n’étiez
jamais allé à KADUHA vous n’aviez jamais tué un Tutsi. En 1999, vous avez déclaré avoir tué une jeune
fille nommée INGABIRE, et une autre jeune fille dont on ignore le nom, et que vous aviez commis ces
actes à la suite d’une réunion avec le sous-préfet. Vous aviez indiqué qu’il y avait eu une réunion avec
le sous-préfet et qu’il avait dit « la sécurité a été restaurée, j’ai demandé que les Tutsi cachés dans les
brousses rentrent chez eux et si l’un réapparait, tuez le ». Vous avez déclaré avoir croisé autre jeune fille
et qu’alors vous avez frappé cette victime à l’aide d’une houe et qu’un certain Clément avait été
témoin de cette scène : « J’ai commis ces actes suite à la réunion avec le sous-préfet et suite aux propos
du colonel SIMBA. Il nous a rejoint dans cette région à KADUHA et nous a dit que nous devions nous
débarrasser de l’ennemi et que celui qui ne participait pas aux attaques serait aussi l’ennemi ». Vous
avez dit, concernant SIMBA, qu’il avait tué deux personnes à KADUHA : GASANA (premier substitut) et
Monique (une enseignante). Vous aviez dit que s’agissant de l’attaque à KADUHA, vous n’aviez tué
personne : « lors de cette attaque…je ne suis pas retourné à KADUHA ». Alors dans ces déclarations
qu’est-ce qui est vrai ?
François SHIKAMA : Je vais expliquer comment j’ai tué ces gens. Quand je les ai tués, je revenais de
cette réunion, je n’étais pas à KADUHA. La nommée INGABIRE, je l’ai tuée chez moi à la maison alors
qu’elle s’y était réfugiée. L’autre je l’ai tuée quand nous rentrions de cette réunion du sous-préfet,
lorsqu’on disait que la paix était revenue et c’était au lendemain des massacres de KADUHA.
Président : Le lendemain ?
François SHIKAMA : C’était le lendemain. Elle avait été tailladée.
Président : Qu’a-t-on dit à cette réunion avec le sous-préfet ?
François SHIKAMA : Dans cette réunion, on disait que l’ennemi était connu, que c’était le Tutsi, et
qu’il fallait l’éliminer partout où nous le voyions.
Président : Tout à l’heure, quand j’ai lu votre déposition, vous avez parlé d’une réunion avec le souspréfet dans laquelle il a parlé de la restauration de la sécurité. Elle a existé cette réunion ?
François SHIKAMA: Cette réunion a eu lieu. Cette réunion rassurait les gens de leur cachette et disait
que la paix était revenue. Mais, en réalité, la paix n’était pas revenue, les réfugiés sortaient de leur
cachette, mais quand quelqu’un y apparaissait, ils étaient tués.
Président : C’est comme ça que vous avez tué un Tutsi?
François SHIKAMA : À l’époque, c’est ainsi que nous les avons tués.
Président : Avez-vous quelque chose à ajouter, Monsieur ?
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François SHIKAMA : Ce que je dirai, c’est que ce que nous avons fait c’est mauvais et nous n’allons
jamais le refaire et je demanderai à ceux qui nous ont incité à le faire de le reconnaitre pour qu’ils
voient leur peine allégée.
Président : Vous avez également été interrogé par les enquêteurs du TPIR, je n’ai retrouvé qu’un seul
PV, concernant une audition en date du 20 janvier 2004. (D6061 à 6063 et D6086 à 6088). Vous
souvenez- vous combien de fois vous avez été entendu par les enquêteurs du TPIR ?
François SHIKAMA : Je ne me souvenais pas du nombre de fois.
Président : Dans ce dernier interrogatoire, vous évoquez à nouveau le meurtre de Monique et de
GASANA, cachés au domicile de GASANA. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous étiez là ? Témoin de
ces meurtres ?
François SHIKAMA : Lorsque les gens sont venus à l’église, on a dit que chez GASANA était cachée
une femme Tutsi, et que la personne qui l’avait chez lui était un Hutu. Le jour venu, on est allés fouiller
dans ce domicile avec les gendarmes, et on y a trouvé cette personne et nous l’avons tuée.
Président : Voulez -vous ajouter quelque chose ?
François SHIKAMA : C’est que après qu’on ait tué par balles ces gens, il y a d’autres gens qui ont
profané les corps et même certains ont avoué ces faits. Je ne crois pas avoir autre chose à dire.
Président : Que voulez-vous dire par « on a profané les corps » ?
François SHIKAMA Vous voyez tout ce qui concerne les femmes, une femme a avoué être allée
frapper un corps alors qu’il était déjà mort. Cette femme en question est emprisonnée pour cela.
Président : Comment s’appelle-t-elle ?
François SHIKAMA : Je ne me souviens pas de son nom, elle est aujourd’hui incarcéée. Condamnée à
30 ans.
Président : Par quelle juridiction ?
François SHIKAMA Par la juridiction GACACA de KADUHA.
Président : Savez-vous si des attaques ont eu lieu à NYANZA ou du côté de la préfecture de BUTARE
avant ou après les attaques de KADUHA ?
François SHIKAMA : Je n’ai pas eu d’information au sujet de ces attaques, à part ce que j’ai entendu
dire : que SIMBA avait pris des jeunes gens pour aller attaquer à NYANZA et qu’ils ont rencontrés des
Inkotanyi, donc ils sont revenus.
• QUESTIONS À LA COUR.
Assesseur : Pouvez-vous nous rappeler la période à laquelle vous avez été incarcéré ?
François SHIKAMA : Je ne m’en souviens pas.
Assesseur : Souvenez-vous d’avoir été entendu par des gendarmes français en 2015 ?
François SHIKAMA : Oui.
Assesseur : Dans cette audition, vous avez indiqué avoir fait de la prison de 1995 à 2003, que vous
avez été condamné à 12 ans et que vous avez plaidé coupable. Donc moi, j’ai compris que vous avez
eu une grâce présidentielle, c’est ça ? Ça vous parait correspondre ?
François SHIKAMA : Non, je n’ai pas bénéficié de la grâce, j’ai plaidé coupable et j’ai bénéficié d’un
allègement de la peine. J’ai ensuite fait des TIG.
Assesseur : Donc, quand vous voyez les Français tout est fini ?
François SHIKAMA : Je ne m’en souviens pas bien.

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Assesseur : J’imagine qu’à ce moment- là vous en aviez fini avec la justice. Les gendarmes français
vous ont demandé si vous aviez vu Laurent BUCYIBARUTA dans la période d’avril 1994, souvenez-vous
de ce que vous leur avez répondu ?
François SHIKAMA : La réponse que je leur ai donnée c’est qu’il donnait des réunions qui incitaient
aux tueries.
Assesseur :« Je ne me rappelle pas de lui pendant le génocide, je sais juste que devant sa propriété il y
avait une barrière, je n’en sais pas plus sur lui, je ne l’avais pas vu ». Comment je fais, moi juge, pour
savoir si vous avez vu ou pas Monsieur le préfet Laurent BUCYIBARUTA, car pendant la période du
génocide vous dites très clairement que vous ne l’avez pas vu, et pendant votre audition aujourd’hui et
là encore il y a 30 secondes, vous dites l’avoir vu à des réunions et l’avoir entendu dire des choses.
François SHIKAMA : Je l’ai vu, à moins que ce que j’ai déclaré avant ait été mal noté, je l’ai toujours
dit. Je l’ai vu lors des réunions.
Président : Il me semble que ni les enquêteurs français, ni les enquêteurs rwandais ont noté que vous
avez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA : Là où j’ai nié l’avoir vu, c’est pour avoir tué une personne, mais pour la réunion il
était là.
Président : Vous ne l’aviez pas mentionné.
François SHIKAMA : Je l’ai dit à part qu’on ait mal noté mes propos.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES :
Me TAPI : Au moment du génocide, vous avez a peu près 27 ans ? Et vous avez déclaré ici avoir tué la
fille INGABIRE, quel âge avait-elle ?
François SHIKAMA : Elle était jeune, elle devait avoir 7 ans ou 8 ans.
Me TAPI : Par qui avez-vous été recruté exactement ?
François SHIKAMA : Pour les tueries ?
Me TAPI : Oui, pour les tueries.
François SHIKAMA : Moi, j’ai entendu les directives, j’ai suivi et j’ai tué.
Me TAPI : Pas un nom ? Une autorité ? Quelqu’un ?
François SHIKAMA: Voyez-vous, il y a avait le sous-préfet qui tenait la réunion, le préfet, les
gendarmes qui disaient « venez travailler ». Ces autorités nous disaient que l’ennemi c’est le Tutsi et
nous l’avaient bien fait comprendre. Nous sommes entrés dedans et nous avons commis cela.
Me TAPI : Parmi ces autorités, il y avait le préfet, le sous-préfet et les gendarmes ?
François SHIKAMA: Oui.
Me TAPI : A chaque fois que vous massacrez quelqu’un, recevez-vous une récompense ?
François SHIKAMA : Il n’y avait pas de récompense, mais par contre quand on n’allait pas participer
aux tueries, quand on avait fait une bière traditionnelle, et que tout le monde se rassemblait, on te
donnait une bière en dernier car tu n’avais tué personne.
PAS DE QUESTION DU MINISTÈRE PUBLIC.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me LÉVY : Monsieur le Président vous a rappelé vos déclarations devant les enquêteurs rwandais et
vous aviez évoqué une réunion avec le sous-préfet HATEGEKIMANA et le colonel SIMBA au cours de
laquelle il avait été dit que l’ennemi était le Tutsi. Vous n’aviez pas mentionné le préfet Laurent
BUCYIBARUTA ?
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François SHIKAMA : Je vous ai expliqué que je l’avais dit, à moins qu’on n’ait pas noté.
Me LÉVY : Lors de votre témoignage, vous évoquez aussi une réunion avec le colonel SIMBA et le
sous-préfet avant l’attaque de KADUHA, et là encore vous ne mentionnez pas la présence du préfet
Laurent BUCYIBARUTA ? Comment l’expliquez- vous ?
François SHIKAMA : Là où j’ai dit que je ne l’avais pas vu, c’était pour tuer quelqu’un mais pour les
réunions je l’ai dit.
Me LÉVY : Mais là, vous ne le mentionnez pas justement ? Lors de ces réunions ?
François SHIKAMA : Je ne l’ai pas vu tuer une personne, mais j’ai toujours mentionné concernant les
réunions, les seules fois où je ne l’ai pas vu c’est par rapport à tuer une personne.
Me LÉVY : Pensez-vous que c’est crédible aujourd’hui ? Que tant les enquêteurs français que les
enquêteurs rwandais n’aient pas retranscrit vos informations ?
François SHIKAMA : Je l’ai toujours dit qu’il a fait tenir ces réunions.
Me LÉVY : Est -ce que quelqu’un vous a demandé de modifier vos déclarations pour accuser le préfet
Laurent BUCYIBARUTA ?
François SHIKAMA : Non personne.

Audition de monsieur Stanislas HIGIRO, rescapé cité par le ministère public.
« Je voudrais vous parler des massacres commis à la paroisse de KADUHA, massacres qui ont commencé
à MUSHUBI. Le comptable GACENDELI venait d’être tué. Des gens affluaient de partout vers la paroisse.
Vers 10 heures, l’église était pleine de réfugiés: le sous-préfet et son secrétaire sont venus s’enquérir de la
situation. Après avoir fait procéder à un recensement des réfugiés, ces derniers ont été dépouillés de leurs
bâtons et de leurs machettes.
Les cris des enfants sont parvenus aux oreilles de Sœur MILIGHITA au Centre de santé. Il fallait préparer
de la bouillie mais il n’y en avait pas assez vu le nombre élevé d’enfants. Même chose pour l’eau qui avait
finie par être coupée. On nous a fait creuser des tranchées qui devaient être utilisées comme latrines.
Le sous-préfet disait que les gendarmes allaient venir de GIKONGORO pour assurer notre sécurité. Le 8
ou le 9, une dizaine de gendarmes sont arrivés dont deux chez les religieuses. A l’extérieur, la sécurité
évoluait de mal en pis, les maisons étaient détruites ou brûlées. Ceux qui se hasardaient à aller puiser de
l’eau dans la vallée étaient tués.. A partir du 19/20 avril, il n’était plus possible d’aller acheter de la
nourriture.
Le 21, vers 5 heures du matin, on a fait exploser une grenade, signal donné pour aller tuer. Les tueries ont
continué jusqu’à 10 heures. On tuait, on tuait, on coupait…
A un certain moment, le bruit des armes a diminué. Le tueurs qui portaient des armes traditionnelles ont
continué leur travail. Au bout d’une heure, une voiture chargée de munitions est arrivée. Ils ont beaucoup
tué à l’hôpital.
J’ai pensé qu’ils allaient me tuer. Je suis allé me cacher dans un trou où on jetait les seringues usagées.
J’ai recouvert ce trou d’une planche. Vers 19h30, la religieuse a envoyé un employé voir si le personnel

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tutsi n’avait pas été tué. La jeune fille à laquelle j’avais révélé ma cachette a gardé le silence, mais
menacée de mort si elle ne disait rien, elle a fini par céder à la pression des tueurs. Je suis sorti de là.
Le lendemain, les tueries des voisins ont continué. Je suis resté sur place avec les enfants en bas âge et
quelques femmes blessées à la tête. Les attaquants étaient allés tuer le personnel de l’hôpital. Je dormais
sur place, mes deux parents ayant été tués.
On a dit à la religieuse qu’elle risquait d’être tuée à son tour par les Inkotanyi. Elle est partie.
Les militaires français sont arrivés et nous ont conduits à MURAMBI début juillet.. Nous avons vécu là
deux à trois semaines, à mener une mauvaise vie.. Les militaires nous donnaient des biscuits. Nous leur
avons demandé de nous aider à rejoindre la zone occupée par le FPR, à GITARAMA ou BUTARE.
Il faudrait écrire un livre pour tout raconter. »
Sur questions de monsieur le président, le témoin dit qu’en 1994 il avait 17 ans, était célibataire et
vivait chez ses parents.. Son papa travaillait avec lui chez les religieuses en tant que jardinier. Lui
travaillait aussi au Centre de santé, nettoyait le sol ou participait aux campagnes de vaccination. Sur les
dix enfants de la famille, ils ne resteront plus qu’à deux. Il compte une soixantaine de victimes dans sa
famille élargie.
Il a vu le sous-préfet qui venait chez sa soeur, mais il n’a jamais vu Laurent BUCYIBARUTA. Il le
connaissait toutefois car il possédait une maison à KADUHA. Il y venait avant le génocide.
Concernant le prêtre burundais NYANDWI, il ne l’a jamais vu tuer car il se cachait. Mais beaucoup l’ont
dit. Ce prêtre portait un fusil sur sa soutane et discutait beaucoup avec les politiciens.
Le président: Vous avez dit que les combats s’arrêtent puis reprennent. Vous en avez été témoin vousmême?
Stanislas HIGIRO: J’étais à l’intérieur et j’entendais le bruit des ares. J’ai interprété l’arrêt comme un
manque de munitions.
Le président: pourquoi les enfants de l’orphelinat ont-ils été épargnés.
Stanislas HIGIRO: La soeur donnait de l’argent aux militaires. Ils ont été sauvés grâce à elle. Sœur
MIRIGHITA a agi avec abnégation. Elle a tout fait pour nous sauver. Elle avait demandé de l’aide à
Laurent BUCYIBARUTA mais ce dernier n’a pas répondu. Elle s’était aussi adressée à l’ambassade
d’Allemagne. Monseigneur MISAGO est venu rendre visite à la religieuse. Après le départ de soeur
MILIGHITA, les enfants ont été évacués par la Croix Rouge et Terre des Hommes. Il y avait environ 70
enfants. Certains enfants blessés ainsi que des adultes sont restés avec nous.
« Je voudrais ajouter quelque chose: la justice devrait nous rétablir dans nos droits. Il faut que les crimes
soient sanctionnés. Quand nous apprenons que justice a été rendue, cela nous soulage. Nous réclamons
des dommages et intérêts. »
Le président: et le colonel SIMBA,
Le témoin: Je ne l’ai pas vu même s’il est venu la veille du 21. On m’a dit, plus tard, que le militaire qui
était venu n’était pas SIMBA. Il est parti ensuite avec les officiels;
Le président: vous connaissiez Madeleine RTAFFIN ?
Le témoin: elle est venue à KADUHA entre le 8 et le 21 avril mais je ne l’ai pas vue. puisque vous me
posez la question, je suis marié et j’ai cinq enfants.

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Maître GISAGARA veut savoir si la religieuse avait besoin de l’accord de l’ambassade pour partir. La
lettre remise au sous-préfet était bien destinée au préfet? Le témoin confirme.
Maître TAPI, quant à lui, voudrait savoir à quelle date cette lettre a été remise. Autour du 11 avril,
répond le témoin.
Maître BIJU-DUVAL demande au témoin s’il en sait davantage sur l’appel téléphonique du sous-préfet
au préfet. Monsieur HIGIRO n’en sait pas plus. L’avocat de la défense voudrait aussi se convaincre que,
de là où il se cachait, le témoin pouvait bien voir ce qu’il dit avoir vu, entre autres le passage des
autorités.

References
↑1

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑2

Sœur MILGITHA KÖSSER a documenté le massacre des Tutsi réfugiés dans la paroisse de
Kaduha dans un album photo déjà évoqué lors de l’audition d’Hélène Dumas. Voir
également « Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de
l’attestation, Hélène Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10)

↑3

Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande
raciste. Cf. Glossaire.

↑4

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑5

Accords de paix, signés en août 1993, à Arusha (Tanzanie), entre le gouvernement du Rwanda
et le FPR (Front patriotique Rwandais). Ils prévoient notamment la diminution des pouvoirs du
Président HABYARIMANA au profit d’un gouvernement « à base élargie » (cinq portefeuilles
sont attribués au FPR), l’intégration des militaires du FPR dans la nouvelle armée
gouvernementale, la nomination de Faustin TWAGIRAMUNGU au poste de Premier ministre
et l’envoi d’un contingent de 2 500 hommes de l’ONU, la MINUAR, pour faciliter la mise
en place des nouvelles institutions. Le président HABYARIMANA fit tout pour différer la
mise en place de ces accords. L’attentat contre lui survint le soir du jour où il s’y résigna.

↑6

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du jeudi 9
juin 2022. J20
10/06/2022

• Audition de madame Adrienne MUKATAKO, rescapée.
• Audition de madame Alphonsine MUKAHIRWA, rescapée, en visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Albertine MUTAMURIZA, rescapée, partie civile, en visioconférence du
Rwanda.
• Audition de madame Médiatrice MUKANEZA, rescapée citée par le ministère public.
Audition de madame Adrienne MUKATAKO, rescapée.
« Je voudrais parler du déroulement du génocide. Ça commence en 1959, j’étais encore en bas âge mais
j’en ai entendu parler. Au fur et à mesure que je grandissais, on me racontait comment en 1959 on tuait,
pillait, on prenait les vaches, on incendiait les maisons. On prenait les biens des Tutsi mais on ne tuait
pas les gens, on les laissait s’enfuir. Le génocide a eu lieu en 1963: à ce moment-là, j’avais plus ou moins
5 ans et je me souviens de la plupart des évènements tels qu’ils se sont déroulés. Autour du 25 décembre,
les gens ont qualifié cela de « Noël sanguinaire ». Il y a eu des attaques contre la population et des gens
ont été tués. Du bétail a été tué, des maisons détruites aussi mais essentiellement, on tuait les gens. En
décembre, ils ont tué deux de mes frères. Et au niveau de la famille, ils ont aussi tué deux cousins qui
vivaient avec nous, ainsi que des voisins. J’en arrive rapidement au génocide de 1994.
À ce moment-là, quand c’est survenu, j’étais déjà mère de famille, j’avais 36 ans. Ça a démarré à la mort
du Président HABYARIMANA. Le lendemain de cette mort, les policiers communaux ont attaqué la
population des environs, ils ont tué les gens près du bureau communal. Nous avons été attaqués. Ces
policiers communaux ciblaient les gens aisés, ils prenaient les biens et tuaient. Le jour suivant, le samedi,
ils s’en sont pris cette fois-ci à toute la population de notre ville. C’est pourquoi nous avons fui.

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Église de Kaduha
Nous autres, qui avions pu échapper, avons trouvé refuge à la paroisse de KADUHA. Nous avons d’abord
passé une nuit parmi la population puis le matin, ceux qui nous hébergeaient nous ont dit: « Fuyez, voici
les attaques qui arrivent, fuyez ». Ainsi nous sommes allés à la paroisse, nous y avons rejoint ceux qui
étaient arrivés la veille. Beaucoup, beaucoup de gens s’y étaient réfugiés, je crois que ça pouvait aller audelà de 300 000, même si je ne connais pas les gens (NDR. Chiffre qui ne peut pas correspondre à la
réalité). Nous avons donc vécu cette vie difficile sans boire ni manger, on ne pouvait pas se laver. Nous y
avons passé trois semaines. Si on avait un proche qui était resté parmi la population, nous pouvions
payer 5000 francs aux gendarmes et ils nous accompagnaient pour chercher la personne en question.
Certains étaient arrivés avec des armes, ils pensaient qu’ils allaient peut-être se battre mais les
gendarmes leur ont enlevé ces armes. Des attaques venaient tous les jours mais comme nous étions
nombreux nous pouvions les repousser.
Nous étions gardés par de nombreux gendarmes, nous nous disions que nous allions survivre. Le 20, on
nous a dit que ceux qui avaient des armes à la paroisse pouvaient aller les récupérer car nous avions eu
vent que le lendemain nous allions être attaqués. Le lendemain, le 21, vers 5h du matin, alors que nous
étions partout dans les salles de classe, dans l’église, partout, au moment où d’autres remplissaient des
cours à l’extérieur, nous avons entendu le bruit d’une puissante arme à feu. À ce moment-là, comme ils
ne visaient personne, je me suis dit que c’était un signal pour rassembler les gens. Sont arrivés beaucoup,
beaucoup de gendarmes qui étaient venus de KIGALI, leur nombre avait augmenté. Nous autres sommes
sortis du bâtiment pour nous mettre à l’extérieur, nous nous disions que c’en était fini pour nous, nous
allions être exterminés.
À l’extérieur, beaucoup d’attaques comptant en leur sein des gendarmes nous ont ciblés. Ceux qui étaient
là ont essayé de se défendre avec les pierres mais ils s’affrontaient aux gens qui avaient des armes à feu.

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Beaucoup de gens sont morts, ceux qui survivaient couraient. On a continué ainsi, qui devait mourir, est
mort et qui était encore vivant résistait. Vers midi, on a constaté que nous étions vaincus. En ce qui me
concerne, je suis partie avec mes enfants et je portais un bébé au dos. Je me suis arrêtée et je suis arrivée
chez une religieuse MILGITHA [1]. Je me sentais fatiguée et je me suis résolue à m’asseoir là-bas. Sur la
route, Ils ont tué mon enfant aimé. J’avais en fait 4 enfants.
Je me suis assise dans une bananeraie en contrebas de la route. Je suis restée longtemps, jusqu’à 17h.
J’étais assise sur un ravin, quelqu’un m’a donné un coup de gourdin sur la tête, je suis tombée dans le
ravin en question. En descendant, j’étais avec un bébé qui n’avait pas encore eu un mois. Cet enfant et
moi sommes tombés ensemble dans le ravin. Ils se sont saisis de celui d’en haut, lui ont donné un coup
de gourdin, sa tête a immédiatement enflé et cet enfant est tombé lui aussi à côté de moi. Lorsqu’on
frappait ces gens, on le faisait vite, les gens mouraient sur place. Je suis restée là, très affaiblie. La nuit est
tombée rapidement. Ils sont revenus, ils fouillaient dans les poches des gens à la recherche d’argent. L’un
d’entre eux est arrivé vers moi, il me palpait et il a senti que je respirais encore. Il m’a demandé pourquoi
je ne lui avais pas dit que j’étais encore vivante. Quand il a vu que je ne répondais pas, il a pris les 150
francs que j’avais sur moi. Quand il a vu que je n’avais que cette somme, il m’a donné des coups de
couteau, ici au niveau de la gorge et au niveau de la tête. Le témoin montre les cicatrices à la Cour.
Après qu’il m’eut donné ces coups de couteau, il s’en est pris à cet enfant à qui ils avaient donné des
coups sur la tête. Ils lui ont enfoncé un couteau dans l’abdomen. Cet enfant avait 5 ans. Quant à mon
enfant qui venait de naitre, il était très petit et il est mort immédiatement quand ils lui ont donné des
coups de couteau. J’ai beaucoup saigné. Ils sont revenus pour faire le tour des corps et vérifier qu’on était
morts. Alors qu’ils faisaient le tour des corps, ils ont dit qu’ils allaient revenir le lendemain et que si
quelqu’un était encore vivant, ils allaient lui donner son enfant pour qu’ils le mangent. J’ai attendu
comme ça, ne voyant pas exactement ce qu’il fallait faire mais sachant que le lendemain ils allaient
revenir avec cet enfant pour que je le mange. Je me suis dit qu’il fallait que je me mette de l’autre côté,
qu’ils me trouvent de l’autre côté et qu’ils me fassent manger au moins un enfant qui ne soit pas le mien.
J’ai abandonné cet enfant qui respirait par là où on avait enfoncé le couteau.
J’ai donc continué à me déplacer en vue de trouver un endroit où me cacher. J’ai traversé un petit
ruisseau comme si je retournais chez moi. En cours de route, le jour s’est levé et je me suis dit que je
risquais de rencontrer les gens qui allaient me tuer. Je me suis cachée à un endroit où on fabriquait des
briques. Là où nous étions, on nous avait demandé de creuser des fosses qui étaient censées être des
latrines, nous les avions laissés là-bas pour les utiliser. La veille, nous avions acheté du riz, MILGITHA en
avait apporté, c’était 5 francs, le kilo. Les conseillers de secteur ont fait le tour des populations en disant
qu’il fallait aller à la paroisse prendre du riz. Les gens sont allés à la paroisse. Pour obtenir 10 kilos de riz,
il fallait prouver qu’on avait enterré 10 corps. On jetait les cadavres dans ces fosses, aussi bien ceux qui
étaient morts, que ceux qui respiraient encore. Moi j’étais parmi les blessés, beaucoup ont été enterrés
alors qu’ils étaient encore en vie.
Pour ma part, j’ai attendu que la nuit tombe et me suis dirigée vers la population voisine de là où
j’habitais. Je me suis approchée d’une connaissance qui m’a accueillie mais qui m’a dit que je ne pouvais
pas passer la nuit car il y avait un risque qu’on me trouve et qu’on me tue avec eux. Il m’a mis dans des
brousses près de là. La pluie m’a mouillée de la journée jusqu’au soir et cette personne a considéré que la
pluie allait nous tuer. La nuit, il est venu me voir: « De toute façon, il y a un risque que cette pluie te tue,
reviens voir à la maison ce que nous allons faire ». Il avait préparé un peu de bouillie, m’en a fait boire et
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après il m’a dit que des gens avaient appris que j’étais là et qu’ils risquaient de me tuer. Je suis retournée
à l’endroit même où nous habitions. Un jeune homme qui nous avait accompagné de notre domicile à
KADUHA a accepté que nous entrions chez lui. Nous sommes restés trois semaines.
Après, les gens ont su que je me trouvais à cet endroit avec trois enfants, mais qui n’étaient pas les miens.
Mon enfant, entre-temps a aussi su que j’étais là-bas et m’y a rejointe. Nous y sommes donc restées,
constatant que la situation s’envenimait.
Les personnes qui nous cachaient avaient peur elles aussi car les attaquants allaient fouiller dans les
maisons, cherchant qui cachait qui. Pour finir, ceux qui nous cachaient ont eu peur et je suis retournée à
la case départ chez le jeune homme. C’était le mois de mai, j’y suis restée en juin et en juillet sans sortir.
Quand on nous disait que les attaques arrivaient, nous allions dans les brousses et nous revenions la
journée. Nous sommes restées là en nous disant que tout le monde avait été exterminé. Mes proches je
les avais laissés à KADUHA, je savais que tout le monde était mort, que ce soit mon mari, mes enfants,
mes parents. Tous les membres de ma fratrie étaient morts.
Finalement le 28 juillet, alors que nous n’arrivions pas à trouver comment sortir de là, que nous étions
restés cachés alors qu’on savait que les Inkotanyi [2] avaient pris le pays et que la paix était revenue, un
proche parent nous a dit que maintenant plus personne ne se cachait, tout le monde était sorti des
maisons. Qu’on pouvait aller à l’extérieur, dans les camps gardés pas les Français [3]. Je leur ai adressé
une lettre, nous étions cinq, j’ai dit que si possible, ils pouvaient venir nous chercher et nous mettre au
camp. J’ai écrit aux français le 27 et le 28 ils sont venus avec l’enfant à qui j’avais confié la lettre, pour
qu’il montre là où nous étions. Arrivés devant la maison, ils ont dit qu’ils venaient chercher les Tutsi
cachés sur place. Dans un premier temps, nous avions eu peur puis nous nous sommes dit que c’était eux
: comme ils étaient venus avec le garçon, nous pensions que c’était pour nous tuer. Nous sommes montés
dans leur véhicule et là encore la population a tenté de se battre mais quand la population voulait
s’approcher de nous, les Français leur disaient d’arrêter et de nous laisser.
Ainsi nous avons été conduits à MURAMBI, à GIKONGORO. Avant d’y arriver, nous sommes passés par
des camps où les gens nous lançaient des pierres alors que nous étions dans les véhicules des Français. À
MURAMBI, nous avons constaté que certains avaient déjà quitté le camp pour KIZI à MARABA. À KIZI,
sont arrivés immédiatement les gens de la MINUAR, les Français étant partis. Les concernés ont dit que
ceux qui souhaitaient aller dans la zone des Inkotanyi pouvaient y être amenés. Nous sommes donc
partis avec les militaires qui nous avaient donné de quoi manger. Une fois à MARABA, nous pouvions
chercher un proche parent et on t’amenait chez lui. Ainsi nous avions quitté le camp et une autre vie a
commencé. »
Président : J’ai bien compris si je dis que tous les membres de votre famille sont morts sauf un de vos
enfants ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, sauf un seul de mes enfants qui est toujours vivant mais qui est
traumatisé: il pense tout le temps qu’il risque d’être tué. Nous le conduisons à l’hôpital, on le soigne,
mais ça revient. Il a 38 ans.
Président : Où habitiez-vous en avril 1994 ?
Adrienne MUKATAKO : J’habitais dans la commune de MUKO, préfecture de GIKONGORO, le secteur
de MUSENYI.
Président : Quel était le nom du bourgmestre ?
Adrienne MUKATAKO : KAYIHURA Albert.
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Président : Etiez-vous agricultrice ?
Adrienne MUKATAKO : Oui.
Président : Vous avez indiqué que peu de temps après l’annonce de la mort de HABYRIMANA, ce sont
les policiers communaux qui ont commencé les attaques ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, HABYRIMANA est mort le 6 avril, et c’est le 7 qu’ils ont commencé à tuer
les gens qui habitaient là-bas, à la commune, au Centre de santé, à la paroisse.
Président : Il a été évoqué à plusieurs reprises dans les témoignages que le comptable de la commune
a été tué ?
Adrienne MUKATAKO : Il a été tué le 7 avec son épouse et un enfant. Il s’appelait GACENDELI.
Président : Vous nous dites qu’au début ceux que l’on attaque ce sont les plus riches ?
Adrienne MUKATAKO : Ce jour là, ils ont attaqué le comptable, ainsi que les autres du Centre de
santé. Les jours qui ont suivi, ils sont venus attaquer sur notre colline. Ils ont d’abord ciblé les gens qui
possédaient des objets de valeur, par exemple, quand tu avais une moto ils venaient la voler de nuit.
Président : Ceux qui sont ciblés ce ne sont que les Tutsi ? Pas les Hutu ?
Adrienne MUKATAKO : La population de ma colline, jusque-là, ne savait pas de quoi il s’agissait
exactement, ceux de chez nous avaient peur et ont fui ensemble.
Président : Hutu et Tutsi ?
Adrienne MUKATAKO : Oui mais une fois arrivés au lieu de refuge, leur congénère venaient et leur
disaient de repartir chez eux.
Président : Quand vous êtes arrivés, vous avez dit qu’il y avait beaucoup de gens ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, le nombre était déjà élevé.
Président : Quel était le nombre de personnes selon vous ?
Adrienne MUKATAKO : Je ne peux pas le savoir, ils étaient tellement nombreux.
Président : Concernant les conditions de vie sur place, vous avez dit que vous aviez faim et qu’il n’y
avait pas d’eau. Savez-vous pourquoi il n’y avait pas d’eau ?
Adrienne MUKATAKO : Ils l’avaient fermée. Chez le prêtre, il n’y en avait pas. En ce qui concerne l’eau
dans la vallée, si on y allait, les Interahamwe nous tuaient, on ne pouvait pas y aller.
Président : Comment s’appelle le prêtre?
Adrienne MUKATAKO : L’abbé NYANDWI.
Président : Que pouvez-vous nous dire de l’abbé NYANDWI ?
Adrienne MUKATAKO : C’est celui-là même qui nous avait dépouillé de nos armes. Les gendarmes
tenaient des réunions avec lui, même si nous ne savions pas l’objet de ces réunions. La veille des
attaques, il a dit aux gens de venir reprendre leurs armes car il y allait avoir des attaques. Le lendemain,
il était habillé en militaire et avait une arme.
Président : Je n’ai pas compris, il a dépouillé les gens de leurs armes ?
Adrienne MUKATAKO : Oui.
Président : Puis, il leur a dit de les récupérer ?
Adrienne MUKATAKO : Oui.
Président : Les gens sont effectivement allés chercher leurs armes ?
Adrienne MUKATAKO : On les leur a données, mais ça ne servait à rien car on ne pouvait pas se
battre contre les fusils, avec des armes traditionnelles. Les gens ont essayé de se battre sans succès.

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Président : Quand vous avez parlé de l’attaque, vous avez dit qu’il y avait des attaquants qui venaient
de plusieurs endroits, et que parmi eux il y avait des gendarmes. Ces gendarmes étaient ceux qui
étaient déjà là pour assurer la sécurité ?
Adrienne MUKATAKO : Ceux qui étaient chargés d’assurer notre garde étaient peu nombreux. Ceux
qui nous ont attaqués venaient plutôt de KIGALI.
Président : Comment savez-vous qu’ils venaient de KIGALI ?
Adrienne MUKATAKO : On nous a dit que d’autres gendarmes de KIGALI venaient nous protéger.
Président : Qui ?
Adrienne MUKATAKO : Le prêtre nous l’a dit: « Des gendarmes arrivent pour vous protéger, soyez
rassurés », puis il a ajouté: « Venez prendre vos armes, demain les attaques viendront ».
Président : Est-ce que les gens qui vous ont attaqués avaient des tenues particulières ?
Adrienne MUKATAKO : Ils portaient leurs habits habituels, mais ils avaient sur leur corps des feuilles
de bananiers.
Président : Quand vous étiez à KADUHA, avez-vous vu des personnalités officielles ? Des officiers
militaires qui sont venus à la paroisse de KADUHA ?
Adrienne MUKATAKO : Pour ce qui concerne les autorités militaires, je ne pouvais pas les connaitre. Il
y avait d’autres gendarmes. Quant au sous-préfet, il venait là et circulait parmi les gens. Entre-temps,
MILGITHA avait installé chez elle une quarantaine d’enfants réfugiés. Le sous-préfet est venu lui
demander qu’elle lui remette ces enfants car il n’y avait pas la sécurité là où ils étaient, ils voulaient les
emmener à la sous-préfecture. Le lendemain de leur arrivée là-bas, ces enfants auraient été tués.
Président : C’est quelque chose que vous avez su ?
Adrienne MUKATAKO : Parmi ceux qui me l’ont dit figuraient certains qui se cachaient avec nous car
il y en avait qui vivaient chez MILGITHA.
Président : Est-ce que ces personnes ont vu les enfants se faire tuer ?
Adrienne MUKATAKO : Le sous-préfet lui-même a dit à MILGITHA que les enfants avaient été tués. La
soeur a récupéré d’autres enfants au nombre de 60.
Président : Ces 40 enfants, c’était avant la grande attaque ? Pendant la grande attaque ?
Adrienne MUKATAKO : Après.
Président : Il ressort du dossier qu’après la grande attaque, il y a eu des enfants qui ont été conduits
par l’ONG « Terre des Hommes », et ils n’ont pas été tués. Êtes-vous au courant de cela ?
Adrienne MUKATAKO : Je le sais. Dans un premier temps, ils avaient tué 40 enfants et après elle a
récupéré 60 enfants et chaque fois qu’on venait chercher ces enfants, on l’a chassait de là. Elle est
partie une fois à BUTARE et a demandé à la Croix-Rouge de prendre ces 60 enfants, et de BUTARE ils
ont été acheminés vers le BURUNDI.
Président : En ce qui concerne l’attaque, la description que vous nous en avez donné est terrible. Je
comprends qu’à un moment vous allez vous retrouver dans une bananeraie, avec un bébé dans le dos
?
Adrienne MUKATAKO : Et un autre enfant.
Président : Cet autre enfant, vous l’avez vu blesser à coup de gourdins ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, sur la tête qui a immédiatement enflé, et un coup de couteau dans
l’abdomen.
Président : Oui, mais le coup de couteau, ça c’est plus tard ?
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Adrienne MUKATAKO : Oui.
Président : Vous allez d’abord recevoir des coups de gourdin ?
Adrienne MUKATAKO : Oui sur la tête, les agresseurs sont partis et ils sont revenus.
Président : Ils ont constaté que vous étiez toujours en vie et l’enfant aussi, et ils ont voulu vous
achever à coups de couteau ?
Adrienne MUKATAKO : Oui.
Président : Vous avez également indiqué qu’à un moment on revient à nouveau pour fouiller les gens.
Un attaquant va vous fouiller et constater que vous n’êtes pas morte ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, au milieu des corps. C’est à ce moment-là qu’ils ont vu que je respirais
encore, et ils ont donné des coups de couteau à moi et aux enfants.
Président : Et le lendemain, ils reviennent et disent que ceux qui sont encore vivants, on va leur
donner leurs enfants à manger le lendemain ?
Adrienne MUKATAKO : Oui.
Président : Donc, c’est parce que vous aviez eu peur de devoir manger votre propre enfant que vous
avez fui ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, je suis partie de là pour me cacher ailleurs.
Président : Vous avez parlé d’un jeune homme qui vous a caché à KADUHA, il était Hutu ou Tutsi ?
Adrienne MUKATAKO : Hutu.
Président : Quand vous allez revenir sur votre colline et retrouver ce jeune homme, les gens qui vous
ont aidé à ce moment-là ils étaient Hutu ou Tutsi?
Adrienne MUKATAKO : Ils étaient Hutu, il n’y avait plus de Tutsi là-bas.
Président : Est-ce que, après tout cela, vous avez pu retourner à KADUHA ?
Adrienne MUKATAKO : Non, je ne suis pas retournée à KADUHA.
Président : Concernant vos blessures que vous avez eu au ventre, à la gorge, à la tête, avez-vous des
séquelles ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, ça m’a laissé beaucoup de handicaps, par exemple cet œil droit ne voit
pas, cette oreille droite n’entend pas et ce bras droit ne fonctionne pas bien.
Président : Dû aux coups de gourdin ?
Adrienne MUKATAKO : Des veines ont été coupées, et le gourdin sur la tête a atteint les nerfs qui
mènent jusqu’à l’œil.
Président : Pouvez vous nous dire si au moment de l’attaque vous avez vu des autorités ? Si le souspréfet était là lors de l’attaque ? Le bourgmestre ?
Adrienne MUKATAKO : Je ne peux pas les voir car nous étions dans les combats, ce que je voyais
c’était que les gendarmes et les civils étaient en train de nous combattre, les populations de toutes les
collines nous avaient envahis, les populations Hutu.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Adrienne MUKATAKO : Ce génocide qui a été commis dépasse l’entendement. Quelqu’un qui n’était
pas sur place ne peut pas imaginer l’ampleur de cette situation, si on tient compte des gens qui sont
morts, des biens endommagés. À mon âge, je suis devenue handicapée, et je ne peux plus rien faire
pour moi. Il en est de même de mon enfant qui est tout le temps malade, sans parler de tous les
nôtres qui ont été exterminés. J’avais 5 frères, j’avais des soeurs (une est morte, il en est resté deux).

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J’avais également une grande soeur, elle est morte comme tous ses enfants, tout le monde, les
proches, les parents, les collines sont restées vides, il n’y a plus personne.
QUESTIONS PARTIES CIVILES :
Me GISAGARA : J’ai une question à vous poser, mais avant j’aimerais vous remercier pour votre
courage. Laurent BUCYIBARUTA ici présent, le connaissez-vous ?
Adrienne MUKATAKO : Je savais qu’il était préfet mais je ne le connaissais pas.
Me GISAGARA : Avez-vous un message pour lui ?
Adrienne MUKATAKO : Je veux lui dire qu’il était le dirigeant de notre préfecture, je ne sais pas s’il
était au courant ou pas, s’il savait pour les actions commises.
Me PHILIPPART : Vous avez dit que le sous-préfet pouvait circuler au milieu des gens. Combien de
fois, même approximativement, l’avez-vous vu et que venait-il faire ?
Adrienne MUKATAKO : Il venait faire le tour des gens, il allait voir des gens en demandant ce qu’ils
avaient comme problème, voir comment ils étaient, mais je voyais que ce n’était pas honnête car
MILGITHA lui avait demandé de chercher des vivres pour ces gens et il avait répondu de manger leurs
vaches car ils en avaient. Il n’avait aucun amour pour nous.
Me PHILIPPART : Il n’avait répondu à aucune des demandes des réfugiés formulées auprès de lui ?
Adrienne MUKATAKO : Rien.
QUESTIONS MINISTÈRE PUBLIC :
Ministère Public : Juste une toute petite précision, le sous-préfet a été évoqué, mais vous souveneznous de son nom ?
Adrienne MUKATAKO : Non.
Ministère Public : Joachim HATEGEKIMANA ?
Adrienne MUKATAKO : Oui, c’est lui.
Président : Il y a un nom qu’on a beaucoup entendu de la part de beaucoup de témoins, le major
BUTERAMA ?
Adrienne MUKATAKO : Je ne le connais pas.
Pas de question de la défense.

Audition de madame Alphonsine MUKAHIRWA, rescapée, en visioconférence du Rwanda. Son
mari, Alphonse GAHUNZIRE, est partie civile. Il sera entendu le 13 juin. Elle souhaite à son tour
se constituer partie civile.
Président : Quelle était votre situation en avril 1994 ? Vous étiez mariée ? Vous aviez des enfants ?
Vous viviez chez vos parents ?
Alphonsine MUKAHIRWA : En 1994, j’avais 23 ans. J’étais encore célibataire et je vivais avec mes
parents à KADUHA, à trente minutes de marche de la paroisse.
Président : Est-ce que vous connaissiez le préfet Laurent BUCYIBARUTA à cette époque-là ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je ne le connaissais pas, à part que j’entendais dire qu’il était préfet, mais
personnellement je ne le connaissais pas.
Président : Pouvez-vous nous dire ce qui se passe à partir du 6 avril 1994 ?

Page 315 sur 711

Alphonsine MUKAHIRWA : C’est à partir du 7 avril que nous avons appris que le Président
HABYARIMANA était mort. Nous l’avons appris d’un oncle paternel du nom de Charles KAREKEZI.
Président : A l’époque, vous avez été entendue par les enquêteurs du Tribunal pénal international
pour le RWANDA, est-ce que vous vous en souvenez ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je m’en souviens.
Président : C’était en juin 2000, donc vous avez 22 ans. (D3932// D590 p. 6).
Alphonsine MUKAHIRWA : Ça fait longtemps.
Président : A l’époque, vous aviez indiqué que vous habitiez dans un endroit nommé BITARE ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Oui, c’était dans la cellule de BITARE, à KADUHA même.
Président : Vous apprenez la mort du Président, que se passe-t-il ensuite ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Deux jours plus tard, il y a eu une attaque quelque part à MUKO: une
personne a été blessée et sa motocyclette emportée. C’est ce même jour qu’un certain GATABAZI a été
tué. Ils ont commencé à incendier les maisons.
Président : C’est quelque chose que vous avez pu voir de vous même ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je n’habitais pas à MUKO, mais je l’ai entendu dire. En ce qui concerne
l’incendie des maisons, ça je le voyais de mes propres yeux.
Président : Que se passe-t-il ensuite ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Nous avons fui a la paroisse de KADUHA.
Président : Etiez-vous nombreux ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Quand on est arrivé, il y avait peu de gens mais il a continué à en arriver
un grand nombre.
Président : Qui était avec vous de votre famille ?
Alphonsine MUKAHIRWA : J’étais partie avec toute ma famille, sept et moi la huitième, ma mère
comprise.
Président : Quelles sont les conditions dans lesquelles vous avez pu vivre à KADUHA ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Les conditions de vie étaient mauvaises.
Président : Aviez-vous assez à manger ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Non, nous n’avions pas assez de nourriture car nous n’avions pas fui avec.
Président : Y-avait-il de l’eau ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Une certaine MILGITHA [4] nous en donnait mais, par après, on lui a
interdit de nous en donner. Elle nous donnait aussi de la bouillie.
Président : Qui lui a interdit de vous donner de la nourriture ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Les autorités.
Président : Pouvez-vous être plus précis, c’est quelque chose que vous avez vu ou que vous avez
entendu dire ?
Alphonsine MUKAHIRWA : J’ai entendu dire que c’était le sous-préfet qui l’avait empêchée (Joachim
HATEGEKIMANA), ainsi que NTIBABWIRIZWA.
Président : Quelles étaient ses fonctions à NTIBABWIRIZWA ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Il travaillait à la sous-préfecture mais je ne savais pas en quoi consistaient
ses fonctions.
Président : Avez-vous vu le sous-préfet et NTIBABWIRIZWA venir à KADUHA ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je les ai vus.
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Président : Que faisaient-il ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Avant la 21, mais à l’approche de cette date est venu le sous-préfet, le
colonel SIMBA ainsi qu’un certain Xavier KARANGWA, qui était inspecteur des écoles.
Président : Ce n’était pas un juge ou un greffier ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Non, il était inspecteur scolaire.
Président : Que sont-ils venus faire ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je ne sais pas, je les ai vu sur place.
Président : Savez-vous si on a dû creuser des trous, des fosses pour servir de latrines ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je le sais.
Président : Qui a creusé ces fosses ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Les Tutsi réfugiés.
Président : Qui a demandé à ce qu’on les creuse ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Personnellement, je ne le sais pas, mais il y avait les gendarmes. Je vais
vous dire comment je l’ai su. Quand il n’y avait plus à manger, ma mère a contacté mon frère pour qu’il
demande à un gendarme de l’accompagner, qu’il aille chercher de l’argent et qu’il revienne avec de
quoi manger. Le gendarme lui a dit qu’il fallait d’abord creuser des trous pour mettre des saletés et
c’est après que ces trous allaient être creusés que lui allait l’accompagner.
Président : Pendant que vous étiez à KADUHA, y a-t-il eu des attaques ? Est-ce que la population est
venue prendre du bétail ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Ils sont arrivés oui.
Président : Il y a eu une grande attaque qui a eu lieu le 21 avril, mais avant y a-t-il eu d’autres attaques
qui ont précédé ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Oui, les attaques venaient. Dans un premier temps, on s’en prenait à des
personnes qui allaient puiser de l’eau de l’autre côté de la route et on entendait dire que telle ou telle
personne avait été tuée. Par après, les attaques étaient menées là où nous étions. Les gens couraient
dans l’église, les gens furent tués également. C’est alors que NTIBABWIRIZWA est venu nous tenir une
réunion. Il nous a dit de rester sur place, que la mort existe partout, que quand c’est le moment de
mourir, on meurt. Donc, il nous a dit qu’il était impossible de fuir la mort où que ce soit.
Président : C’était combien de temps avant la grande attaque ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je dirai deux jours avant. C’est à ce moment-là que ceux qui s’étaient
réfugiés sont arrivés et que notre nombre est devenu très élevé. Donc, c’est à cette date du 19, que
ceux qui s’étaient réfugiés dans les communes sont arrivés et que les lieux étaient remplis de gens et
que nous étions très nombreux.
Président : Aviez-vous pu remarquer si certains réfugiés étaient venus avec leurs armes ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je l’ai vu.
Président : Est-ce qu’à un moment on a retiré ces armes ?
Alphonsine MUKAHIRWA : A un moment, les gendarmes les ont dépouillés de leurs armes et ils sont
partis avec.
Président : C’était quand les gens arrivaient ? Ou c’était avant la grande attaque ? Pouvez-vous me
dire quand est-ce que ça se passe ?

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Alphonsine MUKAHIRWA : Au fur et à mesure que les gens arrivaient, immédiatement les armes
étaient saisies. Quand les gens se déplaçaient, ils prenaient quelques objets pour se défendre, mais
une fois arrivés à l’église, les gendarmes saisissaient les objets en question.
Président : Connaissiez-vous le père NYANDWI ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Oui, je le connais.
Président : Que pouvez-vous nous dire de ce prêtre ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Le jour de la grande attaque du 21, il avait un fusil et une épée et il était
avec les gendarmes.
Président : Quand vous dites une épée, c’est une machette ? un long couteau ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Quand je l’ai vu, il était en train de courir, je n’avais pas le temps
d’observer, nous courrions car on allait nous tuer, quoi qu’il arrive je l’ai vu.
Président : Qui a participé à l’attaque ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Dans l’attaque, il y avait beaucoup de gens, dont un certain
MBAMYABIGWI, un certain Emmanuel de MUSHUB et KARANGWA.
Président : Est-ce qu’il y avait des gendarmes ? Et si oui, lesquels ? Ceux qui avaient assuré la garde à
la paroisse ? Ou c’en étaient d’autres ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Il y avait des gendarmes. À un certain moment, ils ont tiré sur nous., je
n’ai pas observé car je courais, mais ils nous ont fusillés, ils lançaient aussi sur nous les grenades.
Président : Est-ce que c’était les mêmes gendarmes que ceux qui vous gardaient ? Ou est-ce qu’il y en
avait plus ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Le nombre a augmenté, car vers 12H d’autres gendarmes sont arrivés.
Président : Est-ce que vous connaissiez un militaire du nom de Colonel SIMBA ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je ne le connaissais pas, mais j’ai entendu dire qu’il est venu à KADUHA.
Président : Qui vous a dit qu’il est venu à KADUHA ?
Alphonsine MUKAHIRWA : J’entendais les réfugiés le dire, il se peut qu’il y en avait parmi eux qui le
connaissaient. Quant à moi je ne le connaissais pas.
Président : Pouvez-vous nous dire comment vous avez survécu ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Nous avons fui à KADUHA et puis le 21, je suis allée me cacher dans une
chambre au presbytère. Dans cette chambre minuscule, nous étions à plusieurs. Les gendarmes sont
arrivés, ils ont poussé la porte qui n’était pas fermée, ils sont tombés sur nous et ces gendarmes
étaient avec les Interahamwe. Quand ils ont poussé la porte, ils nous ont vus et ont constaté que nous
étions nombreux. Ils ont donc ainsi forcé la porte et ils sont ainsi entrés à l’intérieur. Quand les gens
sortaient, ils les tuaient, quant à moi ils m’ont donné à coup de gourdin sur la tête d’un côté et aussi
de l’autre côté de la tête. Ils se sont saisis de moi et m’ont jetée dans la cour parmi les cadavres. Je suis
tombée dans les cadavres, la tête en bas je pouvais entendre mon coeur battre, ce qui me laissait
constater que j’étais encore en vie. Dans la nuit, je suis sortie de là, je me suis rendue en contrebas de
l’église, où j’ai passé trois jours. Mais, à cet endroit précédent, j’étais restée dans les cadavres et à un
certain moment, ils ont observé mon dos, ils ont pris les habits et ont vu que je respirais encore et ils
m’ont enfoncé un coup de lance sur le dos.
Président : Que s’est-il passé après ?

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Alphonsine MUKAHIRWA : Après avoir passé le nombre de jours indiqué, je suis partie de ce bois et
j’ai monté pour me rendre au domicile chez un membre de ma famille, un certain RUGAMBA. J’y suis
restée et c’est cet homme qui m’a cachée jusqu’au moment où les Français sont arrivés.
Président : Vous êtes partie avec les soldats français ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Non, je suis restée sur place.
Président : Pouvez-vous nous dire qui de votre famille est décédé ?
Alphonsine MUKAHIRWA : En réalité, je suis la seule rescapée. Il y a des familles qui ont été
complètement éteintes.
Président : Voulez-vous rajouter quelque chose ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Ce que j’ajouterai c’est que la justice devrait poursuivre ceux qui nous ont
fait du tord pour qu’ils soient sanctionnés.
Président : Quelle est votre profession aujourd’hui ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je suis devenue handicapée, invalide, il m’est impossible habituellement
de faire quoi que ce soit. Je souffre en permanence de migraines.
Président : Avez-vous été employée au mémorial de KADUHA ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Oui, on m’y a affectée et après je n’ai travaillé nulle part ailleurs.
Président : Et aujourd’hui vous n’y travaillez plus ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Aujourd’hui, j’y travaille mais je suis incapable de faire autre chose.
Président : Vous êtes mariée, avez-vous eu des enfants ?
Alphonsine MUKAHIRWA : J’ai quatre enfants.
Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose ?
Alphonsine MUKAHIRWA : Je n’avais pas encore terminé, j’étais toujours en train de dire qu’il fallait
que la justice poursuive ceux qui ont fait du mal, ceux-là qui ont tué nos parents, qui nous ont laissés
orphelins, et ils devraient être punis de manière exemplaire.
Aucune des parties ne souhaite poser des question.
Lecture du récit de Sœur MILGITHA KOSSER [5] (D10596) du12/04/1996

Audition de madame Albertine MUTAMURIZA, partie civile, en visioconférence du Rwanda.
« Nous étions chez nous, à la maison, lorsque l’avion du président HABYARIMANA est tombé, le 6 avril
1994. C’est notre père qui nous a annoncé la nouvelle, le lendemain. Papa s’est rendu au centre de
négoce et en est revenu immédiatement. Nous ne pouvions sortir. Le même jour, vers 10 heures, les
maisons brûlaient sur la colline en face. Des gens ont commencé à fuir avec leurs matelas, leurs nattes et
leur bétail. Notre colline n’était habitée que de Tutsi. Nous nous sommes rendus chez notre grand-père
paternel où nous avons passé la nuit.
Nous sommes restés là pendant une semaine mais la situation s’envenimait. Nous avons décidé de nous
rendre à la paroisse de KADUHA: nous avons pris quelques effets, un peu de nourriture et sommes partis
avec nos cochons, nos vaches et nos chèvres.

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Sur place, nous avons constaté qu’il y avait des réfugiés partout. Nous sommes rentrés dans l’église,
laissant nos animaux dehors. En arrivant le 16 ou le 17, nous étions parmi les derniers à nous installer.
Vers le 17, on nous a demandé de de creuser des fosses d’aisance pour que les gens puissent faire leurs
besoins.
Le 18, le prêtre NYANDWI nous a dit qu’on pouvait venir acheter un peu de riz qu’on a cuisiné en petite
quantité pour les enfants.
C’est le 19 en fin de journée que les attaques ont commencé. Les plus âgés ont demandé aux plus jeunes
de ramasser des pierres pour nous défendre. Les assaillants ont battu en retraite. Nous n’avions plus rien
à manger ni à boire. L’abbé NYANDWI a proposé à ceux qui le voulaient de venir recevoir les derniers
sacrements.
Le 21, vers 4/5 heures, nous avons été surpris d’entendre une grenade exploser. Les gens se sont mis à
crier, c’en était fini pour nous. Nous avons de nouveau ramassé des pierres mais c’était peine perdue.
Avec leurs armes à feu, les assaillants ont été plus forts que nous. Ces derniers se sont rués sur nous avec
leurs gourdins cloutés, leurs machettes, leurs lances et de gros morceaux de bois.
La situation dégénérait. Nous avons quitté l’église dans le bruit des grenades. Nous avons couru en
direction du presbytère et de l’école. On sautait par-dessus les cadavres, les jeunes gens violaient les
femmes et les jeunes filles.
J’ai continué à courir en tremblant de peur. J’ai imploré la clémence d’un certain BAZATORA mais il
n’avait pas de place où me cacher. Sur notre chemin, des blessés nous demandaient à boire, le carnage
continuait, je ne savais pas où aller. Craignant les coups de machette et les viols, je me suis jetée dans
une latrine remplie d’excréments. J’y ai trouvé un garçon et une fille qui s’y cachaient aussi.. Mes habits
sentaient mauvais et à cause de l’odeur, j’ai quitté mes habits pour ne garder que le minimum. J’avais
des excréments jusqu’au niveau du cou. J’ai gratté un peu de terre pour me libérer des excréments.
Quand la pluie tombait, nous récupérions un peu d’eau dans le creux de nos mains. Nous mourrions de
faim et de soif. Le garçon qui était avec nous nous a incité à quitter les latrines. Il à réussi à se hisser
jusqu’en haut et nous a quitté. Je suis restée là avec la fille, sans pouvoir réussir à grimper. Il ne me
restait que peu de forces. La jeune fille qui était avec moi, et dont la maman était hutu allait un peu
mieux que moi. Au bout de 4/5 jours, BAZATORA a fini par répondre à nos appels. Il est venu avec une
corde que la jeune fille a attachée au niveau de ma taille. Ceux qui étaient là ont réussi à me faire sortir.
Un militaire m’a donné un peu de lait à boire. Après m’avoir détachée, ils ont pu faire sortir l’autre fille.
Les gens voulaient me tuer mais le militaire a pris ma défense et a demandé qu’on me conduise chez
Sœur MILIGHITA. On nous a rasé la tête et donné des habits propres. On nous a indiqué des lits où nous
pourrions dormir. La religieuse allemande m’a soignée car j’étais sortie des latrines en mauvaise santé:
j’avais attrapé la tuberculose. Mon séjour a duré deux semaines. Des gens ont fait savoir à la religieuse
qu’elle était aussi en danger. Elle devait fuir mais voulait, avant, me faire conduire à l’hôpital. C’est le
docteur IGNACE qui nous a aidés. Un groupe d’enfants se préparait à partir au BURUNDI. Sœur
MILIGHITA a demandé à ce qu’on veille sur nous, elle voulait nous revoir à son retour.
Des militaires des FAR [6] se faisaient soigner à l’hôpital et détournaient la nourriture qui nous était
destinée. Ils nous surveillaient derrière des fenêtres: ils voulaient nous tuer. Nous sommes restés cachés
sous nos lits pendant une semaine.
Nous avons alors vu arriver les Français qui nous ont demandé si nous voulions aller là ils étaient euxmêmes. Ils nous ont donc conduits à MURAMBI où se trouvaient aussi des Hutu. Sur les murs des classes,
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on voyait encore des traces de sang: on y avait écrasé des enfants. Des morceaux de chair humaine était
accrochés aux barreaux des fenêtres: c’est par là qu’on avait tenté de faire passer les cadavres.
Au bout d’une semaine, les militaires du FPR [7] sont arrivés et nous avons embarqué dans les camions
des Inkotanyi qui nous avaient accueillis. »
Monsieur le président remercie le témoin et lui demande de préciser quelle était sa situation en 1994.
Elle avait 24 ans, était célibataire et vivait chez ses parent à ZITOBA. Aînée de trois frères et quatre
sœurs, elle était institutrice remplaçante. Aujourd’hui, elle est agricultrice et seule rescapée de sa
famille.
Monsieur le président va lire des extraits du diaire de Madeleine RAFFIN que le témoin ne connaît pas.
Elle ne connaît pas beaucoup plus l’abbé NYANDWI. Elle se souvient qu’il les avait invités à recevoir les
derniers sacrements, façon de faire comprendre aux rescapés qu’ils allaient mourir. Elle n’a aucune
nouvelle de lui.
Le témoin a appris que des autorités étaient venues à KADUHA en disant qu’il fallait « se débarrasser
de l’ennemi. » C’est bien au docteur IGNACE à qui elle doit la vie. Elle souhaite qu’on lui vienne en aide
pour soulager les douleurs qu’ils ont traversées.
Maître GISAGARA remercie à son tour le témoin pour son courage (elle éclate en sanglots). Sur
questions de l’avocat, elle n’a vu ni Madeleine RAFFIN, ni monseigneur MISAGO ni l’abbé NTAGANDA
à KADUHA.
Le ministère public veut savoir si une fouille a bien été opérée pour priver les réfugiés de leurs armes
traditionnelles. Le témoin en a entendu parler. Elle confirme qu’elle a bien entendu dire le 5 mai
qu’une réunion avait réuni l’abbé NYANDWI, le sous-préfet et le préfet BUCYIBARUTA, avant la grande
attaque. Mais elle n’en a pas été témoin. Quant aux personnes blessées qui auraient été transportées
de l’hôpital à l’église, le témoin ne peut confirmer car pour elle, les blessés de l’hôpital étaient des
militaires qui étaient rentrés du front.

Audition de madame Médiatrice MUKANEZA, rescapée citée par le ministère public.
Le témoin commence par dire qu’elle ne connaissait pas Laurent BUCYIBARUTA.
Au moment du génocide, madame MUKANEZA était à KADUHA. L’ambiance n’était pas bonne. On
tuait des Tutsi, volait les biens et le bétail des Tutsi, brûlait les maisons. Elle décide de se rendre à
l’église. Le Père NYANDWI les loge au presbytère mais il n’y a aucune sécurité, des attaques
incessantes se produisent.
Joachim HATEGEKIMANA est arrivé avec le colonel SIMBA [8]. Ils ont discuté avec l’abbé NYANDWI. Les
visiteurs s’étonnent de voir que les massacres des Tutsi n’ont pas encore commencé. Le prêtre aurait
répondu qu’il fallait d’abord les rassembler.
Le 18, des attaques sont venues de partout mais on rassure les réfugiés: la sécurité leur sera assurée. Ils
ne manqueraient pas de riz: ils pouvaient en acheter.

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Le 20, des bruits d’armes se font entendre en provenance du groupe scolaire de KADUHA. Le témoin
se déplace avec ceux qui l’accompagnent: les Interahamwe sont très nombreux. On compte beaucoup
de morts même si les réfugiés tentent de se défendre avec des pierres. Le soir, l’église était jonchée de
cadavres. Réfugiée dans la sacristie avec d’autres, le témoin voit les assaillants forcer la porte. Il tuent
un certain VENERAND qu’ils recherchaient.
Madame MUKANEZ se rend vers un bois, toujours poursuivie par des Interahamwe de KAVUMU.
Cachée dans le bois, elle retrouve une petite cousine de 6 ans qu’elle va mettre sur son dos et se
rendre en direction de l’hôpital. Elle se réfugie chez un voisin de sa maman. On est le 7 avril. Elle trouve
là sa maman qui la croyait morte.
Le lendemain, le témoin se réfugie dans un champ de sorgho. Des assaillants leur jettent des pierres
pour les déloger. Passe alors la maman du Père Edouard NTAGANDA: elle est abattue sur place. Le
témoin se réfugie alors au domicile d’une amis de sa tante maternelle, Immaculée KAYITETE. Elle ne
peut loger là qu’une nuit et doit repartir dans le matin le jour venu. Son périple va continuer jusqu’à ce
que les Français de l’Opération Turquoise l’accueillent.
Par ses questions, monsieur le président obtiendra quelques détails supplémentaires que le témoin n’a
pas livrés dans sa déclaration spontanée, en particulier concernant l’abbé NYANDWI.
Maître LEVY veut savoir si le témoin a bien entendu le colonel SIMBA prononcer ces mots: « Pourquoi
vous n’avez pas commencer à tuer les Tutsi? »
Je ne sais pas si le témoin a répondu à la question.

Monsieur le président met fin à l’audition de madame MUKANEZA. Il propose qu’on projette le
numéro de l’émission « État d’urgence Rwanda. Autopsie d’un génocide ».
Rendez-vous donné au lendemain 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT, stagiaire pour la durée du procès

Page 322 sur 711

References
↑1

Sœur MILGITHA KÖSSER a documenté le massacre des Tutsi réfugiés dans la paroisse de
Kaduha dans un album photo déjà évoqué lors de l’audition d’Hélène Dumas. Voir
également « Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de
l’attestation, Hélène Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10)

↑2

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑3

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑4

Ibid.

↑5

Ibid.

↑6

FAR : Forces Armées Rwandaises

↑7

FPR : Front patriotique Rwandais

↑8

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

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Procès Laurent BUCYIBARUTA. Vendredi 10
juin 2022. J21
11/06/2022

• Audition de monsieur Joachim HATEGEKIMANA, détenu à la prison de HUYE.
• Audition de madame Marie Goretti MUKAKARINDA, infirmière, rescapée.
En visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Marie-Jeanne KAWERA, partie civile.
Audition de monsieur Joachim HATEGEKIMANA, détenu à la prison de HUYE.
Monsieur HATEGEKIMANA a été cité par la défense. Il a été condamné à la réclusion criminelle à
perpétuité pour génocide. En 1994, il était sous-préfet de KADUHA.
Monsieur le président commence par demander au témoin de parler de sa carrière professionnelle.
Après avoir travaillé au Ministère du Plan, il a été nommé sous-préfet de BYUMBA, puis de KIBUNGO,
enfin de KADUHA en 1990. Il a connu Laurent BUCYIBARUTA à KIBUNGO puis à GIKONGORO quand ce
dernier y sera nommé.
Toujours sur questions du président, monsieur HATEGEKIMANA est amené à parler des quatre
communes qui constituaient la sous-préfecture de KADUHA : KARAMBO, dont le bourgmestre était
Augustin GASHUGI, MUSANGE avec un certain BIZIMANA comme bourgmestre, MUKO, bourgmestre
monsieur KAYIHURA, et MUSEBEYA dont le bourgmestre était Viateur HIGIRO. Les trois derniers
étaient membres du PSD [1].
En 1994, à MUSEBEYA, « les problèmes étaient les mêmes qu’ailleurs » selon le témoin. Il y avait très
peu de Tutsi dans cette commune, environ 300 pour 40 000 habitants. Dans un premier temps, Viateur
HIGIRO va tenter de s’opposer aux violences (voir Alison Des Forges [2]). Le sous-préfet déclare avoir
fait arrêter un certain nombre de personnes qui avaient commencé à brûler les maisons. « Des
extrémistes se sont mis à tuer des gens, lors d’exactions, dès le 8 avril à la sous-préfecture. Je me suis
résolu à voler au secours des personnes attaquées. Il y avait eu 5 morts à MUSHUBI dès le 7 avril »
poursuit-il. Le préfet avait alors envoyé des gendarmes dans cette commune de MUSEBEYA, à la
demande du bourgmestre. Ce dernier fera transporter par ambulance des blessés qui seront arrêtés à
GIKONGORO et conduits à MURAMBI où ils seront tués.
De raconter ensuite la situation politique en évoquant surtout les déboires de HIGIRO qui était
considéré par ses adversaires comme favorable au FPR [3]. Élu bourgmestre, il sera confirmé dans sa
fonction par le préfet, mais destitué plus tard et remplacé par son adversaire du MRND [4], NDIZIHIWE.
Monsieur le président lit la déposition que Viateur HIGIRO avait faite devant les enquêteurs français:
« J‘avais emprisonné des Hutu qui avaient participé au génocide. On m’a accusé auprès
de SIMBA [5] d’être responsable des groupes qui œuvraient pour le FPR. On voulait me tuer, je me suis
réfugié dans ma famille après ma destitution. A la cérémonie d’investiture de NDIZIHIWE, SIMBA m’a
demandé de demander pardon à la population pour m’être opposé à la manifestation de leur colère et de
leur chagrin suite à la mort du Président. On a libéré les gens que j’avais fait arrêter. »
En guise de réaction, le témoin répond que HIGIRO ment car il n’était pas présent à l’investiture de son
successeur, il avait refusé de venir.

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Concernant les massacres de MUSHUBI le 7 avril, le témoin parle de son propre comportement. Il s’est
déplacé, a fait arrêter les coupables, est allé chercher des gendarmes… Il sera surpris de voir que, le 21
avril à KADUHA, ceux qu’il avait fait arrêter se trouvaient parmi les attaquants. Par contre, il lui est
difficile de parler de ces événements car il ne sait pas qui a donné l’ordre d’attaquer. Mais les
gendarmes qui étaient chargés de la protection des réfugiés se sont bien mêlés aux autres pour tuer.
On l’accuse d’avoir été présent sur les lieux des massacres? « Ce n’est pas parce que mon nom est
donné que j’étais là. C’est contraire à la vérité. Je n’étais pas sur place. C’était la nuit. J’étais au lit. »
Monsieur le président va lire une partie de sa déposition en D 10340/10: « Vers 3 heures du matin, j’ai
entendu des coups de feu. S’agissait-il d’attaques extérieures? Vers 6 heures, j’ai entendu la circulation
des gens qui étaient à pieds. Mon veilleur me dit que des gens attaquaient la paroisse. Si je sortais, je
serais tué. Si je m’enfuyais, on allait me prendre pour un Tutsi. Vers 9 heures, un gendarme arrive et
demande où est le sous-préfet. C’est moi, ai-je répondu. Il venait vois si j’hébergeais des Tutsi. Vers
12h30, on m’annonce la libération des gens que j’avais fait arrêter. Quand je me suis rendu à la paroisse,
vers 17 heures, c’était le carnage. Les gendarmes m’ont demandé pourquoi je n’étais pas venu aider les
tueurs. Je suis retourné chez moi. J’ai constaté que les gendarmes m’avaient trahi, il n’y avait pas eu
d’agression extérieure. C’est eux qui avaient attaqué. »
Le témoin confirme ses propos et prend à son tour la parole, y étant invité par le président.
« J’ai été stupéfait. Je ne voyais pas à quel saint me vouer. Le chef du Parquet, Oscar GASANA avait été
tué, le Parquet er le cachot détruits! Les gens que nous protégions avaient été décimés par ceux qui
auraient dû les protéger. Le 23, ne sachant que faire, je suis allé à GIKONGORO raconter au préfet ce qui
s’était passé. Je lui ai fait part du comportement des gendarmes. Il m’a dit que la même chose s’était
produite à GIKONGORO, qu’il avait téléphoné à un colonel à KIGALI et que c’était la même situation
dans la capitale. Que faire alors? Lui aussi était dépassé. »
Le sous-préfet s’était rendu à la paroisse le 19 avril et il a pu évaluer le nombre de victimes à 1200
environ. Quant à la réunion du 13 avril à GIKONGORO, le préfet avait invité la responsable de CARITAS,
l’évêque catholique MISAGO et l’évêque protestant. C’était un Comité de préfecture élargi. Le témoin
parle d’une livraison de 18 tonnes de riz. Madeleine RAFFIN, qu’il connaît, se serait rendue à KADUHA
le 18 avec 7 tonnes de nourriture. Il y avait des réfugiés partout. L’abbé NYANDWI estime leur nombre
à 10 000, le sous-préfet à 7 000. Sœur KÖSSER [6], évoquant le nombre de tués, parlera de 15 000. Pour
le témoin, « ce sont des approximations. »
Le président: Vous êtes allé souvent à la paroisse?
HATEGEKIMANA: pas plus de quatre fois. C’est mon secrétaire qui était chargé de suivre la situation.
J’étais occupé par les assaillants sur les collines.
Le président: Vous connaissez Aloys SIMBA [7]?
HATEGEKIMANA: Je le connaissais depuis longtemps. Quant à savoir s’il a été impliqué dans les
attaques de KADUHA, je l’ai entendu dire. Je sais qu’il a été condamné à ARUSHA.
Le président: Et le major MUGEMANA?
HATEGEKIMANA: Il avait travaillé pour la présidence. Il était retraité? Je l’ai vu quand il fuyait
l’avancée du FPR. On disait qu’il était de la famille de Laurent BUCYIBARUTA. Il avait une chambre dans
la maison du préfet à KADUHA, près de la paroisse. Par contre, je n’ai pas vu le préfet le 21 à KADUHA.

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Est évoquée ensuite la réunion du 13 avril. Le témoin dit que l’objet de cette rencontre était les
problèmes liés à la sécurité. Chaque bourgmestre avait été invité à parler de la situation dans sa
commune. Ce n’est que le 26 que la question des barrières aurait été évoquée.
Monsieur le président reprend la lecture d’un passage du livre d’Alison Des Forges [8]: » Laurent
BUCYIBARUTA ne semble pas avoir été un partisan du génocide, mais il n’a pas pris clairement position.
Il a laissé les bourgmestres sans directives. »
Le témoin rajoute que Laurent BUCYIBARUTA était un homme calme, pas agressif, pas un tueur, un
homme avec lequel il a bien collaboré: « Il n’a jamais dit d’aller tuer. Ce n’était pas à lui de donner des
ordres. Laurent BUCYIBARUTA nous a demandé de protéger les gens. C’est ce que j’ai fait. Ce qui est
malheureux, c’est que certains gendarmes ont collaboré avec les tueurs. Il y avait une force parallèle qui
a fait des dégâts. »
Sur question de monsieur le Président, le témoin confirme que le bourgmestre de MUKO était bien
présent à la réunion du 26 avril. « Il a dit que les tueurs étaient forts et qu’il fallait y aller doucement
avec eux. »
Le 13 avril, Laurent BUCYIBARUTA a conseillé de protéger les réfugiés à un bourgmestre qui dit qu’il
faut y aller doucement?
Par contre, le témoin ne sait plus si le colonel SIMBA était présent à la réunion du 26 avril. Il était
pourtant membre de Comité préfectoral de sécurité!
La parole est donnée aux parties.
Maître : Je vous demande de répondre par oui ou par non à mes questions. Vous avez fait arrêter
plusieurs personnes. Cela faisait-il partie de vos attributions?
Le témoin: oui, en cas d’urgence.
Maître: Le 7 avril, vous informez le préfet de vos démarches?
Le témoin: Oui.
Maître: Vous les déférez au Parquet?
Le témoin: Oui.
Maître: Jusqu’au 21 avril, la justice fonctionnait?
Le témoin: Oui
Maître: Vous avez cessé les arrestations car on commettait beaucoup d’exactions?
Le témoin: Je n’ai pas dit ça.
Maître: Vous avez eu plusieurs échanges avec Laurent BUCYIBARUTA. Lui aussi a donné des ordres
d’arrêter, d’interroger, de juger?
Le témoin: Il ne pouvait pas me donner de rapport. Il était préfet. Il m’a dit qu’à GIKONGORO c’était la
même situation.
Maître PHILIPPART: Concernant les arrestations que vous avez ordonnées autour du 15 avril: le
directeur du CERAI [9], Antoine HARERIMANA, ça vous dit quelque chose?
Le témoin: J’ai entendu dire qu’il avait été arrêté comme complice en 1990.

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Maître PHILIPPART: Vous avez dit, concernant les réfugiés de KADUHA, que trois gendarmes vous
avaient accompagnés. Si les gendarmes sont avec vous, qui assurait la sécurité?
Le témoin: La sécurité des réfugiés avant le 21 avril à la paroisse? Je n’ai pas eu connaissance des
attaques. Si cela avait eu lieu, je l’aurais su.
Maître PHILIPPART: Les réfugiés « fouillé » afin qu’ils remettent leurs armes?
Le témoin: Je n’en ai pas entendu parler.
Monsieur le président fait savoir qu’on ne peut continuer la série des questions. Il sera nécessaire
de convoquer le témoin à une autre date. Et probablement prévoir deux heures.

Audition de madame Marie Goretti MUKAKARINDA, infirmière, rescapée. En visioconférence du
Rwanda.
« J’étais au travail au Centre de santé de KADUHA et dans les jours qui ont suivi, contrairement aux
autres citoyens, je suis restée sur mon lieu de travail: le personnel soignant devait continuer ses activités.
Dès le jour de l’annonce de l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA, des gens ont été arrêtés
et conduits au cachot de la sous-préfecture, arrêtés parce qu’ils n’avaient pas respectés le couvre-feu: ils
étaient Tutsi, considérés comme complices du FPR.
Le 8 avril, un prêtre de MUSHUBI, l’abbé Jean-Marie Vianney, est venu au Centre de santé avec le souspréfet HATEGEKIMANA. Ils venaient nous annoncer que le Centre allait recevoir beaucoup de blessés.
Parmi les victimes de MUSHUBI, un certain GACENDELI Michel, comptable à la paroisse et KAGERUKA.
Le curé avait été simplement blessé.
Le lendemain, 9 avril, les maisons des Tutsi commencent à brûler. Les gens continuent à fuir et j’apprends
par la radio la constitution du Gouvernement intérimaire. Nous espérions que des consignes de
pacification soient données. Autour du 15 avril, la situation évolue en pis.
De nombreux réfugiés s’étaient massés à la paroisse mais personne ne leur venait en aide, sauf
Sœur MILGHITA [10], la responsable du Centre de santé qui préparait de la bouillie pour les enfants.
Le 15, le sous-préfet est venu nous présenter un « gendarme » de l’ESO (Ecole de sous-officiers de
BUTARE): il venait assurer la sécurité et devait loger dans une chambre du Centre. Les gendarmes
présents à la paroisse sont allés récupérer auprès des réfugiés tous les outils qu’ils étaient susceptibles
d’utiliser comme armes. C’est ce qu’on m’a raconté par la suite.
Le 16, le bourgmestre de KARAMBO est venu au Centre de santé. Il voulait s’entretenir par téléphone
avec le sous-préfet. Il voulait présenter sa démission car la sécurité n’était pas assurée: des réfugiés
avaient été arrêtés au bureau communal de KARAMBO. Les gendarmes se sont rendus sur place. Des
réfugiés ont été tués, d’autres ont réussi à rejoindre la paroisse.
Le 17, le sous-préfet et l’adjudant qui logeait au Centre sont venus dire à la religieuse que tous les
réfugiés devaient rejoindre la paroisse. Pendant ce temps, le prêtre burundais NYANDWI avait invité les
chrétiens à une « dernière » messe: ils devaient bien savoir pourquoi ils étaient des victimes! Des réfugiés
arrivent des ,collines environnantes. La seule qui a tardé à rejoindre les autres, Joséphine KANDAMUTSA,
sera tuée.
Le 19, les Tutsi de la commune de MUSEBEYA vont être amenés en bus à KADUHA. Certains seront tués
en cours de route.
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Le 20 avril, les gendarmes vont stopper une attaque organisée par les jeunes de KADUHA. Se tient alors
une réunion organisée par les dirigeants, en présence du sous-préfet. A la nuit tombée, les réfugiés sont
encerclés. Un commerçant prénommé SILAS a transporté des tueurs à un endroit où ils passeront la nuit.
Le 21 avril, à 4 heures du matin, explose une grenade qui donne le signal pour commencer les attaques.
Cette grenade aurait été lancée par un certain Denis KANYAMASHOKORO. Le gendarme hébergé chez la
Soeur a pris son fusil et a rejoint les autres. Il s’appelait Ildephonse NTAMWEMEZI.
Un employé de l’hôpital transporte le corps d’une victime dans une brouette et le jette dans les latrines.
Malades et gardes-malade sont aussi victimes des tueries.. On entend des gémissements partout. Les
gendarmes sont à court de munitions. Ceux qui ont été blessés dans les salles du catéchuménat sont jetés
vivants dans les fosses. A 18 heures, à l’occasion d’une pose, l’adjudant et les gendarmes viennent
festoyer.
Le 22 sera jour de « repos » dans les tueries mais on continuera à jeter les corps dans les fosses. le 23, les
massacres continuent à la commune de MUSANGE. Jusqu’au 26, ce sera la « chasse » aux blessés. Ce
jour-là, le sous-préfet est revenu au Centre de santé pour demander que les blessés soient transférés à la
sous-préfecture. Soeur MILIGHITA refuse. Mais elle va rassembler près de 80 enfants survivants.
Le sous-préfet cherche à convaincre la religieuse allemande: elle doit partir. Elle se rend auprès de
l’évêque MISAGO qui étudierait les possibilités de fuite avec le préfet. »
Finalement, le témoin sera évacuée à son tour le 27 juillet à KIZI, dans une zone occupée par le FPR [11].
Monsieur le président va poser beaucoup de questions au témoin. En 1994, elle avait trente ans, était
célibataire et travaillait comme aide-infirmière. Elle connaissait très bien Laurent BUCYIBARUTA qui
était un ami de son grand frère. Mais elle ne l’a pas vu pendant le génocide.
Au Centre de Santé, il y avait un téléphone, mais qui ne servait qu’à appeler à l’intérieur des bâtiments.
Elle n’a pas été témoin de viols pendant le génocide mais elle rapporte qu’une fille a été violée par un
assistant médical. Toutefois, pendant les massacres, bien sûr que des viols ont été commis.
Madeleine RAFFIN? Elle la connaissait comme responsable de la CARITAS, mais elle ne l’a pas vue
pendant le génocide. Elle n’a pas vu non plus monseigneur MISAGO qui est pourtant venu au couvent
de Soeur MILIGHITA qui a refusé d’aller le voir. Elle voulait qu’il vienne au Centre de Santé. Il a refusé.
Le témoin, en conclusion de sa déclaration spontanée, souhaite ajouter quelques mots: « En parlant de
mon chagrin, je n’ai cité que les plus proches de ma famille, mais ils avaient des enfants et des petitsenfants.. Laurent BUCYIBARUTA était un intime de notre famille. Il n’a rien fait pour son ami et les
siens! »
Plusieurs questions vont permettre au témoin de donner quelques précisions. Sur question d’un
assesseur, le témoin confirme que l’adjudant que le sous-préfet est venu présenter se nommait
Ildephonse NTAMWEMEZI et qu’elle l’a vu car il logeait chez les Soeurs.
A maître Mathilde AUBLE, elle répond qu’elle n’a pas le souvenir que Sœur MILIGHITA ait demandé
de l’aide au sous-préfet.
Maître TAPI revient sur les relations d’amitié qui existaient entre son frère et le préfet. Elle sait que
Laurent BUCYIBARUTA a trouvé refuge en France.

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Maître TAPI: Vous avez un message pour lui?
Le témoin: Pourquoi, étant donné qu’il était ami de la famille et occupait un poste important,
pourquoi nous a-t-il été inutile? C’est Laurent BYCYIBARUTA qui aurait dû venir à lui.
Maître GISAGARA: Votre frère aurait eu peur de Laurent BUCYIBARUTA?
Le témoin: Peur de l’aborder, oui. Mais il n’y avait pas de moyens de communication. Quant aux
chiffres des victimes que vous aurait donné le sous-préfet HATEGEKIMANA, soit 1200 personnes
présentes à l’église, il se moque du monde. Je n’ai pas été étonnée que les massacres commencent tôt
à GIKONGORO. Il y avait déjà eu un génocide en 1963 au cours duquel la famille de sa belle-soeur
avait été exterminée.
Le ministère public veut avoir la confirmation que le 13 avril, le sous-préfet serait bien venu avec
Ildephonse NTAMWEMEZI demander à Sœur MILIGHITA de conduire à la paroisse les blessés du
Centre de santé. Le témoin confirme. Et le 26 avril, le sous-préfet est venu au Centre de santé pour que
les malades soient conduits à la sous-préfecture. Le témoin confirme. Des employés du Centre ont
transféré des malades, maos je ne sais pas où on les a conduits.
Maître BIJU-DUVAL n’a pas de questions à poser. Il aimerait qu’on puisse donner la parole à son
client.
Monsieur BUCYIBARUTA (comme il en a pris l’habitude maintenant, probablement sur les conseils de
ses avocats): Je voudrais saluer le témoin. Je me réjouis qu’il y ait des survivants dans sa famille. C’est
mon chagrin d’avoir été dans l’impossibilité de venir en aide à mes amis. Je la félicite pour son
courage. Je ne peux lui souhaiter que du bonheur.
Pas sûr que le message soit reçu cinq sur cinq par madame MUKAKARINDA.

Audition de madame Marie-Jeanne KAWERA, partie civile.
« J’avais 10 ans en 1994 et nous étions 6 enfants dans notre famille. Mon frère et ma sœur, inquiets de la
situation, nous ont donné le conseil de ne pas dormir à la maison. Un voisin est venu nous dire la même
chose. Papa a décidé de partir et a accepté que je l’accompagne. Nous avons fui avec notre tante qui a
rebroussé chemin car elle ne voulait pas partir sans ses enfants. Nous ne les reverrons pas.
Nous sommes arrivés à l’église de KADUHA et une chambre a été mise à notre disposition. Nous y avons
passé une à deux semaines, au milieu des attaques. Nous étions avec des hommes qui avaient fui avec
leurs armes traditionnelles et qui se battaient avec les assaillants.
L’abbé NYANDWI est venu prendre des jeunes filles mais il a refusé que je parte avec lui. Un matin, il y a
eu une grande attaque: tous ceux qui se trouvaient à l’extérieur ont été tués. Je me trouvais avec ma
tante maternelle, épouse d’un Hutu: ses propres enfants l’avaient chassée de chez elle. Ma tante a supplié
le veilleur qu’il nous laisse rejoindre ma mère qu’il avait cachée dans une réserve. Mon frère et ma soeur
était là aussi, mais papa était sorti pour combattre. Mon frère avait la malaria. A 15 heures,
les Interahamwe [12] sont venus au dépôt. Ils ont défoncé la porte avec des gourdins. Ils se sont chamaillés
pour piller le riz. Mon petit frère et ma petite sœur seront tués rapidement. Les assaillants ont sorti des
sacs de riz.
Le silence est revenu et ma mère, qui avait la mâchoire brisée, m’a fait un signe. Un Interahamwe l’a vue
et lui a donné des coups de gourdin jusqu’à ce qu’elle meure. Je m’étais enfouie sous les sacs de riz et j’ai
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demandé au veilleur de me tirer de là. Les tueurs nous ont sortis du dépôt et nous ont étendus sur le sol.
Un bruit de tir: ils venaient de tuer GASASIRA, mon père. La nuit tombée, je baignais dans le sang des
autres.
Je me suis fait connaître auprès d’un survivant à qui j’ai demandé de partir avec lui. Nous avons traversé
un bois où habitaient des Batwa qui ont crié en nous voyant. J’ai fui en cherchant un endroit où passer la
nuit. J’ai dormi dans un ravin où des gens ont fini par me découvrir. J’ai repris le chemin de la forêt. J’ai
rencontré plusieurs femmes, dont une blessée à la joue par une balle et une autre qui portait un fagot de
bois et qui a voulu me frapper.
J’ai rencontré une institutrice qui m’a conseillé d’aller chez le sous-préfet qui cachait des réfugiés. Le
veilleur a voulu me tuer. J’ai vu qu’il y avait une fosse tout près de chez HATEGEKIMANA. C’est là que
j’apprendrai que ma grande sœur à été jetée après avoir survécu à l’église.
J’ai imité les Interahamwe en me parant à mon tour de feuilles de bananier. Le chauffeur du sous-préfet
m’a vu et s’est moqué de moi. J’ai quitté mon accoutrement. Après être restée cachée deux à trois
semaines chez un voisin du sous-préfet,, j’ai pu partir pour MURAMBI avant de me réfugier au CONGO. »
Monsieur le président va questionner le témoin sur la composition de sa famille, sur l’abbé NYANDWI
avec qui elle voulait partir car elle lui faisait confiance.
Marie-Jeanne KAWERA finira par dire que, pour elle, c’est un miracle si elle a survécu, sans avoir la
moindre blessure. C’est par un certain FULGENCE qu’elle apprendra le sort réservé à sa grande sœur
qu’il n’avait pas pu sauver. Quant aux enfants du sous-préfet, ils ont demandé au veilleur qu’on ne me
tue pas sur place.
Comment s’est-elle retrouvée à MURAMBI? Les gens qui l’hébergeaient sont partis au Congo et l’ont
laissée à MURAMBI en passant. A son tour, elle partira aussi au Congo. En revenant au Rwanda, elle
retrouvera son frère. Aujourd’hui, elle est mariée et a trois enfants.
Maître GISAGARA remercie le témoin d’avoir accepté de témoigner, « un devoir » pour elle, « malgré
le chagrin. » Il souhaite lui poser « une question douloureuse« : » Vous avez décrit les images d’horreur
du génocide. Aujourd’hui, quelle image vous revient le plus souvent à l’esprit. »
Marie-Jeanne KAWERA: C’est l’image de ma mère qui me montre les deux autres enfants qui étaient
morts.
Maître GISARAGA pose une dernière question: Comment allez-vous?
Marie-Jeanne KAWERA: Je vais bien. Je n’ai pas de cicatrice physique mais j’en ai sur le cœur. Il est
difficile de perdre sa famille. Mes enfants me demandent où sont mes parents.
Monsieur le président reprend la parole pour signaler que Sœur KOSSER aurait été témoin à charge
dans le procès MISAGO selon la Fondation Hirondelle et le jugement qui a acquitté l’évêque de
GIKONGORO. (D 10842)

Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en pages

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References
↑1

PSD : Parti Social Démocrate

↑2

Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH,
rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999

↑3, ↑11

FPR : Front patriotique Rwandais

↑4

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑5, ↑7

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans
les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour
« génocide et extermination, crimes contre l’humanité »

↑6

Sœur MILGITHA KÖSSER a documenté le massacre des Tutsi réfugiés dans la paroisse de
Kaduha dans un album photo déjà évoqué lors de l’audition d’Hélène Dumas. Voir
également « Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de
l’attestation, Hélène Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10)

↑8

Ibid.

↑9

CERAI : Centre d’Apprentissage Rural et Artisanal Intégré

↑10

Ibid.

↑12

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

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Procès Laurent BUCYIBARUTA du lundi 13 juin
2022. J22
14/06/2022

• Audition de madame Verena MUKAREMERA, rescapée, partie civile.
• Audition de monsieur Ignace MUSANGAMFURA, rescapé, partie civile.
• Audition de monsieur Alphonse GAHUNZIRE, rescapé, partie civile.
• Audition de madame Azena IBYIMANA KABIRIGI, rescapée.
Audience de madame Verena MUKAREMERA.
Audition de Verena MUKAREMERA, témoin/ partie civile dont l’audition est demandée par
l’association CRF, née le 1er janvier 1955 à KADUHA, demeurant au RWANDA, 67 ans,
visioconférence depuis le RWANDA, rescapée.
• Déclaration spontanée.
Je vous ai déjà décliné mon identité, j’habite dans le BUGESERA. Mais, avant le génocide, j’habitais à
KADUHA, à GIKONGORO. A l’avènement du génocide, c’est là où je me trouvais, j’étais mariée, j’avais
un époux et huit enfants. Après la chute de l’avion de HABYARIMANA, aucun Tutsi n’est sorti de son
domicile. On disait que les Tutsi avaient joué un rôle dans la chute de cet avion. On nous a donc
interdit de sortir et plus aucun Tutsi n’a quitté son domicile, que ce soit pour aller faire les courses ou
effectuer une autre tâche. Comme tout le monde devait travailler pour subvenir à ses besoins, mon
mari, qui était couturier au centre de négoce de KADUHA, est donc sorti pour vérifier si ce que l’on
disait était vrai ou s’il pouvait exercer ses activités. Alors qu’il partait, il a rencontré des militaires
démobilisés de HABYARIMANA. Ils l’ont frappé, lui reprochant d’être sorti alors qu’il avait été interdit
au Tutsi de quitter leur domicile. Il est revenu aussitôt à la maison, et n’est plus retourné à
l’extérieur. Nous avons par la suite vu les Tutsi descendre des collines, fuyant en direction de la souspréfecture de KADUHA. On disait que si quelqu’un fuyait à la sous-préfecture, on n’allait pas être tués.
Donc, les premiers se sont rendus à cet endroit-là, ils avaient des armes, mais on les leur a enlevées. A
ce moment-là, il leur a été dit d’aller à l’église, que c’était là qu’ils allaient être gardés et avoir la
sécurité.
Alors que les autres Tutsi fuyaient, nous, nous étions restés à notre domicile selon ce que nous avait
conseillé un certain GASANA qui était premier substitut. Il nous disait qu’il fallait voir d’abord comment
la situation allait évoluer et nous enquérir des tenants et aboutissants de ce qui était en train de se
faire. Ensuite, nous sommes restés à la maison. Mais, en même temps, nous pouvions voir fuir les Tutsi
des autres collines et communes, car notre domicile était situé dans un endroit surélevé, ce qui nous
permettait de voir ce qui se passait. Comme nous habitions tout près de la route, certains Hutu sont
passés par chez nous et disaient qu’ils venaient de la sous-préfecture et qu’il y avait une réunion qui
avait pour but le massacre des Tutsi. A ce moment-là, a été tué un certain Martin qui travaillait au
tribunal à GIKONGORO, mais je ne sais pas en quoi exactement consistaient ses attributions au
tribunal. Lui aussi était originaire de KADUHA. Il est décédé et il fut enterré. Son domicile était situé à

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KADUHA près de la résidence de Laurent BUCYIBARUTA, il avait une résidence de vacances où il venait
se reposer et rencontrer ses proches. Lors de l’inhumation de Martin, il y avait un ex-militaire de
HABYARIMANA, il se nommait NGEZAHAYO Straton. Cet ex militaire, après l’enterrement, a fait le tour
des Hutu pour leur dire qu’il fallait commencer à tuer, et que c’était un ordre donné par le préfet
Laurent BUCYIBARUTA, de GIKONGORO.
C’est alors que GASANA, dont je vous ai parlé, a envoyé un message à mon mari demandant à celui-ci
et à ma famille de se réfugier à l’église car Straton avait changé d’avis. Ainsi, ma famille et moi avons
immédiatement fui à la paroisse de KADUHA. Une fois sur place, nous avons trouvé que beaucoup de
Tutsi s’étaient déjà réfugiés : l’église était remplie, les écoles étaient remplies, les salles de classes et les
salles de catéchuménat étaient remplies, et même à l’extérieur et même à même le sol. Il y avait
beaucoup de personnes mélangées avec des vaches et du bétail. Pendant un premier temps, nous
n’avons pas trouvé d’endroit où nous installer, mais nous avons fini par trouver une petite maison à
l’arrière de l’église. Nous y avons passé environ une semaine et à ce moment-là l’eau courante qui
passait jusque-là fut coupée et nous n’avons plus eu d’eau.
Là-bas, à la paroisse de KADUHA, il y a fait un prêtre burundais, qui s’appelait NYANDWI. Celui-là
travaillait de mèche également avec les tueurs. En effet, il se rendait au centre de KADUHA pour
signaler le nombre de Tutsi qu’il y avait. En ce qui concerne les enseignants Tutsi, en réalité telle est la
profession qu’ils pouvaient exercer, il les a pris et installés dans une maison à part. Il disait que c’est
dans cette maison que les conditions de vie allaient être les meilleures et que ça allait leur éviter de se
mélanger avec la population ordinaire. Lorsqu’ils ont constaté que le nombre de gens était devenu
important et que les gens ne fuyaient plus, on les a dépouillés des armes avec lesquelles ils avaient fui.
Donc, les armes furent prises. Ensuite, il y avait là du riz qui était dans les stock de la paroisse, du riz de
la CARITAS, qui était destiné aux chrétiens de la paroisse qui se trouvaient dans le besoin. Ils ont
demandé aux Tutsi qui avaient de l’argent sur eux d’acheter du riz, et ceux qui pouvaient ont acheté du
riz à 25 francs le kilo.
Comme la quantité du riz ne s’épuisait pas, ils ont diminué les prix jusqu’à atteindre la somme de 5
francs le kilo. Le 20, le riz était épuisé. Le lendemain, donc le 21, les gendarmes ont commencé à tirer
sur les gens très tôt le matin. Ils ont commencé par la maison où étaient les enseignants, c’est de ce
côté là que les premiers sifflements des balles ont été entendus. Ainsi, ils ont fusillé les gens et en
même temps la population ordinaire passait parmi les réfugiés et les coupait avec des objets
tranchants: certains réfugiés essayaient de se défendre avec des pierres. Ça a continué ainsi toute la
journée, les Hutu tailladaient les Tutsi.
Vers 15 heures, les gendarmes ont dit que les munitions venaient de s’épuiser. Ils ont contacté
GIKONGORO pour que d’autres munitions soient envoyées. A ce moment-là, à cette heure là ce fut
mon tour et ils m’ont découpée au niveau de la tête. Quand je me suis réveillé, j’ai vu que toute ma
famille avait été exterminée et que personne n’avait survécu. J’ai constaté que mes enfants étaient
devenus plus que des cadavres, ils les avaient découpés en morceaux. Quant à leur père, il avait été tué
par balles. Je suis resté au milieu ces cadavres-là, je ne voyais pas quoi faire, j’ai réfléchi et à un certain

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moment je me suis demandé s’il fallait quitter la salle du catéchuménat où je me trouvais pour me
rendre dans l’église. Je suis entrée dans l’église parmi les cadavres là-aussi. Je suis restée dans les
cadavres et j’y ai passé toute la nuit. Le lendemain, des attaquants sont revenus achever ceux qui
n’étaient pas encore morts. Quelques jours avant, on avait creusé de très grandes fosses qui étaient
prévues aux déchets et on disait que c’est là où les gens devaient mettre les saletés. Les fosses étaient
énormes.
C’est ainsi que le jour qui a suivi, ils ont trainé les corps des Tutsi qu’ils avaient tués la veille dans les
fosses qu’ils avaient creusées en mentant: ils disaient que c’était des latrines. Ils m’ont ainsi traînée
moi-même et une fois à la hauteur de la porte de l’église, ils ont constaté que je respirais encore. Ils
ont crié en disant: « Cette chose-là est encore en vie ». En réalité, il n’était plus question d’un être
humain, mais d’une chose. Ils m’ont demandé de me lever, mais je n’ai pas répondu car je ne pouvais
plus parler. Les gendarmes ont appelé la population pour qu’elle vienne me découper. Un de leurs
collègue lui a répondu qu’il ne fallait pas me tuer mais me laisser survivre car, si j’allais survivre, j’allais
raconter ce qui s’était passé. De toutes façons, j’allais mourir de ma belle mort et je n’allais pas rester
plus de 10 heures en vie car j’avais passé déjà deux jours parmi les cadavres.
Ils ont continué ainsi les tâches d’enfouissement des Tutsi. Certains étaient encore en vie. Ça a
continué ainsi jusqu’à 15 heures et à ce moment-là les gendarmes ont demandé à la population de
rentrer chez eux et de revenir le lendemain matin. Ils m’avaient placée contre un mur de l’église et de
là je pouvais voir les tueurs découper les gens, découper ceux qui essayaient de se lever, et je pouvais
reconnaitre certaines des victimes. Ainsi, vers 15 heures, ils sont partis me laissant là contre un mur de
l’église, où ils m’avaient installée. Est arrivé ensuite un policier qui me connaissais. Je lui ai demandé de
l’eau à boire car je me sentais très mal. Au lieu de me donner de l’eau à boire, il est allé mener une
attaque. Les attaquants, en me regardant, m’ont reproché d’être encore en vie, disant que c’était mon
beau-frère qui allait à des réunions des Inkotanyi [1] et que c’était mes congénères qui étaient à
l’origine de la guerre. Je leur ai rétorqué qu’ils pouvaient faire de moi ce qu’ils voulaient car je ne
connaissais pas les Inkotanyi, pas plus qu’eux ne les connaissaient.
Là où je vous montre sur la tête, là, un jeune qui faisait partie de l’attaque m’a donné des coups de
marteau. Je suis de nouveau tombée en syncope et je ne suis revenue à moi-même que le matin du
troisième jour. Comme je me réveillais, je me suis résolue à quitter l’église pour me rendre dans un
bois proche appartenant à l’église et je me disais qu’il fallait mieux que je meure là-bas, plutôt que
d’être découpée. Je me suis trainée à quatre pattes jusque-là et je n’arrivais pas à marcher
correctement, surtout que j’avais reçu un coup d’épée au niveau de la hanche. Je me suis ainsi traînée
vers le bois à quatre pattes, tel un bébé. En réalité, lorsqu’ils tuaient les gens, ils les dépouillaient de
leurs vêtements. Ils avaient donc pris les miens aussi, mais j’ai réussi à récupérer une espèce de pagne
pour m’en vêtir. Je me suis installée au niveau d’une souche d’eucalyptus avec des pousses, et je me
disais que j’allais rester là, que j’allais mourir là. Au moins, on n’allait pas me couper de nouveau.
J’y ai passé la nuit et le lendemain une attaque m’a surprise de nouveau dans ce bois. J’ai donc quitté
cette souche d’eucalyptus pour m’étendre à plat-ventre sur l’herbe en me disant qu’à leur arrivée ils
allaient me couper immédiatement la nuque. En arrivant, ils ont dit qu’ils avaient trouvé une autre
femme sur place, en parlant de moi. Ils ont creusé un grand trou en contrebas. Avec une corde, ils

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m’ont liée les jambes et ils m’ont déposée dans le trou. Ainsi, ils m’ont enterrée, ils ont mis la terre sur
moi, et après quoi ils s’en sont allés. Alors qu’ils partaient, ils se vantaient de m’avoir enterrée
vivante. Les autres rétorquaient que si j’étais vivant je n’avais qu’à me sortir de là. A ce moment-là, j’ai
pensé à mes enfants. Leur père avait reçu des balles, mais pour ce qui concerne ceux dont je n’avais
pas vu les corps, je me suis dit que peut être ils avaient pu s’enfuir et se réfugier vers les collines.
Alors je me suis dit, comme leur papa avaient été fusillé et moi enterrée, que si l’un des enfants avait
pu survivre en ayant fui, je me suis demandé qui allait prendre soin de lui. J’ai essayé de me battre
contre la terre qui était au-dessus de moi. J’ai essayé et puis j’ai réussi à sortir un bras, même s’il est
devenu handicapé. J’ai senti de l’air sur le bras et j’ai réalisé qu’il était à l’extérieur. J’ai essayé de
dégager de la terre avec mon bras et par la grâce de Dieu, la tête a fini par sortir de la terre. J’y ai
passé toute la journée, le bras gauche ainsi que la tête étaient à l’extérieur, mais le reste de mon corps
était toujours sous la terre car j’étais étendue sur le ventre et j’étais ligotée. J’essayais de remettre de la
terre pour mourir mais je ne réussissais pas à le faire, sachant que ma tête avait été dégagée. J’ai pensé
à la mort atroce qui allait être la mienne, que j’allais être dévorée par les animaux voraces, étant donné
qu’il y avait du sang sur ma tête.
En soirée, ce fut comme un miracle, je me suis retrouvée à l’extérieur du trou. J’ai essayé de délier la
corde de mes jambes et je me suis mise debout. Quand je venais de me dégager, j’ai entendu
quelqu’un qui criait et demandait qui m’avait aidé à sortir du trou. Je ne pouvais pas parler, je ne
voyais pas bien, mais j’ai observé et j’ai reconnu la personne. L’intéressé m’a indiqué la colline d’en
face me disant que c’était-là que je devais me rendre car lui-même n’allait pas découper quelqu’un
que Jésus avait ressuscité: s’il le faisait, Dieu allait couper son propre bras en l’air. Il a continué son
chemin. Quant à moi, je pouvais entendre les gens qui venaient de partout et disaient que certains
étaient encore en vie et allaient être pourchassés. J’ai réfléchi et j’ai pensé à un Hutu prénommé
Laurent, qui était parrain de l’un de nos enfants. J’ai pensé qu’il fallait que j’aille chez lui, soit il me
tuait, soit il me cachait. Ainsi, je suis partie chez lui ne portant rien sur moi, hormis le pagne dont je
vous ai parlé.
Le lendemain, je me suis rendue au domicile de Laurent. Quand il m’a vu, il m’a demandé où j’étais
avant, si je n’étais pas encore morte. Il m’a laissée entrer dans la maison et j’y ai passé la nuit. Le matin
il m’a conseillé d’aller chez MILGITHA, c’était une religieuse qui accueillait les Tutsi blessés et m’a dit
d’aller me faire soigner [2]. Il m’a ouvert la porte et je suis partie le matin, mais on n’empruntait pas les
chemins ordinaires, on prenait les chemins le long des collines, on passait par les brousses et les forêts.
Je suis arrivée à destination, à l’établissement de la religieuse. Comme les portes étaient fermées, je me
suis étendue près de la porte avec une autre femme que je venais de croiser, mais elle n’était pas
morte. Quand le jour s’est levé, les veilleurs de MILGITHA ont ouvert la porte et ils nous ont chassées.
La religieuse avait interdit de tuer les gens chez elle, et que si quelqu’un tuait, il allait être licencié.
Ainsi, ils nous ont laissé partir et nous sommes parties, mais personne ne pouvait parler. On nous a dit
que nous n’avions qu’à nous rendre à l’hôpital principal, situé en contrebas, car nos interlocuteurs
disaient que c’était là-bas qu’on accueillait les gens. Nous sommes ainsi partie, la femme qui était avec
moi est allée à l’hôpital, mais moi je me suis dit que le personnel qui me connaissait allait me tuer,

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donc je me suis cachée dans les brousses sur la route. Là-aussi, j’ai trouvé sous la route des cadavres
qui gisaient, et je me suis étendue parmi eux.
A un certain moment, sont arrivés des gens avec les chiens qui étaient en train de débusquer les
blessés qui n’étaient pas encore morts. Par chance, là où j’étais, au milieu des cadavres, les chiens ne
sont pas venus, ils sont allés de part et d’autre vers les buissons, mais pas à cet endroit précis. Je me
suis décidée de quitter cet endroit pour retourner chez Laurent car je me disais que s’il me voyait pour
la deuxième fois, il allait m’éliminer définitivement. Je suis arrivée chez lui le matin et il m’a dit que je
ne devais pas entrer dans sa maison, mais que je devais me mettre dans les brousses, que lui partait à
une réunion à la sous-préfecture pour savoir ce qui allait s’y dire et qu’il allait me révéler le contenu de
cette réunion à son retour.
J’ai passé toute la journée dans ce bois, la chance qu’il y avait c’est qu’il pleuvait et donc on pouvait
boire de l’eau de pluie. Au retour de la réunion, le soir, son épouse est venue me voir en cachette et
m’a invitée dans la maison. De retour de la sous-préfecture, le mari m’a dit que je devais me rendre à
la sous-préfecture, qu’on avait demandé aux gens qui avaient caché des Tutsi de leur dire de se rendre
la sous-préfecture et qu’on allait leur donner là-bas des attestations qui allaient permettre de ne pas
être tués, que c’était le sous-préfet qui avait affirmé cela. Je suis donc sortie, mais au lieu de me rendre
à la sous-préfecture, je suis retournée chez MILGITHA pour me faire soigner. De nouveau, je suis
retournée dans les brousses en me cachant, car je ne pouvais pas prendre les chemins ordinaires. Je
suis arrivée chez MILGITHA vers 9 heures du matin. De nouveau, ses employés ont tenté de me tuer et
en même temps les gens qui transportaient les malades s’étonnaient qu’on dise que les Tutsi avaient
été exterminés alors qu’il y en avait encore.
Un chef parmi les employés a dit qu’il fallait me laisser rencontrer MILGITHA pour qu’elle me soigne
avant d’aller avec les autres à la sous-préfecture. L’employé en question se prénommait Gratien. Ainsi,
elle m’a ouvert et elle m’a dirigée vers une douche. Elle m’a donné une robe à me mettre ainsi qu’une
jaquette pour me couvrir. J’ai reçu cela d’une fille sur place. Par la suite, on m’a conduit vers MILGITHA
qui m’a demandé ce qui m’était arrivé. Elle a voulu savoir aussi ce qu’il en était de ma famille et j’ai
répondu que tout le monde avait été exterminé. Ainsi, on m’a soignée et on m’a même montré un lit,
et elle a dit qu’il fallait prendre soin de moi car je ne pouvais pas arriver jusqu’à la sous-préfecture.
Ainsi, j’ai trouvé dans cette pièce d’autres personnes qu’elle avait accueillies, des enfants comme des
adultes qui étaient des victimes du génocide.
À un certain moment on a dit à MILGITHA qu’elle devait fuir elle aussi. Elle nous a dit qu’elle ne
pouvait pas nous laisser ainsi dans son établissement et que nous devions aller à l’hôpital, que l’État
nous avait en responsabilité et que c’est cet État qui allait prendre soin de nous. Ainsi, nous nous
sommes rendus à l’hôpital où nous avons trouvé d’autres personnes. Nous y sommes restées un
certain moment: une attaque est arrivée. Les attaquants nous ont dit que l’autorité leur avait dit de
venir nous tuer. À un certain moment nous avons su que les personnes qui étaient allés à la souspréfecture sur ordre du sous-préfet, pour obtenir un certificat, avaient été conduites dans un silo où
l’on stockait des vivres et qu’on les avait toutes tuées.

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À un certain moment nous avons vu arriver le sous-préfet avec des agents de la MINUAR. Ils ont dit
que c’était pour nous conduire à NYARUSHISHI. Nous avons été transportés à bord des véhicules
jusqu’à MURAMBI, à GIKONGORO. Nous avons vécu quelques jours dans le sang des personnes tuées
à MURAMBI. Je n’avais pas de quoi manger, mais d’autres véhicules sont arrivés et nous ont
transportés à BUTARE, dans la zone sous contrôlée par les Inkotanyi. Et c’est là que la vie a repris. De
MURAMBI, des avions ont transporté des gens au Congo, y compris ceux qui ne voulaient pas. Ainsi les
militaires du FPR m’ont soignée et m’ont donné de quoi manger. Ils se sont occupés de moi. La vie a
repris même si je ne me suis pas complètement rétablie car j’ai un handicap au niveau du dos. Il en est
de même de ma tête, je ne peux plus rien porter. En un mot, je n’ai plus de vie. Je m’arrête là.
Sur questions de monsieur le Président, le témoin va donner quelques complément d’information.
Elle 68 ans aujourd’hui, car née en 1955. Au moment du génocide elle avait 40 ans et habitait KADUHA
depuis 1972, depuis son mariage. Elle était originaire d’une localité voisine. Elle connaissait le préfet
Laurent BUCYIBARUTA, comme voisin mais sans plus. Elle le saluait en passant devant chez lui. Le souspréfet, elle le connaissait peu aussi pour l’avoir vu lors d’une réunion.
« Aloys SIMBA, je le connaissais comme un colonel de l’armée d’HABYARIMANA [3]. Je connaissais son
frère et j’avais entendu dire que le colonel était venu pour apprendre aux jeunes le maniement des armes.
Mais je ne l’ai jamais vu moi-même. »
Le président: le major MUGEMA, ça vous dit quelque chose?
Le témoin: Oui, je le connaissais également car il habitait dans le centre de KADUHA. Je l’ai croisé
quand il est venu dans sa propriété à KADUHA, car il y possédait également une propriété.
Président : vous avez parlé du 1er substitut, appelé GASANA. Vous savez ce qu’il lui est arrivé ?
Le témoin : ce que j’ai entendu dire, c’est qu’on l’avait trouvé assis sur une terrasse chez MUTABAZI le
jour où on est venu à KADUHA. GIKONGORO a envoyé deux militaires sur une même moto. Ils l’ont
trouvé assis sur la terrasse de ce commerçant MUTABAZI, ils sont venus le prendre ce jour où on tuait
les gens à la paroisse. Ils lui ont posé la question: « Pourquoi tu n’es pas allé aider les autres tuer à la
paroisse? » Il a répondu qu’il ne pouvait pas tuer car il n’avait rien contre les Tutsi. Il leur a demandé
de le laisser regagner son domicile pour qu’ils le tuent chez lui et non à l’extérieur. Ils sont donc
descendus avec lui et ils ont tiré sur lui, ils l’ont tué chez lui, dans son salon.
Président : est-ce que vous avez vu ou entendu dire que des gens ont été arrêtés au début du
génocide car justement ils attaquaient les Tutsi. Vous avez entendu que des gens ont été mis en
prison ?
Le témoin : non, ils n’ont jamais arrêté les Hutu mais ce sont les Tutsi qui ont été emprisonnés.
Président : vous nous dites que ce sont des Tutsi qui ont été emprisonnés où ?
Le témoin : ils ont été emprisonnés à la sous-préfecture pendant que les autres Tutsi fuyaient. À un
moment, ils ont été relâchés et ils ont trouvé refuge à la paroisse.
Président : quand vous arrivez à la paroisse, vous avez remarqué s’il y avait des gendarmes ?
Le témoin :: oui, il y en avait.
Président : il y a eu des attaques à la paroisse avant la grande attaque ?

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Le témoin : avant l’attaque, ce sont des gendarmes qui ont commencé à tirer, qui ont débuté les
attaques. Ils ont d’abord tiré comme pour donner le signal, pour ameuter les autres et qu’ils viennent
tuer.
Président : ça c’est au moment de la grande attaque le 20/21 avril. Mais avant ça, il y a eu d’autres
attaques?
Le témoin : je n’ai pas vraiment vu les attaques. Par contre, je vous ai parlé de ce prêtre NYANDWI. A
la paroisse, il venait surveiller les arrivées et donner des nouvelles aux tueurs: « Attendez, ils ne sont
pas encore assez nombreux. Venez, c’est bon. »
Président : vous avez indiqué, si j’ai bien compris, que certains Tutsi, avant d’aller à la paroisse, étaient
allés à la sous-préfecture et que là, on leur avait pris leurs armes. C’est quelque chose qu’on vous a dit
au moment où vous arrivez à la paroisse ou qu’on vous a dit après ?
Le témoin : en arrivant à l’église, ce sont les personnes auxquelles on avait retiré ces armes qui me
l’ont dit.
Président : et parmi les personnes à l’église, certaines avaient des armes ? Et dans l’affirmative, est-ce
qu’à un moment on leur a retiré ces armes ?
Le témoin : on leur a retiré les armes pour qu’ils ne se défendent pas.
Président : et ça c’était quand ? Quand ils sont arrivés, un peu avant l’attaque ?
Le témoin : les personnes de la sous-préfecture, on leur a retiré les armes dès leur arrivée et tous les
autres qui sont allés directement à la paroisse, dès qu’ils arrivaient on leur retirait les armes. Ce sont
ces mêmes armes qu’on a données aux Hutu.
Le témoin de continuer de répondre aux questions de monsieur le président.
« Nous sommes tous allés, en famille, dans la salle du catéchuménat car nous ne voulions pas nous
séparer. Nous étions avec des voisins et des personnes âgées. Nous étions un peu à l’étroit à l’intérieur.
Mon fils aîné était marié et père d’un bébé de trois mois: on l’a tué avec son enfant. Le plus jeune avait
deux ans.
L’abbé NYANDWI? Il se tenait à l’arrière et il a joué un rôle dans l’assassinat des gens de ma famille. Il
est allé chercher Antoine HARERIMANA, le petit frère de mon père. NYANDWI s’est rendu dans le
bâtiment où on avait rassemblé les enseignants. Il a fourni de l’essence pour incendier la maison. C’est le
prêtre qui avait décidé de mettre à part les intellectuels. Il pouvait ensuite les dénoncer auprès des
gendarmes. Antoine HARERIMANA était le directeur de l’école CERAI [4]. Par contre, je n’ai pas été témoin
de viols. Laurent, chez qui je suis allé, était un agriculteur. Il a participé au génocide et est toujours en
prison. »
Président : Vous allez finir par séjourner chez la sœur MILGITHA, puis à l’hôpital. Vous savez si la sœur
MILGITHA a reçu des visites, que ce soit du sous-préfet ou de l’évêque Mgr MISAGO ?
Le témoin : Non, je ne sais rien de telles visites. Par contre, ce que MILGITHA nous a dit, c’est qu’elle a
demandé des vivres à l’évêque qui a refusé car personne ne lui avait demandé d’accueillir des réfugiés.
C’est ce que nous a dit MILGITHA avant de fuir.
Monsieur le président évoque la personne d’un autre prêtre, Edouard MUTANGANA. Le témoin le
connaît comme adjoint de monseigneur MISAGO et frère d’un certain Martin dont elle a déjà parlé.
Président : vous voyez quelque chose que vous souhaiteriez ajouter ?

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Le témoin:: ce que je veux ajouter, c’est que toute personne qui a eu un rôle dans la commission du
génocide devrait reconnaitre son rôle et demander pardon aux Rwandais et à ses victimes. Pour qu’il
puisse terminer sa vie en étant repenti et qu’il ne meure pas avec ses péchés car ce sont des grands
péchés. Dieu pardonne à quiconque lui demande pardon.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES.
Me GISAGARA : je voulais vous poser une question Madame. Vous avez expliqué que vous habitez
actuellement dans le BUGESERA. Pour information de la Cour, le BUGESERA est dans le Sud-Est du
RWANDA, c’est très loin de KADUHA où vous étiez pendant le génocide. Pourquoi vous n’êtes pas
retournée vivre à KADUHA après le génocide ?
Le témoin: à KADUHA j’étais seule.. Pendant ces années, jusqu’en 2000, on était à la recherche des
Tutsi ? On continuait de les tuer.
Me GISAGARA : Je résume : vous êtes survivante du génocide mais vous avez aussi failli vous faire
tuer après 1994 et c’est vous qui fuyez et pas les tueurs. Et vous êtes allée vous réfugier au
BUGESERA. Nous avons entendu le récit terrible de ce que vous avez vécu pendant le génocide, vous
avez échappé à une mort certaine plusieurs fois, vous avez été très éprouvée, et d’ailleurs, la dernière
phrase que vous avez prononcée en finissant votre témoignage, c’est « Je n’ai plus de vie ». Ça fait 28
ans que vous vivez dans cette situation, comment faites-vous, où trouvez-vous la force pour faire
comme ça ? Si vous avez une réponse…
Le témoin: moi, maintenant, ma vie est entre les mains de l’État, je vis par l’aide de l’État, c’est ça qui
me fait tenir debout.
QUESTIONS du MINISTÈRE PUBLIC :
Ministère public: je voudrais revenir sur la réunion qui s’est tenue sous la présidence du sous-préfet
Joachim HATEGEKIMANA, à laquelle a assisté votre voisin LAURENT, après la grande attaque. Il vous a
restitué ce qui a été dit au cours de cette réunion, et notamment le fait qu’il a été dit aux Hutu qui
cachaient des Tutsi chez eux, de leur dire de se rendre à la sous-préfecture où on leur délivrerait des
attestations pour ne pas être tués. Est-ce que LAURENT vous a dit qui a assisté à cette réunion ?
Le témoin: il nous avait dit que c’était toute la population de KADUHA
Ministère public: vous avez dit que des Tutsi sont allé à la sous-préfecture, pourquoi vous faites le
choix de ne pas y aller ?
Le témoin : je ne sais pas, j’ai fait le choix d’aller d’abord me faire soigner par la sœur MILGITHA et d’y
aller après.
Ministère public: en fait, manifestement c’était un piège de dire aux Tutsi de se rendre à la souspréfecture pour avoir des attestations. Mais vous n’en aviez aucune idée quand LAURENT vous
rapporte ces propos ?
Le témoin : effectivement, c’était un piège de dire à ces personnes d’aller là-bas, c’était pour les
rassembler.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : M. GASANA dont vous nous avez parlé et qui vous donne des conseils à plusieurs
reprises. Quelles sont vos relations avec lui, c’est un ami, simplement un voisin ?
Le témoin : il avait une femme Tutsi qui s’appelait Monique MUNYANA. Elle était de la même famille,
c’était le frère de mon mari, c’était un beau-frère. Son épouse était la sœur de Mme GASANA.

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Me BIJU-DUVAL : donc je comprends que c’était un ami, vous étiez même en parenté avec lui, j’ai
bien compris ?
Le témoin : je vous ai bien dit que c’était une deuxième femme avec laquelle on avait 3 enfants, 2 filles
et 1 garçon. MONIQUE avait fui et était chez GASANA parce qu’ils avaient eu ensemble des enfants.
On l’a tuée avec GASANA et leur enfant, le garçon. Quand il allait tuer les filles, il était écrit dans l’arbre
« ne les tuez pas. Vous allez tuer les enfants de GASANA alors que c’est un Hutu » mais il a été tué avec
son fils, le garçon, et sa maman.
Me BIJU-DUVAL : vous nous avez parlé d’une réunion en nous indiquant que certains Hutu vous
disaient qu’ils venaient d’une réunion de la sous-préfecture qui avait pour but le massacre des Tutsi.
Alors, est-ce que pendant cette période-là vous êtes toujours à votre domicile ?
Le témoin: quand ce message nous est parvenu, nous étions encore à la maison, chez nous. Mais nous
ne sortions pas
Me BIJU-DUVAL : et ce sont des Hutu qui se présentent chez vous ?
Le témoin : c’était des Hutu qui venaient de la réunion qui nous ont dit cela. Un des participants se
vantait en disant que les Tutsi avaient été relâchés pour qu’ils soient tués.
Me BIJU-DUVAL : donc c’était des Hutu qui se réjouissaient de meurtres de Tutsi ?
Le témoin: oui, ils se vantaient.
Me BIJU-DUVAL : vous avez dit qu’au moment de l’inhumation de MARTIN, un ex militaire démobilisé
NGEZAHAYO Straton a fait le tour des Hutu pour dire qu’il fallait commencer à tuer les Tutsi sur ordres
du Préfet. Sommes-nous d’accord pour dire qu’à ce moment-là vous êtes toujours confiné dans votre
maison ?
***La connexion avec KIGALI se coupe.***
Me BIJU-DUVAL : vous étiez arrivé parmi les derniers à la paroisse et vous étiez allés dans le
catéchuménat car il ne restait de la place que là-bas?
Le témoin: oui, une salle qu’on appelle KIBEHO.
Me BIJU-DUVAL : on a compris que ce n’est pas GASANA lui-même mais une autre personne,
HARERIMANA.
Président : je crois qu’on a bien compris qu’HARERIMANA était le beau-frère, directeur du CERAI.
Me BIJU-DUVAL : donc cela se passe pendant l’enterrement de MARTIN ?
Président : je pense que c’est concomitant, je ne crois pas que ce soit à l’enterrement de MARTIN que
ce message soit diffusé.
Me BIJU-DUVAL : j’ai compris qu’à l’enterrement de MARTIN, un ex militaire avait fait le tour des
Hutu, je voulais m’assurer qu’elle n’était pas présente.
Président : ce n’est pas ce que j’ai compris.
Me TAPI : M. le Président, vous avez raison.
Président : je pense que c’est au témoin de le dire.
Me BIJU-DUVAL : c’est lors de l’enterrement de MARTIN qu’un ex militaire aurait dit aux Hutu qu’il
fallait commencer à tuer sur ordre du Préfet ?
Président : nous vous remercions, Madame.
Le témoin. : merci à vous aussi.

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Audition de monsieur Ignace MUSANGAMFURA, rescapé, partie civile.
Déclaration spontanée.
Je vous ai décliné mon identité, je suis originaire de l’ancienne préfecture de GIKONGORO, commune
de MUSANGE. Mon domicile était situé près de KADUHA, et c’est à cette même localité qu’était le
bureau de la sous-préfecture et la paroisse. Au moment où a été commis le génocide contre les Tutsi,
je poursuivais ma scolarité au même endroit à l’Ecole des sciences infirmières, j’étais en deuxième
année. Lorsque le génocide a commencé, j’étais encore à l’école. La raison qui a fait que nous étions
encore à l’école c’est que l’école était nouvelle et avait ouvert après les autres, les autres élèves étaient
alors en vacances de Pâques, hormis ceux qui avaient une situation particulière. Ceux qui étaient en
vacances devaient recommencer le 7. Lorsque l’avion du président HABYARIMANA est tombé la veille,
donc le 6, le lendemain nous devions partir pour les vacances. Nous étions en pensionnat. Vous
pouvez vous imaginer un élève en pensionnat qui, le lendemain, devait partir en vacances. Hormis le
fait que mon école était proche, sinon nous ne nous voyions pas avec la famille. Si je retourne en
arrière, j’avais grandi dans une famille dans laquelle il y avait encore mes parents et mes grandsparents toujours en vie. Vous pouvez imaginer que cette famille vous manque.
Le 7, nous nous apprêtions à partir pour les vacances. La veille, nous avions regardé un film à l’école, et
le lendemain nous nous sommes levés. À 5 heures du matin, les premiers élèves étaient déjà levés
pour prendre les douches, le nombre de douches étant insuffisant, nous devions nous relayer. Quand
je me suis levé, j’ai remarqué que le directeur avait réuni dans la cour les élèves qui s’étaient levés plus
tôt. Chacun était curieux car c’était inhabituel. Quand nous nous sommes approchés, il était en train de
dire que l’avion transportant le Président et d’autres personnes avait été abattu, et donc que nous ne
pouvions plus rentrer. La veille, étaient arrivés dans l’école des bus devant transporter les élèves venus
de loin. Nos collègues nous ont accusés d’être responsables de l’attentat contre l’avion. La journée
s’est déroulée dans ce climat divisé. Ce fut de même pour le lendemain et les jours qui ont suivi, nous
étions tous à l’école. Durant cette période, certains professeurs venaient rapporter aux élèves ce qui se
passait à l’extérieur, et notamment qu’il y avait un plan d’extermination des Tutsi, d’où l’agressivité de
certains élèves dû à la sensibilisation des professeurs. C’est cela qui nous permettait d’ailleurs de
recueillir des informations. Nous avons constaté que les Tutsi fuyaient et que parmi ces gens, il y avait
des personnes et des élèves qui n’étaient pas originaires des contrées éloignées, ceux-là passaient par
l’école et informaient les élèves de la situation qui prévalait.
Concernant plus particulièrement ma famille, elle avait fui le 14. De l’école, je pouvais voir mon
domicile. Ils avaient fui les derniers car dans notre voisinage, il y avait beaucoup de Tutsi et dans un
premier temps, ils s’étaient ligués contre les attaques pour se défendre. Le jour de leur fuite, c’était un
jeudi très tôt le matin. Tout le ciel de KADUHA était noir de fumée car les maisons avaient été
incendiées et il m’était devenu impossible d’avoir une vision sur notre foyer. Je me suis approchée de
la grille de l’école pour regarder la multitude de personnes fuir. C’est dans ce cadre-là que j’ai vu ma
grand-mère ainsi que beaucoup d’autres personnes, du bétail, des vaches, des gens avec des bagages
et des enfants. Je me souviens beaucoup de ma grand-mère, comme elle était âgée elle se déplaçait
lentement avec une canne, les autres l’avaient devancée. Vers 9 heures, j’ai vu aussi mon père qui
s’approchait de-là, je pense qu’il était parti pour revenir plus tard, pour venir me parler. Il s’est

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approché de la clôture, qui était faite de fils de fer barbelés, permettant d’avoir une vue sur la route. Je
me suis approché de cet endroit et de mon père qui avait un ensemble retroussé de couleur brune, et
c’est à ce moment-là que le préfet des études, prénommé Célestin, m’a couru après et je suis retourné
à l’intérieur, en évitant qu’il me fasse du mal. Quant à mon père, il était monté sur un talus et a donc
rebroussé chemin pour rejoindre les autres à l’église. C’est la dernière fois que j’ai vu mon père. Nous
avons continué à vivre cette vie jusqu’au 20. Mais, entre temps, des jeunes gens avaient commencé à
passer par la route: ils avaient été entrainés principalement le matin et en fin de journée. Ces gens
passaient avec des coups de sifflet, ce qui nous a laissé présumer qu’ils s’entraînaient à faire quelque
chose. Je pouvais reconnaître certains visages, il y avait beaucoup de personnes, mais comme je n’étais
pas loin, je pouvais les voir. On pouvait voir que c’était planifié.
Finalement, arrive la date du 21 et nous, tous les élèves, nous étions à l’école. C’est ainsi qu’à l’aube,
nous avons entendu des balles du côté de l’église. En réalité, l’école et l’église ne sont pas éloignés, à
part qu’entre les deux il y avait 1 km ou 2 avec un hôpital entre. Toujours est-il que lorsqu’on est à
l’école, on n’a pas de vue sur l’église. Mais, comme il y avait des étages, on pouvait voir du balcon ce
qui se passait, comme si on regardait un match sur les collines. La population était mobilisée. La
localité de KADUHA est entourée de collines et donc nous pouvions regarder ce qui se passait sur la
route. Nous pouvions voir sur la colline d’en face et sur la route beaucoup de personnes. Je parle de
très tôt le matin. Quand nous avons entendu les bruits de balles, nous nous sommes levés. Ce qui s’est
passé ce jour là, ce sont des choses qu’aucun être humain ne devrait voir. Le jour s’est levé, les gens
couraient, adultes et enfants, il y avait du sang partout sur la route et des cris. Ceux qui partaient en
groupe se heurtaient à des attaquants qui les ramenaient.
C’était apocalyptique. Ce sont des choses que l’on ne peut pas expliquer par des mots. La journée s’est
déroulée ainsi dans ce vacarme. Nous observions toutes ces scènes macabres. Le lendemain, c’était la
même chose mais le nombre de gens avait diminué: on pouvait toutefois entendre du bruit. C’était
toujours la même chose. Les tueurs s’étaient organisés en groupes, on pouvait les entendre courir
derrière quelqu’un qu’ils retrouvaient. Mais il n’y avait plus personne sur la route, les tueurs étaient
plutôt dans les brousses. Les journées du 22 et 23 se ressemblaient, on voyait des gens accomplir leur
« travail » comme on le disait. Au fur et à mesure que les jours avançaient, moi et mes compagnons
d’infortune continuions à subir les menaces au sein même de l’école.
Finalement le 25, certains d’entre eux ont dit, à nous les plus influents, de fuir l’école. La raison était
que notre directeur GASANA Ignace nous conduirait comme s’il s’était agi de ses enfants. Durant les
dates qui précédaient, il quittait l’hôpital où il travaillait pour s’enquérir de notre situation. Il nous
trouvait dans nos groupes respectifs, il nous tranquillisait et nous rassurait. On nous a menti que le
directeur nous avait livrés, c’était pour que les autres sortent et quittent l’école car ils savaient que
quiconque se retrouvant à l’extérieur allait être tué. Nous nous sommes regroupés à huit garçons,
nous avons planifié notre fuite de l’école. Nous avons quitté l’école le 26, à 23 heures 30. On se disait
que si nous fuyions, ils n’allaient rien faire aux autres Tutsi, que le problème c’était nous. Il ne restait
que des jeunes filles et des enfants qui ne posaient aucun problème. Ce jour-là, nous nous sommes
mis en route et dans notre idée nous nous rendions au BURUNDI. Nous nous disions que ce qui s’était
passé à KADUHA s’était arrêté à cet endroit car nous n’avions pas d’informations supplémentaires sur

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ce qui se passait à l’extérieur. Nous nous disions que ailleurs, il y avait des problèmes certes, mais qu’il
y avait moyen de marcher la nuit et se cacher dans les brousses la journée. Nous pensions mettre trois
jours pour aller au BURUNDI. Nous étions en pension, nous avons pris dans nos sacs quelques objets,
des draps de lits, nous avons superposé nos vêtements que nous portions.
Pour ce qui concerne le trajet que nous avions emprunté, étant natif de cette région, je connaissais le
chemin qui pouvait nous emmener à la rivière RUKAHARA. Je connaissais cette localité car dans le
temps j’avais eu à fréquenter une école autre que celle de notre village. Alors nous nous disions que
nous n’allions pas être remarqués si nous empruntions le petit sentier, sans emprunter la route
principale. La route fut longue. Nous sommes arrivés à la rivière. La chance que nous avons eue c’est
que dès que nous avions quitté l’école, il avait commencé à pleuvoir. Nous sommes arrivés à CYANIKA,
il y avait là un prêtre Tutsi du nom de NIYOMUGABO. Nous pensions qu’une fois à la paroisse de
CYANIKA, nous allions nous y cacher et la nuit nous allions poursuivre notre route. Parmi les huit
garçons qui étaient avec moi, un était originaire de CYANIKA et c’est lui qui nous a donné les
informations. Mais, une fois à CYANIKA, nous avons vu que la même chose s’était produite et nous
nous sommes retrouvés face aux cadavres dans le presbytère. Nous avons commencé à discuter entre
nous: pour les uns nous devions aller dans les brousses, et pour les autres aller à l’école secondaire
locale. Alors que nous nous le disions, l’un de nos collègues, originaire de la région de NYAMUGABE, a
refusé d’aller vers l’école et a sauté dans les brousses. Nous, nous avons continué vers l’école et nous
nous sommes retrouvés presque tout de suite face à face avec des gens allant travailler, travailler
voulait dire tuer. Nous étions fatigués et ils nous ont fait asseoir et nous ont demandé ce que nous
faisions. Nous avons menti et nous avons dit que nous rentrions chez nous car il n’y avait pas à
manger. Par malheur, l’un des élèves, Jean de Dieu, qui était avec nous, originaire de cette région, était
connu étant donné que son père était directeur d’école. Là encore ce fut long mais lorsqu’ils nous ont
dépouillé de tous nos effets, ils nous ont montré tous les chemins pour la commune de
KINYAMAKARA. Nous avons fait quelques mètres avant de tomber sur une autre attaque qui nous
repoussait et nous sommes allés dans l’école. Nous sommes tombés alors sur trois gendarmes et
quand nous sommes arrivés au portail, l’attaque n’était pas encore là. Nous sommes entrés, et la
population est arrivée après pour attaquer mais n’a pas pu à cause des gendarmes. Nous avons
expliqué aux gendarmes que nous venions de l’école et que nous manquions de nourriture. Les
gendarmes ont expliqué à la population qu’ils allaient analyser la situation et que la population devait
continuer son travail et que s’il fallait que l’on nous tue, les gendarmes préviendraient la population.
Les gendarmes nous ont posé des questions et ont remarqué que nous étions en train de mentir. Ils
ont demandé des cartes d’identité et nous avons dit que nous n’en avions pas. Nous avons montré nos
cartes d’élèves. Parmi nous deux étaient en âge d’avoir une carte d’identité, moi je n’en avais pas
encore. Nous campions sur notre positon comme quoi l’école nous avait demandé de partir. Ils sont
allés voir le directeur de l’école. Mais, comme nous étions fatigués, lors de son arrivée, certains d’entre
nous dormaient déjà à cause la fatigue à cause de ce travail nocturne. Ils savaient bien que nous étions
toujours à l’école et ils ont tenté de contacter l’inspecteur d’arrondissement. L’inspecteur lui a dit que,
en ce qui concerne les élèves de KADUHA, il y avait encore de la nourriture et que les élèves étaient
encore à l’école. Comme l’inspecteur s’était d’abord renseigné, il a dit à ce directeur qu’un autre

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directeur avait dit que des élèves s’étaient échappés, et donc que nous devions rester là le temps que
notre situation soit examinée. Nous entendions des bruits à l’extérieur. Les gendarmes se sont bien
comportés avec nous et les gendarmes qui étaient là nous surveillaient, nous apportaient des
provisions.
Le quatrième jour, donc le 30 avril, vers 18 heures, est arrivé un véhicule, soit du sous-préfet, soit de
l’EAV, KADUHA je ne me rappelle pas exactement. Ce véhicule- à est arrivé, en fait c’était des véhicules
qui se ressemblaient, c’était des pick-up. À bord de ce véhicule, il y avait le directeur de l’EAV, un
gendarme et un chauffeur. À l’arrière, il y avait des conseillers de secteur qui venaient d’une réunion de
GIKONGORO, je ne me rappelle pas de leur nombre mais ils étaient entre huit et dix. On nous a dit
qu’il fallait que nous montions à bord de ce véhicule pour que nous puissions aller à KADUHA. La nuit
venait de tomber et je n’avais pas pu expliquer aux conseillers qui nous étions. Le véhicule a roulé et
après environ 3 km, nous sommes arrivés à une barrière. Dans la cabine, il y avait le directeur, le
chauffeur et GAHAMANYI Gaspard, ainsi qu’un gendarme. Les conseillers ont expliqué qu’ils venaient
d’une réunion à GIKONGORO. Par là, nous avons compris ce que nous devions donner une
explication. En ce qui nous concerne, nous étions un groupe restreint, lorsque nous arrivions à un
contrôle nous disions que nous venions d’une réunion pour empêcher que les conseillers disent qu’ils
n’étaient pas avec nous; donc nous prenions les devants. On nous arrêtait en cours de route, et à un
certain moment on a voulu nous faire descendre et on s’est arrêté à KADUHA vers 20 heures. Le
directeur était à l’hôpital. Nous avions peur que le directeur nous tue. Nous avons trouvé à l’école le
préfet des études. Il nous a enfermé dans une petite pièce où l’on stockait les matelas. Le directeur
nous a retrouvés là-bas le matin quand il rentrait de son travail de nuit. À son arrivée, nous avons
constaté qu’il était attristé de la situation dans laquelle il nous trouvait. Il n’y avait pas assez d’oxygène
dans le local et certains commençaient à vomir.
Le directeur nous a reproché de ne pas avoir suivi son conseil alors qu’il nous considérait comme ses
propres enfants. Comme il était mon homonyme il se prénommait Ignace, il a dit qu’il n’allait plus
jamais m’appeler par ce prénom, ce qu’il n’a plus jamais fait. Il nous a rassurés en disant que si nous
devions mourir, il mourrait avec nous. Il nous a ramenés avec les autres élèves et nous a installés dans
un dortoir à nous qui depuis lors fut appelé l’Etat Major de la gendarmerie. C’était pour dire par là que
c’était le local des Inyenzi car l’état major de la gendarmerie avait été donné au FPR dans les accords
d’ARUSHA . Nous ne savions pas ce qui s’était passé, mais à midi, à l’heure du déjeuner, nous allions
manger. Des militaires sont arrivés et ont fait sortir tout le monde et ont demandé aux Tutsi de se
mettre à part. Le directeur a dû venir, il les a suppliés et ils sont repartis. Quant à nous, revenant de
CYANIKA, nous étions enfermés dans le dortoir. Les militaires sont partis. Le directeur est revenu avec
le major MUGEMANA. Le major était en charge des militaires qui étaient malades, donc c’est le
directeur qui prenait en charge ces militaires blessés.
Après ce moment-là, le directeur a lancé un communiqué demandant aux parents qui avaient un élève
dans l’école devaient venir le prendre. Le communiqué était radiodiffusé. Les parents sont venus
chercher leurs enfants et ne sont restés là que les élèves Tutsi qui n’avaient plus personne. Nous étions
37 au total, 32 Tutsi et 5 autres venant de zones de guerres, des déplacés de guerre comme on les

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appelait. Nous sommes donc restés ainsi à l’école et nous sommes restés dans la cour intérieure
pendant les mois qui ont suivi. Nous ne sommes pas sortis et nous n’avons pas été attaqués. Lorsque
nous sommes arrivés au mois de juin, certains avaient perdu l’usage de leurs yeux. Cette situation a
perduré jusqu’au 7 juillet et les militaires français sont arrivés et nous ont déplacés là-bas à MURAMBI.
Selon les militaires français, c’est le directeur qui les avait contactés. Avant de nous prendre ils nous
avaient fait faire un choix: soit rester là, soit aller à MURAMBI. Nous avons passé deux semaines à
l’ETO de MURAMBI, il y avait du sang sur les murs. Aujourd’hui, est érigé le mémorial. Il y avait aussi
des Interahamwe et des gens qui fuyaient. Les plus âgés d’entre nous ont requis des Français qu’ils
nous conduisent dans la zone du FPR; on nous a demandé de dresser une liste. Nous avons fait
comme une pétition. Pour ceux qui l’avaient souhaité, des camions nous ont conduits jusqu’à BUTARE.
C’était après la mise en place du nouveau gouvernement, je ne me rappelle pas quand précisément,
environ 2 semaines plus tard que nous avons senti que nous avions la vie sauve. Je ne vais pas
m’attarder sur cela. Je vais vous parler de la vie d’après.
C’était une vie d’orphelin, nous venions de survivre et j’étais tout seul. Dans ma famille j’étais l’ainé,
j’ignore l’endroit où quelqu’un de ma famille aurait été tué, je n’ai retrouvé aucun corps que je pourrais
enterrer dignement. Ce fut une vie de débrouillardise, pas de parents à qui s’adresser. Comme nous
sommes restés avec un groupe d’élèves, une fois dans la zone sous contrôle du FPR, à KIZI, il y avait un
camp de réfugiés. Nous avons essayé de nous débrouiller comme on pouvait. Nous allions vendre du
pain, et certains rentraient du Zaïre dans la zone Turquoise et nous leur vendions du pain pour
subvenir tant bien que mal à nos besoins. Des bienfaiteurs étaient venus pour scolariser des enfants et
ces bienfaiteurs nous ont mis dans un orphelinat. Plus tard les écoles ont rouvert et nous sommes allés
étudier.
Nous tenions à en témoigner pour que vous sachiez la vie que nous avons vécue. Je vous ai dit que,
pour commencer, j’étais à l’ESI, j’ai dû par la suite faire des études pédagogiques car les gens devaient
nous trouver les écoles et j’ai du abandonner la carrière que j’aimais.. J’ai terminé les études et je
n’aimais pas le genre d’études que j’avais faites. Par la suite, j’ai fait des études de finances, domaine
dans lequel je travaille aujourd’hui. Pour conclure, je suis le seul rescapé de ma famille. Dans une
famille de 59 membres, si je parle de ma famille maternelle, paternelle, mes grands-parents et leurs
descendants. Nous ne restons plus qu’à deux, une cousine et moi. Je suis devenu père de famille et j’ai
trois enfants. Ils me posent des questions et je ne peux pas leur répondre. Ça m’embête car si je leur
dis la vérité cela peut susciter en eux de la haine mais nous leur donnons une bonne éducation pour
qu’ils ne deviennent pas comme ceux nous qui nous ont fait du mal. Nous voulons élever des humains.
Ne me tenez pas rigueur si j’ai été long. Je vous remercie.
QUESTIONS :
Président : c’est nous qui vous remercions Monsieur. Quelques questions pour essayer de mieux
comprendre. Vous avez dit que vous étiez l’aîné
Le témoin : nous étions 4 enfants, 3 filles et moi; j’étais le seul garçon
Président : on parlé avec vous et d’autres personnes qui sont venues ici déposer, des écoles qu’il a pu
avoir à KADUHA. J’ai compris que vous vous étiez à l’école des sciences infirmières, en 2 e année ?

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QUESTIONS :
Président : c’est nous qui vous remercions Monsieur. Quelques questions pour essayer de mieux
comprendre. Vous avez dit que vous étiez l’aîné
QUESTIONS :
Président : c’est nous qui vous remercions Monsieur. Quelques questions pour essayer de mieux
comprendre. Vous avez dit que vous étiez l’aîné
Le témoin : nous étions 4 enfants, 3 filles et moi j’étais le seul garçon
Président : on parlé avec vous et d’autres personnes qui sont venues ici déposer, des écoles qu’il a pu
avoir à KADUHA. J’ai compris que vous vous étiez à l’école des sciences infirmières, en 2 e année ?
Le témoin : oui
Président : combien de temps durait la formation ?
Le témoin : c’était un cycle de 6 années et nous entrions dans la 2e année. C’était une école toute
neuve, nous étions la 1e promotion de cette école. C’est une école qui a été achevée tardivement et de
ce fait nous avons commencé après les autres.
Le témoin : nous venions de terminer le premier trimestre alors que les autres avaient achevé 2
trimestres. Cela veut dire que nous devions faire le 3e trimestre pendant l’été pour rattraper le retard à
la rentrée d’après avec tout le monde
Président : combien d’élèves au total dans cette école ?
Le témoin : entre 175 et 180, 4 classes (A, B, C, D) et nous étions une seule promotion. Il n’y avait pas
de 1e année, le ministère n’a pas voulu envoyer d’élèves car nous étions décalés.
Président : c’est 175 par classe ou au total ?
Le témoin : au total
Président : 175 c’est pour toute l’école ou juste votre promotion ?
Le témoin : juste la 2e année, une promotion
Président : on a parlé du directeur Ignace, comme vous. Ce directeur, dans l’ensemble, il a plutôt été
protecteur de ses élèves ?
Le témoin : Oui. Nos camarades nous ont menti. La raison pour laquelle il a été déçu c’est car il
pensait que nous avions confiance en lui, qu’il était notre père. Cela ne veut pas dire qu’il nous a
détestés mais il a dit qu’il ne fallait plus faire confiance aux gens car ils avaient changé. Il a utilisé une
expression en disant qu’il allait tirer sur l’élastique et quand il allait se rompre, nous serions ensemble.
Le fait de retirer le prénom ce n’est pas parce qu’il ne nous aimait pas mais il était un peu déçu, il nous
considérait comme ses enfants. Il était médecin, il a utilisé cette qualification-là pour nous protéger car
l’hôpital était protégé au début du génocide. Il a fui quand on a tué les premières personnes à
MUSHUBI. Il était le seul médecin à KADUHA, donc on le ménageait. D’ailleurs il disait que quand il y
avait des militaires d’HABYARIMNANA blessés, c’est lui qui les soignait et il leur avait dit que si jamais
ils nous touchaient, il ne les soignerait plus.
Président : il l’a dit aux FAR, et notamment à MUGEMANA ?
Le témoin : c’est la raison pour laquelle il l’a amené devant nous pour qu’il s’excuse, il a dit qu’il avait
mal agi et qu’ils allaient se charger des militaires
Président : que pensez-vous de MUGEMANA ?
Le témoin : je ne sais rien de lui, je sais juste que j’ai entendu qu’il était en charge des militaires
blessés au front. Autre chose, je ne vous ai pas dit sur le directeur qu’il venait nous parler pour nous
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rassurer car il voyait que la vie n’allait pas fort. Il nous répétait que si jamais il trouvait un endroit sûr
hors du RWANDA, il ne reviendrait plus jamais.
Président : vous savez où il est ?
Le témoin : non, juste qu’il a quitté le pays. Sa famille est là, nous sommes allés la remercier. Dans
notre tradition, on offre une vache pour remercier. Donc, en petit groupe, nous sommes allés offrir une
vache à ses parents. Ils nous considèrent comme des amis. Les personnes qui ont commis le génocide
propagent l’information que si tu reviens, ils te tuent. Cela me fait de la peine car il n’a jamais essayé
de nous contacter, même quand ses parents ont dû lui envoyer une photo de la vache. C’est une
personne de principe, quand il a dit qu’il ne m’appellerait plus jamais IGNACE, il l’a fait.
Président : c’est Ignace GAHAMANYI ?
Le témoin : Ignace GASANA. Il y avait aussi GAHAMANYI Gaspard, directeur de l’école vétérinaire.
Président : ah d’accord. Ignace GASANA a permis de sauver combien de personnes ?
Le témoin : les Tutsi étaient au nombre de 32 dans son école. Mais même les personnes qui ont
survécu à l’hôpital et chez sœur MILGITHA. Au mois de mai, elle est partie quand les étrangers sont
partis, elle était allemande. Donc les gens qu’elle avait cachés étaient entre les mains de GASANA, mais
à l’hôpital puisque c’était là qu’il était. Cela se comprend que les personnes cachées par MILGITHA
étaient protégées par GASANA. Mais avant MILGITHA avait déjà envoyé des enfants au BURUNDI dans
un orphelinat mais je ne me souviens pas du nom. Les autres personnes ont été évacuées par
GASANA.
Président : combien d’enfants sauvés ?
Le témoin : 32 chez nous
Président : il a aussi permis de sauver les gens protégés par MILGITHA
Le témoin : oui
Président : la situation à l’école agrovétérinaire était la même ?
Le témoin : très peu d’élèves Tutsi sont rescapés mais c’était des élèves auparavant déjà dans cette
école. Comme il y avait beaucoup d’élèves déplacés de guerre qui vivaient à l’école en internat, quand
les élèves fuyaient vers l’église de KADUHA, le directeur laissait les élèves rentrer dans cette école. Le
directeur y vivait avec les élèves et les gendarmes.
Président : je rappelle que nous avons entendu un ancien élève de cette école vétérinaire. Il y avait
une école primaire à KADUHA ?
Le témoin : oui, nous l’avions fréquentée en étant jeune. Il y en a une à côté de la paroisse, celle-là
même où on a tué les gens pendant le génocide. Il y avait aussi le CERAI mais il n’y avait personne
dedans.
Président : car c’était des vacances ?
Le témoin : oui
Président : et il y a des gens qui ont été tués à l’école de KADUHA ?
Le témoin : oui
Président : et au CERAI personne ?
Le témoin : non mais le directeur Antoine HARERIMANA et sa famille ont été tués.
Président : qui était le beau-frère de la Partie civile de ce matin. Que faisaient vos parents ?
Le témoin : agriculteurs-éleveurs

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Président : vous avez dit que vous étiez originaire de la commune de MUSANGE, votre famille
connaissait le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : chez nous à MUSANGE, c’était le secteur voisin de KADUHA, il y avait le sous-préfet mais
c’était la commune KARAMBO. Je ne connaissais pas vraiment les gens de la commune de MUSANGE.
D’ailleurs je ne suis allé à la commune qu’une seule fois pour demander une attestation d’identité
complète quand j’ai fini ma première

année. Nous faisions tout à KADUHA : le marché, l’église,

l’école.
Président : vous connaissiez le bourgmestre de KARAMBO ?
Le témoin : je le connaissais, MUNYENTWALI, qui a été remplacé. Comme j’étais à l’internat, je n’ai pas
su qu’on l’avait changé. D’ailleurs la commune KARAMBO était loin
Président : vous avez vu le sous-préfet HATEGEKIMANA pendant le génocide ?
Le témoin : j’étais à l’école avec son enfant, sa fille JOSETTE ou ROSETTE. Quand nous étions encore
tous les élèves présents avant qu’on vienne en chercher certains. Lui, personnellement, je ne l’ai pas vu
car personne ne rentrait dans notre établissement. Comme nous étions confinés dans la cour à partir
du 1 mai, nous percevions les informations par le domestique du directeur et le veilleur de
l’établissement scolaire. Ce sont eux qui donnaient des nouvelles de l’extérieur sinon nous ne voyions
personne d’autre.
Président : ODETTE ou la fille du sous-préfet est restée longtemps avec vous ou elle est partie vite ?
Le témoin : aucun élève n’est sorti avant qu’on ne revienne de CYANIKA, elle est revenue après que les
élèves sont rentrés
Président : vous avez eu l’occasion de discuter avec elle, savoir ce qu’elle pensait ou son père pensait ?
Le témoin : je ne l’ai plus jamais revue, tous les élèves venaient d’horizons de loin. J’ai d’ailleurs su par
la suite que son père avait été emprisonné. Il doit sûrement vivre au RWANDA mais je ne sais pas où.
Président : quand vous arrivez à CYANIKA, vous dites que vous découvrez la même chose que ce qui
s’est passé à KADUHA
Le témoin : oui
Président : comment c’était concrètement ? On avait commencé à enterrer les gens, il y avait des
cadavres de partout ?
Le témoin : à CYANIKA, les gens étaient entassés comme on fait une stère de bois, que ce soit sur la
route, dans les buissons. C’est la première fois à CYANIKA que j’ai vu de très près une personne qui
était morte. Parce qu’à KADUHA on voyait mais de loin, ici c’était de très près à CYANIKA. Les corps
avaient commencé a ressembler à une couleur grisâtre. Il y avait une forte odeur, les enfants, les
femmes, c’était horribles. Quand nous étions à CYANIKA, sont arrivés les CATERPILLAR qui sont venus
mettre de la terre sur eux. Le deuxième jour, est venu un gendarme qui s’est adressé à la personne qui
pilotait le CATERPILLAR, qui avait du coton dans les narines et dans les oreilles, sûrement à cause de
l’odeur. Comme il savait que nous étions là, puisque le gendarme nous donnait à manger, il a dit que
ces fosses manquaient de personnes. Pour lui, il disait ça comme des choses normales, nous étions 7.
Président : d’accord car je comprends qu’à CYANIKA vous avez eu la chance de trouver des
gendarmes qui vous ont nourri ?
Le témoin : oui, nous échangions quand ils nous apportaient de la nourriture. Ils nous racontaient ce
qu’ils faisaient, ce qu’ils avaient fait à l’église, nous jouions aux cartes
Président : mais ils vous racontaient quoi, qu’ils tuaient ?
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Le témoin : oui, oui!
Président : il y a des moments, c’est tellement… décalé
Le témoin : nous aussi nous avions du mal à comprendre. Eux aussi ils nous disaient « Qu’est-ce que
vous voulez ? C’est à cause de KAGAME ». Parfois ils blaguaient. Nous discutions comme ça
naturellement.
Président : vous voyez autre chose à rajouter ?
Le témoin : le fait d’être ici, je vous remercie car au moins la justice est là. Ce que les gens nous ont
fait, il n’y a pas de mots pour le raconter. Mais vous au moins vous pouvez entendre notre tristesse.
C’est tout, je vous remercie.
Juge Assesseur 1 : une question sur votre fuite le 26 avril, vous partez avec 8 élèves, vous êtes très
déterminés, vous savez qu’en 3 nuits de marche vous allez arriver au BURUNDI, vous connaissiez le
chemin. Pourquoi?
Le témoin : je voyais que le temps était court donc je n’ai pas raconté toute notre stratégie en place.
Nous avons tenu une réunion en cachette, nous avons essayé de penser toutes les voies possibles de
KADUHA, c’est un lieu central, entouré par la rivière. AU sud, c’est entouré par la forêt de NYUNGWE
mais nous ne savions pas exactement si quelqu’un connaissait le chemin pour passer. Un ami JEAN DE
DIEU était de CYANIKA, son père était directeur des écoles. Celui qui s’appelle Emmanuel UWAYEZU
était de MATA, car il était Hutu mais nous ne le savions pas. Il a su que nous allions emprunter ces
voies mais il a dit qu’il partait. On sentait que ce prêtre à CYANIKA, s’il apprenait à nous cacher, on
allait partir pendant la nuit car quelqu’un nous disait qu’il savait par quelle brousse passer et la
troisième nuit pour aller au BURUNDI.
Juge Assesseur 1: c’était comme une pause pour aller au BURUNDI
Le témoin : on savait que personne ne pouvait tuer un prêtre. On savait que la journée il pouvait
trouver une cachette pour nous cacher la journée et la nuit nous continuerons notre chemin. Mais
nous avions réfléchi comme des enfants car nous n’avions pas réalisé que tout ce qu’il s’était passé
était arrivé partout dans le pays et à l’internant nous n’avions pas beaucoup d’information.
Président : vous avez su que le prêtre NIYOMUGABO a été tué, sûrement quand vous êtes arrivés, par
des prisonniers venus enterrer.
Le témoin : non, avant. En arrivant à CYANIKA nous n’avons pas pu entrer car il y avait des corps de
partout, nous avons constaté qu’il n’était plus en vie. C’est là que nous avons commencé à réfléchir de
savoir qui pouvait aller se cacher où. Il commençait à faire jour, deux personnes sont arrivées et nous
ont dépouillés.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES : par manque de temps, nous n’avons pu rendre compte des
questions des avocats des parties civiles. Nous avons pris du retard dans les comptes-rendus.
Nous allons essayer de nous mettre à jour au plus vite.
Concernant les deux témoignages suivants, pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus, nous
vous les livrons sans avoir pu les relire pour les corriger. Nous essaierons d’y revenir le week-end
prochain. Veuillez nous en excuser. Pour ceux qui s’impatientent, vous aurez au moins l’essentiel
des propos. Merci à Mathilde LAMBERT de nous avoir livré ses notes d’audience.

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Audition de monsieur Alphonse GAHUNZIRE, rescapé, partie civile.
Déclaration spontanée de Monsieur Alphonse GAHUNZIRE.
Je m’appelle Alphonse GAHUNZIRE, je suis né dans l’ancienne préfecture de GIKONGORO, à MUKO,
avant le génocide j’habitais chez mes parents j’étais célibataire j’avais une fratrie de 7 personnes. Nous
vivions une vie ordinaire de rwandais. Après la chute de l’avion de HABYARIMANA, le 6 avril 1994, le
matin du 7, nos parents nous ont dit que HABYARIMANA était mort, pour de vrai nous les enfants ça
ne nous disait rien mais, tel que nous pouvions le constater, on voyait que les parents avaient peur ils
disaient que c’était probable qu’une guerre éclate. On pouvait constater une certaine méfiance dans
les voisins, les Hutu regardaient d’un mauvais œil les Tutsi, ils prétendaient que l’avion avait été abattu
par les inyenzi.
Nous sommes restés là-bas deux jours et puis le 8, selon ce que j’ai entendu, le bourgmestre de MUKO
est parti tuer GACENDERI qui était comptable. Durant cette période du 7 au 8, dans les secteurs de la
commune on avait commencé à incendier les maisons et tuer les gens. Les rescapés qui se sont
réfugiés vers KADUHA ; comme nous les voyions fuir car nous habitions dans le voisinage de KADUHA,
nous nous sommes aussi réfugiés à KADUHA. Nous avons quitté notre domicile le samedi dans l’aprèsmidi vers 15 heures ou 16 heures. Nous sommes partis au bureau sous-préfectoral et au fur et à
mesure que les gens venaient le nombre augmentait. Vers 19 heures le sous-préfet d’alors Joachim
HATEGEKIMANA en compagnie des policiers qui gardaient le bureau de la sous-préfecture nous ont
demandé ce que nous fuyions nous avons répondu que en face de chez nous on brûlait les maisons et
qu’on tuait aussi les Tutsi et que nous cherchions refuge auprès des autorités. Nous avions sur nous
des armes traditionnelles et il nous a ordonné de déposer des armes traditionnelles devant le bureau
de la sous-préfecture. Et après quoi il nous a dit que le bureau administratif n’était pas un lieu de
refuge que nous devions nous rendre à la paroisse et que depuis toujours c’est là que les Tutsi se
réfugiaient. Je fus de ceux qui ont réussi à y arriver dans les premiers. Aux alentours de l’église il y avait
des salles de classes et des salles de KATEKUMINA. Pour ce qui concerne moi et ma famille élargie
nous nous sommes installés dans une salle de KATEKUMINA, par là je veux dire avec les grandsparents et oncles paternels.
Nous y avons vécu du 9 au 21, nous y avons vécu un vie dure qui avait des facettes diverses. En nous
enfuyant nous n’avions pas pris de quoi manger et comme ceux qui n’habitaient non loin de là, nous
sommes retournés chez nous pour trouver de quoi manger mais il arrivait que dans ce trajet, quand on
rencontrait des Hutu qui faisaient des rondes, ils tuaient certains d’entre nous. Le sous-préfet
HATEGEKIMANA venait souvent avec son secrétaire prénommé Jean, ils disaient qu’à l’extérieur c’était
la paix et qu’avait été arrêtées 15 personnes. Les plus âgés d’entre nous lui ont répondu que même s’il
disait que c’était la paix, nos maisons étaient en train d’être incendiées. HATEGEKIMANA avec son
secrétaire disaient que personne n’était venu nous tuer et que les Tutsi fuyaient à cause de la famine,
comme c’était souvent le cas en avril. Nous sommes restés sur place et le nombre de gens accroissait
progressivement. À un certain moment, le sous-préfet HATEGEKIMANA a ordonné que nous dressions
des listes de nous-mêmes secteur par secteur et disait que les instructions venaient de la préfecture.

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Entre temps dans cette manière là on allait chercher de quoi manger et certains Tutsi qui avaient des
amis Hutu recevaient de ces derniers des provisions. Un jour nous avons rencontré les Hutu qui nous
attaquaient à KADUHA. Entre le 8 et le 21, des petites attaques étaient menées, des attaques d’essai,
pour voir si nous avions encore de la force et qui voyaient que nous étions affamés. Les gendarmes qui
nous gardaient sont venus, ils ont ordonné que nous ne devions plus continuer à nous battre, ils ont
pris les Hutu et les ont transportés en véhicule jusqu’à la sous-préfecture. Ce qui m’a étonné c’est que
le 21, les 15 personnes qu’on avait enfermées sont revenues avec les Interahamwe. La situation a
continué ainsi mais le problème était que les gens étaient affamés et ceux qui allaient chercher à
manger ne pouvaient plus y aller.
Les Tutsi instruits parmi nous donc les instituteurs et les agents de la sous-préfecture se sont
approchés des prêtres pour leur exposer cette question de la faim tout en demandant de fournir de la
nourriture de la CARITAS, qu’elle avait déposée là-bas. Les prêtes ont répondu que la nourriture
disponible provenait de la CARITAS et n’était pas destinée aux Tutsi. Nous avons continué de vivre
cette vie difficile. Nous repoussions à l’aide des pierres les attaques car les armes traditionnelles nous
avaient été enlevées. Ce fut une vie longue mais trois jours avant, on nous avait ordonné de creuser
des latrines disant que coute que coute la dysenterie apparaitrait là où les gens étaient regroupés.
Étant jeune à l’époque j’ai fit partie de ceux qui ont creusé mais les tous n’étaient pas profonds mais
horizontalement longs et nous avons fait ces tranchées tout autour de l’église et de l’école.
Quand ils nous ont tué le 21, personne n’avait usé de ces fosses donc ça veut que ça avait été un
complot. Pour ces salles de KATEKUMINA, on avait regroupé dans l’une d’elles toutes les personnes
instruites, quant aux gendarmes ils stationnaient dans les locaux du groupe scolaire qui est tout près
juste derrière la salle où était regroupées les personnes instruites. Au fur et à mesure que l’on
s’approchait de la date du 21, on voyait que le nombre de gendarmes augmentait progressivement. À
un certain moment ils ont planté un long morceau de bois, avec un appareil là dessus et ils disaient
que c’était un appareil de communication et que c’était pour pouvoir appeler les renforts de la souspréfecture si on était attaqué. Cette vie difficile continua, tellement difficile que des vieillards, des
vieilles femmes et des enfants mouraient avant même que l’on puisse nous tuer. À un certain moment,
la soeur MILGITHA est allée acheter du sorgho pour nourrir les enfants en bas âge qu’elle voyait
mourir de jour en jour. Ce fut long, à un certain moment l’abbé NYANDWI, nous a dit qu’il allait nous
dire la dernière messe car notre heure avait sonné. L’intéressé vivait avec un vieux prêtre Léodomir, ce
dernier passait parmi les vieilles personnes et leur donnait sa bénédiction et on voyait que lui n’était
pas impliqué et qu’il avait été dépassé par les évènements.
La veille du 21, l’abbé NYANDWI, et le sous-préfet nous ont tenu une réunion, ils nous ont dit que
nous devions nous comporter d’une bonne manière et ils nous reproché d’apporter de la saleté autour
de l’église, ils sont descendus un moment et nous avons vu arriver une petite attaque. Nous nous
sommes défendus avec des pierres. Nous avons vu NYANDWI faire son geste et tout ce monde là est
reparti en même temps, nous sommes revenus mais nous n’avons pas dormi. Nous avons tous passé
une nuit blanche, les hommes et les jeunes gens étaient dehors. Nous avions constaté que la situation
avait évolué de mal en pis et, de même, les Hutu qui approvisionnaient les Tutsi n’arrivaient plus à

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l’église. Nous sommes restés ainsi et vers 4 heures du matin nous avons entendu les gendarmes tirer,
ils étaient du coté du groupe scolaire. Nous avons pensé que c’était tel un signal qu’ils donnaient car
immédiatement nous avons entendu des bruits de toutes parts à KADUHA. Nous nous sommes levés
et nous avons à peine eu le temps de saisir les pierres qu’ils étaient en nous : les militaires et
gendarmes tiraient en nous, les Hutu qui étaient là armés d’armes traditionnelles se mettaient eux
aussi à découper ou à frapper qui bougeait et essayait de partir. Ils ont commencé à taillader et
manger les vaches avec lesquelles les Tutsi avaient fui.
Nous avons continuer à nous battre, ils nous tiraient dessus et les autres découpaient. Je suis entré
dans l’église, nos parents nous avaient dit que l’on ne pouvait pas tuer quelqu’un dans l’église que ce
n’était pas possible. Mais une fois dedans nous avons vu entrer les Interahamwe et les militaires qui
tiraient et lançaient des grenades. Grace à Dieu j’ai réussi à sortir de là, je suis passé par le coin où les
personnes instruites se trouvaient, j’ai vu qu’on les avaient tuées et en réalité c’est par là que les tueurs
avaient commencé. Ainsi aussi je laissa là-bas ma famille, je n’ai plus jamais vu ne serait-ce que leurs
corps, je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Cette situation me revient en mémoire de manière
perpétuelle. Comme à l’époque c’était sauve qui peut j’ai continué à m’enfuir, chacun se disait que les
tueurs sévissaient uniquement là où il était, donc nous avons fui en direction de NYANZI, dans
l’actuelle province du sud, nous avons fui dispersés mais en fuyant certains ont été tués aux barrières
et certains pouvaient les traverser sains et saufs. Pour ce qui me concerne j’ai fait un long trajet jusque
la commune RUKONDO, je parle du 21 jour des massacres de KADUHA.
Nous jeunes sur le chemin, nous nous sommes retrouvés face à face avec des véhicules militaires et ils
nous ont demandé ce que nous fuyions et nous avons dit qu’on était en train de nous tuer à KADUHA
et ils nous ont dit de nous assoir par terre et d’attendre ceux qui nous poursuivaient pour qu’ils voient
ce qu’ils voulaient faire. Nous avions peur certaines personnes n’aient pas perçu cela de la même
manière, nous nous sommes assis et on a commencé à lancer des grenades, c’était près de la rivière.
Nous nous sommes déplacés, j’ai continué à fuir mais ce qui concerne notre situation à GIKONGORO,
elle se déroula comme je viens de le relater. Pour le reste, je me suis caché ci et là dans la région de
GITARAMA puis je me suis réfugié dans la paroisse de RUHABO où le prêtre nous a accueilli et je n’y
étais pas seul, j’y ai retrouvé des personnes que je ne connaissais pas. Pour quitter cet endroit ce sont
les Inkotanyi qui nous ont pris après avoir pris la ville de NYUNDO.
Je voudrais vous rappeler que toute ma famille est restée à KADUHA et que jusqu’à maintenant
j’ignore les circonstances de leur mort et que je n’ai pas réussi à les enterrer dignement. Tels sont les
propos que je voulais vous adresser je vous remercie.
Fin de la déclaration spontanée de Monsieur Alphonse GAHUNZIRE.
Président : vous aviez 7 frères et soeurs ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui, j’étais l’ainé j’avais 29 ans.
Président : vous avez expliqué que c’est d’abord à la sous-préfecture que vous allez pas à la paroisse ?
Alphonse GAHUNZIRE : nous sommes d’abord allés à la sous-préfecture.

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Président : car vous pensiez y être en sécurité ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui parce que nous y voyions des policiers armés nous pensions qu’ils allaient
nous protéger.
Président : est-ce que vous avez su si des personnes ont été arrêtées car elles attaquaient les autres ?
Alphonse GAHUNZIRE : chez nous ??
Président : Oui ?
Alphonse GAHUNZIRE : j’ai entendu parler de cela et j’ai vu certaines de ces personnes.
Président : donc cela explique les 15 personnes dont vous avez parlé avant ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui mais certains je ne connais pas leurs noms mais certains je connais leurs
noms.
Président : ces 15 personnes avaient été arrêtes par le sous-préfet car elles allaient attaquer des gens ?
Alphonse GAHUNZIRE : ils avaient été arrêtes par les militaires qui les avaient trouvés là et ils les ont
emmenés à la sous-préfecture.
Président : pourquoi avaient-ils été arrêtés ?
Alphonse GAHUNZIRE : nous nous avions trouvé refuge à l’église et nous sommes sortis pour aller
chercher à manger et nous avons rencontré cette attaque qui venait tuer les Tutsi et je vous ai dit que
quand nous étions là-bas ils envoyaient toujours des petites attaques.
Président : donc les 15, sont des gens qui sont venus faire une petite attaque à la paroisse et qui ont été
arrêtés par des gendarmes, des militaires et ont été conduits à la sous-préfecture ?
Alphonse GAHUNZIRE : nous ne savions par qu’ils étaient envoyés, nous ne les voyions que arriver et
ils ont été arrêtés par les militaires.
Président : et vous nous avez dit que le 21 vous les avez revus ?
Alphonse GAHUNZIRE : je les ai revus mais je n’ai pas pu les compter mais parmi les personnes qui
avaient été emmenées j’en ai revus certains.
Président : vous nous avez parlé des Tutsi instruits qui avaient été mis dans une pièce à part ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui.
Président : vous les connaissiez ces Tutsi instruits de qui s’agissait-il ?
Alphonse GAHUNZIRE : certains je les connaissais car c’était nos voisins mais d’autres devaient venir
d’autres communes.
Président : ceux que vous connaissiez quelles étaient leurs activités ?
Alphonse GAHUNZIRE : beaucoup étaient des enseignants.

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Président : s’agissant des conditions de vie dans la paroisse vous nous avez dit que l’un des problèmes
majeurs était la faim, que tout le monde avait faim ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui avant qu’on nous tue.
Président : et que certains des réfugiés avaient voulu rentrer chez eux pour aller chercher à manger ?
Alphonse GAHUNZIRE : c’est vrai, ils ont essayé de rentrer mais certain rencontraient des Hutu et
étaient tués, d’autres revenaient.
Président : il y a eu des distributions de riz ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui en date du 19 et 20, mais le riz était vendu.
Président : s’agissant de l’eau, quand vous arrivez, il y avait de l’eau dans l’église, la paroisse, les classes ?
Alphonse GAHUNZIRE : il n’y avait pas d’eau. Nous allions puiser l’eau dans les vallées.
Président : vous avez expliqué qu’à un moment on a fait un recensement par secteur des personnes
réfugiées ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui.
Président : et si j’ai bien compris, c’est le sous-préfet qui a demandé qu’on fasse ce recensement, j’ai bien
compris ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui, c’est lui qui l’a dit quand il nous a trouvés à l’église.
Président : il a expliqué pourquoi il fallait faire ce recensement ?
Alphonse GAHUNZIRE : non.
Président : est-ce que vous avez, à un moment quelconque, vu le préfet de GIKONGORO ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui
Président : qu’est-ce que vous avez entendu alors ?
Alphonse GAHUNZIRE : j’ai entendu dire qu’avant qu’on nous tue, il avait tenu une réunion à la
préfecture.
Président : avant le 21 ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui.
Président : c’est quelque chose que vous avez entendu après l’attaque ?
Alphonse GAHUNZIRE : non c’est ce que nous avions su quand nous étions à KADUHA.
Président : qui disait ça ?
Alphonse GAHUNZIRE : quand nous étions à KADUHA, dans la commune de KARAMBO il y avait
également des réfugiés. Ils ont quitté cette commune en fuyant car on avait commencé à tuer, ils sont
venus à KADUHA. Quand on leur a demandait pourquoi ils fuyaient et ils ont dit que leur bourgmestre
revenait d’une réunion de la préfecture et qu’il avait dit que les Tutsi devaient être tués et la
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population a alors commencé à les tuer ainsi que certains policiers communaux donc ils ont
commencé à fuir. Des personnes sont mortes avant le 21. C’est comme ça que j’ai su.
Président : Donc vous avez appris des personnes qui s’étaient réfugiées dans la commune de KARAMBO ?
Alphonse GAHUNZIRE : quand nous avons trouvé refuge à KADUHA, nous avons su également que
des gens de KARAMBO avaient trouvé refuge au bureau communal car des gens avaient des gens
proches de cette commune. Cela s’est passé vers le 15 environ, ces personnes ont quitté la commune
vers KADUHA.
Président : ces personnes qui vous ont fait ces confidences ont assisté ou non à cette réunion ?
Alphonse GAHUNZIRE : ils nous ont dit qu’ils ont commencé à les tuer quand le bourgmestre venait de
la réunion, il avait une voiture.
Président : mais eux ne venaient pas de la réunion, c’est juste le bourgmestre ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui
Président : comment ont-ils pu savoir ce qui s’était dit ?
Alphonse GAHUNZIRE : il y a un policier, je me rappelle pas de son nom mais toujours en vie, il s’est
séparé des autres car il ne voulait pas faire comme les autres car quand le bourgmestre est rentré, il
leur a tenu une réunion. C’est ce policier qui leur a dit qu’il revenait de la réunion de la préfecture et il
avait également une femme Tutsi. C’est lui qui a prévenu les réfugiés.
Président : le bourgmestre serait revenu de la réunion à GIKONGORO, au cours de laquelle il aurait
rencontré le préfet qui lui aurait dit de tuer les Tutsi. Ensuite il retransmettrait cette information en
revenant à KARAMBO et au final c’est le policier communal qui se désolidarise des autres qui fait passer
cette information ?
Alphonse GAHUNZIRE : c’est ainsi que ça s’est passé
Président : il y a eu d’autres occasion où vous avez entendu parler du préfet ?
Alphonse GAHUNZIRE : j’ai entendu également lors des Gacaca, des gens qui disaient qu’il leur avait
tenu une réunion avant le génocide mais moi je n’étais pas là.
Président : vous voulez ajouter autre chose ?
Alphonse GAHUNZIRE : je voudrais ajouter que je vous remercie. Je remercie la justice parce que les
personnes qui ont commis ces faits et qui demandent pardon dont que ces choses ne se reproduiront
plus. Pour que les gens continuent à vivre en paix, ensemble, comme Dieu l’a créé. Je vous remercie.
Juge assesseure 1 : vous avez dit que vous avez entendu parler de réunions, vous avez entendu parler de
ce que, avant le jour de la grande attaque, le Président de la République se serait déplacé pour une
réunion avant la grande attaque dans la préfecture de GIKONGORO ? Est-ce qu’il a entendu dire à un
moment que le Président de la République avait fait un déplacement dans la préfecture de
GIKONGORO ?
Alphonse GAHUNZIRE : non
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Questions des parties civiles.
Me GISAGARA : merci pour votre témoignage. Vous nous avez rappelé que votre épouse Alphonsine
KAHIRWA avait déposé également. Lors de son audition, elle a dit qu’elle était sans emploi mais qu’elle
travaillait aussi au mémorial, ce qui a suscité quelques interrogations. J’aurais souhaité que vous donniez
des précisions, vous savez ce que gagne votre épouse en travaillant au mémorial ?
Alphonse GAHUNZIRE : certes mon épouse travaille à ce mémorial, elle a même été blessée. Parfois je
vais même l’aider à ce travail qu’elle fait. C’est un petit soutien, elle est payée 18 000 francs rwandais.
Me GISAGARA : vous pouvez nous dire exactement ce qu’on peut acheter avec 18 francs rwandais, pour
qu’on se rende compte ?
Alphonse GAHUNZIRE : par exemple on peut acheter un savon
Me GISAGARA : prenons un exemple, si vous allez à KIGALI en bus, ça coute combien ?
Alphonse GAHUNZIRE : le déplacement coute 3000 francs.
Me GISAGARA : donc votre épouse peut juste payer billets 6 billets de bus ?
Alphonse GAHUNZIRE : oui Me GISAGARA
Me GISAGARA : merci Monsieur. Je souhaiterais montrer quelques photos que la partie civile m’a
communiqué en début d’audience, qu’il a apportées avec lui.
Président : elles ont été communiquées aux parties ?
Me GISAGARA : pas encore
Président : là ça ne va pas être possible de regarder ces photos maintenant. Je vous propose de les verser
aux débats pour qu’elles puissent rester au dossier.
Me GISAGARA : je vais les verser au dossier.
[les photos pourront ainsi être visionnées à une date ultérieure une fois versées aux débats afin que
toutes les parties puissent en avoir connaissance].
Questions du Ministère Public.
Ministère Public : : vous avez évoqué tout à l’heure le recensement des victimes dans la paroisse à la
demande de Joachim HATEGEKIMANA, je voulais juste savoir si vous avez vu le résultat de ce
recensement, savoir combien vous étiez ?
Alphonse GAHUNZIRE : on nous a rien précisé, on ne connaissait même pas l’objectif de ce
recensement.
Ministère Public : vous ne saviez pas non plus combien vous étiez ?
Alphonse GAHUNZIRE : j’ai eu juste le chiffre concernant mon secteur mais c’est tout.
Ministère Public : vous voulez dire que dans la paroisse vous étiez localisés par secteur et que vous saviez
juste combien vous étiez par secteur ?
Alphonse GAHUNZIRE : les gens vivaient en fonction des connaissances d’avant. Explication peu claire
Ministère Public : vous saviez combien vous étiez de votre secteur ?
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Alphonse GAHUNZIRE : en date du 21, la population continuait d’affluer en venant toujours, on ne
peut pas savoir exactement quel nombre il y avait, je n’ai pas ce nombre là.
Ministère Public : une autre question sur la confiscation des armes, tant en arrivant à la sous-préfecture
puis à la paroisse. Vous pouvez nous dire qui vous les avez confisquées et pour quoi ?
Alphonse GAHUNZIRE : celui qui nous a confisqué les armes traditionnelles, c’était le sous-préfet.
Ministère Public : et à la paroisse ?
Alphonse GAHUNZIRE : ceux qui sont venus par après c’était les gendarmes.
Ministère Public : ils vous donc donné une explication ?
Alphonse GAHUNZIRE : ils ont expliqué que comme nous avions fui, ils allaient assurer notre sécurité, il
n’y avait pas besoin d’armes traditionnelles.
Pas de question de la Défense.
Président : nous vous remercions Monsieur, nous vous souhaitons un bon retour au RWANDA.
Alphonse GAHUNZIRE : moi aussi je vous remercie, continuez avec cette bonne justice.
*** Fin de l’audition ***

Audition de madame Azena IBYIMANA KABIRIGI. Rescapée de l’école Marie-Merci.
Déclaration spontanée de Azena IBYIMANA KABIRIGI.
Lorsque le génocide a commencé, nous voyions les gens lorsqu’ils étaient en train de tuer la
population.
Ce que j’aurai à dire c’est qu’au moment du génocide contre les Tutsi j’étais élève à KIBEHO, je suis
une rescapée de là. Des choses tant affligeantes que indescriptibles se sont produites, tellement
horribles qu’il était difficile de les relater devant vous. Pour ce qui intéresse cette cour au sujet du
préfet Laurent BUCYIBARUTA, je ne peux pas dire que je le connaissais beaucoup, bien sûr il était
préfet, son nom m’était connu. Pendant le génocide il est venu à l’école, notre école comptait
beaucoup d’élèves environ 560, quand le génocide a commencé, nous voyions les gens lorsqu’ils
étaient en train de tuer la population au sein même de mon école, nous avons été témoins oculaires
de tout cela. À ce moment-là, nous-mêmes n’étions pas destinés à mourir car nous étions gardés par
les militaires.
Lorsque fut finie l’étape du massacre de la population, il a été dit que jusque-là les Tutsi encore en vie
étaient ceux de l’école de Marie-Merci. Il était difficile de dire qui était Tutsi qui était Hutu pour faire la
différence car la plupart d’entre nous n’avions pas encore de carte d’identité. Il a été nécessaire de
faire une sensibilisation au sein des élèves, pour que nous puissions nous diviser entre les Hutu et les
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Tutsi à part. Jusque-là, le préfet Laurent BUCYIBARUTA n’était pas impliqué car cela se déroulait entre
nous, entre élèves. Toujours est-il qu’à un certain moment cela s’est réalisé nous nous sommes divisés.
C’est après cette division que le préfet est venu à l’école après justement de cette problématique de
division. Il n’est pas venu seul mais venait en délégation. Il était avec toutes les autorités. Je reviens en
arrière et je précise que notre école était une école catholique et donc il était venu avec l’évêque de
l’église catholique, le préfet en représentant du gouvernement et ainsi que d’autres autorités
subalternes du préfet. Dans un premier temps, les autorités ont tenu une réunion avec les Hutu, après
quoi ils ont tenu une réunion avec nous et c’est alors que j’ai connu le préfet.
Fin de la déclaration spontanée de Madame Azena IBYMANA.
Président : quelle était votre situation en avril 1994, vous avez dit que vous étiez élève ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : quel âge aviez-vous ?
Azena IBYIMANA : je suis née en 1976 et j’avais presque 18 ans.
Président : vous étiez en quelle classe ?
Azena IBYIMANA : en troisième
Président : vous avez dit que c’était une grande école avec 500 élèves, les classes commençaient à quel
niveau et s’arrêtaient à quel niveau ?
Azena IBYIMANA : première année jusque-là sixième année du secondaire.
Président : donc si on compare avec la France ?
Azena IBYIMANA : c’est plutôt le système belge.
Président : est-ce que vous savez qu’avant avril 1994, avant l’attentat contre l’avion du Président
HABYARIMANA, est-ce qu’il y avait eu des tensions entre élèves Hutu et Tutsi ? Ou même avec des
professeurs ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : ça a commencé quand ces tensions ?
Azena IBYIMANA : en deuxième année
Président : certains élèves ou professeurs ont-ils quitté l’école sans que l’on sache où ils aillent ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : et vous avez su où ils étaient allés ? C’étaient des élèves, des professeurs ?
Azena IBYIMANA : les deux, mais j’ignore où ils étaient allés.
Président : nous avons dans le dossier un certain nombre de coudent s adressé par le sous-préfet de
MUNINI ou le préfet lui-même concernant des départs de personnes. Par exemple le document, c’est un
télégramme envoyé par préfet Laurent BUCYIBARUTA au ministère de l’Intérieur – D8208 : « Vous
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informe que deux professeurs du Groupe scolaire “Marie Merci » de Kibeho en commune HUBUGA sont
partis
clandestinement le 5/11/1992 at n’ont plus été revus à l’Ecole. Des informations dignes de foi signalent
qu’ils auraient pris le chemin du Burundi pour le FPR.
Il s’agit de:
1.

MURERAMANZI Jérôme, originaire de BUTARE

2.

BIZIMANA Justin originaire de GIATARAMA

Après le départ de ces professeurs de même que celui de l’élève KAYITARE Dieudonné originaire de
NG0MA/Butare tous d’ethnie Tutsi, une tension règne entre les professeurs hutu st tutsi de sorte que le
courent se propage de plus en plus parmi les élèves. Mais comme L’Évêque de Gikongoro et la Direction
de l’école ainsi que les responsables de la sécurité sont au courant de cette situation, les mesures
appropriées seront prises si la tension persiste.
Le préfet de GIKONGORO Laurent BUCYIBARUTA »
Est-ce que ces professeurs cela vous dit quelque chose, Jérôme MURERAMANZI et Justin BIZIMANA ?
Azena IBYIMANA : le génocide contre les Tutsi n’avait pas commencé en 1994, ces professeurs je les
connais mais ils n’avaient plus d’autres choix suite aux persécutions qu’ils subissaient. Donc ils ont
préféré partir.
Président : donc selon vous ils sont partis car ils étaient persécutés ?
Azena IBYIMANA : oui ils n’étaient pas les seuls, nous aussi.
Président : d’autres partaient ?
Azena IBYIMANA : je ne m’en souviens pas mais c’est possible.
Président : il est indiqué qu’ils sont partis pour rejoindre le FPR, vous avez des informations ?
Azena IBYIMANA : nous ne savions pas leur destination
Président : est-ce que vous aviez le sentiment que l’on considérait les Tutsi comme étant des complices ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : ce dont je parle c’est novembre 1992, est-ce que vous avez connu une dame nommée
Madeleine RAFFIN ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : pourquoi ?
Azena IBYIMANA : elle était notre préfète des études.
Président : elle savait les difficultés entre Hutu et Tutsi ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : et comment elle réagissait ?
Azena IBYIMANA : j’étais élève, je ne pouvais pas savoir sa position.

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Président : on va faire un rappel de chronologie. Donc l’attentat contre le président HABYARIMANA c’est
le 6 avril, vous vous souvenez quand intervient, non pas l’attaque contre les élèves de Marie-Merci mais
contre les personnes réfugiées ? Ou même les premières attaques contre les réfugiés dans la région de
KIBEHO ?
Azena IBYIMANA : je me rappelle l’attaque qui avait l’objectif de tuer tout le monde et c’était le 14
avril. Avant il y avait d’autres attaques mais qui ne réussissaient pas à tuer tout le monde.
Président : c’est peut-être aussi le 15 avril, est-ce que l’attaque dure une journée ou deux jours ?
Azena IBYIMANA : les Tutsi qui étaient à KIBEHO étaient très nombreux, ils remplissaient toute la
colline de KIBEHO il s’agit là d’une grande colline et ils la remplissaient entièrement. Si je fais une
estimation de ce que je voyais ils sont plus de 10 000. On ne peut pas tuer 10 000 personnes en une
journée. Donc ils ont commencé le 14, ils ont tué toute la nuit et le matin ils ont commencé par tuer
les enfants, ils sont revenus jour après jour pour tuer ceux qui n’avaient pas été tués précédemment.
Président : vous-même, votre famille elle était originaire de KIBEHO ?
Azena IBYIMANA : je ne suis pas originaire de KIBEHO.
Président : d’où étiez-vous originaire ?
Azena IBYIMANA : de BUTARE, la préfecture à côté.
Président : qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur les enseignant sur le directeur de l’école Marie-Merci
de KIBEHO ?
Azena IBYIMANA : Emmanuel UWAYEZU, prêtre. Il n’était pas directeur depuis longtemps, il était venu
suite à une grève survenue à l’école, une grève avec des couleurs ethniques. On venait de muter notre
directeur il était Tutsi. On y a nommé Emmanuel.
Président : il y avait à l’origine un directeur Tutsi ? Quel était son nom ?
Azena IBYIMANA : SEBERA Jean-Marie Vianney.
Président : il était prêtre ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : qu’est-il devenu ?
Azena IBYIMANA : il a été tué
Président : vous savez où ?
Azena IBYIMANA : je ne connais pas l’endroit mais j’ai été informée lorsqu’il a été tué. C’était pendant
le génocide.
Président : quand a eu lieu cette grève et pourquoi aviez-vous changé de directeur ?
Azena IBYIMANA : je ne souviens plus de quand la grève avait commencé et pour la mutation c’était
pour répondre à la volonté de la majorité des élèves.

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Président : car les élèves Hutu ne voulaient pas d’un directeur Tutsi ?
Azena IBYIMANA : oui c’est ça
Président : comment le directeur s’est-il comporté pendant le génocide ?
Azena IBYIMANA : c’est difficile à expliquer, le visage qu’il montrait à nous autres c’est que c’était
quelqu’un de bon mais un élément nous a montré que ce qu’il faisait c’était une manière de nous
conduire vers la mort.
Président : que voulez-vous dire par là ?
Azena IBYIMANA : il n’a posé aucun geste suscitant notre méfiance à son égard, mais lorsque la
situation devint critique, il suscitait en nous l’illusion qu’il allait nous protéger sans problème, jusqu’au
moment où certains élèves se sont échappés et sont partis, pour ce qui le concerne, il a dit qu’il était
chagriné que les élèves étaient partis pour ensuite être tués à l’extérieur alors qu’il aurait pu nous
protéger tous et assurer notre survie. En réalité, les élèves partis n’étaient pas morts, ils sont arrivés au
BURUNDI, c’est par après que nous avons déduit que le directeur voulait qu’on nous tue tous
ensemble et que personne n’échappe.
Président : pourtant, on l’entendra demain, il me semble qu’il ait demandé des renforts pour protéger les
élèves, avez-vous été au courant des démarches qu’il aurait pu faire en ce sens ?
Azena IBYIMANA : je n’ai pas d’information à ce sujet. Mais, la garde n’a commencé qu’après le
massacre de la population. Donc ce ne fut pas à la demande du directeur.
Président : donc des gendarmes sont venus après le 15 avril, après le massacre des Tutsi à la paroisse de
KIBEHO ?
Azena IBYIMANA : non, ils sont venus le jour-même et avant le massacre.
Président : donc les gendarmes sont venus avant la grande attaque pour assurer la sécurité des élèves ?
Azena IBYIMANA : oui, je me souviens avant qu’on ne tue la population, nous tous élèves avions été
enfermés au réfectoire, le directeur y compris.
Président : donc pendant la grande attaque, tout le monde est enfermé ?
Azena IBYIMANA : les gendarmes ont fermé la porte de l’extérieur avec leur propre cadenas.
Président : pour revenir et expliquer, on sait que cela se passe au moment des vacances scolaires, or des
élèves étaient restés, ils sont restés car il y avait eu la grève ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : les élèves étaient restés plus longtemps pour rattraper le temps perdu à cause de la grève ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : une fois l’attentat contre le président tout le monde a dû rester sur place ?
Azena IBYIMANA : oui.

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Président : aussi bien Hutu que Tutsi ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : j’aimerais que vous me disiez sur ce que vous savez que ce qu’on put faire certains élèves
Hutu durant les attaques de Tutsi ? Ils ont participé ?
Azena IBYIMANA : les élèves y ont joué un rôle, parmi eux, il y avait des externes, ceux-là allaient tuer
et après quoi ils venaient au sien de l’école et sensibilisante ceux qui étaient à l’école et ainsi de suite.
Président : est-ce que la participation des élèves aux attaques était quelque chose de connu ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : le directeur le savait ?
Azena IBYIMANA : il le voyait même
Président : il a pris des sanctions ?
Azena IBYIMANA : non
Président : est-ce que vous savez si ces élèves avaient des armes ?
Azena IBYIMANA : que genre d’armes ?
Président : des couteaux, des gourdins, des machettes ?
Azena IBYIMANA : la guerre étant la guerre tout était permis.
Président : j’entends bien mais est-ce que vous vous avez su ou vu des élèves avec des armes ?
Azena IBYIMANA : je n’ai pas vu des grenades mais leurs habits étaient enduits de sang, ils parlaient de
ce qu’ils avaient commis et ils citaient même le nom des personnes qu’ils avaient tuées.
Président : vous, vous avez pu voir ce qu’il s’est dit de cette attaque ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : comment avez-vous pu voir si vous étiez dans le réfectoire ?
Azena IBYIMANA : c’était dans la journée, beaucoup de gens ont fui vers notre école et les gens ont
été tués par les gendarmes et pas par la population, les gendarmes leur triant dessus, des balles ainsi
que des armes lourdes, nous voyions tout cela à travers les fenêtres de là où nous étions enfermés.
Durant toute la nuit, c’était des bruits des balles et des bruits intenses.
Président : vous dites qu’il y avait des tirs avec des balles et d’armes lourdes, vous voulez dire quoi par
armes lourdes ?
Azena IBYIMANA : oui ils portaient des armes je ne connais pas le type mais le matin on pouvait
constater que les personnes avaient été déchiquetées donc ce n’était pas des balles ordinaires.
Président : des grenades ?
Azena IBYIMANA : aussi oui.
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Président : vous dites que pendant que vous étiez enfermés, des gens sont rentrés dans l’école pour fuir et
ont été tués dans l’école par des gendarmes ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : est-ce que vous avez ensuite vu comment on a enterré les corps des Tutsi tués ?
Azena IBYIMANA : les corps ont passé plusieurs jours sur les collines, je ne sais pas combien de temps
s’est écoulé mais on a emmené un bulldozer qui les a ramassés.
Président : est-ce que vous avez su si l’évêque MISAGO et le préfet Laurent BUCYIBARUTA étaient venus
ensuite pour voir ce qu’il s’était passé ?
Azena IBYIMANA : Monseigneur MISAGO je l’ai vu mais pas le préfet Laurent BUCYIBARUTA.
Président : c’était combien de temps après l’attaque ?
Azena IBYIMANA : je pense que ça doit être le lendemain ou le surlendemain. Je dois faire une
précision, les dortoirs de nous autres les filles étaient dans l’enceinte même de la cure, nous sommes
retournées prendre nos effets et il y avait beaucoup de cadavres et c’est alors que j’ai vu MISAGO.
Président : il y avait combien de gendarmes pour assurer votre protection ?
Azena IBYIMANA : ils se relayaient je ne peux pas connaitre leur nombre.
Président : est-ce que les choses vont se calmer ou est-ce qu’il va y avoir de nouveau des problèmes ?
Azena IBYIMANA : ça s’est plutôt empiré.
Président : pourquoi ?
Azena IBYIMANA : notre sécurité s’est dégradée alors que soi-disant nous étions gardés.
Président : vous avez des exemples ?
Azena IBYIMANA : par exemple certains jours on ne mangeait pas, on disait à ce moment-là que les
Tutsi avaient des velléités d’empoisonner la nourriture donc personne n’en mangeait. Dans le chef des
Hutu c’était dans le but de faire monter la tension entre les Hutu et les Tutsi.
Président : comment a réagi le directeur face à cette montée de la tension ?
Azena IBYIMANA : rien de palpable, il venait de notre côté.
Président : il se voulait rassurant ?
Azena IBYIMANA : oui mais sans montrer une réponse concrète
Président : il n’était pas agressif ?
Azena IBYIMANA : non
Président : est-ce qu’ensuite il va y avoir une visite du préfet Laurent BUCYIBARUTA, de Monseigneur
MISAGO et d’autres personnes ? À quel moment cela se situe avant la nouvelle attaque ?
Azena IBYIMANA : je n’ai pas bien compris la question.
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Président : vous avez dit que vous aviez vu le préfet avec une délégation qu’ils avaient commencé à
parler aux Hutu ? Pouvez-vous nous dire combien de temps c’était après la grande attaque avant
l’attaque concernant directement les élèves de Marie-Merci ?
Azena IBYIMANA : la délégation s’est entendue avec nous dans le courant du mois de mai.
Président : vous parlez du jour de l’attaque ?
Azena IBYIMANA : un ou deux jours avant.
Président : vous étiez toujours dans les locaux mêmes de Marie-Merci ou l’on avait déjà séparé les Tutsi
des Hutu ? Ou étiez-vous ?
Azena IBYIMANA : c’était après la séparation, nous étions à l’école des lettres.
Président : est-ce que l’école des lettres c’était une école pour les garçons et les filles ?
Azena IBYIMANA : c’est une école de filles.
Président : c’est une école secondaire ou primaire ?
Azena IBYIMANA : secondaire
Président : l’école Marie-Merci c’était garçons et filles ? Et l’école des lettres c’est une école secondaire ?
Azena IBYIMANA : c’était les mêmes niveaux.
Président : qui s’occupait de cette école, c’est l’école des lettres, des belles lettres ?
Joseph [interprète à la Cour d’Assises] : l’école des lettres
Azena IBYIMANA : je me souviens pas du nom
Président : le nom de Thérèse NGIDAHIZU vous dit quelque chose ?
Azena IBYIMANA : ça me parle pas
Président : vous êtes restés combien de temps environ ?
Azena IBYIMANA : une semaine
Président : après qu’il y ait une séparation des élèves Hutu et Tutsi, les tensions se calmes ? Qu’est-ce qui
se passe, ce sont les élèves Hutu qui viennent vous embêter ?
Azena IBYIMANA : euh… ça ne s’est pas calmé, au contraire, lorsque nous sommes allés au collège,
nous savions que c’était pareil puisque nous y sommes allés, nous n’avions plus rien avec nous. On
nous a refusé tous nos effets personnels et donc nous étions partis sans rien.
Président : une précision, je crois qu’à cette époque, la différence entre l’école Marie-Merci de KIBEHO et
de l’école des lettres et qu’eux étaient en vacances donc les locaux étaient vides. J’aimerais comprendre,
vous dites que la tension restait forte ; les élèves Hutu venaient dans l’école des lettres ? À partir du
moment où vous êtes séparés, ça devrait se calmer ?
Azena IBYIMANA : ça ne s’est pas calmé, quand nous sommes allés là-bas, notre directeur le savait
mais nous n’avons rien reçu ni pour manger ni pour nous vêtir.
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Président : les élèves Hutu venaient vous menacer ?
Azena IBYIMANA : euh, verbalement oui
Président : vous pouvez nous expliquer ce qu’il se passe au moment de l’attaque ? Sous contrôle des
parties, l’attaque se situe autour du 7 mai
Azena IBYIMANA : ça a eu lieu à cette date précisément. Après la réunion avec le préfet et toute la
délégation, les gendarmes qui nous gardaient nous ont laissé entendre que cette délégation avait
décidé qu’il n’y avait pas de temps à perdre en nous gardant
Président : alors, je vais peut-être lire vos déclarations. Je ne sais pas si vous vous souvenez mais vous
avez été entendu par les enquêteurs du TPIR, il y a très longtemps en 2003 : « Le 3 mai, les élèves tutsis
ont été priés de quitter l’école et nous avons été envoyés dans un autre collège voisin. Nous étions au
nombre de cent seize (116). Le 4 mai, dans l’après-midi, l’évêque MISAGO, le préfet BUCYIBARUTA, le
chef de la gendarmerie de Gikongoro et le bourgmestre de Mubuga nous ont rendus visite. Je ne me
rappelle pas les noms des deux derniers. » Ce nom SEBUHURA vous dit quelque chose ou pas du tout ?
Azena IBYIMANA : oui, son nom me rappelle quelque chose
Président : mais eu moment de la visite, vous connaissiez son nom ?
Azena IBYIMANA : je crois que c’est le verbalisant qui m’a rappelé ce nom
Président : et le nom du bourgmestre de MUBUGA vous vous en souveniez ou pas du tout ?
Azena IBYIMANA : je m’en souvenais pas
Président reprend la lecture : « Ils ont tout d’abord parlé avec les élèves hutus et sont ensuite venus nous
voir. Ils se sont présentés à nous. BUCYIBARUTA 2 dit que les élèves hutus leur ont dit que nous étions des
complices des Inkotanyi et que nous avions des fusils. Nous avons été aussi accusés de chanter des
chansons des Inkotanyi et que nous étions en possession de walkies talkies avec lesquels nous étions en
contact avec les Inkotanyi. Après qu’ils se sont adressés à nous, nous avons été autorisés à parler. Nous
leur avons dit que nous n’avions pas de nourriture et que nos effets personnels avaient été laissés à
l’autre école. BUCYIBARUTA nous a dit que si nous le voulions, il pourrait… » Vous vous souvenez de la
réponse du préfet ?
Azena IBYIMANA : il dit qu’il était porteur d’un message du gouvernement, nous lui avons exposé
notre problème et lui avons dit que nous n’avions pas d’endroit où dormir, nous dormions à même les
bancs, nous n’avions pas de quoi manger, pas d’habit pour nous changer. Il nous a dit qu’il n’avait pas
de solution à ça puisqu’il avait été démontré que nous collaborions avec les Inyenzi. Ce qu’il avait
comme solution est que le lendemain, le bus allait nous conduire chez nous. Nous lui avons dit que
nous n’avions plus de famille où allait, nos parents étaient morts, il a dit que ce problème ne le
concernait pas, que ce qu’il allait faire étaient de réquisitionner des bus pour nous conduire chez nous.
Président : voilà ce que les enquêteurs du TPIR ont noté : « Nous leur avons dit que nous n’avions pas de
nourriture et que nos effets personnels avaient été laissés à l’autre école. BUCYIBARUTA nous a dit que si
nous le voulions, il pourrait nous renvoyer chez nous. Nous lui avons dit que nos maisons avaient été

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détruites. Alors, ils nous a dit qu’il ne pouvait rien faire pour nous. SEBUHURA nous a dit que puisque
nous »
Azena IBYIMANA : ah oui, acquiesce à tout ce que lit le Président.
Président : vous confirmez tout ça ?
Azena IBYIMANA : oui
Président continue la lecture : « nous a dit qu’il ne pouvait rien faire pour nous. SEBUHURA nous a dit
que puise que nous étions complices des Inkotanyi nous devions donc être aussi tués. » Qui vous a
dit ça ?
Azena IBYIMANA : en réalité, il est difficile de mettre en ordre ce qu’il s’est passé à ce moment-là.
Nous n’avions même pas le temps d’entendre ce qu’il nous disait, nous étions traumatisés par ce que
nous avions vus. C’était difficile de dire que tel personne avait tenu de tel propos puisque personne
n’était de notre côté. Tout le monde qui était venu a pris la parole. Chacun exprimait ce qu’il pensait
comme solution mais toutes ces solutions menaient vers notre mort, aucune n’allait dans le sens de
notre protection
Président : vous vous souvenez si quelqu’un a dit que de toute façon, vous alliez être tués ?
Azena IBYIMANA : oui, quelqu’un l’a dit
Président continue la lecture : « L’évêque MISAGO a dit qu’en raison des problèmes de sécurité prévalant
dans le pays, il ne pouvait pas nous aider. Ils nous ont dit qu’ils se réuniraient afin de prendre une
décision concernant le sort qui nous serait réservé. » Deux jours après il se passe quelque chose, vous
savez quoi ?
Azena IBYIMANA : Deux jours après, le soir, un camion est arrivé et il a emporté les militaires qui nous
gardaient.
Président continue la lecture : « Le 6 mai, dans la soirée, un camion militaire de couleur verte est venu
ramasser les gendarmes qui nous protégeaient. C’était une vingtaine de gendarmes qui nous
protégeaient et après leur départ, il ne restait plus que quatre d’entre eux. L’un de ces gendarmes priait
avec nous et il nous a dit que les autorités qui nous avaient rendus visite (BUCYIBARUTA, MISAGO,
SEBUHURA, etc) avaient tenu une réunion à la préfecture et avaient décidé que nous serions tués et que
nous devons nous enfuir pour nous cacher. Il a aussi ajouté que les autorités avaient ordonné que les
gendarmes qui assuraient notre protection soient retirés. Ce gendarme était dénommé NEPO était
originaire du secteur de Mukarange, commune de KIBARI, préfecture de Byumba. Un barrage routier
avait été installé au portail de l’enceinte… » Ça revient dans plusieurs de vos dépositions, vous pouvez
nous dire ce qu’il est devenu ?
Azena IBYIMANA : non
Président : vous dites que les autorités ont tenu une réunion à la préfecture, il vous a dit comment il
savait ?
Azena IBYIMANA : bien sûr que les gendarmes avaient eu un rapport expliquant leur départ de là

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Président continue lecture : le portail de l’entrée était gardé par des Interahamwe, donc nous ne
pouvions pas nous échapper. »
Azena IBYIMANA : oui, nous avions trouvé ce barrage-là.
Président : vous saviez qui gardait cette barrière ?
Azena IBYIMANA : cette barrière n’était pas là pour nous protéger, les gendarmes et les Interahamwe
la tenaient et se parlaient entre eux tout le temps.
Président : il se passe quoi ensuite après le départ des gendarmes ?
Azena IBYIMANA : ce qui a suivi c’est le lendemain matin, nous avons constaté que tout
l’établissement était encerclé, et les Interahamwe et les gendarmes tout ce monde était là.
Président : vous les connaissiez les Interahamwe ? C’était qui ?
Azena IBYIMANA : il y avait des gens de toutes les catégories des gens que je connaissais et des gens
que je ne connaissais pas.
Président : des élèves de Marie-Merci ?
Azena IBYIMANA : oui même les professeurs.
Président : vous vous souvenez du nom de certains professeurs Hutu ?
Azena IBYIMANA : oui, un FATIKARAMU, un certain Jean-Pierre MUSADYMANA, il y avait également
des professeurs du collège dont je ne connais pas les noms, le collège étant l’école des lettres.
Président : qu’est-ce qu’il se passe ?
Azena IBYIMANA : je me rappelle que nous nous sommes levés et regroupés tous les élèves avec qui
j’étais, nous savions que c’était notre dernier jour de vie, il n’y avait plus rien à faire car les gendarmes
présents nous avaient dit qu’il n’était plus question de nous protéger. Qui a pu le faire s’est caché, qui
pouvait prier l’a fait, chacun a fait ce qu’il pouvait. Je me souviens que vers 10 heures l’attaque est
entrée dans l’établissement, ils ont tué. Voilà.
Président : je vais relire ce que vous avez dit aux enquêteurs : « Le 7 mai, le lendemain matin, nous avons
constaté que notre école était encerclée par des Interahamwe, et même par quelques élèves extrémistes
hutus qui étaient des camarades de classe. Parmi eux, j’ai reconnu Gaudence UWAMAHORO, Aimable
MURINDANGABO RWANDA, Angélique MUSAFARI, Christophe BUTARE et Juvénal UWIMANA. Ils étaient
armés de machettes, de lances et de gourdins cloutés. Certains Interahamwe avaient également des
grenades et des fusils. Ils sont venus nous attaquer et les gendarmes qui sont restés ont dit aux assaillants
de nous tuer avec les gourdins cloutés afin que l’école ne soit pas couverte de sang. Ils ont aussi dit qu’on
leur avait intimé l’ordre de nous tuer, mais qu’ils ne devaient pas se servir de grenades ou de fusils pour
éviter de causer des dégâts dans l’école. » Vous savez pour quelle raison ?
Azena IBYIMANA s’assoit pour faire une pause et se reprendre.

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Président : À l’époque, vous aviez dit qu’on avait donné cet ordre aux gendarmes pour ne pas causer de
dégâts dans l’école : « Par la suite, quelqu’un a lancé une grenade dans l’enceinte de l’école, celle-ci a
explosé et les assaillants ont suivi. Nous étions rassemblés dans une salle de classe pour prier.
Azena IBYIMANA acquiesce
Président : vous vous souvenez où vous étiez cachée ?
Azena IBYIMANA : dans les toilettes
Président continue la lecture : « les Interahamwe sont entrés, j’ai couru dehors pour me cacher dans les
toilettes. Je pouvais entendre les pleurs et les cris lorsque les Interahamwe tuaient mes camarades. Avant
le début de l’attaque, l’un des élèves avait été caché par NEPO. Cet élève est dénommé » Vous vous
souvenez de son prénom ?
Azena IBYIMANA : oui, THÉOPHILE
Président continue la lecture : « de l’attaque, l’un des élèves avait été caché par NEPO. Cet élève est
dénommé Théophile ZIGIRUMUGABE. Parmi ceux qui avaient été tués ce jour-là, il y avait Yvonne
MUKAKALISA, Eric SIBOMANA, Claudine KAYITESI, Pascasie DUSABE, Georgette MUTEZINKINDI, Beata et
Pacifique SHIRIMUNGU. Lors de cette attaque, j’ignore si d’autres élèves ont survécu. Ce n’est qu’après la
guerre que j’ai découvert que d’autres avaient survécu. »
Azena IBYIMANA : ceux que vous citez sont morts
Président continue la lecture : « Quand les tueries ont pris fin, l’un de nos professeurs du nom de Jean
Pierre MUSABYIMANA, qui avait dirigé l’attaque, est allé vérifier les corps. Il a dit par la suite que
quelques-uns s’étaient échappés et il a ordonné aux Interahamwe de rechercher les élèves qui n’avaient
pas été tués. Alors, j’ai été découverte par un Interahamwe. J’avais fermé la » Vous l’avez vu ça, de vos
propres yeux ?
Azena IBYIMANA : oui
Président continue la lecture : « qui n’avaient pas été tués. Alors, j’ai été découverte par un Interahamwe.
J’avais fermé la porte de la toilette et ils frappaient à la porte, me demandant de l’ouvrir. J’ai refusé et ils
se mirent à enlever le toit. Quand ils ont fait cela, j’ai ouvert la porte et couru vers les » Vous vous
souvenez pourquoi ?
Azena IBYIMANA : oui, pour qu’ils me tuent avec une balle
Président continue la lecture : « mirent à enlever le toit. Quand ils ont fait cela, j’ai ouvert la porte et
couru vers les gendarmes pour leur demander de m’’abattre. Alors, NEPO a négocié avec les
Interahamwe pour leur demander de me protéger. En fin de compte, les Interahamwe ont accepté et
NEPO m’a emmenée et m’a cachée avec Théophile dans un dortoir vide. Nous y sommes restés pendant
quelques heures, mais alors l’enceinte a été encerclée par des Interahamwe. Ils ont dit à NEPO qu’ils
savaient que celui-ci cachait des élèves tutsis et qu’ils ne partiraient pas avant de les retrouver. Ainsi, il
leur a remis Théophile qui avait été tabassé et jeté dans une fosse. NEPO leur a dit que j’étais une
parente et après leur départ, il m’a emmenée chez les religieuses. J’y suis restée pendant deux jours et les

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Interahamwe sont revenus. Ils ont dit que si je ne leur étais pas remise, toutes les religieuses seraient
tuées. Alors, les religieuses ont envoyé un message à NEPO qui avait été muté à Gikongoro. Il est venu
me prendre pour ensuite me cacher chez des amis à Gikongoro. Ce sont Chantal MUKASANGA et
Diogène NTAMBARA. Je suis restée chez eux jusqu’à la fin de la guerre. »Vous vous souvenez ?
Azena IBYIMANA : oui. Le mari était directeur d’un projet dont je me rappelle pas le nom, la femme je
me rappelle pas
Président continue la lecture sur les confidences que des élèves lui ont faites. « Je connais d’autres élèves
qui ont survécu au massacre et elles m’ont dit qu’elles avaient été violées. Je connais trois autres filles qui
ont survécu au massacre au collège du Kibeho. Je les ai rencontrées après la guerre et chaque fois que
nous nous rencontrons, nous discutons de ce qui s’est passé quand les élèves tutsis ont été massacrés.
Toutes ces trois filles m’ont dit qu’elles avaient été violées au collège pendant les attaques lancées contre
les élèves tutsis. Ces trois filles avaient été séquestrées par les Interahamwe qui les avaient constamment
violées tout au long des semaines suivantes. Elles servaient d’objets sexuels à un Interahamwe puis
passaient à un autre et, ce jusqu’à ce que des militaires français viennent leur porter secours. » C’est
quelque chose que les rescapées elles-mêmes vous ont dit ou d’autres personnes vous l’ont dit ?
Azena IBYIMANA : elles-mêmes
Président : vous êtes allée dans quelle région alors ?
Azena IBYIMANA : nous sommes allés nous installer à KIBUNGO
Président : aujourd’hui vous vivez au Pays-Bas, depuis combien de temps ?
Azena IBYIMANA : 17 ans
Président : ça a été compliqué pour vous de venir parler de ça aujourd’hui ?
Azena IBYIMANA : non, je ne voulais pas
Président : pourquoi ? Parce que c’est trop douloureux ou vous avez peur aussi ?
Azena IBYIMANA : oui un peu
Président : vous voulez ajouter quelque chose ?
Azena IBYIMANA :
Président : vous avez des enfants aujourd’hui ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : ils vous posent des questions sur ce qui s’est passé au RWANDA ?
Azena IBYIMANA : oui
Président : ils savent que vous êtes ici aujourd’hui ?
Azena IBYIMANA : oui
Questions des parties civiles/
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Me GISAGARA se lève et le Président intervient : « Me GISAGARA, si vous posez des questions elles
doivent être très courtes et sans commentaires ».
Me GISAGARA : merci pour votre témoignage. On vous a demandé sur la période avant 1994, on vous a
interrogé sur les professeurs qui sont partis et vous avez dits qu’ils n’avaient pas le choix, pourquoi vous
comprenez qu’ils soient partis ?
Azena IBYIMANA : ils avaient raison car s’ils n’étaient pas partis ils seraient morts.
Me GISAGARA : vous avez dits qu’ils étaient persécutés, comment ?
Azena IBYIMANA : je donne un exemple, depuis que je suis première année je ne pouvais pas réussir
un seul cours d’un Hutu. Cela montrait que le but de l’éducation n’avait pas de sens, les professeurs
étaient censés donner et transmettre des connaissances mais cela n’avait pas de valeur.
Me GISAGARA : on vous a demandé d’expliquer les difficultés entre les Hutu et les Tutsi ? Est-ce que vous
qui avez vécu cette période c’est approprié ?
Azena IBYIMANA : non, nous nous soumettions aux Hutu pour survivre
Me GISAGARA : donc c’était les Hutu qui vous persécutent ?
Azena IBYIMANA : oui
Me GISAGARA : on vous demandé ce qui s’est dit le jour où vous avez vu le préfet et vous avez dit qu’il
vous est difficile de vus rappeler du déroulement et vous avez expliqué pourquoi, je comprends car vous
n’êtes pas la première personne disant cela devant la justice, est-ce que cette scène dont vous ne pouvez
pas vous rappeler avec détails est-ce la seule ou cela arrive souvent ?
Azena IBYIMANA : je me souviens de tout mais ce sont des choses qui se sont déroulées sur un long
moment.
Me GISAGARA : vous avez dit que le préfet n’avait pas des mots apaisants vous êtes sûre ? Et les bus vous
n’avez aucun doute c’est qui a tenu ces propos ?
Azena IBYIMANA : les autres ont dit cela et lui aussi et donc c’était la conclusion de la réunion.
Me TAPI : Bonjour Madame, vous avez dit tout à l’heure que lorsque le gendarme vous a conduit chez les
religieuses, sous la menace des Interahamwe, elles ont téléphoné à NEPO pour qu’il vienne vous
chercher ?
Azena IBYIMANA : oui
Me TAPI : il y avait donc un téléphone chez les religieuses à KIBEHO ?
Azena IBYIMANA : oui, je pense mais je ne sais pas comment ils ont communiqué.

Questions du Ministère Public.
Ministère Public : est-ce vous connaissez Théodette MUKAMERARA ? C’est une élève plus jeune que vous,
que nous avons entendu. Elle a fui le 1er mai avec des élèves, vous savez pourquoi ?
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Azena IBYIMANA : euh…
Ministère Public : elle nous a dit qu’elle savait que les élèves n’étaient pas en sécurité et donc elle avait
décidé de partir
Azena IBYIMANA : en fait ils nous l’ont dit avant de partir. Nous avons eu peur car ils sont partis
pendant la nuit et nous désirions aussi partir si rien ne s’était passé. Nous avons arrêté ça car le
directeur nous ont dit qu’ils étaient morts.
Ministère Public : le directeur vous décourageait à l’idée de partir mais plutôt à rester ?
Azena IBYIMANA : oui
Ministère Public : sur la délégation qui est venue vous voir, vous avez dit que le préfet et venu avec
l’église, et ils étaient accompagnés de leur subalternes. Les deux chefs étaient le préfet d’une part et
l’évêque ?
Azena IBYIMANA : oui
Questions de La Défense.
Me LÉVY : nous aimerions revenir sur cette délégation à l’école. J’aimerais vous lire une déclaration de
Madeleine RAFFIN, dont vous avez indiqué que vous connaissiez :
« À cette même époque, aux environs du 3 mai, Monseigneur MISAGO décida de se rendre à Kibeho pour
rencontrer les élèves de l’école Marie Merci, dont les nouvelles nous inquiétaient. Le Préfet et le
Commandant de place décidèrent de l’accompagner, ainsi qu’un représentant de l’Inspecteur des Ecoles.
L’évêque s’inquiétait surtout, et à juste titre, du sort des élèves tutsis de l’école Marie Merci. Car le climat
s’était dégradé sous l’influence du voisinage de l’école, où ces tutsis étaient seuls rescapés du massacre du
14 avril. Dans ce climat, l’abbé UWAYEZU et ses accompagnateurs durent faire preuve d’une ténacité et
d’un courage incroyables pour tenir le plus longtemps possible. La tension était extrême: les élèves hutus,
poussés par l’extérieur, prétendirent un jour que les tutsis avaient mis du poison dans l’eau du thé que les
élèves buvaient chaque matin. Les élèves tutsis supplièrent le directeur de les laisser se réfugier dans
l’école des Lettres, dont les élèves étaient en vacances. La religieuse qui était directrice de l’école accepta
de les accueillir. Dans ce climat, la délégation accompagnant l’évêque tenta de calmer les esprits, puis le
préfet demanda au Chef de la gendarmerie de mettre en place une garde en qui il avait confiance, en
attendant qu’on trouve une solution concertée pour déplacer les élèves en danger. C’est ce que fit le
Commandant de place. Il y installa des gardes dont il était sûr, mais derrière lui passa son adjoint qui
changea la garde. Les 90 jeunes furent massacrés quelques jours plus tard, le 7 mai… 90 jeunes que
j’avais tous connus et accueillis dans l’école ! »
Donc, est-ce que ce qu’a écrit Mme RAFFIN correspond à votre souvenir de ce qui s’est passé ?
Azena IBYIMANA : oui, ce qu’elle a dit est vrai mais ce n’est pas toute la vérité. Parce que l’évêque ne
s’est jamais inquiété de notre sort. Même ce prêtre qui était sous sa responsabilité a vu els corps, les
cadavres et n’a rien fait.
Me LÉVY : mais sur ce qu’il s’est passé pendant la visite, vous êtes d’accord ?
Azena IBYIMANA : à moitié? oui;

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Me LÉVY : moi aussi, j’aimerais revenir sur les propos tenus ors de cette visite
Président : juste une précision, je ne pense pas que Madeleine RAFFIN ait été présente lors de cette
visite ?
Me LÉVY : non absolument.
Azena IBYIMANA : j’ai dit qu’il s’est dit beaucoup de choses, c’est une réunion qui a eu lieu. Nous
avons échangé, parlé, ils nous ont répondu. Si je me rappelle pas de tous les propos qui se sont tenus,
c’est parce qu’il s’est dit beaucoup de choses. Selon, il y a eu une seule décision qui a été prise : que
nous quittions cet endroit.
Me LÉVY : nous sommes d’accord pour dire qu’au début de cette réunion, les membres de la délégation
ont répété ce que les élèves Hutu leur avaient dit juste avant, sur les reproches qu’ils vous faisaient ?
Azena IBYIMANA : oui
Me LÉVY : et donc vous dites que la conclusion de cette visite est que vous deviez quitter cette école avec
des bus ?
Azena IBYIMANA : oui
Me LÉVY : je vous pose cette question parce qu’il y a eu un procès contre Monseigneur MISAGO, nous
n’avons pas votre témoignage mais nous avons le jugement. Nous pouvons ont tiré que tous les autres
témoins disent autre chose concernant la conclusion de cette réunion, il n’a pas été décidé que les élèves
devaient partir
Azena IBYIMANA : je ne sais pas ce qu’ont dit les autres, tout ce que je sais c’est que nous devions
quitter notre établissement pour partir chez nous
Me LÉVY : je vais vous dire ce qu’il a été dit dans le jugement MISAGO : « CONSTATE que Jeanne
KABERA, Azena IBYIMANA KABILIGI et Théophile ZIGIRUMUGABE rapportent mêmement les propos leur
tenus par MISAGO à l’issue de ses entretiens avec les élèves Hutu, affirmant que ces propos n’étaient pas
son émanation mais qu’il ne faisait que répéter ceux que venaient de lui dire les élèves hutu les accusant
de les provoquer en reprenant des danses et des chansons pro-Inkotanyi et en manifestant leur joie à
chaque bataille remportée par eux alors que ces derniers exterminaient des Hutu » Vous êtes d’accord
avec cette partie ?
Azena IBYIMANA : la question c’est parce qu’il a répété, ce n’est pas ce qu’il a dit.
Me LÉVY : non il est dit que les élèves disent tous à peu près la même chose, Mgr MISAGO dit qu’il répète
ce que les élèves Hutu lui ont dit
Azena IBYIMANA : ce que je peux dire, que ce soit MISAGO ou le préfet BUCYIBARUTA, leur langage
n’était pas seulement de répéter ce que les autres avaient dit mais aussi d’eux-mêmes nous accuser
Me LÉVY : ce n’est toujours pas ce que dit le témoin mais je vais vous lire le 2e paragraphe :
« que ces derniers exterminaient des Hutu; que ces témoins ne s’accordent pourtant pas quant aux
recommandations et mesures issues de ladite réunion, Azena KABILIGI prétendant que MISAGO leur
promit des bus de l’ONATRACOM devant les conduire chez eux sous prétexte de manque de vivres alors

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qu’il savait manifestement que leurs familles avaient été décimées, Jeanne KABERA et Théophile
ZIGIRUMUGABE affirmant que la décision prise fut celle de les laisser dans l’établissement tout en
renforçant la sécurité et en subvenant à leurs besoins alimentaires »
Azena IBYIMANA : ça vient de qui ce rapport ?
Me LÉVY : c’est le jugement dans l’affaire MISAGO
Azena IBYIMANA : je ne suis pas d’accord avec ces propos
Président : sachant que nous n’avons pas ce témoignage. De toute façon, nous allons entendre d’autres
témoignages, ce sera la meilleure solution.
Réaction de Monsieur Laurent BUCYIBARUTA.
Laurent BUCYIBARUTA : les propos que m’attribue Madame le témoin lors de la visite que nous
avons faite à l’école Marie-Merci, et à l’école des lettres, ces propos sont dénués de tout fondement et
ce sont des propos qu’elle invente et qu’elle m’attribue. Je n’ai accusé aucun élève de collaborer avec
le FPR et je n’ai accusé personne de quoi que ce soit.
Deuxièmement, elle a dit que toutes les informations concernant une réunion qui se serait tenue à
GIKONGORO pour planifier le massacre des élèves qui se trouvaient à l’école des lettres sont rapportés
par un gendarme mais il ne pouvait pas assister à une réunion dans le bureau du préfet. Ce gendarme
à l’époque n’a jamais été identifié et je trouve pas comment le nom de ce gendarme se trouve de
partout comme l’informateur privilégié de Mme le témoin
Troisièmement, si le témoin avance ces arguments, je les respecte car ce sont ses propres arguments
mais je ne les partage pas.
Président : avez-vous compris ? Vous souhaitez réagir ?
Azena IBYIMANA : c’était un jeune gendarme sous-gradé, c’était un caporal il n’a pas participé à ces
réunions mais NEPO rapportait des choses qui provenaient de la réunion, lui n’a pas participé aux
réunions.
Président : un dernier mot Monsieur Laurent BUCYIBARUTA ?
Laurent BUCYIBARUTA : là aussi, puisque le témoin dit que le gendarme NEPO fournissait des rapports
de ce qu’il se passait des réunions, de qui les recevaient-il ? S’il était caporal, je ne pense pas qu’un
commandant fournissait des rapports à un caporal. C’est un subalterne qui donne des rapports à son
supérieur, pas l’inverse. Le commandant de gendarmerie participait à toutes les réunions de son cheflieu. Je ne pense pas qu’il fournissait des rapports à son
Président : M. Laurent BUCYIBARUTA, je ne pense pas qu’un rapport en trois exemplaires ait été fourni.
Mais si on change ce mot « rapport » pour « information », est-ce que ça fait sens ?
Laurent BUCYIBARUTA : oui mais justement il faut préciser, qui a donné ces informations
Président : bon je pense qu’on va en rester là pour ce soir. Merci Madame pour votre déposition.

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References
↑1

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑2

Sœur MILGITHA KÖSSER a documenté le massacre des Tutsi réfugiés dans la paroisse de
Kaduha dans un album photo déjà évoqué lors de l’audition d’Hélène Dumas. Voir
également « Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de
l’attestation, Hélène Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10)

↑3

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑4

CERAI : Centre d’Apprentissage Rural et Artisanal Intégré

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Procès Laurent BUCYIBARUTA du mardi 14 juin
2022. J23
15/06/2022

• Audition de monsieur Pascal RWAYITARE.
• Audition de monsieur Silas NSANZABAGANWA.
• Audition de monsieur Emmanuel UWAYEZU, directeur de l’Ecole Marie-Merci.
Audition de monsieur Pascal RWAYITARE. Cité par le Ministère public, né en 1959, demeurant au
RWANDA, 63 ans.
PAS DE DÉCLARATION SPONTANÉE.

Président : en 1994, vous étiez dans un service qui s’occupait de toutes les questions scolaires sur
toute la préfecture de GIKONGORO ?
Pascal RWAYITARE : c’est exact.
Président : et vous avez été entendu par les gendarmes/les enquêteurs français en 2014, vous vous en
souvenez – D10597 ?
Pascal RWAYITARE: oui.
Président : vous expliquez que vous avez d’abord été enseignant et que vous avez commencé votre
carrière à KIGEME ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : vous étiez l’adjoint de ce responsable qui avait le titre d’inspecteur scolaire ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : donc votre fonction c’était inspecteur scolaire adjoint ?
Pascal RWAYITARE : oui, c’est correct.
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Président : que pouvez-vous nous dire des relations avec les autorités ? Cela faisait longtemps que
vous occupiez ce poste ? Quelles étaient vos relations avec les services de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE : j’occupais ce poste depuis septembre 1992. En ce qui concerne la collaboration,
le préfet représentait le Ministère de l’Intérieur, quant à nous nous avions en charge l’éducation. Nous
travaillions ensemble comme des fonctionnaires qui opéraient au sein d’une même préfecture, quand
nous faisions un rapport au ministre nous gardions un rapport pour la préfecture.
Président : donc vous ne dépendiez pas de la préfecture mais vous aviez des liens assez étroits pour
faire progresser des dossiers ?
Pascal RWAYITARE : c’est exact.
Président : s’agissant des établissements scolaires dans la préfecture de GIKONGORO, il y avait des
établissements scolaires publics dépendants de l’État et des établissements scolaires gérés par des
institutions privées, le plus souvent l’Église catholique mais à KIGEME, une école était par exemple
gérée par l’Église anglicane ou pentecôtiste ?
Pascal RWAYITARE: en réalité, toutes les écoles relèvent du ressort du Ministère de l’Éducation
conformément aux conventions conclues avec les responsables de ces écoles mêmes. Cela veut dire
que certaines obligations incombaient aux responsables des écoles mais rien ne pouvait échapper à la
supervision du Ministère de l’éducation.
Président : et quand il s’agit de problèmes de sécurité des élèves, c’est la compétence du Ministère de
l’éducation ? Des d’autres services, notamment la préfecture ?
Pascal RWAYITARE : pour ce qui concerne le volet éducatif cela incombait au Ministère de
l’éducation, mais pour ce qui concerne la sécurité cela concernait d’autres services mais comme c’était
toujours dans le ressort de l’éducation les responsables devaient tenir informé l’échelon supérieur.
Président : donc s’il y a un problème de sécurité, d’autres services de l’État sont concernés, donc la
préfecture et peut être aussi la gendarmerie car la seule force de sécurité que l’on retrouve partout
dans la préfecture c’est la gendarmerie ?
Pascal RWAYITARE : c’est exact.
Président : avant de parler de l’école Marie-Merci, on va parler de votre situation personnelle: vous
habitiez sur la colline de SUMBA ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : et si j’ai bien compris, vous n’habitiez pas très loin de la résidence du préfet ?
Pascal RWAYITARE: c’est vrai
Président : lorsque vous avez été entendu, vous avez expliqué que dans votre propre quartier,
plusieurs Tutsi avaient été tués, vous vous en souvenez ?
Pascal RWAYITARE : la plupart ont été tués à MURAMBI, mais plus tard j’ai appris que deux ou trois
Tutsi ont perdu la vie sur cette colline.
Président : et vous avez dit que sur cette colline il y avait une bande de tueurs qui avait été assez
active, dont un certain Ananias USHINGABIGWI, ce nom vous dit quelque chose ?
Pascal RWAYITARE : je confirme que ce RUSHINDABIGWI a perdu la vie lors de sa propre attaque.
Président : vous avez indiqué qu’il avait été tué à MUSANGE ?
Pascal RWAYITARE : je l’ai entendu ainsi mais cela correspond à la réalité.
Président : il avait des fonctions particulières ? Est-ce qu’il était ce qu’on appelait un encadreur de la
jeunesse ?
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Pascal RWAYITARE : il travaillait dans ce service.
Président : quels étaient les liens entre les encadreurs de la jeunesse et les services d’éducation ?
Pascal RWAYITARE : il ne s’agissait pas d’une collaboration organiquement directe car les deux
services relevaient de ministères distincts. Toujours est-il que les gens qui travaillent au même endroit
et qui dépendent d’un même préfet ont certainement un lien de rencontre. Qui plus est, le Ministère
de l’éducation avait en charge une jeunesse scolarisée et le Ministère de la jeunesse avait en charge
une jeunesse non formelle, non scolarisée.
Président : les encadreurs de la jeunesse dépendaient de quel Ministère ?
Pascal RWAYITARE : Du Ministère de la jeunesse.
Président : votre service, comme ceux pour la jeunesse, étaient logés au sein de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE: c’étaient des bâtiments distincts mais voisins du bureau communal.
Président : cet Ananias RUSHINDABIGWI était résident à SUMBA ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : il habitait près de la résidence du préfet ?
Pascal RWAYITARE : c’est sur la même colline.
Président : vous avez dit qu’il aurait été impliqué dans le meurtre de Tutsi réfugiés dans la famille d’un
substitut du Procureur de la République ?
Pascal RWAYITARE : le meurtre des personnes qui s’étaient réfugiées chez le substitut du Procureur
de la République ont eu lieu après la mort d’Ananias RUSHINDABIGWI.
Président : est-ce que ce nom GAKWAYA Bosco vous parle ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : que pouvez-vous dire sur ce meurtre et qu’est-il devenu lui ?
Pascal RWAYITARE : selon ce que j’ai entendu dire, il a été tué par balles, par un gendarme qui les
avait attaqués chez lui et avait tué tout le monde, y compris les femmes et les enfants. Pour ce qui
concerne les circonstances du meurtre de ces personnes, le gendarme en question a été vu par des
gens entrer dans le domicile. Je ne l’ai pas vu personnellement, c’était le soir vers 20 heures, nous
avons entendu les cliquettement des armes et le matin nous avons su que ce que nous avions entendu
concernait la famille GAKWAYA.
Président : pouvez-vous dater cet évènement, juste pour que l’on puisse comprendre. Est-ce que c’est
avant l’attaque à MURAMBI, après ?
Pascal RWAYITARE: c’est beaucoup plus tard dans le courant du mois de mai.
Président : est-ce que vous vous souvenez si à la fin du mois d’avril il y avait eu un message de
« pacification » ?
Pascal RWAYITARE : difficile, à l’époque l’on ne se déplaçait pas, on se disait que si jamais l‘on sortait,
que quelqu’un vous agresse il n’y aura personne pour vous secourir.
Président : avez-vous remarqué à l’époque s’il y avait des barrières sur les routes ?
Pascal RWAYITARE: les barrières sur les routes ont été érigées dès le 7.
Président : il avait des barrières, que faisait-on aux barrières ?
Pascal RWAYITARE: les barrières, on fouillait les gens, on demandait aux gens leurs documents
d’identité mais à ce moment-là ce n’était pas encore très grave et c’est ce qui nous a permis de
déplacer son mari et ma belle-sœur.
Président : quand est-ce que ça devient grave selon vous ?
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Pascal RWAYITARE: c’est arrivé progressivement, on pouvait voir que sur une autre colline, on
incendiait les maisons des gens mais ça ne s’est pas propagé tout d’un coup. Par exemple, quand
j’étais avec lui à KIGEME, on nous disait qu’à KITABI, à MUDASOMWA on avait commencé à tuer les
gens, alors que là où nous étions, à NYAMAGABE, ce n’était pas encore le cas.
Président : est-ce que vous aviez des nouvelles de ce qui se passait dans le Rwanda ? Vous écoutiez la
radio ? Vous aviez un téléphone ?
Pascal RWAYITARE : nous suivions ce qui se passait à la radio.
Président : aviez-vous la possibilité de téléphoner de chez vous ou de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE: personnellement je n’avais pas de ligne téléphonique à mon domicile, mais
certains voisins avaient des téléphones et il y avait un téléphone à mon travail, à la préfecture.
Président : vous continuez à travailler ? Ou vous suspendez vos activités à cause des événements ?
Pascal RWAYITARE: à cause du couvre-feu, les activités professionnelles se sont arrêtées à partir du 7.
Mais à un certain moment il a été dit que certains pouvaient se rendre à leur lieu de travail pour
s’enquérir si leurs activités pouvaient reprendre. Durant cette période, il arrivait qu’on nous appelle afin
de nous rendre au travail mais nous pouvions aussi nous y rendre de notre propre initiative pour voir
ce qui se passait, mais durant cette période il y avait des enseignants qui venaient d’autres préfectures
comme GITARAMA, ou BUTARE et on nous demandait de les enregistrer.
Président : quand avez-vous repris vos activités ? Êtes-vous allé à la préfecture juste pour vous
renseigner ?
Pascal RWAYITARE : je dirais fin avril, à ce moment-là il a été nécessaire qu’on s’y rende afin de voir si
le salaire allait être disponible, ça c’est un exemple. Pour ce qui concerne les activités, à proprement
parler, elles étaient sporadiques.
Président : vous souvenez-vous d’un message du préfet invitant à reprendre le travail ?
Pascal RWAYITARE : je ne m’en souviens pas bien mais j’y ai rencontré beaucoup de personnes, de
mes collègues au mois de mai il est probable qu’un message dans ce sens ait été donné.
Président : avant la reprise il y a un évènement particulier, des massacres commis à MURAMBI, que
pouvez-vous nous dire ? Qu’avez-vous su ? Comment cela a-t-il été vécu ?
Pascal RWAYITARE : il est vrai, vers la date du 19, dans le courant de cette nuit-là, les gens qui
avaient trouvé refuge à MURAMBI ont été tués.
Président : est-ce que vous avez vu des choses ? Est-ce que cela a suscité de l’émoi dans la population
? Vous êtes allé voir ce qui se passait ?
Pascal RWAYITARE : les gens ont eu peur, le fait d’aller voir ce qui s’était passé, je n’ai pas osé, je ne
sais même pas si quelqu’un a osé aller voir.
Président : de là où vous étiez, vous avez entendu les armes ? Vous avez entendu un certain nombre
de choses ?
Pascal RWAYITARE: durant toute cette nuit jusqu’au matin nous avons entendu de grandes
explosions et de grands bruits de balle.
Président : est-ce que c’est un sujet que vous avez pu aborder avec le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Vous lui avez demandé s’il avait entendu des choses ? S’il avait pu faire quelque chose ?
Pascal RWAYITARE : personnellement, je ne lui ai pas posé la question dans ce sens, je ne me suis pas
entretenu avec lui à ce sujet, mais sa résidence se situe à un endroit le plus rapproché du lieu des faits,
il a entendu certainement les mêmes bruits.
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Président : est-ce que vous aviez entendu dire qu’il y avait eu des massacres à CYANIKA, KADUHA et
même avant à KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : j’avais entendu dire qu’il y avait eu des massacres à MURAMBI et après à
CYANIKA, plus tard il y en a eu aussi à KADUHA, mais nous n’avions pas entendu parler des massacres
de KIBEHO.
Président : et quand vous entendez parler de ces massacres, comment qualifiez-vous ce qui se passe ?
Avez-vous conscience que ce sont des Tutsi que l’on massacre ?
Pascal RWAYITARE : je le considérais ainsi, je me disais que c’était des Tutsi qui étaient en train d’être
tués car c’étaient eux qui s’étaient réfugiés à MURAMBI et à CYANIKA.
Président : selon vous, ça s’appelle comment ce qui se passe ?
Pascal RWAYITARE : pour moi, dans cette époque de 1994, le mot génocide n’était pas encore
apparu mais nous disions que c’était un massacre des Tutsi. Par après, on nous a expliqué que de tels
massacres qui visaient un groupe déterminé, c’est un génocide.
Président : Donc ce que vous expliquez c’est que vous ne connaissiez pas la qualification juridique des
crimes commis ?
Pascal RWAYITARE : personnellement, non.
Président : mais vous avez compris qu’il y avait des massacres qui visaient directement les Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : et selon vous les massacres qui ciblaient directement les Tutsi ils étaient commis dans quel
but ?
Pascal RWAYITARE: ceux qui étaient visés à ce moment-là, dans ce but, étaient connus de ceux qui
commettaient les faits mais par après, il a été constaté que ce qu’ils visaient, eux, c’était leur
extermination.
Président : vous savez combien de Tutsi ont été tués à MURAMBI ?
Pascal RWAYITARE: non, en ce qui concerne les statistiques, j’entends parler de 30 000 personnes
mais je ne suis pas au courant des chiffres officiels. Ne me tenez pas rigueur si le chiffre que j’avance
est inférieur, il ne s’agissait pas là de la minimisation, c’est parce que je n’ai pas suivi de près ces faits.
Président : je ne vous demande pas à un chiffre précis, mais il est question à MURAMBI, à CYANIKA, à
KADUHA de milliers de personnes, vous aviez conscience de l’ampleur ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : quand des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes sont tuées, est-ce que cela
vous vient à l’idée que c’est pour les exterminer ?
Pascal RWAYITARE : oui, je le reconnais parfaitement.
Président : on va parler de KIBEHO, car quand vous revenez à votre travail, l’un des premiers sujets
abordés avec votre supérieur c’est la situation à KIBEHO, que pouvez-vous en dire ?
Pascal RWAYITARE : je ne pourrais pas parler de sujet principal mais je parlerai du sujet le plus
affligeant. Pour ce qui concerne les faits, on m’a fait venir en urgence auprès de mon supérieur, ce
n’était pas un entretien de routine. On l’a fait venir du nord et j’ignore les raisons qui l’ont empêché d’y
aller personnellement et il s’est adressé à moi pour que je m’y rende avec notre délégation. Il fallait
aller à l’école Marie-Merci car il y avait des problèmes, il y avait des troubles entre les élèves et qu’ils
étaient en train de se soulever les uns contre les autres.
Président : il ne vous a jamais parlé de la paroisse de KIBEHO ?
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Pascal RWAYITARE: non, jamais.
Président : vous n’avez jamais su que quelques semaines avant, des milliers de personnes ont été
massacrées de la pire manière à la paroisse de KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : je l’avais su dans le cadre des informations qui circulaient au sein de la
population mais je ne l’avais pas appris de mon supérieur et aucun organe n’en parlait par ailleurs.
Président : donc officiellement, personne n’en parle ?
Pascal RWAYITARE: il n’y a pas eu de tel communiqué qui aurait fait état de massacres
Président : et donc vous apprenez par la population, la rumeur publique je suppose, que des milliers
de gens sont morts là-bas ?
Pascal RWAYITARE : oui, je l’ai entendu dire mais malheureusement je ne dirais pas que c’est
étonnant, je dirais que c’était prévisible. Puisque si les gens s’étaient réfugiés à CYANIKA et avaient été
tués, à KADUHA et avaient été tués, on ne pourrait pas ne pas penser que d’autres s’étaient également
réfugiés à KIBEHO pour être tués
Président : est-ce que vous serez surpris aussi d’entendre qu’un grand nombre de témoins ont dit que
les gendarmes et la population locale étaient impliqués dans ces massacres ?
Pascal RWAYITARE : en ce qui concerne les gendarmes, c’était évident puisque là où il y avait les
massacres, des fusils et des balles étaient utilisés. Pour ce qui concerne les autorités, il m’est impossible
de dire si telle ou telle autorité, tel ou tel organe y a participé. J’aurais pu le dire si moi-même j’avais
participé. Toutefois, je peux parler d’un organe composé de ceux qu’on appelait Interahamwe [1].
Lorsqu’on s’approchait de la route, on pouvait les voir passer à bord d’un véhicule pour se rendre
quelque part et ensuite y tuer des gens. Mais je ne sais pas si d’autres autorités étaient avec eux.
Président : bien. Qu’est-ce que vous saviez de l’école Marie-Merci de KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : je sais que Marie-Merci est une école catholique libre subsidiée par l’État. Durant
cette période, le mois d’octobre ou de novembre, il y avait eu une grève portant sur ces
ségrégations/divisions. Suite à ce qui s’était passé, il a été opportun de renvoyer les élèves chez eux. Ils
sont revenus dans le courant du deuxième trimestre. N’ayant pas passé les examens du premier
trimestre, il leur a été dit qu’il fallait d’abord terminer le premier trimestre et ensuite enchaîner avec le
premier, c’est pour ça qu’à cette date du 7 avril, ils étaient à l’école au début du massacre.,
Président : pendant combien de temps ces élèves ont été renvoyés ?
Pascal RWAYITARE: il m’est impossible de faire une estimation, toujours est-il qu’ils étaient partis
avant la période des examens, au milieu du trimestre concerné. Lorsqu’ils sont revenus, on était déjà
dans le courant du second trimestre
Président : donc c’est une question de plusieurs semaines ?
Pascal RWAYITARE: oui, un mois je pense
Président : donc c’est sérieux une telle situation. On a renvoyé quelques élèves, tous les élèves, qui at-on renvoyé ?
Pascal RWAYITARE : tous les élèves ont été renvoyés
Président : bien. Donc vous revenez, votre supérieur vous dit qu’il y a une situation dangereuse, que
c’est affligeant cette problématique à KIBEHO. Vous avez su, avant de vous rendre à KIBEHO, s’il y avait
eu une réunion à ce sujet à la préfecture ?

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Pascal RWAYITARE : c’est vrai, lorsque mon supérieur hiérarchique me l’a dit, il a dit qu’il revenait de
la préfecture, qu’il y avait eu une petite réunion avec quelques personnes et qu’il a été décidé qu’on y
aille.
Président : à votre connaissance, qu’est-ce qui a été discuté lors de cette réunion ?
Pascal RWAYITARE : ce qu’il m’a dit, c’est qu’il avait été décidé dans cette réunion que le lendemain
de cette réunion, une délégation devait descendre sur les lieux, s’enquérir de la situation, prendre
connaissance des problèmes qu’il y avait et essayer d’y apporter une solution
Président : avant qu’on arrive à cette visite, un autre point : est-ce que vous saviez si le préfet s’était
inquiété dans les mois, voire les années qui ont précédé, du départ de certains élèves Tutsi et de
professeurs ? Et savoir s’il y avait des départs qui ont été en fait des défections pour rejoindre le
FPR [2] ?
Pascal RWAYITARE : l’une des raisons qui avait conduit à la suspension et au renvoi des élèves, je
m’étais rendu à KIBEHO avant et j’avais entendu les élèves ainsi que les professeurs en parler.
Président : qu’est-ce qu’on disait ?
Pascal RWAYITARE : je me rappelle pas de toute la genèse de ça mais on disait que 2 ou 3
professeurs avaient rejoint les rangs du FPR. Mais je ne me rappelle pas si on avait pointé du doigt des
élèves qui seraient aussi partis. Ce qui me revient en mémoire est la question de deux ou trois
professeurs.
Président : il n’a pas été procédé à un changement à la tête de la direction à l’époque ?
Pascal RWAYITARE: non, à ma connaissance non. Je me souviens pas, le directeur est resté le même.
Je ne me rappelle pas bien. Si je me rappelle qu’en avril, le directeur était UWAYEZU Emmanuel mais je
sais pas très bien s’il était directeur avant
Président : le nom du Père Jean-Marie Vianney SEBERA vous dit quelque chose ?
Pascal RWAYITARE : c’est ce que je dis, je ne sais pas exactement quand UWAYEZU aurait remplacé
SEBERA, sachant que ce dernier a aussi travaillé à cette école
Président : venons-en à cette visite, quels souvenirs vous en avez ?
Pascal RWAYITARE : je me souviens que nous sommes partis avec le préfet BUCYIBARUTA,
Monseigneur MISAGO, FABIEN qui était responsable des services de renseignement au niveau de la
préfecture. On avait dit que le commandant de la gendarmerie devait aussi faire partie de la
délégation, il nous y a rejoint, de même qu’un certain SEBUHURA [3]. On disait aussi que celui qui était
à l’époque sous-préfet de la sous-préfecture de MUNINI devait nous y rejoindre mais il n’est jamais
venu.
Président : concrètement, qui est venu ? Dans votre souvenir…
Pascal RWAYITARE: ce sont ceux-là que j’ai cités : le préfet, Monseigneur MISAGO, FABIEN,
SEBUHURA représentant la gendarmerie, moi-même délégué du Ministère de l’éducation.
Président : vous savez si SEBUHURA était commandant de gendarmerie ?
Pascal RWAYITARE: ça je le savais.
Président : donc pour vous quand vous parlez de SEBUHURA, il commandait la gendarmerie ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : et vous connaissez un certain BIZIMUNGU Christophe ?
Pascal RWAYITARE : non je ne le connais pas.
Président : parlez-nous de ce FABIEN.
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Pascal RWAYITARE : professionnellement, je savais que FABIEN était en charge du service de
renseignement. Pour ce qui concerne ses activités précises, je n’en sais rien, ni sa manière de travailler.
En réalité, nous n’étions même pas des voisins. Après 1994, alors qu’il travaillait à CYANGUGU, j’ai
appris qu’il aurait perdu la vie dans un camp là-bas.
Président : donc après le génocide ?
Pascal RWAYITARE: oui
Président : il s’appelait UWIMANA ?
Pascal RWAYITARE : c’est possible mais nous connaissions surtout ce prénom FABIEN.
Président : selon vous, il avait un lien avec la famille du Président HABYARIMANA ?
Pascal RWAYITARE : je ne saurais pas établir un lien de parenté, il disait qu’il était originaire de
KIGALI-RURAL, du côté de RUKURO, non loin d lac MUHAZI, aujourd’hui ça s’appelle GASABO mais je
ne connais pas la réalité exacte.
Président : selon vous, il était en relation fréquente avec le préfet ?
Pascal RWAYITARE: pour moi, il s’agit là d’une présomption, le responsable du service de
renseignement collabore de près avec le Ministère de l’intérieur.
Président : en tout état de cause, est-ce que vous savez la raison pour laquelle il fait partie de la
délégation ?
Pascal RWAYITARE : à l’époque, je ne me suis pas posé la question mais je me disais que pour ce
genre de choses, il fallait qu’un rapport soit remis aux services de renseignements. Même si nous
n’étions pas partis ensemble, je me dis qu’il aurait été nécessaire que lui aussi dispose de telles
informations.
Président : à un moment quelconque, il est question de joindre à cette délégation le Procureur ?
Pascal RWAYITARE : je crois avoir entendu dire, avant, dans ce qui avait été dit dans cette réunion,
que le Procureur aurait aussi dû faire partie de cette délégation mais il n’est pas venu, je ne sais pas
pourquoi
Président : comment se passe le voyage ?
Pascal RWAYITARE : à la préfecture, nous avons pris la voiture du préfet, un pick-up double cabine,
c’était le préfet, FABIEN et moi et une fois à l’évêché, nous avons embarqué Monseigneur MISAGO et
avons poursuivi la route.
Président : il faut quand même un certain temps pour aller de GIKONGORO à l’école Marie-Merci de
KIBEHO, vous vous souvenez de ce qui a pu être discuté pendant ce voyage ?
Pascal RWAYITARE: c’était des discussions vagues mais l’essentiel de la conversation tournait autour
de ce qui était en train de se passer dans le pays, surtout que nous pouvions constater des ruines de
part et d’autre de la route.
Président : vous avez vu beaucoup de barrières sur la route ?
Pascal RWAYITARE : oui, il y avait des barrières mais comme il s’agissait du préfet, nous n’avions pas
de problème pour les passer
Président : quand vous avez été entendu, vous avez dit que vous avez pu entendre certaines bribes de
conversation entre le préfet et l’évêque MISAGO – D10597.
Pascal RWAYITARE : ils ont effectivement dit que ces élèves devaient être protégés et si possible, que
ces massacres devaient s’arrêter pour que la population retrouve la sécurité.
Président : ont-ils évoqué des solutions pour éviter que les massacres continuent ?
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Pascal RWAYITARE : comme il s’agissait là de conversations vagues, je ne sais pas si telle ou telle
mesure devait être prises, mais pour l’école oui, raison pour laquelle le responsable de gendarmerie
devait être là.
Président : vous avez entendu parler de bus qui devaient être amenés à KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : je pense que cette idée de bus a été évoquée mais comme les bus ne circulaient
plus, il était difficile d’en trouver. Raison pour laquelle ceux qui devaient voyager ainsi, ont demandé
de les renvoyer à pied, faute de bus ?
Président : on a parlé de protection assurée par des gendarmes ?
Pascal RWAYITARE : ça a été dit, le responsable de la gendarmerie avait d’ailleurs dit qu’une équipe
de gendarmes allait venir sur place protéger ces élèves
Président : je vais relire vos déclarations, peu plus tard, un peu différentes de ce que vous dites
aujourd’hui. J’aimerais que vous me disiez maintenant ce qui se passe quand la délégation arrive ?
Pascal RWAYITARE: veuillez m’excuser d’avoir été rapide, une fois sur place, nous avons trouvé des
élèves, des professeurs et des responsables de l’école, nous avons tenu une réunion dans la grande
salle. Il y a eu des discussions, l’évêque a pris la parole pour présenter les délégués et lui-même s’est
entretenu avec eux, le préfet leur a parlé aussi. C’est lors de ces entretiens avec les élèves que nous
avons su que les élèves étaient séparés. Nous avons su que ceux avec qui nous nous entretenions
s’identifiaient comme étant Hutu. Nous avons su que les élèves Tutsi avaient fui, qu’ils s’étaient rendus
dans une autre école nommée alors l’Ecole des Lettres gérée par des religieuses. Avant que l’on ne
sache que les élèves s’étaient séparés, ceux-là qui avaient pris la parole aussi bien Laurent
BUCYIBARUTA que MISAGO disaient tous que les élèves devaient continuer à vivre ensemble en
harmonie qu’il ne devait pas y avoir de division entre eux. Toujours est-il que ceux, parmi les élèves,
qui prenaient la parole, on pouvait voir qu’ils étaient virulents et qu’ils campaient sur leur position
divisionniste. Ils disaient que selon ce qu’ils avaient appris à des radios c’est qu’il y avait un ennemi qui
devait être écarté et que cet ennemi était le Tutsi. Ainsi pour eux, il n’était plus question de se remettre
ensemble et de vivre ensemble. Comme le dialogue n’aboutissait pas, il a été décidé que nous allions
rencontrer aussi cet autre groupe des élèves qui s’était rendu à l’École des Lettres mais il a été décidé
que pour ce groupe de Hutu, comme il était devenu impossible d’assurer la sécurité et que ce dernier
groupe ne risquait rien, que ce groupe devait rentrer chez lui. Quant au groupe des élèves réfugiés à
l’École des Lettres, ce qui nous amenait là-bas c’est que pour les tranquilliser et les rassurer et leur dire
que comme les autorités l’avaient su, qu’ils allaient être protégés et que leur sécurité allait être assurée
par les gendarmes. C’est pour cette raison que ce groupe, à qui SEBUHURA avait accepté de mettre
des gendarmes à disposition, devait se rendre à cet endroit et pas à l’École Marie-Merci. Nous sommes
donc allés là-bas et nos autorités se sont entretenues avec eux, des remerciements ont été dits à
l’égard des religieuses ayant accueilli des élèves et il leur a été demandé de garder ces élèves qui ne
devaient plus retourner à l’École Marie-Merci. Ils leur ont exposé cette décision prise comme quoi les
gendarmes allaient venir assurer la sécurité, cela a été communiqué aux religieuses.
Président : quelques questions bien sûr. Tout d’abord, la délégation arrive à l’école Marie-Merci de
KIBEHO et rencontre des élèves.
Pascal RWAYITARE : exact
Président : et donc vous vous rendez compte que ces élèves ne sont que des élèves Hutu, vous n’avez
pas été prévenu avant ?
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Pascal RWAYITARE : nous ne l’avons pas constaté tout de suite, nous l’avons compris avec les
discussions d’après.
Président : donc vous ne le saviez pas avant ?
Pascal RWAYITARE: nous l’avons su lors de ces entretiens. Personnellement, c’était mon cas, et les
autres aussi ont été surpris par ça.
Président : et donc ceux avec qui il y a une discussion en premier lieu ce sont avec les élèves Hutu et
dont certains sont virulents vous dites ?
Pascal RWAYITARE: il ressortait de leurs interventions que le groupe de Tutsi était parti et qu’il n’était
plus question qu’ils revivent ensemble.
Président : vous avez dit qu’ils avaient appris grâce à la radio qu’ils savaient qu’il y a un ennemi et que
cet ennemi était le Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : ils disaient qu’il n’était plus question de vivre avec l’ennemi.
Président : est-ce que cela vous vient à l’esprit que certains des élèves et des professeurs avaient pu
participer à l’attaque de la paroisse de KIBEHO quelques semaines avant ?
Pascal RWAYITARE: non, nous ne disposions pas de ces informations, je n’en ai même pas eu de ce
genre par après.
Président : est-ce que le préfet, pendant le voyage lui-même, s’était rendu à KIBEHO quelques jours
après le massacre avec Monseigneur MISAGO ?
Pascal RWAYITARE : non, je ne dispose pas de telles informations.
Président : il vous a dit s’il était intéressé pour savoir qui, concrètement, avait participé aux massacres
de la paroisse de KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE: non, il ne me l’a pas dit. Ce n’était même pas nécessaire qu’il le dise à ses
subalternes comme nous. Personnellement, je n’aurais pas pu lui poser des questions dans ce sens si
lui-même n’avait pas pris l’initiative de parler de cela.
Président : c’était compliqué de parler de ces choses-là ?
Pascal RWAYITARE : c’était possible mais ça ne s’est pas fait.
Président : il a été décidé que pour les élèves Hutu ils rentrent chez eux et que les élèves à l’Ecole des
Lettres, il faut les rassurer, les tranquilliser ?
Pascal RWAYITARE : oui. Il fallait leur promettre la sécurité et le fait qu’ils allaient rester sur place.
Président : la sécurité va venir de la protection assurée par les gendarmes ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : ce n’est pas légèrement embarrassant une telle proposition ? Vous nous avez dit quand je
vous ai interrogé, Monsieur, qu’il était évident que les gendarmes ont participé aux massacres des
Tutsi.
Pascal RWAYITARE : c’est vrai, je l’ai dit. J’ai même eu une telle réflexion mais je me suis dit que
comme leur chef avait accepté d’affecter des gendarmes, il allait mettre ceux en qui il avait confiance
et je me disais que la sécurité ne pouvait pas être assurée par quelqu’un d’autre
Président : et donc, pour vous, le préfet avait confiance dans le capitaine SEBUHURA ?
Pascal RWAYITARE : pas lui seul, nous tous le croyions ainsi. Nous nous disions que comme ça sortait
de la bouche du capitaine SEBUHURA, ça allait être appliqué.
Président : je vais maintenant lire vos déclarations de l’époque – D10597/6:
(NDR: Il lit un extrait de sa déposition)
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Jusque-là, est-ce que vous êtes d’accord ?
Pascal RWAYITARE : la seule précision que je ferai c’est là où il dit que le prêtre a rassemblé les
élèves, c’était juste ceux de l’école.
Président : d’accord, je continue la lecture – D10597/6 :
(NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Des commentaires ou ça correspond à vos souvenirs ?
Pascal RWAYITARE : c’est correct
Président : je continue la lecture alors – D10597/6 :
(NDR: Il lit un extrait de sa déposition)
Est-ce que quand vous avez arrivez, il y a déjà des gendarmes assurant la protection des élèves Tutsi et
est-ce que pendant la réunion, il a été question d’assurer la sécurité des élèves avec des gendarmes ?
Pascal RWAYITARE: je ne me souviens pas si à notre arrivée il y avait des gendarmes, que ce soit à
l’Ecole des Lettres ou à l’école Marie-Merci. Mais pour ce qui concerne l’arrivée du capitaine
SEBUHURA, la raison de sa présence était justement celle-là. Il a promis de mettre des gendarmes pour
assurer la protection de l’école dans laquelle des élèves Tutsi s’étaient réfugiés ?
Président : comment vous expliquez que les gendarmes français, quand ils prennent vos déclarations,
mentionnent quelque chose de différent ? La mémoire vous est revenue entre-temps ?
Pascal RWAYITARE : ça s’entend que je me suis rappelé certaines choses, tout comme j’en ai oublié.
Président : ensuite on vous pose la question de savoir si vous avez appris par la suite ce qui s’est
passé et si vous avez été témoin du massacre des élèves ?
Pascal RWAYITARE: je n’ai pas été témoin mais de manière informelle j’ai recueilli des informations. À
une date de juin ou de juillet que j’ai oubliée, j’ai rencontré dans la ville de GIKONGORO, l’abbé
UWAYEZU qui venait prendre du carburant et j’ai demandé des nouvelles des élèves, c’est alors qu’il
m’a répondu qu’ils avaient été tués. Nous n’avons pas parlé longtemps et nous nous sommes séparés.
Je n’ai pas posé la question sur qui les avait tués, ce qui s’était passé, ça me dépasse.
Président : ça ne vous intéressait pas vraiment de savoir qui avait tué ces élèves, en quoi la protection
assurée par les gendarmes n’avait pas fonctionné, de savoir si certains élèves Hutu avaient pu
massacrer certains élèves Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : vous voyez, au mois de juin, c’était la débandade de partout dans le pays mais
même le lien hiérarchique, lui en tant que directeur hiérarchique et moi en tant qu’inspecteur, ça me
dépassait, ça me faisait tourner la tête.
Président : comment vous considérez que cette situation a été gérée par les autorités et en particulier
par le préfet BUCYIBARUTA ?
Pascal RWAYITARE: personnellement tel que je le voyais, y compris en ce qui concerne la période
d’avant, MURAMBI et tout le reste, je considérais que même s’il avait le titre de préfet, ça le dépassait.
Même lorsque nous étions ailleurs, on voyait que les gens qui étaient supposés être des autorités, il
leur était impossible de faire revenir dans le droit chemin les gens des barrières, ils faisaient ce que
bon leur semblait. Mais comme ce gendarme avait promis avec ces hommes qu’il allait assurer la

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sécurité, on se disait que ça serait possible, que les Interahamwe n’allaient pas oser affronter les
policiers mais qu’aucun gendarme n’allait entraver la sécurité des élèves.
Président : vous souhaitez ajouter quelque chose, Monsieur ?
Pascal RWAYITARE : géographiquement, KIBEHO est éloigné de notre lieu de travail de NYAMAGABE,
c’est pour cette raison- là que je n’ai pas eu vent de ce qui s‘était passé, du départ des gendarmes et
de l’attaque. Voilà.
QUESTIONS DE LA COUR :
Juge assesseure 1 : j’ai une question sur la composition de la délégation qui est allée à l’école. Quand
vous aviez été entendu par les gendarmes français vous aviez dit que dans la délégation il y avait
MISAGO, représentant de l’église – D10597/5, Fabien UWIMANA représentant du service de
renseignements intérieurs, un chauffeur, vous-même, le préfet et que vous êtes partis ensemble dans
la même camionnette et les gendarmes vous disent que le préfet était accompagné du major
BIZIMUNGU, MISAGO, le bourgmestre et le représentant du service de renseignement préfectoral.
Vous, vous dites: « Je ne me rappelle plus la présence du Major BIZIMUNGU dans la camionnette, on y
était à 5. » Moi, si je compte dans la camionnette du préfet il y a le chauffeur, le préfet, Monseigneur
MISAGO, vous et Fabien UWIMANA. Et après dans cette audition vous parlez très précisément de ce
qui s’est passé dans les réunions avec les élèves et jamais vous ne faites allusion à la présence du
capitaine SEBUHURA. Je vous pose la question, est-ce que le capitaine SEBUHURA faisait partie de la
délégation, vous étiez avec lui ?
Pascal RWAYITARE: il est vrai que nous étions 5 à bord de ce véhicule et je ne compte pas vraiment
le chauffeur puisque son rôle consiste à conduire le véhicule.
Juge assesseur 1 : donc vous étiez 6 ?
Pascal RWAYITARE : Il n’était pas avec nous à la réunion. Quant à SEBUHURA, il est venu après, une
fois que nous étions déjà à KIBEHO, il est venu dans son propre véhicule. Il est venu vers la fin de la
réunion qui a eu lieu à l’école Marie-Merci mais je me rappelle qu’il était bien présent à l’Ecole des
Lettres.
Juge Assesseur 1 : donc il est arrivé à la fin de la réunion avec les élèves Hutu mais il était bien
présent à la réunion avec les élèves Tutsi ?
Pascal RWAYITARE: oui
Juge Assesseur 1 : est-ce que la directrice de l’Ecole des Lettres était présente à la réunion avec les
élèves Tutsi ?
Pascal RWAYITARE: ce dont je me rappelle, c’est que la directrice n’était pas là mais il y avait son
adjoint qui l’a représentée.
Juge Assesseur : quand le Président vous a lu il y a quelque minutes le récit que vous avez fait de
cette réunion, je rappelle que vous aviez dit qu’il y avait eu la garantie verbale que les élèves Hutu ne
s’en prendraient pas aux élèves Tutsi, que la directrice de l’École des Lettres, les hébergerait et les
garderait. Qu’est-ce que ça veut dire ? Vous avez fait une confusion entre la directrice et son adjointe
ou vous dites quelque chose de différend aujourd’hui ?
Pascal RWAYITARE : de mémoire, je mélange peut-être un peu mais celle-là dont je parle, que j’ai
appelé « directrice », c’est celle-là à qui nous nous sommes adressés, et avec qui on a échangé.

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Juge Assesseur 1 : je reviens sur votre déclaration quant à la réunion avec les élèves Hutu
– D10597/6 : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Et à l’audience, j’ai plutôt compris qu’il avait été décidé que c’est plutôt tous les élèves Hutu qui
rentraient chez eux. Est-ce que les élèves Hutu avaient la possibilité de rester à l’école ?
Pascal RWAYITARE: vous m’excuserez mais je n’étais pas encore arrivé à ce détail de personnes qui
possédaient des Cartes d’identité. Mais les élèves Hutu, je pense, qui possédaient une carte étudiante
ainsi qu’une carte d’identité Hutu, pouvaient rentrer. Je pense qu’on a demandé aux élèves de rentrer.
Juge Assesseur 1 : vous avez fait le trajet du retour avec le préfet et Monseigneur MISAGO ?
Pascal RWAYITARE : oui c’est vrai, tel que nous étions allés, nous sommes rentrés de la même
manière
Juge Assesseur 1 : et les conversations dans la voiture, vous les avez entendus parler ? Quelles étaient
les conversations ? On a parlé des conversations à l’aller, quelles étaient les conversations au retour ?
Pascal RWAYITARE: nous avons parlé parce que c’était important de ce cas des élèves à l’Ecole des
Lettres. Nous nous disions qu’au moins ils auraient la sécurité assurée, c’est ce qui était important
Juge Assesseur 1 : vous aviez confiance en SEBUHURA?
Pascal RWAYITARE : je n’avais aucune raison de me méfier de lui, je le trouvais sincère.
Président : une précision sur les élèves de Marie-Merci de KIBEHO, il y avait des pensionnaires et des
externes qui ne venaient que la journée ? Je me trompe ?
Pascal RWAYITARE: à cette époque-là, quand une école avait un internat, tous les élèves étaient
internes.
Juge assesseur 3 : une question simplement, est-ce que pour vous, au cours de ces réunions avec les
élèves Tutsi, le sort des parents tutsi de ces élèves a-t-il été évoqué?
Pascal RWAYITARE : il me semble, puisque nous étions allés dans le but de les réconforter ou de les
rassurer, je ne pense pas que cela a été évoqué, si ce n’est de manière allégorique. Vue la situation qui
prévalait dans le pays, je ne pense pas que leur sort ait été évoqué
Juge Assesseur 3 : est-ce qu’implicitement, les élèves pensaient que leurs parents étaient tous morts ?
Pascal RWAYITARE: oui, il faut faire la différence parce que je pense que certains devaient savoir que
les parents étaient morts, ils ont vu ce qui se passait mais d’autres devaient deviner. Nous n’avons
demandé à personne.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES :
Me GISAGARA : hier nous avons entendu un témoin rescapé de GIKONGORO contraint d’aller vivre
dans le BUGESERA car il avait été menacé plusieurs fois à GIKONGORO. Je voulais vous demander si
vous vous sentez en sécurité là-bas, est-ce que vous vous sentez libre de témoigner ? Vous ne craignez
pas des conséquences sur ce que vous allez dire à cette audience ?
Pascal RWAYITARE: le fait de ressentir la peur, c’est une chose qu’on ressent individuellement et cela
dépend aussi de la manière dont on s’occupe de sa vie, de ses propres affaires. Autre chose, Parler
d’un témoignage comme celui-là, vous savez, j’ai déjà donné un tel témoignage dans le procès de
MISAGO. Alors quant à parler des conséquences, tout dépend aussi de la manière dont on les gère. Le
procès MISAGO c’était bien avant les juridictions Gacaca, ensuite devant les Gacaca, et c’était bien plus
risqué.

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Me GISAGARA : ça c’était les témoignages à décharge et là c’est à charge. Est-ce que vous vous
sentez libre de témoigner à charge puisque les témoins, certains, se sentent menacés. En tout cas c’est
ce que nous a dit hier une témoin de GIKONGORO.
Pascal RWAYITARE: en ce qui concerne ce témoin, je pense qu’elle a dû témoigner selon ce qu’elle a
vu ou vécu. De plus, j’ai travaillé à BYUMBA, ensuite à KIGALI et ensuite je suis retourné à NYAMAGABE
(la traductrice résume ses propos). Ce qui veut dire que je n’y allais que pour passer des week-end et
partir. S’il y a donc des problèmes de sécurité pour les survivants là-bas, personne ne m’en a parlé,
nous vivons avec des rescapés.
Me GISAGARA : je reviens à l’époque du génocide, vous aviez une licence, niveau universitaire le plus
élevé à l’époque, vous étiez inspecteur adjoint au niveau de la préfecture et donc j’imagine que vous
êtes d’accord avec moi pour dire que vous faisiez partie des intellectuels de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE: tout dépend de la manière dont l’autre me voit mais oui je l’affirme.
Me GISAGARA : à ce titre, comment expliquez-vous, comme un intellectuel, qu’il se déroule, dans
cette région, des événements de la même façon à KADUKA, KIBEHO, CYANIKA, MURAMBI pour ne
citer que ça, en l’espace de quatre jours ?
Pascal RWAYITARE: c’est qu’il y avait des personnes impliquées qui avaient des équipes qu’elles
dirigeaient. L’autre chose, c’est qu’il y avait aussi ces gendarmes qui disaient qu’ils étaient à la guerre
même s’ils ne se battaient pas avec des personnes armées, c’était une lâcheté.
Me GISAGARA : pour vous, tout ça vous semble le fruit d’un hasard ou c’était quelque chose
d’organisé ?
Pascal RWAYITARE : oui, si on analyse et qu’on essaie de remettre les choses ensemble, on voit bien
que c’était organisé, en plus c’était des choses qui passaient par la radio. Normalement, les radios ont
un système de censure pour cadrer ce genre de choses; donc oui c’était organisé.
Me GISAGARA : donc vous êtes d’accord avec moi pour dire que tout ça dépendait d’un plan établi à
l’avance ?
Pascal RWAYITARE : alors parler du plan, je ne saurais dire si réellement il y plan car il faudrait dire
quand. Mais quand on regarde de plus près, il fallait se coordonner, ils avaient une manière de
communiquer car s’il se passe quelque chose à tel endroit et la même chose à un autre endroit le
lendemain, ils devaient communiquer, il y a dû avoir des rapports ou quelque chose. J’ai des craintes
oui qu’il y ait eu un plan mais l’homme aussi est compliqué à gérer, peut-être qu’il y a eu une
spontanéité. Mais comme la radio le disait et que personne n’a jamais coupé ces ondes, oui, j’ai des
craintes.
Me GISAGARA : je retiens donc que pour vous il y a eu une organisation, une communication entre
tous ceux qui ont perpétré ces faits, et une certaine coordination pour que tous ces massacres puissent
se dérouler d’une même façon. Nous sommes d’accord si je résume comme ça ?
Pascal RWAYITARE : oui je le reconnais et d’ailleurs cette crainte de dire qu’il y a eu un plan, je le
reconnais.
Me GISAGARA : il vous semble normal que le préfet ait pu ignorer ce plan, avec tous ces services à sa
disposition, ces moyens, notamment le service de renseignement préfectoral ?
Pascal RWAYITARE : sûrement qu’il avait les informations, ça je le reconnais, c’est comme ça que je le
pense, il était au courant. Parce que vous ne pouvez pas être préfet et avoir tous ces services qui vous
donnent des rapports et ne pas avoir ces informations. Autre chose aussi que j’ai dit, alors moi quand
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on regarde, en tant que préfet, ce qu’il a laissé faire, est-ce qu’il était dépassé, je ne peux pas savoir
mais laisser des jeunes faire régner la terreur sur les barrières, incendier des maisons, j’avais
l’impression qu’il était dépassé peut-être. Mais ça c’est mon analyse, il n’y a que lui qui peut le dire en
dernier lieu.
Me GISAGARA : sur l’attaque de l’École Marie-Merci, quand on vous envoie à l’École Marie-Merci,
quelle est votre mission donnée par votre responsable ? Qui vous envoie ?
Pascal RWAYITARE: comme c’était des choses qui s’étaient déroulées dans une école, ce sont des
choses qui relèvent du Ministère de l’éducation. Ça ne relevait pas vraiment réellement du Ministère de
l’éducation car c’était une question de sécurité mais nous devions avoir toutes les nouvelles pour que
celui qui était le ministre, si jamais il appelait, on devait pouvoir lui donner des nouvelles.
Me GISAGARA : alors là, j’avoue que je ne comprends pas, vous êtes allé aux renseignements ou pour
trouver une solution au problème de sécurité des élèves de l’école, avec tous les autres, vous faisiez
partie d’une délégation, mais la mission c’était bien de trouver une solution pour les élèves Tutsi
menacés, c’était bien cela ?
Pascal RWAYITARE: oui, oui, oui, je le reconnais, cela faisait partie aussi de l’objectif. Vous ne pouvez
pas faire partie d’une délégation sans avoir une idée peut-être à soumettre ou trouver une solution
pour ces élèves menacés.
Me GISAGARA : donc à votre retour, vous avez fait un retour à votre responsable, vous avez dit quoi
alors ?
PR : oui, j’ai soumis le rapport.
Me GISAGARA : que la solution était trouvée ?
Pascal RWAYITARE : que oui, il y avait cette solution provisoire, que les gendarmes allaient assurer la
sécurité, cette solution avait été entendue. Mais quant à la sécurité générale de tout le pays, ça ce
n’était qu’une solution locale. C’était interconnecté avec le reste.
Me GISAGARA : vous avez des enfants ?
Pascal RWAYITARE : quant à l’évènement de ces choses, je m’étais marié en 1992.
Me GISAGARA : vos enfants ont quel âge aujourd’hui ?
Pascal RWAYITARE : l’ainé a 30 ans, les autres sont plus jeunes Malheureusement, parmi ces élèves, il
y avait l’enfant d’un voisin, MUSONERA et je n’ai même pas pu faire quoi que ce soit. Quelque fois il
arrive que l’on dise que nous sommes des hommes, mais pourquoi ?
Me GISAGARA : imaginez que votre enfant était à l’École Marie-Merci, considérez-vous que votre
délégation a fait le nécessaire ? Que le préfet a fait le nécessaire ?
Pascal RWAYITARE: alors j’en ai parlé tout à l’heure, cette solution était provisoire mais la suite
dépendait aussi de ce qui se passait dans le pays, de la situation qui prévalait dans le pays. Quant aux
élèves, ils étaient à l’intérieur de l’établissement et d’ailleurs les parents les avaient envoyés à l’école, ils
pensaient qu’ils étaient en sécurité, nous aussi, ils étaient gardés pas des gendarmes, nous ne savions
pas qu’il y allait avoir un changement avec les gendarmes.
Voyez-vous, la situation était chaotique et à l’école Marie-Merci, il y avait déjà eu ces problèmes
ethniques, ces divisions. Alors au mois de novembre/décembre, il y avait déjà eu ces soulèvements
interethniques même si ce n’était pas encore grave. Je reconnais qu’il y a une part de l’éducation des
enseignants ou de ce monde scolaire mais aussi l’environnement jouait et influençait le comportement
de ces élèves, c’est la raison pour laquelle ils ont dit que les radios les incitaient à de mauvaises choses
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et qu’ils les ont suivies. C’est la raison pour laquelle on a essayé d’arrêter cela et qu’on leur a dit: » Si
vous ne pouvez pas vivre avec vos camardes, rentez chez vous » pour éviter qu’ils dépassent les bornes
et commettent peut-être certaines choses. Ça c’était aussi des choses qui venaient de l’environnement,
il y a un proverbe en kinyarwanda qui dit littéralement: « On ne peut pas mettre ses chèvres à côté
d’une mauvaise chèvre« , cela veut dire qu’une mauvaise compagnie corrompt les autres.
QUESTIONS du Ministère public :
Ministère public : j’ai deux questions. Hier nous avons entendu une élève Tutsi qui nous a indiqué
que la délégation leur propose aussi de rentrer chez eux ?
Pascal RWAYITARE : non, parce qu’on savait que les barrières traquaient les Tutsi et que si on leur dit
de rentrer, ils ne pourrony y pas aller loin car ils ne pouvaient pas passer la barrière.
Ministère public : donc elle aura mal compris ce qu’on lui a dit ce jour-là ?
Pascal RWAYITARE : je ne saurais pas expliquer mais si cette personne était à cette Ecole des Lettres
et qu’on a dit qu’on allait assurer leur sécurité et que cette personne a compris qu’elle devait rentrer. À
moins qu’elle soit restée dans ce groupe de Hutu à qui on a demandé de rentrer et que cette personne
n’était pas au courant que ces congénères étaient partis à l’École des Lettres…
Ministère public : elle était déjà à l’École des Lettres.
Pascal RWAYITARE: non, ça ne s’est jamais dit qu’on devait rentrer.
Ministère public : : sur l’École Marie-Merci, il y avait combien d’élèves en tout et combien d’élèves
Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : je ne peux pas répondre à cette question. Peut-être que celui qui était le
directeur pourrait s’en souvenir, ça a eu des troubles sur lui.
Ministère public : : il y avait entre 500 et 600 élèves dont environ 90 Tutsi. On a compris que c’était
une école dans laquelle le directeur Tutsi avait été remplacé à la suite de tensions ethniques, et que
certains professeurs avaient été identifiés comme ayant quitté le RWANDA, pour rejoindre le FPR, estce qu’au niveau du Ministère de l’éducation c’était une école particulièrement à risque d’être vue
comme complice des Inkotanyi [4], du FPR ?
Pascal RWAYITARE : non, on a pas eu une telle situation. S’il y a des élèves qui le faisaient, ils
devaient le faire individuellement, les professeurs aussi ; mais pas au niveau de l’école. Mais s’il y a des
problèmes comme ça, on se pose des questions sur l’encadrement, on se dit qu’il n’a pas bien
fonctionné et que c’est sûrement pour ça qu’on a remplacé le directeur. Cela soutient le rôle de
l’environnement dont je vous ai parlé : il vient gâter les choses.
Ministère public : est-ce que tous ces problèmes, si je peux m’exprimer ainsi, c’est cela qui a justifié la
présence de Fabien dans cette délégation car on se demande bien quand même ce qu’il faisait ici, du
renseignement ?
Pascal RWAYITARE : je ne peux pas savoir réellement le rôle de celui-là chargé de la sécurité mais
moi je pense que ce soit au niveau national ou autre, en temps de paix ou de troubles, celui-là devrait
être présent ou envoyé quelqu’un d’autre à sa place. Mais sûrement qu’il devait être au courant.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : je voudrais revenir avec vous sur la composition de la délégation qui se rend à
l’École Marie-Merci, vous nous avez indiqué que vous aviez témoigné dans le procès contre
Monseigneur MISAGO, qui a mené à son acquittement, je vais vous lire un extrait du jugement
MISAGO – D8834 : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
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Vous comprenez que les juges reprennent ici une des accusations du Président contre Monseigneur
MISAGO ? Cette accusation sera écartée par le tribunal dans son jugement mais ce qui m’intéresse est
que le Président dans ce procès MISAGO au RWANDA mentionne comme participant à la délégation à
l’école Marie-Merci de KIBEHO est le major BIZIMANA comme commandant de gendarmerie.
Pascal RWAYITARE : oui, j’ai compris la différence entre le major BIZIMANA et le capitaine
SEUBUHURA
Me BIJU-DUVAL : je n’ai pas encore posé ma question. Vous nous avez parlé du commandant de
gendarmerie, on nous donnant un nom SEBUHURA. Mais de votre compréhension, au moment de la
visite, la personne présente pour la gendarmerie c’est le commandant de gendarmerie ou un
subalterne, de grade inférieur, qui est là pour le représentant ?
Pascal RWAYITARE : vous m’excuserez, quant au commandement de la gendarmerie, moi je pensais
que celui qui était le commandant de cette gendarmerie était SEBUHURA. À GIKONGORO, on se
souvient tous que celui qui dirigeait ce groupement était SEBUHURA mais peut-être que ce
groupement avait un aitre commandant qui était à BUTARE, BIZIMANA. Mais je pense que c’est ce
capitaine SEBUHURA que j’ai vu à KIBEHO car ça s’est passé en pleine journée, on ne peut pas oublier
cela.
Me BIJU-DUVAL : le major BIZIMUNGU, ça ne vous dit rien ?
Pascal RWAYITARE: il y a pu avoir des changements pendant ce temps de troubles et que pendant ce
temps de troubles, celui qui est le commandant de gendarmerie soit ce BIZIMANA mais nous étions
habitués à SEBUHURA à GIKONGORO, tout le monde le connaissait. Ce BIZIMANA, je ne le connaissais
pas. S’il était présent, il était sûrement nouveau au sein de la direction de ce groupement de
GIKONGORO.
Me BIJU-DUVAL : je voudrais vous rappeler vos déclarations – D10597/5 : (NDR: Il lit un extrait de sa
déposition).
C’est ainsi que le préfet a été averti des troubles ?
Pascal RWAYITARE : je ne pense pas comme ça. Je pense que le prêtre directeur est venu voir
l’inspecteur, lui a fait part de ces troubles, il a dû se sentir dépassé par les évènements et ensemble ils
se sont dit qu’ils iraient voir des autorités supérieures concernées pour régler ce problème mais je ne
pense pas que les autres services n’avaient pas mis au courant le préfet concernant les troubles à
l’école Marie-Merci. Autre chose que j’ignore : je ne sais pas combien de temps ont duré ces troubles.
Me BIJU-DUVAL : en ce qui concerne toujours vos déclarations faites aux enquêteurs – D10597/6 :
(NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Que voulez-vous dire par cette dernière phrase ?
Pascal RWAYITARE : malheureusement c’est un constat. Quand vous voyez des personnes sur les
routes faire ce qu’elles veulent et que les autorités ne font rien. Moi je pense que les autorités étaient
dépassées car ce n’était pas une situation normale. On appelle ça une démission ? Je n’en sais rien
Me BIJU-DUVAL : à la cote D10597/7, en parlant : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Vous partagez toujours cette opinion ?

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Pascal RWAYITARE : je pense toujours que s’il a pu emmener cette personne de la gendarmerie
jusqu’à ce qu’il accepte d’assurer la sécurité de ces élèves, je pense que ce sont les moyens dont il
avait. Pour moi, il a fait ce qu’il a pu.

Audition de monsieur Silas NSANZABAGANWA.
Audition de Silas NSANZABAGANWA, cité par le Ministère public, né en 1951 demeurant au
RWANDA, 71 ans. Réunions concernant aussi l’école Marie-Merci et la nomination du
bourgmestre BAKUNDUKIZE Innocent.
Déclaration spontanée.
Je commencerai par l’avion du Président, laissant de côté les histoires de partis. Ce jour-là, dans le
courant de la nuit, l’avion du président HABYARIMANA a été abattu. Dans le matin qui a suivi, la radio
Rwanda a déclaré que tout le monde devait rester à la maison. Nous autres, les citoyens ordinaires,
nous sommes restés à la maison, mais le bourgmestre, les policiers ainsi que
les Interahamwe [5] circulaient de nuit. Ce jour-là du 7, ça avait commencé dans la commune voisine à
la notre, donc à RWAMIKO. Là-bas, c’était un bastion de la CDR [6], ainsi que les gens du MDRPOWER [7], je parle de leur jeunesse. Ils s’en sont pris alors à la population et ils se sont mis à tuer et à
incendier les maisons.
Le 8, il y avait des réfugiés qui provenaient de la région du BOUFUNDO*. C’étaient des réfugiés tutsi
qui fuyaient des incendies, et ils se sont réfugiés au centre de santé de BURAMBA*. A cette date-là du
8, les gens de la CDR, ainsi que les JDR (Jeunesse du MDR), se sont rués sur les réfugiés de BURAMBA
et ils les ont tués. Après cela, ils ont continué à sévir dans toutes les cellules de la commune de
RWAMIKO. A partir de là, des réfugiés de la commune de RWAMIKO ont commencé à apparaitre à
KIBEHO, à cette date-là du 8. Toujours à cette date-là du 8, un mauvais climat commençait à poindre
là-bas à KIBEHO et le sous-préfet de la sous-préfecture de MUNINI, Damien BINIGA, est arrivé chez
moi à KIBEHO. Il s’est adressé à moi de la cour l’extérieure. Il m’a demandé de lui remettre la carte du
PSD [8]. Il a ajouté que le président national du PSD, ils l’avaient tué. Il disait que moi aussi, à mon tour,
je devais lui remettre la carte du PSD et que à son tour, il allait me fournir la carte du MRND [9] sans
quoi, ils allaient me tuer à l’instar de mon patron, mais j’ai refusé.
A cet instant même, est apparu BAKUNDUKIZE, qui était chef des plantations dans l’usine à thé de
MATA. Tous les deux, avec d’autres, se sont dirigés au bar-café de KIBEHO. BAKUNDUKIZE était
membre du MRND, mais en se rendant au bar-café de KIBEHO, en faisant une petite réunion, ils
étaient avec d’autres membres du MDR-POWER. Ils n’ont pas communiqué directement à la
population le résultat de cette petite réunion. Toujours est-il que le lendemain, BAKUNDUKIZE s’est
rendu à l’usine MATA, c’est à cet endroit qu’ils examinaient comment ils allaient commettre le
génocide. Ils apprenaient ça de la part du directeur Juvénal BAKUNDUKIZE. Ce dernier provenait des
usines de NYABIHU* et de RUBAYA*. Dans ce meeting là de 1992, le président du PSD nous a dit
que Juvénal BAKUNDUKIZE, qui venait du nord, avait tué des gens là-bas, des gens du sud et un
agronome, et qu’il fallait nous méfier et nous protéger de lui.

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Revenons à ce BAKUNDUKIZE, le 9, lorsqu’ils venaient de MATA, il est venu en soirée et a fait une
réunion avec les voyous mais aussi avec des gens du MDR-POWER. Il a dit que nous devons tuer les
tutsi d’ailleurs, eux aussi ils ont tué notre HABYARIMANA en collaboration avec les Inkotanyi [10]. Le
lendemain, le 10, je suis allée à l’église rencontrer le curé Pierre NGOGA, ainsi que son vicaire
RWABASHI Lucien. Je leur ai demandé s’ils avaient été informés du climat qui peignait depuis la veille.
Je réprimais que BAKUNDUKIZE était venu de RWAMIKO et avait dit aux gens qu’il fallait tuer les Tutsi.
L’abbé NGOGA m’a dit qu’il connaissait pire que ça, que le vendredi 8, le sous-préfet BINGA, lui avait
interdit de donner aux Tutsi la nourriture de la CARITAS. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas suivre cette
injonction, que moi-même j’étais en charge des affaires sociales au sein de la succursale de KIBEHO, du
CCDFP (centre communal de développement de formation permanente). Je lui disais par-là qu’il fallait
fournir de la nourriture à ces réfugiés.
Ce qu’il a par ailleurs fait, lorsque ces attaques étaient menées, chaque fois ces attaques trouvaient
que les réfugiés étaient en train de cuisiner. Donc, je lui ai dit aussi, ce jour-là le dimanche matin,
quand j’étais allé le voir qu’il devait voir comment il devait rapporter cela à l’évêque. Il m’a dit qu’il n’y
avait pas moyen de passer à travers RWAMIKO et qu’ils ne pouvait pas aller à BUTARE laissant seuls
ces réfugiés. Je lui ai dit aussi que s’il y avait moyen, il pouvait contacter la radio *** pour qu’elle mette
en garde le sous-préfet BINIGA, ainsi que le bourgmestre NYLIDANDI et BAKUNDUKIZE. Le soir, ce
jour-là, BAKUNDUKIZE, les professeurs de l’École Marie-Merci ainsi que les JDR des environs ont
attaqué le bar de KANYANDEKWE*, qu’on appelle Café de KIBEHO. Ils ont bu de la bière et quand ils
s’en sont enivrés, ils ont commencé à détruire les maisons des Tutsi et à les incendier. Ils ont
commencé par le village qui s’appelait alors ***, aujourd’hui SINAHI*, ainsi que le village d’à côté
GWARUHAHI*. Le lendemain matin, les Tutsi, dont les maisons avaient été incendiées se sont réfugiés
dans les maisons de KIBEHO, d’autres se sont rendus à RUNYNYA*, où il y avait encore de l’accalmie et
où les incendies ne s’étaient pas encore produits. Ils se sont rendus à l’école de GACYAZO*.

Nous sommes dans la matinée du 11, mais, entretemps, il y en avait dont les maisons n’avaient pas
encore été incendiées et il y avait des Hutu restés sur place et le bourgmestre a dit à BAKUNDUKIZE
qu’il y avait une réunion, qu’à 11h il allait y avoir une réunion du bourgmestre NYLIDANDI de
MUBUGA. Il a envoyé un message aux réfugiés qui étaient arrivés à la paroisse, comme quoi eux aussi
devaient venir à cette réunion. Ces réfugiés ont eu peur qu’on allait leur faire du mal, ils ont délégués
parmi eux les plus importants dont GASIRE, qui était enseignant, et BUTERA Valence, tout comme
l’enseignant NKEZABERA Emmanuel, tout comme le professeur MUNYAMIINI, qui enseignait à l’école
Marie-Merci. Ils sont donc arrivés et NIYLIDANDI a dit que la veille étaient venus des bandits en
provenance de la commune de RWAMIKO et qu’ils avaient incendié la maison des Tutsi. Les victimes
des incendies ont rectifié qu’il ne s’agissait pas des bandits en provenance de RWAMIKO mais que
c’était plutôt leurs voisins notamment NYAMUNINA et de HURAHUAYE*, qui avaient fait
cela. NIYLIDANDI, a dit qu’il ne pouvait pas sanctionner ces gens car s’il les sanctionnait, la situation
allait s’empirer.

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Moi et d’autre personne qui étions là, avons dit à NYLIDANDI de se mettre quelque part à l’écart pour
que toute personne qui avait été victime de l’incendie s’approche discrètement de lui, et lui indique le
nom de l’auteur de l’incendie étant donné que ça n’allait servir à rien s’il n’y avait pas de punition.
NYLIDANDI a refusé également cette proposition. BAKUNDUKIZE s’est levé et a pris la parole, il a dit
que les réfugiés avaient tué le Président et qu’il fallait se venger. Son grand frère, qui était conseillé de
KIBEHO, a rétorqué en disant que leurs enfants dans le nord étaient en train d’être tués par les
Inkotanyi et que nous aussi nous devions tuer leurs enfants. NYLIDANDI a dit qu’il ne pouvait pas agir
autrement qu’il allait laisser sur place le chargé de sécurité et qu’il allait s’occuper de ces questions. Il a
nommé ainsi ce BAKUNDUKIZE alors que c’était lui le meneur. Oui, c’était le bourgmestre qui avant
son départ l’a nommé et il a aussi nommé Valens BUTERA.
Président : Il les a nommés pour quoi faire ?
Silas NSANZABAGANWA : Pour qu’ils assurent la sécurité, et qu’ils mettent en place des rondes.
Président : Ensemble ?
Silas NSANZABAGANWA : Oui, tous ensemble mais là BUTERA a été brave car il a immédiatement
refusé. Dans un laps de temps est arrivé de MUNINI un gendarme du nom de ***. Ce gendarme était
venu en moto, il a dit au bourgmestre de laisser cela, qu’il devait plutôt se rendre dare-dare à MUNINI,
que là-bas la guerre sévissait, qu’ils étaient en train d’incendier les maisons. BAKUNDUKIZE est resté
sur place. En fin de journée, il a de nouveau réuni les gens au même endroit dit CYAPA*. Sans tarder, il
n’avait pas encore dit quoi que ce soit, qu’est arrivé un véhicule de la gendarmerie en provenance de
MUNINI, c’est-à-dire de la sous-préfecture. La gendarmerie a dit à BAKUNDUKIZE que le lendemain,
dès le matin, il fallait tuer ces réfugiés de la paroisse, qu’il fallait tuer aussi tout le monde, y compris les
femmes et les enfants, que eux-mêmes, les gendarmes, allaient répondre de cela.
La gendarmerie a fait quelque chose comme 800 mètre ou 1 km comme pour aller à BUTARE, et elle
s’est arrêtée à un endroit dit GISHWI, où jadis était une école, elle s’est arrêtée là-bas et elle a tiré en
l’air. Ça n’a pas duré longtemps, la gendarmerie a fait demi-tour, a remonté pour retourner là d’où elle
était venue, à MUNINI. BAKUNDUKIZE est resté au même endroit avec ces gens en train d’examiner,
comme le lendemain ses instructions allaient être mise en pratique. En ce qui me concerne, je suis allée
m’entretenir avec son grand frère, le juge MUSHUMBA***. C’est à 400 mètres de là, c’est pas loin. Je lui
ai dit que son petit frère avait dit qu’ils allaient tuer sans distinction les Tutsi, y compris les femmes et
les enfants alors que ceux-là étaient protégés par le droit international. Jusque-là, nous n’utilisions pas
le vocable génocide. Je lui demandais ainsi d’aller l’en empêcher. MUSHUMBA est allé voir l’épouse de
BAKUNDUKIZE, il lui a confié comme mission d’empêcher son mari de faire cela et l’épouse a promis
de le dire. Nous autres, nous avons continué notre route pour retourner là où BAKUNDUKIZE se
trouvait avec la population.
MUSHUMBA lui a dit que ces ignominies qu’il allait commettre, il fallait se garder de les faire car c’était
sanctionné par le droit international. Donc BAKUNDUKIZE n’a pas voulu l’écouter disant que lui,
MUSHUMBA, et moi, SILAS, nous ignorions la direction qu’était en train de prendre le pays. Comme il
refusait de nous écouter, MUSHUMBA est allé chez lui et moi je suis retourné chez moi, mais les autres
sont restés là et on continuait à incendier les maisons, et ils ont incendié les maisons qui n’avaient pas
été incendiées à MANYUMINA* ainsi que dans d’autres cellules KIBEHO, à savoir AGATEKO, à l’arrière

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de l’église, WISASU, AKAGONGE, ainsi que GASHARU*. Les autres ont traversé les ruisseaux pour aller
dans la cellule de NYARUSHISHI. Ils ont incendié des maisons dans la cellule de KIGUNA, celle de
NYANGE. Ils ont continué à NYARUSHISHI. Cela a continué à affecter d’autres cellules de la commune
de MUBUGA, dans les jours qui ont suivi.
Durant cette nuit du 11, est arrivé un objet très lumineux dans le ciel, je ne sais pas s’il s’agissait d’un
satellite, cet objet était tellement lumineux qu’on aurait pu voir une aiguille par terre. Ça a continué à
éclairer près de la frontière avec le BURUNDI. Ça a continué à descendre par là. C’était un des seuls
blancs qui venaient voir ce qu’il se passait au Rwanda. La population s’est fait une réflexion et a conclu
que les blancs ne pouvaient pas manquer de ne pas savoir ce qu’il s’était passé au Rwanda car leur
objet volant était passé par là et avait tout filmé.
Pour ce qui concerne le 12, vers 1 heure une attaque allait être menée à la paroisse, mais elle a avorté
car j’avais adressé une lettre à NGOGA. Je lui avait fait parvenir ce petit mot par l’entremise d’un Tutsi
de NYANGE, ce Tutsi se nommait MONGOZI Etienne. Il était responsable d’un conseil paroissiale
catholique. Dans cette lettre, je disais d’abord que BAKUNDUKIZE avait accepté de mener une attaque
qui allait tuer les Tutsi. Deuxièmement, que les Tutsi devaient se préparer, ramasser des pierres, et faire
rentrer des femmes et des enfants dans la cour intérieure et qu’il fallait faire rentrer les vaches. Il fallait
aussi dresser un barrage routier sur la route du côté de la banque pour les empêcher de monter vers
l’église et que les filles qui avaient encore de la force devaient rassembler les pierres. Ainsi, l’attaque a
été menée en provenance de SINAI, le village de ??, l’attaque a progressé la montée de toute la route
vers la paroisse. Elle s’est rendue à l’hôpital où elle a tué un enfant de KANYANDEPE*. Celui-là même
où le café avait été pillé. L’attaque de BAKUNDUKIZE a continué vers l’église, mais dans l’entre-temps,
il y avait une autre attaque du gendarme qui était parti de l’école Marie-Merci. Elle aussi montait en
direction de l’école primaire et de l’église. À ce moment-là, une autre attaque est venue de RWAMIKO
dans une voiture, cette attaque était constituée des travailleurs de l’usine de RWAMIKO, les attaquants
venaient à bord d’un camion conduit par le chauffeur.
Président : Je n’avais pas prévu que votre témoignage durerait encore longtemps, malheureusement
nous devons entendre un témoin d’Italie donc je vais devoir interrompre votre déposition.
Il va falloir fixer un nouveau rendez-vous pour entendre la suite de la déposition du témoin.

Audition de monsieur Emmanuel UWAYEZU, directeur de l’Ecole Marie-Merci à KIBEHO. Prêtre
en visioconférence de Florence (Italie).
« J’ai vu Laurent BUCYIBARUTA pendant la guerre en 1994 lorsqu’il est venu avec l’évêque à MarieMerci. C’était un homme intègre qui n’a jamais manifesté de haine anti-Tutsi. Il cherchait à unir les
élèves. Je suis confiant que la Cour vase baser sur des preuves au lieu de se baser sur les « on-dit ». Merci
pour la confiance que vous manifestez à mon égard.

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J’ai été nommé directeur de Marie-Merci en octobre 1992. C’était la première fois que je venais à
KIBEHO. Monseigneur GAHAMANYI et Monseigneur MISAGO m’ont demandé de succéder au Père
SEBERA qui avait démissionné pour des problèmes ethniques au sein de son école où des grèves avaient
été organisées. J’ai d’abord refusé. Ils m’ont laissé trois jours pour prendre ma décision. On m’a promis
que ce ne serait pas pour longtemps car je devais reprendre des études. Jean Marie Vianney SEBERA, un
Tutsi, est venu me remplacer à la paroisse de SIMBI. Personnellement, je suis Hutu.
Avant mon arrivée, le ministre BANDURA avait arrêté les activités de l’école. Des professeurs
entretenaient des amitiés particulières avec des élèves et il y avait aussi des problèmes ethniques. Il
existait un antagonisme entre le groupe des Hutu et celui des Tutsi.
Il se disait que des professeurs et des élèves étaient partis rejoindre le FPR [11]. Récemment, sur YouTube,
j’ai vu qu’un professeur l’a confirmé.
J’ai vu aussi, dans des rapports, qu’il y avait des extrémistes chez les Hutu, des professeurs avaient été
suspendus à cause de cela, mais c’était avant que je n’arrive. »
Monsieur le président va poser des questions au témoin qui connaît un certain J.P. MUSABYIMANA.
Possible que ce fut un extrémiste puisque pendant la guerre puisque pendant la guerre il ne savait pas
s’il allait en ressortir vivant!
La guerre ou le génocide, questionne le président?
Le témoin: j’ai appris qu’on l’a qualifiée ainsi. (NDR. Jusque là, le témoin a toujours utilisé le terme de
guerre. Il semble que le mot « génocide » lui arracherait la langue). Je sais ce qu’est un génocide, c’est
une extermination.
Le président; pour vous, il y a eu un génocide en 1994?
Le témoin: si c’est comme cela qu’on le dit, je reconnais un génocide. Quant aux Inyenzi [12], ce
n’étaient pas seulement les Tutsi mais tous ceux qui collaboraient avec le FPR. Il y avait des Hutu chez
les Inyenzi.
Le président: vous étiez là lors des massacres à la paroisse? Vous savez ce qui s’est passé?
Emmanuel UWAYEZU: j’étais en sport avec les élèves. C’est le lendemain que j’ai vu ceux qui étaient
dans l’église. Je n’ai rien vu à l’extérieur. Ceux qui étaient dehors avaient fui. La majorité des victimes
était des Tutsi, mais il y a eu aussi des Twa et des Hutu. Si ma mémoire est bonne, l’évêque est venu
avec le préfet pour voir ce qui s’était passé. Le major BIZIMANA ou BIZIMUNGU était là aussi. Ils sont
venus voir s’il y avait des survivants.
Le président: on vous a accusé d’avoir tenu des barrières.
Emmanuel UWAYEZU: j’ai appris cela quand je suis arrivé en dehors de l’église. Cela m’afflige
beaucoup de me voir accusé. Des professeurs ont bien participé aux massacres, mais pas des élèves.
L’école comptait environ 460 élèves. Il y avait presque autant de Tutsi que de Hutu! Ce que je n’ai pas
pu vérifier car j’avais d’autres préoccupations. Je les considérais tous comme mes enfants. Ce sont les
élèves qui ont décidé de se séparer en deux groupes. A l’école il n’y avait pas de clôture.
Le président: comment affirmer alors qu’aucun élève n’a participé aux massacres de l’église?
Emmanuel UWAYEZU: avec quoi seraient-ils allés se battre? Ils n’avaient pas d’armes!
Le président: des témoins disent que des élèves reviennent avec des habits maculés de sang!

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Emmanuel UWAYEZU: c’est la première fois que j’entends dire cela. Concernant la séparation en deux
groupes, comme il n’y avait plus de cuisiniers à l’école, ce sont les élèves qui étaient chargés de
préparer la bouillie. les Tutsi ont été accusés d’avoir empoisonné la nourriture. Les Tutsi ne pouvaient
en boire, ils sont partis.
J’ai dit aux gendarmes de barrer la route aux Interahamwe [13] pour les empêcher de venir tuer. Je suis
aussi allé à GIKONGORO pour en parler à l’évêque. C’était le 1 ou le 2 mai, le jour où les élèves se sont
séparés en deux groupes. Le 3 mai, l’évêque et le préfet sont venus à KIBEHO, avec le commandant et
l’inspecteur adjoint. Ils avaient envoyé une invitation au bourgmestre et au sous-préfet de MUNINI. Je
n’ai pas vu ce dernier.
Le président: quand vous rentrez de GIKONGORO, quelle est la situation?
Emmanuel UWAYEZU: j’ai constaté que les Hutu étaient revenus à l’école. Les Tutsi avaient été
conduits à l’École des Lettres en collaboration avec des professeurs. Je leur ai apporté de quoi cuisiner.
Le président: la directrice de l’École des Lettres dit ne vous avoir jamais vu!
Emmanuel UWAYEZU: j’ai déposé des haricots et du riz. J’ai parlé aux élèves. Ils m’ont dit qu’on les
calomniait, qu’ils n’avaient jamais empoisonné la nourriture. Il y avait aussi des Hutu avec eux. Mais il y
a eu un tri le jour des massacres. Les Hutu sont revenus à l’école.
Le président: le jour de l’attaque, vous étiez où?
Emmanuel UWAYEZU: j’étais à GIKONGORO avec l’évêque. Je m’étais déplacé à bord d’un pick-up,
accompagné de deux gendarmes. Seul, j’aurais été tué. Il restait trois gendarmes à l’école. Lors de la
visite des autorités, des engagements ont été pris. Il a été demandé aux gendarmes d’augmenter la
sécurité. On voulait remettre les élèves ensemble mais ils ont refusé.
Le président: quand apprenez-vous le massacre des enfants?
Emmanuel UWAYEZU: le lendemain. J’avais passé la nuit à l’évêché. C’est là que la directrice, qui était
à SAVE, m’a trouvé. Elle nous a annoncé l’attaque. Elle m’a dit que j’étais aussi recherché.
Sur question de l’assesseur, le témoin dit qu’il est Hutu, « officiellement« . Un mot qui interroge. « Tout
le monde sait que je suis Hutu, c’est cela que ça veut dire. J’avais un visage qui ressemblait à un
Tutsi » finira-t-il par dire. C’est la raison pour laquelle il avait peur.
Maître TAPI: vous êtes toujours prêtre actuellement?
Le témoin confirme.
Maître TAPI: vous êtes un homme de Dieu!
Emmanuel UWAYEZU: oui. Je pense que je n’ai pas menti!
Alors que les parties civiles pose des questions, monsieur le président se demande si on va pouvoir
continuer l’audience, vu les engagements pris concernant la santé de l’accusé.
Maître Simon FOREMAN proteste. Une nouvelle fois les parties ne pourront pas poser les questions
qu’elles souhaitent poser. Ca ne peut pas continuer comme cela.
Sur question de monsieur le président pose à l’accusé, à savoir s’il souhaite continue l’audience, ce
dernier dit qu’il ne peut pas.
« Bien sûr que non« , s’exclame l’avocat du CPCR, ce qui met la défense en colère.

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L’audience est donc suspendue. Encore un témoin qu’il faudra convoquer une nouvelle fois. Cela
devient inquiétant pour la suite des débats. A noter que les propos d’Emmanuel UWAYEZU ont
choqué un certain nombre de parties civiles rescapées de l’école Marie-Merci.

Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT pour la transmission des notes d’audience.
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

References
↑1

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑2

FPR : Front patriotique Rwandais

↑3

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑4

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑5

Ibid.

↑6

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑7

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie
des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se
sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRNDPOWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑8

PSD : Parti Social Démocrate

↑9

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑10

Ibid.

↑11

Ibid.

↑12

Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande
raciste. Cf. Glossaire.
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↑13

Ibid.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mercredi
15 juin 2022. J24
17/06/2022

• Audition de monsieur Védaste HABIMANA, partie civile.
• Audition de monsieur Théophile ZIGIRUMUGABE, rescapé de Marie-Merci, partie civile.
• Audition de madame Thérèse NDUWAYEZU, religieuse de la congrégation des BENEBIKIRA, en
visioconférence de Lisieux.
• Audition de monsieur Emmanuel NYEMANA, rescapé de Marie-Merci, partie civile.
Audition de monsieur Védaste HABIMANA, partie civile.
« J’ai fait mes études à l’école Marie-Merci de KUBEHO. En 1992, une grève à caractère ethnique avait
éclaté et les élèves renvoyés. Les Hutu disaient que les Tutsi voulaient les empoisonner. La situation
évoluant de mal en pis, les élèves Hutu avaient fini par avoir la tête du directeur, l’abbé Jean-Marie
Vianney SEBERA, un Tutsi. Ce dernier avait été remplacé par l’abbé Emmanuel UWAYEZU, un Hutu pur et
dur qui, selon d’autres témoins, avaient la main leste. La situation a fini par empirer, jusqu’à ce que
même des professeurs en viennent aux mains.
En janvier 1994, une nouvelle grève avait éclaté si bien que, en avril, alors que tous les jeunes Rwandais
étaient en vacances, les élèves de Marie-Merci (prénom d’une fille du président HABYARIMANA) avaient
dû rester à l’école pour rattraper les journées perdues.
Très vite, les chambres que nous occupions près de la paroisse ont été pillées et détruites. Nous avons
déménagé dans les salles de classe. Le directeur lui-même était venu habiter au sein de l’école. Dehors,
les réfugiés arrivaient en masse à la paroisse, certains tentant d’entrer à l’école pour se mettre à l’abri.
Des gendarmes ont été déployés, une quinzaine mais le directeur s’était fait particulièrement absent.
Nous ne savions pas où il passait ses journées. Des attaques avaient été repoussées par les réfugiés les 12
et 13 avril. Cette du 14 sera la dernière. Les gendarmes sensés nous protéger se sont ligués avec les
militaires et la population pour nous tuer. Jusqu’à nos cuisiniers qui seront fusillés sous nos yeux. Ce jourlà, les autorités telles que le bourgmestre Charles NYILIDANDI, le sous-préfet BINIGA, innocent
BAKUNDUKIZE seront aperçues sur les lieux des massacres qu’ils supervisaient.
Comme j’étais le « doyen », délégué élève élu par ses pairs, ils m’ont appelé pour me demander comment
ça se passait dans l’école. Nous étions en panique, réduits à observer les événements par les fenêtres de
la salle de classe où on nous avait fait entrer.
Le 15, des corps gisaient partout dans et autour de l’église qui avait été incendiée.
Le 16, une délégation constituée de l’évêque MISAGO, du bourgmestre, du sous-préfet et du préfet est
arrivée à KIBEHO pour se rendre compte des dégâts. Les gendarmes nous ont demandé de traîner les
corps vers les fosses mais nous avons refusé: c’était la première fois que nous voyions des morts. Un
bulldozer est arrivé pour faire le travail.
Ce même jour, les élèves hutu ont commencé à se méfier de moi. Comme c’était notre tour de préparer la
bouillie, ils nous ont accusé, une fois encore, de vouloir les empoisonner. Le directeur que j’ai fini par
rencontrer m’a fait savoir que je ne pouvais plus être « doyen ». Il a ensuite fait part de sa décision à tous
les délégués de classe. Un nouveau « doyen », un Hutu, a été nommé.

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Les élèves hutu avaient tissé des liens étroits avec les gendarmes qui se souciaient peu de nous. Certains
de nos camarades sortaient de l’école et revenaient en faisant circuler de fausses nouvelles pour monter
la tête des autres Hutu. Certains des nôtres avaient vu le corps de leurs parents morts à l’église. Un
certain Gervais RUSANGANWA est même allé jusqu’à fracasser la tête de deux bébés en les projetant
contre un mur. Nous avions perdu tout espoir de survie.
Le mai, nous sommes allés à la chapelle des apparitions pour assister à une messe que disait notre
directeur Emmanuel UWAYEZU. Pendant la célébration, nous avons été encerclés par des gens armés de
machettes et de gourdins. Il était clair que les gendarmes ne nous protégeaient plus. Une très grosse pluie
est tombée avant la fin de la messe et il a plu toute la journée. Le climat de peur s’est définitivement
installé dans l’école.
J’ai pu parler à trois camarades hutu de mes amis qui étaient chargés de ma surveillance. Ils devaient
veiller sur moi et me tuer le moment venu. L’école comptait une centaine de Tutsi sur plus de Hutu. Il
était prévu que je sois tué en premier. C’est alors que nous avons décidé de fuir, non pour survivre mais
pour être tués « proprement ».
Nous avons quitté l’école un soir, marchant la nuit et nous cachant le jour. Nous formions un groupe de
dix qui a fini par atteindre la frontière du BURUNDI. Nous avons eu peur des militaires burundais. Nous
étions tous sains et saufs, destinés à vivre quelques temps dans un camp. »
Questions.
Président : Parmi les élèves arrivés au BURUNDI, y avait-il une dénommée Théodette ?
Védaste HABIMANA : Oui, c’est la seule fille qui est arrivée avec nous.
Président : Pour mieux comprendre votre situation, dans votre famille, vous étiez une fratrie de
plusieurs enfants ?
Védaste HABIMANA : Oui, c’est la seule fille qui est arrivée avec nous.
Président : Des frères et soeurs étaient avec vous à Marie-Merci ?
Védaste HABIMANA :Des parents éloignés.
Président : Pas de frères et sœurs proches ?
Védaste HABIMANA : Non, aucun.
Président : Dans votre famille, avec le génocide, d’autres personnes sont décédées ?
Védaste HABIMANA :: Oui, beaucoup.
Président : Parmi vos frères et sœurs ? Vos parents ?
Védaste HABIMANA :Mes parents et trois personnes de ma fratrie.
Président : J’ai compris que vous aviez été élève pendant trois ans à l’école Mari-Merci ?
Védaste HABIMANA : 5 ans. Si j’explique bien, j’ai commencé en 1988 jusqu’en 1994. L’année scolaire
a commencé au mois de septembre, jusqu’au mois de juin de l’année suivante.
Président : Quand le génocide se produit, vous êtes à la fin des études à l’école Marie-Merci ?
Védaste HABIMANA : J’étais en 5ème année et il y a 6 ans à faire.
Président : Si on compare avec le système français, vous étiez en première et il vous restait la
terminale ?
Védaste HABIMANA : Oui.
Président : Vous avez donné beaucoup d’informations, mais je comprends que vous avez été le
témoin visuel des attaques sur la paroisse de KIBEHO et vous avez dit que vous avez vu que les

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autorités, le bourgmestre NYLIDANDI, le sous-préfet BINIGA, et l’agronome BAKUNDUKIZE. Vous les
avez tous vu participer à ces attaques ?
Védaste HABIMANA : Oui, je les ai vus de mes propres yeux, et c’est ceux là qui m’ont appelé pour
me demander si les élèves avaient un problème, car je représentais les élèves.
Président : Quand ils vous appellent, ils portaient des feuilles de bananiers ?
Védaste HABIMANA : Oui, ils portaient cela, les attaquants et les dirigeants car c’était le signe pour
les distinguer des personnes à tuer.
Président : Vous avez dit qu’il y avait une visite de la paroisse le lendemain. Vous parlez du 16, mais je
parle sous le contrôle des parties, il me semble que c’est le 17.
Védaste HABIMANA : Ils n’ont pas visité l’école, ils ont visité l’église où il y avait eu les tueries.
J’affirme que c’était le samedi car, le vendredi, les corps étaient restés là toute la journée. Autre chose,
c’est que les corps éparpillés partout n’étaient pas loin du réfectoire et du stock de vivre, et c’est moi
qui ouvrait ce stock.
Président : Ce que vous nous dites, c’est qu’il y a plusieurs attaques, dont la grande attaque et que les
corps restent là durant un jour et que c’est après que la visite a lieu ?
Védaste HABIMANA : La grande attaque qui a décimé les gens a eu lieu le 14, les corps sont restés là
le 15 et les fosses ont été creusées par les engins le 16 et c’est là qu’on a enfoui les corps.
Président : On a compris que le climat de tension entre les élèves Hutu et Tutsi était particulièrement
tendu. Est-ce qu’on peut dire que c’est le fait de certains Hutu extrémistes ? Tous les Hutu n’étaient
pas aussi extrémistes que les meneurs ? Vous avez par exemple expliqué qu’il y avait trois élèves Hutu
qui étaient chargés de vous tuer, mais qui ne voulaient peut-être pas le faire.
Védaste HABIMANA : Oui, c’est vrai. Vers la fin du mois d’avril, j’ai fait cours et comme le climat se
détériorait, les listes se dressaient des personnes à tuer. Ces trois élèves avaient été choisis comme
étant les personnes qui avaient fait cinq années avec moi, et devaient donc me tuer eux-mêmes
comme punition pour leur manque d’implication dans les tueries, pour leur montrer qu’il ne fallait pas
s’attacher aux Tutsi et qu’il fallait les tuer complètement.
Président : Qui était dernier tout ça ? Qui a incité ces élèves à vous tuer ? Qui organisait ?
Védaste HABIMANA : Même si le personnel ne travaillait plus dans l’établissement, il y en a qui
venaient : KAYIGAMBA, MUSABYIMANA, KAREKEZI.
Président : Ça, ce sont des choses que vous avez déduites, mais vous n’avez pas assisté à des réunions
pour organiser des tueries des élèves ? Ou est-ce que vos amis vous ont fait des confidences par la
suite ?
Védaste HABIMANA : Je n’ai pas été invité à ces réunions, mais elles se tenaient devant nos yeux. Ce
qui en résultait, on l’apprenait par la suite. Je vous ai parlé du comportement des gendarmes et des
filles qui étaient nos amies, nous pouvions aussi le savoir par des échanges. Je ne dirai pas que tout le
monde était au courant : les jeunes élèves qui étaient en 1ère et 2ème année ne pouvaient pas le voir,
mais les élèves en 4ème et 5ème année, nous suivions de près cela car nous ne savions pas comment
ça allait se terminer, ce qui nous a fait peur. Je pensais que nous pouvions vivre et survivre dans cet
établissement. Mais quand j’ai vu qu’on me calomniait et qu’on disait à tord que j’avais empoisonné, je
me disais que c’était un mensonge qui avait été préparé. Quand j’ai vu que le prêtre UWAYEZU croyait
cela, que j’ai vu que les gendarmes y croyaient vraiment, que j’ai été démis, et qu’on m’accusait de cela

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devant les élèves, j’ai compris que c’était un plan pour m’écarter parce que j’étais méfiant et que je
parlais des choses avec les autres élèves.
Président : Vous savez peut-être qu’on a accusé certains professeurs et élèves Tutsi d’être partis pour
rejoindre le FPR [1] ? Est-ce que vous savez si cela est le cas ou si d’autres sont partis pour d’autres
raisons ?
Védaste HABIMANA :Oui, je sais que certains élèves et professeurs ont été accusés de ça, mais je ne
sais pas s’ils avaient rejoint le FPR ou s’ils avaient quitté l’établissement.
Président : Quand vous allez vous enfuir, c’est avant que vous soyez séparés, et les élèves Tutsi à
l’école des lettres et les Hutu qui restent à l’école Marie-Merci ?
Védaste HABIMANA : Oui, vous avez bien compris, c’était le 1er mai entre 19h30 et 20h30, tous les
élèves étaient encore à l’école Marie-Merci.
Président : Vous avez parlé d’un bâtiment dans lequel étaient logés certains élèves, qui avait été
attaqué et pillé et que vous n’avez pas pu récupérer vos affaires. Est-ce que ce bâtiment accueillait des
élèves Tutsi ou aussi des Hutu ?
Védaste HABIMANA :Les propriétaires étaient des investisseurs qui louaient à l’école Marie-Merci.
Dans ce logement, nous y logions tous ensemble des garçons Hutu et Tutsi.
Président : Voulez-vous ajouter autre chose ?
Védaste HABIMANA : Ce que je voudrais ajouter, c’est de continuer à remercier la justice et je vous
remercie également de nous donner l’occasion de parler et de dire au monde entier ce qui nous est
arrivé.
QUESTIONS DE LA COUR :
Juge Assesseur 3 : (Inaudible) Vous avez un pins/badge, que représente-t-il ?
Védaste HABIMANA : C’est une insigne mémorial pour me rappeler ceux qui sont morts pendant le
génocide. Nous, qui sommes comme des rescapés de ce génocide, nous savons qu’il a commencé au
mois d’avril et pendant cette période, nous nous remémorons ce qui s’est passé.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES :
Me PHILIPPART : (Souhaite montrer à la cour des photos que Monsieur HABIMANA avait envoyées ce
matin).
Me PHILIPPART : J’ai plusieurs questions à vous poser. La première concerne le directeur de l’école,
Monsieur UWAYEZU. Vous nous avez dit que vous ne l’aviez pas beaucoup vu pendant la période du
génocide, vous nous aviez dit d’ailleurs que vous vous sentiez abandonnés avec les élèves Tutsi. Est-ce
que le peu de fois où vous l’avez vu, vous aviez eu l’impression qu’il se souciait de vous ? Il vous
demandait ce dont vous aviez besoin, ce dont vous aviez peur ?
Védaste HABIMANA : Si je dis la vérité, ce n’est pas ce que je voyais, il ne se préoccupait pas de notre
sort et de la vie normale de notre école, car pendant tout ce mois où nous sommes restés dans
l’établissement, depuis que le génocide a commencé, jusqu’à la date du 16/17 où j’ai été démis de
mes fonctions et même les deux semaines qui ont suivi, je n’ai même pas pu le voir pour que l’on
puisse s’entretenir plus de trois fois. Comme je vous l’ai dit plus haut, en date du 11 ou du 12 avant
midi, le prêtre seul qui était dans un véhicule bleu a déménagé ses effets personnels de là où il était
avec d’autres prêtres et est allé occuper la maison qu’occupait Madeleine RAFFIN. Cela pour dire qu’il
habitait là-bas, on le voyait partir et revenir avec ce véhicule car à partir du 7, ce véhicule de
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l’établissement qui avant été conduit par un Tutsi, GAKUBA Marc, était pris par le prêtre. Il vivait encore
à BUTARE.
Me PHILIPPART : Donc, vous ne savez pas du tout ce qu’il faisait de ses journées pendant tout le mois
d’avril ?
Védaste HABIMANA :Je ne pouvais pas le savoir car il n’était plus avec les autres prêtres et on avait
détruit le couvent. Moi, je pense qu’il était dans l’établissement avec les élèves mais cela n’a pas été le
cas.
Me PHILIPPART : Pensiez-vous qu’il était au courant de ce qui se passait entre les élèves ?
Védaste HABIMANA : Il ne pouvait pas manquer de le savoir car les trois fois où je l’ai croisé, j’étais
allé le chercher à ce propos et je lui ai dit. D’autre part, avant avril 1994, comme représentant des
élèves, je pouvais m’entretenir avec lui et on venait du même lieu de GITARAMA. .
Me PHILIPPART : Et à aucun moment il n’a été question d’exclure les élèves Hutu qui se montraient
menaçants à l’égard d’autres élèves, de les sanctionner ?
Védaste HABIMANA : des sanctions à l’égard de ceux qui se comportaient mal vis-à-vis des Tutsi
n’ont jamais eu lieu.
Me PHILIPPART : Combien y avait-il de gendarmes le mois d’avril quand vous étiez présent ? Est-ce
qu’il se sont montrés protecteurs ou menaçants ? Est-ce que leur comportement a changé au cours du
temps ?
Védaste HABIMANA : Les gendarmes, ils se relayaient pendant que j’étais là, j’en ai vu entre trois et
cinq. Pendant les tueries de l’église, ils étaient entre neuf et douze. S’ils s’étaient préoccupés de notre
sort, je ne pense pas qu’ils auraient agi comme cela. Nous aussi nous n’attendions pas de réaction
positive de leur part. Avant la date du 14, on pensait que c’étaient des gens qui s’occuperaient de
notre sécurité. Mais, lorsqu’on les a vu tirer sur les réfugiés, en tenant compte aussi de la discussion
qu’ils ont eu avec les élèves Hutu, leur comportement nous a prouvé qu’ils ne se préoccupaient pas de
notre sécurité, qu’ils attendaient l’autorisation de nous tuer.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me LÉVY : Je voudrais revenir sur la composition du groupe qui se rend à l’église de KIBEHO après les
massacres. Vous avez parlé du préfet, de l’évêque MISAGO, du bourgmestre et également du souspréfet. Etes-vous sûr d’avoir vu le sous-préfet à cette occasion ?
Védaste HABIMANA :Oui.
Me LÉVY : Vous saviez qui était le sous-préfet ? Vous l’aviez déjà vu ?
Védaste HABIMANA :Celui que je ne connaissais pas, pour lequel j’avais l’habitude d’entendre parler,
c’était le préfet. Tous les autres, je les connaissais.
Me LÉVY : Si je comprends bien, vous étiez sur le chemin pour aller récupérer le bois ?
Védaste HABIMANA : C’est vrai, ce n’est pas un chemin éloigné et les gendarmes qui étaient près
d’eux nous ont appelé pour qu’on puisse les aider. Mais cela n’a pas eu lieu, ils ont vu que nous
n’avions pas suffisamment de force pour leur venir en aide ou que notre force ne pouvait pas agir
rapidement pour déplacer ces cadavres
Me LÉVY : Vous avez été témoin que des survivants des massacres ont été recueillis à l’occasion de
cette visite ?
Védaste HABIMANA : Oui, ces visiteurs, je les voyais marcher entre les cadavres et en même temps
les bulldozers jetaient les cadavres dans la fosse.
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Me Lévy répète la question.
Védaste HABIMANA : Je l’aurai entendu dire, je ne l’ai pas vu de mes propres yeux. Il y a des enfants
qui ont été ramenés à GIKONGORO, ça je l’ai entendu, mais je ne l’ai pas vu. Quand je suis passé, s’ils
étaient déjà dans leurs véhicules, je n’en sais rien. Je l’ai su par d’autres élèves Hutu, mais moi
personnellement je ne l’ai pas vu de mes propres yeux.
Me LÉVY : Est-ce que quelques mois avant le procès, vous avez rencontré les époux GAUTHIER à
KIBEHO, dans le cadre d’un reportage filmé ?
Védaste HABIMANA : Oui.
Me LÉVY : Et lors de cette occasion, est-ce que Monsieur GAUTHIER vous a fait la liste de ces
personnes qui seraient venues se déplacer à l’église après l’attaque à la paroisse de KIBEHO ? Le préfet,
le sous-préfet, l’évêque…
Intervention du président : référence à un document qui n’a pas été vu. Demande quand même au
témoin de répondre.
Président : Est-ce qu’il vous a donné la liste des gens qui étaient venus ?
Védaste HABIMANA : Non, il n’y en a pas. Je n’ai jamais été interrogé sur ce procès ou un procès
similaire à celui-ci. J’ai su qu’il y avait ce procès et j’ai demandé pour venir moi-même. S’il n’y avait pas
ces élèves de Maire-Merci de mon âge, je n’aurais pas souhaité venir dans ce procès.
Me LÉVY : Je reviens sur votre départ de l’école de Marie-Merci, vous nous avez expliqué qu’il y avait
un plan préparé à l’avance, que certains élèves Hutu étaient désignés pour tuer des élèves Tutsi. Vous
avez été au courant de ce plan et vous avez fui. Est-ce que vous avez parlé aux autres élèves Tutsi pour
qu’ils puissent fuir également ?
Védaste HABIMANA : Oui, mais dans une situation difficile c’est compliqué. J’ai parlé à ceux qui
étaient dans la même classe que moi, en 5ème année section économique. C’est à ceux-là que j’ai pu
parler, mais les autres quand on se croisait avec chacun, on voyait qu’il y avait déjà un problème. Sur
les dix avec qui on est partis, il y en avait quatre dans la même classe, cinq dans une autre section,
deux en 4ème année section économique, deux en 2ème année et en troisième année. Chacun a eu
peur personnellement. Dans la fuite, nous nous sommes retrouvés dans un même chemin.
Le président interrompt en disant qu’on a répondu à la question.
Me LÉVY : Vous avez eu des informations très précises sur ce plan, pourquoi vous n’en parlez pas à
tous les élèves tutsi ?
Védaste HABIMANA : Comment est-ce que j’allais m’adresser à tous les élèves dans cette situation ?
Je vous ai dit que j’étais délégué responsable, qu’on avait ce plan de m’éliminer, comment j’allais
rassembler ces élèves. J’avais d’abord la préoccupation de ma vie. J’aurais pu fuir seul si je n’avais pas
croisé ces neuf personnes. Je voudrais ajouter que, quand j’ai fui, je ne savais pas que j’allais être
sauvé. J’ai vu tout ce qu’ils ont fait, ils ont tué la population, ils ont enlevé leurs biens, ils ont laissé des
cadavres au soleil comme ça je le voyais, je ne voulais pas vivre mais être tué rapidement.
Me LÉVY : Vous avez indiqué que vous étiez le doyen des élèves et des délégués. Est-ce que vous
pouvez nous expliquer comment se passe cette nomination ?
Védaste HABIMANA : Les délégués des élèves, un garçon et une fille, étaient choisis parmi les élèves.
Il y avait des responsables de classes qui se réunissaient et choisissaient ensemble un garçon et une
fille parmi ceux qui étaient en 4ème et en 5ème année. Ce sont les élèves eux-mêmes qui se
choisissaient entre eux.
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Président : Donc, il y avait une élection ?
Védaste HABIMANA : Oui, pour bien détailler la chose, chaque classe a deux responsables, un garçon
et une fille. Ces responsables se réunissaient ensemble, représentant leurs classes respectives. Parmi
eux, ils choisissaient un garçon et une fille.
Me LÉVY : Donc, le directeur de l’école ne s’est pas opposé à votre désignation en tant que délégué et
doyen des élèves, n’est-ce pas ?
Védaste HABIMANA : Avant le 7 avril 1994, je n’ai jamais vu que le directeur s’opposait à cela, mais le
17 avril, il me l’a dit d’abord, et le 17 il a rassemblé lui-même les élèves en disant qu’il fallait que je
démissionne.
Me LÉVY : Et vous avez démissionné ?
Védaste HABIMANA : Non, je n’ai pas démissionné, mais j’ai été démis de mes fonctions.
Le président: Il y avait une fille avec vous?
Védaste HABIMANA : Oui, une seule fille est arrivée avec nous.

Audition de monsieur Théophile ZIGIRUMUGABE, rescapé de Marie-Merci, partie civile.
Le récit du témoin commence au moment où Védaste HABIMANA a laissé le sien, c’est-à-dire le
1er mai 1994. Théophile ZIGIRUMUGABE est élève à Marie-Merci et évoque lui aussi la mauvaise
ambiance qui règne entre élèves hutu et tutsi.
« Après le départ du groupe de Védaste, je suis allé aux toilettes et les trois élèves chargés de ma
surveillance m’ont suivi.
Le 2 mai, le directeur Emmanuel UWAYEZU nous a convoqués pour nous annoncer que les élèves qui
avaient pris la fuite avaient été retrouvés morts, allant jusqu’à nous préciser que le corps de KABALISA
avait été retrouvé sur une barrière. Cette nouvelle était fausse et n’avait pour but que de nous
décourager. Nous devions rester à l’école. Ce soir-là, les extrémistes semèrent la peur et ont menacé
ouvertement les autres.
Le lendemain, 3 mai, alors que nous avions préparé la bouillie, nous avons entendu des coups de sifflet,
signal pour dire une nouvelle fois que la bouillie ne pouvait être consommée: nous l’aurions
empoisonnée. Les élèves hutu sont partis à l’École des Lettres accompagnés du directeur et des
gendarmes. Je n’ai pas pu parler au directeur. Seuls deux gendarmes étaient restés avec nous. Les élèves
hutu sont alors revenus à Marie-Merci et c’est nous qui sommes allés nous installer à l’École des Lettres.
Arrivés là-bas, nous étions terrifiés. On nous a refusé matelas et nourriture. Les garçons se sont installés
au rez-de-chaussée et les filles à l’étage. Des gendarmes sont venus soi-disant nous « protéger », en
réalité pour nous garder et nous empêcher de quitter l’établissement.
Le 4 mai, une délégation composée du préfet, de monseigneur MISAGO, du commandant de
gendarmerie, du bourgmestre de MUBUGA et de celui d’une autre commune est arrivée. Ils nous ont dit
qu’ils étaient passés par l’école Marie-Merci où ils avaient rencontrés nos camarades hutu. ils voulaient
entendre nos réclamations. Comme j’étais « doyen », j’ai pris la parole pour leur dire que nos camarades
nous avaient trahis et que nous ne savions pas pourquoi. Et d’ajouter: « C’est vous qui êtes nos parents,
c’est vous qui déciderez de notre sort, savoir si on doit vivre ou mourir. »

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L’évêque s’est fâché et en enlevant sa calotte, il nous a affirmé que nous n’avions pas à nous en faire, que
nous allions vivre. La délégation est repartie à Marie-Merci. Il était reproché aux Tutsi d’écouter Radio
Muhabura, la radio du FPR: nous aurions communiqué avec les Inkotanyi [2]. ce qui était bien sûr faux,
personne ne possédant de radio à l’école. Décision a été prise que nous resterions à l’École des Lettres
jusqu’à ce qu’une décision soit prise.
Le 5 mai, l’abbé UWAYEZU nous a fait livrer du riz et des haricots.
Le 6 au soir est arrivé un camion rempli de gendarmes et de personnes habillées en tenue Kaki. Ils nous
ont compté en nous disant que, de toutes façons, nous devions mourir le lendemain.
Le 7 vers 10 heures, un des gendarmes est venu au réfectoire où nous logions et nous a dit de rester là.
L’école était encerclée par des gens portant machettes et gourdins. Les tueurs sont entrés et ont
commencé à tuer. je suis monté sur une table et j’ai ouvert une fenêtre. Je voulais me précipiter sur les
gendarmes pour qu’ils me tuent. L’un d’entre eux m’a dit de le suivre pour me cacher. J’ai laissé AZENA et
ai rejoint les autres. Je suis passé par la fenêtre et la balle qui m’était destinée a tué la fille qui se trouvait
derrière moi.
Je me suis réfugié dans les toilettes, j’entendais les cris de mes camarades. Après les tueries, ils ont fouillé
l’établissement et m’ont trouvé.. Ils m’ont déshabillé et jeté dans une fosse dont le fond était garni de
tessons de bouteilles. Un gendarme est venu tirer sur moi et m’a blessé au pied. Il a ensuite jeté de la
terre dans le trou.
Parmi les tueurs se trouvait un jeune vendeur de beignets qui m’a reconnu. A l’école, on faisait des
affaires: je lui avançais de l’argent quand il en avait besoin, nous avions sympathisé. Il m’a appelé et j’ai
eu peur de répondre. Il a insisté en disant qu’il était content que je sois en vie. Il me promet de revenir à
la nuit tombée. Après son départ, tous les élèves ont été jetés dans un autre trou. il pleuvait beaucoup.
Les tueurs ont jeté le corps d’un certain Emmanuel. J’ai tenté de mes dégager du cadavre et de la boue.
Le 8, mon sauveur est revenu pour me sortir du trou. J’étais nu et il m’a conduit sur une colline pour me
cacher en évitant les barrières. Il m’a donné des habits et m’a caché dans un champ de sorgho où je suis
resté trois semaines. Comme était venu le temps de la récolte, il m’a conduit dans la maison des
professeurs congolais de l’Ecole des Lettres et m’a caché dans le plafond où il m’amenait de la nourriture.
Je me sentais mal et j’ai décidé de quitter ma cachette pour retourner chez IZURU, mon sauveur.
Le 10 juin, jour de mon anniversaire, tout le monde s’était mis à la recherche d’un professeur nommé
GASIRABO. Ils voulaient absolument trouver son corps pour avoir la certitude qu’il était bien mort. C’est
là qu’ils m’ont découvert. et qu’ils m’ont confié au gendarme le moins gradé du groupe qui ne pouvait
pas prendre de décision quant au sort qui me serait réservé.
Le soir, le chef est arrivé, heureux qu’on m’ai retrouvé. Ils m’ont attaché les bras et m’ont dit de me
mettre contre le mur. Ils m’ont frappé à l’aide de fils de fer barbelés, m’ont tabassé trois heures à
m’interroger. Tous les professeurs voulaient qu’on me tue, mais comme ils auraient dû tuer aussi une
certaine JACINTHE s’ils m’exécutaient, ils y ont renoncé.
Le jour de l’intronisation du nouveau bourgmestre BAKUDUNKIZE, le préfet a su que j’étais à l’École des
Lettres. Il a dit de m’emmener à GIKONGORO où je suis resté jusqu’au 18 juin. on m’a remis à un
militaire de Turquoise [3] pour bien montrer aux Français que des Tutsi avaient été sauvés. je me
retrouvais avec des stagiaires d’une école militaire. On m’a soigné puis j’ai rencontré l’évêque protestant.
Les militaires français nous ont conduits à MURAMBI où j’étais seul avec les stagiaires. Certains sont
partis au Congo, les autres ont été conduits à BUTARE, dans la zone tenue par le FPR. »
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Questions.
Président : Quand il va y avoir cette séparation entre élèves Hutu et Tutsi, est-ce que parmi les élèves
qui sont à l’École des Lettres, il y a aussi des élèves Hutu qui avaient voulu rester par solidarité avec les
élèves à Marie-Merci ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Non, au contraire, il y avait deux élèves de première année Tutsi qui
ont suivi les Hutu à l’école des lettres. Quand ils sont arrivés au collège, ils se sont fait expulser. Quand
on quittait le primaire pour le secondaire, il y avait une fiche signée par le bourgmestre avec son
ethnie et tu devais la fournir. Donc, la direction de l’école savait très bien qui était Tutsi et qui était
Hutu. On n’est pas restés avec un Hutu, mais nous qui étions restés au groupe scolaire Marie-Merci
étions seulement que des Tutsi.
Président : Ces élèves qui étaient en première année, ils étaient où ?
Théophile ZIGURUMUGABE: : Les élèves Hutu fuyaient vers l’École des Lettres.
Président : Dans un premier temps, les élèves Tutsi qui sont à l’école Marie-Merci de KIBEHO vont se
retrouver seuls car les élèves Hutu étaient partis à l’École des Lettres ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.
Président : le directeur de l’école nous a dit qu’à l’école des lettres, il y avait des élèves Hutu ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Ça, c’est un mensonge, il n’avait pas d’élève Hutu, seulement des élèves
Tutsi.
Président : Vous nous dites que les conditions de vie étaient assez spartiates, assez rudimentaires.
Avez-vous vu le père UWAYEZU à l’école des lettres ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, le 5, il est venu, il nous a apporté du riz et des haricots. Nous
étions partis le 3.
Président : Vous étiez arrivé le 3, pendant deux jours vous n’avez pas mangé quelque chose ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Non.
Président : Avez-vous vu la directrice qui vous a dit qu’elle ne pouvait rien vous donner ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.
Président : Quand les gendarmes vont attaquent, savez-vous où sont ces sœurs ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Il n’y avait pas que les sœurs, mais aussi des élèves qu’on appelait «
déplacés de guerre ». Ils venaient de la région du nord qui étaient restés à l’école pendant les vacances
scolaires.
Président : Pour résumer, les élèves Tutsi étaient dans des pièces bien localisées, alors que les autres,
les déplacés du nord du RWANDA étaient dans un dortoir, et les sœurs étaient dans leur couvent.
Vous ne les avez pas vu ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui c’est ça. Les autres jours, on pouvait quand même les voir de temps
en temps.
Président : Quand vous avez été retrouvé, après que ce vendeur de beignet vous ait sauvé, pourquoi il
vous a sauvé déjà ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Parce que c’était un ami. Parce que je l’avais payé en avance. Je lui
donnais 1000 francs et après je me servais dans ce qu’il vendait. Je lui avançais beaucoup et donc on
avait développé ces liens d’amitié.
Président : D’accord, donc une certaine sympathie entre vous. Quand vous vous êtes fait découvert,
pouvez-vous me dire exactement vers où vous êtes conduits à ce moment-là ?
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Théophile ZIGURUMUGABE : C’était un bâtiment qui logeait des professeurs zaïrois.
Président : Non, je parle du moment où vous êtes découvert et conduit aux gendarmes ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Ils m’ont amené à l’École des Lettres. Là où nous étions, le 7, quand on
est venu nous tuer.
Président : Donc, là, est-ce que vous avez vu la directrice ? Ce jour-là où plus tard ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Ce jour-là, je ne l’ai pas vue, mais après que les policiers m’avaient
suffisamment tabassé, je l’ai vue. Je l’ai vu de mes propres yeux. Elle a ordonné à une dame qui était
infirmière de me trouver des médicaments pendant qu’on décidait de mon sort.
Président : A ce moment-là, elle a pris soin de vous ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, parce que je saignais de partout, elle a ordonné à une nonne de
me donner des médicaments.
Président : Comment avez-vous quitté KIBEHO pour vous retrouver à GIKONGORO ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Dans la camionnette bleue du directeur UWAYEZU de Marie-Merci,
accompagné de deux gendarmes.
Président : Il y avait la directrice aussi ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Non je ne suis pas partie avec elle. On m’avait fabriqué une carte
d’étudiant avec ma photo.
Président : Combien de temps restez-vous à l’École des Lettres ?
Théophile ZIGURUMUGABE:: Huit jours. J’ai été… le 10, le jour de mon anniversaire, et j’ai été conduit
à GIKONGORO le 18.
Président : Vous avez été conduit où exactement ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Je me suis rendu au bureau de la préfecture et j’ai vu le préfet. Il a dit à
UWAYEZU que lui allait s’occuper de moi mais il avait beaucoup de choses à faire.
Président : Vous avez expliqué que quand vous avez été trouvé, tabassé, vous avez dit que vous aviez
su qu’il y avait eu une réunion à laquelle aurait participé le préfet, où votre sort aurait été discuté. Vous
dites avoir su que dans un premier temps, le préfet aurait voulu qu’on ne vous tue pas parce qu’il y
avait une jeune fille aussi et qui si on vous tuait il fallait la tuer aussi et ils ne voulaient pas tuer cette
fille.
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, je l’ai appris par cette fille, Hyacinthe, c’est le préfet des études qui
ne voulait pas la tuer.
Quand le témoin parlait du préfet, la Cour pensait qu’il parlait de Laurent BUYCIBARUTA =
incompréhension.
Théophile ZIGURUMUGABE : On parle du préfet des études, il nous enseignait le droit fiscal.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Pour nous, ce procès est une bonne occasion de partager ce que l’on a
vécu, beaucoup de souffrances. On aimerait que cela se sache. Il y a eu beaucoup de violence, des
collègues ont été tués sans qu’ils aient fait de mal à personne. 90 personnes sont mortes, des jeunes
filles, des jeunes garçons. Nous, maintenant, quand on trouve une occasion pareille, on se dit qu’on
donne du respect à ces jeunes.
Président : Une petite question : on a entendu Azena, elle a dit qu’elle avait appris que certaines filles
avaient survécu car elles avaient été utilisées comme des objets sexuels, qu’elles avaient été violées par
des Interahamwe [4] pendant un certain nombre de temps. Avez-vous entendu parler de cela ?
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Théophile ZIGURUMUGABE : Non, parce que ça concerne la vie privée des personnes. Je confirme
que cela s’est passé, mais je ne peux pas répondre.
QUESTIONS DE LA COUR :
Juge Assesseur 3 : Avez-vous des séquelles des sévices qui vous ont été infligés ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, j’ai reçu des tirs dans mon pied droit, j’ai aussi beaucoup de
cicatrices. Quand les policiers m’ont tabassé, ils utilisaient des fils de fer de barbelés. Ça ce sont les
cicatrices physiques.
Juge Assesseur 1 : Vous avez évoqué Madame RAFFIN, une française et vous aviez dit qu’elle était
préfet des écoles à KIBEHO. Il me semble que c’était son dernier poste, savez-vous quand est-ce
qu’elle a quitté l’école ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne sais pas très bien, mais je sais qu’elle a été ramenée à
GIKONGORO pour diriger la CARITAS diocésaine.
Juge Assesseur 1 : Saviez-vous depuis combien de temps elle était à l’école Marie-Merci?
Théophile ZIGURUMUGABE : Quand je suis arrivé en 1989, elle était déjà préfet et elle enseignait les
mathématiques.
Juge Assesseur 1 : Vous savez ce qu’elle faisait avant ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Non, je ne sais pas, juste qu’elle avait enseigné.
Juge Assesseur 1 : Elle était appréciée des élèves ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Personnellement, je dirai qu’elle était une bonne personne, ça c’est ma
conviction personnelle. Pour moi, elle nous apportait de l’aide dans l’enseignement.
QUESTIONS DES PARTIES CIVILES :
Me Philippart : Merci beaucoup pour votre témoignage et on sent que vous avez un souvenir très
précis sur ce qui s’est passé. J’aimerais vous interroger sur les impressions et les sentiments que vous
avez eu suite à la visite du préfet qui vient à l’école le 4 mai, après la séparation entre les élèves Hutu
et Tutsi et vous aviez dit tout à l’heure qu’il avait était accompagné par Monseigneur MISAGO. Lors de
cette réunion vous avez parlé de ce qui vous était reproché par les élèves Hutu. Est-ce que vous
pouvez nous en dire un peu plus sur le climat de cette réunion ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Comme je l’ai dit, on était à l’école, on avait plus d’espoir, mais quand
on a vu l’évêque venir avec le préfet, on se sentait soulagés, parce que notre État disait qu’ils allaient
nous protéger. Ils étaient avec le commandant de la gendarmerie. Je me suis dit que cette fois-ci avec
tout le pouvoir qu’ils ont, cette fois-ci on va survivre. Moi, j’avais confiance en le préfet et l’évêque,
même s’il était fâché, il avait dit « ne vous inquiétez pas, personne ne viendra de l’extérieur pour vous
tuer». Mais, c’étaient des mensonges, ils nous ont tué derrière.
Me Philippart : Vous avez mentionné que c’est un gendarme qui vous a tiré dessus ?
Théophile ZIGURUMUGABE : ces gendarmes étaient là pour nous garder ensemble, pas pour nous
protéger. Le 6, quand les filles allaient aux toilettes, je devais les accompagner. Il y a un gendarme qui
a essayé de violer une fille. J’ai essayé de lui parler et je lui ai dit « mais pourquoi vous faites ça alors
que vous êtes censé nous protéger ». Il ne m’a pas regardé, mais il a relâché la fille, qui est retournée au
dortoir. Depuis, les garçons accompagnaient les filles à la toilette. Donc, ce n’était pas pour nous
protéger, mais pour nous garder.
Me Philippart : Lorsque vous partez dans le pick-up bleu de l’école, est-ce que pour vous c’est de la
délivrance ou, pour vous, vous êtes toujours sous la coupe des gendarmes ?
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Théophile ZIGURUMUGABE : Je me disais « pourquoi on ne me tue pas une bonne fois pour toutes».
Quand je suis arrivé à GIKONGORO, personne ne m’a frappé ou adressé une mauvaise parole, le préfet
avait un ton rassurant et je me disais peut être que je peux survivre, mais au fond de moi je ne le
croyais pas.
Me GISAGARA : petite précision, quand le préfet vous remet à la cour suprême militaire, dans les
mains des officiers, c’est dans quel esprit ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne le comprenais pas, c’était confus. Au début, j’ai pas compris et
c’était pour me protéger et me remettre aux troupes françaises. C’est à MURAMBI que j’ai compris,
notamment avec ces filles cachées violées et autres, et c’est là que j’ai compris.
Me GISAGARA : Donc vous avez compris que c’était pour dire que des Tutsi avaient survécu ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.
QUESTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC :
Ministère Public : J’avais une question sur le moment où vous êtes soigné. Quand vous êtes blessé,
arrivé à l’école des lettres, vous aviez été soigné par une infirmière, vous rappelez-vous son nom ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne m’en rappelle pas son nom, mais je peux vous la décrire, elle était
courte.
Ministère Public : Sœur Pierre-Célestine, ça vous dit quelque chose ?
Théophile ZIGURUMUGABE : C’était la directrice de l’École des Lettres ? Je crois que c’était Pierre
quelque chose.
Ministère Public : C’est une sœur qui s’appelait Célestine.
Théophile ZIGURUMUGABE : Célestine, ça ne me dit rien car la directrice ne s’appelait pas Célestine.
Ministère Public : Vous avez dit que le 18 juin, vous avez été conduit à GIKONGORO et par l’abbé.
Savez-vous si l’abbé s’est entretenu avec le préfet ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne saurais pas le dire. Mais, la directrice m’a dit qu’ils avaient
rencontré le préfet durant la fête du nouveau bourgmestre au pouvoir, la cérémonie, le préfet a pu
parler à la sœur. Je ne sais pas si l’abbé était là, mais quand j’y suis allé il parlait.
Ministère Public : Vous nous avez expliqué les raisons pour lesquelles vous aviez été sauvé. Vous nous
avez expliqué tout à l’heure que des Tutsi avaient été sauvés pour montrer aux français qu’ils avaient
été protégés par les autorités. Vous confirmez ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.
Ministère Public : Quelle était l’intention du préfet Laurent BUCYIBARUTA ? Est-ce que c’était pour
vous utiliser comme un faire-valoir pour vous présenter ?
Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, je le vois comme ça, comme preuve que quelques Tutsi avaient été
sauvé
Me LÉVY n’ a pas de question, mais il souhaite que Laurent BUCYIBARUTA prenne la parole.
Laurent BUCYIBARUTA : Merci monsieur le Président. Je voudrais intervenir sur le sujet. D’abord, c’est
pour me réjouir de pouvoir rencontrer à nouveau le témoin, que j’avais vu pour la dernière fois quand
il avait 20 ans. Je ne pouvais pas le reconnaitre, mais j’ai reconnu ce qu’il avait dit. Je suis très ému par
son témoignage et je me réjouis aussi du fait qu’après mon départ du Rwanda, il ait pu continuer sa
vie. Comme il avait été sauvé, il a vécu des souffrances et des humiliations, mais il n’a pas désespéré de
la vie et cela me réjouit car il a évoqué aussi mon intervention pour qu’il ait la vie sauve.

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Le première fois que j’ai été informé de son cas, c’était le 3 juin 1994, lors de la prestation de serment
du bourgmestre de MUBUGA. À cette occasion, la religieuse sœur Thérèse m’a approché et m’a
demandé de me voir, et je lui ai dit que, à l’issue de la réunion, on allait avoir un entretien en aparté.
Comme j’étais dans la commune de MUBUGA, j’ai demandé au bourgmestre d’être là et le
bourgmestre était là aussi. Je pensais qu’il était mieux que le bourgmestre aussi sache de quoi on
discute. La religieuse, moi-même et le bourgmestre, nous avons discuté du cas de ce jeune homme
parce que j’estimais que la religieuse avait fait beaucoup d’efforts en faveur de ce garçon. Puis, le
bourgmestre aussi pouvait jouer un rôle. C’est pourquoi, dans ce petit groupe, j’ai trouvé mieux de
demander au bourgmestre de lui donner une carte d’identité sans attendre. Mon intention était qu’il
puisse rejoindre GIKONGORO.
En accord avec le bourgmestre, je lui ai dit de ne pas précipiter les choses, qu’il fallait y aller
doucement, et qu’il fallait une occasion pour l’amener à GIKONGORO et que j’allais m’occuper de lui.
La date citée, il est arrivé à mon bureau, il n’était pas question de le conduire à KIGEME, ni de le
conduire pour le présenter aux Français [5], pour qu’on montre les Tutsi survivants, comme preuve [6].
Ça ne nous est jamais venu à l’esprit on voulait sauver quelqu’un qu’il soit Hutu ou Tutsi. A cette date
du 18 juin, on ne parlait même pas de Français à GIKONGORO, alors pourquoi le confier à l’École
militaire supérieure ? Parce que dans cette école implantée provisoirement à KIGEME, il y avait là des
élèves infirmiers. Ce sont ces militaires qui protégeaient les élèves stagiaires et quand le jeune homme
est arrivé, je me suis dit que j’allais contacter le général pour qu’il prenne en charge ce jeune homme,
pour qu’il ait la protection aussi des stagiaires. Donc, il n’y avait aucune arrière pensée, le jeune
homme a pu avoir la vie sauve car on s’est occupé de lui avec les moyens disponibles. Merci Monsieur
le Président.
Président : Qui concrètement a emmené ce jeune homme ? C’est le père UWAYEZU ou la soeur
Thérèse ?
Laurent BUCYIBARUTA : En fait, à MUBUGA, la personne avec qui j’étais je n’avais plus contact avec
lui. J’avais pris contact avec soeur Thérèse; si l’abbé UWAYZU était dans le même véhicule, je ne m’en
souviens pas.
Président : Qui avez-vous vu dans votre bureau ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’était soeur Thérèse, pas le Père.
Président : Je ne peux pas m’empêcher de faire une observation. Parfois, quand on vous entend, on a
l’impression de quelque chose d’un peu lunaire, un peu extraordinaire. Vous nous dites que vous avez
discuté du sort de cet enfants avec la soeur et le bourgmestre. Mais, vous ne vous êtes jamais posé la
question de savoir si ce bourgmestre pouvait être un des meneurs des massacres contre les Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : À cette époque-là, je n’étais pas informé des activités du bourgmestre.
Président : Donc, tous les gens de KIBEHO étaient au courant mais pas vous ? C’est pour ça que
j’utilise le terme lunaire.
Laurent BUCYIBARUTA : Ma démarche était que le jeune homme puisse obtenir une pièce d’identité.
C’est le bourgmestre qui délivre les cartes d’identité.
Président : Il a obtenu une carte d’étudiant.
Laurent BUCYIBARUTA : C’est l’abbé UWAYEZU qui me l’a donnée, mais pas une carte d’identité.
Président : Est-ce que vous, vous avez vu Monsieur BAKUNDUKIZE, le nouveau bourgmestre ?

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Laurent BUCYIBARUTA : Personnellement, je ne l’ai pas vu à l’époque des lettres, mais un jour je l’ai
vu, car le directeur UWAYEZU se déplaçait librement, il traverse la route qui passait au niveau de
l’école, il avait beaucoup de gens dans la camionnette et le bourgmestre était dans la camionnette
aussi.
Me BIJU-DUVAL : Au sujet de votre observation, je souhaiterai observer aussi que le préfet Laurent
BUCYIBARUTA n’était pas le seul à ne pas savoir quelle était l’implication du bourgmestre dans le
génocide, car le bourgmestre a été maintenu jusqu’en janvier 1995.
Président : Combien de Tutsi restaient-ils à KIBEHO ?
Me BIJU-DUVAL : (Il perd ses mots, il est déstabilisé par la question posée par le Président, mais tente
de rebondir).
Laurent BUCYIBARUTA : Des rescapés vont pour certains dans la zone FPR, sauvés par les troupes
françaises, en dépit du nombre de victimes, Dieu merci, il reste encore des rescapés et des survivants
pour nous parler. Il en restait encore pour en parler aux troupes du FPR qui mettaient fin au génocide,
mais elles non plus ne sont pas informées de l’implication de ce bourgmestre, et il est maintenu dans
ses fonctions jusqu’en janvier 1995.

Audition de madame Thérèse NDUWAYEZU, religieuse de la congrégation des BENEBIKIRA, en
visioconférence de Lisieux.
« Les élèves ont été tués à l’école de KIBEHO. Avant mai 1994, je n’étais pas à KIBEHO. C’est l’évêque qui
m’a appelé pour veiller sur la chapelle où il y avait eu les apparitions de la Sainte Marie. Je suis arrivée le
jour où les élèves de Marie-Merci se sont séparés. Les gens m’ont dit que les élèves qui étaient chez moi
allaient être tués.
J’ai dit au chauffeur que je ne rentrais pas dans l’école et que je retournais à BUTARE. En réfléchissant, je
suis retournée en arrière pour aller à GIKONGORO pour voir l’évêque MISAGO en lui disant que je ne
pouvais pas rentrer dans une école où il y avait des élèves de Marie-Merci. Je lui ai dit que je ne pouvais
pas gérer la situation. MISAGO est allé voir le préfet qui lui a dit qu’il donnerait des militaires pour garder
les élèves.
J’ai passé la nuit à GIKONGORO à l’évêché (une nuit ou deux nuits). Quand je suis rentrée sur KIBEHO,
j’avais des militaires avec moi, qui devaient garder les élèves. Je suis retournée au couvent et les élèves
qui étaient chez moi, on leur a donné des classes pour se coucher et des matelas parce que je ne pouvais
pas les mettre dans le dortoir de mes élèves. J’ai demandé aux ouvrières de revenir pour faire la cuisine…
On a acheté des choses pour leur faire à manger.
Après une semaine ou deux, mes consœurs m’ont dit qu’aujourd’hui, des gens vont venir tuer les enfants.
Je leur ai demandé comment elles le savaient. Elles m’ont répondu qu’elles étaient là pendant tout le
génocide et que donc elles savaient comment ça fonctionne. J’ai pris le chauffeur avec quelques militaires
pour aller au central de téléphone. On est allé appeler à GIKONGORO pour exposer la situation. J’ai
répété ce que les sœurs m’ont dit. On m’a dit qu’on allait envoyer plus de militaires.
J’ai vu qu’on avait mis des bouts de bois dans la cour pour m’empêcher de rentrer. Les militaires qui
étaient avec moi ont enlevé ces bouts de bois et on a réussi à rentrer. Les militaires qui étaient là – il y en
avait au moins 24 – m’ont demandé de rester dans le couvent et de me donner les clés. Ils m’ont dit qu’ils
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ne pouvaient pas gérer deux situations. On a entendu des coups de feu. Ensuite ça s’est terminé. On a
entendu les gens passer à côté du couvent. Les élèves étaient encore en vie.
Par après, d’autres militaires ont été envoyés. Il s’est passé au moins une semaine. Les gens disaient
qu’on viendrait tuer les élèves. Même scénario. Les élèves nous ont dit de nous enfermer au couvent et
qu’ils allaient protéger les élèves parce qu’ils ne pouvaient pas faire les deux. Ils ont dit qu’ils protégeaient
les élèves. Ce jour-là, ils sont morts. Il me semble qu’il y avait 94 élèves. Mais on n’a jamais vu de corps. Il
n’y avait pas de corps. On ne sait pas si on les a tués ou enlevés mais il n’y avait pas de corps. »
Questions
Président : Je comprends que ceci réveille des souvenirs douloureux pour vous et que ça a été un
effort pour vous de venir.
Thérèse NDUWAYEZU : très douloureux.
Président : je comprends que vous êtes Tutsi ?
Thérèse NDUWAYEZU : je suis mélangée, mon papa est Tutsi et ma maman Hutu.
Président : ah oui, votre père Tutsi et votre mère Hutu. Mais si j’ai bien compris les règles d’attribution
ethniques, vous appartenez à une lignée Tutsi alors ?
Thérèse NDUWAYEZU : c’est un peu plus compliqué car je viens de RUHENGERI. Dans le Nord on dit
que tout le monde est Hutu et mon papa avait conscience de cela donc il a demandé qu’on soit
inscrits Hutu.
Président : et sur votre carte d’identité, vous êtes Tutsi ou Hutu [7] ?
Thérèse NDUWAYEZU : Hutu.
Président : vous avez expliqué que votre frère était un haut gradé qui a eu des déboires ?
Thérèse NDUWAYEZU : car on l’a accusé d’avoir monté un coup d’État.
Président : contre HABYARIMANA ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, pendant le génocide il a été tué avec tous ses enfants. Il ne reste
personne de sa famille.
Président : et vous-même dans votre carrière, j’ai cru comprendre que ces problèmes interethniques
ont eu de l’importance, vous avez dû être mutée de ces postes à cause de cela ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, c’est surtout lié à mon ethnie, ma famille, mon frère. Après mes études,
quand je suis rentrée de GENÈVE, je suis allée dans la région du Président HABYARIMANA et d’où j’ai
été chassée complètement.
Président : justement car vous étiez connue pour avoir un frère opposant politique et parce que vous
avez un père Tutsi ?
Thérèse NDUWAYEZU : je ne sais pas s’il le savait pour mon père mais je n’ai pas été tranquille toute
ma vie.
Président : à quel moment vous arrivez à GIKONGORO ?
Thérèse NDUWAYEZU : 84/85, je suis à RAMBUGA chez le Président. Le Ministre de l’éducation écrit
une lettre qui me chasse de l’éducation. En août, il y a une autre lettre qui me dit d’aller comme
préfète des études dans une école dans le sud à SAVE. On m’a chassée en 86, donc j’y ai été de 86
jusqu’à 90. En 90, le groupe des sœurs à KIBEHO, on les a chassées. Je ne sais pas pourquoi, il y avait
des grèves avec les élèves je ne sais pas. Il n’y avait personne d’autre que moi et quand on m’a dit
d’aller à KIBEHO j’ai dit « Non, j’y vais pas ».

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Ça a duré 3 semaines. Le préfet, l’évêque, la mère générale se sont unis et m’ont dit d’aller à KIBEHO et
qu’on me donnait la permission de choisir le personnel pour m’aider. J’ai choisi le père des études, des
animatrices que je connaissais. Il y avait des apparitions et la fille qui envoyait des messages a dit que
notre équipe nous étions le Diable. Je suis allée voir l’évêque en disant qu’on ne pouvait pas rester,
c’était 4 jours après mon entrée à KIBEHO. Il m’a dit de rentrer et de voir comment allaient les élèves.
Je suis allée voir la mère générale qui m’a dit pareil, le secrétaire général de l’enseignement, pas le
Ministre de l’éducation. Ils m’ont tous dit de retourner à KIBEHO, qu’ils allaient réunir les élèves mais
c’était pas le cas. Je suis restée jusqu’en 1994. En 1994, quand l’avion du Président a été descendu et
qu’on a commencé à tuer les prêtres à KIGALI, mes consœurs m’ont dit que je risquais trop donc que
j’aille à la maison mère et qu’elles resteraient là. Je suis partie, d’autant plus que mes élèves étaient en
vacances. Je suis restée là jusqu’à ce que le père MISAGO me renvoie là, veiller au bâtiment des
apparitions.
Président : vous avez dit qu’avant que vous arriviez, il y avait un groupe de sœurs qui avait été
chassées ?
Thérèse NDUWAYEZU : c’est ça, c’est toute l’équipe de la direction qui a été chassée.
Président : c’est lié à des raisons ethniques ?
Thérèse NDUWAYEZU : sûrement. Moi quand je suis arrivée, ce n’était pas possible car je venais dans
le Sud et je venais de RUHENGERI. En gros le Nord et Sud ça ne s’entendait pas.
Président : vous étiez plus compatible en venant du Nord ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, au contraire, je marchais sur les œufs.
Président : vous n’aviez pas la bonne carte de visite ?
Thérèse NDUWAYEZU : non.
Président : quand vous arrivez, des visions mariales vont vous désigner comme l’envoyée du Diable ?
Thérèse NDUWAYEZU : exactement.
Président : cette jeune enfant, je suppose, qui avait eu des visions mariales, était Hutu ou Tutsi ?
Thérèse NDUWAYEZU : non je ne sais pas. La question des ethnies, moi-même je suis mélangée, je
n’ai pas voulu rentrer là-dedans, ce qui faisait justement que je n’étais pas aimée car je n’appartenais ni
à cette partie ni à l’autre. Ça ne m’intéressait pas de rentrer dans une ethnie ou une autre.
Président : donc, vous saviez malgré tout que ces problèmes ethniques étaient quelque chose qui à la
fois avait un impact important sur votre école et aussi à Marie-Merci ?
Thérèse NDUWAYEZU : alors, quand je suis arrivée, il y avait des grèves dans mon école. Mais après
que je sois arrivée, on n’a pas eu de grève du tout.
Président : quand vous arrivez, il y a tout de suite une grève ou vous arrivez après la grève ?
Thérèse NDUWAYEZU : quand je suis arrivée, il y avait la grève. Je suis arrivée pendant et les sœurs
venaient de partir et moi quand je suis arrivée, on a essayé de parler avec les élèves, les professeurs
pour essayer d’éclaircir la situation et apaiser les tensions et ça s’est fini jusqu’à la fin des 4 ans où je
suis restée dans cette école.
Président : nous avons entendu un certain nombre de témoins, certains d’entre eux nous ont expliqué,
vous n’étiez pas présente, qu’il va y avoir une attaque massive à la paroisse de KIBEHO.
Thérèse NDUWAYEZU : j’ai entendu ça quand j’étais à SAVE mais je n’y étais pas.

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Président : vous n’étiez pas présente. Il se trouve que parmi les témoins, un certain nombre mettent
en cause à la fois du personnel enseignant ou encadrant de l’école Marie-Merci, des élèves aussi
parfois, mais aussi, certains professeurs de votre propre école. Est-ce que cela vous surprend, est-ce
que vous avez eu des informations à ce sujet ?
Thérèse NDUWAYEZU : alors là non. D’abord, les professeurs de mon école, où est-ce qu’on les a
trouvés ? Mes élèves pendant le génocide étaient en vacances. Le génocide quand ça a commencé,
c’était pendant les vacances de Pâques donc s’il y a eu des professeurs qui ont participé, c’est de leur
propre chef peut-être, mais je ne sais pas les connaitre.
Président : on n’a pas entendu qu’il y avait eu des ordres de la direction de l’école, hein. Mais vous
n’avez pas entendu dire cela ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, même mes consœurs ne me l’ont pas dit. C’était un groupe mélangé de
Hutu et Tutsi et elles m’auraient dit que tel ou tel a participé.
Président : et donc quand vous rentrez à la demande de Mgr MISAGO, parce qu’on vous dit que vous
devez vous occuper du sanctuaire marial. Quand vous rentrez, lorsque vous arrivez, on vous dit « il y a
des élèves Tutsi de Marie-Merci chez vous ». Qui vous dit cela ?
Thérèse NDUWAYEZU : tout à fait, mais je n’étais pas encore arrivée à l’école, c’est la population
avant que j’arrive à l’école. Ils m’ont arrêtée.
Président : c’étaient des gens qui étaient à une barrière ? Il y avait une barrière ?
Thérèse NDUWAYEZU : en tout cas il y avait des machettes. Ils m’ont dit « Vous ne savez
pas ? », « Qu’est-ce que je dois savoir ? » « Bah les élèves de Marie-Merci de KIBEHO se sont séparés »
Président : quand vous avez entendu cela, vous vous êtes dit quoi ?
Thérèse NDUWAYEZU : je me suis sentie mal, j’avais toujours peur. C’est pour ça que j’ai dit au
chauffeur que je ne pouvais pas entrer dans cette école.
Président : de quoi avez-vous eu peur ? Que l’on tue ces élèves et que vous soyez responsable ?
Thérèse NDUWAYEZU : je n’ai pas pensé à cela, j’ai pensé à moi, qu’on allait me tuer aussi. Excusezmoi de le dire. Et en continuant à réfléchir, j’ai dit au chauffeur, on va d’abord voir l’évêque. Je suis
retournée pour faire le contour par BUTARE pour aller à GIKONGORO.
Président : vous passez d’abord à BUTARE parce que votre idée était de passer d’abord par la maison
généraliste ?
Thérèse NDUWAYEZU : d’abord la première chose, je me suis dit que je ne rentrais pas dans cette
école et comme c’est le préfet qui m’a dit ça, j’ai cogité et je me suis dit que j’allais voir l’évêque. Donc
je suis passée par la route de BUTARE pour descendre sur GIKONGORO. C’est un peu plus loin, mais
c’est ce que j’ai pris au lieu de prendre le plus court.
Président : d’accord. Et vous vous souvenez de la date à laquelle vous allez arriver à GIKONGORO ?
Début mai ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, en tout cas c’est au mois de mai.
Président : début mai ?
Thérèse NDUWAYEZU : peut-être, ça fait longtemps vous savez.
Président : qui est-ce que vous voyez au diocèse ? L’évêque ?
Thérèse NDUWAYEZU : je vois l’évêque, quelques sœurs étaient là aussi à l’évêché.
Président : donc il y avait des sœurs de votre congrégation ?
Thérèse NDUWAYEZU : de ma congrégation.
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Président : votre congrégation c’est ?
Thérèse NDUWAYEZU : de BENEBEKIRA.
Président : est-ce qu’il y avait des prêtres ?
Thérèse NDUWAYEZU : je me souviens plus, je crois pas. Vous savez à cette époque je n’avais pas
mes esprits sur ma tête.
Président : vous avez su si des prêtres Tutsi qui étaient à l’évêché avaient été arrêtés ?
Thérèse NDUWAYEZU : ah, je ne sais pas.
Président : donc, vous voyez l’évêque et il vous dit qu’il va voir le préfet ?
Thérèse NDUWAYEZU : donc je lui ai dit « écoutez, les gens qui m’ont arrêtée sur la route m’ont dit
qu’il y a eu séparation des élèves de Marie-Merci » mais il m’a dit d’y retourner.
Président : l’évêque vous dit qu’il va voir le préfet pour voir comment vous allez faire ?
Thérèse NDUWAYEZU : je ne suis pas allée voir le préfet, c’est MISAGO.
Président : donc, quand vous le voyez à son retour de cette réunion avec le préfet, il vous dit qu’on va
mettre plus de militaires ?
Thérèse NDUWAYEZU : pour la première fois, ce n’est même pas des militaires. La deuxième fois,
c’est par le téléphone. Je vous l’ai dit quand les sœurs me l’ont dit.
Président : donc, vous rentrez, à ce moment-là, vous trouvez ces élèves. On a entendu un certain
nombre de témoignages d’élèves qui étaient là depuis quelques jours. Vous saviez depuis combien de
temps ils étaient dans votre école ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, peut-être 2 jours. Non je ne sais pas, je me suis pas demandé. En tout
cas j’ai demandé qu’on leur donne des matelas. Non ils n’avaient rien, ils n’avaient pas à manger. C’est
là où j’ai appelé les ouvriers qui faisaient la cuisine, comme c’était les vacances, ils étaient en vacances
aussi donc je les ai appelés pour faire la cuisine pour ces élèves.
Président : On a aussi compris qu’il y avait malgré tout, un certain nombre d’élèves qui venaient du
nord du RWANDA parce que c’étaient des élèves déplacés de guerre ?
Thérèse NDUWAYEZU : c’est exact, des enfants orphelins qui n’avaient de parents car ils avaient été
tués… Cette guerre avait commencé à BYUMBA, vers l’Ouganda. On avait sûrement tué les parents
donc les élèves restaient à l’école. Ils n’étaient pas beaucoup, une dizaine d’élèves peut-être je pense.
Président : ces élèves étaient mélangés avec les autres ?
Thérèse NDUWAYEZU : ah non non non. Ces élèves étaient dans le dortoir car c’était des élèves de
l’école des lettres
Président : nous avons entendu quelqu’un que vous connaissez sans doute, le père UWAYEZU.
Thérèse NDUWAYEZU : oui, UWAYEZU oui oui
Président : il était le directeur de l’école Marie-Merci, qui avait remplacé l’abbé Jean-Marie Vianney
SEBERA.
Thérèse NDUWAYEZU : Marie-Merci, oui.
Président : Jean-Marie Vianney SEBERA, ça vous dit quelque chose ?
Thérèse NDUWAYEZU : Jean-Marie celui-là, je le connais pas mais Emmanuel lui oui. Mais pendant ce
moment-là je ne l’ai pas vu.
Président : on a appris, je parle sous contrôle des parties, que ce prêtre était Tutsi et qu’il va décéder à
BUTARE.
Thérèse NDUWAYEZU : oui, sûrement.
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Président : on a cru comprendre qu’il y avait beaucoup de tensions pour des raisons ethniques, à
l’école Marie-Merci. Que saviez-vous de ces tensions ?
Thérèse NDUWAYEZU : les tensions dans l’école, je ne les connaissais pas mais ces élèves-là étaient
toujours en grève. C’est pour ça d’ailleurs qu’ils n’étaient pas en vacances en avril. Ils devaient étudier
le temps perdu pendant les grèves.
Président : on a pu entendre un certain nombre de jeunes qui ont été des rescapés qui sont venus
dans votre école, la description qu’ils donnent de Marie-Merci de KIBEHO, c’est une description de
persécution. On les accuse d’être des empoisonneurs, on empêche les élèves Tutsi de s’asseoir à côté
des Hutu. C’est une situation de mauvais traitement de la part d’un certain nombre d’élèves mais aussi
de profs et d’encadrants de l’école Marie-Merci. Est-ce que c’est quelque chose qui vous paraît
correspondre à la réalité?
Thérèse NDUWAYEZU : à la réalité ? Bah c’est possible mais à part que moi je n’étais pas au courant.
Malgré tout, ces 2 écoles, c’est comme s’il y avait quelque chose qui nous séparait. Je suis arrivée
quand mes élèves étaient en grève, je devais faire attention que des tensions ne subsistent pas. C’est
pour ça que je n’étais pas curieux de voir ce qu’il se passait dans cette école
Président : Vous n’étiez pas très intime me semble-t-il avec le père Emmanuel UWAYEZU. J’ai même la
sensation que vous ne lui portez pas une grande estime ?
Thérèse NDUWAYEZU : non.
Président : chacun chez soi et les poules seront bien gardées c’est ce que vous voulez dire ?
Thérèse NDUWAYEZU : je ne l’ai pas dit. Il était directeur, j’étais directrice chez moi. Il était chez lui,
j’étais chez moi. Je marchais comme sûr des œufs, un rien du tout pouvait faire naitre quelque chose
donc il fallait vraiment que je fasse attention. Je ne voulais pas me mêler des choses donc il fallait faire
attention aux conséquences
Président : vous, vous nous dites « pendant que j’étais à l’École des Lettres, je n’ai jamais vu le père
Emmanuel ». Pendant le moment où vous revenez.
Thérèse NDUWAYEZU : oui j’étais au couvent. Non pendant le moment où ces élèves se sont séparés.
Président : parce que le père UWAYEZU nous a dit qu’un jour il est venu dire la messe au couvent.
Thérèse NDUWAYEZU : non, c’était avant le génocide.
Président : pendant le génocide, il n’est jamais venu dire la messe ?
Thérèse NDUWAYEZU : une grande partie du temps du génocide je vous dis que j’étais à BUTARE et
j’étais à KIBEHO à partir de cette période-là où ces élèves sont venus chez moi.
Président : mais, dans les jours qui précèdent le massacre ?
Thérèse NDUWAYEZU : il n’est pas venu les voir, ça m’a fait mal.
Président : Il n’a pas dit la messe au couvent non plus ?
Thérèse NDUWAYEZU : bah je ne l’ai pas vu ou alors j’ai oublié.
Président : bien, est-ce que vous savez s’il a pu dire la messe dans… J’ai cru comprendre que le
sanctuaire marial est à l’extérieur ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, il est vraiment dans mon école.
Président : quand il y avait des messes pour les sœurs qui étaient au couvent, elles étaient dans le
sanctuaire marial ?
Thérèse NDUWAYEZU : non pas du tout, on avait une petite chapelle
Président : donc il y avait une petite chapelle pour le couvent et le sanctuaire marial ?
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Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça. Avec les élèves, quand on allait à la messe, on allait à la paroisse
et c’est là que se trouvait le père Emmanuel.
Président : est-ce que vous savez si un jour, le père Emmanuel a demandé aux élèves Tutsi qui étaient
présents à l’école des lettres, de venir à une messe à l’école mariale ?
Thérèse NDUWAYEZU : ah non, depuis quand ? Non ! Quand les élèves chez moi, on était plutôt dans
l’angoisse.
Président : je voudrais qu’on revienne à ce qu’il se passe après votre retour de votre visite à l’évêque
MISAGO. Il est allé voir le préfet, il vous dit qu’il va y avoir plus de militaires.
Thérèse NDUWAYEZU : plus de militaires c’est avec le téléphone. Au départ, quand je suis partie de
KIBEKO, on m’a dit qu’on allait me donner des gens pour les élèves. En tout cas on a donné des
militaires et on est resté ensemble.
Président : est-ce qu’à un quelconque moment, il a été envisagé d’évacuer ces élèves Tutsi pour les
éloigner de GIKONGORO?
Thérèse NDUWAYEZU : euh… l’évêque. Je ne me souviens plus, non je ne sais pas.
Président : vous avez expliqué qu’il va y avoir une première alerte très sérieuse où les militaires vont
vous demander de rester au couvent et vont vous enfermer dedans ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça, on nous donne les clefs pour nous fermer. Ils donnent les clefs et
ils restent avec les clefs. Nous on est au couvent et eux avec les élèves.
Président : et donc, vous entendez des cris, des coups et quand vous ressortez, vous constatez que
tous les élèves sont vivants.
Thérèse NDUWAYEZU : sont vivants oui
Président : et personne ne se plaint que des élèves sont disparus ?
Thérèse NDUWAYEZU : non ce jour-là non, tout le monde était vivant. Mais les habitants de KIBEHO
disaient « On reviendra, on reviendra en majorité et la prochaine fois on vous tuera »
Président : ce sont des choses que vous avez entendues ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, on était en train de prier parce que quand on entend les armes qui
claquent… La chapelle est juste accolée à la route donc on entendait ceux passer sur la route.
Président : donc, selon vous, à ce moment-là, les gendarmes remplissent leur mission, ils protègent les
élèves ? Enfin les militaires présents protègent les élèves ?
Thérèse NDUWAYEZU : est-ce que c’est les gendarmes ou les soldats je ne sais pas
Président : les militaires protègent les élèves ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça.
Président : Et lors de la seconde attaque, qu’est-ce que vous en avez compris ? Qu’est-ce que vous en
avez déduit ?
Thérèse NDUWAYEZU : les gens m’ont dit « tu sais Thérèse, les gens vont revenir », j’ai demandé
comment ils le savaient et donc j’ai pris la décision de demander s’il y a un téléphone quelconque pour
qu’on nous donne du renfort. J’ai pris les militaires dans la camionnette, on est allés à quelques
kilomètres et là j’ai téléphoné et on m’a dit qu’on allait nous donner du renfort, et ça a été fait.
Président : alors, est-ce que vous vous souvenez d’une visite qui va être effectuée par le préfet et Mgr
MISAGO ? Vous vous souvenez les avoir vu tous les deux venir vous voir à l’école des lettres ?
Thérèse NDUWAYEZU : est-ce que c’est pendant le génocide ou avant, mais il me semble que oui
mais je ne saurais pas dire quand.
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Président : vous vous souvenez avoir été entendue par les gendarmes français. Voilà ce que vous avez
dit à cette époque-là. Vous expliquez qu’il y a cette attaque qui est repoussée par les gendarmes et
vous dites – D10748/4 :
« les militaires avaient fait leur travail en protégeant l’école contre des interahamwe [8]. Vous me
demandez la date de cet épisode. Je ne sais plus. Mais c’était en mai. Les attaquants avaient été
repoussés mais ils menaçaient de revenir en nombre supérieur. »
Thérèse NDUWAYEZU : c’est ça, et ils sont revenus.
Monsieur le Président poursuit sa lecture :
« Par la suite, les gardes militaires, 20 au départ ont été renforcés. Je ne sais pas par combien
de gardes en plus. Je crois que le préfet est venu ce jour là pour nous dire qu’on veillait sur ces
enfants et qu’on allait tout faire pour les épargner et pour les évacuer. Ce jour là, j’ai bien vu le
préfet venir à l’École des Lettres. Il était accompagné de l’évêque MISAGO et je crois par un chef des
militaires. Il n’est pas resté longtemps. Je ne me souviens plus trop. Je crois qu’il est venu
rapidement juste pour me rassurer.
Question :
S’est-il adressé aux élèves ?
Réponse:
Je ne crois pas que le préfet BUCYIBARUTA ou quelqu’un d’autre s’est adressé aux élèves. Je me souviens
d’un passage rapide et de ces quelques mots du préfet qui nous assurait de la protection des élèves et
qu’il allait œuvrer pour les évacuer dès que possible.
Après le départ du préfet et de sa délégation, je suis restée avec les autres sœurs sur place.
Je m’occupais de ces élèves Tutsi réfugiés dans mon école avec un économe dont j’ai oublié le
nom, la soeur Célestine, le cuisinier de mon école dont j’ai oublié le nom aussi, et quelques ouvriers
de l’école. »
Président : Ça correspond bien à votre souvenir maintenant ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui oui, c’est la sœur Pierre-Célestine. Oui, dans mes souvenirs, je vois dans
ma tête le préfet et l’évêque mais je ne sais pas quand.
Président : dans tous les cas, quelle est la sensation que vous avez eue ? D’avoir été écoutée et qu’on
allait prendre des mesures pour assurer la protection de ces élèves ?
Thérèse NDUWAYEZU : alors, ça je ne pourrai pas dire la situation dans laquelle le pays était. Parce
que tout le monde s’entretuait, on était menacé de partout donc… Je n’en sais rien. Parce que si je dois
parler, comment on est arrivé à tuer 90? Je ne sais pas, car je vous l’ai dit, on n’a pas vu les corps et en
plus il y avait des militaires.
Président : cette question, c’est de savoir ce qu’on fait ces militaires ?
Thérèse NDUWAYEZU : bah oui, c’est une question que je me pose : qu’est-ce qu’ils ont fait alors
qu’ils étaient là ? C’est une question que je me pose.
Monsieur le Président continue la lecture – D10748/5 :
« Dans les jours qui ont suivi, une nouvelle fois j’ai été informée de menaces par l’une des sœurs. Je suis
allée voir les militaires de la garde. Je leur ai dit qu’on risquait une attaque : qu’est-ce qu’on fait? Les
militaires paraissaient confiants, ils disaient qu’ils étaient plus nombreux et que ce n’était pas la peine de
solliciter des renforts. »
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Le témoin précise qu’à la deuxième attaque « on les a tous tués ».
Thérèse NDUWAYEZU : je vous ai aussi expliqué que c’est à ce moment-là qu’on est allé téléphoner,
et là les gens avaient mis des armes pour nous empêcher de rentrer dans l’école, mais on est rentré et
il y a eu l’école.
Président : vous avez eu l’évêque au téléphone ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, je me souviens pas bien qui j’ai eu
Président : est-ce qu’on vous a dit à l’évêché qu’on tait prévenu de la situation ? Est-ce qu’on vous a
dit que le père UWAYEZU s’était déplacé pour parler de la situation ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, on ne m’a pas dit.
Président : quand vous revenez, vous constatez qu’il y a des troncs d’arbre à l’entrée de l’école avec
des Interahamwe qui sont présents ? Vous arrivez et on vous dit que vous devez aller au couvent parce
qu’on ne peut pas protéger à la fois le couvent et l’école ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, à l’entrée de l’école. Oui si vous voulez, les Interahamwe ce sont ceux qui
tuait les gens. C’est parce que j’avais déjà des militaires dans la camionnette. Quand je suis allée
téléphoner, je pouvais pas y aller toute seule car j’avais déjà la frousse, il fallait bien que quelques
militaires m’accompagnent.
Président : selon vous, il était où Emmanuel UWAYEZU à ce moment-là ?
Thérèse NDUWAYEZU : j’ai dit que depuis la séparation des élèves, je ne l’ai pas vu.
Président : donc, vous ressortez après cette attaque après avoir entendu tous les coups de fusils et
vous dites que vous n’avez trouvé aucun corps ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, il n’y avait pas de corps par contre on est allé voir dans le réfectoire, il y
avait du sang.
Président : il a été question d’une grenade, avez-vous entendu une détonation ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, il y avait des coups de je ne sais pas quoi, des armes. Comme dans les
films.
Président : oui, c’était vraiment la guerre ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, comme dans les films. On les entendait d’où on était.
Président : donc, vous avez eu l’impression qu’on a fait « le ménage » pour que vous ne voyiez pas les
corps ?
Thérèse NDUWAYEZU : (réponse non transcrite).
Président : cela suppose une certaine organisation pour enlever ce nombre important de corps. Bien,
donc, vous avez ensuite été en contact avec l’évêque, avec le préfet ? Est-ce que vous savez comment
ils ont réagi à ce qu’il s’est passé ?
Thérèse NDUWAYEZU : on ne sait pas… Enfin. Ceux qui étaient restés, mes consœurs et moi, on
n’avait pas la force de réfléchir mais on s’est dit « Mais où sont les enfants, où sont les corps ? ». On est
même allé à la bananeraie à côté de l’école pour aller voir.
Président : est-ce que Théophile ZIGIRUMUGABE ça vous dit quelque chose ?
Thérèse NDUWAYEZU : j’ai été en contact, le contact dont je me souviens, c’est un élève. C’est il y a
longtemps, des années sont passées, c’est un vieux traumatisme. J’ai dû aller à GIKONGORO cette foisci car un élève est venu se cacher chez moi. J’ai senti mes jambes me lâcher donc je l’ai caché. On
prenait un bâton pour lui donner à manger, on essayait de le cacher jusqu’au moment où j’ai pris la
décision, c’était avant que les militaires fassent le couloir pour partir. Je me suis dit qu’il fallait que cet
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enfant soit en sécurité, comment, où je ne sais plus mais je l’ai caché et je suis allé à GIKONGORO avec
le garçon. Enfin le jeune homme. Je ne sais pas si j’ai vu le préfet, je me souviens plus. En tout cas, le
jeune homme a été pris, il semblerait qu’il soit allé dans un autre centre de rescapé et qu’il soit vivant
aujourd’hui.
Président : on a entendu le témoignage d’un homme, maintenant parce qu’il a pris un peu d’âge, qui
s’appelle Théophile ZIGIRUMUGABE, qui a indiqué qu’il avait pu survivre au massacre qui s’est produit
à l’école des lettres, qu’il avait, grâce à l’aide d’un Hutu marchand de beignet, pu être caché pendant
qq temps, qu’ensuite il avait été caché dans la maison de RAFFIN, puis découvert à par
des Interahamwe, remis à des militaires, tabassés et ensuite qu’il est retourné à l’école des lettres.
Thérèse NDUWAYEZU : normalement je suis très faible concernant les noms, c’est pas mon dada
Président : donc Théophile ZIGIRUMUGABE, ça ne vous dit rien ?
Thérèse NDUWAYEZU : non je ne connais pas. Le nom je ne sais plus mais c’est pas celui-là
Président : est-ce que vous connaissez le bourgmestre BAKUNDUKIZE ?
Thérèse NDUWAYEZU : non ça me dit rien. Il a été établi quand ?
Président : avez-vous rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA lorsqu’il y a eu l’installation du
nouveau bourgmestre ? Vous savez que le bourgmestre de MUBUGA, Charles NYLIDANDI a été tué et
remplacé par un certain BAKUNDUKIZE. Lors de cette installation, le préfet est venu et il me semble
que ce matin, il a indiqué vous avoir rencontré discrètement cette occasion et qu’il y aurait eu une
réunion entre vous, le préfet et le bourgmestre BAKUNDUKIZE lors de laquelle il aurait été demandé
au bourgmestre de remettre des documents d’identité à ce jeune homme.
Thérèse NDUWAYEZU (hoche négativement de la tête le long de la question du Président) : Non, je suis
désolée mais non. De toute façon, quand est-ce que nous avons quitté KIBEHO ? Parce que moi j’ai
quitté KIBEHO entre deux.
Président : donc avant que vous quittiez KIBEHO, le préfet n’est pas revenu ?
Thérèse NDUWAYEZU : ce dont je me souviens, c’est qu’il y a eu une réunion avec l’évêque, les
prêtres qui parlaient des apparitions des bâtiments. Je ne me souviens pas très bien, d’autant plus que
j’ai pris un truc, on m’a dit que j’étais un Diable. Mais quand et avec qui, je me souviens plus. C’est
comme si je n’étais pas là. C’est la seule réunion où j’étais mais le préfet n’était pas là, c’est juste des
ecclésiastiques. Mais lesquels, je ne sais pas.
Président : je ne sais pas si monsieur Théophile ZIGIRUMUGABE est toujours présent ?
Personne de l’aide aux victimes : il n’est pas là mais on peut aller le chercher.
Président : vous, le souvenir que vous avez du jeune qui est venu à l’École des Lettres, c’est un jeune
qui serait arrivé comment chez vous ?
Thérèse NDUWAYEZU : bah… Je crois que c’est une des enfants de CYUMBA qui m’a dit qu’il y avait
un élève. En tout cas il se cachait.
Président : il se cachait en dehors de l’école ? C’est vous qui étés allée le chercher ou il est venu tout
seul à l’école ?
Thérèse NDUWAYEZU : bah il est venu, il venait en se cachant mais vers l’école.
Président : donc, vous quand vous l’avez vu, il était à l’école, vous ne l’avez pas vu en dehors de l’école
?
Thérèse NDUWAYEZU : oui oui.

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Président : et vous, quand vous ramenez cet enfant que vous avez caché dans votre véhicule, vous le
ramenez à l’évêque ? Vous êtes allées voir le préfet dans son bureau ?
Thérèse NDUWAYEZU (transcription approximative) : je me souviens pas, peut-être. Je pense que ce
jour-là, ils y sont pas allés. Je pense.
Président : Quand nous avons entendu le père UWAYEZU, il a indiqué que lui aussi aurait ramené un
jeune à GIKONGORO et qu’il l’aurait conduit lui-même au bureau du préfet. Laurent BUCYIBARUTA a
indiqué ne pas avoir vu le père UWAYEZU mais vous avoir vu, vous.
Thérèse NDUWAYEZU : je crois que ce jour-là, avec ce jeune on était avec l’évêque et le préfet. Je
pense, ça fait longtemps. Mais je pense qu’on était 4.
Président : mais, c’était à l’évêché ou à la préfecture ?
Thérèse NDUWAYEZU : oh là là, je ne sais pas. Je suis passée à l’évêché, je crois qu’on est allés à la
préfecture. Je crois, je pense, je ne suis pas certain. Ça fait longtemps, 28 ans, avec tous nos… Des
choses qu’on voudrait bien oublier.
Président : Le préfet Laurent BUCYIBARUTA, je crois que vous avez dit le connaître parce que c’était le
préfet. Vous ne le connaissiez pas de façon personnelle avait le génocide ?
Thérèse NDUWAYEZU : pas personnel non. Je le connais comme préfet.
Président : vous saviez qu’il avait une épouse Tutsi ?
Thérèse NDUWAYEZU : ça je le savais car sa sœur, qui est une consœur
Président : la belle-sœur du préfet Laurent BUCYIBARUTA, la sœur de son épouse est elle-même
religieuse dans la même congrégation que vous.
Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça.
Président : et elle était à quel endroit ?
Thérèse NDUWAYEZU : ne m’en demandez pas beaucoup, ne demandez pas beaucoup.
Président (il sourit) : si je vous en demande pas beaucoup, vous ne me direz pas beaucoup donc je
vous demande beaucoup pour avoir un peu.
Thérèse NDUWAYEZU : je crois que c’est la préfecture de naissance de KIBUNGO. Je pensais qu’il ne
venait de KIBUNGO moi.
Président : vous l’avez vu à quelques reprises, que pouvez-vous dire du caractère du préfet, comment
vous l’avez perçu cet homme-là ?
Thérèse NDUWAYEZU : un grand homme, un peu nonchalant. Je ne pourrais pas dire beaucoup de
choses sur lui.
Président : est-ce qu’il vous a paru être un dangereux extrémiste anti-Tutsi ?
Thérèse NDUWAYEZU : je ne saurais pas le dire, non. C’est ce que j’ai répondu aux gendarmes, je le
sais. J’ai dit que je me suis demandée comment un préfet peut épouser une Tutsi et tuer les Tutsi,
comment le Diable était chez lui.
Président : Vous avez néanmoins eu des mots plutôt en sa faveur quand vous avez été entendue ?
Thérèse NDUWAYEZU : je vois mal comment on peut épouser quelqu’un et exterminer la population,
les gens, les mêmes gens que sa femme ? C’est ça que je lui ai dit et ça je le pense. Parce que quand
on va dans une ethnie, voilà, on les considère comme son frère, sa sœur, ses amis. Pour moi c’est ça,
pour les autres je n’en sais rien.
Président : quand on vous pose la question, vous dites que vous le rencontrez pour la dernière fois au
RWANDA, quand vous lui confiez ce jeune homme Tutsi – D10748/6 :
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« Question : Vous le rencontrez pour la dernière fois au Rwanda alors que vous lui confiez ce jeune
homme Tutsi?
Réponse: Oui c’est ça. C’est à Gikongoro que je le voies pour la dernière fois. Après je suis retournée à
Kibeho mais on ne s’y sentait pas en sécurité. Les sœurs ont été évacuées avant l’arrivée des militaires
français. Moi, j’ai quitté Kibeho à l’arrivée des militaires français. A la radio Inkontayi, j’ai entendu des
menaces contre moi; il se disait que c’était moi qui avait donné les élèves afin qu’ils soient éliminés. »
Donc il y avait des menaces contre votre vie ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, c’est ça. Tout à fait. Ils disaient qu’ils m’auront à l’heure. Jusqu’à
maintenant ça m’a poursuivie, je vis avec. Ça ne m’a pas quittée.
Président : vous dites qu’à l’époque ça vous a décidé à fuir par le Zaïre – D10748/6 :
« Ca m’a décidé à fuir pour le Zaire. Le chauffeur de l’école m’a emmené à Bukavu avec 3 filles
orphelines. Plus personne n’est resté à Kibeho. Je ne me rappelle pas de la date de mon départ en exil ».
Thérèse NDUWAYEZU : je pense que si j’ai dit ça, je ne sais pas si j’ai dit que plus personne n’est resté
à KIBEHO. Il y a une voyante qui est resté à KIBEHO.
Président : quand vous parlez de voyante, vous parlez de la jeune fille qui a vu les apparitions. Mais
elle est restée à l’école ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui. Je crois qu’elle y réside peut-être encore toujours, je n’en sais rien
Président : on vous demande également si vous connaissiez un dénommé SEBUHURA– D10748/6 :
« Question : Vous connaissez le capitaine SEBUHURA?
Réponse: Non. »
Thérèse NDUWAYEZU : je ne le connais pas. J’ai dit que je le connaissais ?
Président : on vous dit qu’il serait impliqué dans le meurtre des élèves de l’école des lettres et vus
dites – D10748/6 :
« Réponse : Je ne sais pas. C’est possible car il semblerait que les militaires de faction ont
retourné leur veste. Ils gardaient l’école et au moment de la seconde attaque, ils ont probablement
retourné leurs armes contre les élèves Tutsi. Ont-ils agi sur ordre de ce capitaine SEBUHURA ? Je
ne sais pas. Je ne sais pas qui il est. »
Thérèse NDUWAYEZU : c’est ça que je pense, que j’ai pensé. Je le répète, je vois mal comment les
Interahamwe pouvaient tuer des élèves alors qu’ils étaient gardés par des militaires. Tout ça je le
pense.
Président : on vous demande également, lorsque vous revenez à KIBEHO, les élèves avaient été
séparés entre l’école Marie-Merci et l’école des lettres, si vous savez qui est à l’origine de cette
séparation.
Thérèse NDUWAYEZU : comment voulez-vous que je sache ?
Président : vous dites – D10748/6 :
« Je ne sais pas exactement. Je crois qu’il faudrait poser la question au père Emmanuel. Mais j’ai appris
par mes consœurs que les élèves Hutu s’en étaient pris aux élèves Tutsi. Les tensions étaient telles que des
élèves Hutu voulaient tuer les élèves Tutsi. Je suppose que les élèves se sont séparés tout seul, de leur
propre initiative, sans décision d’un tiers. J’avais capté aussi que tous les élèves étaient ensemble encore
lors des grands massacres vers le 21 avril. Ce n’est qu’après les grands massacres que les élèves se sont
scindés en deux groupes; les élèves Hutu voulaient terminer le travail commencé par la population…
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Peut-être que les élèves Tutsi se sont réfugiés de leur propre initiative à l’école des Lettres. Je ne sais pas
exactement. »
Thérèse NDUWAYEZU : bah je ne pouvais pas savoir, ce sont des suppositions mais bien sûr que mes
consœurs me disaient aussi. Pendant la 1e attaque, on voyait les élèves Hutu de Marie-Merci, on les
entendait. Ils voulaient tuer leurs condisciples.
Président : il y a des détails qui sont assez terribles, c’est qu’il semblerait, d’après les confidences que
certains rescapés ont pu obtenir, que certaines élèves ont servi d’objets sexuels à un certain nombre
de Interahamwe. Vous avez été informée de cela ?
Thérèse NDUWAYEZU : olàlà. Penche la tête en mettant sa main sur le front, tout en secouant sa tête.
Non pas du tout, c’est la 1e fois que j’entends ça.
Président : Pendant votre audition, vous dites que – D10748/7 :
« Toutes mes consoeurs, également Tutsi, considèrent que le préfet n’était pas un mauvais homme. Il
était lui-même menacé car il devait cacher sa femme Tutis. Par ailleurs, comme je l’ai dit, lorsque j’ai vu
le préfet c’était pour aider des Tutsi. Je signale aussi que c’est le préfet BUCYIBARUTA qui a organisé
l’évacuation des soeurs du couvent à Kibeho en juin à la demande de Mgr MISAGO. Ils travaillaient
ensemble tous les deux. »
À votre connaissance, c’est grâce à l’intervention du préfet que les sœurs de Kibeho …
Thérèse NDUWAYEZU : effectivement, les consœurs ont été évacuées par les militaires vers la maison
mère dans un camion militaire
Président : des forces armées françaises ?
Thérèse NDUWAYEZU : non ; Je me souviens plus, de GIKONGORO, des congolais peut-être. Le fait
d’avoir passé 28 ans ici, je confonds même le noir et le blanc, excusez-moi.
Président : vous en savez plus ?
Thérèse NDUWAYEZU : moi mes préoccupations c’est que les sœurs ne devaient pas mourir. On était
dans une région où les préoccupations étaient terribles
QUESTIONS PARTIES CIVILES :
Me TAPI : il y a quelque chose que je ne comprends pas. Quand vous avez terminé, vous dites que
vous ne comprenez pas comment une personne comme Laurent BUCYIBARUTA qui a une épouse
Tutsi, aurait pu faire ça aux parents ethniques de son épouse.
Thérèse NDUWAYEZU : d’abord il faut connaitre son nom, c’est NTACYBARUTA, « NTA ».
Me TAPI : il y a quelque chose que je ne comprends pas. Quand vous avez terminé, vous dites que
vous ne comprenez pas comment une personne comme Laurent BUCYIBARUTA qui a une épouse
Tutsi, aurait pu faire ça aux parents ethniques de son épouse. Mais en même temps, vous avez aussi dit
que lors de la visite du préfet avec Mgr MISAGO dans votre école, vous avez dit que vous n’étiez pas
rassuré parce que c’était une époque où tout le monde pouvait tuer tout le monde. Comment pouvezvous donc être sûre que le préfet Laurent BUCYIBARUTA n’était pas animé par un tel esprit de démon
présent dans le pays ?
Thérèse NDUWAYEZU : Moi personnellement, comme je l’ai dit aux gendarmes, ils voulaient
justement savoir ma position sur le préfet. J’ai regardé qu’il a épousé sa femme, à cette époque, c’est
un couple qui n’était pas jeune. Donc moi je pensais que lui qui a épousé une Tutsi, ne devait pas
attenter à la vie des Tutsi.
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Me TAPI : ça c’est le meilleur des mondes, mais à ce moment, on était dans un moment particulier où
tout le monde était déchaîné, qu’est-ce qui vous donne cette assurance que le préfet n’a pas pu faire
cela ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, je n’ai pas une assurance. S’il a été génocidaire, il l’a été. Moi je parle de
ce que je pense. S’il a été génocidaire, animé d’une haine, ça c’est autre chose.
Me GISAGARA : juste deux questions. Je voulais vous demander, les fois où vous avez rencontré le
préfet, avez vous eu l’impression que c’est quelqu’un qui avait perdu son autorité de préfet ?
Thérèse NDUWAYEZU : est-ce que je vous ai dit d’abord que je ne me souviens même pas combien
de fois je l’ai rencontré. Je crois que la dernière fois que je l’ai rencontré c’est quand je lui ai remis
l’élève. Sinon en trois mois, pour les problèmes, c’était l’évêque que je rencontrais.
Me GISAGARA : vous avez été claire, on a compris que vous l’aviez rencontré rarement, mais ces rares
fois, avez-vous eu l’impression que c’est quelqu’un qui avait perdu son autorité de préfet ?
Thérèse NDUWAYEZU : je me suis pas posé la question.
Me GISAGARA : et si on vous la pose aujourd’hui ?
Thérèse NDUWAYEZU : c’est un peu loin pour que je réponde.
Me GISAGARA : ma dernière question, vous avez dit que vos consœurs vous ont dit « on sait
comment ça fonctionne », donc, pour elles, c’était évident que ces enfants allaient être tués, c’est bien
cela ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, c’est ça. Oui parce qu’ils savent, la personne qui a dirigé le jury a parlé du
massacre dans l’église. Moi je n’étais pas là, mais on sait que ça s’est passé.
Me GISAGARA : j’ai parfaitement compris, est-ce que vous pensez que les autorités, elles, pouvaient
ignorer cette évidence si tout le monde savait comment cela fonctionnait, est-ce que les autorités
pouvaient ignorer cette évidence, que l’on allait tuer les enfants ?
Thérèse NDUWAYEZU : je ne sais pas car quand je suis arrivée, je n’ai pas pensé à ce que les élèves
avaient été tués. C’est presqu’un déni psychologique.
Me GISAGARA : vous, vous n’avez pas vécu là-bas mais pour les autres, qui savaient ce qui se passait.
Est-ce que les autorités auraient pu ignorer cette évidence que vos consœurs savaient ?
Thérèse NDUWAYEZU : alors, je ne sais pas puisque déjà les autorités avaient déjà envoyé des
militaires pour la protection de ces enfants. Le problème c’est est-ce que ces autorités avaient la
confiance dans les militaires, c’est la question qu’il faudrait poser.
Me GISAGARA : malgré la présence de ces militaires, cela n’empêchait pas vos consœurs de se dire
que les enfants allaient être tués ; donc je répète ma question, malgré la présence des militaires,
pensez-vous que les autorités aient pu ignorer ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, ça ne me parait pas invraisemblable Monsieur. Mais je ne peux pas dire
qu’ils le savaient mais ça ne me parait pas invraisemblable.
Me PHILIPPART : j’ai compris que vous n’étiez pas tout à fait certaine de vos souvenirs en ce qui
concerne la chronologie de ce qui s’est passé lors de votre retour à KIBEHO et la séparation des élèves
de Marie-Merci. Vous situez cela début mai. Combien de temps se passe entre votre retour et l’attaque
qui va être fatale aux élèves Tutsi ?
Thérèse NDUWAYEZU : alors je pense que la première attaque ça a été entre une ou deux semaines
Me PHILIPPART : une ou Deux semaines après votre retour ?
Thérèse NDUWAYEZU : au moins.
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Me PHILIPPART : et entre la première et la deuxième attaque ?
Thérèse NDUWAYEZU : entre trois, quatre ou cinq jours.
Me PHILIPPART : vous pourriez situer la date de cette deuxième attaque ?
Thérèse NDUWAYEZU : ne me demandez pas les dates.
Me PHILIPPART : si je vous dis que certains témoins, des élèves rescapés de cette attaque, nous ont
dit qu’entre le moment où les élèves ont été séparés les uns des autres et le moment où ils ont été
massacrés, il s’est passé quatre jours ?
Thérèse NDUWAYEZU : après la séparation ? Non! non! non! c’est pas possible, c’est un peu plus.
Me AUBLÉ : est-ce que vous avez été en contact avec Laurent BUCYIBARUTA après 1994 ?
Thérèse NDUWAYEZU : alors bon. Il m’a téléphoné, je ne sais pas comment il a eu le numéro de
téléphone de la congrégation parce qu’à ce moment, après 1994, j’étais ici en France à la communauté
de la Providence. Il m’a téléphoné mais moi je ne voulais pas entrer dans son histoire, excusez-moi.
Me AUBLÉ : vous avez une idée de la date de ce coup de téléphone ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, non, vraiment. Mais il m’a téléphoné, ça je sais.
Me AUBLÉ : vous pouvez nous indiquer ce qu’il vous a demandé dans ce coup de téléphone ?
Thérèse NDUWAYEZU : il me disait où il habitait, que si c’était possible que j’aille chez eux leur rendre
visite et voilà.
Me AUBLÉ : Lorsque vous avez été entendue par les gendarmes, vous avez indiqué qu’il vous a
demandé de rentrer dans sa défense, cela ne vous dit rien ? Vous avez dit: « Il souhaite que je le
défende sans me le dire clairement ». C’est toujours la même impression que vous avez sur ce coup de
téléphone maintenant ?
Thérèse NDUWAYEZU : quand il m’a téléphoné, je sentais qu’il voulait faire connaissance avec moi
mais je ne voulais pas rentrer là-dedans. Il y a des choses qu’on préfère oublier
QUESTIONS MINISTÈRE PUBLIC :
Ministère Public : je souhaitais savoir, au niveau des dates, j’ai compris que c’était compliqué pour
vous, mais pouvez-vous dire combien de sœurs il y avait avec vous au couvent ?
Thérèse NDUWAYEZU : je crois qu’il y en avait quatre peut-être.
Ministère Public : sur les attaques que vous nous avez décrites, le schéma est le même: les militaires
vous enferment dans le couvent. Comment ils vous expliquent qu’ils vous enferment, qu’ils vous
mettent à part et que les enfants eux restent dans le réfectoire ?
Thérèse NDUWAYEZU : oui, le schéma est le même. Parce qu’ils savaient très bien que les
Interahamwe, les gens qui massacrent les autres, voulaient aussi tuer les sœurs. Les militaires disaient
qu’ils ne pouvaient pas assurer sur les deux fronts.
Ministère Public : alors, je ne comprends pas bien le raisonnement de vous mettre à part. Vous aviez
également une garde au couvent ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, il n’y avait pas de gardes.
Ministère Public : alors comment étiez-vous protégées dans le couvent et au contraire, les quatrevingt-quatorze élèves qui avaient une garde et qui étaient enfermés dans le réfectoire ? Le
raisonnement est un peu étrange ? C’est une hypothèse que je formule, est-ce que le but n’était pas
de vous mettre à part parce que les élèves étaient visés ?
Thérèse NDUWAYEZU : je suis d’accord.

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Ministère Public : le fait qu’il y ait très peu de gendarmes à l’époque, que vous n’étiez pas nombreux.
S’il y avait vraiment une volonté de protection, on vous aurait rassemblés tous ensemble, avec les
gendarmes. Là on a quand même l’impression qu’on vous met à part juste au moment des attaques en
prétendant que les gendarmes étaient là pour protéger les enfants.
Thérèse NDUWAYEZU : les sœurs aussi étaient ciblées car on tuait chez nous. J’ai beaucoup de
consœurs qui ont été tuées pendant le génocide.
Le Ministère Public répète sa remarque précédente.
Thérèse NDUWAYEZU : vous ne comprenez pas pourquoi les sœurs ne sont pas descendues rejoindre
les élèves ?
Ministère Public : oui.
Thérèse NDUWAYEZU : bah! ça a été comme ça.
Ministère Public : Quand vous êtes libérée du couvent, vous constatez que les quatre-vingt-quatorze
enfants ne sont plus là, qu’il y a du sang, qu’est-ce que vous faites ?
Thérèse NDUWAYEZU : je vous ai dit qu’il n’y avait pas de téléphone pour prévenir qui que ce soit.
Parce que pour téléphoner il fallait quitter le couvent, la peur règne partout et donc je n’allais pas
prendre le véhicule pour aller à quelques kilomètres.
Ministère Public : vous sortez, vous constatez que les enfants ont disparu et la vie continue pour
vous ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, la vie ne continue pas comme ça. Mais bon, c’est comme ça
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me LÉVY : après la première attaque, quand vous êtes informée d’une telle menace, vous allez
téléphoner à l’évêché de GIKONGORO. Vous indiquez que le point de téléphone était à dix kilomètres
de KIBEHO.
Thérèse NDUWAYEZU : oui, oui, c’est ça, même cinq kilomètres je pense.
Me LÉVY : Est-ce qu’il y avait un téléphone à KIBEHO ?
Thérèse NDUWAYEZU : non, à KIBEHO il n’y en a pas, il n’y a pas de téléphone. C’était un centre
militaire, un truc où tu peux joindre les militaires ou je ne sais pas quoi.
Me LÉVY : Ensuite, vous nous avez dit, et on le comprend, que vous préféreriez que certains souvenirs
soient effacés. Concernant l’élève que vous avez ramené, au départ vous nous dites que vous l’avez
ramené à l’évêque et ensuite vous indiquez que c’était un préfet. Je vous rappelle juste ce que vous
avez dit au gendarme – D10748/5 :
« Question : Les élèves Tutsi ont été tués. Vous ne voyez pas les corps mais c’est ce que vous
pensez. Que faites-vous ?
Réponse : On reste, on pleure. Deux jours après on était occupées par l’intrusion d’un Tutsi. Je
l’ai caché dans une classe. On trouvait que c’était le meilleur endroit, j’avais la clef et ce jeune
homme de quinze ans a survécu. Plus tard, il a été évacué, caché sous une bâche. Je me suis rendue à
Gikongoro à mes risques et périls, pour l’amener au préfet lui-même. Je ne me souviens plus du
lieu où je le l’ai rencontré sur Gikongoro. En tout cas, j’avais quitté Kibeho pour aller à Gikongoro
pour confier ce jeune homme au préfet. Et cet enfant vit toujours aujourd’hui. Mais je ne me rappelle
plus de son nom.
Question : Ce jeune homme Tutsi, vous l’avez confié directement au préfet ?

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Réponse : Oui, et il a accepté de le prendre pour l’insérer dans un groupe d’orphelins survivants d’autres
attaques, de Kaduha je crois. Je n’ai plus jamais revu ce jeune mais il aurait survécu. »
Me LÉVY: Est-ce que cela vous ravive des souvenirs ou vous ne vous en souvenez pas, même après
cette lecture ?
Thérèse NDUWAYEZU : Bah, là j’ai parlé du préfet seulement mais je pense que j’ai passé par l’évêque
et le préfet, les deux.
Me LÉVY : Dernière question. On vous a interrogé sur les contacts que vous avez pu avoir avec le
préfet en France. Quand il vous a contacté, pensez-vous qu’il avait de mauvaises intentions ou pensezvous simplement qu’il voulait contacter des personnes qui l’ont connu pendant le génocide
simplement pour attester de son comportement ?
Thérèse NDUWAYEZU : à cette époque-là je ne savais même pas s’il y aurait le tribunal contre lui,
quand il m’a contactée, un jugement. Donc je me suis pas posée la question de savoir s’il avait fait
quelque chose de mauvais ou non. Je me suis permis de lui dire « Maintenant tu es loin du RWANDA,
vis ta vie ».
Monsieur le Président a fait revenir Théophile ZIGIRUMUGABE à la barre.
Président : est présent dans la salle M. Théophile ZIGIRUMUGABE. Est-ce que vous voyez le témoin qui
est là ? Théophile aussi ? Est-ce que vous le reconnaissez ?
Thérèse NDUWAYEZU : non.
Président : vingt-huit ans plus tard, c’est un peu compliqué en effet. Vous aviez quel âge ?
Théophile ZIGIRUMUGABE : dix-neuf ans.
Président : Vous nous avez expliqué que vous vous êtes retrouvé à l’Ecole des Lettres après avoir été
tabassé par des gendarmes et que vous avez été soigné par une infirmière à la demande de la
directrice. Est-ce que le jeune que vous avez recueilli a eu besoin de soins qui auraient été dispensés
par une de vos sœurs ?
Thérèse NDUWAYEZU : celui que j’ai caché sous un puits, je ne crois pas.
Président : Quand vous êtes allés à GIKONGORO, pouvez-vous nous dire dans quel véhicule vous y
êtes allée ?
Théophile ZIGIRUMUGABE : on est allé à GIKONGORO, je suis parti avec l’abbé UWAYEZU dans une
camionnette de l’école Marie-Merci et il y avait beaucoup de gendarmes.
Président : Est-ce que vous êtes allée amener un rescapé dans une camionnette bleue ?
Thérèse NDUWAYEZU : c’est le véhicule de l’école, c’est toujours une camionnette. Mais je me
souviens pas de la couleur, si c’était bleu ou rouge. Mais c’est moi avec les gendarmes, mais pas avec
le directeur de l’école
Président : il y avait des gendarmes avec vous ?
Thérèse NDUWAYEZU : ah oui, avec des gendarmes.
Me PHILIPART : est-ce qu’on peut interroger Laurent BUCYIBARUTA à ce sujet ? Il a dit qu’il se
souvenait de THÉOPHILE, est-ce qu’on parle du même sauvetage ?
Thérèse NDUWAYEZU : je ne crois pas. Moi celui que j’ai sauvé, je l’ai emmené moi-même
Président : vous avez été en contact avec combien de rescapés de l’école de Marie-Merci ?
Laurent BUCYIBARUTA : quand je suis allé à MUBUGA, le seul cas qui m’a été soumis, c’est celui de ce
jeune homme.
Président : avez-vous le souvenir que la sœur soit venue avec un autre rescapé ?
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Laurent BUCYIBARUTA : la sœur m’a parlé de son cas, je ne connaissais même pas son visage.
Président : pour vous, il n’y a qu’un seul rescapé ? Il n’y en a pas deux ?
Laurent BUCYIBARUTA : du moins c’est le seul cas qui m’a été soumis.
Président : donc pas les mêmes cas alors.
Laurent BUCYIBARUTA : ce sont des cas tout à fait différents.
Président : on sait qu’il y a effectivement des orphelins et notamment qui venaient de KADUHA qui
ont ensuite été conduits au BURUNDI. Avez-vous souvenir que parmi ces orphelins de KADUHA,
envoyés par l’association Terre des Hommes, on y aurait ajouté un rescapé qui venait de l’école MarieMerci de KIBEHO ?
Laurent BUCYIBARUTA : non non, il ne faisait pas partie du groupe. Les orphelins qui venaient de
KADUHA, la sœur MILGITHA m’avait donné la liste et c’est à partir de cette liste que j’ai pris les
dispositions nécessaires pour qu’ils soient évacués sur BUTARE. Son cas est différent puisqu’il est de
KIBEHO.
Président : donc il n’a pas pu y être ajouté ?
Laurent BUCYIBARUTA : non, c’est différent.
Président : Ce qui est étonnant, c’est que vous nous dites que vous avez, lors de l’installation du
nouveau bourgmestre, été en contact avec ce témoin, avec Thérèse. Vous avez dit que vous étiez, lors
de l’installation du bourgmestre, venu sur place à MUBUGA. Vous nous avez dit que vous avez été
contacté par la directrice de l’école des lettres et qu’ensuite vous avez eu une réunion avec le
bourgmestre pour parler de la situation de ce rescapé afin que le bourgmestre lui donne des papiers
d’identité. Le témoin dit qu’elle n’a aucun souvenir de cela.
Laurent BUCYIBARUTA : en fait, c’est au bureau communal de MUBUBA. Une précision, ce n’était pas
une réunion, c’était un entretien.
Président : vous n’avez pas de souvenir de cet entretien avec le préfet à la suite de la cérémonie
d’installation du nouveau bourgmestre à MUBUGA ?
Thérèse NDUWAYEZU : non. Par contre, vous avez parlé de KADUHA et KIGEME, justement je me
souviens que ce jeune homme-là allait être soit à KADUHA ou KIGEME. On a parlé de là où se
trouvaient des enfants, ça devait être à un de ces lieux.

Audition de monsieur Emmanuel NYEMANA, rescapé de Marie-Merci, partie civile.
Le témoignage d’Emmanuel NYEMANA correspond en beaucoup de points au récit que nous a donné
Védaste HABIMANA, il ne nous a pas paru nécessaire de reprendre la totalité de son témoignage.
Nous prendrons son récit au moment où le groupe des jeunes Tutsi va atteindre la frontière du
BURUNDI et où le témoin va se trouver séparé de huit de ses camarades.
« Une femme est passée par là en disant, parlant de nous, qu’elle venait de voir passer des INIENZI. Je me
suis retrouvé seul avec un camarade. Une fois la frontière traversée, nous avons dit que nous étions des
Congolais et que nous voulions rejoindre l’ambassade. On nous a indiqué une église où nous pouvions
nous rendre mais j’ai refusé. Nous avons continué à marcher puis avons pris une voiture en stop. Arrivés

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à KAYANZA, à la vue de policiers, nous avons sauté de la voiture. Nous avons dit que nous étions dix
mais que les autres s’étaient égarés.
Des militaires nous ont aidés à chercher nos camarades mais nous ne les avons pas retrouvés. Comme
j’avais été blessé au ventre, les militaires m’ont soigné.
Notre retour au Rwanda fut une nouvelle étape de notre chemin de croix. Toute ma famille avait péri à
KADUHA. Je restais seul avec une soeur grièvement blessée. Elle me confiera plus tard qu’elle a été violée.
Depuis, nous restons à quatre sur soixante sept personnes qui constituaient notre famille. Nous avons
vécu la vie difficile des orphelins. »
Questions.
Monsieur le président n’a pas beaucoup de questions à poser dans la mesure où nous avons entendu
ses camarades de la même classe. Le témoin veut remercier la Cour car la justice est possible: « Je
souhaiterais que les Français sachent notre histoire. Nous sommes dans un beau pays. Nous éduquons
nos enfants pour qu’ils ne connaissent pas ce qu’on a vécu.
Maître BERNARDINI signale qu’il s’est rendu à KIBEHO pour se familiariser avec la géographie des
lieux. Il fait part à la Cour de ce qu’il a vu sur place, en particulier une carte qui montrait bien les lieux
de rassemblement des Tutsi. Il verse la pièce au dossier.
Maître LEVY, pour la défense fait dire au témoin que les attaques étaient bien planifiées, bien
coordonnées. Il veut savoir aussi comment le témoin a reconnu le préfet dans le groupe des visiteurs.
En réalité, Emmanuel NYOMANA le connaissait dans la mesure où il le voyait à KADUHA.
Maître LEVY: le 30 après la messe, vous dites: « Il était prévu qu’on nous tue ». Vous pouvez nous
expliquer?
Le témoin: J’avais été averti par un ami hutu. Il m’a proposé de quitter l’école avec lui.
Maître Jean SIMON annonce qu’il dépose deux documents au greffe. Il demande au témoin si, sur la
route du BURUNDI ils ont rencontré beaucoup de barrières. Le témoin confirme qu’ils cherchaient
surtout à les éviter.
Le ministère public veut savoir où se sont regroupés les élèves qui avaient décidé de fuir: ils étaient à
Marie-Merci. Quant aux policiers, ils avaient demandés aux élèves de ramasser les corps mais ces
derniers étaient trop faibles pour accomplir cette corvée.
Maître LEVY; enfin, demande au témoin si c’est bien l’abbé UWAYEZU qui a célébré la messe du 30
mai. Le témoin confirme.
L’audience se clôture ainsi.

Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT
Jacques BIGOT

Page 431 sur 711

References
↑1

FPR : Front patriotique Rwandais

↑2

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑3

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑4

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑5

Ibid.

↑6

le témoin déclare le contraire à la fin de sa déclaration spontanée.

↑7

Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des
années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des
colonisateurs.

↑8

Ibid.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du jeudi 16
juin 2022. J25
18/06/2022

Audition de monsieur Aloys MUSABYIMANA, détenu et condamné à la réclusion criminelle à
perpétuité.
Le témoin commence par évoquer les mauvaises conditions de sa détention. Monsieur le président lui
fait savoir qu’il veut l’interroger sur ce qui s’est passé à la prison de GIKONGORO en 1994.
Monsieur le président questionne le témoin sur les responsables de la prison. KANUSU en était le
directeur, il a fui et a été remplacé par son adjoint. Il aurait été tué à NYANZA au moment où il essayait
d’évacuer sa famille. Il s’était habillé en surveillant de prison. Il était toujours en poste lors des attaques
de MURAMBI. Il n’entrait pas dans son bureau parce qu’il était recherché: il était Tutsi. Son remplaçant,
Claude KALISA, un Hutu de RUHENGERI, partira au CONGO.
Monsieur le président donne les informations qui sont les siennes. Claude KALISA aurait été tué par
des gardiens de prison et c’est un certain ROMUALD qui aurait assuré l’intérim. C’est ce dernier qui
aurait décidé de tuer les prisonniers tutsi sur ordre du préfet.
Sur question du président, le témoin dit que les prisonniers ont été tués en trois étapes. D’abord au
lendemain du massacre de la population tutsi à MURAMBI, puis lorsque des prisonniers sont arrivés de
BUTARE. Ce sera enfin le tour des trois prêtres.
Le témoin, à cette époque, était détenu pour vol et avait été condamné à cinq ans de prison. Il était
chargé de préparer la cuisine, un parmi quinze autres cuisiniers. La prison comptait environ 350
prisonniers avant la guerre. Le nombre atteindra ensuite 950 après le déménagement des prisonniers
de BUTARE. Il y a avait eu aussi l’époque des IBYITSO, dès complices en octobre 1990. On pouvait
compter environ 140 Tutsi, et parmi eux, deux femmes qui seront exécutées les premières.
Les tueurs? C’était des condamnés à perpétuité ou à la peine capitale. Ils avaient reçu des instructions
de NZIGIHIMANA Landouald qu’il avait lui-même reçues de la préfecture. Les 140 Tutsi seront
massacrés au sein de la prison, lorsque les prisonniers reviendront de l’enfouissement des corps à
MURAMBI. Les ordres seraient venus de SEBUHURA et du préfet.
Le témoin confirme qu’il a assisté à l’exécution des prisonniers, à celle des prêtres amenés à la prison
de GIKONGORO, et à celle des deux femmes, près du drapeau de la prison. Quant à lui, s’il s’est rendu
à MURAMBI, ce n’était pas pour enterrer les cadavres mais pour apporter la nourriture à ceux qui
accomplissaient cette besogne.
A la prison, il a vu des autorités dont SEBUHURA, le préfet BUCYIBARUTA, le sous-préfet de KADUHA,
HATEGEKIMANA, le sous-préfet de KARABA et le bourgmestre de NYAMAGABE. « Ils sont arrivés en
même temps, donnaient des instructions aux prisonniers afin de faire le tri. Ils ont ordonné de tuer tout le

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monde pour qu’il n’y ait plus de survivants quand nous serions libérés. J’ai moi-même participé à cette
rencontre en tant que capita des cuisines. »
Monsieur le président rappelle au témoin qu’il a été entendu plusieurs fois par des enquêteurs du TPIR
et des juges français. Aloys MUSABYIMANA confirme que le préfet est venu à la prison le lendemain
des massacres de MURAMBI avec SEBUHURA afin de sélectionner les prisonniers. Après leur départ, les
gens qui étaient partis enterrer les corps sont rentrés et ont tué leurs codétenus avec des armes
blanches, gourdins, bâtons, couteaux qui avaient été utilisés à MURAMBI.
Monsieur le président fait remarquer au témoin que lors des auditions il n’avait pas cité les noms des
sous-préfets, par exemple. Ce dernier donne la réponse qu’on entend souvent en pareille occasion:
« On ne m’avait pas posé la question. On ne m’interrogeais que sur Laurent BUCYIBARUTA.
Le président évoque les noms de tous ceux qui ont été entendus dans cette affaire et souligne que
tous ces témoignages sont peu concordants. Il faudra faire avec pour connaître la vérité.
Interrogé de nouveau sur la mort des prêtres, le témoin précise qu’ils ont été tués avec des fers à
béton, des houes et des marteaux récupérés à MURAMBI. Et d’ajouter, à la demande du président: « Si
nous n’avions pas reçu des ordres, rien ne serait arrivé à des victimes innocentes. En guise de rétribution,
on nous a libérés sans qu’il y ait de billet d’élargissement. »
Questions.
La juge assesseur 1 rappelle au témoin la réponse qu’il avait faite à l’enquêteur français qui lui
demandait s’il connaissait Laurent BUCYIBARUTA. Il le connaissait pour l’avoir vu organiser des
réunions dans le but d’écouter les prisonniers qui demandaient des libérations conditionnelles. C’était
le Comité préfectoral qui venait, le préfet étant accompagné du procureur, des substituts et du
directeur de la prison. Il précise toutefois que cela n’a rien à voir avec les événements de 1994.
Les parties civiles.
Un avocat interroge le témoin pour savoir si des pressions sont exercées sur eux afin de mentir pour
protéger certains accusés, voire des pots de vin versés. Le témoin reconnaît que ça a pu exister, en
particulier de la part d’un certain Vénuste MUNYENTWARI.
Le détenu est ensuite interrogé sur le fonctionnement des Gacaca en prison. A l’occasion des collectes
d’information pour préparer les Gacaca, certains prisonniers étaient amenés à se rendre à l’extérieur de
la prison.
Le ministère public.
Questions du Ministère public :
Ministère public : vous pouvez nous préciser si les prisonniers ont élégamment été réquisitionnés
pour enterrer les corps à CYANIKA ?
Le témoin: quand ils ont terminé à MURAMBI, ils sont allés à CYANIKA
Ministère public : quand vous avez été entendu par le JI, vous avez apporté votre témoignage
justement sur l’enterrement des corps à CYANIKA, vous pouvez nous dire si vous y êtes allé également
?

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Le témoin: j’y allais également à CYANIKA car à tous les endroits où mes prisonniers allaient, ils ne
pouvaient pas rentrer manger donc j’y allais.
Ministère public : je vais vous lire un extrait de vos déclarations, vous êtes interrogé sur la paroisse de
CYANIKA et vous répondez – D10341/8 :
« Je ne peux pas entrer dans ce qui s’est passé à la paroisse de CYANIKA parce que c’était très loin de la
prison. Par contre je peux donner mon témoignage en ce qui concerne l’abbé NYOMUGABO et le gardien
RUBERA. J’ai amené de la nourriture à CYANIKA aux prisonniers qui enterraient les corps et qui se
trouvaient là-bas. J’ai vu les Interahamwe, les gendarmes et les prisonniers qui faisaient sortir l’abbé
NIYOMUGABO de sa cachette. Ils l’ont tué directement et ont volé un sac de dollars qu’il détenait. Quand
RUBERA a vu que l’abbé NIYOMUGABO avait été capturé, il est venu s’interposer pour prendre les sacs
contenant des dollars. Il a été tué par un coup de barre par un gardien de la prison de GIKONGORO qui
était originaire de GITARAMA et qui s’appelait MUNYAKABAGARI. Je connaissais l’abbé NIYOMUGABO
car il venait dire la messe à la paroisse… »
Vous confirmez cet épisode? Le témoin confirme sa présence et ajoute que les prisonniers étaient sous
la conduite de surveillants et de gendarmes.
Questions de la défense.
Me LÉVY : quand vous avez commencé votre déposition en parlant de massacres de prisonniers Tutsi,
vous avez indiqué que c’était le gardien-chef de la prison qui avait ordonné de tuer les Tutsi, vous avez
dit qu’il avait montré un écrit venant des autorités, un ordre venu de l’extérieur et vous n’avez pas fait
mention de cette délégation considérable qui se serait déplacée dans cette prison, le fait que le préfet
lui-même aurait donné l’ordre de tuer tous ces Tutsi. Comment expliquez-vous cette première
contradiction ?
Le témoin : cette première contradiction, je pourrai l’expliquer : c’est que NZIGIYIMANA Landouald
nous a montré que le préfet lui avait donné des instructions de tuer car à l’extérieur on avait déjà
exterminé les Tutsi et que le capitaine SEBUHURA a renchéri en disant qu’il n’y avait que dans la prison
qu’on était en retard et qu’il fallait commencer le tri pour les tuer.
Me LÉVY : vous avez indiqué que vous aviez assisté à une réunion et quand vous avez été entendu par
la juge d’instruction – D10341/4, la juge vous demande si vous avez assisté à cette réunion, et vous
aviez répondu non. Vous avez une observation ?
Le témoin: je suis allé à la réunion et je vous ai démontré qu’il y avait les KAPITA qui représentaient les
prisonniers et moi la cuisine. C’est ainsi que j’ai vu cela mais quand j’ai été auditionné par cette
personne, elle ne m’a pas demandé le nombre de personnes présentes mais juste qui a donné les
instructions.
Me LÉVY : vous pensez que vos déclarations successives sont cohérentes ?
Le témoin: la raison pour laquelle vous voyez peut-être des différences, c’est à cause des autres
témoins qui racontent des choses différentes, les gens ne peuvent pas voir de la même manière. De
mon côté, quand j’ai été auditionné, il me semble que j’ai dit que le commandement a été donné par
BUCYIBARUTA, SEBUHURA. On ne m’a pas questionné sur le nombre de personnes présentes ni sur la
manière dont se sont déroulées les différentes réunions, parce que ceux qui ont commis les massacres
ont été relâchés puis emprisonnés de nouveau plus tard.

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Me LÉVY : la juge vous a demandé qui a assisté à cette réunion et vous avez indiqué que c’était les
surveillants de prison et leur chef Landouald NZIGIYIMANA mais que vous n’y avez pas été présent.
NZIGIYIMANA a déclaré que le préfet n’était jamais venu à la prison, vous avez entendu le résumé des
déclarations des témoins en prison, nous avons entendu qu’il y avait des pressions sur les prisonniers
et parmi ces déclarations résumées par M. le Président, vous êtes le seul à maintenir devant les
enquêteurs français que le préfet serait venu. Pourquoi vous maintenez cette version alors que tous les
autres sont revenus sur les leurs ?
Président : j’aimerais nuancer un peu car certains n’ont pas pu être entendus de nouveau.
Me LÉVY : pourquoi n’êtes-vous pas revenu sur vos déclarations ?
Le témoin : faites la différence entre une personne à l’intérieur de la prison et d’autres à l’extérieur et
qui venaient en prison.
Me LÉVY fait signe qu’il ne comprend pas bien. La juge vous a demandé si vous souhaitiez ajouter
quelque chose et vous avez dit – D10341/8 :
« Ce que je veux ajouter, c’est que les personnes qui donnent des témoignages ont des conséquences
après. J’ai témoigné devant plusieurs commissions et ils nous donnaient quelque chose comme du
sucre. »
Maître LEVY : Vous avez dit au début de cette audition que votre détention ne se passait pas bien,
vous attendez quelque chose en contrepartie de ce témoignage ? Vous pensez qu’on va vous donner
quelque chose parce que vous avez bien témoigné aujourd’hui ?
Le témoin : donner un témoignage, c’est rendre service à ces personnes qui ont subi ces choses car il
faut dire la vérité, les choses telles qu’elles sont. Parce que si vous regardez ce que ces personnes ont
subi alors qu’elles n’avaient rien fait, leur sang qui a coulé, ça ce n’est pas une chose pour laquelle on
demanderait quelque chose en retour. Il faut tout simplement se tenir dans la vérité, montrer la vérité
Me LÉVY : et vous, la vérité, c’est que vous n’avez pas participé à ces meurtres de Tutsi, n’est-ce pas ?
Le témoin : non, je n’ai pas fait ces choses-là mais j’étais là, j’ai regardé et les témoins montrent de
quel côté ils se trouvaient. C’est comme ça que j’ai montré de quel côté était le témoin et c’est la
raison pour laquelle il faut rester honnête, dire les choses correctement, ne pas dire de mensonges
devant les tribunaux, ne pas induire en erreur les tribunaux.

Audition de monsieur Félicien MURENGERANTWARI, en visioconférence du Rwanda, cité par la
défense.
« J’étais fonctionnaire à la préfecture de GIKONGORO, chargé de la Croix Rouge. J’ai rencontré
plusieurs fois l’accusé qui volait au secours de la population. Après l’attentat, partout dans le pays se
déroulent des attaques. Les gens ont commencé à fuir et se sont réfugiés dans les écoles près de la
préfecture. Les autorités ont décidé de déplacer cette population vers MURAMBI où on leur promettait
aide et sécurité.
Comme j’étais à la tête de la Croix Rouge, j’ai contacté Laurent BUCYIBARUTA pour voir comment
ravitailler ces gens. Nous avions de la nourriture fournie par l’Union Européenne et pas la CARITAS. J’ai
rédigé un message télégraphique aux responsables des paroisses, aux sous-préfets et au préfet pour
que la nourriture destinée aux paroissiens dans le besoin soit donnée aux réfugiés. Nous avons

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acheminé de la nourriture en collaboration avec les paroisses et Madeleine RAFFIN. La nourriture était
remise à un certain MUNANI, membre du Conseil paroissial. qui était chargé de la redistribuer. Cette
distribution s’est déroulée du 10 au 21 avril. C’est ce que j’ai à dire concernant ma collaboration avec
Laurent BUCYIBARUTA.
Monsieur le Président: Vous étiez également « encadreur de la jeunesse »?
Le témoin: Oui, j’étais en charge de la jeunesse, des coopératives et du sport. C’est ainsi que
s’appelait le ministère dont je dépendais.
Monsieur le président précise qu’il y avait un encadreur de la jeunesse dans chaque commune: il y en
avait donc treize dans la préfecture de GIKONGORO. Plus un encadreur dans chaque sous-préfecture.
Celui de SUMBA aurait été poursuivi pour génocide? Il s’agit de l’encadreur de la commune de
NYAMAGABE mais le témoin n’en sais pas plus. Il n’était pas investi dans la politique.
Il faudra que le président lui répète une question pour qu’il y réponde: « Vous étiez membre du
Comité préfectoral du MRND? » Le colonel SIMBA en était le président.
Monsieur LAVERGNE soumet la liste de ce Comité: le témoin confirme. Il n’avait pas démissionné du
MRND, il s’était simplement « désengagé ». Sa responsabilité à la Croix Rouge était incompatible avec
un engagement au MRND.
Sur questions de monsieur le président, le témoin reconnaît qu’en décembre 1996 il a été arrêté sans
savoir pourquoi. En 2007, il aurait été innocenté par les Gacaca et libéré après onze ans passés en
prison. Il n’est jamais allé à la prison de GIKONGORO dans le cadre de ses activités à la Croix Rouge. En
1995, il est allé à la prison avec une délégation de la Croix Rouge internationale mais n’est pas entré
dans les locaux. Ce sont des Blancs qui l’accompagnaient.
Il n’est jamais allé à la prison avec le préfet, ne connaît pas Aloys MUSABYIMANA.
Aurait-il participé à des réunions préfectorales? « C’est arrivé une fois, reconnaît-il, pour organiser la
distribution de l’aide avec deux sous-préfets, dont RUSATSI, les bourgmestres SEMAKWAVU et
NGEZAHAYO, ainsi qu’avec l’abbé NIYOMUGABO et un autre prêtre. Le préfet était occupé à d’autres
taches. »
RUSATSI, le seul sous-préfet tutsi de GIKONGORO, chargé des affaires sociales? « Oui mais je ne sais
pas ce qu’il est devenu. J’ai entendu dire qu’il serait parti avec le directeur de la prison pour aller à
BUTARE où il aurait été tué! »
Le préfet BUCYIBARUTA, le témoin l’aurait rencontré à deux reprises. Une fois à son bureau de la
préfecture pour lui parler de l’aide de l’Union Européenne et une seconde fois quand il était en train de
fuir. au CONGO.
A MURAMBI, il s’y est rendu trois fois, avec Madeleine RAFFIN et Edouard NTAGANDA, dans un petit
véhicule. Ils ont fait des rotations pour livrer de la nourriture. Il reste évasif sur les conditions sanitaires
dans le camp de MURAMBI. Ce n’était pas de sa responsabilité. Mais il n’est pas surpris lorsque le
président lui dit que des gens sont morts de faim et de soif. « Les responsables auraient dû faire
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quelque chose. Je m’occupais du volet alimentaire, mais ce n’est pas moi qui m’occupais de distribuer la
nourriture à chacun » ajoute-t-il.
Entendu par les juges, il aurait parlé de la population hutu qui se serait fait agresser par les réfugiés! Le
témoin confirme ses dires. Quand on a coupé l’eau, les jeunes qui allaient en chercher dans la vallée se
disputaient avec les habitants du lieu. Ces gens seraient alors partis se réfugier dans les écoles de
l’ACPER.
A la question de savoir si les agresseurs étaient les Tutsi, le témoin répond: « Suite à ces affrontements,
la population est parties dans les écoles. La Croix Rouge ne fait pas de favoritisme. On a donné de
l’aide aux réfugiés hutu.
Toujours sur questions de monsieur le président, le témoin précise que c’est le major BIZIMUNGU qui
commandait les gendarmes de GIKONGORO mais comme il était malade, c’est en réalité SEBUHURA
qui exerçait le pouvoir et qui devait assurer la sécurité des réfugiés. Quand il a appris que les
gendarmes avaient tiré sur les réfugiés tutsi, il en a été très surpris.
Le témoin reconnaît avoir rencontré plus tard les responsables de l’Opération Turquoise, avec
Madeleine RAFFIN.
Monsieur l’assesseur s’étonne: comment manger du riz sans ustensiles ni bois de chauffage? « Les
réfugiés avaient emporté avec eux des casseroles et des couverts » dit le témoin sans se démonter. Ils se
prêtaient les ustensiles de cuisine. » Avant de voir le préfet, il avait bien contacté la Croix Rouge à
KIGALI, seule à pouvoir contacter la Croix Rouge internationale.
Maître GISAGARA veut savoir si la coupure d’eau l’a préoccupé, question qui irrite le président: « On
a déjà posé la question. »
Maître TAPI demande au témoin, concernant la distribution du carburant, si rien ne pouvait se faire à
GIKONGORO sans l’avis du préfet! « C’est comme ça que ça s’est passé. La distribution du carburant
dépendait du préfet. Aucun civil ne pouvait commander.
Concernant les barrières à traverser pour arriver à MURAMBI, il y avait bien celle de KABEZA. Le témoin
a été arrêté lors de son troisième passage et a dû donner un sac de haricots aux tueurs pour pouvoir
continuer sa route.
Question du ministère public concernant la fuite du sous-préfet RUSATSI qui a fui avec le directeur de
la prison. « Vous savez s’ils ont fui avant le 21 avril? » Tout en précisant qu’il s’agissait de deux
autorités qui avaient compris qu’elles étaient en danger.
Le témoin: « Oui, on leur a fait porter des tenues de prisonniers pour passer aux barrières. En tenue civile
ils n’auraient jamais pu passer. »
Maître BIJU-DUVAL rappelle au témoin ses déclarations concernant l’attitude de Laurent
BUCYIBARUTA. Il trouvait le préfet affaibli, en perte de pouvoir politique à cause du MDR et du PSD. Le
MRND ne représentait plus que 8%, beaucoup de bourgmestres ayant changé de parti. Le préfet ne
pouvait rien y faire. Il avait moins d’autorité qu’avant le multipartisme. Il avait une femme tutsi.
Certains bourgmestres ont pris des décisions criminelles sans en référer au préfet!

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Le témoin confirme ce qu’il a dit. « Il y a eu des débauchages. Dans moins travail, j’ai été témoin des
changements. Des champs qui étaient alloués à la coopérative étaient repris par des habitants membres
du MDR. » Quant à savoir si des bourgmestres ont incité aux massacres sans en référer au préfet,
comme le suggère l’avocat de la défense, le témoin dit ne pas savoir, mais que se serait « fort
possible. »
Maître BIJU-DUVAL veut faire répéter au témoin qu’il a cessé toute ses fonctions d’encadreur de la
jeunesse pendant le génocide. Il cite ses propos: « Face à l’urgence de secourir les rescapés, j’ai cessé
mes fonctions d’encadreur de la jeunesse pour me mettre au service de la Croix Rouge et de CARITAS. »
Le témoin confirme.
L’avocat de poursuivre, citant toujours le témoin: « Je faisais tout avec Madeleine RAFFIN, sous ses
ordres. C’est madame RAFFIN qui rencontrait le préfet. » Vous étiez sous les ordres de madame
RAFFIN,
Le témoin: Remettons les choses dans le contexte. J’étais toujours fonctionnaire de l’Etat mais je
n’avais pas de travail. J’ai été employé de la CARITAS fin 1994.

Audition de monsieur Innocent MUTIGANDA, rescapé de l’école Marie-Merci, partie civile.
« Je suis venu pour intervenir sur les événements en rapport avec le génocide contre les Tutsi du
RWANDA. Je voudrais d’entrée vous dire que le génocide ce n’est pas quelque chose qui est survenu sans
être planifié. Je ne sais pas quand la planification elle-même a commencé, mais je suis né en 1977, et
quand j’étais en deuxième année, en 1984, c’est alors à l’âge de 8 ans que j’ai constaté cette planification
du génocide.
À l’époque, comme j’étais un enfant, je ne pouvais pas savoir de quoi il s’agissait exactement et quand je
l’ai vu c’était en salle de classe, un mercredi. L’instituteur est arrivé et il a demandé aux Tutsi de se lever,
je ne me suis pas levé car j’ignorais mon appartenance ethnique. Un enfant juste derrière moi a
commencé à me frapper avec un objet en me disant de me lever, que j’étais Tutsi. Je me suis posé la
question de ce qui se passait et si le fait d’être un Tutsi était une infraction, mais je n’ai pas eu de
réponse. Je ne m’étais pas levé quand les Hutu se sont levés. Quand ce fut le tour des Twa, personne ne
s’est levé, il n’y avait pas de Twa dans la classe. Celui à côté de moi m’a demandé mon ethnie: j’ai
répondu que je ne savais pas. Je me rappelle qu’il y avait d’autres enfants Hutu ou Tutsi qui ne se sont
pas levés car ils ne connaissaient pas ces choses- là. Il y avait à l’école, je crois en cinquième année, un
cousin germain, on est allé lui demander notre appartenance ethnique et il a dit que nous étions Tutsi.
Je parlais de cette semaine mais, chaque semaine, chaque mercredi, ce devoir était répété. Cela a
continué ainsi, pendant toutes les années. À l’époque, en 8ème année, les élèves de la dernière année
passaient un examen officiel. Au fur et à mesure que nous grandissions, nous constations les différences
de traitement et pour cet examen nous avons constaté que seuls les Hutu étaient admis à l’enseignement
secondaire. Ceux qui ne poursuivaient pas les études secondaires se faisaient enrôler dans l’armée. Mais,
quand on terminait les études, eux les Tutsi, ils allaient plutôt poursuivre leurs enseignements au CERAI.
Après la 7ème année, alors que j’allais commencer la 8ème année, a été nommée la ministre de
l’éducation, Agathe UWILINGIYMANA. On disait que cette dame ne pratiquait pas la ségrégation et elle a
apporté un changement dans l’éducation. Pour moi, c’était une chance car c’est quand elle était ministre
que j’ai été admis à l’enseignement secondaire, je fais partie des chanceux. Lorsque l’on nous posait des
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questions sur l’appartenance ethnique, on établissait une fiche de suivi faisant mention de l’ethnie. C’est
ainsi qu’on m’a envoyé poursuivre mes études à l’École Marie-Merci de KIBEHO, c’était en 1993 je
crois. J’y ai été admis en première année. En 1994, j’étais en deuxième année. J’étais parmi les plus
jeunes là-bas et je n’ai pas pu constater la ségrégation sur place. Ce que j’ai su de mes collègues c’est
que, un an plus tôt, il y avait eu une grève relative à des problèmes entre les Hutu et les Tutsi. À part le
fait de l’avoir entendu comme ça, à KIBEHO, je n’ai pas su qui de mes collègues était Hutu ou Tutsi, nous
étions simplement des collègues de classe.
Plus tard, en janvier ou en février, il y a eu une autre grève et nous avions regagné nos familles et lorsque
le génocide a commencé, nous étions à l’école. À partir de la date du 7 avril, nous voyions beaucoup de
réfugiés à KIBEHO ou à l’église, des fumées de maisons que l’on incendiait. Je ne vais pas m’attarder sur
ce qui s’est passé à KIBEHO pour gagner du temps, mais plutôt revenir sur la manière dont on a tué et
comment je suis parti de KIBEHO. Je vais continuer. Ce que je dirais également, lorsque j’étais encore à
KIBEHO, c’est qu’ il y a eu des qualificatifs attribués aux Tutsi : serpents, cafards et Inyenzi, donc on tuait
un Tutsi, on ne tuait pas un humain. Ce qui m’a étonné c’est que mon ami Jean-Chrysostome, lorsque le
matin je lui ai adressé mon bonjour, il a refusé de me répondre, il m’a dit qu’il ne savait pas que j’étais un
serpent. Après le massacre de l’église, a été exprimée la volonté de tuer les élèves qui étaient à l’École
Marie-Merci de KIBEHO, mais cela a été un peu compliqué. La manière dont nous étions mélangés ne
nous permettait pas de voir d’emblée qui était Hutu ou Tutsi et donc ils ont préparé notre séparation.
Quand ce fut le moment de boire de la bouillie, ils ont allégué que les Tutsi l’avaient empoisonnée d’où la
séparation.
Peu avant cela, j’avais eu des informations comme quoi certains de mes collègues étaient partis, et j’avais
hésité à partir avec eux, même si on nous avait dit qu’ils étaient tous morts après leur départ, qu’aucun
n’avait survécu. Au moment de la séparation, j’ai eu l’idée de partir avec les Hutu, mais ce n’était pas
possible, j’avais déjà été identifié car ils avaient eu le temps de nous identifier. Au moment de la
séparation, je me suis dit qu’il fallait que je coure, que s’ils me voyaient ils allaient me tirer dessus: en fait,
ils avaient encerclé l’école. Je craignais beaucoup d’être tué par machette et également effrayé d’être tué
à coups de gourdins car nous les avions vu tuer certains. Dans ma tête, j’ai toujours l’image d’un jeune
homme qui courait de l’église vers l’École Marie-Merci et les gendarmes lui ont tiré une balle et l’autre est
tombé par terre. Lorsque l’intéressé n’était pas complètement mort, il a dit aux gendarmes d’arrêter, il lui
a dit: « Arrête, je suis mort ». À ce moment-là, j’ai couru, mais en fermant les yeux car je me disais qu’on
allait me tirer dessus. J’attendais de tomber, mais ce n’est pas arrivé et plus tard je suis arrivé dans un
bois (l’école Marie-Merci n’était pas clôturée) et suis tombé.
Je me suis immobilisé et je suis resté là. Je me croyais mort mais, quand je me suis palpé, j’ai senti que
rien ne m’était arrivé, alors la pluie s’est mise à tomber immédiatement. Je me suis retrouvé avec des
blessures, je ne sais pas ce qui s’était passé mais j’avais du sang partout sur mes jambes. J’ai poursuivi
ma route, ma région natale se trouvait dans ces contrées-là, en direction du BURUNDI. Dans ma tête, je
n’allais pas au BURUNDI mais plutôt chez moi, je croyais ma famille en vie, nous n’avions pas eu
d’informations car nous étions cloitrés. J’ai tenté de marcher, mais j’ai vu que toutes les routes étaient
bloquées et que les gens dans la brousse couraient partout. Je marchais de nuit, après un certain moment
je suis arrivé à la montagne CYORO, près du BURUNDI. J’ai trouvé là-bas quatre personnes, dont une
vieille dame, qui se cachaient dans les brousses, ils voulaient continuer mais ne savaient pas par où
passer. Nous avons continué à marcher ensemble grâce à cette vieille dame qui s’y était déjà rendue.
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Nous ne sommes pas arrivés au BURUNDI avec elle, à la frontière nous nous sommes heurtés à une
attaque : la vieille femme a été attrapée et on l’a tuée.
Quand j’étais au BURUNDI, j’avais des chiques sur les pieds, il y avait aussi des poux partout. Quand je
suis arrivé là-bas, mon état de santé s’était détérioré et cela faisait longtemps que je n’avais pas mangé.
Hormis les deux garçons avec qui je suis arrivé au BURUNDI, je me disais que nous étions les seuls
survivants, que personne n’avait pu s’échapper. J’ai été surpris une fois au camp de MATONGO, il y avait
d’autres personnes qui avaient pu traverser la frontière et j’ai été surpris lorsque les gens m’ont appris
que dix de mes collègues y étaient arrivés. J’ai fait le tour de quatre camps à leur recherche. J’ai été dans
tous ces endroits et chaque fois on me disait qu’ils n’étaient pas là, mais qu’ils étaient partis en ville. La
raison pour laquelle je cherchais beaucoup c’est parce qu’ils étaient comme la famille qui me restait. Je
suis arrivé en ville, mais je ne les ai pas trouvés car c’est une grande ville. À un certain moment, nous
sommes retournés au pays et j’ai continué ma vie et aujourd’hui je suis adulte.
Pour finir, je voudrais démontrer que c’est l’État qui a fait le génocide et qui a incité la population à le
faire. Les qualificatifs des gens, c’est l’Etat qui les leur donnait. Les Interahamwe dont on parle, c’est l’Etat
qui les entrainait. La population dont je vous parle ce sont des bourgmestres : Charles NIYLIDANDI,
Damien BINIGA, sous-préfet de ma sous-préfecture d’origine, celle de MUNINI, ces gens-là comme
Innocent BAKUNDUKIZE qui dirigeait des usines, ce qu’ils faisaient, ils représentaient l’Etat, on voyait que
c’était eux qui représentaient l’État.
Je terminerai en parlant d’un handicap inguérissable que m’a laissé le génocide. C’est une invalidité au
niveau de ma jambe droite. En 2007, cette jambe a été opérée on a retiré de cette jambe un kyste, je ne
savais pas ce que c’était, mais j’avais eu beaucoup de blessures. On m’a montré cela et j’ai vu que c’était
comme un caillou noir avec de la chair tout autour. Avant cette époque, tout comme après, il m’est
toujours impossible de faire du sport car cette jambe enfle quand je le fais. Pendant une période de six
ans, je n’ai jamais cessé d’avoir des cauchemars, chaque fois que je dormais, je rêvais que j’étais mort, je
ne dormais jamais sans rêver du génocide. Il m’arrivait parfois de penser que j’étais mort ou que j’étais
vivant, je confondais les deux, j’étais confus. À part cette jambe, j’ai eu d’autres soucis de santé à cause de
l’hypertension artérielle, et un diabète. Le fait de suivre tout le temps ce traitement, ça me pèse lourd et je
vois que l’origine de toute cela c’est le génocide. À cela, j’y ajoute mes obligations à l’égard de ma famille
élargie : si je ne vais pas au delà de ma famille paternelle, mes oncles, mes tantes paternelles nous étions
environ 120 personnes, à la fin du génocide le nombre ne dépassait plus que dix et j’étais le plus âgé,
c’est moi qui ait pris toute les obligations. J’exprime ma gratitude car maintenant nous nous trouvons
devant la justice et nous voulons qu’il y est une vraie justice utile. Dans ma vie, je ne m’étais jamais
imaginé qu’il allait y avoir une poursuite des gens qui avaient tué les Tutsi car je pensais que le monde
entier détestait les Tutsi. Je fais confiance en la justice et je vous remercie. »
Monsieur le président pose au témoin quelques questions sur sa famille. Il était l’aîné de sept enfants,
son père était couturier et sa mère agricultrice. Il confirme avoir vu les attaquants de la paroisse ainsi
que la délégation officielle qui est venue ensuite à KIBEHO. Il a vu les gendarmes tirer sur les réfugiés.
Il apprendra plus tard, arrivé au BURUNDI, dans quelles conditions les habitants de sa commune ont
tenté de fuir vers le BURUNDI mais qu’ils ont été ramenés à la sous-préfecture par les hommes de
BINIGA. Le témoin rapporte le récit qu’on lui en a fait:

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« Ta famille aurait pu survivre tous, sauf que BINIGA les a poursuivis. Quand nous allions atteindre le
BURUNDI, il nous a arrêtés, nous a dit de retourner à la sous-préfecture pour tenir une réunion. Avant
d’arriver à la sous-préfecture, ils nous ont arrêtés en disant que les hommes mariés et les jeunes hommes
devaient se mettre par terre. Les femmes et les enfants sont partis vers la sous-préfecture. Les hommes
étaient assis par terre, on leur a tiré dessus mais certains ont pu se lever et courir. Certains ont continué
vers la paroisse de KIBEHO, d’autres vers celle de MUGANZA. Ceux qui sont arrivés à KIBEHO ont trouvé
des massacres, d’autres ont pu fuir vers la paroisse de CYANIKA. Là-bas, on les y a trouvés également et
massacrés à leur tour. Ceux qui ont pu survivre à CYANIKA ont pu rejoindre le BURUNDI. »
En terminant son récit, Innocent MUTIGANDA déclare que pour lui, être venu devant la Cour, c’est
comme « un médicament »: « Je suis content d’avoir raconté mon histoire. »
Maître SIMON n’a pas de question à poser au témoin, le remercie pour son témoignage et rappelle
qu’il a déposé des pièces au dossier.
Maître BERNARDINI, autre avocat de l’association SURVIE, remercie à son tour le témoin pour son
témoignage et lui demande s’il a eu des nouvelles de ses dix camarades qui avaient fui avant lui.
Innocent MUTIGANDA: J’aurais voulu partir avec eux. On nous a dit qu’ils étaient morts. Arrivé au
BURUNDI, on m’a dit qu’ils étaient là. Je les ai revus un à un à mon retour au Rwanda.
Maître BERNARDINI: Qui vous a dit qu’ils étaient morts?
Innocent MUTIGANDA: C’est l’abbé Emmanuel UWAYEZU, pour nous décourager de partir. Il nous a
dit: « Celui qui partira ne pourra plus jamais revenir.
Monsieur le président, en clôturant l’audience, remercie le témoin à son tour et lui souhaite un bon
retour au Rwanda.

Audition d’un médecin militaire qui va témoigner anonymement sous le pseudonyme du
Capitaine ERIC.
Le capitaine ERIC est intervenu dans le cadre de l’Opération Turquoise, en soutien d’une unité qui
assurait la protection des populations. Il ne se souvient pas vraiment de l’endroit où il se trouvait, mais
c’était toutefois à environ une demi-heure de GIKONGORO. Il était là la première semaine de juillet, à
proximité d’un camp important de réfugiés qui avaient besoin d’aide. Pas très loin, œuvrait une
communauté de religieuses irlandaises. Ces réfugiés, selon lui, étaient « plutôt hutu. » Son travail
consistait à apporter des soins aux militaires et aux populations.
Il soignait des gens qui souffraient de dénutrition et des pathologies résiduelles de blessures de
guerre. Il pratiquait des actes de petite chirurgie.
Monsieur le président donne lecture d’un extrait du rapport DUCLERC, un compte-rendu du 15 juillet
1994 concernant une mission qui va partir à KADUHA. On y parle de soins mais aussi d’évacuation et
d’extraction de personnes en danger. de certaines autorités rencontrées, d’enfants punis de coups de
baïonnette pour avoir commis des vols.

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Le président de lite une note de bas de page. Il y est question de « conditions difficiles à supporter sur
le plan humain. Des témoignages les plus horribles y abondent: cris des enfants que des médecins
charcutent, une détresse qui agresse en permanence.
Le médecin confirme qu’il a eu à affronter de tels événements. Il reconnaît qu’il devra faire du
« triage » concernant la gravité des blessures à soigner. Tout près, un hôpital de campagne avait été
installé. Mais son travail se situait en amont, aux avant-postes.
Monsieur le président va ensuite rappeler la chronologie de l’Opération Turquoise en donnant les
principales dates. Il y fait mention du départ des soldats de Marseille le 20 juin en direction de GOMA
et de BUKAVU au ZAÏRE. de l’évacuation de 700 orphelins de BUTARE pour BUJUMBURA, sous les tirs
de mortiers… Des bagarres sont mentionnées lors de l’évacuation de Tutsi. En un mot, des
interventions à risques pour le personnel, dans la plus totale insécurité. C’est ce que le médecin a
connu.
A une occasion, le témoin a rencontré le préfet de GIKONGORO, mais comme il ne faisait pas partie de
l’Etat major, il ne peut vraiment témoigner des propos qui ont été tenus lors de cette rencontre.
Dan le rapport GILLIER, versé au dossier par le président il est question d’une certaine Bernadette, que
le témoin a bien connue. Il sera d’ailleurs question de cette infirmière dans le livre de Laure DE
VULPIAN, Silence Turquoise, Le7 juillet, il est question d’une demande de passeport pour permettre à
Bernadette de quitter la région; refus du préfet car Bernadette était Tutsi. A cette époque-là, Laurent
BUCYIBARUTA était lui-même en train d’organiser sa fuite.
Le témoin se souvient d’avoir vu chez le préfet une immense bibliothèque consacrée à des bandes
dessinées. Quant au préfet, il ne semblait pas de bonne foi. Était-ce le contexte ou une mauvaise
volonté de Laurent BUCYIBARUTA? Le témoin se pose encore la question. Par contre, il n’a plus eu de
nouvelles de Bernadette, une infirmière dont il reconnaît les compétences en pédiatrie et en
gynécologie.
Le capitaine ERIC reconnaît qu’à leur arrivée au Rwanda ils n’avaient qu’une connaissance parcellaire
de la situation. Ils ont été accueillis comme des libérateurs par la population hutu. Son
commandement recherchait ceux qui continuaient les massacres. Il parle de « génocide planifié » et se
souvient encore de l’odeur de mort qui régnait sur toutes les régions qu’ils traversaient.
A la question du président de savoir si cette omission humanitaire était plus au service des Hutu, voire
des Interahamwe, que des Tutsi, le médecin répond qu’il devait soigner tout le monde.
Monsieur le président parle ensuite d’une carte de la DGSE datée du 29 juin 1994 et versée au dossier.
Ce document mentionne différents camps de réfugiés, même un camp de militaires hutu! Le médecin
n’en a jamais eu connaissance.

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Maître SIMON revient sur Bernadette, en grand danger de mort et à qui le préfet refuse un passeport!
Le témoin ne peut pas en dire davantage. Il a revu Bernadette dans un camp de réfugiés tutsi
regroupés par l’Opération Turquoise.. Il se souvient que son conjoint était un ingénieur agronome.
Page 191 du livre de Laure DE VULPIAN il est rapporté la réponse du préfet à un officier confronté à
Laurent BUCYIBARUTA: « Pas de passeport pour les Tutsi » Le témoin confirme qu’il n’a pas été un
témoin direct. Il se souvient simplement « d’un homme hésitant. »
Maître GRAVELIN, pour la FIDH, revient sur la mission du médecin en soutien du détachement militaire
et de sa rencontre avec le préfet. Le témoin confirme qu’il n’a rencontré BUCYIBARUTA qu’une seule
fois. Les odeurs? Il n’y en avait pas à la préfecture.
Une question est ensuite posée sur la nature des armes. Sur « la connaissance parcellaire » dont le
témoin a parlé. Il ne connaît le Rwanda que depuis la lecture d’un article du MONDE daté du 7 avril
1994. Il n’a construit ses connaissances que petit à petit. Mais il avait eu le temps de savoir que les
victimes étaient bien les Tutsi.
La défense évoque un télégramme diplomatique du 8 juillet 1994 signé d’un diplomate dans lequel
sont évoquées les relations difficiles avec les autorités de GISENYI. Il est dit aussi que les responsables
du génocide doivent être châtiées. En comparaison, « on peut dire que le préfet de GIKONGORO est très
coopératif« ?
Réponse du témoin: « Je n’ai rencontré Laurent BUCYIBARUTA qu’une seule fois. Je suis incapable de
faire des comparaisons. Ma réflexion ne serait d’aucune utilité. » Par contre, il a bien croisé des miliciens
à GIKONGORO et pas seulement à GIKONGORO.
Revenant sur le cas de Bernadette, maître BIJU-DUVAL fait remarquer que si elle voulait regagner la
France, les autorités françaises auraient pu lui délivrer un laisser-passer pour faciliter son évacuation.
Le capitaine ERIC: « Je ne suis pas du tout certain que Bernadette voulait venir en France. Elle voulait
surtout être en sécurité, elle ne voulait pas quitter son pays. Et puis, la délivrance d’un laisser-passer se
décide à un niveau beaucoup plus élevé. »
Parole est donnée à l’accusé. « J’espère qu’on parle de la même personne. Or, la personne qui est venue
dans mon bureau était originaire de RWAMIKO, pas de KADUHA. De plus, il est impossible que j’aie pu
dire « pas de passeport pour les Tutsi ». Pour fournir un passeport, il fallait d’ailleurs fournir des pièces
qui n’étaient pas disponibles en préfecture. Je ne comprends pas la plainte de cette femme qui était
protégée par l’Opération Turquoise. »
Dubitatif, monsieur le président répète: « Des conditions administratives! L’intéressée suffisamment
protégée par l’Opération Turquoise? »
On s’en tiendra là. L’audience est levée. Rendez-vous est donné au lendemain 9h30.
Alain GAUTHIER pour la rédaction.
Mathilde LAMBERT pour les notes d’audience.
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.
Page 444 sur 711

References
↑1

Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.

↑2

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑3

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑4

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑5

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑6

CERAI : Centre d’Apprentissage Rural et Artisanal Intégré

↑7

Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande
raciste. Cf. Glossaire.

↑8

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑9

La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994 – Rapport remis au Président de la
République le 26 mars 2021.

↑10

Silence Turquoise: Responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsi, Laure de
Vulpian et Thierry Prungnaud, Éd. Don Quichotte, 2012.

↑11

Ibid.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du vendredi
17 juin 2022. J26
19/06/2022

• Audition de monsieur Jean de Dieu HABINSHUTI, ancien détenu de la prison de GIKONGORO.
• Reprise de l’interrogatoire de personnalité de monsieur Laurent BUCYIBARUTA.
• Audition de monsieur Didace HATEGEKIMANA, ancien bourgmestre de RUKONDO, détenu à la
prison de HUYE, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
• Audition de monsieur Pascal HABUFITE, témoin cité par la défense.
Audition de monsieur Jean de Dieu HABINSHUTI, ancien détenu de la prison de GIKONGORO.
• Déclaration spontanée.
Ce que je voudrais dire à la Cour, c’est qu’en 1994, quand le génocide a été commis, j’étais détenu à la
prison de GIKONGORO. Après qu’ils aient tué à MURAMBI, nous, les prisonniers, on nous a sortis pour
qu’on aille ramasser les corps qui se trouvaient aux alentours de la gendarmerie de GIKONGORO. Une
fois à l’intérieur du camp de gendarmerie, on a fait le nettoyage. A ce moment-là, j’ai vu le préfet
Laurent BUCYIBARUTA arriver en voiture et s’arrêter dans le camp. Le Capitaine SEBUHURA [1] est sorti
du bureau et s’est approché de lui. Nous avons continué de nettoyer les lieux, et plus tard, alors que
nous allions rentrer, le gendarme qui nous faisait faire le nettoyage nous a demandé de prendre des
gourdins, de retourner à la prison de GIKONGORO en disant que les prisonniers Tutsi n’allaient pas
passer la nuit avec nous. Ils nous ont dit que le préfet Laurent BUCYIBARUTA et le capitaine SEBUHURA
venaient de leur dire qu’il ne pouvait plus y avoir aucun Tutsi dans la prison à partir de cette nuit.
Une fois à la prison, on nous a ouvert et nous sommes entrés à l’intérieur avec les gourdins et d’autres
morceaux de bois que l’on nous avait donnés et nous les avons utilisés pour tuer les Tutsi. Les
gendarmes ont fait venir la direction de la prison et ils leur ont dit qu’ils devaient nous remettre les
dossiers des Tutsi en prison et que le préfet venait de dire que les Tutsi ne devaient plus passer la nuit
dans la prison. On nous a donné les dossiers en question, nous sommes allés dans le bloc des détenus,
nous avons installé les Tutsi à l’intérieur de la prison, là où nous recevions la nourriture. Nous les avons
tous fait sortir, ils étaient environ 60. Parmi eux, il y avait deux femmes. Nous avons commencé à
frapper ces Tutsi en leur donnant des coups de gourdins et avec ces gourdins-là, nous les avons tués.
Il y avait là-bas un surveillant de prison qui s’appelait KABURUVAYO, il a sorti les deux femmes pour
aller les tuer après s’être emparé de leurs affaires. Le lendemain, Laurent BUCYIBARUTA a envoyé un
camion du MINITRAPE [2], habituellement garé à la préfecture. Nous avons sorti et déplacé dans le
camion les cadavres des personnes que nous avions tuées la veille. Nous sommes allés les enterrer à
MURAMBI, dans une fosse où ils avaient déjà mis les corps des gens qu’ils avaient tués. Après, nous
sommes revenus à la prison. Trois jours plus tard, le préfet a ordonné au Procureur de la République
de nous relâcher, disant que les Inkotanyi [3] étaient arrivés à NYANZA, qu’il ne fallait pas qu’ils nous
trouvent dans la prison. Nous avons été relâchés et nous sommes donc retournés chez nous.
En ce qui me concerne, comme tout le monde fuyait, j’ai fui et je me suis réfugié au Congo, à cause de
l’insécurité que j’aurais pu avoir si les Inkotanyi me trouvaient sur place car j’avais été militaire sous
HABYARIMANA. Je suis allé au Congo et, à mon retour, j’ai été accusé de génocide. J’ai été jugé, j’ai

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été condamné et après la condamnation, il a été constaté que le nombre d’années de la condamnation
était déjà couvert par le nombre d’années que j’avais passé à la prison et donc je suis rentré chez moi.
Aujourd’hui, je suis un citoyen ordinaire.
QUESTIONS DU PRÉSIDENT :
Sur questions de monsieur le président, le témoin dit, qu’au moment du génocide, il avait 27 ans.
« J’avais étudié jusqu’en huitième année primaire. Je sais lire, écrire et compter. Je suis Hutu et et été
militaire de 1990 à 1994, à RUHENGERI, dans l’armée d’HABYARIMANA [4].)). J’ai combattu dans le
52ème Bataillon, un bataillon de combat. Un jour, je suis entré chez moi sans autorisation et j’ai déserté.
J’ai été arrêté: c’est en prison que m’a trouvé le génocide. Je n’avais pas encore été jugé. »
Président : Vous avez dit tout à l’heure que vous connaissez le préfet Laurent BUCYIBARUTA. Où
habitiez-vous avant de partir à l’armée ? Et, avant de partir, aviez-vous eu l’occasion de rencontrer le
préfet ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : A l’époque, j’habitais dans la préfecture de GIKONGORO, dans la
commune de NYAMAGABE. C’est à ce même endroit que j’étais détenu pendant le génocide, pour
avoir déserté l’armée. À l’époque du génocide, c’est dans cette région que Laurent BUCYIBARUTA était
préfet.
Président : L’aviez-vous rencontré ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je le voyais passer quand j’étais prisonnier et que j’allais effectuer des
tâches à l’extérieur de la prison.
Président : Donc, vous l’avez vu pour la première fois quand vous étiez détenu ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Comment avez-vous su que c’était le préfet ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Quand j’étais prisonnier, lorsque nous étions allés faire mes soins, les
gendarmes ont dit au capitaine SEBUHURA de venir auprès du préfet Laurent BUCYIBARUTA qui
demandait à le voir.
Sur questions du président, le témoin poursuit.
« Laurent BUCYIBARUTA, je ne l’ai jamais vu à la prison, il n’est jamais venu. A l’intérieur, j’étais policier,
chargé de faire respecter les consignes au sein de la prison. Nous étions environ 300 prisonniers, dont
environ 60 Tutsi et un petit nombre de Twa. Il y avait une cinquantaine de femmes, nous en avons tué
deux. Je ne connaissais pas vraiment le directeur, c’est un adjoint qui commandait. Pendant le génocide
le directeur a fui, mais son adjoint a été tué. J’ai connu un certain Claude KALISA qui était surveillant. »
Président : Est-ce que le nom de NZIGIYIMANA vous dit quelque chose ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Il était surveillant.
Président : Est-ce que c’était le surveillant en chef ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne sais pas, mais il dirigeait les surveillants, mais je ne savais pas si
c’était lui le surveillant en chef.
Président : J’ai compris quand vous étiez détenu, que vous sortiez de la prison pour aller faire des
travaux ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.

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Président : Vous avez parlé de soins, quel type de travaux faisiez-vous ? Des travaux d’entretien ? De
maçonnerie ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : C’était le nettoyage ordinaire ou alors l’entretien du potager de la
gendarmerie.
Président : Vous sortiez régulièrement ? Tous les jours ? Uniquement quand on avait besoin de vous ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : On sortait uniquement quand les gendarmes venaient nous chercher,
quand ils avaient besoin de nous. Mais ce n’était pas souvent. J’allais au camp de gendarmerie ou alors
à la préfecture pour y faire du nettoyage.
Président : Est-ce que vous vous souvenez si vous avez entendu des bruits d’une attaque ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Alors que nous étions à la prison, lorsqu’ils étaient en train de tirer à
MURAMBI, nous avons entendu beaucoup de bruits de balles.
Président : Est-ce que vous avez vu ou compris qu’il y avait une attaque à MURAMBI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ça concernait les réfugiés à MURAMBI, ceux qui avaient trouvé refuge,
les réfugiés Tutsi.
Président : Et, est-ce que vous avez vu l’attaque ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, j’étais en prison. C’est le lendemain qu’on nous a demandé d’aller
ramasser les cadavres.
Président : J’ai cru comprendre que vous n’allez pas aller directement à MURAMBI, mais que vous
allez en premier au camp de gendarmerie pour nettoyer les bois autour de ce camp ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, quand nous sommes allés à MURAMBI, c’est au moment où nous
transportions des corps que nous avions pris dans la prison.
Président : Donc, ce qu’on vous demande c’est de ramasser des cadavres qui se trouvent dans les bois
autour du camp de la gendarmerie ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : C’est près ou c’est loin du camp de MURAMBI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Quand on est à la gendarmerie, on voit MURAMBI devant soi à une
distance de 5 km.
Président : Selon vous, les cadavres qu’on vous demande de ramasser, ce sont les cadavres de qui ?
Des réfugiés Tutsi ? Des gendarmes ? Qui ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : C’étaient les corps des réfugiés Tutsi qui avaient survécu à MURAMBI, et
qui ont été tués par les gendarmes, car ils étaient dans les bois des gendarmes.
Président : Donc, c’étaient les corps des réfugiés qui se sont échappés de MURAMBI et qui étaient
autour du camp de gendarmerie ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Saviez-vous si parmi les gendarmes, il y en avait qui étaient Tutsi ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Il y en avait, mais quand nous avons fait du nettoyage à la gendarmerie,
nous avions constaté qu’on avait retiré les autres gendarmes, les gendarmes Tutsi, et qu’on les avait
emmenés quelque part à une destination qui nous est inconnue. Je ne les ai pas revus. Probablement
qu’ils ont été tués car pour les gens, plus aucun Tutsi ne devait rester dans le pays.
Président : Est-ce que, parmi les gardiens de prison, certains étaient Tutsi ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ceux qui l’étaient étaient partis bien avant, bien avant que tout cela
n’arrive.
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Président : Quand est-ce qu’ils étaient partis ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient partis avant que ne soit commis le génocide de MURAMBI.
Président : Donc, ils sont partis après la chute de l’avion de HABYARIMANA et avant l’attaque du
camp de MURAMBI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : A votre connaissance, il y avait combien de gardiens Tutsi ? Vous avez une idée du nombre
de gardiens qui sont partis ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient plus ou moins trois, car lorsque les trois sont partis, ils ont dit
que les Tutsi en question étaient partis.
Président : Est-ce que vous avez su si des gardiens de prison ont participé à l’attaque contre le camp
de MURAMBI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne sais pas, je me suis enfermé car lorsqu’on est à l’intérieur de la
prison, on ne peut pas savoir ce que quelqu’un de l’extérieur a fait.
Président : Est-ce qu’a l’intérieur de la prison on pouvait écouter la radio ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, il y avait une radio de prison.
Président : Quel type de radio ? Radio Rwanda ? RTLM [5] ? Radio du FPR

[6]

)?

Jean de Dieu HABINSHUTI : Radio Rwanda.
Président : Est-ce que pendant cette période du génocide, les familles étaient autorisées à rendre
visite aux détenus?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, ce n’était pas possible.
Président : Est-ce que vous connaissez un ancien détenu qui s’appelle Aloys MUSABYIMANA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne le connais pas.
Président : Un détenu qui s’appelait Célestin RUSANGANWA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Comme nous étions nombreux, il n’était pas facile de connaitre le nom
de quelqu’un.
Président : Le nom de Vénuste MUNYENTWALI, ça ne vous dit rien ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, je le connais.
Président : Est-ce qu’il venait avec vous faire des travaux à l’extérieur ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, lui il restait à l’intérieur de la prison, incarcéré.
Président : Comment s’effectuait le choix de qui pouvait aller à l’extérieur et qui restait à l’intérieur de
la prison ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : On devait soit avoir été condamné à une peine légère, soit ne pas avoir
encore été jugé.
Président : Donc, dans un premier temps, vous allez sortir et ramasser ces cadavres dans les bois
autour du camp de gendarmerie, il y avait beaucoup de cadavres ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Pas beaucoup, environ 30.

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Fosse commune de Cyanika, similaire à celles de Murambi.
Président : Qu’avez-vous fait de ces cadavres ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous les avons déposés à MURAMBI où on avait mis les autres.
Président : Est-ce qu’ensuite vous avez déplacé les cadavres à MURAMBI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, nous les avons sortis des maisons pour les mettre dans une fosse
qui avait été creusée.
Président : Il y avait beaucoup de cadavres ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Enormément.
Président : En dehors des prisonniers, est-ce qu’il y avait d’autres personnes qui venaient faire ce
travail ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, que des prisonniers.
Président : Combien de prisonniers ont participé à cette tâche ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : A peu près 80 prisonniers.
Président : Est-ce que certaines personnes trouvées sur place étaient encore vivantes ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.
Président : Est-ce que certaines personnes avaient encore leurs vêtements ou est-ce qu’on leur avait
pris leurs vêtements ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : On avait enlevé tous les habits.
Président : Et, tout ceux qui avaient été amenés avec les réfugiés, leurs affaires, l’argent qu’ils
pouvaient avoir ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous n’avions rien trouvé sur place, hormis les corps.
Président : Est-ce qu’il restait du bétail ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, même pas une marmite, même pas une assiette, nous n’avions rien
trouvé. Même pas de nourriture.
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Président : Combien de fois êtes-vous venu à MURAMBI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Pour aller nettoyer, ramasser les corps, uniquement trois.
Président : trois fois, donc trois jours de suite ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Après la gendarmerie, nous avons enchainé directement par MURAMBI.
Après trois jours, nous étions déjà relâchés, nous avions déjà tout fait.
Président : Est-ce que quand vous faites ce travail, on vous dit que vous allez être récompensés ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, c’était tout simplement des tâches de prisonniers.
Président : Est-ce que vous avez vu des engins intervenir ? Des bulldozers ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Sauf alors un engin qui est venu tout au début creuser la fosse où on
mettait ces corps.
Président : Pouvez vous décrire cet engin ? Vous savez d’où il venait ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Il provenait du service Ponts et Chaussées du MINITRAPE [7], à
GIKONGORO.
Président : Et les camions, parce que j’ai cru comprendre qu’il y avait des camions, pouvez-vous les
décrire ? Savez-vous d’où ils provenaient ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous nous sommes servis d’un seul camion, celui-là a servi au transport
des corps, il venait du MINITRAPE à la préfecture.
Président : Est ce qu’en dehors de MURAMBI, vous êtes allés à d’autres endroits où il y avait des
cadavres à ramasser ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Sauf alors dans les alentours de l’évêché à la paroisse de GIKONGORO.
Président : Qu’est ce qu’il y avait aux alentours de l’évêché ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : On y avait tué les Tutsi. Mais, d’autres prisonniers sont allés également
ramasser les corps à la paroisse de CYANIKA, mais moi je n’y suis pas allé.
Président : Pourquoi n’y êtes vous pas allé ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : J’étais allé ramasser ceux de la paroisse.
Président : Est-ce que vous pouvez nous dire à quel moment exactement vous avez vu le préfet
Laurent BUCYIBARUTA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Quand je l’ai vu, j’étais à la gendarmerie, j’étais avec le capitaine
SEBUHURA.
Président : Avez-vous entendu ce qu’ils se sont dit ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je n’entendais pas, j’étais loin d’eux.
Président : Vous connaissiez le capitaine SEBUHURA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne le connaissais pas, mais les gendarmes ont dit que c’était lui le
capitaine et je l’ai vu ainsi.
Président : Est ce que vous avez entendu parler d’un officier qui s’appelait le major Christophe
BIZIMUNGU ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, je ne le connais pas.
Président : Savez-vous faire la différence entre un major et un capitaine ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Celui que vous avez vu, il était capitaine ou major ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, il était capitaine.
Président : Vous avez vu le préfet avec le capitaine SEBUHURA une fois ou plusieurs fois ?
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Jean de Dieu HABINSHUTI : Je l’ai vu cette seule fois, mais lorsque sa voiture passait sur la route, on
disait que c’était le préfet.
Président : La voiture passait souvent sur la route ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Vous savez où il allait ? Simplement à la préfecture ou allait-il ailleurs ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Il quittait la préfecture pour aller à sa résidence.
Président : Alors, est-ce que j’ai bien compris, vous aviez bien indiqué avoir reçu des armes, en
particulier des gourdins, le premier soir lorsque vous avez récupéré les cadavres ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Donc, chronologiquement, il y a l’attaque, le jour de l’attaque vous ne sortez pas et le
lendemain on vous appelle, vous êtes 80 prisonniers pour ramasser les cadavres ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Et, le soir, à ces 80 prisonniers, les gendarmes vont vous donner les armes ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous étions environ 50 à recevoir les armes, un autre groupe était rentré
avant nous.
Président : Donc, c’était après avoir ramassé les cadavres, le premier soir ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : C’est exceptionnel de pouvoir rentrer en prison avec des armes ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Le préfet avait donné l’autorisation, nous étions rentrés avec ces armes
car nous allions les utiliser le soir.
Président : Souvenez-vous du nom du gendarme qui vous dit qu’il y a eu des ordres donnés par le
préfet?
Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est un des gendarmes qui nous supervisaient, ils se relayaient en entre
eux, donc nous ne pouvions pas connaitre leurs noms.
Président : Ce n’est pas le capitaine SEBUHURA qui est venu vous parler ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, il a confié le message aux gendarmes qui nous ramenaient.
Président : Connaissiez-vous le procureur de GIKONGORO ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, je ne le connaissais pas, car ça ne faisait pas longtemps que j’étais
détenu là-bas, je n’avais pas encore comparu au tribunal.
Président : Lorsque vous avez vu le capitaine SEBUHURA parler avec le préfet dans le camp de
gendarmerie, est-ce qu’il y avait d’autres personnes avec eux ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, ils étaient uniquement eux deux.
Président : Est-ce que vous avez déjà vu le préfet au camp de gendarmerie ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je venais à la gendarmerie, mais le préfet n’y arrivait pas.
Président : Comment se passent exactement les meurtres des prisonniers ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : À la prison, on nous a remis le dossier des prisonniers et nous les avons
appelés. Nous les avons fait sortir des blocs où ils logeaient, nous les avons mis à l’endroit où ils
recevaient de la nourriture.
Président : Pouvez-vous être plus précis, qui a remis les dossiers ? On les a remis à qui ? À vous par
exemple ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Dès notre entrée, un gendarme a dit à un surveillant qu’on devait nous
laisser entrer avec ces bâtons, car ce soir-là on devait les utiliser pour tuer les Tutsi. Immédiatement, le
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surveillant est allé au secrétariat. Il a demandé au secrétaire de lui remettre le dossier des Tutsi, ce qu’il
a fait. Le surveillant les a remis au chef des prisonniers, le Kapita.
Président : Vous, vous étiez Kapita ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : J’étais policier chargé de la sécurité.
Président : Je veux essayer de comprendre. Parmi les prisonniers, il y avait le Kapita et en dessous de
lui, il y avait d’autres prisonniers chargés de la sécurité ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, exactement, il y avait des Kapita, des sous-Kapita et aussi des
policiers.
Président : Souvenez-vous du nom de ce Kapita ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne peux pas me souvenir de son nom, ça fait trop longtemps.
Président : Donc, quand le Kapita avait reçu ces dossiers, il y avait une liste avec ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, on lui a donné le dossier et après qu’il l’ai reçu, il appelait chaque
prisonnier concerné par son nom. Le prisonnier sortait et nous, nous l’amenions à l’endroit où nous
recevions la nourriture.
Président : Vous dites « nous l’amenions à l’endroit où nous recevions la nourriture ». Est-ce que c’était
un réfectoire, une grande pièce ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : C’était un endroit précis à l’intérieur de la prison de GIKONGORO.
Président : C’était l’endroit où on mangeait ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Est-ce que ces prisonniers étaient attachés ? Est-ce qu’ils se laissaient faire ? Est-ce qu’ils
ont réagi ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous les avions ligotés, quand nous sortions ces Tutsi. Quand on les
sortait, nous leur mettions des liens. Nous désignons chacun un endroit où ils devaient se rendre. Une
fois là-bas, on le frappait avec un gourdin et il mourait immédiatement.
Président : Est ce que vous saviez s’ils se débattaient, est ce qu’ils comprenaient ce qui se passait ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, ils n’ont jamais réagi. Quand ils nous ont vu rentrer avec ces armes,
alors que d’habitude nous ne venions pas avec ces armes, ils ont constaté qu’ils allaient mourir.
Lorsqu’ils ont commencé à les appeler, quand ils ont compris que c’était fini pour eux, ils n’ont jamais
réagi.
Président : Vous avez dit qu’il y avait 60 prisonniers qui ont été tués ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Combien de temps ça a duré ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous l’avons fait pendant environ deux heures.
Président : Donc, le lendemain, un camion est venu pour chercher les cadavres et les amener à
MURAMBI?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : Et ces prisonniers, ils avaient des effets avec eux ? Des livres, des radios, des choses comme
ça ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Quelques détenus se sont emparés de ces effets.
Président : Les deux femmes Tutsi qui ont été tuées, elles ont été tuées en premier, elles ont été tuées
par les surveillants ou par les prisonniers ? Je n’ai pas bien compris.

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Jean de Dieu HABINSHUTI : Les femme ont été tuées les premières. Après qu’on les ait fait sortir, un
surveillant a pris leurs effets et les a tuées. Nous, nous avons tué les prisonniers pendant la nuit, lui
avait tué les femmes quand il faisait encore jour.
Président : Est-ce que vous savez s’il y a eu d’autres moments où on a tué les prisonniers ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, nous avons tué uniquement ceux-là, pour qui on nous avait donné
des listes, il n’y a a eu d’autres tués.
Jean de Dieu HABINSHUTI :
Président : Vous aviez été combien à être libérés ?
Nous tous, sauf les Tutsi que nous avions tués. Nous tous, nous sommes rentrés chez nous.
Président : C’est-à-dire, tous les prisonniers ou ceux qui avaient tué les Tutsi ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Tous les prisonniers sont partis.
Président : Donc, on vous a dit de partir car le FPR [8] arrivait?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Président : On vous a dit qui avait décidé de votre libération ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Le préfet aurait donné l’ordre au Procureur qui lui aussi nous a relâchés.
Président : Avez-vous entendu parler de détenus Tutsi de NYANZA, BUTARE, KIGALI ou d’autres
régions, qui auraient été amenés de GIKONGORO ? Ça vous dit quelque chose ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ceux qui étaient venus de la prison de NYANZA étaient arrivés avant le
génocide et leurs collègues détenus les ont dénoncés, ils avaient dit qu’ils étaient Tutsi, et nous les
avons tués en même temps que les autres.
Président : Est-ce que vous avez su s’il y avait eu trois prêtres qui ont été tués à la prison de
GIKONGORO ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, on les a amenés.
Président : Quand est-ce qu’ils ont été tués ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils ont été tués après que nous ayons tué les prisonniers Tutsi. Puis, on
les a amenés, on a dit qu’ils provenaient de BUTARE, on a dit que eux aussi c’était des Tutsi et qu’il
fallait les tuer et donc on les a tués.
Président : Vous n’aviez pas eu peur de tuer les prêtres ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous avons eu peur, mais comme il s’agissait d’un ordre, on ne pouvait
pas faire autrement.
Président : Qui a donné l’ordre ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : On disait que ces prêtres étaient de BUTARE et qu’ils étaient passés par
la préfecture.
Président : On disait que ces prêtres venaient de BUTARE et étaient passés par la préfecture ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient allés à la préfecture et on les a livrés à la prison.
Président : Est-ce que lorsque vous avez exécuté ces prisonniers, il y a eu des récompenses ? À boire
par exemple ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.
Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Rien.
Président : Comment voyez-vous les choses aujourd’hui ?
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Jean de Dieu HABINSHUTI : Au Rwanda, nous vivons dans l’unité et la réconciliation, assassins et
rescapés, nous vivons en harmonie.
Président : On vous a dit qu’il fallait les tuer car ils étaient Tutsi. Comment concevez-vous la
responsabilité de ceux qui ont donné l’ordre de les tuer car ils étaient Tutsi ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Aujourd’hui, je me dis que ce sont des gens très mauvais, ils nous ont
poussés à nous monter les uns contre les autres, à nous entre-déchirer.
QUESTIONS de la COUR.
Juge Assesseur 1 : J’ai des questions sur la chronologie. Quand vous aviez été entendu par les
gendarmes, comme M. le Président vous avez interrogé sur d’autres personnes tuées en dehors des
jours où la majorité des prisonniers sont tués, il me semble que vous aviez dit que c’était au mois de
mai. Et, vous avez alors évoqué les gens qui venaient de la prison de NYANZA et les prêtres qui
venaient de la prison de BUTARE. Vous avez reconnu avoir participé aux meurtres des prêtres, on est
d’accord ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Juge Assesseur 1 : La cour est saisie du meurtre de ces prêtres et, sauf erreur de ma part, la date c’est
fin mai 1994 ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, ils sont morts après ces autres prisonniers car ils sont arrivés après.
Juge Assesseur 1 : Donc, fin mai 1994 ? Vous êtes toujours détenus à la prison de GIKONGORO ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Juge Assesseur 1 : Moi, je ne comprends pas car vous dites que quand la majorité des détenus sont
tués c’est le 22 avril, après il y a 4/5 jours d’enterrement à MURAMBI et vous dites que 3 jours après
vous êtes libéré. Donc, ça nous fait fin avril/début mai ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Alors, moi je ne me rappelle plus vraiment des dates, des mois, mais
juste de ce que nous avons fait.
Juge Assesseur 1 : Vous, vous ne souvenez pas de la date à laquelle vous êtes libéré ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.
Juge Assesseur 1 : À la prison, il y a eu des meurtres commis à l’initiative des prisonniers, sans ordre
donné ?
Jean de Dieu HABINSHUTI :: Non, ça n’est pas arrivé.
Juge Assesseur 1 : Sur les meurtres des gens de la prison de NYANZA, là vous avez dit que vous n’y
aviez pas participé car vous dormiez, c’est vrai ?
Jean de Dieu HABINSHUTI :: Ils ont été tués en même temps que les autres.
Juge Assesseur 1 : Je ne vous demande pas ça. Je vous demande si vous n’y avez pas participé car
vous dormiez ? Ou peut-être vous y avez participé, je ne sais pas.
Jean de Dieu HABINSHUTI : J’ai participé aux meurtres qui se sont passés à la prison.
Juge Assesseur 1 : Y compris ceux de NYANZA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils étaient avec les autres.
Juge Assesseur 1 : Donc, quand les gendarmes vous demandent qui vous a donné l’ordre de tuer ces
nouveaux prisonniers en faisant référence à ceux de NYANZA, vous répondez : « Il me semble que
personne n’a donné d’ordre, cela s’est fait, je crois à l’initiative des prisonniers qui voulaient éliminer les
Tutsi restants et piller leurs biens. Ce sont encore des prisonniers chargés de la sécurité, qui se sont

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chargés des meurtres ». Moi, j’avais compris que vous étiez quelqu’un chargé de la sécurité intérieure
de la prison.
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je n’étais pas le seul, il y en a d’autres également.
Président : S’agissant des prêtres, est-ce qu’on vous a donné un ordre pour tuer les prêtres ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, nous avons reçu un ordre.
Président : De qui ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est la direction de la prison qui nous a dit « Ces prêtres doivent sortir
comme cadavres ».
Pas de questions des parties civiles.
Questions du ministère public :
Ministère public : Avant de poser les questions, j’aimerais diffuser des documents au dossier afin
qu’on visualise un peu plus – D10518/6. Est-ce que vous pouvez expliquer à la Cour les distances entre
la prison, la préfecture, le camp de gendarmerie, le camp de MURAMBI ?
Donc, la gendarmerie et la prison sont très près. La préfecture est aussi à proximité.
Greffière : Donc, entre la prison et la gendarmerie, il y a environ 400 mètres.
Ministère public : Vous avez vu la carte, vous nous confirmez que tous ces lieux sont extrêmement
proches ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Ministère public : Depuis la prison de GIKONGORO, vous aviez une vue sur l’ETO de MURAMBI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Ministère public : Vous pourriez décrire rapidement comment la prison de GIKONGORO était
organisée ? Lorsqu’on entre, on arrive dans une cour, il y a des bâtiments ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : À l’intérieur de la prison, il y a des bâtiments dans lesquels dorment les
prisonniers et au milieu il y a un espace.
Ministère public : Cet espace, c’est une cour ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est comme entre les chambres, c’est un long couloir.
Ministère public : Ça c’est au niveau du bâtiment où les détenus dormaient, c’est ça ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, mais à l’intérieur, je parle de l’extérieur et entre les bâtiments, il y
avait un espace où nous prenions nos repas.
Ministère public : D’accord. Il y avait aussi un bâtiment de la direction ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Le bureau est à l’intérieur dans la prison.
Ministère public : Où sont situés les cuisines par rapport aux autres bâtiments ? Les cuisines étaient
où ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Les cuisines étaient à l’extérieur de la prison, et la nourriture arrivait dans
des tonneaux.
Ministère public : Quand vous dites à l’extérieur, c’est parce que ce n’est pas dans les bâtiments ?
Vous dites dehors car c’est distinct ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : C’est quand vous n’étiez pas de la prison.
Ministère public : Les cuisines c’est quelque chose d’ouvert ? Car en pensant « prison », on pense
quelque chose de clos ?

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Jean de Dieu HABINSHUTI : Elles étaient dehors, et c’est comme si vous preniez un hangar et vous y
mettiez un réchaud.
Ministère public : Je voudrais revenir sur la date de l’assassinat des trois prêtres, et je vais donc
donner lecture d’extraits du journal de Madeleine RAFFIN – D77 :
mercredi 4 mai 1994: interrogatoire des prêtres.
samedi 7 mai: les prêtres sont emmenés à BUTARE.
14 mai – assassinat des trois prêtres à la prison de GIKONGORO.
Président : Ce n’est pas forcément le jour de la mort, c’est le jour où Madeleine RAFFIN l’apprend.
Ministère public : C’est ce que j’allais préciser M. le Président. Est-ce que cette date du 14 mai
pourrait correspondre à vos souvenirs ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Le problème c’est que je ne peux pas savoir les dates et les mois car, à
cette époque, ça s’est mélangé dans nos têtes. Je suivais les choses qu’on faisait jour après jour.
Ministère public : Après les massacres, auxquels vous reconnaissez avoir participé en prison, est-ce
qu’il y a eu une enquête par le Procureur ? Les attaquants ont été inquiétés ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Nous avons été poursuivis, seulement après que le FPR soit au pouvoir.
Ministère public : Donc, aucune poursuite pendant le génocide, vous êtes libéré en juin et c’est sur
ordre du préfet que cette libération est intervenue ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Ministère public : Dans votre audition, vous avez – D10431 « Question : « Comment saviez-vous que
les gendarmes vous ont libérés sur les ordres du préfet? » Réponse : « C’est ce que nous ont dit les
gendarmes. »
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Ministère public : Vous vous rappelez d’un communiqué, Monsieur ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Le communiqué pour nous relâcher ?
Ministère public : Oui.
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Questions de la défense :
Me LÉVY : J’aimerais revenir sur un point, vous avez indiqué lors de votre audition devant les
enquêteurs français D10431/2 : « j’ai été militaire… à RUHENGERI ». C’est dans une autre préfecture
que GIKONGORO ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Me LÉVY : « J’ai déserté et été arrêté… », vous n’avez pas été à GIKONGORO avant 1990 ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Je ne sais pas quel jour j’ai été arrêté, mais j’ai été arrêté trois jours après
ma désertion.
Me LÉVY : Donc, vous n’aviez jamais vécu à GIKONGORO avant cela, vous étiez au camp de
RUHENGERI ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Me LÉVY : Est-ce que vous avez déjà vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ou sa voiture avant le
génocide ?

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Jean de Dieu HABINSHUTI : Non.
Me LÉVY : Vous dites l’avoir vu au camp de gendarmerie, que vous ne saviez pas que c’était le préfet
mais ce sont les gendarmes qui vous l’ont dit, et de même pour le capitaine SEBUHURA ? Vous n’en
connaissiez aucun des deux ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Me LÉVY : Vous dites que vous étiez assez éloigné et n’entendiez pas ce qui se passait, n’est-ce pas ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Me LÉVY : Vous avez dit que les gendarmes vous avaient dit de tuer les gens dans la prison et que
c’était un ordre du préfet ? C’est ce que vous avez dit.
Jean de Dieu HABINSHUTI : : Oui.
Me LÉVY : Quand vous avez été entendu par les enquêteurs du TPIR [9] en 2002, vous aviez indiqué à
ce sujet – D362 « après l’enterrement des corps, les gendarmes nous ont dit … ». Et quand on a demandé
pourquoi, ils nous ont dit que le capitaine SEBUHURA a dit qu’il fallait tuer tous les Tutsi avec nous ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui.
Me LÉVY : On vous dit que c’est un ordre de SEBUHURA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Ils m’ont interrogé à MURAMBI et sur ce qui se passait à MURAMBI.
Me LÉVY : Et donc, à la prison, vous dites que c’est un ordre du capitaine SEBUHURA et pas le
préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, j’ai dit les deux.
Me LÉVY : Non, quand vous êtes entendu par les enquêteurs français, on vous demande qui a donné
l’ordre et vous dites – D10431/4 « ce sont les gendarmes de MURAMBI … ordre relayé par BIZIMANA,
exécuté par … ». Et on vous repose la question plus loin, et vous répondez affirmativement. Donc, dans
aucune de ces deux auditions, vous êtes interrogé à plusieurs reprises sur l’identité du donneur
d’ordre, et vous ne parlez jamais de Laurent BUCYIBARUTA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Alors, je l’ai dit avant, je l’ai dit lors de mon procès et je l’ai dit
aujourd’hui.
Me LÉVY : Est-ce que c’est un hasard que ce soit seulement le jour du procès, après deux auditions,
que vous modifiez vos déclarations pour orienter des accusations contre Laurent BUCYIBARUTA ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Non, je l’ai mentionné depuis le début, je ne sais pas pourquoi ça n’a pas
été mentionné.
Me LÉVY : Donc, ce sont les enquêteurs du TPIR et les enquêteurs français qui ne l’ont pas noté ?
Jean de Dieu HABINSHUTI : Oui, moi je leur ai dit cela, je ne sais pas pourquoi ils ne l’ont pas noté.
Président : Nous vous souhaitons un bon retour au Rwanda.

Monsieur le président propose que l’on reprenne l’interrogatoire de personnalité de monsieur
Laurent BUCYIBARUTA.
Maître QUINQUIS veut savoir à qui revenait la responsabilité de protéger les populations.
Monsieur BUCYIBARUTA: c’est la communauté internationale qui pouvait secourir les gens à la fin du
génocide. Les organisations ont préféré plier bagage.

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Maître GISAGARA interroge l’accusé sur sa « longue et brillante carrière », soulignant le fait qu’il a
servi plusieurs régimes.
Monsieur BUCYIBARUTA: J’étais fonctionnaire d’un gouvernement. Je ne servais pas un régime.
A la question de savoir si, selon l’expression de monsieur GUICHAOUA, il avait un « léopard » (NDR: un
protecteur qui permet d’accéder à des postes officiels), l’accusé répond qu’il ne connaissait même pas
l’expression.
Maître BIJU-DUVAL intervient pour faire remarquer qu’on n’est plus dans l’interrogatoire de
personnalité.
L’avocat des parties civiles veut savoir si l’accusé a quitté BANGUI avec un visa.
Monsieur BUCYIBARUTA de répondre: « Ca concerne l’administration française. J’ai été accueilli à
Charles de Gaulle. Quand un étranger se présente comme réfugié, il n’a pas besoin de visa. A l’aéroport,
j’ai rencontré quelqu’un des Affaires étrangères qui m’a expliqué la procédure. »
Et comme l’avocat insiste, l’accusé finit par lui dire: « Ca ne vous regarde pas. »
A ce propos, maître GISAGARA va exiger de monsieur le président de lui donner acte concernant
cette réponse. Monsieur le président conteste sa demande qu’il va finir par accepter. Mais, « s’il
vous plait, ne multipliez pas ce genre de procédure » conclura-il.
Maître TAPI interroge l’accusé sur le fait qu’il s’est toujours déclaré « neutre », neutralité qu’il a exigée
de ses subordonnés. « Demander la neutralité en période grave, n’est-ce pas cautionner l’oppresseur? »
Monsieur BUCYIBARUTA se contente de répondre: « J’ai demandé la neutralité à mes collaborateurs.
Certains ne m’ont pas écouté. J’étais fonctionnaire. J’ai fait ce que je pouvais faire, avec mes moyens. »
Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, évoque le fait que la femme de l’accusé est Tutsi, ce qui est
assez répandu à GIKONGORO. De rappeler aussi que, quand le père est Hutu, les enfants le sont aussi.
Monsieur BUCYIBARUTA précise que c’est une loi édictée par la colonisation belge maintenue sous les
différentes républiques. Il ne sait pas de quelle « ethnie » était la femme de SIMBA.

Audition de monsieur Didace HATEGEKIMANA, ancien bourgmestre de RUKONDO, détenu à la
prison de HUYE, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Le témoin n’a pas de déclaration spontanée à faire. Il préfère répondre aux questions qu’on voudra
bien lui poser. Sur questions de monsieur le président, le témoin apportera les précisions suivantes:
« En 1994, j’étais bourgmestre de RUKONDO, dans la sous-préfecture de KARABA. Avec le débauchage et
les changements de partis, les problèmes n’on pas manqués. Avec le multipartisme sont apparus
beaucoup de voyous. Dans ma commune, beaucoup avaient adhéré au PSD [10] dont le président
national, NZAMURAMBAHO, était originaire. Il avait été tué après l’attentat. C’était quelqu’un de droit
qui voulait la démocratie.
En 1994, il y avait entre 14 et 25% de Tutsi, les victimes du génocide. Avant d’être désigné bourgmestre
en 1990,, j’étais enseignant, directeur d’un CERAI [11], une école pour ceux qui n’avaient pas pu continuer
leurs études. A cette époque, Laurent BUCYIBARUTA nous a demandé de ne pas porter les insignes de
notre parti. »

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Avant 1994, le préfet pouvait-il contrôler les bourgmestres, les suspendre en cas de mauvais
comportement?
« C’est une question difficile. Nous ne lui reprochions rien, il trouvait des solutions aux problèmes que
nous lui soumettions. Je ne suis pas bien au courant des responsabilités qui étaient les siennes. »
Le préfet avait-il un pouvoir disciplinaire sur les fonctionnaires?
« Je ne sais pas. Je ne peux répondre qu’en ce qui me concerner. Ma population tutsi a été attaquée et a
trouvé refuge à un mauvais endroit. Je suis allé demander de l’aide à Laurent BUCYIBARUTA. Il m’a
demandé de m’adresser au commandant de gendarmerie qui m’a donné des gendarmes qui sont allés
calmer les troubles. Beaucoup de Tutsi s’étaient rapprochés de la famille de Juvénal KAMONDO, frère de
NZAMURAMBAHO. C’est lui qui m’avait appelé à l’aide. Quand j’arrive à NGARA avec les gendarmes,
vingt-deux Tutsi ont déjà été tués. Mais les tueurs s’étaient enfuis. Il y avait aussi des problèmes à
MAHERESHO où des Tutsi s’étaient réfugiés au Centre de l’église pentecôtiste. J’ai été averti par un
messager envoyé par un député, que ce Centre avait aussi été attaqué. Les gendarmes sont intervenus
mais les tueurs avaient fui. Les blessés ont été transportés à l’hôpital de KIGEME. Le lendemain, je suis
allé voir les pasteurs de la paroisse: il y avait soixante personnes à enterrer. »
Y a-t-il eu des réactions des autorités après l’annonce de ces tueries?
Le témoin n’en a pas eu connaissance. Mais les Tutsi ont bien été tués, leurs maisons incendiées, leur
biens et leur bétail pillés, reconnaît le témoin. Il n’avait pas de relations avec les autres bourgmestres,
ne sait pas comment NGEZAHAYO a réagi après les massacres de KARAMA, ne sais pas non plus ce qui
s’est à CYANIKA. Il a pourtant été condamné pour les tueries de CYANIKA, ce qu’il conteste.
A-t-il rencontré BUCYIBARUTA le 26 avril lors d’une réunion? Le témoin confirme mais ne se souviens
pas si le représentant de la CDR [12] était là.
L’objet de cette réunion?
« Il s’agissait des questions liées à la sécurité et à la punition des responsables des tueries. Le préfet a
parlé. Nous devions nous liguer pour livrer le même message à la population. Ce message a été lu par le
sous-préfet le 29 avril. Je ne sais pas si des bourgmestres, qui devaient délivrer un message de
pacification, ont participé au génocide. Le procureur de GIKONGORO était présent en tant que membre
du Conseil préfectoral de sécurité. Il s’est adressé aux inspecteurs de police judiciaire des communes en
leur demandant de réprimander les fauteurs de troubles afin de ramener la sécurité. »
A-t-on sanctionné les auteurs des massacres?
« Je n’ai pas cessé de parler contre les tueurs et les pillards. nous avons essayé de les arrêter mais en juin,
les autorités ont ouvert les portes de la prison. J’ai su que Aloys KATABARWA se serait caché chez Laurent
BUCYIBARUTA. Il a survécu et mort de maladie plus tard. »
Monsieur le président fait remarquer au témoin que ce monsieur était le chauffeur du préfet.

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« Je ne me souviens pas si c’était son chauffeur. Je n’ai plus revu Laurent BUCYIBARUTA après cette
période, jusqu’au moment où nous avons fui. Je l’ai revu au camp de KASHUSHA, au Zaïre. Nous nous
sommes salués, il m’a demandé si j’avais fui. Nous ne nous sommes plus revus. »
Le témoin ajoute qu’il n’a pas voulu témoigner lors du procès de SIMBA au TPIR [13]. Il craignait des
mesures de rétorsion de la part des autorités rwandaises. Même pour témoigner dans dans le procès
de BUCYIBARUTA, il avait des craintes. Et de revenir sur le cas SIMBA.
« Si quelqu’un m’a posé une question sur SIMBA et que j’ai évoqué des craintes, je me disais que si j’étais
conduit à ARUSHA, on aurait pu penser que j’allais témoigner à sa décharge. Je vous remercie d’avoir
accepté de recevoir mon témoignage. C’est terminé pour moi. »
Le témoin semble pressé de pouvoir retourner dans sa prison de HUYE, comme ont pu le faire les trois
autres prisonniers avec lesquels il est venu dans la capitale.
Une dernière question concernant la réunion du 26 avril. Le Premier Ministre Jean KAMBANDA n’était
pas présent. La réunion qui avait été prévue pour le 29 avril a été reportée en raison de la venue du
Premier Ministre ce jour-là.
Sur question de maître GISAGARA, le témoin se dit avoir été surpris par les attaques perpétrées dans
sa commune. L’avocat lui fait remarquer que ce n’est pas la première fois que des crimes avaient été
commis. Le témoin reconnaît avoir entendu parler de problèmes dans les années 60. Des Tutsi ont bien
été arrêtés aussi en 1990 comme complices, comme Emmanuel TWAHIRWA. Mais ils ne sont pas restés
longtemps en prison. C’est le même procureur qui avait procédé à ces arrestations!
Maître TAPI s’étonne que le témoin ait parlé de « voyous »: « Le Premier Ministre qui a convoqué la
réunion du 29 avril a été condamné, SIMBA a été condamné, les sous-préfets et vous-même avez été
condamnés à de lourdes peines. Vous êtes tous des victimes de la justice? »
Le témoin: « Nous ne sommes pas victimes de la justice, internationale ou autre. Des gens ont été tués
alors que nous avions la charge de leur vie. Il faut tenir compte du peu de moyens dont nous disposions
pour endiguer les problèmes. Nous avons été condamnés à de lourdes peines! Ils auraient dû prendre en
compte notre bonne volonté. J’ai parlé de « voyous » à l’occasion du multipartisme. Ils chantaient
beaucoup en se moquant de HABYARIMANA. »
Au ministère public de s’adresser au témoin. L’avocate générale s’étonne que ce dernier ait pu dire
qu’il ne savait pas quelles étaient les attributions du préfet, lui qui était bourgmestre et donc officier
de police judiciaire.
Le témoin reconnaît qu’il était officier de police judiciaire mais il demande à l’avocate générale de ne
pas oublier qu’il avait été surpris d’avoir été nommé bourgmestre alors qu’il n’était qu’enseignant. Il ne
connaît pas les critères qui ont pu motiver ce choix. Le préfet pouvait bien lui demander d’arrêter des
gens de son secteur, mais il ne l’a jamais fait.
« Le préfet était-il votre autorité? » insiste l’avocate générale.
Le témoin: Si le préfet avait vu un bourgmestre dysfonctionner, il n’aurait pas manqué de la blâmer ou
de lui adresser une remarque. Je pense qu’il été habilité à mettre en place une commission d’enquête.

Page 461 sur 711

Le ministère public: Des témoins de contexte sont venus dire que la notion de pacification était une
formule euphémisée, que c’était en réalité un appel à l’auto-défense civile. Des Tutsi sont sortis de
leurs cachettes et ont été tués. Pour vous, la pacification, c’était quelque chose de faux?
Le témoin: la défense civile avec SIMBA consistait à apprendre le maniement des armes à feu, pas
forcément pour tuer les Tutsi mais pour combattre les Inkotanyi [14]. Mais beaucoup de Tutsi sont
morts.
Le ministère public: D 10949/11. Jean KAMBANDA reconnaît avoir incité, encouragé les préfets, les
bourgmestres à commettre des massacres de Tutsi et de Hutu modérés [15]. Il reconnaît avoir sillonné
les préfectures en félicitant les tueurs. Vous avez une réaction?
Le témoin: Je suis étonné que KAMBANDA ait plaidé coupable. Il pensait peut-être être condamné
moins lourdement.
Le ministère public: Jean KAMBANDA s’est dit fier de GIKONGORO qui a mis en pratique les
directives du gouvernement. C’était un double langage?
La remarque précédente n’obtient pas de réponse du témoin. L’avocate générale voudrait avoir une
précision concernant le rôle de sous-préfet de CYANIKA. D 10468/5. « J’ai appris par le brigadier que le
sous-préfet avait pris en charge des villageois pour les conduire à CYANIKA où ils auraient participé aux
massacres. » Combien y avait-il de policiers communaux?
Le témoin: Il y en avait quatre quand je suis arrivé. La commune avait peu de moyens. On a gardé cet
effectif jusqu’en 1994.
Maître BIJU-DUVAL veut savoir, concernant la lutte contre la délinquance, combien il fallait de
policiers, en temps normal, pour arrêter un criminel.
Le témoin répond que ça dépendait de l’armement du tueur.
Maître BIJU-DUVAL: A partir du 7 avril, les massacres sont commis par des individus ou par des
groupes?
Le témoin: J’ai parlé de voyous.
Maître BIJU -DUVAL se demande comment deux ou quatre policiers pouvaient bien pouvoir arrêter
des bandes de tueurs. Et de conclure: « L’avocate générale vous a beaucoup parlé des déclarations de
KAMBANDA. Ce qui m’intéresse, ce sont les propos de Laurent BUCYIBARUTA et de son message. »
Fin de l’audience.

Audition de monsieur Pascal HABUFITE, témoin cité par la défense.
« Je connais Laurent BUCYIBARUTA depuis 1980. Pendant le génocide, je ne l’ai l’ai vu que les 12 et 13
avril. Je l’ai revu en France, où je suis depuis 2009, en 2011 et plusieurs autres fois. Je l’ai connu comme
un député très sage, réfléchi. On se demandait même parfois s’il n’avait pas été prêtre.
Pendant le génocide, j’habitais KIGALI et dans la nuit du 6 avril ont commencé des massacres et des
pillages. C’était un chaos indescriptible. Je suis parti avec un groupe qui fuyait. Je suis arrivé à
GIKONGORO dans la soirée du 12 avril, après avoir été emprisonné quelques heures à BUTARE. Je
voulais voir Laurent BUCYIBARUTA à son domicile pour lui demander des conseils.

Page 462 sur 711

On a échangé sur la situation à KIGALI et GITARAMA. Il nous a conseillé de ne pas continuer notre route
ce soir-là. Une réunion devait avoir lieu le lendemain, nous pourrions nous insérer dans le convoi qui
nous reconduirait le soir.
il nous a hébergés dans un Centre d’accueil. J’ai vu un homme préoccupé par la situation, un homme
conscient de son incapacité à exercer ses fonctions. Il nous a dit qu’il n’avait plus de moyens et qu’il ne
pouvait rien faire pour nous.
C’était aussi un homme inquiet pour sa femme bloquée à l’Est du pays d’où elle était originaire. J’ai
trouvé bizarre qu’il soit seul à son domicile.
Le lendemain, 13 avril, nous sommes retournés à son domicile. On a aperçu des gens qui s’agitaient sur
une colline d’en face, « probablement des pillards » nous dira-t-il. Le préfet ajoutera: « A GIKONGORO,
j’ai un problème. Il y a un adjoint qui encourage les pilleurs et qui s’oppose aux directives du
commandant. » A mon retour à KIGALI en août, j’apprendrai qu’il s’agissait de SEBUHURA [16].
Après le génocide, j’ai revu BUCYIBARUTA en FRANCE où je suis arrivé en 2009. En 2011, je revois
l’homme que j’ai connu. Beaucoup de Rwandais ont changé dans le mauvais sens mais pas lui. Il n’avait
de haine pour personne, aucune haine à l’égard des Tutsi. Ce n’est pas le monstre qu’on veut présenter.
Je ne dirais pas la même chose sur BINIGA.
Quand je suis arrivé dans mon village natal, les gens avaient déjà été tués. Il régnait un sentiment de
méfiance. Des rumeurs circulaient selon lesquelles des Tutsi voulaient tuer les Hutu, qu’ils auraient creusé
des fosses, qu’on était même allé jusqu’à empoisonné les hosties. Il y avait une foi aveugle dans les
médias, surtout dans la RTLM [17] qui était écoutée du matin au soir. Ce sera l’origine de cette barbarie.
Le pouvoir était dans la rue. Il n’y avait plus aucune autorité. Ce sont les voyous qui faisaient la loi.
Laurent BUCYIBARUTA n’a organisé aucune réunion. Aucune autorité n’a organisé de réunion de la miavril à la mi-août.
Il serait faux de dire qu’aucune autorité n’a participé aux tueries. Mais ce serait injuste de mettre tout le
monde dans le même panier. Il faudrait vraiment chercher à connaître la vérité. »
Monsieur le président va chercher à en savoir un peu plus sur ce témoin quelque peu étonnant. Il était
directeur général au ministère de l’Éducation, travail qu’il retrouvera en 1997, puis jusqu’à son départ. il
est originaire de MUSEBEYA où, il le reconnaît, les tueries commencent très tôt.
Concernant les « rumeurs » dont a parlé le témoin, monsieur le président évoque la notion des
« accusations en miroir ». Monsieur HABUFITE regrette qu’il n’y ait pas eu d’enquêtes, ce qu’il redira à
plusieurs reprises. La pacification? Il n’en a pas entendu parler.
Assesseur 1 : Vous avez visité le Mémorial de MURAMBI? (NDR. Laurent BUCYIBARUTA y est présenté
comme un génocidaire.)
Le témoin: plaidant pour l’accusé, il utilise une expression peu adaptée à la situation: « Je peux donner
ma tête à couper. »
Le témoin aura beaucoup de mal à dire qu’il est Hutu (NDR. Tout le monde l’avait toutefois compris.)
Lors de son déplacement vers GIKONGORO le 12 avril, il ne rencontrera qu’une seule barrière, près de
BUTARE. (NDR. Il y en avait une célèbre à la sortie de KIGALI, à GITIKINYONI, où de nombreux Tutsi
seront tués.) Aucune barrière non plus entre GIKONGORO et MUSEBEYA.

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La planification? « Même à ARUSHA, la planification n’a pas été reconnue. Mais le génocide n’est pas
tombé du ciel, même si ce n’est pas une preuve de planification. J’ai été un des premiers à apprendre
l’attentat contre HABYARIMANA. C’était la fin du monde. J’attendais la mort. »
Maître GISAGARA veut savoir si, le 12, le préfet lui a dit que les gendarmes tuaient.
Le témoin: Il m’a parlé d’un gendarme adjoint.
Maître TAPI: Vous avez dit que, dans le génocide, tout le monde avait changé.
Monsieur le président intervient en rectifiant: « Il n’a pas dit tout le monde. »
Maître TAPI accepte de modifier sa question: Comment savez-vous que Laurent BUCYIBARUTA n’a
pas changé?
Le témoin: Le génocide nous rattrape. J’ai la conviction que Laurent BUCYIBARUTA est resté le même.
Le ministère public: Le 12 avril, Laurent BUCYIBARUTA vous parle des premiers massacres?
Le témoin: Oui, mais il ne me dit pas où ils se produisent.
Le ministère public: Vos relations avec monsieur BUCYIBARUTA sont-elles des relations privilégiées?
Le témoin: Je l’ai vu en 2011, puis à plusieurs reprises. Je l’ai revu à un mariage à ORLÉANS. Je ne dirai
pas que c’est un ami. C’est une connaissance.
Maître BIJU-DUVAL remercie le témoin pour son témoignage.
Monsieur le président clôture l’audience et donne rendez-vous au lundi 21 à 9h30.

Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT
Jacque BIGOT

References
↑1

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑2

MINITRAPE : Ministère des Travaux Publics et de l’Équipement

↑3

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑4

Juvenal HABYARIMANA : Président de la République rwandaise de 1973 jusqu’à son
assassinat le 6 avril 1994. Juvénal HABYARIMANA a instauré un régime à parti unique, le
MRND, discriminatoire à l’encontre des Tutsi et marqué par un favoritisme à l’égard des Hutu
originaires de la préfecture de Gisenyi (Nord), région dont il était originaire. Il a introduit des
quotas ethniques dans l’administration et l’enseignement pour limiter le poids des Tutsi et
laissa la propagande et la haine anti-Tutsi se développer massivement sous son pouvoir,
cf. glossaire

↑5

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

↑6

Radio Muhabura : la radio du FPR(Front Patriotique Rwandais
Page 464 sur 711

↑7

Ibid.

↑8

FPR : Front Patriotique Rwandais

↑9

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑10

PSD : Parti Social Démocrate

↑11

CERAI : Centre d’Apprentissage Rural et Artisanal Intégré

↑12

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑13

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑14

Ibid.

↑15

Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑16

Ibid.

↑17

Ibid.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du lundi 20
juin 2022. J27
21/06/2022

• Audition de monsieur Japhet GATAZIRE, témoin de la défense.
Ancien secrétaire du préfet de GIKONGORO.
• Audition de monsieur Dominique NSABIMANA, témoin de la défense.
Subordonné de monsieur Japhet GATAZIRE;
• Audition de monsieur Nyangezi MASABO, témoin cité par la défense.
En visioconférence de la Belgique.
• Audition de monsieur Fidèle UWIZEYE, fils de monsieur BUCYIBARUTA.

Audition de monsieur Japhet GATAZIRE, témoin de la défense. Ancien secrétaire du préfet de
GIKONGORO.
Le témoin était enseignant. Après deux années d’études, il est devenu fonctionnaire à partir de 1974.
D’abord à la préfecture de CYANGUGU puis, à partir de 1980, à la préfecture de GIKONGORO où il fera
la connaissance de Laurent BUCYIBARUTA à partir de 1992 lorsque ce dernier sera nommé préfet. Il
restera secrétaire de la préfecture jusqu’en 2005.
Sur questions de monsieur le président, le témoin reconnaît qu’à cette époque « les gens n’étaient pas
très épanouis » (sic). Les gens se fréquentaient peu, après le travail, ils rentraient chez eux. Il a connu le
préfet au travail, n’est allé chez lui qu’une seule fois. Il ne pourrait reconnaître ni son épouse ni ses
enfants. Lui-même se considérait comme « un subalterne » et ne pouvait fréquenter le préfet.
« Laurent BUCYIBARUTA vous impressionnait » demande le président?
« Non, c’était un homme simple. »
« Mes fonctions? Je travaillais à la réception et parfois aux archives ordinaires de la préfecture. J’étais
aussi chargé du fonctionnement du secrétariat, j’accueillais les visiteurs et m’occupais du courrier. Quant
aux documents confidentiels, je ne les voyais pendant la guerre (sic), qu’ils soient entrants ou sortants. Les
fax arrivaient soit dans mon bureau soit dans celui du préfet. Pareil pour le téléphone qui fonctionnait
occasionnellement pendant le génocide. »
Monsieur le président interroge ensuite le témoin sur le personnel de la préfecture. Il y avait plusieurs
sous-préfets, un chargé des affaires politiques, Oreste HABINSHUTI, qui sera assassiné, un pour les
affaires juridiques, Pierre-Célestin MUSHENGEZI, parti en exil, Jean-Bosco RUHAMAGAYE, aux affaires
sociales et avec qui il a travaillé. Jean-Baptiste RUSATSI était chargé des affaires économiques: il s’est
réfugié à BUTARE au début du génocide. « Il faisait partie de la catégorie pourchassée » (sic) dira le
témoin, comme gêné de dire qu’il était Tutsi.
Quant aux fonctionnaires tutsi de la préfecture, le témoin reconnaît qu’il y en avait mais qu’ils ne
pouvaient plus travailler. Venir au travail aurait été « suicidaire » pour eux. Il se pourrait que certains se
soient rendus à MURAMBI, mais comme le témoin n’y est jamais allé, il ne peut savoir. Et d’ajouter: « Si

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j’étais allé à MURAMBI, je ne serais pas là devant vous! » (NDR. On se demande pourquoi! Il n’était pas
menacé.) A cette époque, les gens tuaient et pillaient sans être punis.
La campagne de pacification? Le témoin avoue que ça a existé mais, pas plus que les autres, ne s’est
inquiété de savoir ce que les fonctionnaires tutsi étaient devenus.
Aloys KATABARWA, le chauffeur du préfet? Il l’a revu après le génocide. Il était malade.
Des bourgmestres ont été impliqués dans le génocide? Le témoin n’en sait rien. « Ce sont des choses
qui se disaient » se contente-t-il de dire.
Qui a pris la décision d’envoyer un bulldozer pour enterrer les cadavres? « Le préfet n’avait pas de
bulldozer. » C’est le MINITRAPE [1] qui détenait les engins. Il ne sait pas non plus si les prisonniers ont
été réquisitionnés pour l’enfouissement des corps. L’administration pénitentiaire dépendait du
ministère de la Justice.
Pendant le génocide, selon le témoin, aucune administration judiciaire ne fonctionnait. On voyait les
gens incendier, tuer, mais personne n’a jamais été arrêté.
Joseph NSABIMANA? Là encore, « On m’a dit« . Il était Hutu, a tenté de se réfugier à BUTARE et a été
tué, « comme complice du FPR [2]. »
Les armes? Il a entendu dire qu’on en avait distribué. Monsieur le président lit les déclarations que le
témoin a faites devant les enquêteurs du TPIR [3]: « Pendant le génocide (…) quelques hauts cadres
avaient des armes. Certains paysans proches de SIMBA [4] en avaient aussi. Ainsi que plusieurs
bourgmestres et sous-préfets. J’ai vu BINIGA en porter (…) Des armes ont été distribuées à tous les
fonctionnaires. Des autorisations de port d’armes ont été délivrées par le ministre de la défense.
autorisations qui étaient enregistrées à la préfecture. »
Des sous-préfets auraient été impliqués dans les massacres? « Seulement BINIGA qui portait un fusil au
vu de tous. C’est lui qui a supervisé les massacres de MUNINI pendant le génocide. »
SINDIKUBWABO [5]! KAMBANDA [6]! Le témoin ne se souvient pas. Il se rappelle la venue de Callixte
KALIMANZIRA sur la place du marché où il a tenu une réunion juste avant la prise de KIGALI par le FPR.
Par contre, le témoin précise que ceux qui commettaient les massacres ne s’entendaient pas avec
Laurent BUCYIBARUTA. Ils lui reprochaient de cacher des Inyenzi [7] à sa résidence. Par contre, le
colonel SIMBA, qui était présent, a défendu le préfet: il avait une femme et un chauffeur tutsi! Les gens
du MDR [8] n’aimaient pas BUCYIBARUTA pour ces deux raisons. Si le témoin a participé à cette
« réunion », c’est parce qu’il habitait tout près.
L’objet de la réunion? Que les gens s’auto-protègent contre l’insécurité. On disait que l’ennemi avait
envahi le pays et que les gens devaient prendre les armes contre le FPR, et donc contre les Tutsi, selon
certains.
Autre déclaration du témoin devant les enquêteurs du TPIR: « En juin, les massacres à GIKONGORO
sont terminés mais on assassine encore ceux qui cherchaient à s’échapper. Quand on les attrapait, ils
étaient traités comme des complices et tués. » Sur question du président, le témoin précise: « Qu’ils
soient Tutsi ou Hutu qui travaillaient avec les Tutsi. »

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KALIMANZIRA? « Il était secrétaire général au ministère de l’Intérieur, service de l’administration locale.
Il est resté moins d’une semaine à GIKONGORO. Il est parti ensuite à CYANGUGU. Il n’avait pas de
bureau à la préfecture. Il passait et repartait. »
Charles NYANDWI? « Je ne l’ai pas vu à la préfecture. Il a logé à l’hôtel. »
Du côté des gendarmes, le commandant BIZIMANA (en fait BIZIMUNGU) était malade. C’est
SEBUHURA qui dirigeait à sa place. « Je ne sais pas s’il a été impliqué dans les massacres, mais c’étaient
les gendarmes qui étaient « chauds » (sic), qui tuaient et pillaient, dès le début du génocide. »
Le témoin a bien entendu parler d’enfants qui auraient été sauvés par la préfecture. Il donne quelques
détails de l’opération. Ils ont été conduits à NYANZA après la mort de leurs parents. Ce doit être
Laurent BUCYIBARUTA qui les a confiés aux gendarmes.
Le président cite à nouveau des propos tenus par le témoin: « A un certain moment, beaucoup de
réfugiés sont venus dans la cour de la préfecture. A mon avis, des Hutu qui avaient épousé des Tutsi. Ils
n’avaient ni abri ni nourriture. Ils ont été nourris par la CARITAS. Laurent BUCYIBARUTA ne s’occupait
pas d’eux. Aucun réfugié n’a été tué dans la cour de la préfecture. »
Madame l’assesseur va demander au témoin combien de secrétaires travaillaient à la préfecture. Trois
ou quatre, précise-t-il. Le téléphone fonctionnait? Il y avait deux lignes: une dans son bureau et une
dans celui du préfet. Si le préfet était là, le secrétaire lui passait la communication. Sinon, il en référait à
un sous-préfet.
Maître GISAGARA demande au témoin combien de temps il a travaillé à GIKONGORO. Une question
qui irrite monsieur le président car la réponse a déjà été donnée. Ce dernier exige des réponses
courtes et rapides.
Toujours sur questions de maître GISAGARA, le témoin précise qu’il y avait à 50 à 60 fonctionnaires à
la préfecture. L’avocat s’étonne que personne ne se soucie du sort de ceux qui ont disparu. Le
comptable qui é té tué n’a pas été remplacé. Le témoin dit qu’on le payait en lui donnant des haricots.
Par contre il n’est pas au curant concernant la distribution des bons d’essence.
Sur question du ministère public, le témoin dit qu’il n’a pas travaillé le 21 avril. Mais il ne se souvient
pas de la date de la réunion organisée par KALIMANZIRA. Le 3 juin? Le témoin ne se souvient pas.
Maître BIJU-DUVAL sur la réunion au cours de laquelle il a été traité d’Inyenzi : « Ce sont les partisans
du MDR, avec GASANA à leur tête » qui ont utilisé cette expression.
Le rôle de BUCYIBARUTA dans l’évacuation des enfants? Vous avez déclaré: « Je me souviens avoir
révélé au préfet l’existence d’enfants menacés. Le préfet a aussitôt donné des ordres aux gendarmes
d’évacuer ces enfants. »
Le témoin de répondre: « Je m’en souviens. J’étais chez moi. Un voisin est venu m’avertir que des enfants
étaient en danger près de la prison. Deux filles. J’ai appelé la gendarmerie. On m’avait donné un numéro
de téléphone: je suis tombé sur BUCYIBARUTA qui a donné des gendarmes pour les protéger. »

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Etonné de l’explication, monsieur le président demande où était le préfet. « A la préfecture » répond le
témoin. Et le président d’ironiser: « Vous ne connaissez pas son téléphone? »
On s’en tiendra là.

Audition de monsieur Dominique NSABIMANA, témoin de la défense. Subordonné de monsieur
Japhet GATAZIRE;
Le témoin travaillait sous les ordres de monsieur GATAZIRE. Il fait quasiment le même travail que lui. Il
a accompagné deux fois le préfet dans des déplacements, dont une fois à NYARUGURU, dans la
commune KIVU, au moment où naissait le multipartisme. Des dissensions étaient nées dans la
population: d’où une insécurité certaine. Le témoin devait prendre des notes en vue de faire un
compte-rendu. Il en était toujours ainsi lorsque les réunions n’étaient pas confidentielles.
Après l’attentat et la diffusion du communiqué qui demandait aux gens de rester chez eux, le témoin
serait tombé malade jusqu’à la mi-mai. Il n’aurait repris le travail qu’en septembre. Toutefois, il se
rendait de temps en temps à la préfecture, mais pas pour travailler. Des réfugiés passaient dans les
bureaux pour demander des attestations afin de pouvoir continuer leur route. C’est un certain Frédéric
qui délivrait ces documents.
Après la commission du génocide, les gens fuyaient, le travail ne se faisait pas, précise le témoin.
Beaucoup de gens avaient peur. L’insécurité régnait.
Il a vu le préfet pendant le génocide. C’était « un travailleur posé, jamais impliqué dans la ségrégation. »
C’était les Tutsi qui étaient persécutés, affirme le témoin. Il s’agissait d’une ségrégation sur base
régionale entre gens du Nord et gens du Sud. « Lui ne prenait partie ni pour les uns ni pour les autres. »
Pendant le génocide, monsieur NSABIMANA n’a pas discuté avec le préfet: « J’étais malade pendant les
massacres. Je ne sais plus quand je l’ai vu pour la dernière fois. »
Monsieur le président lui rafraîchit la mémoire en lisant ses déclarations: « Je l’ai revu une dernière fois
à la chute du régime KAMBANDA, en juillet. Je l’ai vu à la hauteur de la station. Je lui ai demandé si je
devais fuir. « Fuir est une décision souveraine » (personnelle) m’a t-il répondu. Je suis resté, lui est parti. »
« Et la campagne de pacification« ? lui demande monsieur le président.
« Cela ne me dit rien. Est-ce que je confonds avec la défense civile? SIMBA [9] a été envoyé par le
gouvernement dans la province du sud. Il a fait distribuer des armes pour contrer les Inkotanyi [10] qui
approchaient. Personnellement, je ne dirai pas que Laurent BUCYIBARUTA s’est rendu coupable de
génocide. » C’est ce qu’il avait déjà dit devant les enquêteurs.
Maître TAPI veut savoir si on pouvait joindre le préfet au téléphone. Le témoin ne sait pas.
A maître GISAGARA qui demande s’il n’existe aucune preuve pour impliquer le préfet, le témoin
répond que c’est aux juges de se prononcer en fonction des preuves qu’ils reçoivent.
Le ministère public rappelle au témoin ses propos sur les personnes chargées de renseigner le préfet:
« Oui, certainement, le capitaine SEBUHURA était omniprésent. Il circulait partout et devait renseigner le
préfet. » Le témoin confirme: « Je ne peux pas dire que je ne le voyais pas. C’est lui qui était à la tête de
la gendarmerie . Quand j’ai pu sortir, il était toujours là. »

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Maître BIJU-DUVAL répète les propos du témoin: « SEBUHURA devant sans doute renseigner le
préfet. » C’est une déduction de votre part, vous n’avez pas été témoin?
Le témoin: C’est ainsi qu’était l’administration. C’est une déduction, oui.
L’avocat de la défense n’est pas satisfait de la réponse. « Votre réponse n’est pas claire. Vous n’avez pas
été témoin? »
Le témoin: Pas témoin oculaire.
Maître BIJU-DUVAL rappelle les propos du témoin: « Laurent BUCYIBARUTA était calme, impartial.. Il ne
s’est ouvert de ses positions politiques personnelles à personne. C’était quelqu’un de modéré. »
Le témoin confirme.
Maître BIJU -DUVAL enfonce le clou, citant toujours le témoin: « Je ne l’ai jamais entendu faire une
remarque particulière sur les ethnies. Je jurerais qu’il était neutre. Il n’avait rien contre les Tutsi. Je ne l’ai
jamais entendu tenir des propos hostiles au Tutsi. » Vous confirmez.
Le témoin: Je peux le répéter.
L’avocat de la défense semble satisfait de la réponse. À l’instar de monsieur le président, on peut
toutefois se poser la question: « La neutralité, dans une telle situation, est-elle une position tenable? »

Audition de monsieur Nyangezi MASABO, témoin cité par la défense. En visioconférence de la
Belgique.
Le témoin commence par dire qu’il a manifesté le souhait de ne pas être entendu pendant le procès
mais monsieur le président lui signale que c’est à la demande de la défense.
Il connaît Laurent BUCYIBARUTA pour l’avoir vu plusieurs fois, que ce soit à KIBUNGO ou a KADUHA,
dans un cadre professionnel: il s’occupait d’aménagement du territoire.
A GIKONGORO, il le rencontre pendant le génocide. Le témoin quitte KIGALI au début du génocide
pour mettre sa famille à l’abri et décide de se réfugier chez sa mère à KINYAMAKARA. Bien que Hutu, il
se sent menacé. Ils quittent la capitale le 11 avril. A la sortie de KIGALI, au pont de la NYABARONGO,
ils passent la barrière grâce à leur carte d’identité hutu. Il n’y voit aucune exécution de Tutsi.
Passé par RUSATIRA, il se rend donc chez sa mère, à SUMBA, un quartier de GIKONGORO. Il décide de
se rendre à la résidence du préfet auprès duquel il espère obtenir des bons d’essence. En vain, car
l’essence était distribuée par d’autres groupes de pression dont les gendarmes. Monsieur le président
lui rappelle qu’il souhaitait aussi pouvoir téléphoner à l’étranger.
Le préfet lui est apparu comme quelqu’un « d’impuissant » par rapport à ce qui se passait dans sa
préfecture. Sans être un intime du préfet, ce dernier se laisse aller à quelques confidences, ce qui
interroge monsieur le président. « C’était dans l’air du temps, dira le témoin. Il ne se méfiait pas de
moi. »

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A ce moment-là, les maisons ne brûlaient pas encore sur les collines, c’est le lendemain qu’il verra cela,
de chez sa mère. Les responsables des troubles étaient les gendarmes.
Monsieur le président lit un extrait du livre de Alison DES FORGES, Aucun Témoin ne doit survivre [11],
(page 366), concernant ces événements:
« A Kinyamakara. deux gendarmes qui se présentèrent comme des responsables de la sécurité.
parcoururent la région en appelant la population à attaquer les deux mille Tutsi de la commune. Ils
agirent discrètement, parlant à des petits groupes de personnes ici et là, plutôt que d’organiser un
rassemblement public. Ils dirent aux Hutu que s’ils ne brûlaient pas les maisons des Tutsi, les gendarmes
reviendraient brûler toutes les maisons, parce qu’étrangers à la région, ils seraient incapables de
distinguer la maison d’un Hutu de celle d’un Tutsi. Des assaillants n’ayant pas réussi à
venir à bout de la population – hutu comme tutsi – d’une colline de la commune de Karambo, qui avait
pris la défense d’une femme tutsi, se retirèrent pour revenir le lendemain accompagnés de la
gendarmerie, avec l’intention de reprendre l’attaque.
Pendant ces premiers jours d’incendies, de pillages et de tueries, une certaine confusion régnait sur la
question de savoir qui serait pris pour cible. Les gens ayant appris très vite que des responsables
gouvernementaux hutu et membres du MDR [12], du PSD [13] et du PL [14] avaient été tués à Kigali, la
population crut dans un premier temps que les partisans locaux de ces partis allaient être aussi
attaqués. »
A la question de savoir si c’est la situation qu’il a connue, si c’est ce dont il a parlé avec le préfet, le
témoin répond « à côté de la plaque »: « Laurent BUCYIFARUTA n’était pas en mesure de contrôler quoi
que ce soit, il ne maîtrisait rien. Il était très calme, on le prenait volontiers pour un prêtre. Je l’ai vu entre
le 11 et le 18 avril. Il était dépassé, inquiet pour sa femme qui était retenue dans l’Est du pays. »
Sur question de monsieur le président, le témoin répond qu’il ne savait pas que sa femme était Tutsi
mais il connaissait l’endroit où elle était retenue.
Monsieur le président continue sa lecture. A l’évocation d’une situation rendu très grave par les
agissements d’un gendarme, le témoin nomme le capitaine SEBUHURA qu’on aurait surnommé
SATAN, se souvient-il. Après cette visite, le témoin n’a pas revu le préfet. Il décidera de rentrer à KIGALI
en août: c’est à cette occasion qu’il sera arrêté.
Autre extrait de l’ouvrage d’Alison DES FORGES:
« Dans les communes de Kivu et de Kinyamakara de la préfecture de Gikongoro, des soldats ou des
gendarmes organisèrent la foule rassemblée sur le marché et les gens trouvés au bord des routes,
pour attaquer les Tutsi. »
Monsieur MABABO n’en a pas entendu parler.
Puis d’évoquer le rôle du bourgmestre MUNYANEZA. « On dit qu’il a essayé de s’opposer aux violences
au début. Il aurait pris des sanctions contre les fauteurs de troubles. » C’est ce que confirme Alison DES
FORGES:

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« Dans la commune de Kinyamakara, le bourgmestre Charles Munyaneza – supposé être un membre
du MRND [15] – tenta également de mettre un terme aux violences pendant les premiers jours d’avril. Fils
d’une Tutsi, il était connu pour être en bons termes avec les Tutsi. Mais de la même façon qu’à Musebeya,
les chefs politiques locaux étaient fin disposés à agir, si le bourgmestre refusait de soutenir les violences.
Après le passage dans la commune, de gendarmes qui avaient donné à la population le signal de
commencer à massacrer les Tutsi, un chef local du MDR Power aurait lui-même réuni une centaine de
personnes pour qu’elles se livrent aux pillages et à l’incendie des maisons, en commençant d’abord dans
son propre secteur à Kiyaga, puis dans d’autres. Un fonctionnaire, qui fut témoin de la propagation des
violences, fit observer :
«Il y avait déjà eu des massacres à Mudasomwa et personne n’avait réagi. Il y avait eu des tueries à
Nyamagabe et personne n’avait réagi. Des massacres étaient perpétrés à Kivu et à Nshili. il n’est donc
pas surprenant qu’il y en ait eu à Kinyamakara… [Quand les attaques ont commencé] les conseillers
n’avaient pas le pouvoir d’y mettre un terme parce qu’ils n’avaient pas d’armes. Ils ne pouvaient rester au
pouvoir qu’en cautionnant les attaques. Le bourgmestre était le seul qui pouvait s’y opposer parce qu’il
avait des armes à sa disposition. »
Lorsque le bourgmestre tenta de mettre un terme aux tueries, il fut considéré comme « complice » de
l’ennemi. Une foule attaqua sa maison, où il cachait des Tutsi qui avaient fui les massacres de la
commune voisine de Nyamagabe. Munyaneza et ceux qui étaient avec lui réussirent à repousser les
assaillants et cinq d’entre eux furent tués. »
Le témoin avoue ne pas avoir connaissance de ce qui s’est passé à KADUHA. Les réunions de
pacification, ça ne lui dit rien.
Alison DES FORGES:
« Les réunions de « pacification » eurent lieu et le message fut transmis, mais les massacres ne cessèrent
pas pour autant. De surcroît, le message présageait bien souvent de nouveaux massacres, les Tutsi étant
alors incités à sortir de la clandestinité. Dans la commune de Kinyamakara, le bourgmestre tint une
réunion le 29 avril pour annoncer le rétablissement de l’ordre, comme on lui avait demandé de le faire.
Pensant que les directives étaient sincères, un responsable amena son jeune beau-frère à la réunion. Il
avait protégé le jeune Tutsi dans sa maison, laquelle avait été attaquée deux fois. Des chefs anti-Tutsi,
comme le chef local du MDR-Power qui avait lancé la première attaque dans la commune (voir plus
haut), et la jeunesse du MRND voulurent s’en prendre à la fois au responsable et à son beau-frère. Un
témoin déclara :
« Pendant la réunion, quelqu’un a demandé : « Le moment est-il venu d’arrêter les tueries alors qu’il y a
encore des Tutsi en vie ? » Ils n’avaient pas honte de poser de telles questions, même en public. C’était le
moment de tuer. Ils ne réalisaient même pas que c’était un être humain qu’ils étaient en train de tuer. »
En la circonstance, le bourgmestre protégea les personnes visées, annonçant que quiconque les tuerait,
serait poursuivi. Mais après la réunion et la déclaration sur le rétablissement de la sécurité, « les autorités
ont continué de rencontrer les chefs de bande pour organiser la recherche des Tutsi qui restaient ». Dans
bien des cas, les Tutsi qui, après la proclamation de « paix », apparurent au grand jour, furent
immédiatement assassinés. La régularité avec laquelle les tueries suivaient les déclarations de garantie
des autorités, démontre que la promesse de sécurité n’était pas un engagement sincère – que les

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autorités étaient de toute façon incapables de faire appliquer -, mais
qu’il s’agissait plutôt d’une tactique délibérée pour poursuivre le génocide. »
Le président commente et questionne: « Les Tutsi sont immédiatement assassinés. Les promesses de
sécurité, c’était un engagement sincère? Une tactique délibérée? »
Puis page 399, sur les massacres de KADUHA… Allusion au message du président SINDIKUBWABO le
19 avril à BUTARE. MUNYANEZA change complètement d’attitude :
« Le massacre de Kaduha ajouta du poids au message délivré quelques jours auparavant, par
Sindikubwabo. Les responsables civils comprirent et « se soumirent aux militaires » comme le préfet
l’avait conseillé au bourgmestre de Kivu. À Kinyamakara, le bourgmestre qui, se conduisant dans un
premier temps de manière responsable avait tenté de réprimer la violence, devint apparemment un des
meneurs du massacre après le 20 avril. Il relâcha de la prison de Kinyamakara les Hutu qui y étaient
détenus en raison des attaques qu’ils avaient menées contre des Tutsi, puis il aurait mobilisé les Hutu de
sa commune pour mener des attaques au-delà des limites de la préfecture, dans la commune de
Ruhashya à Butare, commune jusqu’alors paisible. Un fonctionnaire déclara ainsi, que « Les violences
étaient surtout le fait des autorités militaires et personne ne pouvait les arrêter. » »
Le témoin semble avoir oublié pas mal d’événements. Il mettra cela sur le compte d’une récente
opération au cerveau. Il s’exprime d’ailleurs parfois avec une certaine difficulté. Il se souvient tout de
même que MUNYANEZA est réfugié actuellement en Angleterre.
« Vous, demande le président, vous avez été poursuivi et arrêté?
« Quand je rentrais à KIGALI, en quittant la Zone Turquoise [16]. On m’a mis des meurtres sur le dos alors
que je n’ai jamais vu de meurtres. On m’a accusé faussement. »
Sur question du président, il se souvient d’un certain JOSUE, un membre de la milice du MRND qui
organisait des perquisitions chez lui à la recherche d’armes.
El la défense civile. SIMBA? Il connaît le colonel mais ne l’a jamais rencontré. IL est d’ailleurs resté chez
lui, pour protéger sa famille comme il le répètera souvent. Ce fut un grave traumatisme pour lui d’être
condamné. Il a fait appel trois fois… Il viendra en BELGIQUE en 2006.
Madame l’assesseur évoque le cas des personnalités importantes assassinées le 7 avril. Qu’en était-il
de son ministre de tutelle?
« Je n’ai pas de nouvelles. Peut-être qu’il a fui? J’ai quitté mon domicile le samedi 9 pour me rendre chez
un ami, Georges GERIN. »
L’assesseur: Vous aviez peur de quoi?
Le témoin: Je ne sentais pas spécialement protégé. Je pensais revenir à KIGALI après avoir mis ma
famille à l’abri.
Maître TAPI: A quelle date rencontrez-vous Laurent BUCYIBARUTA à GIKONGORO?
Le témoin: début avril, après le 11.
Un autre avocat s’étonne qu’il n’ait pas vu de cadavres alors qu’il y a des milliers de morts à MURAMBI,
à CYANIKA et à KADUHA. Il était là pour protéger sa famille!

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Le ministère public veut connaître la distance qui sépare KIGALI de GIKONGORO. Elle propose 150
kilomètres ce que le témoin conteste (NDR. C’est pourtant vrai.)
Puis d’évoquer le rapport d’un certain Gaspard MUSABYIMANA versé par la défense dans
lequel (Dc20/11) il parle de Akazu [17]. On y trouve le nom d’un certain Juvénal MASABO.
Le témoin reconnaît que c’est bien lui mais, contrairement à ce que le ministère public laisse entendre,
il ne faisait pas partie de l’Akazu: « J’ai quitté la Présidence en 1992. » (NDR. Ce qui ne prouve rien, bien
sûr.)
Maître BIJU-DUVAL se contente de remercier monsieur MASABO. Pas sûr qu’il soit très satisfait d’avoir
fait citer un tel témoin.

Audition de monsieur Fidèle UWIZEYE, fils de monsieur BUCYIBARUTA.
« Pendant la guerre, j’étais à la maison » commence le témoin, nous étions en vacances. »
Très vite, monsieur le président questionne le fils de monsieur BUCYIBARUTA sur la composition de
leur famille. Ils étaient huit enfants, deux sont morts au Zaïre dans des conditions que le témoin
ignore. Les autres, dont une seule fille, vivent dans plusieurs lieux de la planète: LIEGE, au Kenya, à
TROYES. Le témoin habite ANNECY, très attristé par la disparition de ses frères. D’ailleurs, ils se voient
peu.
On aborde ensuite la personnalité de sa mère: « Elle est très malade, confie le témoin. Originaire de
BYUMBA, sa famille tutsi a été décimée. » Mais au grand étonnement du président, le témoin avoue ne
pas bien connaître ni les événements qui ont jalonné leur vie familiale, ni un certain nombre de
membres de la famille.
Monsieur le président lit un extrait de la déposition de madame BUCYIBARUTA: « Mon mari n’a pas
ordonné de massacres à GIKONGORO (…) Je suppose que ces massacres ont été commis par des
extrémistes hutu. »
Au début du génocide, sa mère était partie à l’enterrement d’une de ses soeurs, dans la préfecture de
BYUMBA. Elle va rester un temps à RWAMAGANA, chez une de ses soeurs qui est religieuse, après
avoir trouvé refuge à la paroisse de KIZIGURO. Pour pouvoir continuer leur route, elle va décider de
déchirer sa carte d’identité. Elle obtient aussi un laisser-passer du commandant de gendarmerie de
RWAMAGANA. Elle pourra ainsi rentrer à GIKONGORO dans une voiture que son mari lui a envoyée.
Des gendarmes l’accompagnent. Le témoin, quant à lui, a profité de voyage du préfet Godefroid
RUZIDANA, préfet de KIBUNGO, pour rejoindre la capitale le 11 avril.
Voilà donc la famille réunie à GIKONGORO le 19 avril. Sa maman et sa grand-mère maternelle sont
traumatisées.
La pacification? Cela ne dit pas grand chose au témoin sinon que cela donnait la possibilité de sortit.
C’est d’ailleurs au cours d’une de ses sorties qu’il dira plus loin avoir été arrêté et conduit au cachot
communal.

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Maître BIJU-DUVAL intervient pour dire que la pacification voulait simplement dire qu’il fallait arrêter
les massacres. Ce n’était pas pour dire aux Tutsi de sortir de leurs cachettes. « Attention de na pas
déformer le message de la pacification. »
Aloys KATABARWA, le chauffeur de son père, est resté caché chez eux jusqu’à l’arrivée des Français.
Selon sa mère, il n’était resté que trois jours. Et le président de commenter: « C’est difficile de savoir ce
qui s’est passé! »
Le témoin affirme que beaucoup de gens ont défilé au foyer familial, des connaissances de son père,
des Tutsi comme des Hutu. Parmi ces gens-là, un ancien préfet, François NSHUNGUYINKA. Il ne se
souvient pas, par contre, du passage de Jean KAMBANDA, qui l’a noté dans un de ses carnets.
Une rescapée, Chantal MUKAMUNANA, l’aurait vu à une barrière avec son père. « Impossible, j’étais
menacé car mon père était considéré comme un complice des Tutsi. » Et de raconter l’épisode de son
arrestation lors d’une sortie nocturne. Il ne savait pas qu’il y avait un couvre-feu. Un gendarme est
venu le sortir du cachot. Etonnamment, son père n’apprendra l’épisode que beaucoup plus tard.
Comme le faisait remarquer monsieur le président, » il y a un problème de communication dans cette
famille« .
Son père? C’était quelqu’un de bienveillant. Il faisait comme il pouvait. Il n’a jamais fait de distinctions
entre les personnes. A cette époque, tout le monde était angoissé, même lui.
MURAMBI? Le témoin a entendu les grenades. Ils écoutaient Radio Rwanda. Par contre, ce que
diffusait la RTLM [18], « ce n’était pas normal de dire que l’ennemi c’était les Tutsi. » Cette nuit-là, ils se
sont levés au bruit des armes, puis le témoin dit être allé se recoucher.
Concernant leur fuite au Zaïre, ils sont partis séparément. D’abord son frère MODESTE qui était
séminariste. Il est parti de l’évêché et a conduit des fuyards à BUKAVU. Les autres sont partis le même
jour, mais dans des véhicules différents. Le témoin en conduisait un. Seule sa grand-mère est restée à
l’évêché avec des enfants.
A BUKAVU, la vie a été difficile: maladies, violences, camp de réfugiés. Ils sont restés ensemble pendant
deux ans. Le témoin a quitté le Zaïre pour la Zambie. Après avoir eu des informations contradictoires
sur le sort de ses parents, il a finalement appris qu’ils étaient en Centrafrique. Tous se retrouve en
France en 2000.
La vie de ses parents en France? Sa mère était handicapée, papa accusé de choses qu’il n’avait pas
commises. A GIKONGORO des gens témoignaient qu’ils étaient encore en vie grâce à son père Des
tueurs se vantaient et se plaignaient de ne pas avoir pu tuer tout le monde, empêchés qu’ils en avaient
été par les actions du préfet! C’est ce qui se disait au Congo en tout cas. Leur maison n’avait-elle pas
été attaquée et placée sous la protection des Français?
« On est tous des victimes, continue le témoin. On a perdu de la famille des deux côtés. Ce qui me
chagrine, c’est que mon ère soit accusé de choses qu’il n’a pas commises. Il a fait ce qu’il a pu. On le
présente comme un ennemi des Tutsi alors qu’il n’avait pas de haine envers eux. »

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Sur questions de madame l’assesseur, le témoin dit que sa mère n’a jamais fait de différence non plus
entre Hutu et Tutsi. Le couple formé par ses parents? Il était « génial ». Il ne les a jamais entendu se
disputer. Lorsque madame l’assesseur lui révèle les circonstances de la rencontre de ses parents, à la
messe: « Ah mais c’est génial« , s’exclame-t-il. « Nous avons grandi dans la religion catholique. »
Maître PHILIPPART: Vous savez que les Tutsi avaient été envoyés à MURAMBI pour y être protégés. Il
n’a jamais été question que vous y alliez vous aussi?
Le témoin: Je savais que les Tutsi étaient là-bas mais je ne savais pas qui les avait envoyés. Nous
étions en sécurité à la maison. Sortir était dangereux.
Le ministère public: votre père disait que vous pouviez sortir?
Le témoin: oui, à l’arrivée des Français.
Le ministère public: votre père dit à partir du 19 avril! Un témoin a dit que Laurent BUCYIBARUTA
allait à la messe avec ses enfants.
Le témoin: c’est faux.
Le ministère public: quand vous êtes arrêté, vous étiez sorti où?
Le témoin: pour me dégourdir, acheter des cigarettes.
Le ministère public: le couvre-feu était connu?
Le témoin: lorsque les Français étaient là, on pouvait sortir.
Le ministère public: votre père n’a jamais parlé de cette arrestation. Le 21, lors de l’attaque de
MURAMBI, qu’a fait votre père?
Le témoin: il s’est levé et nous a dit de ne pas sortir. On est allés se recoucher. Je ne sais pas ce qu’il a
fait.
A la question de savoir si son père était présent au petit déjeuner, le fils BUCYIBARUTA dit qu’ils ne
prenaient pas le petit déjeuner ensemble.
Commentaire du président dubitatif: « La maison était si grande que vous ne savez pas ce qui s’y
passe! »

L’audience est levée. Rendez-vous donné au lendemain 9h30.

Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

Page 476 sur 711

References
↑1

MINITRAPE : Ministère des Travaux Publics et de l’Équipement

↑2

FPR : Front Patriotique Rwandais

↑3

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑4

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑5

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑6

Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑7

Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande
raciste. Cf. Glossaire.

↑8

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑9

Ibid.

↑10

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑11

Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé
par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999

↑12

Ibid.

↑13

PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté
dans le Sud, voir glossaire

↑14

PL : Parti Libéral. Le Parti Libéral va se scinder en deux fin 1993 : la tendance de son
président, Justin MUGENZI, rejoint le Hutu Power qui traduit la radicalisation ethnique d’une
partie des militants des mouvements politiques. L’autre tendance sera anéantie le 7 avril 1994,
voir glossaire

↑15

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑16

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑17

Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda.
L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de
la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de
l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui

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contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises
d’État. Cf. Glossaire.
↑18

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mardi 21
juin 2022. J28
22/06/2022

• Audition de monsieur Juvénal MUHITIRA, détenu à la prison de NYANZA, cité par le ministère
public.
• Audition de monsieur Jérémiah KAMANA, témoin cité par la défense, en visioconférence des
Etats-Unis.
• Audition de monsieur Jean-Marie Vianney KABANDANA, cité par la défense.
Audition de monsieur Juvénal MUHITIRA, détenu à la prison de NYANZA, cité par le ministère
public.
Détenu à la prison de NYANZA pour génocide et condamné à la réclusion criminelle à
perpétuité, le témoin ne prêtera pas serment dans la mesure où il a été condamné pour des faits
« connexes » à ceux pour lesquels l’accusé est lui-même poursuivi.

En attente de publication. Une audition qui a duré plus de cinq heures.
A lire également dans notre revue de presse : Un témoin doublement capital au procès du plus haut
responsable rwandais jamais jugé en France pour génocide (diffusé sur France Inter le 24 juin).

Audition de monsieur Jérémiah KAMANA, témoin cité par la défense, en visioconférence des
Etats-Unis.
Le témoin ne souhaitant pas faire de déclaration spontanée, il va se soumettre, dans un premier
temps, aux questions de monsieur le président de la Cour d’assises.
Président : Quelle était votre situation en avril 1994 lors de la guerre et du génocide ?
Le témoin : J’étais employé dans l’agence de la Banque Commerciale à GIKONGORO.
Président : C’est une banque publique ou une banque privée ?
Le témoin : C’est une banque privée.
Président : Est-ce que cette banque avait des liens avec l’administration ou avec les établissements
publics ?
Le témoin : Aucun lien du tout.
Président : Est-ce que vous pouvez nous dire si vous vous souvenez, pendant cette période, d’avoir
rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Des rencontres face à face, directement, personnellement, jamais.
Président : Donc, vous le rencontriez personnellement indirectement ?

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Le témoin : Par exemple, quand il y avait des réunions, une fois, je me suis présenté à une réunion
qu’il avait organisée et qui rassemblait les chefs de service. Il y a eu aussi une réunion générale de la
population qu’il a tenue devant population de GIKONGORO sur la place du marché.
Président : Vous l’avez rencontré à deux reprises ?
Le témoin : En tant qu’autorité dans le cadre de réunions, oui. Mais je ne pouvais pas ne pas le voir
quand il venait à la banque toucher son salaire.
Président : Donc, vous l’avez vu à d’autres reprises. Le nombre de fois où vous lui avez parlé ?
Le témoin : Je ne peux pas connaître le nombre de fois qu’il est venu à la banque retirer de l’argent.
Président : Est-ce que, quand il vient à la banque pour toucher son salaire, vous aviez l’occasion
d‘échanger avec lui ou c’était simplement une relation de client ?
Le témoin : Nous nous entretenions.
Président : Au vu de ces contacts, que pouvez-vous nous dire du caractère de Laurent BUCYIBARUTA,
de la façon dont il se comportait ?
Le témoin : J’étais arrivé à GIKONGORO en août 1993 en provenance de CYANGUGU. Le préfet
Laurent BUCYIBARUTA, en réalité, était quelqu’un de bien, nous l’aimions. C’était quelqu’un de simple
qui parlait peu. D’ailleurs, il arrivait que, si on ne voulait pas le nommer par son nom, on le désignait
comme « Padri ». (NDR. C’est ainsi qu’on appelait un prêtre quand on s’adressait à lui ou qu’on parlait
de lui. On pourrait traduire par « mon Père »)Il se comportait vraiment comme un prêtre. Ainsi, je suis
resté avec lui de 1993 à avril 1994, lorsque la situation est devenue mauvaise.
Président : Donc, vous l’avez connu pendant 1 an et 4 mois environ ?
Le témoin : Je dirai 8 mois.
Président : Oui pardon, d’août 1993 à juillet 1994 non ? Est-ce que vous l’avez vu pendant le génocide
ou vous ne l’avez pas vu ?
Le témoin : Oui, pendant le génocide je l’ai vu, c’est à ce moment-là qu’il nous a tenu la réunion de
sécurité en tant que chefs de service sur la place du marché.
Président : Donc, vous parlez d’une réunion de sécurité à laquelle vous avez été convoqué en tant que
chef de service sur la place du marché de GIKONGORO, c’est cela ?
Le témoin : Il s’agit de deux réunions différentes. Concernant celle des chefs de service, nous sommes
allés au bureau. Par contre, pour ce qui concerne la réunion générale à laquelle nous étions avec la
population, celle-ci s’est tenue au petit marché à l’entrée de GIKONGORO.
Président : Le marché de KABACUZI ?
Le témoin : Oui, c’est le petit marché de KABACUZI effectivement.
Président : Est-ce que vous pouvez les dater ?
Le témoin : Je ne m’en souviens pas bien parce que ça fait longtemps. Toujours est-il que, pour la
réunion de sécurité, il nous avait convoqué quand il venait de faire une tournée des communes dont je
ne me rappelle pas car j’étais nouveau à GIKONGORO. La situation avait commencé à se dégrader, les
gens avaient commencé à incendier les maisons des autres et à les tuer. Pour ce qui concerne les deux
réunions, elles se sont déroulées presque au même moment, c’est-à-dire deux semaines après
l’attentat, environ.
Président : Peut-être juste pour essayer de préciser les choses, simplement une question à Laurent
BUCYIBARUTA. Pouvez-vous nous dire s’il y a eu une ou plusieurs réunions au marché de KABACUZI ?
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Laurent BUCYIBARUTA : La réunion avec la population au marché de KABACUZI, il y en a eu une le 3
juin 1994.
Président : Est-ce qu’il y en avait eu une avant ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne m’en rappelle pas.
Président : Est-ce que vous vous souvenez quand a eu lieu la réunion de service à laquelle fait
référence le témoin.
(Le témoin prend la parole) : Moi, je ne me rappelle pas bien, mais ce dont je me souviens, c’est que
pour qu’il y ait cette petite réunion de sécurité à la petite place du marché, on lui a adressé des propos
durs.
Président : On va revenir sur ce qui se passe au cours de cette réunion, pour le moment j’essaye de
les situer, de les dater. C’est pour cela que je me suis adressé à Laurent BUCYIBARUTA pour connaitre
la date de la réunion avec les chefs de service.
Laurent BUCYIBARUTA : Il faut préciser que les réunions qui rassemblaient plusieurs personnes
n’avaient pas lieu dans mon bureau, mais dans la salle du CIPEP, ou j’empruntais une salle au PDAG car
mon bureau était étroit. Je sais que j’ai organisé une réunion des chefs de services, fonctionnaires, au
chef-lieu de préfecture. En plus de cela, les conférences préfectorales, il est possible que Monsieur le
témoin n’ait pas participé à toutes les réunions de la conférence préfectorale. Il y en a eu une le 13
avril, une le 16 et au mois de mai aussi. Mais, cela ne veut pas dire qu’il était là à toutes les réunions
ayant pour objet l’examen de la situation de sécurité. Même si c’est vrai que tous les chefs de services
étaient invités, certains n’étaient pas disponibles pour y assister. Je ne peux donc pas me souvenir à
laquelle il a assisté.
Le témoin : Je ne peux pas savoir. Je n’ai pas dit que c’était dans son bureau. Quand il nous réunissait
c’était autour d’une table.
Président : Donc, vous vous souvenez d’une réunion aux alentours du 13 mai avec Laurent
BUCYIBARUTA, c’était une réunion de chefs de service, c’est cela ?
Témoin : Je me rappelle, je dois avoir participé à celle-là, il venait de faire une tournée dans certaines
communes.
Président : Je précise que vous avez été entendu sur commission rogatoire par les enquêteurs français
(D10738). Vous avez donné des explications sur les deux réunions auxquelles vous dites avoir assisté.
Vous dites s’agissant des réunions préfectorales, « Je pense que je n’ai assisté qu’à une seule réunion, je
ne peux la dater, l’objet était la sécurité. Je me rappelle juste des meurtres de l’école de KIBEHO ». Vous
dites « Je l’ai vu pour la dernière fois après les meurtres de l’école des filles de KIBEHO ».
Le témoin : Ils ont mal pris ce rapport, la personne dont il est question c’est une autre personne et ce
n’est pas le préfet. A l’époque, j’avais été auditionné pour deux personnes dans la même journée. Vous
n’êtes pas là en train de parler du préfet Laurent BUCYIBARUTA.
Président : Expliquez-nous, quand avez-vous rencontré Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Je ne l’ai plus revu, nous ne nous sommes pas revus plus tard. Ceux qui ont rédigé cela ont
confondu les choses.
Président : J’avoue ne pas très bien comprendre. Vous parlez également d’une réunion qui serait
intervenue sur le marché de KABACUZI, et qui avait pour objet de demander à tout le monde, à la
population, de rester calme. De quoi vous souvenez-vous en particulier par rapport à cette réunion ?

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Le témoin : Je me rappelle, en réalité, qu’il ne se reposait jamais, qu’il était tout le temps en
mouvement car la situation n’était pas bonne. Quand il nous a fait cette réunion, il nous appelait à faire
preuve de prudence dans ces moments difficiles. Vers la fin de la réunion, au lieu d’écouter ce qui était
en train de leur être dit, certains ont dit qu’il avait chez lui à la maison des complices. On lui a tenu des
propos qui n’étaient pas des bons propos, des propos méchants, ce qui a fait que de toute ma vie je
n’ai pas oublié cette réunion, même si je ne me souviens pas des dates.
Président : (Lecture de l’entretien) : « Le préfet est intervenu sur la place du marché de ( … ) c’était une
réunion publique rassemblant toute la population ( … ) même si ma femme n’est pas à la maison ( … )
car elle aurait perdu un membre de sa famille ».
Je me demande si vous ne mélangez pas certains souvenirs ?
Le témoin : Je ne mélange pas les choses. Ceux qui ont pris la parole et qui ont tenu de tels propos
sont un certain GASANA, que nous surnommions « BIHEHE », et un certain autre, je crois que c’est
RURANGWA. Ces propos qui lui ont été tenus, c’était qu’il avait chez lui des complices. Peut-être que
celui qui a pris note a utilisé le mot Tutsi. Si vous vous adressez à quelqu’un d’autre présent à la
réunion, ils ont utilisé le mot « complice ».
Président : Est-ce que, pour vous, quand on dit « complice » ça signifie Tutsi ?
Le témoin : Personnellement, je n’utilisais pas souvent ce vocable.
Président : Mais, dans le contexte dans lequel on parle, est-ce que cela peut vouloir dire autre chose
que Tutsi ?
Le témoin : Ça signifiait cela en réalité.
Président : Est-ce que vous vous souvenez qu’il ait parlé de sa femme ?
Le témoin : C’est vrai, mais ce n’est pas lui qui l’avait dit. Par contre, quand nous étions en train de
rentrer, nous disions que ce que les gens avaient dit ne sonnait pas bien dans les oreilles, et je me suis
informé. C’est à ce moment-là, en réalité, que j’ai su que sa femme était Tutsi. Je venais à peine
d’arriver à GIKONGORO, je ne le connaissais pas. Après, des gens m’ont dit que son épouse n’était pas
présente car elle était allée à KIBUNGO pour des funérailles, et le préfet se demandait comment elle
allait revenir quand l’avion a été abattu, car elle n’était pas à la maison.
Président : (Poursuit la lecture). Vous avez expliqué que vous le voyez une seconde fois lors de la
réunion des chefs de service : « Il revenait de KIBEHO où des Tutsi avaient été tués dans une école de
filles (… ) il nous a dit qu’en tant que chefs de service, il fallait être méfiants. ( … ) il voulait que tout le
monde l’aide à assurer la protection de la population ( … ) je n’ai jamais entendu le préfet Laurent
BUCYIBARUTA tenir des propos contre les Tutsi (… ), je ne m’en souviens pas, je ne me rappelle pas ». Estce que cela correspond à votre souvenir ?
Le témoin : Tout ce qui vient d’être dit est vrai. A ce moment-là, quand il nous tenait la réunion, il
nous disait cela, qu’on devait éviter de tomber dans un tel piège. C’est comme s’il nous rappelait que
chacun devait être un œil pour son voisin, être vigilant au bénéfice de son voisin.
Président : D’accord. Chacun devait protéger son voisin ?
Le témoin : Non, pas protéger. Non, en d’autres mots c’était que chacun devait souhaiter que son
concitoyen ait la paix sans le trahir et le dénoncer.
Président : Avez-vous entendu parler d’un gendarme qui s’appelle SEBUHURA ?
Le témoin : Je le connais.
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Président : Que pouvez-vous nous dire de lui ?
Le témoin : Je n’ai pas beaucoup de choses à dire de lui, je venais à peine d’arriver à GIKONGORO, je
n’y avais pas encore passé du temps. Je ne l’ai rencontré que deux fois quand il venait à la banque.
Président : Vous nous dites que votre banque est une banque privée qui n’a aucun lien avec
l’administration. Si vous n’avez aucun lien, comment se fait-il que vous soyez à une réunion de chefs
de service ?
Le témoin : Pour y aller, nous y étions invités car pendant ces périodes extraordinaires, on fait des
choses extraordinaires. Comme la situation était ainsi, je ne pouvais pas rester comme cela inactif à
l’intérieur de mon domicile. J’ai vu des gens invités en tant que chef de service et je suis parti dans ce
cadre-là. Il en est de même de cette réunion au marché. D’habitude, je ne participais pas à ces
réunions de la population. Sinon, compte tenu de la situation, je ne pouvais pas rester passif en qualité
de chef de service, on n’aurait pas pu entendre qu’une réunion avait lieu et manquer d’y participer.
Pour ce qui concerne cette réunion donc, j’y avais été invité en ma qualité de chef de service et c’était
la première fois pour moi.
Président : Est-ce que vous savez ce que sont devenus les comptes en banque des Tutsi décédés
pendant le génocide ?
Le témoin : Personne n’y a touché jusqu’à mon départ en exil.
Président : Mais, vous saviez que certains titulaires des comptes étaient décédés ?
Le témoin : Je ne le savais pas, mais je ne pouvais pas faire comme si je ne le savais pas. J’étais dans
l’impossibilité de dire si un tel ou un tel était décédé car je n’étais pas sur place.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose sur la personnalité de Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Comme je vous l’ai déjà dit, tel que je le connais durant la période que j’ai passé avec lui,
je n’ai jamais entendu un quelconque mauvais mot sortir de la bouche de Laurent BUCYIBARUTA, visà-vis de quiconque pendant le temps que j’ai passé à GIKONGORO.
Questions des parties civiles :
Me QUINQUIS : Une première question pour nous rassurer : quels sont les documents que vous avez
devant vous ? (NDR. Comme nous sommes dans une procédure orale le témoin ne doit pas lire des
notes. Le président peut toutefois l’autoriser à les consulter, sans les lire intégralement.)
Le témoin : J’ai une convocation devant la Cour d’assises de Paris signée par Monsieur le Président, et
l’autre document ,c’est un papier pour prendre en notes.
Me QUINQUIS : Vous avez qualifié, lors de votre audition devant les services de police, Laurent
BUCYIBARUTA de « prêtre »? (NDR. Comme déjà dit, il sera préférable de traduire par « Père« )
Le témoin : C’est vrai.
Me QUINQUIS : C’est un terme qui n’est pas neutre, qui reflète sans doute le respect que vous avez
pour lui et certainement d’une certaine sagesse qu’il a pu manifester de son parcours au RWANDA ?
Le témoin : C’est vrai.
Me QUINQUIS : C’est un terme, vous ne pouvez pas le savoir, qui est aussi apparu dans d’autres
dépositions de témoins. Est-ce que vous direz que c’est un terme utilisé quotidiennement pour
qualifier des autorités publiques au RWANDA ?
Le témoin : Non, ce n’est pas un terme utilisé pour qualifier n’importe qui. On examine le
comportement de la personne, sa façon de parler, et on se disait que celui-là aurait pu être un prêtre.

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Me QUINQUIS : Pendant la période du génocide, est-ce que dans ce que vous avez pu voir et
entendre de l’implication de Laurent BUCYIBARUTA, vous considérez que tout son comportement peut
être qualifié de clérical, de quelqu’un qui a fait preuve de beaucoup de sagesse ?
Le témoin : Nous ne l’avons pas qualifié de prêtre après le génocide, mais c’était avant et je ne pense
pas qu’il était au courant qu’il était appelé comme cela. Non, c’est un terme que nous utilisions pour
ne pas dire son nom. Autrement dit, c’est pour vous dire la sagesse, pour décrire une personne
réfléchie, posée et qui ne peut pas montrer qu’il est en colère, qui ne peut pas parler avec colère.
Me GISAGARA : Vous nous dites que vous avez été convoqué comme chef de service. Pouvez-vous
nous préciser par quel moyen vous avez été convoqué comme chef de service ?
Le témoin : Ce n’était pas par écrit car les temps étaient difficiles, mais je pense que c’était un
collègue, aussi chef de service, qui m’a trouvé dans mon bureau et qui m’a dit qu’on était convoqué,
mais c’était une autre personne qui m’a informé, et quand il me l’a dit il m’a donné aussi l’heure de la
réunion et après ça je suis allé à la réunion.
Me GISAGARA : Vous étiez combien à cette réunion?
Le témoin : Je ne me rappelle pas du nombre. Seulement, nous n’étions pas peu nombreux parce que
nous nous posions des questions sur ce qui se passait. La seule personne qui pouvait nous donner des
informations, c’était le chef de la préfecture, donc tout le monde voulait y aller.
Me GISAGARA : Approximativement combien de chef de services ? 10 ? 20 ? 50 ?
Le témoin : Entre 10 et 15 personnes environ.
Me GISAGARA : Vous avez dit également qu’au cours d’une des deux réunions, le préfet vous avait
mis en garde contre le sous-préfet BINIGA ?
Le témoin : Je n’ai pas utilisé ce langage, je n’ai pas dit les choses comme cela, mais il nous a mis en
garde en disant que les choses qui se passaient là-bas, soit BINIGA était faible, soit il ne mettait pas
plus de forces pour agir.
Me GISAGARA : Est-ce que ces propos sur BINIGA, il les a tenus lors de la réunion des chefs de service
ou lors de la réunion publique ?
Le témoin : Laurent BUCYIBARUTA ne pouvait pas tenir de tels propos publiquement, c’était lors de la
réunion des chefs de services.
Me GISAGARA : Je pense que vous avez anticipé ma question. Est-ce que même si c’était une réunion
de chefs de services, est-ce que dans une réunion de chefs de service il vous semble probable qu’un
préfet puisse se confier à vous du mauvais comportement de l’un de ses subordonnés ?
Le témoin : Dans des temps extraordinaires, où on utilise des règles extraordinaires, il y a des
comportements extraordinaires. Alors je pense que quand il a répondu cela, je pense que les chefs de
service aussi avaient posé des questions. BINIGA représentait le préfet là-bas car il était sous-préfet.
Rappelez-vous que, là aussi, il y avait des sous-préfets qui travaillaient à la préfecture. Lui, il répondait
aux questions qui lui étaient posées par les chefs de service. Dire que BINIGA est faible ou qu’il ne fait
pas ce qu’il devrait faire, il n’y a pas de mystère là-dedans.
Me GISAGARA : Vous avez souvent répété dans vos réponses qu’il s’agissait de périodes difficiles. Estce qu’à votre sens, le préfet, en parlant comme cela de BINIGA dans une réunion où il y a plus de 15
personnes, n’avait pas peur des conséquences sur sa personne ?
Le témoin : Voyez-vous, quelquefois une personne se sacrifie pour les autres ou devient un martyr
pour les autres. À part cela, concernant le sous-préfet BINIGA, d’habitude, le préfet c’est quelqu’un
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qu’on respecte. Ces personnes qui lui ont dit qu’il avait des complices chez lui, ce sont des gens du bas
peuple. Ils ont osé se lever à la réunion quand il était en train de parler, ils ont osé utiliser ces mots. A
part le fait d’être impolis et méprisants, c’était honteux et c’est la raison pour laquelle nous sommes
tous partis, d’ailleurs on s’est dit « mais c’est quel genre de personnes. » On ne savait pas que sa femme
était là. Quand une personne vous disait que vous aviez un complice chez vous à la maison, vous
deviez mourir avant qu’il ne meure. Cela veut dire que même le préfet n’avait pas de sécurité.
Un autre avocat: Nous avons des informations comme quoi l’épouse du préfet était bien chez lui le 3
juin, le jour où s’est tenue cette réunion au marché de KABACUZI. Puisque vous parlez des menaces
d’un certain GASANA et autres, concernant les menaces, comment avez-vous réagi ? Comment le
préfet a réagi ? Est-ce que d’autres personnes ont réagi ? Est-ce qu’il y a eu des perquisitions chez lui ?
Le témoin : Je n’ai jamais dit que la femme du préfet n’était pas à la maison. J’ai dit que quand on
avait abattu l’avion, elle n’était pas à la maison, mais je ne sais pas quand est-ce qu’elle est revenue. Je
sais qu’elle est revenue.
L’avocat: Je vous informe que vous avez des informations concordantes comme quoi l’épouse du
préfet était chez lui le 3 juin. Vous venez nous dire que le préfet était menacé lors de cette réunion par
deux personnes. Ma question est de savoir quelles ont été les conséquences ? Va-t-on fouiller chez le
préfet ? Est-ce qu’on calme la situation ? Comment ça se passe ?
Le témoin : Ça je ne l’ai pas entendu. Je n’ai pas entendu parler d’une fouille chez le préfet.
L’avocat : Vous aviez dit que le préfet a un compte à votre agence de la Banque Commerciale. Est-ce
que d’autres agents de la préfecture, employés ou fonctionnaires avaient des comptes chez vous, dans
votre agence ?
Le témoin : Oui, la plupart car ils étaient payés sur les comptes.
L’avocat : Est ce que pendant le génocide, les gens viennent retirer leur agent ? Est-ce qu’ils sont
payés pendant cette période ?
Le témoin : Certains venaient mais à un moment on n’ avait plus d’argent car l’argent qu’on avait à
l’agence venait de KIGALI.
L’avocat : Est-ce que vous connaissez le comptable Théoneste MUNYEMANA ?
Le témoin : Je ne me rappelle pas du nom, mais comme il venait souvent je me rappelle d’un homme
élancé à la peau foncée.
L’avocat : Vous le connaissez très bien, est-ce qu’il fait partie des chefs de services qui assistent à la
réunion à laquelle vous êtes convoqués ?
Le témoin : Je ne sais pas.
L’avocat : Y a-t-il un chef de service Tutsi à cette réunion ?
Le témoin : Je vais vous dire quelque chose sur moi. Il m’est difficile de regarder quelqu’un et de dire
s’il est Hutu ou Tutsi. D’ailleurs ce vocable, je l’utilise maintenant, mais je ne l’utilise jamais d’habitude.
Ni le ministère public ni la défense ne souhaitent poser des questions au témoin.

Audition de monsieur Jean-Marie Vianney KABANDANA, cité par la défense.
Le témoin était secrétaire de la commune à GIKONGORO pendant le génocide. Il est aujourd’hui
caissier pour un projet de microfinance.
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« Avant 1994, j’étais à GIKONGORO. La situation n’était pas vraiment calme. J’avais peur car on avait
proféré des menaces contre moi. Dès 1990/1991, j’ai été surpris qu’un gendarme vienne me chercher
sous prétexte qu’on avait besoin de moi dans une réunion. On m’a montré des cartes d’identité que
j’aurais tenté de falsifier au bénéfice de « l’ennemi ». Le gendarme m’a violemment giflé deux fois car
j’avais fait remarquer que sur les cartes qu’on me présentait, s’il y avait bien le sceau, il n’y avait pas
l’emblème. J’étais secrétaire de la commune NYAMAGABE depuis 1987. Le bourgmestre était un certain
SEMAKWAVU avec lequel je ne m’entendais pas du tout. Comme j’étais un Hutu de BUTARE, cela ne
pouvait pas le satisfaire. »
Sur question de monsieur le président, le témoin poursuit. « SEMAKWAVU avait des pratiques
discriminatoires envers les Tutsi. Il faisait par exemple arrêter les Tutsi qui violaient le couvre-feu, mais
pas les Hutu. A d’autres occasions, les gendarmes m’ont brûlé avec des braises, m’ont frappé. Vous me
demandez si j’ai porté plainte? Comment aurais-je pu porter plainte. C’est les gendarmes qui m’avaient
frappé. »
« Vous me dites que j’aurais pu en référer au préfet? C’était impossible. Je ne le connaissais pas. Et puis,
j’étais un simple secrétaire. Je ne pouvais pas le faire. On avait peur des autorités. »
Monsieur le président propose de lire ce que le témoin a déclaré aux juges (D10 342/4). Il lui demande
s’il confirme ses propos: « D’abord il (SEMAKWAVU) disait que je n’étais pas natif d’ici. Autre chose, il
disait que j’étais riche et me demandais où je trouvais de l’argent pour mener mes activités. Il a osé dire
que j’avais de l’argent du FPR. Il a essayé de licencier des gens, mais comme mon dossier était toujours
bon, il cherchait à me salir pour m’écarter.. Il a convoqué, le 19 avril, toute al commune avec un micro en
invitant les personnes au bureau communal pour tenir une réunion sur la sécurité. Le lendemain, un
dimanche, je me rappelle, les gens , les gendarmes, les milices sont venus à la commune. A votre
demande, je précise que je n’étais pas à cette réunion. La veille, il y avait un groupe de gendarmes qui
était venu chez moi pour me chercher.. Je me cachais, mais quand ils m’ont aperçu,, ils ont tiré. Je me
suis enfui et caché dans la brousse. Le lendemain, j’observais de loin. (…) et je ne pouvais pas me sauver
car il y avait des barrières. . François MUSAFIRI, un Tutsi, est venu à la réunion mais quand il a vu les
gendarmes avec les fusils et les milices avec des bâtons, il a fui. Il m’a vu de loin et il s’est joint à moi et
nous sommes partis pour se cacher.. Ce jour-là, les gendarmes sont venus chez moi. Comme ils ne m’ont
pas trouvé, ils sont allés à la commune pour me chercher. »
Le témoin confirme ses propos et précise que le 19 avril c’était la veille de la grande attaque à
MURAMBI.
SEBUHURA, il le connaissait. Selon son expression, que madame l’assesseure lui demandera de préciser
plus tard, « c’était le catalyseur » de tout ce qui s’est passé plus tard. C’est à dire qu’il était à la tête des
gendarmes et qu’il était responsable de toutes les mauvaises actions. Il faisait peur à tout le monde.
Monsieur le président évoque ensuite l’épisode qui rapporte le fait qu’il avait recueilli une jeune fille
dont la mère était comme lui originaire de BUTARE. Elle était restée une semaine chez lui puis l’aurait
installée dans une autre famille après le départ des tueurs. Et ceci à quatre reprises. Quand les Français
sont arrivés à MURAMBI, il a tapé à la machine un message pour qu’ils acceptent de prendre
CHANTAL.

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Le président lui demande s’il s’agit bien de Chantal MUKAMUNANA qui a été entendue devant la Cour.
Le témoin confirme et Monsieur LAVERGNE propose de lire le propre témoignage de Chantal qui se
rapporte au même épisode. Sa version est quelque peu différente de celle du témoin mais elle
confirme les dire du secrétaire de la commune de NYAMAGABE.
Une question lui est posée sur les policiers communaux. Il était six qui se relayaient. Il n’ont tué
personne à la commune.
Maître GISAGARA revient sur les propos du témoin. « En la déplaçant, je ne voulais pas la blesser »
avez-vous dit. Qu’entendiez-vous par là? »
Le témoin: Je ne voulais pas la décourager.
Maître GISAGARA: Lorsque vous raccompagnez cette fille, il y a eu une réunion où des propos antiTutsi ont été tenus.. Le préfet dirigeait cette réunion avec la présence d’un ministre venu de KIGALI. On
appelait à tuer les Tutsi?
Le témoin: Les choses n’étaient pas dites ainsi. Tout se faisait par ruse.
Le témoin tient à ajouter quelques mots. « Le préfet doit répondre de ce qui s’est passé dans la
préfecture. Il pourrait aussi demander pardon. Il y a eu beaucoup de victimes.
Le témoin se met alors à pleurer, visiblement ébranlé.
Ce n’est peut-être pas la conclusion qu’attendait la défense qui l’avait fait citer.
Monsieur le président clôture l’audience et donne rendez-vous au lendemain à 9h30. Nous devrions
entendre deux témoins de nouveau cités par la défense, dont un en visioconférence de Belgique. L’aprèsmidi, c’est maître Eric GILLET, avocat des parties civiles en Belgique et membre de la Commission des
Droits de l’Homme qui a enquêté au Rwanda après le massacre des BAGOGWE fin 1992. Monsieur Jean
CARBONARE était membre de cette commission.
Mathilde LAMBERT, stagiaire du CPCR pendant le procès.
Jacques BIGOT, membre du CPCR et responsable de la gestion du site.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mercredi
22 juin 2022. J29
23/06/2022

• Audition de monsieur Venant GAKWAYA, cité par la défense, en visioconférence de Belgique.
• Audition de madame Béatrice KAMPIRWA, citée par la défense, en visioconférence de
Belgique.
• Audition de maître Eric GILLET, à la demande du ministère public.

Audition de monsieur Venant GAKWAYA, cité par la défense, en visioconférence de Belgique.
Le témoin a été juge au Tribunal de Première Instance de GITARAMA jusqu’en 1974, puis
commerçant à BUTARE.
« Je parlerai sans mentir de la manière dont j’ai fait connaissance de Laurent BUCYIBARUTA comme
sous-préfet de BUTARE. C’était un homme juste, intègre, honnête et apprécié de tous.
Candidat à la députation à GIKONGORO, il a été élu par les Hutu et les Tutsi, ce qui prouve qu’il était
apprécié. Cela nous a montré que la population le connaissait comme nous. Il a été élu deux fois mais n’a
pas terminé son deuxième mandat car il sera nommé préfet.
Pendant la guerre (sic), je lui ai téléphoné pour qu’il me contacte dès qu’il arriverait à BUTARE. Je cachais
beaucoup de personnes chez moi, dont une femme et ses trois enfants. Son mari, qui était décédé, était
un Hutu originaire de GIKONGORO. Je voulais qu’il la conduise à GIKONGORO dans sa belle-famille.
La réponse qu’il m’a donnée m’a beaucoup déçu: « Mieux vaut que cette famille reste cachée chez vous.
Je n’ai aucun pouvoir sur les tueurs. Si je la prends, on va la tuer. » Je n’ai pas compris. Il s’est déclaré
incapable de prendre ses responsabilités. Cette femme est restée chez moi avec trente cinq personnes.
Plus tard, je les ai confiés à une ONG, Terre des Hommes, qui les a conduits à BUJUMBURA au Burundi.
Une autre partie des personnes que je cachais, une quinzaine environ, a été confiée aux militaires
français de la zone Turquoise venus évacuer l’évêque de BUTARE, monseigneur GAHAMANYI. Les autres
sont restés chez moi jusqu’à l’arrivée du FPR [1] le 3 juillet.
Je suis alors parti à GIKONGORO où je suis resté une semaine. Je me suis ensuite réfugié à UVIRA, au
Zaïre, pendant deux semaines. Je suis rentré chez moi sans avoir rien à me reprocher. »
Monsieur le président rappelle au témoin qu’il a été entendu par les enquêteurs français (D 10722).
Vous aviez de bonnes relations mais pas de liens particuliers? « Il m’a trouvé une fois à la station
d’essence où je lui ai exposé mon cas. »
Le président: Il avait de la place dans sa voiture?
Le témoin: Oui. Il avait une camionnette. Ce qui l’a empêché de répondre positivement à ma
demande, c’est qu’il pensait ne lui être d’aucune utilité. Cette femme s’appelait Jeanne d’Arc
MUKANGARAMBE. Son mari était professeur à l’Université de BUTARE, puis à KIGALI. Il est mort avant
le génocide. Elle, était Tutsi. Laurent BUCYIBARUTA m’a dit: « Si ces personnes arrivent sur place, on les
tuera. Je n’ai aucun pouvoir sur les tueurs. »
Le président: Vous avez revu Laurent BUCYIBARUTA?
Le témoin: Non. Quand je suis revenu au Rwanda, je suis allé rendre visite à une personne innocente
à la prison de KARUBANDA, à BUTARE. Les militaires m’ont demandé qui je venais voir. J’ai dit que
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c’était une personne qui avait été arrêtée. On m’a aussitôt arrêté et conduit au cachot pendant une
semaine. J’ai ensuite été transféré à la prison de KIGALI. Après trois semaines, un militaire m’a
demandé pourquoi j’avais été arrêté. Le lendemain, il est revenu et j’ai été libéré. C’est RWANGABOBA
Justin que je venais voir. Il est resté dix ans en prison puis a été acquitté. J’ai ensuite été convoqué
devant les Gacaca [2] qui m’ont condamné à perpétuité. En réalité, mes voisins commerçants s’étaient
concertés pour me faire arrêter. Je suis parti au Kenya, mais je revenais de temps en temps au
Rwanda. Je vis en Belgique depuis 2008.
Monsieur le président donne lecture d’un rapport de monsieur André GUICHAOUA: Butare, la
préfecture rebelle. A BUTARE, le PSD [3] s’était beaucoup développé. Beaucoup de commerçants avaient
adhéré à ce parti. Le bourgmestre, Joseph KANYABASHI s’était lui-même rallié au PSD, ce qui était bien
vu par les commerçants. Venant GAKWAYA, juge de canton, faisait partie des personnages importants
de la ville. Un certain Isaac MUNYAGASHAKE avait adhéré au MDR Parmehutu [4]. Ses deux fils étaient
des Interahamwe [5] notoires dont Désiré MUNYANEZA. Mais pour pouvoir bien vivre, mieux valait
adhérer à plusieurs partis. Monsieur Venant GAKWAYA était considéré comme un membre du MDR
Pawa [6].
Président : (D10626) : Il est dit au sujet de Jean-Baptiste SEBARINDA « pendant la guerre il devint un
activiste et gérait le compte de la Défense civile à BUTARE ». Voulez-vous me dire votre rôle dans la
défense civile de BUTARE ?
GAKWAYA Venant : Moi, je n’avais aucun rôle, j’ai été nommé comme secrétaire de la Chambre de
commerce, on ne m’a pas demandé, je n’étais pas à la réunion. Un autre qui a été nommé c’est le
secrétaire Juvénal de BUTARE. Ces personnes ont été nommées par rapport aux fonctions qu’elles
exerçaient. Je n’y ai jamais participé, et je n’ai même pas versé une quelconque cotisation.
Président : Donc, vous êtes Hutu Power par hasard ?
GAKWAYA Venant : Oui, c’est ça.
Président : Donc, pendant le génocide, vous expliquez que vous avez caché trente-cinq personnes
chez vous ou dans des maisons qui vous appartenaient (D10722), et vous avez dit: « Les militaires sont
venus chez moi pour fouiller, mais des fouilles pas très sérieuses car ils n’ont pas trouvé les gens que je
cachais« . Je suis un peu surpris. Monsieur, comment se fait-il qu’une perquisition faite par les
militaires dans la maison où vous accueillez trente-cinq personnes qui s’y cachent, comment se fait-il
que les militaires n’y voient rien ? Expliquez-moi, je ne comprends pas très bien.
GAKWAYA Venant : A ce moment-là, j’étais sorti. J’étais à la station et on m’a dit que les militaires
arrivaient chez moi pour fouiller, perquisitionner mon domicile. Quand je les ai croisés, ils venaient de
terminer, mais ils n’avaient pas fait le tour pour fouiller partout. Autrement, ils les auraient découverts.
Président : Ce que vous expliquez c’est qu’ils n’auraient pas bien effectué leur travail ?
GAKWAYA Venant : Oui, c’est la chance.
Président : Vous avez rencontré le Président intérimaire SINDIKUBWABO [7]) ?
GAKWAYA Venant : Je n’y étais pas, je ne l’avais pas vu.
Président : Vous aviez dit que vous étiez à CYANGUGU. Vous vous déplacez fréquemment pendant
cette période du génocide ? C’était facile de se déplacer ?
GAKWAYA Venant : La guerre a commencé après le départ de SINKUBWABO de BUTARE.
Président : Donc, pour vous, la guerre a commencé après le départ de SINKUBWABO ?
GAKWAYA Venant : Oui, oui avant on était bien.
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Président : Sans problème ?
GAKWAYA Venant : Oui.
Président : Mais CYANGUGU ce n’est pas à BUTARE ?
GAKWAYA Venant : Non.
Président : Est-ce que vous allez à GIKONGORO de temps en temps ?
GAKWAYA Venant : Uniquement de passage.
Président : Alors, pourquoi vous n’avez pas conduit vous-même la veuve et ses trois enfants ?
GAKWAYA Venant : C’était pendant la guerre, c’était difficile.
Président : Jusqu’au 19 avril, ce n’était pas la guerre Monsieur, justement ?
GAKWAYA Venant : C’était la guerre après.
Président : Voulez-vous ajouter autre chose ?
GAKWAYA Venant : Comme je connaissais le préfet Laurent BUCYIBARUTA, comme je le disais, c’est
un homme honnête, bon, il ne pouvait pas tuer. Mais, on n’avait pas confiance en lui car on disait
qu’on le soupçonnait d’avoir caché des Tutsi, on n’avait pas confiance en lui, comme sa femme était
Tutsi. Autre chose, je suis originaire de GIKONGORO et je suis passé par-là, c’était ma commune natale
et on connaît les autorités qui ont participé, mais personne n’a jamais dit chez moi que le préfet
BUCYIBARUTA aurait tué, aurait poussé les gens à tuer. Tout le monde le respectait et avait confiance
en lui. Il était suspecté et on disait qu’il avait caché lui-même des gens chez lui.
Président : Vous êtes déjà allé chez lui ?
GAKWAYA Venant : Non, mais je le connaissais. Je me suis renseigné à propos de lui-même au sujet
du bourgmestre, je me demandais comment celui-là se comportait, comment un tel autre se serait
comporté. Personne ne m’a jamais dit que le préfet Laurent BUCYIBARUTA se serait impliqué dans ces
choses-là.
Questions de la Cour :
Juge Assesseur 1 : La scène où vous demandez au préfet Laurent BUCYIBARUTA de prendre les
enfants dans la voiture pour GIKONGORO, est-ce que vous pouvez la dater ?
GAKWAYA Venant : Au mois d’avril ou au début du mois de mai. Je me souviens du mois mais pas
des dates.
Juge Assesseur 1 : Est-ce que, aujourd’hui, vous regrettez que le préfet n’ait pas pris les enfants dans
sa voiture ?
GAKWAYA Venant : J’ai compris qu’il était incapable.
Juge Assesseur 1 : Non, non. Ma question c’est « vous regrettez » ?
GAKWAYA Venant : La réponse qu’il m’a donnée vraiment je n’ai rien compris. Mais, si j’avais insisté, il
aurait pu les prendre, et les conduire à GIKONGORO, il m’a juste conseillé.
Juge Assesseur 1 : Vous, vous étiez à BUTARE, dans cette préfecture, est-ce qu’il y a eu des massacres
contre les Tutsi ?
GAKWAYA Venant : Oui, oui, et contre les Hutu aussi.
Juge Assesseur 1 : Est ce que vous pouvez dater?
GAKWAYA Venant : Je crois le 20 ou le 21 avril.
Juge Assesseur 1 : Est-ce que le 20 et 21 avril ça a un rapport que le président soit venu le 19 et que
le Préfet HABYARIMANA ait été destitué ?

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GAKWAYA Venant : Le préfet de BUTARE ne voulait pas participer aux tueries. Au début j’étais à
KIGALI et ensuite je suis allé à BUTARE. C’était calme. Si le Président n’avait pas fait ce discours [8], la
guerre n’aurait pas eu lieu à BUTARE, il n’y aurait pas eu de massacres.
Juge Assesseur 1 : Vous êtes à BUTARE dans les jours qui suivent le 20, qu’est-ce qu’on sait ? Qu’estce qu’on dit de l’ancien préfet ? Qu’est-ce qu’on dit de ce qui est arrivé à sa famille ? Sa femme ? Ses
filles?
GAKWAYA Venant : On dit que ce jour-là il a été tué ou un jour après. Sa femme aussi et ses enfants.
Sa femme était Hutu et elle a été tuée. Elles étaient à la maison chez lui.
Questions de la défense:
Me LÉVY : J’aimerais que vous me donniez des précisions sur votre adhésion au parti MDR ? A quel
moment avez-vous adhéré à ce parti ?
GAKWAYA Venant : J’étais opposant comme d’autres. Je participais au MDR [9], mais je soutenais le
PSD [10], le PL [11] car je voulais qu’il y ait un changement.
Me LÉVY : Donc, c’est au début du multipartisme que vous avez adhéré au parti MDR ?
GAKWAYA Venant : Oui.
Me LÉVY : J’aimerais revenir sur un autre point, sur les accusations dont vous avez fait l’objet. Quand
vous êtes rentré au Rwanda, vous avez été arrêté, libéré, est-ce que c’est des années plus tard qu’il y a
eu des accusations contre vous ?
GAKWAYA Venant : Oui.
Me LÉVY : Combien d’années après que ces nouvelles accusations, dénonciations ont eu lieu ?
GAKWAYA Venant : Ils ont commencé en 1997 vers la fin, j’en ai informé le Ministre qu’il y avait des
réunions qui se font et qu’on veut me faire arrêter. Il m’a dit que lui ne pouvait rien faire. Quelques
jours après, le Ministre à qui j’avais parlé, je lui ai exposé ma situation, et il a pris la fuite. Je voyais
quand même que je pouvais être condamné injustement, et donc j’ai pris la décision de m’éloigner un
peu, mais je revenais sur place au Rwanda.
Me LÉVY : Quel est le nom du ministre qui a pris la fuite ?
GAKWAYA Venant : Je ne sais pas.
Me LÉVY : Est-ce que c’est Monsieur NKUBITO ?
GAKWAYA Venant : Non, ce n’est pas lui, c’est l’autre.
Me LÉVY : Donc, vous faites l’objet de nouvelles accusations ? Et vous faites des allers-retours entre le
Rwanda et le Kenya pendant cette période ? Et vous êtes condamné en 2012 ?
GAKWAYA Venant : Oui.
Me LÉVY : Lors de votre audition, on vous avait demandé si vous connaissiez Laurent BUCYIBARUTA et
sa famille, vous avez indiqué que vous connaissiez son épouse, dans quelles circonstances la
connaissez-vous ?
GAKWAYA Venant : Avant qu’il ne soit nommé sous-préfet, je ne le connaissais pas. Mais, après son
élection, j’ai commencé à le connaître.
Me LÉVY : D’accord, mais ma question portait sur l’épouse de Laurent BUCYIBARUTA ?
GAKWAYA Venant : C’est pendant le génocide que j’ai su que son épouse était Tutsi. Avant, je ne
connaissais pas son ethnie.
Président : Je précise que je donnerai la parole à Monsieur Laurent BUCYIBARUTA pour réagir.

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Me BIJU-DUVAL : Je pense que vous avez écouté attentivement la lecture qu’a faite Monsieur le
Président des analyses de Monsieur André GUICHAOUA ?
GAKWAYA Venant : Oui.
Me BIJU-DUVAL : Il ressort des observations de Monsieur GUICHAOUA qu’il dirige contre vous des
accusations qui sont graves, que vous faites partie du MDR Power, que vous auriez financé des
Interahamwe, que vous auriez eu un rôle dans la défense civile. Qu’en est-il réellement ?
GAKWAYA Venant : Comme je l’ai dit, je n’ai pas financé, je n’ai jamais été impliqué dans ça, je n’ai
jamais donné de l’argent. Personne ne pourrait indiquer que j’aurais donné de l’argent à qui que ce
soit et personne ne peut le dire car cela n’a jamais existé.
Me BIJU-DUVAL : Est-ce que oui ou non vous avez joué un rôle dans l’autodéfense civile ?
GAKWAYA Venant : Non, je n’ai rien fait.
Me BIJU-DUVAL : Alors pourquoi GUICHAOUA porte contre vous ces accusations ?
GAKWAYA Venant : La nomination simple car il était indiqué que j’avais accès aux comptes.
Me BIJU-DUVAL : Je comprends que vous avez été nommé sans qu’on vous demande votre avis, estce que vous avez joué un rôle ou c’est une simple nomination ?
GAKWAYA Venant : C’est une simple nomination.
Me BIJU-DUVAL : Qui procédait à cette nomination ?
GAKWAYA Venant : Le sous-préfet de la préfecture.
Me BIJU-DUVAL : En ce qui concerne votre adhésion au MDR, il a été rappelé que vous y avez adhéré
au début du multipartisme et ensuite il est question du MDR POWER. Vous savez que ce sont les
extrémistes Hutu ? Est-ce que oui ou non vous y avez adhéré ?
GAKWAYA Venant : Ça ce n’est pas vrai, quand j’ai vu que les partis ont eu des scissions en leur sein,
moi, je me suis mis de côté et alors ceux qui disent ça, ce n’est pas vrai. Je n’avais aucun intérêt, moi
j’étais commerçant. Je me contentais de mon commerce et je n’avais pas d’intérêt dans ça, j’ai arrêté ce
militantisme par rapport à ceux qui disaient cela.
Me BIJU-DUVAL : Donc, il y a un malentendu, vous n’avez pas fait partie du MDR Power qui se
constituait en juillet 1993 ?
GAKWAYA Venant : Le président Faustin TWAGIRAMUNGU, après qu’il s’est brouillé avec ses
collègues, je n’ai plus fait partie.
Me BIJU-DUVAL : Vous évoquez cette brouille, est-ce qu’on est d’accord que c’était en date du mois
de juillet 1993 ?
GAKWAYA Venant : Comme il en devenait ainsi, j’ai laissé tomber, je n’ai pas pris part à une faction
ou l’autre, j’ai tout abandonné.
Me BIJU-DUVAL : Est-ce que ces accusations de Monsieur GUICHAOUA qui sont portées contre vous,
sont celles que l’on retrouve dans le dossier monté contre vous très tardivement dans les Gacaca ?
GAKWAYA Venant : Il a été mal informé, ce que je dis est vrai, je n’avais plus d’intérêt dans cela, je me
suis mis à l’écart.
Me BIJU-DUVAL : Est-ce que quand vous êtes accusé devant les Gacaca, et vous serez condamné en
2012, est-ce que vous avez connaissance des accusations portées contre vous, portées devant
les Gacaca ?
GAKWAYA Venant : On ne m’a jamais communiqué aucun document, je n’en sais rien. Je leur ai dit
que s’ils avaient envie de le faire, ils pouvaient le faire, mais ils ne m’ont pas convoqué.
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Me BIJU-DUVAL : A quelle date cessez-vous de retourner au Rwanda ?
GAKWAYA Venant : En 2008. Quand j’ai quitté, j’étais malade, j’ai été opéré, maintenant je suis
handicapé, je ne peux aller nulle part.
Me BIJU-DUVAL : Donc, je comprends que pendant les années qui ont précédé votre départ, vous
n’avez pas été inquiété des procédures judiciaires, à part vos péripéties du début ?
GAKWAYA Venant : Non, aucune juridiction ne m’avait poursuivi.
Me BERAHOU : Pouvez-vous donner lecture (D1860 p.597) du livre d’Alison DES FORGES [12] ?
Me BIJU-DUVAL : J’aimerais juste que les ordres de parole soient respectés.
Président : (Précise que Me BERAHOU est dans son droit). Ne vous inquiétez pas, je vous donnerai la
parole.
Lecture d’un passage concernant le financement de l’auto-défense civile demandée par Me BERAHOU :
Kalimanzira et Nyiramasuhuko auraient insisté pour obtenir des contributions généreuses de l’élite
urbaine et intellectuelle de Butare, en vue de financer l’effort d’« autodéfense civile ». Face à leur
insistance et conformément aux instructions nationales, le préfet créa un fonds spécial pour «
l’autodéfense civile », distinct des comptes ouverts précédemment pour la sécurité nationale et locale. Le
Vice-recteur présenta un chèque de l’association d’épargne des employés de l’université pour la somme
conséquente de 6 488 594 francs rwandais (210 000 francs français), comme mentionné plus haut. À la
fin de juin, il y avait près de 12 millions de francs rwandais sur le compte d’« autodéfense civile » dont
quatre millions avaient été versés par les autorités après que le Procureur eut confisqué et vendu les
biens d’un jeune commerçant Tutsi surnommé « Nouveau riche». Le reste provenait essentiellement de
versements effectués par des hommes d’affaires de la région. Parmi les membres du comité qui géraient
ce compte figuraient le sous-préfet Faustin Rutayisire, le Vice-recteur Nshimyumuremyi, Venant
Gakwaya, important homme d’affaires et secrétaire de la Chambre de commerce de Butare, ainsi que
Jean-Baptiste Sebalinda, responsable administratif et financier de la SORWAL. Conformément à la
directive du ministère de l’Intérieur mentionnée plus haut, les fonds devaient servir à l’achat d’armes, de
vivres et de « rafraîchissements » pour les milices.
Lettre du préfet de Butare, Sylvain NSABIMANA, au gérant de la banque au sujet de l’ouverture d’un
compte destiné à « l’autodéfense civile » :
Objet : Demande d’ouverture d’un compte
Monsieur le Gérant,
Le conseil de sécurité préfectorale de Butare a décidé d’ouvrir un compte dans votre Banque,
dénommée « Préfecture Butare – Défense Civile ». Les mandataires sont :
– Monsieur RUTAYISIRE Faustin, Sous-Préfet de Préfecture
– Monsieur MSHIMYUMUREMYI J.Berohimans, Vice-Recteur UNR
– Monsieur S??ALINDA, Chef administratif et financier à la SORWAL
– Monsieur GAKWAYA Venant (alias Socode), Secrétaire de la Chambre de Commerce à Butare.
Ils agiront conjointement trois à trois pour toute opération de retrait,
Je vous demanderais donc de faciliter l’ouverture de ce compte dans votre Banque.
Dans l’attente d’une réponse favorable, veuillez croire, en ma franche collaboration.

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Me BIJU-DUVAL : Avez-vous entendu les deux extraits du livre d’Alison DES FORGES, dont on vient de
donner lecture ?
GAKWAYA Venant : Oui.
Me BIJU-DUVAL : Il y a, dans cet ouvrage, un courrier signé du préfet de BUTARE, Sylvain
NSABIMANA, daté du 15 juin 1994 [13], qui vous nomme au côté de trois autres personnes comme
mandataires du compte dénommé « Préfecture BUTARE, défense civile ». Pouvez-vous nous éclairer
sur cette nomination ?
GAKWAYA Venant : J’ai compris la question. Comme je vous l’ai déjà dit, je n’avais pas été consulté
quand j’ai été nommé. Ensuite, je n’ai fait aucune opération sur ce compte, je n’y ai jamais effectué ni
de versement, ni de retrait, je n’ai rien fait d’autre. Je vous l’avais déjà dit. Ensuite, j’ai été nommé dans
ce comité, c’est suite à ces fonctions que j’exerçais en tant que secrétaire de la Chambre de Commerce,
rien d’autre.
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, souhaitez-vous réagir ?
Laurent BUCYIBARUTA : Merci Monsieur le Président. Je ne réagirai pas sur ce que le témoin a
rapporté. Il a indiqué les circonstances dans lesquelles nous nous sommes connus, en tant que souspréfet de préfecture à BUTARE, je le rencontrais comme je rencontrais d’autres personnes de toutes les
catégories de la préfecture de BUTARE. D’autres points, concernant la dame dont le mari était
originaire de GIKONGORO et qui en 1994 était décédé et la femme était cachée avec ses enfants chez
le témoin. C’est exact, il m’en a parlé et j’ai raisonné sur la question et je me suis dit même si le mari
est Hutu et qu’il ne vit plus, ce serait un risque exagéré que je conduise la dame à GIKONGORO avec
ses enfants car il y avait beaucoup de risques qu’elle soit même tuée en cours de route avant que je
n’atteigne sa famille d’origine à KARAMA, alors je pensais que c’était mieux qu’elle reste cachée là-bas
chez lui car il avait plusieurs immeubles et annexes et qu’il ne manquait pas de place. Donc, au lieu de
prendre des risques pour l’emmener à GIKONGORO là où la sécurité n’était pas très propice, j’ai
préféré lui donner conseil de garder la dame et ses enfants au lieu de circuler avec eux, au risque de
rencontrer même des bandits, soit aux barrières soit en dehors. Voilà c’est ce qu’on a fait.
Président : Donc, c’est après avoir évalué les risques ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, exactement. Je ne me sentais pas la force de protéger les gens comme
je l’aurais souhaité.
GAKWAYA Venant : Finalement, je les ai confiés aux militaires français, qui étaient là et je les remercie
car ils m’ont rendu un grand service.
Président : Est-ce que vous vous souvenez de la date ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne me rappelle pas de la date mais c’est au mois d’avril.
Président : Souvenez-vous si le président avait déjà prononcé son discours ou pas ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je pense que c’est avant, on allait s’approvisionner en essence dans une des
stations services du témoin, mais il fallait aller prendre un bon de rationnement.

Audition de madame Béatrice KAMPIRWA, citée par la défense, en visioconférence de Belgique.
KAMPIRWA Béatrice : Ce que je peux dire, c’est que ça fait longtemps, il y a des choses que j’ai
oubliées, alors je n’arriverai peut être pas à répondre concrètement.
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Président : Vous nous avez dit que vous êtes née en 1968. Donc, en 1994, vous avez 26 ans ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Quelle était votre situation en avril 1994, pendant la période du génocide, pendant la
guerre entre les forces du FPR et les forces des FAR ?
KAMPIRWA Béatrice : J’étais mariée, j’avais un enfant.
Président : Comment s’appelait votre mari ?
KAMPIRWA Béatrice : Emmanuel KALISA, il était commerçant.
Président : Qu’est-il advenu de lui ?
KAMPIRWA Béatrice : Il est mort.
Président : Dans quelle circonstance ?
KAMPIRWA Béatrice : Avec l’histoire qui s’est passée chez nous, des policiers sont venus et ils lui ont
demandé de partir avec eux, il est parti et il n’est plus revenu.
Président : Est-ce que votre mari était Tutsi ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Donc, il était Tutsi, il était commerçant et un jour un gendarme vient le chercher ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Est-ce que vous savez si c’était un gendarme ou un policier communal ?
KAMPIRWA Béatrice : C’était pas un policier communal.
Président : C’était un gendarme ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Savez-vous de qui il s’agit ?
KAMPIRWA Béatrice : Non.
Président : Etiez-vous présent à ce moment ?
KAMPIRWA Béatrice : J’étais dans la maison avec le petit et on lui a demandé de partir et je ne l’ai plus
jamais revu.
Président : Donc, il est sorti de la maison, il est parti avec le gendarme et vous ne l’avez plus jamais
revu ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Savez-vous à quelle date ça se situe ? Après l’attentat de l’avion de HABYARIMANA ? Cette
période est marquée par la date du 6 avril, c’est longtemps après ?
KAMPIRWA Béatrice : Je dirais peut-être mi-avril, je ne me rappelle plus des dates, mais c’était entre
mi-avril et mai.
Président : Vous étiez vous même présente à ce moment-là dans la maison ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Souvenez-vous s’il y a eu une grande attaque contre les réfugiés Tutsi qui étaient à l’ETO
de MURAMBI ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, mais je ne me rappelle plus des dates. Je sais que pendant la nuit, on avait
entendu beaucoup de bruit.
Président : La disparition de votre mari, c’était avant ou après la grande attaque où vous avez entendu
beaucoup de bruit ?
KAMPIRWA Béatrice : C’était après.
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Président : Pouvez-vous nous dire si des parents de votre mari ont disparu ?
KAMPIRWA Béatrice : Non, il n’avait pas de parents, ils sont décédés avant.
Président : Pas de frère ? Des cousins ?
KAMPIRWA Béatrice : Non.
Président : A votre avis, s’il a été arrêté, s’il a disparu, c’était pour quelle raison ?
KAMPIRWA Béatrice : Vu ce qu’il se passait chez nous, que c’était les Tutsi qui étaient visés et qu’il
était Tutsi, certainement on l’a pris à cause de ça.
Président : Vous aviez un enfant à cette époque-là ? Vous aviez eu peur pour cet enfant ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Car si j’ai bien compris les règles de transmission de l’ethnie, c’est que c’était l’ethnie du
père qui était déterminante pour l’ethnicité de l’enfant ?
KAMPIRWA Béatrice : Ils ont pris le père et n’ont pas cherché à comprendre pour l’enfant.
Président : Savez-vous comment on attribuait le caractère ethnique pour chaque individu ? Vousmêmes, vous êtes de quelle ethnie, Hutu ou Tutsi ?
KAMPIRWA Béatrice : Hutu, mon père était Hutu et ma mère était Tutsi.
Président : Normalement, votre fils, il aurait du être considéré comme Tutsi ?
KAMPIRWA Béatrice : Je ne sais pas pourquoi ils ne l’ont pas pris.
Président : C’est simplement pour comprendre comment cela fonctionnait.
KAMPIRWA Béatrice : Oui, la personne prenait l’apparence du père.
Président : Donc, en cas de couple mixte, c’est l’appartenance ethnique du père qui prévôt ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Quelle était votre situation professionnelle en 1994 ?
KAMPIRWA Béatrice : Je travaillais au Parquet. Ça faisait deux ou trois ans. J’avais commencé en
1992.
Président : Quelles étaient vos fonctions au Parquet ?
KAMPIRWA Béatrice : J’étais secrétaire là-bas.
Président : Combien il y avait de secrétaires ?
KAMPIRWA Béatrice : Il y en avait deux.
Président : Combien de magistrats au parquet ?
KAMPIRWA Béatrice : Je m’en rappelle d’un et de l’autre que l’on appelait IPJ.
Président : Est-ce que le nom de Cense SEMIGABO vous dit quelque chose ?
KAMPIRWA Béatrice : C’était le procureur du parquet de GIKONGORO.
Président : Y avait-il un autre magistrat ? Comment s’appelait-il ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, Bosco GAKWAYA.
Président : Que pouvez-vous nous dire sur ces deux magistrats ? Est-ce que le parquet de
GIKONGORO a continué à fonctionner à cette période-là ?
KAMPIRWA Béatrice : Non, le travail s’est arrêté, il n’y avait pas de moyen de travailler.
Président : Cela s’arrête à partir de quand ? De l’attentat de l’avion du Président ?
KAMPIRWA Béatrice : Je ne sais plus exactement.
Président : Souvenez-vous d’avoir entendu l’annonce de la mort du Président HABYARIMANA ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Souvenez-vous d’un communiqué disant aux gens de rester chez eux ?
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KAMPIRWA Béatrice : Non.
Président : Est-ce qu’à un moment quelconque on vous a demandé de retourner travailler ?
KAMPIRWA Béatrice : Non.
Président : Souvenez-vous de la dernière fois que vous avez vu Celse SEMIGABO ?
KAMPIRWA Béatrice : Non, les gens disaient qu’il était parti au CONGO, mais je ne sais pas dans
quelle partie du CONGO.
Président : Savez-vous s’il a travaillé pendant cette période ?
KAMPIRWA Béatrice : Je ne sais pas.
Président : Que pouvez-vous nous dire sur Bosco GAKWAYA ?
KAMPIRWA Béatrice : Il est mort avec sa famille.
Président : Pouvez-vous me dire de quelle ethnie il était ?
KAMPIRWA Béatrice : Il était Tutsi.
Président : Pouvez-vous me dire dans quelle circonstance il est mort ?
KAMPIRWA Béatrice : D’après ce que j’ai entendu dire, les gens sont allés à son domicile. On l’a tué à
son domicile avec sa femme et ses enfants. C’est ce que j’ai entendu.
Président : Est-ce que vous étiez également en contact avec le président ou les juges du tribunal ?
KAMPIRWA Béatrice : Non.
Président : Vous n’étiez pas en contact avec eux au tribunal ?
KAMPIRWA Béatrice : Non, car en général …
Président : Parlez-nous de l’IPJ, c’est l’inspecteur de police judiciaire ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Son nom ?
KAMPIRWA Béatrice : Je sais que l’un s’appelait VÉDASTE, l’autre je ne sais pas.
Président : Qu’est-il devenu ? Il a survécu ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, il travaille au Rwanda, mais je ne sais pas ce qu’il fait, mais il travaille.
Président : Savez-vous s’il a été poursuivi pour avoir participé au génocide ?
KAMPIRWA Béatrice : Je ne sais pas, je n’ai pas de contact particulier avec lui.
Président : Pouvez-vous me dire qu’elles étaient les autres personnes qui travaillaient au Parquet ?
KAMPIRWA Béatrice : Ildephonse KAYIRANGA.
Président : Quelles étaient ses fonctions ?
KAMPIRWA Béatrice : Il était secrétaire.
Président : Pendant la période du génocide, qu’est-il devenu ?
KAMPIRWA Béatrice : Je crois qu’il est mort à MURAMBI.
Président : Il était Tutsi ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Est-ce que votre mari avait été incité, invité à aller à MURAMBI ?
KAMPIRWA Béatrice : Non.
Président : Donc, il était plutôt discret, il essayait de se cacher ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Est-ce que vous avez vu le préfet à un moment quelconque à cette période-là ?

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KAMPIRWA Béatrice : Oui, car j’avais une soeur qui travaillait à BUTARE et malgré que je ne
fréquentais pas beaucoup cette famille, j’ai été chez lui pour lui demander, parce que je savais que ma
soeur aussi était menacée, et donc je lui ai demandé un moyen de protéger ma soeur.
Président : Donc, vous vouliez savoir si c’était possible de protéger votre sœur pour qu’elle vous
rejoigne ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui ,car là où elle était je crois que là-bas c’était très difficile, elle était
menacée.
Président : Est-ce que c’était votre sœur ou demi-sœur ?
KAMPIRWA Béatrice : Demi-sœur. Pas la même mère.
Président : Donc, je suppose que d’un point de vue administratif, elle était Hutu ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, mais ce que je ne vous ai pas dit c’est que les gens pouvaient se tromper
aussi. On peut te voir avec le tien ou avec ton ami et alors on te disait tu es Tutsi alors que tu étais
Hutu, je ne sais pas comment ils distinguaient les gens et donc si tu étais élancé il te disait que tu étais
Tutsi.
Président : Donc, vous aviez peur qu’on la prenne pour une Tutsi pour sa morphologie,
indépendamment du fait qu’elle était Hutu administrativement ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, je ne sais pas si elle avait une carte d’identité.
Président : Quelle était l’activité de votre sœur ?
KAMPIRWA Béatrice : Elle travaillait pour MSF à BUTARE.
Président : Donc, MSF, Médecin sans frontière ? MSF s’est déplacé dans plusieurs endroits de
GIKONGORO ? MSF était présent à BUTARE ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Elle se sentait en insécurité avec les responsables de MSF ?
KAMPIRWA Béatrice : Elle ne se sentait pas forcément en sécurité dans la région.
Président : Donc, vous pensiez qu’elle serait davantage en sécurité à GIKONGORO plutôt qu’à BUTARE
?
KAMPIRWA Béatrice : C’était plus facile d’être à deux, je ne sais pas si c’était plus en sécurité, mais au
moins on est ensemble.
Président : En plus, vous aviez un petit enfant ? Il avait quel âge ?
KAMPIRWA Béatrice : Il avait deux ans, né en 1992.
Président : Quelles sont les démarches que vous avez faites ? Vous vous adressez au préfet, pourquoi
lui ?
KAMPIRWA Béatrice : Comme c’est lui le préfet de la préfecture, j’ai pensé qu’il y a les gendarmes qui
vont assurer la sécurité, et c’est pour ça que j’ai demandé.
Président : Donc, vous êtes allée voir le préfet car vous vous êtes dit qu’il pouvait assurer la sécurité
du transport de votre sœur jusqu’à GIKONGORO ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, c’est ce que je pensais.
Président : Donc, il a été d’accord ?
KAMPIRWA Béatrice : Au début, ce n’était pas facile car il disait qu’il n’y avait pas la sécurité. Puis, à
un certain moment, ma sœur est arrivée chez moi avec d’autres jeunes filles aussi.
Président : Pouvez-vous expliquer comment votre sœur arrive à GIKONGORO et qui sont ces filles ?
KAMPIRWA Béatrice : Je n’ai pas vu ces filles qui travaillaient avec elle.
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Président : Mais c’était des filles Hutu ou Tutsi ?
KAMPIRWA Béatrice : Je ne lui ai pas demandé franchement.
Président : Vous avez su que votre sœur était venue avec des jeunes filles de BUTARE, mais vous savez
si elles travaillaient aussi à MSF ?
KAMPIRWA Béatrice : Non, je ne sais pas non plus.
Président : Donc, vous savez que votre sœur était venue avec trois autres jeunes filles mais elles sont
venues comment ?
KAMPIRWA Béatrice : Elles sont venues ensemble.
Président : Est-ce qu’elles ont fait ce voyage dans des conditions de sécurité ? Dans quelles conditions
?
KAMPIRWA Béatrice : Comme elles étaient avec les gendarmes, j’imagine qu’elles étaient en sécurité.
Président : Savez-vous pour quelles raisons elles ont fait le voyage avec les gendarmes ?
KAMPIRWA Béatrice : Je pense que comme j’avais demandé au préfet s’il pouvait me ramener ma
sœur, comme elles sont venues avec les gendarmes, j’imagine que c’est lui qui les a envoyées les
récupérer.
Président : Vous pensez que c’est le préfet qui a envoyé les gendarmes de BUTARE pour aller chercher
votre soeur et ces filles ?
KAMPIRWA Béatrice : Quand ma sœur est revenue, elles étaient quatre filles.
Président : Est-ce que vous avez vu votre sœur ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Est-ce qu’elle vous a dit que c’était le préfet qui avait dit aux gendarmes d’aller les
chercher ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, c’est ce qu’elle m’a dit.
Président : Est-ce qu’en dehors de ces circonstances vous avez eu l’occasion de revoir le préfet ? De le
remercier ?
KAMPIRWA Béatrice : Non.
Président : Est-ce qu’elle même a revu le préfet ?
KAMPIRWA Béatrice : Elle est restée chez moi, je ne pense pas. Puis, ce n’était pas facile pour nous
d’aller chez lui. En général, si j’étais allée lui demander de l’aide, c’était pour un service. Chez le préfet,
ce n’est pas un endroit comme on peut aller chez un ami.
Président : Vous avez expliqué que vos familles se connaissaient ? Est-ce que j’ai bien compris ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, parce que mes parents se connaissaient, ils étaient des amis. Mais, en
1982, mes parents sont morts et j’ai quitté l’endroit où j’habitais. C’est quand je suis revenue à
GIKONGORO que je l’ai vu.
Président : C’est une famille en qui vous avez confiance ? C’est pour ça que vous allez la voir ?
KAMPIRWA Béatrice : C’est une famille dont nos parents se connaissaient.
Président : Ce qui justifiait des relations de confiance ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
Président : Qu’est ce qu’est devenue votre sœur ?
KAMPIRWA Béatrice : Elle est au Rwanda aussi.
Président : Elle travaille toujours comme infirmière ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui.
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Président : Elle est toujours à KIGEME ?
KAMPIRWA Béatrice : Oui, KIGEME à GIKONGORO.
Président : Etes-vous restée après le génocide ou vous êtes partie ?
KAMPIRWA Béatrice : Moi, je suis partie.
Président : Vous êtes allée où ?
KAMPIRWA Béatrice : Au CONGO.
Président : Vous êtes en BELGIQUE depuis combien de temps maintenant ?
KAMPIRWA Béatrice : Depuis 1998.
Président : Est-ce que vous souhaitez ajouter autre chose ?
KAMPIRWA Béatrice : Non.
Le ministère public: Votre soeur vous a raconté le voyage à GIKONGORO?
KAMPIRWA Béatrice : il y avait des barrières sur la route mais elle ne m’a pas parlé de contrôles.
C’était au mois de mai. Je ne sais pas combien de gendarmes l’ont accompagnée. C’est bien
BUCYIBARUTA qui avait envoyé les gendarmes.
Le président veut interroger le témoin sur la « pacification ». Madame KAMPIRWA ne semble rien en
connaître: « J’ai quitté au mois de juillet. »
La défense n’a pas de questions à poser. Parole est donnée à monsieur Laurent BUCYIBARUTA.
« Je voudrais préciser les circonstances. Nos familles se connaissaient depuis plusieurs années. Je
connaissais sa soeur. j’ai compris qu’elle pouvait être en danger. On pouvait juger quelqu’un sur son
physique. Elle habitait TUMBA. J’ai téléphoné à un officier originaire de GIKONGORO qui se trouvait à
BUTARE. Lui ne pouvait rien faire mais un autre officier pouvait intervenir.. Il s’est arrangé pour trouver
des gendarmes. Je ne pouvais pas faire de réquisitions auprès des gendarmes de GIKONGORO. »
Maître TAPI: Pourquoi Laurent BUCYIBARUTA n’a-t-il pas pu protéger le mari du témoin?
Monsieur BUCYIBARUTA: Il pouvait peut-être mieux se cacher chez des voisins.
Sur question de monsieur le président, monsieur BUCYIBARUTA confirme que le Parquet ne
fonctionnait pas, qu’aucune personne n’a été déférée devant la justice pendant le génocide. Aucun
criminel n’a été arrêté.
Le ministère public s’étonne. « Vous êtes sollicité pour deux cas. Dans un cas vous refusez et dans l’autre
vous acceptez. »
Monsieur BUCYIBARUTA: Les deux cas sont différents.
Le ministère public: Oui, Tutsi vous refusez et Hutu, la soeur du témoin, vous acceptez!

Audition de maître Eric GILLET, à la demande du ministère public.

Je ne connais pas le dossier mais je connais bien le domaine. J’ai étudié dans une certaine mesure les
faits au Rwanda. J’ai été avocat pour les parties civiles devant la Cour d’Assises de Bruxelles, mais
aucun des faits ne concernaient la préfecture de Gikongoro. Le premier grand procès devant la Cour

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d’Assises de Bruxelles concernait la préfecture de Butare. En 1990, juste après le déclenchement de la
guerre j’avais été employé par des personnes emprisonnés. J’a été plaidé au Rwanda pour la libération
de certains d’entre eux et notamment des journalistes. La FIDH m’a demandé de conduire des
enquêtes sur ce qu’il se passait au Rwanda. J’ai co-présidé avec Alison DES FORGES la commission
internationale d’enquête qui en janvier 1993 a enquêté sur les violations des droits de l’Homme
commises dans l’ensemble du pays [14]. Il a une période préalable au génocide qui est très importante,
car c’est la période gestation du génocide. On n’est pas informé depuis l’intérieur du pouvoir de ce
qu’il se passe mais c’est par la suite qu’on va apprendre qu’un cercle de personnes autour du président
HABYARIMANA et que lui-même préparaient un génocide – ce qu’ils appelaient « une solution
finale face à la crise ethnique ». On a aujourd’hui plus d’informations sur ces trois à quatre ans
précédents le génocide et qui ont préparé à mettre en œuvre celui-ci, c’est-à-dire des plans qui
devaient fonctionner ensuite à plus grande échelle. Le président HABYARIMANA était partie intégrante
de la communauté internationale amis également confronté à celle-ci qui l’a poussée à à négocier
diplomatiquement en 1993 [les accords d’Arusha]. Dès 1992 quand les premiers protocoles étaient
signés dans le cadre des discussions avec le FPR, le président les qualifiaient de chiffon de papier – en
novembre 1992 -. On avait déjà à l’époque un Premier Ministre qui n’était pas du bord de
HABYARIMANA car le Rwanda avait été également forcé de s’ouvrir au multipartisme.
(…) le premier discours qui appelaient à massacrer les Tutsi, à les renvoyer chez eux car dans l’esprit
mythique les Tutsi ne sont pas originaires du Rwanda. C’est très tôt dès novembre 1992, qu’on voit
qu’on est sur deux pistes : celle diplomatique à laquelle le pays est contrainte par la communauté
internationale et dans les faits, les déclarations c’est par le cas. On constate que c’est un peu plus tard
qu’en janvier 1993 que les milices Interahamwe commencent à prendre de l’ampleur. On voit bien
qu’on s’apprête à les utiliser comme des milices. Elles sont entraînées dans des camps militaires. Le
rapport que nous avons publié en mars 1993 suite à notre visite du mois de janvier 1993 en parle déjà.
il y avait une autre caractéristique de ces massacres de l’époque. Ce rapport décrivant quel était le
mode opératoire d’un certain nombre de massacres qui s’étaient déjà produits dont l’un d’eux s’était
déjà produits dans le Bugesera et qui fait – dès mars 1992 – préfiguration de la manière dont va se
dérouler le génocide. Il s’agissait d’une articulation de toutes les composantes de l’État pour
commettre « des massacres de masse ». Celui qui ne connaît pas le Rwanda a beaucoup de difficultés
à concevoir l’extrême sophistication administrative de l’organisation du génocide. Le Rwanda était très
structure sur le plan administratif, il était très décentralisé. On commence à voir dès mars 1992 le
mode de fonctionnement. Tous ces échelons de la structure administrative étaient impliqués. On
comptait sur ce que chacun pouvait faire à son niveau pour mettre en œuvre le plan génocidaire. Il y
avait à côté de ça d’autres forces comme la gendarmerie, la police, les médias sous contrôle étatique
qui étaient associés à cette entreprise. Lorsque le processus diplomatique avance, il devient impossible
que la radio nationale participe à la promotion du génocide, raison pour laquelle la RTLM est créée en
1993 et dont le rôle est fondamental dans le génocide [15]. Dès 1992, on voit se créer la thèse selon
laquelle il y avait un complot des Tutsi et du FPR [16] pour commettre un génocide des Hutu. C’est ce
qui déclenchera le massacre de Bugesera en mars 1992. Les Tutsi de cette région avaient été accusés
de comploter.

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En décembre 1992, le président invite l’armée à réfléchir à la notion d’ennemi, qui est un groupe de
réflexion crée et qui produit un document. On assiste pour la première fois à une définition de
l’ennemi. C’est une définition large elle regroupe d’abord les Tutsi ainsi que leurs complices, c’est-àdire que tous ceux qui, au Rwanda, tentent d’éloigner l’attention du conflit ethnique sont considérés
ainsi. Il y a même un certain nombre de personnalités – principalement des hommes d’affaire Tutsi –
désignés comme ennemis du Rwanda. Ce document est important quand on sait ce que la notion
d’ennemi va jouer dans la propagande du génocide. Le but de celle-ci visait à convaincre les Hutu que
l’ensemble des Tutsi était l’ennemi. Au départ, les Tutsi au Rwanda seront appelés les complices et
ensuite on les considéra comme partie intégrante de l’ennemi au même titre que le FPR. On a bien vu
sur le terrain qu’ils en sont ravis considérer qu’ils ne tuaient pas un Tutsi mais qu’ils tuaient un ennemi,
ce qui a fait qu’il n’y a plus aucune relation amicale, professionnelle, famille qui a pu empêcher cela.
On ne tuait pas un Tutsi, on tuait l’ennemi, ce qui était « nécessaire pour retrouver la paix ». Du fait de
l’utilisation de la structure administrative de l’État de l’époque – qui n’était pas monolithique – il y avait
des Hutu qui refusaient de rentrer dans cette logique ethnique. Les massacres de cette époque
épousaient les limites administratives. On a vu la manière dont les massacres se sont déroulaient, et ils
épousaient ces contours, par exemple, les massacres s’arrêtaient d’un secteur à l’autre. On voit bien
qu’il était possible à l’époque et même pendant le génocide de s’opposer à des massacres
commandités par le centre e l’État rwandais. On l’a vu aussi pendant le génocide dans la préfecture de
Butare où le préfet Jean-Baptiste HABYARIMANA a résisté à l’extension du génocide pendant une
quinzaine de jours. Le gouvernement s’est opposé à cette situation et il y a eu une importation
massive des milices de l’extérieur de la préfecture pour conduire des massacres. Le génocide c’est
quelque chose de particulier par rapport à des massacres de masse. C’est vraiment l’idée d’une
solution finale qui est construite et suppose la mise en œuvre de tous les moyens de l’État du fait d’un
systématisme et d’un but poursuivi. Par exemple, dans un précédent procès à Bruxelles, on a eu un
banquier qui a décrit comment les banques ont été impliquées dans le financement du génocide, vu
qu’elles appartenaient tous à l’État. Le but était de financer les commerçants locaux qui disposaient de
camionnettes qui servaient de moyens de transports pour les miliciens. De même des entreprises
publiques à Butare – comme l’usine de fabrication des allumettes – dont le directeur général a été jugé
à Bruxelles – on voyait dans les comptes de cette entreprise comment elle finançait les Interahamwe.
Le génocide a servi certaines entreprises. Chaque jour on découvre le caractère abyssal du génocide et
on ne comprend pas à quel point cela a été organisé de manière profonde dans l’État rwandais. C’est
essentiellement de se rendre compte de ce qu’il s’est passé en amont pour se comprendre que le
génocide n’a rien d’inopiné.
Question du président : ce qui est frappant quand on vous écoute, beaucoup de rescapé quand ils
évoquent cette période d’avril à juillet 1994, ils disent que ce n’était pas très surprenant car ils avaient
déjà dans leur propre famille était victime de meurtres, d’attentats particulièrement sanglants et en
particulier dans la préfecture de Gikongoro. Par exemple, des scènes de massacre à la sortie d’une
messe de Noel en 1963. Ce sont des évènements qui traumatisent une population et qui ont été aussi
traumatisant par le fait que ceux qui s’étaient livrés à ces attaques n’avaient jamais eu à en répondre.
Les irresponsabilités accordées à ces auteurs que certains qualifient déjà de génocide ne pouvaient

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qu’encourager et pousser les auteurs des massacres qui allaient se produire en 1994. Cette histoire
terrible, cette répétition c’est un facteur qui a contribué à enflammer les choses en 1994. ?
Réponse : bien sur car dès les années pré-indépendance il y avait l’idée du système féodal qu’il fallait
renverser. De nombreux Tutsi ont été assassinés et pillés et ont fui le Rwanda. Certains d’entre eux ont
voulu revenir lors de l’indépendance et déjà le pouvoir de l’époque qualifier les Tutsi de l’intérieur de
« complices ». L’État rwandais mobilisait déjà sa population contre les Tutsi de l’intérieur. C’est aussi ça
qui va resurgir au moment où la guerre éclate en 1990. Les Tutsi voulaient revenir au Rwanda par la
force, raison pour laquelle le FPR a été créé. Dès octobre 1990 on emprisonne des gens mais ce qui va
se passer c’est qu’à un moment donné, il va y avoir un groupe qui va décider que la meilleure manière
de résoudre le problème « inter-ethnique » c’est d’éliminer une des ethnies. (…) dit déjà « l’erreur que
nous avons commise en 1959 c’est de vous avoir laisser survivre ».
Il y a avait déjà une force des Nations Unies pour être en place la mise en œuvre des accords d’Arusha
mais au mois de janvier 1994, il y a un personnage haut placé dans les Interahamwe [17] qui prend
contact avec la MINUAR [18] et qui leur dit « on me demande de participer à l’organisation de
l’autodéfense civile, je suis tout à fait d’accord d’y participer, sauf que je suis de plus en plus amené à
constater que ce n’est pas de ça qu’il s’agit. On prépare une véritable machine à tuer ». Il donne des
détails incroyables il dit « la machine est conçue pour tuer 1 000 Tutsi toutes les 20 min et elle va se
déclencher par l’assassinat des casques bleus belges ». Il donne des informations sur des caches d’armes
mais voulait s’assurer qu’ils obtiennent l’asile politique pour lui et sa famille. Tous les pays contactés
France, Belgique et États-Unis refuseront, l’accord échouera. Les propos tenus ont fait l’objet d’un texte
à l’époque de la MINUAR au centre de commandement des Nations Unies et que la MINUAR n’a reçu
aucune suite. Trois mois plus tard le génocide est déclenché exactement comme il l’avait annoncé et
avec l’atrocité et la terrible efficacité qu’il avait annoncées.
Ce n’est que plus tard qu’on apprendra que plusieurs États qui suivaient la situation au Rwanda étaient
au courant. C’est pour ça que le MAE [19] belge demande un mandat de la MINUAR fin février 1994 en
disant « je ne veux pas que les oblats belges deviennent les témoins muets et incapables d’un
génocide », utilisant consciemment le terme de « génocide ». Certaines personnes arrivent à échapper
aux massacres avant le début fatidique du génocide.
Question du président : on a tenue de nombreux témoins experts qui ont indiqué qu’une organisation
poussée était mise en place mais que des raisons économiques ont pu pousser ce passage à l’acte en
particulier que la situation économique au Rwanda n’était pas très favorable, et qu’il y avait
notamment un problème de terres.
Réponse : les terres que l’on s’est appropriées c’est un problème universel ça. J’ai vu la même chose au
Burundi. Quand on parle de retour évidemment la restitution des terres est l’un des problèmes
principaux. Le Rwanda comme son voisin le Congo est un pays béni des Dieux, climat idéal, fertilisation
conduisant à la surpopulation. Les ressources à partager n’étaient plus suffisantes à un certain
moment. C’est un argument qui a pu être utilisé, mais ce n’est pas l’argument central. Il a fallu motiver
les tueries, certains auteurs ont même été payés pour continuer à tuer, il y a des écrits qui prouvent ça.
On a alimenté cette logique de « si tu ne tues pas, tu seras tué » mais aussi « tous les biens vacants
seront les vôtres ». L’idée était qu’on ne puisse même plus se souvenir qu’il y avait eu des Tutsi au
Rwanda, raison pour laquelle on détruisait entièrement les maisons. En effet, cette idée matérielle a fait
l’objet d’une propagande.
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Question du président : ce qui a fonctionné c’est ce que vous avez dit, l’identification d’un ennemi
travaillée dès 1992 par l’armée qui caractérise l’ennemi. Cette définition de l’ennemi – je crois qu’on
parlait de l’ennemi de l’intérieur – c’est ça ?
Réponse : au but du processus c’est l’ennemi.
Question du président : mais à l’origine c’est ça ?
Réponse : non dès le départ, dès ce document de décembre 1992, c’est l’ennemi, le Tutsi n’est plus
Tutsi, il est l’ennemi. Pour amener des gens à tuer leur propre mère, leurs propres enfants, il fallait un
appareil de propagande extrêmement puissant. Il y avait eu un document qu’on appelait les dix
Commandements des Bahutu [20]. Dès 1990, il était le produit d’une collaboration avec les
universitaires.
Question du président : vous parlez des 4 de Butare qui sont-ils ?
Réponse : les 4 de Butare ce sont des personnes jugées à Bruxelles en 2001, il y avait deux religieuses
qui avaient participé à des massacres de gens qui vivaient sur la colline de Sovu. Il y avait également
un climatologue à l’époque doctorat qui faisait sa thèse sous la direction d’un grand universitaire
belge.
Question du président : vous venez de parler de l’usine d’allumette évoquée également par
GUICHAOUA, vous avez parlé du rôle des banques et des commerçants qui ont eu un rôle particulier. Il
fallait suppléer ces moyens pour arriver à ses fins. Ce matin on a évoqué la Banque commerciale du
Rwanda et notamment celle de Butare. Vous vous souvenez quel a pu être le rôle de cette banque ?
Réponse : c’est trop précis pour que je puisse vous répondre. Le siège était à Kigali.
Question du président : d’un point de vue local on a appris que lors d’une réunion convoquée par le
préfet des chefs de services, il y a le représentant de la banque commerciale du Rwanda à Gikongoro
qui y participe ce qui témoigne de certains liens entre cette banque privée et les affaires étatiques.
Selon vous on retrouve ça ailleurs également ?
Réponse : oui, oui, à Kibungo. Pendant le génocide il y avait la bière qui fonctionnait bien. C’était une
denrée chère. Un des incitants importants qui passait sa journée à tuer avait pour objectif d’être régalé
en bière à la fin de la journée. Ceux qui tuaient le moins étaient désignés comme les moins
performants et étaient punis, ils étaient pointés du doigt et menacés.
Question du président : si j’ai bien compris votre rapport avait été demandé avec les accords d’Arusha
?
Réponse : non ça n’a pas de rapport. Il y a eu une demande de la société civile rwandaise d’établir une
commission indépendante pour avoir un rapport d’enquête. Le champ d’investigation de la
commission s’est étendu à l’ensemble du territoire rwandais. Il y avait même des spéléologues dans
l’équipe. Nous avons ensuite compris qu’il s’agissait de fosses communes et on voyait se dessiner un
schéma.
Question du président : vous avez dit que vous avez vu dans le rapport comment il y avait une
implication de la part de l’ensemble des acteurs concernés y compris des acteurs de l’État, des
gendarmes ou autres. Est-ce qu’on peut retenir que vous avez mis en évidence l’implication des
responsables administratifs locaux ? Est-ce que c’est un État décentralisé ou déconcentré ? Car quand
on entend Laurent BUCYIBARUTA, il dit qu’il ne faisait qu’appliquer les ordres du ministère.

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Réponse : je crois qu’on peut dire que le préfet et le sous-préfet sont des autorités déconcentrées.
Dans la pratique, tous les échelons sont des rouages du pouvoir. Chacun est impliqué de la même
manière peu importe son échelon
Question du président : la différence entre 1990 et 1994 c’est l’arrivé du multipartisme ?
Réponse : le multipartisme va obliger le pouvoir à commencer à partager, pas seulement les ministres
mais aussi l’ensemble des postes qui relèvent d’une nomination par le gouvernement. L’un des accusés
des 4 de Butare a voulu minimiser son rôle en arguant qu’il avait été en disgrâce du président car
c’était un grand protecteur des Tutsi mais ce n’était pas réellement la réalité.
Question du président : cette obligation de composer avec les différents partis a semble-t-il amené à
beaucoup de violences politiques, non pas sur une base ethnique mais profondément politique, n’estce pas, par exemple le kubohoza [21] ?
Réponse : quand il a fallu partager suite au multipartisme ça a été avec des Hutu qui avaient été exclu
sous HABYARIMANA. On verra bien que dans la propagande du génocide et dans le génocide, l’une
des obsessions du gouvernement c’est de maintenir l’unité des Hutu, chose qui n’était pas gagnée
d’avance, car il y avait des rivalités qui s’exprimaient et qui devaient être contenues afin de ne pas
mettre en péril le gouvernement en place ainsi que l’entreprise génocidaire. Alison DES FORGES met
bien en lumière dans son ouvrage à quel point cela a été un travail permanent.
Question du président : vous avez parlé tout à l’heure de la préfecture de Kibungo et Laurent
BUCYIBARUTA y a été en poste avant d’être à Gikongoro. Nous avons au dossier un
document (D8260) courrier réponse du préfet au le président de la ligue chrétienne de défense des Droits
de l’homme au Rwanda – selon vous quels étaient les problèmes qui avaient eu lieu concernant
les Droits de l’homme au Rwanda dans la préfecture de Kibungo en 1990-1991 si vous en avez
connaissance ? Et quelles étaient les suites ?
Réponse : je ne sais pas ce qu’il s’est passé à Kibungo mais le préfet est chargé de la sécurité dans sa
préfecture. Rien ne l’empêche, parallèlement aux procédures judiciaires, de prévenir les troubles, de
prendre les mesures qu’il est nécessaire pour que les troubles ne se répètent pas et prendre des
initiatives pour saisir les autorités judiciaires de plaintes. Il doit dénoncer lui, auprès des autorités
judiciaires, les infractions qui ont été portées à sa connaissance. Il avait donc un certain pouvoir qui lui
permettait de cesser les violations.
Question du président : peut-on parler d’un devoir ?
Réponse : oui c’est un devoir, en tant que responsable de la sécurité, il n’a pas seulement une
compétence c’est un devoir et non une faculté. Une violation des Droits de l’homme enclenche ce
devoir. Le préfet a un rôle central dans sa préfecture.
Question du président : mais la situation de 1994 n’est plus de la même nature que celle qui prévaut
en 1990-1991-19902-1993, les choses ont changé par l’ampleur des phénomènes qui sont intervenus.
On a aussi pu entendre qu’il y a une organisation administrative mais il peut y avoir des réseaux
parallèles qui se mettent en place, il y a des subalternes qui vont se supporter comme des titulaires
des postes de leur supérieur.
Réponse : monsieur le président, au Rwanda, il y a toujours eu des réseaux parallèles, comme chez
nous. C’est comme ça qu’on a pu dire que HABYARIMANA appartenait au clan de son épouse qui était
puissant.

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Question du président : il me semble qu’on parlé du capitaine SEBUHURA comme étant un officier du
nord alors que titulaire du commandant était le major BIZIMUNGU qui était un officier du sud. Ce que
l’on entend c’est que le major BIZIMUNGU était surtout absent et ne dirigeait pas la gendarmerie.
Réponse : c’est parfaitement plausible, c’est difficile à explorer, il faut une connaissance intime de ce
qui est destiné à ne pas être connu, surtout des occidentaux.
Question du président : on a aussi entendu que parmi les points de départ pour allumer l’incendie de
la violence ça a été les usines à thé. On a entendu dire que les directeurs venaient du nord.
Réponse : les usines à thé étaient des grosses machines économiques.
Question du président : on entend également beaucoup parler dans la préfecture de Gikongoro
d’Aloys SIMBA [22], que savez-vous sur lui ?
Réponse : j’ai juste entendu des choses sur lui. On l’a retrouvé dans le procès de Fabien NERETSE. Il
était rentré à Gikongoro lors du génocide mais il a fait occuper avant NERETSE la maison qu’occupait
NERETSE durant le génocide. On a vu dans quel réseau ces gens gravitaient. SIMBA faisait parti du
réseau de la machine à tuer.
Question du président : est-ce que vous avez pu étudier les cas des préfets à cette époque. Certains
ont été tué par le FPR d’autres liquidés dans le sud et ceux qui sont restés. Laurent BUCYIBARUTA fait
partie de ceux qui sont restés. Ce qui est sous-jacent dans ce dossier, c’est le contraire, est-ce qu’il
avait le choix ?
Réponse : il y a le cas du préfet de Butare qui a été assassiné mais qui était Tutsi. On a des exemples
de responsables administratifs qui ont refusé, qui étaient Hutu et qui ont survécu. Donc je ne suis pas
sur que le préfet de Gikongoro s’il avait récusé de coopérer, aurait fini sans vie. Je note que dans le
dernier ouvrage de Jean HATZFELD c’est sur les justes. Beaucoup de justes au Rwanda ont survécu. Il y
a fait certainement la faculté pour ce responsable de dire « moi je ne marche pas dans ce jeu » ça ne
veut pas dire que le génocide n’aurait pas eu lieu, il aurait été écarté et remplacé. Il y a eu tous les cas
de figure. Je ne suis pas certain que quelqu’un comme lui (Laurent BUCYIBARUTA), avec le pouvoir
qu’il avait et les entrées qu’il avait dans les cercles du pouvoir aurait été éliminé.
Question du président : il était l’époux d’une femme tutsi, on doit le prendre en compte, n’est-ce pas ?
Elle n’était pas encore revenue le 19 avril 1994. Mais il y avait beaucoup de mariages mixtes y compris
pour des gens poursuivis étaient mariés à des Tutsi.
Réponse : le chef des Interahamwe était un Tutsi.
Question assesseur : pour le contexte international vous avez évoqué que des informations précises
sur la préparation du génocide sont transmises aux Nations Unies, est-ce que l’ONU était non
interventionniste, donc personne ne voulait mettre les pieds là-bas, au Rwanda ?
Réponse : c’est compliqué à analyser car la Belgique avait déjà fourni un fort contingent à la force de la
MINUAR témoignant d’une volonté de participer au processus de paix. La Belgique a été fortement
critiquée par les autorités rwandaises et la mouvance de l’église jusqu’à être considérée comme hostile
au point où lors de l’attentat contre l’avion présidentiel, on a accusé la Belgique d’être complice. Cette
implication a été perçue comme étant une implication aux côtés du FRP alors que la France était
perçue comme un allié du gouvernement de HABYARIMANA, voire du gouvernement génocidaire. Il y
a eu à l’évidence une sous-estimation de la situation. La MINUAR était sous-équipée, les règles
d’engagement étaient floues. Elle devait rétablir la paix mais pas la restaurer. l’ONU se défausse sur les
Etats et réciproquement. Quand je vois l’attitude de la communauté internationale sur ce génocide, je
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revois celle qu’elle a adopté au moment des massacres des Rohingyas au Myanmar. Les mots utilisés
sont les mêmes pour justifier une non-intervention dans les massacres. Après on s’occupe des réfugiés.
On a commencé à parler du génocide rwandais une fois que le camp au Congo s’étaient constitués et
là on se met à réintervenir massivement. On a retrouvé récemment la même terminologie en
Myanmar.
On voulait rester neutre.
Question assesseur : le point du départ du génocide c’est la chute de l’avion présidentiel mais il y avait
également le chef d’État du Burundi. On retrouve souvent le Burundi comme lieu d’exil des réfugiés.
J’ai aussi cru comprendre que le président burundais qui meurt est Hutu, que se passe-t-il au Burundi,
en termes de conséquences ?
Réponse : ce sont deux États jumeaux mais différents. À ce moment6 là au Burundi, il ne s’est passé
énormément de chose. Il est resté distant mais ce n’était pas la même chose que lorsque Melchior
NDADAYE est assassiné [23]. Lors des élections organisées par les Tutsi, on a vu un Hutu élu avant qu’il
ne soit assassiné par les militaires. Cela a servi de moteur aux extrémistes rwandais et a renforcé leur
argumentaire. Il y avait des tendances plus extrémistes et d’autres plus modérées par rapport aux Tutsi.
Cette idée de Hutu « Power » consistait à réunir toutes les différentes tendances qui étaient présentes
dans les partis Hutu afin de retrouver une unité entre les Hutu. L’enjeu résidait dans les accords
d’Arusha, car il proposait le partage du pouvoir. Il s’agissait de bloquer la mise en œuvre des accords
d’Arusha en faisant barrage avec toutes les forces power des partis Hutu, ce qui aurait permis au
président de garder le pouvoir qui lui était promis de perdre. La relation Burundi-Rwanda a été très
forte à cette période.
Question assesseur : dans tout ce que vous décrivez de l’avant 1994, il y a en droit français l’association
de malfaiteurs qui dit que c’est « un groupement ou une entente établie en vue de la préparation d’un
ou plusieurs crimes et caractérisés par un ou plusieurs faits matériels » qui se traduit à partir du 6 avril
1994 en génocide ? Et selon vous combien de temps aurait duré cette association de malfaiteurs.
Réponse : des associations de malfaiteurs il y en a eu de toute évidence – par exemple au Bugesera –
je dirais que ça commence dès début 1993 avec un cercle qui en a marre des négociations
diplomatiques et qui prépare une solution finale comme en témoigne l’agenda de BAGOSORA [24]. Je
crois que la RTLM voit le jour en mars 1993, donc peu après cette réunion à laquelle participe
BAGOSORA.
Question assesseur : vous avez dit en donnant l’exemple du préfet de Butare mais finalement cette
opposition a duré 15 jours mais du coup l’opposition frontale aux massacres ne peut être d’une courte
durée. La seconde problématique du prix à payer vous avez évoqué les justes qui est intéressant qui
pose la problématique de l’héroïsme, sur le cas de Laurent BUCYBIARTUA vous avez dit que vous ne
pensez pas qu’il aurait pu être éliminer. Est-ce que à tout le moins vous êtes d’accord que si Laurent
BUCBYIARTA s’était opposé frontalement aux massacres, sa famille aurait pu être en danger ?
Réponse : je ne connais pas les éléments de votre dossier mais il faut se rendre compte ce
qu’impliquait le fait de marcher comme le gouvernement demandait. Ça voulait dire s’impliquer. Tous
ceux qui, en tant que préfet, bourgmestre, responsables de secteur, ont sur le terrain agi, en prenant
des initiatives, ils ont contribué à rassembler des gens dans des églises, etc. Ils ont été vu, leur
implication positive dans les massacres est quelque chose qui en principe devrait pouvoir se lire dans
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le dossier. Si quelqu’un dit marcher contre son gré, nécessairement ça se voit aussi, car son attitude ne
sera pas la même. Il y en a eu des cas comme ça. Vous ne pouvez pas – si vous ne voulez pas marcher
– agir et les témoins ne diront pas de vous la même chose que si vous vous êtes impliqués. Qu’on ne
s’y trompe. Les témoins font la part des choses quand ils s’expriment et ils n’impliquent pas des
innocents.
Question Me Tapi : on entend souvent parler du rapport du professeur Denis SEGUI … pouvez-vous
nous en dire de manière succincte quelques mots ?
Réponse : c’est un professeur en Côte d’Ivoire qui avait participé à notre rapport et qui en plein
génocide s’est tenu à Genève, une session de l’ONU sur le génocide en cours et est sorti de cette
session comme rapporteur des Nations Unies. Il est allé au Rwanda pendant le génocide et a fait un
rapport qui affirmer qu’un génocide se déroulait. C’est lui qui a recommandé la création du TPIR.
Question Me Gisagara : le procès de BUCIYBARUTA a débuté 28 ans après les faits, se passe en France,
à 10 000km du Rwanda devant une justice qui ignore le fonctionnement et ne parle pas la langue et
parmi ces témoins et victimes il a été constaté que les déclarations de certains ont varié. Je voudrais
savoir si dans d’autres procès auxquelles vous avez participé les juges ont aussi été confronté à ce cas.
Réponse : oui comment appréhender les variations dans les déclarations ? Il va de soi que la
perception que rétrospectivement les victimes ont de ce qu’il s’est passé peut varier selon plusieurs
facteurs. Le souvenir peut s’estomper, se falsifier, il y a le fait que les victimes sont parfois les moins à
mêmes de donner des renseignements précis car elles se cachaient donc elles voyaient peu de chose,
elles étaient terrorisées. Les victimes se sont beaucoup parlé après et se sont parfois constitués des
histoires communes et ça peut donner l’impression de témoignages arrangés ou non crédibles. On
était terrorisés comme avocat à la fin de longues journées où nous avions entendus les « veuves de
Sovu ». Elles semblaient toutes avoir tout vu et le jury n’a pas été dupe car il s’est rendu compte que
ces veuves vivaient dans un petit hameau et qu’elles étaient tout le temps ensemble et pensaient avoir
vécu ce qu’on leur avait raconté. La question est de savoir si c’est une indication de non-véracité, de
mensonge, la réponse est non. Encore une fois c’est au jury et à la Cour de se faire la conviction des
témoins. Je ne crois pas qu’il faille avoir trop peur de ça. Il faut être conscient des processus qui
amènent les victimes à modifier leur perception des choses et la manière dont elle le relate au fil du
temps mais c’est inhérent à tous les procès.
Question Me Gisagara : est-ce que vous avez eu connaissance de cas de personnes qui ont peu
basculé dans leur comportement vis-à-vis des Tutsi ?
Réponse : oui il y a eu des cas comme ça. Il y a eu des avocats rwandais qui, à ma grande stupeur, avait
basculé dans le génocide. Il y a eu des politiciens, voire même des opposants de HABYARIAMANA.
Question d’un avocat des parties civiles : quand vous êtes intervenus pour défendre « les complices du
FPR » en 1990, vous êtes-vous rendus compte de l’existence de listes ethniques sur base desquelles on
a arrêté les gens ?
Réponse : je dois avouer qu’à cette époque-là non, mais c’était vraiment au tout début.
Question d’un avocat des parties civiles : dans le procès que vous avez évoqué à Bruxelles des frères
KAZABERA – Banque commerciale du Rwanda – il aurait aussi été question de faire des listes.
Réponse : ce n’est pas Janvier Afrika mais c’est un haut gradé des Interahamwe qui avait pris contact
avec la MINUAR. Janvier Afrika est l’un de ces qui nous a parlé du « réseau zéro », c’était les escadrons

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de la mort [25]. Ce réseau-là établissait des listes car c’était sa raison d’être. Il s’agissait de tuer des gens
de manière ciblée. Dès 1992, il y avait des listes qui commençaient à circuler.
Question d’un avocat des parties civiles : toujours par rapport à ce procès, NTEZABERA aurait
enregistré, toute une journée de son activité, une vidéo à Kigali, vous vous souvenez de ça ?
Réponse : je n’en ai pas entendu parler. Mais il y avait une autre vidéo que nous avons tourné avec lui.
Question d’un avocat des parties civiles : auriez-vous constaté que le pouvoir – tout en organisant et
exécutant le génocide – voulait à tout prix redorer son image, montrer que la situation au Rwanda
n’était pas un génocide, notamment lors de la visite d’experts ?
Réponse : oui le gouvernement rwandais à l’époque était extrêmement soucieux de voir comment la
communauté internationale réagirait à ce qu’il se passait. C’est justement parce que la communauté
internationale ne réagissait pas que le pouvoir rwandais a élargi le génocide à l’ensemble du pays. Ce
qui passait par la RTLM, c’était le souci d’éliminer les cadavres des rues car « les blancs nous espionnent
avec les satellites ». C’est pourquoi il y avait des camions bennes qui ramassaient les cadavres. Il y a eu
ce souci là et toute une campagne de participation faite en ce sens.

Cadavres de Tutsi ramassés par camions bennes
(Voir Focus – L’État au service du génocide)
Pour masquer l’horreur, le vocabulaire faisait appel à de nombreux euphémismes : la « pacification »,
« travailler », « ne pas oublier les souris enceintes », « arracher l’herbe à la racine »…
Question d’un avocat des parties civiles : les tueurs ont éliminé des hautes personnalités politiques
Hutu, vous avez dit que le grand souci était d’avoir l’unité des Hutu dans ce génocide, comment
expliquez-vous qu’on commence par tuer les personnalités Hutus les plus populaires de l’opposition.
Réponse : ce qui se met en place le jour de l’attentat c’est un coup d’État qui réunit ces protagonistes
afin de se répartir le pouvoir. Tuer l’opposition c’est une évidence. Le chef de la Cour suprême doit
recevoir le serment du remplaçant mais on le soupçonne de pouvoir refuser. La Première Ministre est
une femme qui est impliquée dans un vrai processus de pacification. Elle avait pour intention d’aller à
la radio et d’appeler les rwandais au calme. La MINUAR envoie les 10 casques bleus belges pour la
protéger. Lorsqu’ils arrivent à son domicile après plusieurs heures, ils sont tous arrêtés avant d’être
assassinés. Son corps sera profané et exposé dans la maison de HABYARIMANA. Dans les premières
heures du génocide, il faut éliminer toutes les alternatives Hutu opposées au génocide.
Question Me Foreman : nous avons parlé du vocabulaire de la pacification. Je pense à un message du
Premier Ministre adressé à tous les préfets du 28 avril 1994 (D10693).
§3 : « La population doit rester vigilante pour démasquer l’ennemi et ses complices et le livrer aux
autorités, et se faire assister par l’Armée Nationale au cas où ils ne peuvent pas le faire… »
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§4 : « les actes contre les innocents, les pillages et les autres actes criminels doivent cesser
immédiatement. »
L’idée de double-discours, double-langage vient à l’esprit car on incite à arrêter les massacres tout en
renforçant les barrières. Avez-vous des commentaires sur cette rhétorique ?
Réponse : il n’y a pas de contradiction, en réalité il ne s’adresse pas aux mêmes personnes. D’une part
il stigmatise l’ennemi avec les barrières qui n’ont rien à voir avec le FPR, il s’adresse à l’ennemi Tutsi.
D’autre part, les pillages en question ce sont des Hutu qui finissent par s’en prendre aux biens d’autres
Hutu. À partir d’un certain moment l’ambiance de pillage est tellement généralisé de pillage que ça
déborde et menace de créer une guerre civile entre Hutu et donc la lettre s’adresse à plusieurs
destinataires. C’est la manière dont je vois les choses.
Question Me Foreman : pouvez-vous rappelez le sort du Premier Ministre Jean KAMBANDA après le
génocide
Réponse : il est jugé et condamné par le TPIR, il fait des aveux et une source d’informations importante
car il a du livrer des choses pour avoir une peine amoindrie.
Question Me Foreman : document de Laurent BUCYIBARUTA du 29 avril 1994 : « les massacres, pillages
sont désormais interdits » le préfet donne une explication « car ils avantagent l’ennemi pour salir la
réputation du Rwanda ».
Le §5 (citation approximative) indique que les comités doivent immédiatement commencer leur travail
de rondes et traquer l’ennemi aux barrières.
§7 : « les rondes et les barrières ont pour rôle de découvrir l’ennemi »
Pensez-vous que ce courrier diffusé à la population est un message qui entre en contradiction avec les
directives du Premier Ministre ?
Réponse : non il va dans la droite ligne puisque tout le mode opératoire du génocide était fondé làdessus. Il s’agissait d’empêcher les Tutsi de circuler. Un préfet qui aurait fait de l’obstruction n’aurait
pas relayé ce discours du Premier Ministre, on peut considérer que ce message est une participation
active. Ce n’est pas une circulaire de la part de quelqu’un qui fait une obstruction.
Question Me Foreman : dans la préfecture de GIKONGORO avait eu lieu le 21 avril et ce message de
pacification internait une semaine plus tard, est-ce qu’il n’illustre pas le fonctionnement parfait d’un
système administratif dans lequel le préfet est un homme de confiance ?
Réponse : oui mais je rajouterais que cette lettre illustre que ce n’est pas parce qu’il y a eu des grands
massacres que le génocide est terminé. Celui-ci doit se terminer une fois que plus aucun Tutsi n’est en
vie. Il s’agit là de débusquer les gens qui se seraient peut-être caché par le biais d’un leurre que
représente ce message de pacification. Il participe de « la finition du travail ».
Question du Ministère Public : sur la question des réseaux parallèles, certains subalternes prenaient le
pouvoir sur leur supérieur hiérarchique. Pouvez-vous préciser ces liens entre ces réseaux parallèles et
le gouvernement intérimaire ?
Réponse : je n’ai pas de connaissance explicite de ces liens mais les gens de ce gouvernement étaient
issus de la mouvance des Hutu du nord qui ont constitué ces réseaux. Quand on voit ne fussent que

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les liens familiaux entre tout le monde on sait qu’ils appartiennent à la même mouvance. Ils étaient
fortement uni par le partage des richesses. On retrouve partout les mêmes noms, les mêmes liens.
Question du Ministère Public : est-ce qu’on peut dire que ces réseaux ont travaillé à côté de
l’administration, ou indépendamment? Ma question a du sens car la défense nous dit que le préfet a
été dépassé par les réseaux en présence.
Réponse : je crois qu’ils concouraient tous aux mêmes buts. Dire qu’il y avait des réseaux qui
travaillaient derrière quelqu’un qui ne participait pas à la machine à tuer parait compliqué. Je pense
qu’il faut comprendre que ce sont les milices et l’armée qui agissaient sur le terrain. On en était plus à
l’époque où l’on se reposait sur les réseaux. Durant les accords d’Arusha, il fallait que des acteurs
occultes agissent mais durant le génocide, ce n’est plus le cas.
Question du Ministère Public : on constate en effet qu’il y a dans chaque massacre la participation de
sous-préfets, de bourgmestres.
Réponse : oui ce n’était plus occulte, il y avait une certaine articulation. Quand il y avait ces grands
rassemblent de masse dans les églises ou dans les stades ça fonctionnait ainsi. Parfois les milices
attaquaient en premier ou parfois c’était d’emblée l’armée, la gendarmerie entamaient les massacres et
les milices les terminaient (cf : l’école technique de Kigali).
Question du Ministère Public : quand vous avez donné des exemples de participation active des
autorités vous avez parlé du rassemblement des Tutsi dans un endroit déterminé. Pouvez-vous
préciser, quel était le but ? Celui de protéger ? Ou de favoriser les attaques ?
Réponse : dans les années 1960 les Tutsi avaient eu l’habitude de se réfugier dans les églises lors de
période de troubles et massacres. Durant le génocide, les Tutsi ont cru qu’ils pourraient faire la même
chose car ils n’ont, au début, pas saisi qu’il s’agissait d’un génocide. En effet, on a encouragé les
rassemblements pour faire des tueries de masses et de mener à bien l’extermination décidée. La
politique a clairement changé et ça a été le cas dans tout le pays.
Question du Ministère Public : dans cette procédure, on a ce constat d’un mode opératoire identique,
c’est-à-dire que les réfugiés sont affamés, assoiffés, subissent des attaques de population les jours
préalables à une grande attaque où ils sont exterminés avec l’aide des autorités locales et les
gendarmes, est-ce que ça vous surprend comme mode opératoire ?
Réponse : non pas du tout, ça s’est passé comme ça dans tout le pays.
Question du Ministère Public : on vous a demandé si le préfet Laurent BUCYIBARUTA avait un autre
choix que de rester en poste. Que pensez-vous de la possibilité d’une fuite, sachant que la préfecture
de Gikongoro est bien placée ?
Réponse : je n’ai pas à l’esprit une fuite, probablement que c’était possible, mais ça dépend des
circonstances notamment au niveau de sa famille. Il y a des exemples de gens qui ont fui pour ne pas
avoir à tuer. Mais je ne connais pas le cas précis deLaurent BUCYIBARUTA, mais selon moi ce que j’ai
entendu à cette audience, il était actif dans la répercussion des ordres du gouvernement. Donc je ne
vois pas pourquoi il aurait fui.
Question du Ministère Public : messages de félicitations adressés par le Premier Ministre de
KAMBANDA [D9265] du 17 avril 1994 ainsi qu’un autre message [D9309] où après avoir visité
Gikongoro, le Premier Ministre et d’autres se disent de la préfecture de Gikongoro « qui a accompli le
projet du gouvernement. »

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Réponse : la politique du gouvernement à l’époque, c’était de tuer. Donc s’il est félicité, c’est que les
tueries avait lieu.
Question du Ministère Public : vous avez parlé du rôle de la RTLM : a-t-elle diffusé le communiqué de
l’Élysée du 18 juin annonçant l’Opération Turquoise [26]?
Réponse : la RTLM était très heureuse de l’intervention française car ils étaient en train de perdre la
guerre contre le FPR.
Question du Ministère Public : l’un des témoins a évoqué que les autorités rwandaises a utilisé les
rescapés de certains massacres comme des faire-valoir pour montrer à la communauté internationale
que les autorités n’étaient pas impliquées. Est-ce que vous en avez connaissance?
Réponse : non, ce que l’on sait c’est que les massacres ont perduré durant l’opération Turquoise.
Question du Ministère Public : pourriez-vous apporter des éléments à la Cour sur la thèse du doublegénocide ?
Réponse : les accusations en miroir ont été théorisées par le national-socialisme dans les années 1930.
On a retrouvé dans le bureau de NTEZIMANA la littérature qui la théorise. Il y avait cette idée qu’il y
avait un génocide en préparation, comme cela avait été repris dans la Bugesera. Cette thèse a été
utilisée très tôt et elle est le coeur du négationnisme aujourd’hui. Elle a été reprise par après au Congo
dans le démantèlement des camps où l’on a accusé le Rwanda de perpétrer un génocide au Congo
contre les Hutu.
Question défense : il faut rappeler que à partir de 1992, le Premier Ministre fait parti de l’opposition et
que succède Agathe UWILLINGIYIMANA qui est tuée dès le 7 avril 1994 avec sa famille parce qu’elle
fait parti de l’opposition à HABYARIMANA ?
Réponse : oui c’est ce que j’ai expliqué tout à l’heure.
Question défense : quand vous dites qu’il y a « une participation de toutes les composantes de l’État »
à cette planification du génocide. C’est peut-être un peu plus compliqué que cela ?
Réponse : oui. Mais ce n’est pas ce que j’ai dit;
Question défense : peut-on convenir que ceux qui complotent à la préparation du génocide ce sont
des proches de HABYARIMANA ?
Réponse : oui
Question défense : que ce soit des cercles politiques, des commerçants, des autorités administratives
mais ce sont des cercles qui ne réunissent pas toutes les composantes de l’État?
Réponse : ce sont des cercles qui prévoient la mise en œuvre de toutes les composantes de l’État pour
exécuter le génocide. Toutes les composantes de l’État ne participent pas à la planification
Question défense : donc le génocide était nécessairement prévu ?
Réponse : oui
Question défense : ce n’est que par la suite que l’on s’est posé la question de sa planification et on a
identifié un certain nombre d’éléments qui laissent à penser à une planification. Vous le savez comme
moi le TPIR n’a jamais retenu cette planification d’avant le 6 avril 1994, vous le savez ?
Réponse : oui, effectivement.
Question défense : c’est une question complexe?
Réponse : le TPIR n’est qu’une juridiction et il s’est fondé sur les dossiers qui lui avait été soumis et
concernant les dossiers il a estimé ne pas pouvoir condamner par exemple BAGOSORA pour une
entente d’avant le 6 avril 1994. Il n’y a pas de jugement du TPIR qui condamne pour la planification.
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Défense : donc il ne serait pas surprenant qu’un préfet, un bourgmestre ou un ministre ait été tenu
absolument ignorant
Réponse : la plupart des criminels qui se sont engagés dans la voie judiciaire n’ont pas été associé à la
préparation du génocide mais ils ont été condamnés pour participation génocide.
Défense : certains d’entre eux ont été condamné pour entente en vue de commettre un génocide mais
postérieurement au 7 avril 1994.
Réponse : oui
Défense : on est revenu sur ce message du 29 avril 1994 qu’est un point central du procès adressé à la
population [D8277]. Il y a une première difficulté qui se pose. Tout à l’heure, mon confrère Simon
FOREMAN a souligné une phrase qui affirmait que « les massacres étaient désormais interdits » je
voudrais qu’on soumette la phrase en kinyarwanda aux traducteurs [D8282].
Défense : Ce message du 29 avril 1994 a pris à juste titre une telle importance dans notre procès qu’à
mon avis il est important que les jurés en aient connaissance dans son intégralité
Président : vous avez un témoin, on pourra procéder à la lecture de ce message dans son intégralité
plus tard.
Défense : Alison DES FORGES dans son ouvrage a une présentation assez différente de la vôtre de ce
message [D1762] [D1763] [D1765] [27].
Réponse : je ne connais pas l’intégralité des extraits mais elle a écrit ça il y a plus de 20 ans, aujourd’hui
nous avons plus de recul. J’ai de la peine à faire un commentaire là-dessus. Pourquoi les massacres
ont-ils continué ? Quelle est la participation de l’accusé ?
Défense : vous pensez qu’elle se trompe ?
Réponse : je pense qu’elle a écrit cela à un moment donné, en fonction des informations qu’elle avait.
Entre temps, il y a eu 20 ans d’instruction.
Ce que je dis c’est que des langages empreints de duplicité et de double-sens, il y en a eu. Le seul
problème c’est que ces discours-là de duplicité on ne peut en évaluer la duplicité qu’en évaluant ce
qu’il s’est passé concrètement.
Alison DES FORGES a également dit des choses qui ont été contredites plus tard.
Défense : DES FORGES écrit ce message en toute connaissance de cause.
Réponse : Justement c’est la phrase que vous n’avez pas lue : « les massacres ont continué. »
L’avocat de la défense poursuit sa lecture du livre d’Alison DES FORGES.
Réponse : vous répondez vous même à la question que vous posiez.
Défense : oui c’est la question des actes. Que devait le préfet, Laurent BUCIYBARUTA, faire ou ne pas
faire ?
Réponse : je me dis que quelqu’un qui aurait le courage d’adopter un tel discours et qui serait
sincèrement, s’il a ce courage-là, il fait suivre son discours des actes qu’il faut pour faire cesser ces
massacres.
Défense : concrètement, quels faits ?
Réponse : il s’oppose aux massacres.
Défense : comment?

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Réponse : il réquisitionne les forces de l’ordre même s’il échoue, mais la question est de savoir s’il l’a
fait ?
Défense : donc il devait réquisitionner les forces de gendarmerie ?
Réponse : il peut aller sur les lieux de massacres, arrêter les milices.
Défense : ce qui est intéressant en ce qui concerne les préfets c’est de faire des parallèles. Vous
connaissez le sort du préfet Jean-Baptiste HABYARIAMANA de Butare. Est-ce que vous savez que le 16
avril 1994, le préfet de Gikongoro – Laurent BUCYIBARUTA – et le préfet de Butare, se rencontrent à
Gikongoro pour se concerter sur la question des tueries et signent un communiqué commun diffusé
sur les ondes de Radio Rwanda ?
Réponse : non
Défense : le préfet Fidèle UWIZEYE, il était préfet de quelle préfecture ?
Réponse : je ne sais plus.
Défense : il était préfet de Gitarama.
Réponse : oui.
Défense : [D1724] présente le préfet UWIZEYE comme un préfet qui a fait ce qu’il pouvait, avez-vous
enquêtez sur Gikongoro ?
Réponse : non
Défense : ce préfet – Fidèle UWIZEYE – fui fin mai 1994, entre temps il reçoit lui aussi les félicitations du
gouvernement intérimaire le 17 avril 1994, lorsque le préfet HABYARIMANA est destitué. Est-ce qu’il
est félicité pour ses efforts contre les tueries ?
Réponse : je ne peux répondre à cette question, d’autant plus que ça ne concerne pas le préfet Laurent
BUCYIBARUTA.
Défense : [D9662] Fidèle UWIZEYE participe à une réunion avec les responsables politiques le 28 avril
1994, est-ce que ça veut dire qu’il exécute la politique génocidaire ? Le simple fait de participer à une
réunion ?
Réponse : ça peut être le cas, on n’a rien pour le déterminer.
Défense : vous nous avez dit que finalement, ceux qui se sont véritablement impliqué dans le
génocide, se voient. Vous parlez d’implication positive. Est-ce que vous ne pensez pas que les autorités
administratives, pendant le génocide, tiennent leurs pouvoirs essentiellement du fait qu’ils sont du
côté des tueurs ?
Réponse : il faut voir à quel moment. HABYARIAMANA quand il est préfet il avait le pouvoir même
quand il était contre la machine génocidaire.
Défense : vous dites qu’il n’y a pas eu de tueries dans la préfecture de Butare avant la destitution de
Jean-Baptiste HABYARIMANA ?
Réponse : je ne connais pas toutes les communes, mais de manière globale, non.
Défense : vous savez que les massacres commencent dès le 12 avril dans la commune de NYAKIZU
(préfecture de Butare).
Réponse : oui mais globalement, le préfet a empêché les massacres dans sa préfecture.

D’après les notes de monsieur Anthony SANCHEZ pour l’audition de maître Eric GILLET.

Page 514 sur 711

Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT
Jacques BIGOT

References
↑1, ↑16

FPR : Front Patriotique Rwandais

↑2

Gacaca
: (se
prononce «
gatchatcha
»)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable
en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par
12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑3

PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout
implanté dans le Sud, voir glossaire

↑4

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie
des militants des mouvemertnts politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques
se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER;
MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑5

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑6

ou MDR-POWER, voir note précédente.

↑7

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais)
pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont
suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org

↑8

Ibid.

↑9

Ibid.

↑10

Ibid.

↑11

PL : Parti Libéral. Le Parti Libéral va se scinder en deux fin 1993 : la tendance de son
président, Justin MUGENZI, rejoint le Hutu Power qui traduit la radicalisation ethnique d’une
partie des militants des mouvements politiques. L’autre tendance sera anéantie le 7 avril 1994,
voir glossaire

↑12

Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé
par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999
Page 515 sur 711

↑13

Ibid., p.598.

↑14

Violations massives et systématiques des droits de l’Homme depuis le 1er octobre 1990,
rapport sur la mission d’enquête internationale de la FIDH en janvier 1993.

↑15

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA
HAINE

↑17

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑18

MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, créée le 5 octobre 1993
par la résolution 872 du Conseil de sécurité pour aider à l’application des Accords d’Arusha.
Voir
:
Focus : le contexte immédiat du génocide – les accords d’Arusha

↑19

MAE : Ministère des Affaires étrangères.

↑20

« Appel à la conscience des Bahutu » avec les 10 commandements » en page 8 du n°6 de
Kangura, publié en décembre 1990.

↑21

Kubohoza : racolage pratiqué par certains partis politiques pour obtenir des adhésions forcées.

↑22

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans
les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour
« génocide et extermination, crimes contre l’humanité »

↑23

Melchior NDADAYE : président de la République du Burundi assassiné au cours d’un coup
d’État le 21 octobre 1993 à Bujumbura.

↑24

Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme
membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir.
Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation
des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et
installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international
pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes
de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.

↑25

Réseau zéro : Voir FOCUS – le réseau zéro / les escadrons de la mort / l’Amasasu.

↑26

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑27

Op. cit., p. 400-402

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du jeudi 23
juin 2022. J30
24/06/2022

• Audition de monsieur Claver NKEZABERA, en visioconférence depuis le Rwanda.
• Audition de monsieur Pilote NTEZIRYAYO, cité par le ministère public, en visioconférence
depuis le Rwanda.
• Audition de monsieur Emmanuel HABYARIMANA, cité par la défense, ancien général des FAR.
• Audition de monsieur Léonidas NYILINGOGA, partie civile, cité par SURVIE.
Audition de monsieur Claver NKEZABERA, en visioconférence depuis le Rwanda.
« Pour commencer, je parlerai de Laurent BUCYIBARUTA et d’autres personnes qui étaient là. Quand le
génocide a éclaté, comme les autres, je me suis réfugié à l’évêché, comme tout le monde. Nous nous
sommes réfugiés à la paroisse car c’est là que beaucoup de personnes trouvaient refuge. Pour quitter cet
endroit, on nous avait demandé de partir de là. Donc, quand nous sommes arrivés là-bas, il y avait
beaucoup de gens, on nous a dit qu’on ne voulait pas qu’il y ait de bruit sur la route, et qu’on allait nous
montrer un autre endroit où nous installer. On nous disait qu’on allait nous installer à un endroit où les
gens allaient trouver refuge. Mais, ensuite, on a constaté que c’est à cet endroit-là que des gens avaient
perdu la vie. Je n’étais pas seul, j’étais accompagné d’autres personnes : il y avait l’évêque, à savoir
Monseigneur Augustin MISAGO, le bourgmestre Félicien SEMAKWAVU, le gendarme SEBUHURA, d’autres
gendarmes dont je ne pouvais pas connaitre l’identité.
On nous a demandé de partir, on nous a conduit à pied. Je me suis souvenu que je n’avais pas pu dire au
revoir à mon épouse et à mon enfant et j’ai dit que je ne pouvais pas continuer à me réfugier à un autre
endroit en laissant derrière moi mon épouse et mon enfant. C’est ainsi que je suis retourné en arrière
pour voir mon épouse et mon enfant à un endroit où ils étaient restés. Donc, je suis allé voir mon épouse
et mon enfant, et une fois là-bas je pouvais constater que des barrières avaient été érigées, et que plus
personne ne pouvait passer. C’est cette barrière qui m’a empêché de rejoindre les autres à MURAMBI. J’ai
continué à me cacher au sein de la population. Nous sommes restés cachés au sein de la population
pendant environ trois mois. Ce que j’ai entendu de sa bouche lorsqu’il était à cet endroit là, il disait qu’on
devait enlever ces personnes près de la route et qu’on devait les conduire à MURAMBI car elles
provoquaient des bruits à cet endroit. Plus tard, je ne suis plus revenu à cet endroit, les barrières nous
empêchaient de passer, de nous approcher de la route ».
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Le témoin : Ce que j’ajouterai, c’est qu’il y a des personnes lésées qui ont besoin de la justice.
Questions du président :
Sur questions du Président, le témoin dit qu’il est Tutsi marié à une femme hutu et qu’il se souvient
avoir été entendu à plusieurs reprises par les enquêteurs du Tribunal pénal international pour le
Rwanda d’Arusha, et par des enquêteurs français. Il se souvient aussi d’avoir évoqué une démarche
qu’il a faite auprès du bourgmestre SEMAKWAVU en avril 1994.
Président : (Les différentes auditions se trouvent D.326 à D.332, D.588 p.122-124, D.10337). Avez-vous
rencontré le bourgmestre SEMAKWAVU en avril 1994? Vous l’avez vu ou vous ne l’avez pas vu ?

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Le témoin : SEMAKWAVU, je l’ai rencontré. Je suis allé moi-même lui demander de voler au secours
des gens. Notre cellule de SOVU avait subi des attaques, j’étais allé lui demander de venir nous
secourir.
Président : Pouvez-vous dater le jour de cette attaque ?
Le témoin : C’était un samedi, je ne me souviens pas de la date, toujours est-il que c’était un samedi.
Président : Est-ce que c’était longtemps ou pas longtemps après la mort du président HABYRIMANA ?
Le témoin : Le premier événement c’était un mercredi et l’autre un samedi.
Président : Donc, c’était trois jours après l’annonce de la mort du président HABYRIMANA. (NDR. Il
s’agit du samedi 9 avril 1994).
Président : Comment étiez-vous au courant de cette attaque ? C’était l’endroit où vous habitiez ?
SOVU ?
Le témoin : Avant, j’habitais à cet endroit avec ma famille. A l’époque, j’étais agriculteur, paysan.
Président : Racontez-nous ce qui se passe quand vous allez voir le bourgmestre.
Le témoin : J’avais quitté mon domicile lorsque les gens de cette cellule venaient de subir l’attaque.
J’avais une machette, je me disais que nous allions les affronter et les chasser, mais je me suis rendu
compte que ce n’était pas possible. Je suis allé réveiller le conseiller Modeste MUSHANA qui habitait
lui-même cette cellule. Je lui ai dit que nous venions d’être attaqués. Il m’a demandé de l’accompagner
pour que nous allions voir SEMAKWAVU, que c’est ce dernier qui pouvait trouver une solution.
Nous sommes partis le trouver, mais avant que nous arrivions au bureau communal, nous l’avons
rencontré à RONDERI, en contrebas de la préfecture. Il nous a fait montrer dans sa voiture, le conseiller
MUSHANA et moi, et nous sommes partis en direction de chez nous. Arrivés à GACYAZO, près de
l’église, il s’est arrêté. Il s’est entretenu avec les gendarmes qui s’y trouvaient. Il leur a demandé ce qu’il
en était de la situation à KIBILIZI, d’où ces gendarmes venaient. Ils lui ont répondu que lorsqu’ils
étaient partis de-là, la situation allait bien. Il a continué à monter avec moi pour me déposer à GASAKA
même, au centre de négoce. là où se déroulait l’attaque. Après, il est descendu vers chez nous, c’est-àdire dans la cellule de SOVU. Comme j’étais avec des policiers, les gens ont voulu m’arrêter. Je leur ai
dit que je n’avais pas de fusil. Les attaquants m’ont demandé pourquoi SEMAKWAVU venait de me
descendre du véhicule. Je leur ai répondu que la raison était que je n’avais pas de fusil. J’ai emprunté la
route, j’ai marché jusqu’en NZEGA, dans la cellule de SOVU. Une fois là-bas, il était déjà arrivé, lui aussi
sur place. Une fois sur place, on a incendié une maison. Il a allégué que c’était nous, les Tutsi, qui
avions provoqués les Hutu, en tentant de les tuer, alors que la maison qui était en train de brûler était
l’une de la cellule de SOVU.
Président : Vous arrivez, on est en train d’incendier une maison, et le bourgmestre dit que les Tutsi ont
provoqué les Hutu ?
Le témoin : Exact.
Président : Que se passe-t-il ensuite ?
Le témoin : On est arrivés. Nous avons éteint l’incendie, c’était la maison de mon oncle maternel, celle
de Martin NTAGANDA.
Président : Que se passe-t-il ensuite ?
Le témoin : C’était en soirée, et SEMAKWAVU est rentré. C’était un samedi et le dimanche matin, je
suis allé voir ce qu’il en était: j’ai constaté que tout le monde avait fui à l’église de GIKONGORO.
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Président : Avant de passer au dimanche matin, pouvez-vous nous dire si, quand vous êtes avec le
bourgmestre SEMAKWAVU et le conseiller modeste MUSHANA, vous avez vu d’autres personnes ?
Le témoin : J’ai vu beaucoup de personnes, comme RWAYITARE et MBIRIGI, surnommé le Belge. Ce
dernier éait un maçon, il construisait les maisons.
Président : C’était un attaquant ? Un Tutsi ? Un Hutu ?
Le témoin : C’était un Hutu qui faisait partie des attaquants. Il y avait aussi le conseiller, Frédéric
MAKABE.
Président : Est-ce que ce jour-là, vous avez croisé le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : A cet endroit non, nous ne nous sommes pas croisés.
Président : Est-ce que vous l’avez croisé à un autre moment au cours de cette journée?
Le témoin : Non, à ce moment-là on ne s’est pas croisé.
Président : Lors de votre premier audition devant les enquêteurs du TPIR d’ARUSHA [1], vous avez
indiqué « En route, nous avons croisé Laurent BUCYIBARUTA. Le bourgmestre a dit à Laurent
BUCYIBARUTA qu’il y avait des gens qui avaient été attaqués, il a dit d’aller voir si c’était vrai, il prenait
ça à la légère… Laurent BUCYIBARUTA était présent… ». Ensuite, quand vous êtes entendu par le juge
d’instruction français, on vous rappelle que vous avez fait des déclarations et vous dites « Le 9 avril, j’ai
pris la décision … parce que la population commençait à aller attaquer la population Tutsi, alors que je
l’ai rencontré au rond point du tribunal… ». « Le préfet, je l’ai vu le 13 avril… ». On vous pose la question
: « Souvenez-vous d’avoir rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA le jour du 9 avril, le jour de l’attaque
de SOVU ? »
Et vous dites: « Non, je ne l’ai pas vu ce jour-là. Dans mon véhicule, nous avons croisé SIMBA [2], mais
pas le préfet Laurent BUCYIBARUTA.
Parfois on oublie ce que l’on a dit ou ce que l’on a vu parce que ça fait longtemps ».
Le président: Avez-vous vu le colonel SIMBA ?
Le témoin : Le colonel SIMBA, je l’ai vu mais le lendemain de ce soir-là.
Président : Avez-vous des problèmes de mémoire, Monsieur ?
Le témoin : Oui et puis ça fait longtemps.
Président : Est-ce qu’il y a un autre moment où vous êtes allé voir le préfet ?
Le témoin : C’est le jour où j’ai vu le préfet, c’est le jour où les gens ont été déplacés de la cathédrale
vers MURAMBI.
Président : Vous nous dites que ce jour-là, il y avait le préfet, l’évêque, le bourgmestre SEMAKWAVU,
le gendarme SEBUHURA, d’autres gendarmes et d’autres personnes. Donc, c’est ce jour-là où vous
avez revu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Oui, c’est ce jour-là où je l’ai revu.
Président : Ce jour-là, il dit quoi exactement ?
Le témoin : Il disait que les gens provoquaient des bruits sur la route, qu’il fallait les conduire à
MURAMBI et qu’il fallait les garder.
Président : Aujourd’hui, vous nous dites que vous n’êtes pas allé à MURAMBI car en cours de route
vous vous dites que vous n’avez pas pu dire au revoir à votre femme et à vos enfants ?
Le témoin : Non, plutôt les prendre avec moi car je me disais que nous devions tous avoir un lieu de
refuge.

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Président : Donc, vous avez quitté les gens à la paroisse de MURAMBI car vous vous êtes dit que vous
vouliez aller chercher votre épouse et vos enfants pour les prendre avec vous à MURAMBI et vous
mettre en sécurité ensemble ?
Le témoin : Oui, pour que nous nous réfugiions à cet endroit.
Président : Pourquoi votre femme et votre fils n’étaient pas à l’évêché avec vous ?
Le témoin : Je l’avais envoyé chez ses parents car on n’était pas en train de pourchasser les Hutu.
Président : Sur cet épisode, vous avez fourni des déclarations qui n’ont pas toujours étaient les
mêmes. Quand vous êtes entendu par les enquêteurs au mois de novembre 2001, vous dites au sujet
de cet épisode : « la majorité d’entre nous s’est rendue à MURAMBI, cependant moi je n’y suis pas allé
car j’y allais être tué, GASANA qui s’est enfui au CONGO, n’y est jamais revenu. GASANA était mon ami
et c’est la raison pour laquelle il me l’a dit. Il était membre du MDR POWER … j’ai vu que la majorité des
Tutsi quittait MURAMBI accompagnés de deux gendarmes ». Ce que je comprends de cette lecture, c’est
que vous ne vous êtes pas rendu à MURAMBI, car GASANA, un Interahamwe, vous a dit qu’il était
prévu de tuer les Tutsi à MURAMBI. Quand vous avez été entendus plus tard par le juge d’instruction
français, vous dites que c’était un certain Ignace qui vous aurait dit à l’oreille qu’il pourrait y avoir un
certain danger à MURAMBI, qu’on pouvait être tué là-bas et qu’à ce moment-là vous vous êtes
échappé. On vous pose la question : « Avez-vous entendu le préfet Laurent BUCYIBARUTA dire quelque
chose ? ». Réponse : « Quand je suis arrivé, les Tutsi étaient déjà alignés, je n’ai rien entendu de la
bouche de Laurent BUCYIBARUTA ». Quand vous êtes entendu par les enquêteurs du TPIR, vous avez
dit que vous étiez resté trois jours à l’évêché, alors que là vous dites dans cette déclaration que vous
arrivez le matin même car vous apprenez que les gens allaient partir à MURAMBI.
Quelle est votre version définitive ?
Le témoin : Ma déclaration définitive est la suivante : par rapport à ces déclarations, nous avons dit
beaucoup de choses. Concernant ces trois jours, il arrive qu’on ait fait des déclarations, il y a des
parties qu’on ne juge pas opportun de répéter et de reprendre. Ces documents ont été établis par
diverses personnes. En ce qui concerne les trois jours de la cathédrale, ce sont les jours où je suis passé
par là, en partant. En fait, pour ce qui concerne ces documents, une fois je dis ceci et je laisse une
partie, et une autre fois je dis une autre partie, et c’est ainsi que certaines parties n’y figurent pas. Et
ainsi de suite. (NDR. Les explications du témoin sont marqués du sceau de la confusion. Il est difficile de
comprendre le déroulé de sa propre histoire.)
Président : Combien de temps êtes-vous resté à l’évêché ?
Le témoin : A l’évêché, je n’y ai pas passé tous ces jours-là. J’y suis allé au moment où on conduisait
les réfugiés à MURAMBI.
Président : Vous étiez où avant ?
Le témoin : Vous avez parlé d’un certain GASANA BIHEHE François. Quand il m’a dit que nous autres
allions être attaqués, qu’on allait attaquer les Tutsi, c’est donc à ce moment-là que je l’ai rencontré et
j’ai vu SIMBA. GASANA était en train de s’entretenir avec SIMBA au sujet de ce qu’ils allaient faire.
SIMBA était un Interahamwe [3], mais il était toutefois un ami à moi. Comme je fabriquais du pain, je
travaillais pour lui. Et, c’est pour cette raison-là que je n’ai pas passé la nuit à la cathédrale. Les gens
bougeaient beaucoup, on avait peur et à un endroit, on y passait quelques minutes? On avait peur.
Président : Où étiez-vous avant d’être à l’évêché ?
Page 520 sur 711

Le témoin : J’étais à KIREHE, dans la population où j’avais laissé mon épouse.
Président : C’est là-bas que vous avez rencontré GASANA ?
Le témoin : GASANA je l’avais rencontré en NZEGA, il m’avait conseillé d’aller à KIREHE, que c’était-là
qu’il allait me protéger, mais ça n’a pas réussi.
Président : Pourquoi ?
Le témoin : Car il m’a envoyé chez son beau-frère Boniface, mais c’est là que je suis revenu.
Président : Où êtes-vous revenu ?
Le témoin : Après l’évêché, je suis retourné chez Boniface.
Président : Donc, quand vous voyez GASANA BIHEHE, l’Interahamwe, il vous dit quoi exactement ?
Le témoin : GASANA, je l’ai rencontré au centre de négoce, près de la route asphaltée. Il a effleuré ma
jambe avec un bâton pour me faire signe de ne pas bouger, me disant qu’on allait tuer des gens làbas, qu’on allait voir du sang versé.
Président : « Tuer des gens là-bas » : « Là-bas », c’est quoi ?
Le témoin : A cet endroit-là.
Président : C’est l’endroit ?
Le témoin : Dans ce centre de négoce de NZEGA, il y avait beaucoup de voyous portant des gourdins.
Président : Donc, on allait tuer les gens au centre de négoce ?
Le témoin : Il m’a demandé de quitter ce centre de négoce pour que l’on ne me tue pas alors que
j’étais son ami.
Président : Il vous a dit que vous pourriez être tué sur place au centre de négoce ?
Le témoin : Oui, il y avait une attaque qui descendait de la colline.
Président : C’est à ce moment-là que le colonel SIMBA était présent ?
Le témoin : Oui, c’est à cet endroit que le colonel SIMBA était présent. Nous rentrions du culte, on
était dimanche.
Président : Vous allez à la cathédrale, vous n’allez pas avec les autres Tutsi à MURAMBI, vous
retournez à KIREHE, que se passe-t-il ensuite ?
Le témoin : Je suis allé à KIREHE, et je suis descendu avec d’autres qui venaient du culte. Une fois làbas, je suis monté pour me rendre à la cathédrale.
Président : A la cathédrale, vous avez rencontré Ignace ?
Le témoin : Oui, c’est grâce à lui, il m’a incité à retourner à KIREHE.
Président : Ensuite, pendant 3 mois, vous êtes resté caché à KIREHE ?
Le témoin : Oui j’ai passé les trois mois à me cacher à KIREHE, chez un certain Boniface.
Président : Donc, qui était le beau-frère de GASANA François ?
Le témoin : Oui, mais il était aussi mon beau-frère.
Président : Il était Tutsi ou Hutu ?
Le témoin : Hutu. Il était le frère de mon épouse.
Président : Si je ne me trompe pas, BIHEHE qu’on a entendu à de nombreuses reprises, cela veut dire
la hyène ?
Le témoin : Ça signifie hyène, un animal féroce et qui mange n’importe quoi.
Président : Je le dis car nous avons entendu, il n’y a pas longtemps une rescapée qui avait été
protégée par GASANA BIHEHE. Ce GASANA pouvait aussi bien tuer les Tutsi que les protéger ?
Le témoin : BIHEHE a tué beaucoup de Tutsi et il en a sauvé beaucoup d’autres.
Page 521 sur 711

Président : Vous avez aussi expliqué que l’on était venu pour tuer votre fils, qu’à cette période on a
voulu tuer votre fils et qu’il avait fallu peut-être donner de l’argent pour éviter qu’il soit tué ?
Le témoin : Oui.
Président : Qui donnait de l’argent ? C’est BIHEHE ?
Le témoin : C’est plutôt Boniface qui a donné de l’argent.
Président : A qui ?
Le témoin : A un certain Marcel; Il a donné de l’argent à environ cinq personnes.
Président : Vous nous avez dit que vous avez vu Laurent BUCYIBARUTA à l’évêché ?
Le témoin : Ce que j’ai vu à l’évêché, c’était que lui était le chef, à la tête des gens qui s’y trouvaient.
Président : Il a dit que les réfugiés faisaient trop de bruit et qu’il fallait qu’ils aillent ailleurs?
Le témoin : Il a dit qu’il fallait aller à MURAMBI.
Président : Y a-t-il eu d’autres occasions durant le génocide où vous avez vu le préfet ?
Le témoin : Aucune autre fois, car moi -même j’ai continué à me cacher à KIREHE. Et puis, dans les
alentours de la préfecture, il y avait partout des barrières.
Président : Dans vos déclarations, vous avez fait mention d’entraînements militaires, sur lesquels vous
auriez eu des informations. Que pouvez-vous dire sur ceux de GIKONGORO ?
Le témoin : Les Interahamwe qui s’entraînaient le faisaient à deux endroits ; les uns au CIPEP [4] et les
autres à MATA. Tout ça faisait partie à l’époque de la préfecture de GIKONGORO. Parmi eux, il y avait
des jeunes gens comme Michel.
Président : Michel, c’est qui ?
Le témoin : Je ne connais pas son nom complet, mais il était le fils de MUSHANA. Il y avait beaucoup
de personnes dont je n’ai pas connu l’identité, toujours est-il qu’ils étaient nombreux.
Président : Vous avez vu l’entraînement ? Ce qu’on leur faisait faire ?
Le témoin : Je ne l’ai pas vu car je ne suis pas allé sur place, mais je les ai entendus, ils s’en vantaient.
Président : Donc, c’est à partir des confidences de certains que vous en avez entendu parler ?
Le témoin : Oui, ils en parlaient.
Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose ?
Le témoin : Cette barrière qui mène à l’évêché, on y a tué un certain David KAREKEZI qui venait de
KIGALI. Lui aussi venait voir son épouse en voiture et on l’a tué à cette barrière, alors qu’il se dirigeait à
l’évêché. On s’est approprié son véhicule, je n’ai pas été témoin mais on a dit que c’est BIHEHE qui
s’est approprié la voiture, il en prenait les pièces, les mettait dans son véhicule.
Ni la Cour, ni les parties civiles ne souhaitent poser de question. Il faut dire que ce témoignage
est d’une grande confusion.
Me Simon Foreman : Vous avez expliqué que quand vous étiez à l’évêché et qu’on avait proposé
d’emmener les réfugiés à MURAMBI, vous avez dit que vous aviez peur d’y aller car vous risquiez
d’être tué. C’est bien ça?
Le témoin : J’ai dit que le problème que j’ai rencontré, c’est que je devais chercher ma femme, mais au
retour il y avait des barrières et je n’ai pas pu y aller.
Me Simon Foreman : Ce qui m’intéresse, c’est qu’on vous a dit que c’était dangereux d’aller à
MURAMBI. C’est ce que vous aurait dit GASANA ou votre ami Ignace.

Page 522 sur 711

Le témoin : C’est vrai .
Me Simon Foreman : Ce que je voudrais savoir c’est qu’on est une semaine avant le massacre et on
savait déjà que c’était dangereux d’aller à MURAMBI ?
Le témoin : Les gens ne savaient pas que l’endroit allait être attaqué, mais ça avait été préparé car l’on
avait attaqué les collines vendredi, la veille du samedi.
Me Simon Foreman : Donc, on pouvait deviner qu’il y avait un risque d’aller là bas ?
Le témoin : Non, nous ne doutions pas qu’on allait nous attaquer. Mais, par contre, on avait mis les
gens là-bas pour les protéger, même s’ils n’étaient pas protégés.
Me Simon Foreman : Ce que vous avez dit aux enquêteurs : …
Le témoin : Moi, je ne suis pas allé jusqu’à MURAMBI. Je me suis arrêté à la cathédrale.
Me Simon Foreman : Est-ce que tous les autres sont allés à MURAMBI ou vous êtes un certain
nombre à ne pas être allés à MURAMBI ?
Le témoin : Il y en a qui sont allés à MURAMBI, qui ont pu survivre aux massacres, d’autres n’y sont
pas allés et ont été tués sur les collines.
Me Simon Foreman : Tout le monde n’y est pas allé, seulement une partie, c’est bien ça ?
Le témoin : Certains ne sont pas allés comme moi, je ne sais pas si d’autres on pu se faufiler et partir,
mais les autres ont été accompagnés par les gendarmes pour y aller.
Me Simon Foreman :« J’ai entendu que ceux qui voulaient aller à MURAMBI allaient être tués, je n’ai
pas suivi les autres » : c’est ce que vous avez dit au juge français en 2012.
Le témoin : Alors quand j’étais à la paroisse, j’ai été prévenu par Ignace et quand j’étais à NGEZA, j’ai
été prévenu par BIHEHE, mais le coeur n’y était pas vraiment.
Pas de question du ministère public.
Questions de la défense:
Me BIJU-DUVAL : Pour que les choses soient bien claires, aujourd’hui, vous nous avez dit ne pas être
allé à MURAMBI parce que vous ne vouliez pas laisser votre fils et votre femme, que vous êtes allé les
chercher et que vous n’avez pas pu rejoindre les autres à MURAMBI car il y avait une barrière ?
Le témoin : Oui, c’est vrai.

Audition de monsieur Pilote NTEZIRYAYO, cité par le ministère public, en visioconférence
depuis le Rwanda.
Le témoin a été condamné pour génocide à 19 ans de prison. Il a plaidé coupable pour avoir tué
neuf Tutsi au bureau communal de NYAMAGABE. Sa déposition sera plus confuse. Pour bien
comprendre, il va falloir lire entre les lignes. Le fait que son audition soit faite en Kinyarwanda
et traduite en français ne facilite pas toujours la compréhension.
Le témoin : En réalité, pour ce qui me concerne, je vais donner mon témoignage si vous me le
demandez, sinon je n’ai rien d’autre à dire.
Président : Je vais vous poser des questions. Quelle était votre situation en avril 1994 ? D’abord, estce que vous êtes Hutu ou Tutsi?
Le témoin : Moi, je suis entre ces deux appartenances ethniques.
Président : C’est-à-dire ?
Page 523 sur 711

Le témoin : L’un de mes parents est Hutu, et l’autre est Tutsi.
Président : Qui est Hutu et qui est Tutsi ?
Le témoin : Mon père est Hutu et ma mère est Tutsi.
Président : Quelle était votre profession en 1994 ?
Le témoin : Agriculteur, rien d’autre.
(Le témoin semble tendu, habité par une colère à peine rentrée.)
Président : Avez-vous des problèmes de santé particulier en ce moment?
Le témoin : Non, je n’ai jamais eu une quelconque maladie.
Président : Il me semble que vous avez un problème à un œil, pouvez-vous nous en parler ?
Le témoin : J’ai un handicap au niveau d’un œil, mais rien d’autre.
Président : Est-ce qu’il y a un œil avec lequel vous ne voyez rien ?
Le témoin : Un œil me manque, mais l’autre il voit, je vieillis.
Président : Lors de vos déclarations, vous avez dit que cet accident fait suite à un éclat reçu dans l’œil
dans une mine d’or en Tanzanie ?
Le témoin : Oui, c’est ainsi que j’ai perdu mon œil, dans les activités liées à l’or.
Président : C’était en quelle année ?
Le témoin : En 1986.
Président : Pouvez-vous nous dire si vous étiez adhérent d’un parti politique ou pas ? Je parle d’avril
1994.
Le témoin : En 1994, j’étais membre du parti MDRMDR [5].
Président : Vous étiez MDR Hutu power [6] ? Quelle tendance ?
Le témoin : Non, je n’étais pas dans la faction Power.
Président : Quand vous avez été entendu, vous expliquez que votre mère était séparée de votre père.
Que lui est-il arrivé pendant le génocide ?
Le témoin : Ma mère s’était séparée de mon père en 1963, c’est à ce moment-là qu’ils se sont séparés.
Président : Que leur est-il arrivé pendant la période du génocide ?
Le témoin : Ma mère, ses quatre filles et son fils, tout le monde a été tué.
Président : Où ?
Le témoin : Dans l’ancienne commune de MARABA, pas très loin de GIKONGORO, dans la préfecture
de BUTARE.
Président : Pouvez-vous nous dire si vous avez assisté à des réunions durant la période du génocide
avec des autorités ?
Le témoin : Oui, il s’est tenu à la commune de NYAMAGABE une réunion rassemblée par
SEMAKWAVU et avec les autres ils circulaient dans toutes les ruelles appelant les gens à la réunion.
Président : Quand est-ce que c’était ?
Le témoin : Je ne me souviens pas des dates, mais à ce moment-là les Inkotanyi avaient beaucoup
avancé dans leur travail, et ils étaient là au milieu du Rwanda.
Président : Cette réunion avait lieu avant l’attaque de l’ETO [7] de MURAMBI ou après ?
Le témoin : C’est cette réunion qui s’est tenue à NYAMAGABE, pour aller tuer les gens à MURAMBI
dans la nuit même qui allait suivre, à 3 heures du matin.
Président : Donc, c’est au cours de cette réunion, qu’on a préparé l’attaque de MURAMBI ?

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Le témoin : Oui, dans cette réunion, il a été résolu de tuer un certain Gaspard MGIRENTE, qui habitait
près de la commune, à 300 mètres.
Président : Pourquoi avait-il été décidé de le tuer ?
Le témoin : Ce qui les a poussés à le tuer, c’est qu’on disait qu’il collaborait avec les Inkotanyi qui se
trouvaient à KINIHIRA.
Président : Il était Hutu ou Tutsi ?
Le témoin : C’était un commerçant, un Tutsi, qui tout simplement exerçait ses activités commerciales
et rien d’autre. Ce jour-là, huit personnes ont perdu la vie.
Président : Qui étaient ces huit personnes ?
Le témoin : Ce jour-là, parmi les huit, il y avait lui-même, son épouse, ses enfants. Les corps ont été
exhumés, et à ma sortie de prison, c’est moi-même qui ai supervisé cette exhumation.
Président : Revenons à cette réunion. Qui y a participé ?
Le témoin : Cette réunion rassemblait plusieurs personnes. À l’aide du mégaphone, on avait invité les
gens à cette réunion de sécurité, la salle était remplie même à l’extérieur.
Président : Donc, c’était une réunion publique ?
Le témoin : Oui, c’était une réunion publique. Il y avait la population, des fonctionnaires, des
commerçants importants, toute la ville avait afflué.
Président : Qui présidait la réunion?
Le témoin : Elle était présidée par le colonel SIMBA et SEMAKWAVU. Laurent BUCYIBARUTA était
également là, il était assis au podium, mais je ne l’ai pas entendu dire quoi que ce soit.
Président : Donc, il était là assis au podium et il n’a pas parlé ?
Le témoin: Je n’ai rien entendu. Je ne sais pas s’ils peuvent décider de rassembler une réunion qui
aurait pu prendre de telles résolutions à l’insu du préfet.
Président : Soyons clair, vous l’avez vu ou vous ne l’avez pas vu ? Ou tout simplement vous pensez
qu’il aurait dû être là ?
Le témoin : J’habite dans la ville de GIKONGORO et je suis natif de là.
Président : Donc, vous affirmez que Laurent BUCYIBARUTA était présent à cette réunion ?
Le témoin : Oui, il était présent à cette réunion.
Président : Mais il n’a rien dit ?
Le témoin : Je n’ai rien entendu. Dire autrement, ce serait mentir.
Président : Vous avez dit qu’on a organisé les massacres. Mais, qu’est-ce qui a été organisé ?
Le témoin : En réalité, pour cette réunion, ce n’est pas la première fois que je comparais pour ça. J’ai
comparu à ce sujet devant la juridiction Gacaca [8]. D’ailleurs, dans le cadre de ce procès, il a été décidé
que je retourne à la prison. Je suis retourné à la prison dans des circonstances pas claires car en face
j’avais des adversaires plus puissants que moi. Moi, j’ai mis en cause 64 personnes. C’est moi-même
qui ait fait exhumer les corps de Gaspard MGIRENTE et de sa famille. C’est à ce moment-là qu’on a
commencé à ourdir un complot contre moi de manière très importante, d’ailleurs ça continue
aujourd’hui. A présent ça continue, rappelez-vous les policiers français qui m’ont convoqué à
GIKONGORO, je leur ai donné une liste.
(A ce stade, il serait judicieux de rappeler aux témoins qu’ils ne sont pas entendus dans le cadre de leur
procès. Le témoin s’énerve comme si c’est son procès qu’on recommençait. Il faudrait bien leur dire ou

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redire qu’ils sont là parce qu’on souhaite entendre leur témoignage dans le cadre du procès de Laurent
BUCYIBARUTA. Les témoins seraient moins sur leurs gardes.)
Président : On va en reparler, je voudrais savoir ce qui a été discuté et décidé lors de cette réunion ?
Le témoin : Dans cette réunion, ils ont décidé qu’à 3 heures du matin, ils allaient attaquer MURAMBI
et ce fut ainsi.
Président : A quel moment a-t-il été question de tuer Gaspard MGIRENTE ?
Le témoin : D’abord, pour commencer, à NYAMAGABE, on a tué un certain Samuel, un ingénieur civil
dont la femme était enseignante. Elle vit toujours à KIGALI On l’avait fait venir, on l’a remis à
SEMAKWAVU en lui disant qu’il fallait qu’il soit éliminé.
Président : C’était quand ?
Le témoin : Le jour même, tout ça a eu lieu le même jour.
Président : Pourquoi a-t-on tué Samuel ?
Le témoin : On avait trouvé sur lui un album photo où on pouvait le voir porter un uniforme
des Inkotanyi [9].
Président : Quand est-ce qu’il a été tué ?
Le témoin : Le jour même.
Président : Le jour de la réunion ?
Le témoin : Oui, pour ce qui concerne Gaspard MGIRENTE, pour le tuer, on a utilisé de l’essence et des
grenades de type M26, ainsi que des fusils de type Lee-Enfield.
Président : C’était pendant, avant ou après la réunion ?
Le témoin : D’abord, il y eu le cas de Samuel qui a été tué pendant la réunion. Après, il y a eu la
réunion et le reste est arrivé après la réunion. Il y a d’abord eu le cas de Samuel, qui a été tué près du
bureau communal. Du bureau communal au domicile de Samuel, il y avait un kilomètre.
Président : Il a été tué chez lui ou au bureau communal ?
Le témoin : Au bureau communal, il a été enterré devant le bureau communal dans un champ de
petits pois.
Président : Comment son épouse a-t-elle pu survivre ?
Le témoin : J’ignore les circonstances dans lesquelles son épouse et ses enfants ont survécu, mais je
sais pertinemment qu’elle est ici à KIGALI.
Président : Est-ce que les participants à la réunion sont déjà présents ?
Le témoin : Oui, ils étaient là.
Président : Est-ce que Laurent BUCYIBARUTA était là ?
Le témoin : Oui, il était là lui aussi.
Président : Il a assisté à cette scène de meurtre? Ils ont tué comment Samuel ?
Le témoin : On l’a livré à des jeunes gens, ce sont des jeunes gens qui l’ont emmené et qui l’ont tué en
lui donnant des coups de gourdins.
Président : Vous, vous étiez où ?
Le témoin : J’étais au bureau communal. J’avais répondu présent à la réunion comme les autres.
Président : Ensuite, ça ne se passe pas dans la salle du bureau communal, mais à l’extérieur ?
Le témoin : Oui, ils ne l’ont pas tué à l’intérieur de la salle, mais à l’extérieur.
Président : Qu’est-ce qu’on dit à la réunion?
Le témoin : Ce qui a suivi, c’est donner les directives sur la manière dont on allait tuer à MURAMBI.
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Président : Quelles étaient les directives ?
Le témoin : Qu’on devait préparer l’attaque qui allait être menée à 3 heures du matin. C’est à cette
heure-là que l’on a décidé.
Président : Est-ce qu’on a décidé autre chose ? Est-ce que les gendarmes étaient là ?
Le témoin : Il y en avait, il y avait le colonel BIZIMUNGU, qui était le chef des gendarmes, le capitaine
SEBUHURA. Il y avait les autres, il y avait aussi Janvier qui était sous-lieutenant et il est aujourd’hui
capitaine dans l’armée ici. Mais, il est en prison.
Président : Est-ce que la population devait s’habiller d’une certaine façon ?
Le témoin : Non, ils ne s’habillaient pas d’une certaine façon, mais ils étaient habillés ordinairement.
Par contre, lors de l’attaque de MURAMBI, ils portaient des branchages, des herbes, des choses qui
sortaient de l’ordinaire.
Président : Est-ce que l’on a donné des armes ?
Le témoin : Ce jour-là, les armes n’ont pas été distribuées.
Président : On avait distribué les armes avant ?
Le témoin : J’avais entendu que le colonel SIMBA en avait distribué à KINYAMAKARA. Mais, ce sont
des choses que j’ai entendu dire
Président : Donc, le rendez-vous est donné à tout le monde à 3 heures du matin ?
Le témoin : Oui.
Président : Et vous, vous y êtes allé à 3 heures du matin ?
Le témoin : J’ai un problème de vue, je ne me déplace pas la nuit.
Président : Vous ne voyez pas bien la nuit ?
Le témoin : Je ne me déplace pas de nuit et d’ailleurs quand les autres vont faire les rondes nocturnes,
je n’y vais pas.
Président : Mais, la réunion communale avait-elle lieu de jour ou de nuit ?
Le témoin : De jour.
Président : Comment on en vient à tuer Gaspard MGIRENTE et sa famille. Qui dit qui faut tuer
Gaspard ?
Le témoin : SEMAKWAVU, le capitaine SEBUHURA, Janvier HABAYISENGA, il y en avait un autre qui fut
comptable de la commune de NYAMAGABE, il est d’ailleurs en prison. Il y avait en un autre, un certain
BUCYANA.
Président : C’est eux qui avaient dit qu’il fallait le tuer ?
Le témoin : Ceux sont eux qui ont pris cette décision, mais il y avait aussi des gendarmes et parmi eux
j’en ai vu qui avaient des grenades.
Président : Pouvez-vous me dire clairement qui a tué MGIRENTE et sa famille ?
Le témoin : On a déclaré que Gaspard MGIRENTE allait à KINIHIRA. Le colonel SIMBA et SEMAKWAVU
ont dit qu’ils ne comprenaient pas ce que l’énergumène faisait encore là à GIKONGORO, donc tout
comme Samuel, ils furent les premiers à être tués.
Président : Qui l’a tué ?
Le témoin : Ils étaient nombreux et avaient encerclé les lieux. L’attaque était très grande. Ce n’était pas
encore la nuit, c’était en soirée, mais seulement, de mémoire c’était le jour du marché.
Président : Au moment de ces meurtres, vous avez été présent ? Vous les avez vus ? Avant qu’on tue
les gens, est-ce que vous étiez là ?
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Le témoin : C’était des choses qui se sont passées en plein jour et j’étais là. J’étais là comme tout le
monde.
Président : Est-ce que vous avez été condamné pour ces meurtres ?
Le témoin : Non, car je n’ai pas pris part à ces massacres. J’ai été condamné pour d’autres faits.
Président : Pour quels faits avez-vous été condamné ?
Le témoin : J’ai été condamné pour d’autres faits et notamment le meurtre d’une jeune fille, mais là
encore ce sont des choses que l’on a inventées, ce n’est pas vrai, je n’ai rien fait.
Président : Donc, vous avez été victime d’une erreur judiciaire ?
Le témoin : Non, il ne s’agit pas d’une erreur judiciaire, il s’agit par contre de paiement effectué par
mes détracteurs, ceux-là même que je mets en cause, ils m’ont vendu.
Président : Est-ce que vous avez tué quelqu’un ou pas ?
Le témoin : Moi, personnellement, je n’ai jamais tué personne.
Président : Vous nous dites qu’il y a cette réunion communale dans la journée, que vous assistez à
des massacres et qu’il va y avoir l’attaque de MURAMBI. Et que se passe-t-il ensuite ?
Le témoin : Je voudrais corriger quelque chose. Je ne pourrais pas dire que je n’ai tué personne, alors
que j’étais Hutu et que ceux qui mourraient étaient des Tutsi. En plus, j’ai été à des barrières, j’ai été
dans des attaques, quand on était à des attaques, quand on a tué Gaspard, j’étais présent.
Président : Avant cette réunion au bureau communal, souvenez-vous d’une autre réunion qui
concernait des personnes importantes ?
Le témoin : J’ai participé à deux d’entre elles.
Président : Pouvez-vous me dire de laquelle vous vous souvenez ?
Le témoin : La première est la réunion où il y avait SINDIKUBWABO et KAMBANDA, après leur prise de
pouvoir. À ce moment-là, ils ont appelé les gens aussi pour qu’ils viennent participer à la réunion de
sécurité, donc nous y sommes allés.
Président : C’était quand ?
Le témoin : Je ne me souviens pas des dates, je ne peux pas m’en souvenir, c’était quand
les Inkotanyi avançaient.
Président : Quand vous avez été interrogé, vous avez parlé d’une réunion qui s’est tenue au CIPEP ?
Le témoin : Le CIPEP est une salle polyvalente.
Président : Avez-vous entendu des choses qui se seraient dites durant la réunion au CIPEP ?
Le témoin : A ce moment-là, on nous a demandé de prendre les machettes et de débroussailler les
lieux. Ce fut le cas. En réalité, on n’y a pas dit beaucoup de choses, mais KAMBANDA [10] a pris la parole
et a dit qu’il n’avait pas envie d’y aller et de voir quelqu’un y aller avec le dos de la cuillère.
Président : Bon, je suis un peu perdu et je vais lire vos déclarations. A cette réunion du CIPEP, vous
avez vu le préfet ?
Le témoin : Il ne pouvait pas manquer d’y être.
Président : Est ce qu’il s’agit bien de la première réunion dont vous vous souvenez ?
Le témoin : Non, ce n’était pas la première. La première c’était celle du complot de MURAMBI. Celle-là
c’était la deuxième. La première avait eu lieu au bureau communal.
Président : Le président lit en D 10371/4.. Est-ce que ça vous rappelle quelque chose ?
Le témoin : Je crois qu’il y a quelque chose qui s’est glissé là-dedans. Est-ce que l’erreur vient de moi
ou du verbalisant, je ne sais pas ce qui s’est passé au juste. La réunion du CIPEP fut la première.
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Président : Dans vos souvenirs d’aujourd’hui, la première réunion c’est là où participaient
SINDIKUBWABO [11] et KAMBANDA [12] ?
Le témoin : Non, ça ne collait pas de dire que la première réunion fut celle de SINDIKUBWABO.
Président : Donc, la première réunion c’est la réunion à la commune, et ensuite une réunion avec
SINDYKUBWABO ?
Le témoin : Oui.
Président : Et avec lui, il y avait également le Premier ministre ?
Le témoin : Oui.
Président : Ils étaient là tous les deux ?
Le témoin : Ils étaient là en même temps, tous les deux présents.
Président : Où a eu lieu cette réunion ?
Le témoin : Je consens à ce que Monsieur le Président vient dire, la plupart correspond à la réalité.
Président : Je n’ai toujours pas compris où s’est déroulé cette réunion avec SINDIKUBWABO et
KAMBANDA ?
Le témoin : Elle s’est déroulée au CIPEP, c’était dans une salle polyvalente où se déroulaient des
spectacles et des réunions.
Président : Vous avez remis une liste aux enquêteurs, et tout à l’heure vous avez dit qu’il y avait
combien de participants ?
Le témoin : Cette liste-là contient, normalement, la liste en question qui comporte 64 personnes, mais
celle que vous avez là contient un nombre supérieur. L’enquêteur français m’a stressé et j’ai remis celle
que j’avais dont le nombre est supérieur. J’avais avec moi un classeur avec des papiers.
Président : Est-ce que c’est l’enquêteur français qui a établi cette liste ?
Le témoin : Non, ce n’est pas lui.
Président : Qui a fait cette liste ?
Le témoin : C’est moi qui lui ai remis cette liste.
Président : Si je comprends bien, ce n’était pas la bonne liste que vous lui avez remise ?
Le témoin : La liste que je lui ai remise n’était pas la bonne, la bonne comprend un nombre de 64
personnes.
Président : Pourquoi vous ne lui avez pas donné la bonne ? Je ne comprends rien.
Le témoin : Les 64 en question sont inclus dans la liste que vous avez et j’en ai parlé devant la
juridiction Gacaca, quand je lui ai remis cette liste je ne savais pas qu’il allait la prendre avec lui. Ce qui
me dérange, c’est que ce n’était pas moi qui prenais note personnellement, je me faisais écrire.
Président : Vous parlez de quoi ? De la liste ou du procès-verbal de votre audition ?
Le témoin : Je pense que cette la liste comporte un nombre supérieur au nombre réel, quand on
l’écrivait pour moi.
Président : Donc, on n’a pas écrit ce que vous disiez ?
Le témoin : Ils ont rajouté d’autres choses dans leurs propres intérêts.
Président : Qui a écrit cette liste ? Quels étaient les intérêts en cause ?
Le témoin : La personne qui a rédigé cette liste pour moi n’est plus en vie, il est décédé, un certain
KALISA. Cela se faisait à la prison quand nous étions en détention.
Président : Est-ce qu’on a ajouté à la liste que vous aviez en tête le nom de Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Oui, ils ont ajouté des choses que je ne leur avais pas dites.
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Président : Est-ce qu’on a rajouté le nom de Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Non, ils n’ont jamais ajouté son nom car il y figurait déjà.
Président : Vous avez fait également état d’une autre réunion qui aurait eu lieu au marché ? Pouvezvous nous en parler ?
Le témoin : La réunion a eu lieu au moment où il était devenu clair que l’État de SINDIKUBWABO et
KAMBANDA avait perdu.
Président : Que s’est-il passé ?
Le témoin : Cette réunion avait pour objet la collecte des fonds. Il n’y a pas eu beaucoup de choses à
ce moment-là. Finalement, ces fonds avaient pour but la rétribution des jeunes gens qui devaient aller
combattre les Inkotanyi à NYANZA.
Président : Qui était présent à cette réunion ?
Le témoin : Laurent BUCYIBARUTA et beaucoup beaucoup d’autres, impossible de les énumérer tous.
Président : Est-ce qu’il y avait le colonel SIMBA ?
Le témoin : Oui, il était présent, tout comme SEMAKWAVU.
Président : Est-ce qu’il y avait la présence d’un certain GASANA ?
Le témoin : C’est GASANA qui s’est attaqué frontalement à Laurent BUCYIBARUTA, qui venait de
donner comme contribution, une somme de 8 000 francs au moment où les autres avaient donné
beaucoup plus. GASANA avait dit que lui aussi devait être un complice.
Président : Il l’a menacé ?
Le témoin : Il l’a beaucoup menacé, vraiment.
Président : C’est-à-dire ?
Le témoin : GASANA, c’était quelqu’un de terrible, il le menaçait beaucoup, il disait que celui-ci ça doit
être un complice.
Président : Une toute dernière question. Vous avez parlé d’une réunion au cours de laquelle on vous a
incité à débroussailler. Qui a donné ce conseil ? C’était ou ? C’était quoi ?
Le témoin : Le débroussage a été évoqué par KAMBANDA qui était Premier ministre.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose Monsieur ?
Le témoin : Par rapport à cette réunion, j’ai quelque chose à dire. Même si le procès se déroule en
France, ce que je dis pour terminer, c’est que cette réunion a envoyé les jeunes gens de KINIHIRA,
les Inkotanyi [13] les ont tous tués, et personne n’est revenu.
La deuxième chose c’est que la raison pour laquelle GASANA BIHEHE s’est attaqué frontalement à
Laurent BUCYIBARUTA, c’est qu’un homme était venu de KIGALI pour fuir à GIKONGORO et avait avec
lui six véhicules. C’était un natif de GIKONGORO, il s’appelait RUBADUKA. Après qu’on a dit qu’il fallait
attaquer les Inkotanyi à NYANZA, mais quand ils faisaient cela, eux il avaient des gourdins. Laurent
BUCYIBARUTA a dit: « Si c’est de l’argent dont vous avez besoin, je vais vous en donner », et de sa
poche, il a sorti 300 mille. Après qu’il ait sorti les 300 mille, les autres ont suivi cet exemple pour qu’on
aille combattre les Inkotanyi. À ce jour-là, l’argent qui fut collecté, c’était plus d’un million. Quand un
citoyen voulait emprunter pour fuir, parce que les gens étaient en train de fuir, on lui demandait 200
mille francs. Vous avez abandonné la population, vous avez pris les autobus, vous êtes allés au Congo
et en France: vous avez abandonné la population.
Président : Vous parlez à qui ? Laurent BUCYIBARUTA ?

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Le témoin : Je m’adressais à Laurent BUCYIBARUTA, ainsi qu’à d’autres autorités qui étaient avec nous.
Apres cet argent, on ne les a plus revu.
Président : Est-ce que, dans votre souvenir, on a accusé Laurent BUCYIBARUTA d’accueillir des Tutsi ?
Le témoin : Tout ce que je sais c’est que Laurent BUCYIBARUTA avait comme chauffeur un certain
KATABARWA, qui était Tutsi. S’il l’a caché, je ne sais pas. Toujours est-il qu’il a fui à CYANIKA et qu’il
est mort.
Président : Est-ce que lors de cette réunion au marché on a accusé Laurent BUCYIBARUTA d’avoir
accueilli des Tutsi ?
Le témoin : Je n’ai pas entendu cela, je ne pourrais pas vous dire que je les ai entendus.

Audition de monsieur Emmanuel HABYARIMANA, cité par la défense, ancien général des FAR.
« Je connais Laurent BUCYIBARUTA depuis les années 80. J’étais militaire et en 1994 nous avons été
ensemble de mai à juillet: on se voyait de temps en temps.
En 1986, j’étais responsable du renseignement à KIBUNGO et lui, préfet. C’était un bon préfet, un bon
chrétien catholique, qui avait de bons contacts avec les militaires. Il était apprécié par la population.
A GIKONGORO, je m’y suis trouvé à partir de mai 1994. On se voyait souvent, notre école militaire avait
été transférée à KIGEME. C’était une période difficile pour tout le monde, y compris pour le
gouvernement intérimaire. AGIKONGORO, des gens étaient venus de partout et l’évêque MISAGO et les
autorités ont fait ce qu’ils pouvaient. Les Interahamwe étaient puissants, j’ai moi-même failli être tué.
J’étais au MUTARA, je les ai repoussés. Ces gens étaient incontrôlables, pillaient les biens, la situation
était chaotique. On a essayé de faire comme on pouvait. Le préfet amenait chez nous des personnes
rescapées. A MURAMBI, se sont produites des tueries regrettables. Le travail du préfet n’était pas facile. »
Va suivre alors une très longue séance sur questions de monsieur le président. Le témoin va
commencer pas décliner toutes les fonctions qu’il a occupées au sein de l’armée à partir d’août 1974:
police militaire, ESO de BUTARE, commandant d’une compagnie dans un commando de combat à
RUHENGERI. Puis ce sera la Belgique où il va faire des études de logistique. A son retour, il est nommé
au Centre d’instruction du BUGESERA où il se consacre à la formation des militaires de base. Retour au
Bataillon Commando de RUHENGERI en 1985. L’année suivante, on le trouve à KIBUNGO comme
officier chargé du renseignement militaire. Il participe alors à des réunions de sécurité avec le préfet
qui les préside. Il existe à côté un Conseil de défense pour les militaires.
A partir de 1987 et pour deus ans, il reprend des études à l’Ecole de guerre de BRUXELLES. En août
1989, il est nommé au Bataillon Para-commando de KANOMBE, termine son troisième cycle à l’Ecole
de guerre et, à partir de septembre 1990, il devient commandant de compagnie à l’Ecole Supérieure
militaire de KIGALI pour la formation de officiers militaires.
En septembre 1990, le témoin dit avoir fait la guerre et avoir été mis en prison comme complice du
FPR pour avoir fait des études en Belgique. Il est innocenté en juiller1991 et quitte la prison.

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Jusqu’en mars 1994, il devient directeur des sports et va entrer en conflit avec Protais ZIGIRANYIRAZO,
alias monsieur Z, frère d’Agathe HABYARIMANA et de SAGATWA. Ce sont les hommes forts du régime.
Monsieur Z continuait à nommer les ministres.
Avril 1994, devenu major, il est Officier chargé des renseignements au Secteur opérationnel du
MUTARA;
L’attentat contre le président HABYARIMANA? « Un moment douloureux, tragique. Depuis la signature
des Accords d’ARUHA que je soutenais, la situation s’était tendue. Des officiers qui s’opposaient aux
accords vont être mis à la retraite: Laurent SERUBUGA (NDR. Visé en France par une plainte dont on
attend l’issue), Théoneste BAGOSORA (NDR. Considéré comme le cerveau du génocide et condamné au
TPIR, mort en détention au Mali en septembre 2021) et Pierre-Célestin RWAGAFIRITA (NDR. Homme fort
de la gendarmerie à KIBUNGO en 1994 et mort en exil au Cameroun). Ils ont interprété leur mise à
l’écart comme la volonté de faire place au FPR. »
Le témoin questionné par le président, est toujours convaincu que l’attentat est l’œuvre du FPR qui
savait que, le ministre de la Défense et de l’Intérieur étant absents, on pouvait faire n’importe quoi et il
en connaissait les conséquences. « Le FPR est le responsable suprême du génocide. J’ai tremblé le 7
avril. »
Le témoin parle ensuite de l’attaque du camp de NYAGATARE, un camp de déplacés politiques Hutu
« raisonnables » et Tutsi, malgré la présence de la MINUAR. Ce camp a attaqué par des gens venus en
bus, des Interahamwe venus de MURAMBI (le MURAMBI près de BYUMBA) pilotés par le bourgmestre
GATETE. Le témoin s’oppose aux tueries mais il doit aussi se battre avec le FPR.
Le 17 avril 1994, il est nommé comme responsable de l’Ecole supérieure militaire pour deux raisons:
avoir protégé le camp de NYAGATARE et avoir repoussé les Interahamwe. Ils avaient besoin de
quelqu’un qui puisse former des officiers rapidement. De KIGALI, l’Ecole Supérieure Militaire va être
transférée à NYANZA, puis à KIGEME.
« Dès mon arrivée, je vois le préfet et MISAGO originaire de BYUMBA. Laurent BUCYIBARUTA était
inquiet. Les Interahmwe nous menaçaient, il n’y avait pas de moyens de les empêcher. On a protégé des
rescapés venus de KIBEHO et d’ailleurs. En arrivant, je n’étais pas au courant des massacres des élèves de
l’école Marie-Merci. C’est l’évêque qui m’en a informé. »
Emmanuel HABYARIMANA rapporte une confidence de BINIGA: « On va attaquer le préfet qui ne veut
pas agir. »
Le président: Vous avez informé le préfet que BINIGA voulait lui faire la peau?
Le témoin: Si les Français n’étaient pas arrivés, on se serait battu avec les Interahamwe. On a averti les
Français que le préfet était en danger. A KIGEME, à MURAMBI, les Français se sont occupés des gens
qu’on avait déjà sauvés. Les Français nous ont convaincus de ne pas nous battre contre le FPR.
Monsieur le président lit un communiqué des FAR dont le témoin est signataire [14]:
« Nous, membres des forces armées rwandaises,
En vue de contribuer d’ores et déjà à asseoir les bases d’un espoir de réconciliation nationale
notamment en combattant l’injustice, la haine ethnique et régionale et toute autre forme

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d’intolérance et d’exclusion; convaincus que le peuple rwandais triomphera des extrémismes
de tous bords; considérant que la guerre vient de faire des centaines de milliers de victimes
trop de déchets matériels et de déplacer des millions de rwandais ;
Considérant que cette population en détresse reste abandonnée à elle-même en proie au
désarroi et au désespoir ;
Considérant que le génocide et tous les autres crimes contre l’humanité déciment la
population rwandaise ;
Considérant que la chasse aux cadres civils et militaires, voire même leur élimination
physique à cause de leurs opinions se poursuit ;
Étant donné que les intellectuels rwandais civils et militaires ont été réduits au silence par la
terreur ;
Étant donné que la mise en place des instances politico-administratives s’orchestre dans la
terreur et que la majorité des autorités politico-administratives, militaires et ecclésiastiques ne
fait qu’exécuter les injonctions des groupuscules extrémistes par intimidation ;
Vu que toute la tragédie rwandaise émane de l’égocentrisme sanguinaire des groupuscules
extrémistes avides de pouvoir ;
Considérant que seules les consciences rongées par les remords dus aux crimes à leur charge
peuvent chercher s’opposer à notre initiative ;
Après maints contacts discrets et informels restés infructueux depuis le déclenchement des
hostilités en avril 1994 ;
Nous déclarons, cette fois-ci officiellement, notre ferme détermination d’œuvrer avec toutes
les forces de bonne volonté à lutter contre le génocide ethnico-politique et régional. Nous
nous opposerons par tous les moyens à ce genre de crime. Nous dénonçons et condamnons
avec la dernière énergie le génocide et tous autres crimes contre l’humanité qui viennent de
s’abattre sure notre pays ;
Nous condamnons les autorités, les agents et les médias qui diffusent une propagande
criminelle et sanguinaire ;
Nous rejetons toute idée éventuelle de partition de notre pays de quelque manière que ce soit ;
Nous recommandons des négociations immédiates pour la mise en place des institutions et
l’intégration des Forces armées dans le cadre de l’accord de paix d’Arusha ;
Nous demandons au Front patriotique rwandais de faire montre de patriotisme pour arrêter les
combats qui déplacent de nombreuses populations renforçant ainsi leur misère ;
Nous demandons à la communauté internationale de soutenir les efforts de cessez le feu et
les négociations entre toute les parties concernées pour l’application de l’accord de paix
d’Arusha. Nous demandons à cette communauté internationale de mettre sur pied un tribunal
international pour juger les auteurs du génocide et des autres crimes contre l’humanité ;
Nous invitons les membres des Forces armées rwandaises et toutes les forces vives de la
nation à s’unir et à se désolidariser du génocide et des autres crimes, de militer pour la paix
et la réconciliation nationale. Nous faisons appel à leur conscience patriotique pour
transcender tous les clivages et dépasser tout esprit divisionniste et revanchard.
Nous, membres des Forces armées rwandaises, aux côtés des autres fils et filles dignes de ce
pays, avons décidé de continuer la lutte démocratique jusqu’à ce que nos compatriotes
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puissent vivre en symbiose une paix durable dans l’égalité et la justice. »
Général de brigade Léonidas RUSATIRA, Général de brigade Marcel GATSINZI, Colonel BEM
Venant MUSONERA, Lieutenant-Colonel Dr Frodouald MUGAMANYI, Major BEM Emmanuel
HABYARIMANA, Major Gendarme Cyriaque HABYARABATUMA, Major Alex RWABUKWISI, Major
Gendarme Jeanne NDAMAGE.
Monsieur le président interroge ensuite le témoin, revenu au pays en juillet 1994, sur sa carrière
politique après le génocide: stage de formation à l’Histoire du Rwanda et à l’idéologie du FPR, député
au Parlement, directeur général au Ministère de la Défense, ministre de la Défense en 2002. Il se
réfugiera en Suisse en 2003.
Monsieur le président lui fait remarquer qu’il ne dénoncera le massacre des réfugiés rentrés de
Tanzanie en 1996 que huit ans plus tard. (NDR. Un épisode qu’il faudrait passe au crible de la vérité
historique. Des réfugiés du camp de BENAKO sont bien rentrés à cette époque. Y a t-il eu des massacres
systématiques parmi eux?)
Le témoin prétend les avoir dénoncés aussitôt à KAGAME.
Le président: Laurent BUCYIBARUTA a t-il dénoncé les crimes de GIKONGORO?
Le témoin: Je pense qu’il l’a fait. Je pense qu’aujourd’hui il les dénonce. Laurent BUCYIBARUTA était
un homme tolérant qui ne pouvait pas assassiner les gens. A GIKONGORO, il a agi correctement. C’est
un homme bien. Il n’a rien fait de mal.
Madame l’assesseur demande au témoin des précisions sur la chronologie des événements, à partir
de son arrivée à KIGEME, par rapport au massacre de Marie-Merci.
Le témoin répète ce qu’il a dit: A mon arrivée, je n’étais pas au courant de ce qui s’était passé à
KIBEHO. Je l’ai su quand l’évêque nous a amené trois filles. Depuis, j’ai obtenu un visa à KAMPALA et je
suis naturalisé.
Madame l’assesseur évoque la rapidité de l’effondrement des FAR.
Le témoin: C’est normal. On a envoyé au front quelqu’un qui n’a pas combattu depuis trois ans.
Madame l’assesseur: Votre communiqué, en le publiant trois jours après la prise de KIGALI, vous en
espériez quoi?
Le témoin: Nous en espérions beaucoup. La guerre n’était pas finie! Cette guerre continue. Les FAR
avaient perdu le sens de leur mission. On avait la Crête Congo-Nil, on aurait pu résister. On avait des
chars.
Maître PARUELLE revient sur le terme de « guerre » utilisé par le témoin. Vous parlez de guerre pour
quels faits?
Le témoin: la guerre, c’est un conflit armé. Le génocide correspond à une définition précise et n’est
pas lié à la guerre. A partir d’avril, nous étions toujours en guerre contre le FPR. Le génocide avait
commencé avant. Un génocide peut se faire sans guerre. (NDR. Des propos qui mériteraient plus
d’explications.)
Maître GISAGARA va poser quelques questions brèves sur le comportement de BUCYIBARUTA lors
des massacres de KIBEHO (le témoin ne connait pas son comportement), sur la déclaration de KIGEME
et de l’expression » autorités qui exécutent les injonctions » dont le préfet est exclu!

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Le témoin insiste pour parler de « génocide rwandais » parce que des Hutu ont été exterminés aussi.
Pas de plan concerté, reprend l’avocat?
Le témoin: le FPR voulait le chaos pour prendre le pouvoir. C’est le FPR qui a préparé la guerre, le
génocide, avec l’Ouganda. Les politiciens, KAMBANDA y compris, n’ont pas respecté les accords
d’ARUSHA. Quant à l’attentat contre HABYARIMANA, j’ai des preuves qui montrent que l’avion a été
abattu par le FPR.
Maître TAPI: Vous dites que le préfet est quelqu’un de bien. C’est sur son initiative que les réfugiés
ont été rassemblés à MURAMBI. Vous le savez? Alors qu’il n’avait pas les moyens de les protéger.
Le témoin: on peut vouloir rassembler les gens et ne pas avoir les moyens de les protéger.
Maître TAPI: Depuis quand savez-vous que le génocide a été planifié par le FPR?
Le témoin: Depuis le début de la guerre.
Maître TAPI: Et vous êtes restés au Rwanda jusqu’en 2003?
Le ministère public: Vous parlez de génocide contre les Rwandais. Vous voulez dire qu’il y a eu un
double génocide?
Le témoin: Non, il y a un génocide rwandais.
Le ministère public: Votre rencontre avec BINIGA qui veut attaquer el préfet. Comment l’avez-vous
empêché d’attaquer le préfet? Bous avez mis en place une surveillance du préfet?
Le témoin: On l’a protégé jusqu’au bout.
Le ministère public: Pourquoi en juillet 2005, n’avoir pas parlé de l’épisode de la menace de mort du
préfet?
Le témoin ne donne pas de réponse.
Ministère public: SIMBA, vous en savez plus?
Le témoin: Je l’ai vu sur une barrière.
Le ministère public: à la côte D 8647 & 401, il est dit que la planification des massacres de MURAMBI,
CYANIKA, KADUHA sont une « entreprise criminelle commune »!
Le témoin: C’est la Cour qui le dit.
Le ministère public cite des côtes du dossier: D 2694/2641 (ou 10941)/10946. citant Laurent
BUCYIBARUTA lors du procès SIMBA. Vous ne faites que rapporter ce qu’on vous a dit?
Maître BIJU-DUVAL se dit inquiet car l’avocate générale cite une déclaration du préfet alors qu’il n’a
pas été jugé par le TPIR! Il interroge le témoin: « Etes-vous capable de situer la scène où vous croisez
BINIGA? »
Le témoin: C’était avant l’Opération Turquoise, à la mi-juin.
BIJU-DUVAL: Votre collaboration avec le préfet et monseigneur MISAGO concernant l’accueil des
rescapés à l’ESM de KIGEME?
Le témoin: Les rescapés savaient qu’ils seraient protégés à l’ESM.
BIJU-DUVAL: la déclaration de KIGEME, elle était courageuse? Pourquoi pas adressée à Laurent
BUCYIBARUTA?
Le témoin: Cette déclaration était faite aux militaires.

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BIJU-DUVAL: Et pourquoi le 7 juillet?
Le témoin: On voyait que les FAR partaient au Zaïre. Le FPR voulait poursuivre les réfugiés jusqu’à
CYANGUGU. Les militaires ne nous ont pas écouté. Ils ont préféré partir.
BIJU-DUVAL: Vous restez une dizaine de jours à BUKAVU. Vous êtes considérés comme des traîtres
par le gouvernement intérimaire?
Le témoin: Oui.
Fin d’une audition qui a duré plus de trois heures. Raison pour laquelle je n’avais pas pu rédiger
le compte-rendu plus tôt. Manque de temps? Manque de courage?

Audition de monsieur Léonidas NYILINGOGA, partie civile, cité par SURVIE.
« J’ai été maltraité comme mes autres compatriotes. J’ai perdu mon épouse et mes cinq enfants, ainsi que
mon travailleur. Nous étions perdus alors que Laurent BUCYIBARUTA pouvait m’assister car on se
connaissait. C’était un ami, je l’avais invité à mon mariage. Pendant le génocide, il n’a rien fait pour moi
ni pour les Tutsi. A KARAMBO, jusqu’au 13 avril, les Interahamwe nous ont attaqués: le bourgmestre nous
demandait de veiller sur son bureau. Il m’a promis d’aller faire une démarche auprès du préfet.
Le 14 avril, le bourgmestre, Augustin GASHUGI, s’est rendu au Bureau de la préfecture et au lieu de
ramener une bonne nouvelle, il est venu avec des gendarmes, pour nous tuer. Dès le lendemain, ils ont
tiré sur nous. Les gendarmes et la population étaient plus forts que nous. Nous sommes allés à KADUHA.
Pendant les cinq jours qui ont suivi, les gendarmes nous ont attaqués. Il y a eu plus de 50 000 morts. De
NYAMAGABE, je suis le seul survivant.
Après, je me suis caché dans les buissons, chez des voisins. J’ai parcouru plus de quatre communes
jusqu’à arriver à KIGEME, chez l’évêque que j’ai supplié. Une réunion s’est tenue à l’hôpital de KIGEME.
Les malades et les gardes malades ont été tués.
Puis je suis allé à MURAMBI, après le grand massacre. Ce qui m’a beaucoup frustré, c’est quand on a
demandé à Laurent BUCYIBARUTA quelle situation prévalait dans sa préfecture, lors d’une émission
radio: « Tout va bien, à part quelques-uns qui se regardent en chiens de faïence » aurait-il déclaré. »
Sur questions de monsieur le président, le témoin déclare qu’il connaît Laurent BUCYIBARUTA depuis
les années 80; Lui était pasteur à la tête d’une paroisse et l’accusé alors député. Ils étaient amis, jusqu’à
l’avoir invité à son mariage.. Ils habitaient à environ 5 kilomètres l’un de l’autre, à KADUHA.
« Le bourgmestre GASHUGI vous a demandé de protéger les bureaux de la commune? » interroge
monsieur le président.
Le témoin: Je n’ai pas dit tout à fait cela. Au bureau, il nous a demandé de nous protéger nousmêmes. Il ne voulait pas que son bureau soit détruit.
Monsieur NYILINGOGA de poursuivre. « Les 7 et 8 avril, les Tutsi avaient commencé à se réfugier au
bureau communal et leur nombre a beaucoup augmenté. Vers le 11, les gens sont venus au bureau
communal pour tuer les réfugiés. Le bourgmestre a eu recours à moi parce que j’étais pasteur, j’étais
Tutsi et capable de discuter avec lui.. Il nous a demandé de nous défendre avec des pierres. Il n’avait pas
compris que les ordres venaient de plus haut. Le 12, les réfugiés subiront d’autres attaques.

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Le bourgmestre avait promis d’aller voir le préfet. Il s’est rendu à son bureau le 14. Revenu le soir, il avait
changé. Il était accompagné de gendarmes, a fait sortir les gens du bureau communal.
Le vendredi 15, nous sommes allés sur les collines pour nous défendre.. Les gendarmes s’étaient ligués
avec les tueurs. Les rescapés se sont alors réfugiés à l’église catholique de KADUHA. Le témoin apprendra
que sa femme et ses enfants étaient décédés le 16 à KARAMBO. Elle s’était cachée dans une maison d’où
les tueurs l’ont tirée. Certains chrétiens, comme j’étais pasteur, ont essayé de la défendre. « Enlevez la
saleté » auraient dit le bourgmestre et les gendarmes. Ses enfants ont été tués en même temps que leur
maman. L’aîné avait 10 ans, le plus jeune 4 mois ».
Et l’attaque à KADUHA? « Dès mon arrivée, je suis allé supplier sœur MILIGHITA [15] pour qu’elle m’aide à
sauver ma famille: elle avait des problèmes, elle n’a pas pu m’aider. Je suis allé voir le sous-préfet
Joachim, une connaissance. Il savait que j’étais pasteur. Il n’a pas pu m’aider non plus. Quand les
habitants nous attaquaient, nous nous défendions. Les tueurs repartaient. Les autorités nous ont fait
creuser des fosses pour nous faire croire que c’était pour les toilettes. C’était pour nous leurrer.
Le 20 avril, Les autorités ont donné le feu vert aux tueurs. Pendant la nuit, nous avons attendu ce qui
devait arriver. J’ai dit au revoir à mon beau-père et ses enfants. Je ne pensais même pas à ma femme ni
à mes enfants: je ne pensais qu’à moi.. J’ai réussi à partir. L’attaque a commencé vers trois heures du
matin. J’ai passé la journée et la nuit dans la forêt.
Le lendemain, je suis allé chez un ami, parent éloigné de mon demi-frère qui était Hutu. Je passais mes
journées dans la brousse et ne rentrais que la nuit. Je me suis ensuite réfugié chez une tante maternelle
qui a refusé de me cacher.. Le lendemain, un voisin m’a jeté dans une pièce qui servait de dépôt. . Mon
demi-frère a demandé à quelqu’un de me cacher en échange d’une vache.
Je me suis rendu à l’évêché de KIGEME. J’ai demandé à l’évêque de m’aider à passer la frontière. Mais lui
aussi avait peur car lorsque les Tutsi arrivaient à passer la frontière, ils se faisaient tuer. Il m’a demandé
de me rendre à l’hôpital de KIGEME. J’ai refusé de m’y rendre en voiture, mais j’ai fini plus tard par
accepter.. Si j’étais parti à pieds, les militaires de RUSATIRA m’auraient tué. C’est ce qu’on m’a dit à mon
arrivée. Là, j’ai rencontré des militaires qui avaient perdu la guerre.
Je voudrais ajouter, dit le témoin invité à conclure par le président, si je parlais de mon « frère »
(Laurent BUCYIBARUTA), il comprendrait que ce qu’il a fait n’était pas bien. Il n’a rien fait pour nous
sauver. Il n’a offert de refuge à personne. Pourtant, beaucoup de Tutsi qui sont morts avaient confiance
en lui.. Il n’a rien fait alors qu’il le pouvait. Il devrait demander pardon à Dieu et s’en aller paisiblement. »
Monsieur BUCYIBARUTA: « En 1994, je n’avais pas de ses nouvelles car je ne suis jamais allé dans les
communes de KADUHA. Je n’avais ni moyen ni pouvoir pour secourir les gens individuellement ou de
façon collective. Je n’avais pas de forces à ma disposition. J’exprime ma compassion au témoin. Il a vécu
une situation dramatique. Mais aussi ma compassion pour la perte des membres de sa famille. Je lui
souhaite de se reconstruire. »
Le témoin ne partage pas du tout l’avis de l’accusé. Il dénonce de nouveau l’inertie du préfet qui n’a
pas été capable de sauver qui que ce soit. Il aurait pu demander aux bourgmestres de protéger la
population. Il participait à des réunions et ne disait rien.
Monsieur BUCYIBARUTA reprend la parole pour dire, en des termes très voisins, combien il compatit à
la douleur du témoin. Il comprend son raisonnement. « A sa place, je raisonnerait comme lui. Mais la
situation était plus complexe qu’il ne le pense. J’ai toujours demandé aux autorités de protéger la
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population. Moi-même, je ne me sentais pas en sécurité. La Cour appréciera mes faits et gestes. Les
circonstances étaient telles que je ne pouvais pas sauver tout le monde. Je ne pouvais affronter toutes ces
forces du mal.. Je ne disposais d’aucune force ni d’aucune arme pour contrecarrer ces forces. »
Maître BERNARDINI, souhaite revenir rapidement sur les propos de l’accusé lors d’une émission de
radio. Il voudrait que le témoin précise un peu ce qu’il a dit. Le témoin a bien entendu l’émission en
question car il possédait encore sa radio personnelle. Cette émission a été diffusée avant le 11 avril
1994.
Et l’avocat de conclure: « Le préfet devait savoir ce qui se passait dans sa préfecture! »
Il est déjà tard. Monsieur le président clôture l’audience et donne rendez-vous au lendemain 9h30.

Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT
Jacques BIGOT

References
↑1

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑2

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑3

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse
et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président
HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑4

CIPEP : Centre Intercommunal de Développement du Personnel

↑5

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑6

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des
militants des mouvemertnts politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont
disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRNDPOWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑7

ETO : Ecole Technique Officielle.

↑8

Gacaca
: (se
prononce «
gatchatcha
»)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre
Page 538 sur 711

pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant
leur
clôture
officielle
le
18
juin
2012.
Cf. glossaire.
↑9

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑10

Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑11

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑12

Ibid.

↑13

Ibid.

↑14

André Guichaoua : Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda,
1990-1994 –
La
Découverte
(Paris)
: annexes
documentaires
en
ligne :
Annexe 122 : La déclaration des officiers des Forces armées rwandaises du 7 juillet
1994 (document pdf, 56 ko)

↑15

Sœur MILGITHA KÖSSER a documenté le massacre des Tutsi réfugiés dans la paroisse de
Kaduha dans un album photo déjà évoqué lors de l’audition d’Hélène Dumas. Voir également «
Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de l’attestation, Hélène
Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10)

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Procès Laurent BUCYIBARUTA du vendredi 24
juin 2022. J31
25/06/2022

• Audition de monsieur Anastase TWAGIRASHEMA, cité par le ministère public,
en visioconférence du Rwanda.
• Audition de monsieur Marcel BANGAGATARE, cité par la défense, en visioconférence de
Belgique.
• Suite de l’interrogatoire de personnalité (CV) de l’accusé.
• Audition de monsieur Pierre-Damien NZABAKIRA, cité par la défense.
Audition de monsieur Anastase TWAGIRASHEMA, cité par le ministère public, en
visioconférence du Rwanda.
« Le 10 avril 1994, j’ai quitté mon domicile pour aller prier à mon église habituelle ADEPR [1]. Lors du
culte, le pasteur nous a dit que nous devions rentrer chez nous car la situation n’était pas bonne:
« Rentrez chez vous et continuez à prier. »
En sortant, François GASANA, un ami, m’a demandé ma carte d’identité. Constatant que j’avais une carte
d’identité avec la mention « Tutsi », il s’est fâché et a tenu à mon égard des propos violents [2]. Il m’a
demandé pourquoi je possédais une telle carte d’identité et pourquoi je ne lui avais pas demandé qu’on
la change. Il m’a traité d’idiot. On est alors parti sur sa moto jusqu’au Bureau communal de NYAMAGABE
pour négocier une nouvelle carte d’identité auprès du bourgmestre SEMAKWAVU.

Carte d’identité « ethnique » : la mention Tutsi figure sous la photo.
Voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.
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Selon mon apparence physique, je pouvais être Hutu. Arrivés au Bureau communal, mon ami s’est
entretenu avec le bourgmestre. Après la rencontre, il m’a dit qu’il fallait attendre la venue du préfet qui
devait présider une réunion.
Le préfet est arrivé avec le colonel SIMBA [3], le capitaine SEBUHURA [4]. Les conseillers de secteur ainsi
que les responsables politiques étaient présents. Je précise que François GASANA était membre du
MDR Pawa [5].
Laurent BUCYIBARUTA a ouvert la rencontre: « Vous tous, conseillers communaux de NYAMAGABE, vous
devez rassembler les gens qui fuient dans les lieux de culte en un même endroit. afin d’y assurer leur
sécurité.. Vous aussi, responsables des partis politiques, collaborez avec les autorités administratives. »
Le préfet nous a alors fait sortir de la salle pour qu’il puisse s’adresser uniquement aux différents
responsables. GASANA, quant à lui, est resté à l’intérieur. A la fin de la réunion, GASANA est arrivé et il
m’a dit que l’autre (Laurent BUCYIBARUTA? demande le président, le témoin confirme), avait refusé de
me délivrer une nouvelle carte d’identité.
Nous sommes repartis en moto, mon ami se demandant ce qu’il pouvait faire pour me cacher vu que le
sort des Tutsi était réglé. Arrivés chez moi, il a appelé un voisin, Joseph SEBERA, mon cousin et son
second au MDR Pawa. « Je te confie Anastase et sa famille » a-t-il ajouté et ils sont partis. La décision du
préfet était prise: tous les Tutsi devaient être rassemblés à MURAMBI.
Comme GASANA savait que tous ceux qui allaient se rendre à MURAMBI y perdraient la vie, nous avons
décidé, mon épouse hutu et mes huit enfants, de ne pas nous déplacer. Ce jour-là, dimanche 10 avril, les
pillages avaient commencé et c’est le lendemain, le 11, que les massacres ont commencé: nous nous
sommes séparés pour nous rendre dans différents endroits.
François a caché mon fils aîné chez Second, d’autres de mes enfants dans différentes familles, certains
chez leur grand-père maternel, d’autres chez un oncle paternel ou encore chez des beaux-frères.
Personne de ma famille restreinte n’est mort. Par contre, en ce qui concerne les autres, dont mes oncles
paternels qui sont allés à MURAMBI, ils y ont tous été tués.
Au cours de cette semaine du 10 avril, les gens qui s’étaient réfugiés dans divers lieux de cultes (évêché
protestant de KIGEME, ADEPR de Sumba… ont tous été rassemblés à MURAMBI et y ont perdu la vie.
Je ne peux raconter ce qui s’est passé ensuite car je me cachais. »
Le témoin va ensuite répondre aux questions de monsieur le président LAVERGNE.
« En 1994, j’étais agriculteur mais je possédais aussi une petite boutique. J’étais membre de l’église
pentecôtiste et fréquentais l’église de NZEGA, plus proche que celle de SUMBA. François GASANA, un très
ami à moi, que l’on surnommait BIHEHE, la hyène, était aussi un paroissien de NZEGA et, comme je l’ai
dit, était membre du MDR Pawa. Après son adhésion à ce parti, l’église l’a écarté des sacrements: ce qu’il
faisait n’était pas de nature à plaire à Dieu. Notre pasteur s’appelait HABIMANA Emmanuel: il est mort
ensuite en prison. Un autre pasteur officiait, Faustin MUNYARUBUGA, qui sera tué. »
Le président: C’est la première fois que vous parliez de carte d’identité avec GASANA,
Le témoin: Oui. D’ailleurs, il me croyait Hutu. Ma mère était Hutu, toutes mes sœurs avaient été
mariées à des Hutu.
Le président: Il y avait des barrières?
Le témoin: Elles ont été dressées le lendemain, le 11 avril. Avoir une carte d’identité avec la mention
Hutu m’aurait permis de me déplacer sans problèmes de mon lieu d’habitation à mon lieu de
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naissance, MUDASOMWA. Ce qui a fâché GASANA, c’est que je ne lui avais jamais dit que j’avais une
carte Tutsi. Quant au bourgmestre Félicien SEMAKWAVU, je le connaissais très bien.
Le président: Il était fréquent que l’on change de carte d’identité?
Le témoin: Oui, mais moi je n’avais jamais eu l’idée de le faire. Je ne pensais pas que les événements
qui s’étaient produits en 1963 pouvaient se reproduire. Hutu et Tutsi s’entendaient bien, j’avais une
femme Hutu.
Monsieur le président cherche à savoir quelles étaient les distances entre les différents lieux évoqués.
Le témoin donne des indications approximatives: le Bureau communal de NYAMAGABE se trouvait à
environ dix kilomètres de l’église, le Bureau communal était à environ 700 mètres de la préfecture… Il
connaissait bien la salle du CIPEP [6] qui se trouvait à plus ou moins 200 mètres de la résidence du
préfet.
Le préfet, le témoin le rencontrait à l’Umuganda [7], lors des travaux communautaires. Il connaissait son
épouse mais il ne s’était jamais rendu à leur domicile. Il en déduisait qu’elle était Tutsi. Il connaissait
bien aussi SIMBA qu’il avait rencontré lors de la campagne électorale pour la députation. Par contre,
on ne voyait pas le commandant de gendarmerie, c’est son adjoint SEBUHURA qui était omniprésent.
A la réunion, la plupart des responsables politiques étaient présents. Le témoin se souvient de ceux du
MDR [8], du PSD [9], de la CDR [10]. Par contre, il n’a pas vu MUDENGE, le responsable du PL (NDR. Le PL
rassemblait surtout des Tutsi) Sur les neuf conseillers, TWAGIRASHEMA en a vu sept, que des Hutu. Il y
avait une trentaine de participants et il n’a pas entendu le préfet évoquer l’existence d’une « liste »,
celle de Hutu que les Tutsi auraient voulu éliminer.
Monsieur le président rappelle au témoin les propos qu’il avait tenu en présence des enquêteurs du
TPIR [11], le 6 décembre 2001: « J’ai entendu BUCYIBARUTA dire à tous ceux qui étaient présents (…)
« Les Tutsi complotent de tuer les Hutu. Nous autres Hutu devons donc être les premiers à tuer. J’ai ici
une liste de premiers Hutu qui devaient être tués. J’ai vu BUCYIBARUTA montrer du doigt un papier qu’il
tenait en main. Je pense que ce papier n’était pas vraiment une liste de Hutu qui devaient être tués (…) Je
pense que BUCYIBARUTA avait inventé l’existence de cette liste pour convaincre la population de se livrer
au génocide. » (fin de citation en D 7135).
Le président s’étonne: « En 2012, devant les enquêteurs français, vous ne parlez plus de cette liste!
Aujourd’hui non plus. »
Embarrassé, le témoin répond que ce qui l’a poussé à le dire, c’est parce qu’il l’avait appris de
GASANA. C’était comme s’il l’avait vue lui-même.
Le président: Vous, vous n’avez jamais entendu Laurent BUCYIBARUTA dire qu’il faut tuer les Tutsi?
Le témoin: Il y a des choses qu’il a dites, que j’ai entendues, et d’autres que je n’ai pas entendues
parce que j’étais dehors. C’est GASANA, mon ami intime qui m’a dit des choses. Je pense que c’est vrai.
Le président: GASANA qui a été un sauveteur mais qui a tué beaucoup?
Le témoin: Il a caché beaucoup de monde. Mon fils me disait qu’à partir de 3 heures du matin il avait
caché des gens dans des trous. Après, il prenait un sifflet et, avec une escorte militaire, il allait appeler
les tueurs pour qu’ils partent au travail. Il a fui.
Le témoin souhaite ajouter: « Ces hommes-là, le préfet, SEBUHURA, s’ils avaient eu un cœur humain,
s’ils n’avaient pas incité les Hutu à tuer les Tutsi, beaucoup de Tutsi ne seraient pas morts. Je considère
qu’ils devraient être reconnus coupables des crimes qu’ils ont commis. »
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La parole est donnée à monsieur BUCYIBARUTA: « Le 10 avril, je n’ai participé à aucune réunion. La
réunion du Comité préfectoral de sécurité dans mon bureau mais pas au bureau communal. »
Le témoin réplique aussitôt: « Moi je l’ai vu. »
Assesseure: Dans le dossier (D 9152 et D 9181) on a des traces d’un communiqué transmis par la radio
concernant une réunion qui se serait tenue le 10 avril. L’accusé ne peut confirmer les termes du
communiqué puisqu’il n’en a lui-même adressé aucun à la RTLM [12]. Elle s’étonne aussi que la
décision de déplacer les réfugiés à MURAMBI ne figure pas au communiqué. Le témoin ne répond pas.
Maitre ARZALIER demande au témoin s’il connaissait le pasteur MUNYARUBUGA, père de son client.
Il le connaissait bien et était même son ami. Il parle des circonstances de sa mort: « Il était à l’église
ADEPR avec sa famille et d’autres paroissiens. Des intellectuels et le pasteur adjoint Simon Pierre ont
eu une grande part dans sa mort. Quant aux réfugiés, ils s’étaient rendus dans leurs églises respectives.
Il y avait donc bien des réfugiés tutsi dans les églises de NYAMAGABE et SUMBA.
Maître Simon FOREMAN demande à monsieur BUCYIBARUTA à quelle heure et combien de temps
pourrait avoir duré la réunion du 10 avril. L’accusé répond que cette réunion s’est déroulée dans
l’après-midi mais il n’en connaît pas la durée.
Le ministère public revient sur le communiqué et s’étonne à son tour que ne figure pas la décision de
transférer les réfugiés à MURAMBI. Le préfet répond que cette décision ne concernait qu’une partie de
la préfecture.
L’avocate générale: Vous étiez au courant qu’on pouvait changer de carte d’identité? Vous avez été
sollicité par le témoin?
Laurent BUCYIBARUTA: Je ne connais pas ce témoin. Le bourgmestre n’avait pas besoin de mon
accord pour faire une carte d’identité.
L’avocate générale: Vous connaissiez cette pratique?
Laurent BUCYIBARUTA: Je savais que cela existait. Si c’était découvert, cela devait être tranché par la
justice. Mais je n’ai jamais été consulté. Si cela s’était produit, j’aurais renvoyé au bourgmestre.
Le président: Vous savez qu’aux barrières la carte d’identité tutsi était un arrêt de mort?
L’accusé a du mal à donner une réponse claire. Il demandait qu’il n’y pas d’abus aux barrières!
Maître BIJU-DUVAL au témoin: Vous allez bien au Bureau communal car c’est là qu’on change les
cartes d’identité?
Le témoin confirme. A la salle du CIPEP, on attendait le préfet.
L’avocat de la défense veut faire une observation et signaler que le témoignage du témoin dans le
procès SIMBA a été considéré comme « non fiable » par les juges.
Maître FOREMAN réagit aussitôt et fait remarquer que le témoignage a été réfuté parce que SIMBA
était absent. Et non pour le contenu du témoignage.

Audition de monsieur Marcel BANGAGATARE, cité par la défense, en visioconférence de
Belgique.

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Le témoin, avocat au barreau de BRUXELLES, connaît l’accusé depuis longtemps: à GISENYI puis
BUTARE, à KIGALI en 1981 alors que Laurent BUCYIBARUTA était député et lui-même fonctionnaire au
Parlement. Il est lui-même originaire de la préfecture de GIKONGORO.
Membre du PSD [13], le témoin se réfugie, en avril 1994, à l’Hôtel des Mille Collines. On l’accusait d’être
complice du FPR [14]. Il arrive à GIKONGORO le 13 avril 1994 pour habiter d’abord dans sa commune de
RUKUNDO, avant de venir tout près du chef-lieu de préfecture fin mai.
« Laurent BUCYIBARUTA connaissait une situation difficile. D’abord parce qu’il était du Sud alors que le
pouvoir était aux mains des gens du Nord. De plus, il avait une femme tutsi, ce qui le fragilisait. Les du
pouvoir à GIKONGORO, ce sont le capitaine SEBUHURA et un sous-préfet. Les directeurs des projets
agricoles sont eux aussi originaires du Nord. Du 31 mai au 4 juillet, je m’installe à GIKONGORO. Laurent
BUCYIBARUTA, je le répète, était dépouillé de toute autorité. On l’accusait de cacher des Tutsi dont son
chauffeur. Je voulais obtenir un laisser-passer pour me rendre à CYANGUGU. »
Le préfet va lui répondre qu’il doit s’adresser au sous-préfet, un homme du Nord. « Je n’aurais pas
aimé être dans sa situation » ajoute le témoin.
« J’étais membre du PSD et tous les militants visibles de ce parti avaient été massacrés. On avait annoncé
et déploré ma mort sur Radio MUHABURA, la radio du FPR. J’ai appris cela alors que je me trouvais
encore à GITARAMA. »
Sur question de monsieur le président, le témoin dit que le bourgmestre de RUKUNDO où il arrive le
13 avril était Védaste HATEGEKIMANA, du PSD. Désiré NGEZAHAYO, lui aussi du PSD et mort depuis
en prison, était à KADUHA. Quand il arrive dans sa commune vers 17 heures, il y avait déjà des morts.
Le bourgmestre était désarmé vu la mort du président de son parti.
« Je regrette que HATEGEKIMANA soit en prison. Le bourgmestre tremblait devant les partisans du MDR.
Chaque membre du PSD était accusé d’être complices du FPR. Si Désiré NGEZAHAYO a témoigné à
charge contre Laurent BUCYIBARUTA, c’est qu’il a dû y être contraint. Je verrai le préfet à partir du 31
mai, lorsque je viens loger à GIKONGORO. Je voulais prendre du recul par rapport à l’avancée du FPR. Le
préfet, que j’ai contacté, m’a dit de m’adresser au sous-préfet. »
Le président lui rappelle ses déclarations lorsqu’il a été entendu en 2014: « Je sais que se tenaient des
réunions le soir chez le chef de l’entreprise Electrogaz, que des listes avaient été établies, qu’il existait un
« Comité du Salut » et que des disparitions étaient signalées ensuite. »
Monsieur le président lui demande sur quels critères se fait le « triage » des gens, sous-entendant que
c’était des Tutsi. « Il y avait des Hutu aussi » rétorque le témoin. J’ai en connaissance des massacres à
MURAMBI, mais j’étais dans ma commune. Parmi les membres du « Comité du salut », je n’ai rencontré
que le Procureur Celse SEMIGABO. Je ne pouvais pas même oser parler de ce Comité! »
Au président qui lui demande s’il a participé à une réunion avec SIMBA et Callixte KALIMANZIRA, le
témoin se justifie en disant que le colonel SIMBA était chef de la Défense civile. L’objet de cette
réunion était de savoir comment ils pouvaient contrer le FPR. Des jeunes sont aller le combattre à
NYANZA: ils y sont morts. A cette réunion, quelqu’un a pris le préfet à partie pour lui reprocher de
cacher des Inkotanyi. Ce devait être à la mi-juin: « Pour moi, Laurent BUCYIBARUTA ne s’inscrivait pas
dans la logique génocidaire. J’ai vu quelqu’un de malheureux. Surtout qu’il était marié à une femme
tutsi. »

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Les massacres de CYANIKA? Le témoin ne se démonte pas. « C’est suite à la provocation d’un réfugié
Tutsi, c’est mon sentiment, suite à ce que j’ai pu entendre dire. »
Ironique, le président ajoute qu’il faut parfois se méfier de ce qu’on a entendu dire. Il rappelle qu’il y a
eu des événements identiques à MURAMBI, CYANIKA et KADUHA.
Le témoin veut ajouter que Laurent BUCYIBARUTA connaissait une situation inconfortable. Tous ses
chefs de service venaient du Nord. Alité, BIZIMUNGU était absent. Laurent BUCYIBARUTA était
désemparé. Il aurait pu démissionner, mais cela aurait signé son arrêt de mort. S’il avait eu plus de
courage!
Un assesseur veut savoir s’il y a eu un génocide des Tutsi en 1994.
« Vous pouvez le qualifier comme vous voulez. Ils ont été tués en tant que Tutsi. Mais, au début, les
premières victimes ont été les opposants, Hutu comme Tutsi. Le bruit courait que le FPR massacrait les
Hutu. »
Maître FOREMAN: Vous connaissez le sort d’un des sous-préfets?
Le témoin: J’ai entendu dire qu’un sous-préfet avait été tué. Il était Tutsi.
Maître FOREMAN: RUSATI avait demandé la protection du préfet. Comment a t-il accueilli cette
demande?
Le témoin: Je ne suis pas au courant.
Maître FOREMAN: Laurent BUCYIBARUTA avait convoqué un Comité préfectoral qui a blâmé ce souspréfet?
Le témoin: Je vivais à KIGALI, je ne connaissais pas ce sous-préfet. Cela m’étonne qu’il ait réagit ainsi.
Sur questions de maître GISAGARA, le témoin redit qu’il quitte KIGALI le 12 avril, qu’il passe la nuit à
GITARAMA dans sa belle-famille. Sur la route, il a rencontré des barrières, surtout entre KIGALI et la
NYABARONGO. Après, il n’y en avait plus jusqu’à GITARAMA. Ensuite, il n’en a rencontré qu’une à
NYANZA tenue par des gendarmes. Pour arriver à la NYABARONGO, il lui avait fallu deux heures.
Maître GISAGARA: Vous dites que Laurent BUCYIBARUTA était dépouille de toute autorité, que le
pouvoir était entre les mains des militaires du Nord. Et SINDIKUBWABO [15], et KAMBANDA [16]?
Le témoin: KAMBANDA s’est caché après l’attentat. On est venu le débusquer pour le nommer
Premier Ministre. Ces gens du sud ont été bombardés Premier Ministre et Président, mais le pouvoir
était au Nord. C’est vrai que Jean KAMBANDA a accepté de plaider coupable, mais dans quelles
conditions… Il a été obligé! Vous me demandez si je connais le comportement du préfet pendant les
grands massacres? J’ai de la peine à croire qu’il ait pu cautionner ces massacres. Je le répète. Je
connais BUCYIBARUTA. Il a peut-être gardé la tête basse!
Maître GISAGARA: Vous avez été mis en cause par la justice rwandaise?
En 1996, je figurais sur une liste de personnes qui avaient commis le génocide. J’ai écrit au Procureur
général RWAGASORE. Un avocat belge a écrit pour me défendre. Mon nom a disparu de la liste.
Le ministère public: Vous sollicitez une autorisation pour aller à CYANGUGU. Le 25 mai (D 8502) il est
un document adressé à trois sous-préfets leur donnant délégation de pouvoir. Vous le rencontrez
après le 31 mai. Il applique ce qu’il a dit dans son communiqué.

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Le ministère public: en juin, une collecte est organisée sur la place du marché en présence de SIMBA
et de KALIMANZIRA. Le témoin: le préfet a donné une somme ridicule, 30 000 francs rwandais.
Le témoin: Un individu a osé l’accuser d’être complice du FPR, à cause de la somme ridicule qu’il a
versée. C’est inimaginable qu’on puisse prendre le préfet à partie. Comme vous le dites, le préfet
circulait librement, sans escorte. Des menaces particulières? Il n’avait plus d’autorité.
Le ministère public fait remarquer qu’il aurait eu besoin d’escorte s’il avait été menacé.
Maître BIJU-DUVAL n’a pas de question à poser. « Mais que les choses soient bien claires. Je souhaite
que ce communiqué soit lu entièrement ». Ce que monsieur le président l’autorise à faire. (D 10810.
Communiqué du 23 février 1994).
Suite à la lecture, monsieur BYCYIBARUTA souhaite apporter une précision. « L’avocat de la partie
civile a dit que RUSATI n’avait pas été invité à la réunion. Mais un sous-préfet ne pouvait participer à une
réunion que si un des sujets traités le concernait ».
Maître FOREMAN: Le sous-préfet RUSATI n’était pas invité alors qu’un autre sous-préfet de préfecture
était là. RUSATI n’était pas concerné alors qu’on allait parler de lui?

Suite de l’interrogatoire de personnalité (CV) de l’accusé.
Assesseure: votre arrivée en France, c’est un choix délibéré?
Monsieur BUCYIBARUTA: J’ai choisi de venir en France pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’était
facile pour moi ce vivre dans un milieu français. J’avais connu des Français. Et puis, les avions qui
quittaient BANGUI allaient à PARIS. Enfin, à BANGUI, le médecin centrafricain qui me soignait m’avait
recommandé à un de ses collègues.
Le ministère public 1: d’après le portrait que fait de vous monsieur GUICHAOUA, vous n’étiez pas
susceptible de gêner des poids lourds: « Il servait, ne se servait pas (…) grande discrétion. » Vous avez
fait une belle carrière?
Monsieur BUCYIBARUTA: J’étais au service de mon pays. Une belle carrière? Oui, j’étais un haut
fonctionnaire. Mes interlocuteurs étaient des autorités nationales mais aussi locales. Si j’ai démissionné
de mon poste de député, c’est parce que le gouvernement avait besoin d’un préfet originaire de
GIKONGORO.
Le ministère public 1: Vous auriez pu refuser?
Je ne sais pas si monsieur BUCYIBARUTA a répondu.
Le ministère public 1: en 1997, vous déposez une demande d’asile?
Monsieur BUCYIBARUTA: Mon dossier a été examiné par l’OFPRA [17]. Mais comme mon nom figurait
sur une liste établie par le gouvernement de KIGALI… Ma demande a bien été rejeté en 2001 puis en
2003. Aujourd’hui, j’ai une carte de séjour renouvelable. Je n’ai pas la nationalité française. Je suis
Rwandais.
Le ministère public 1: Dans un carnet de note trouvé lors des perquisitions, à la date du 4 septembre
1999, vous évoquez le nom de François-Xavier VERSCHAVE, Rwanda, un génocide de la conscience. Il
est question du seul génocide rwandais. Vous en connaissez un autre?

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Monsieur BUCYIBARUTA: Je suis jugé pour le génocide des Tutsi. Je n’ai jamais parlé d’un autre
génocide.
Ministère public 2: Vous avez des amis au Rwanda?
Monsieur BUCYIBARUTA: Je ne peux pas les énumérer.
Le ministère public 2: Aloys SIMBA [18], c’est une connaissance? On trouve dans le dossier deux lettres
que vous lui avez adressées en août et novembre 1997 (D 10507 et D 10508). « Cher Aloys… »
Monsieur BUCYIBARUTA: J’avais passé six mois dans la forêt du Zaïre, je donnais des nouvelles de
mes connaissances. Je lançais des cris de détresse en Belgique et en France.
Le ministère public 2: Vos liens avec Pierre KAYONDO? (NDR. Pierre KAYONDO est visé par une
plainte déposée l’an dernier par le CPCR [19]) (D 10509)
Monsieur BUCYIBARUTA: Nous nous sommes croisés dans les forêts de Zaïre.
Le ministère public 2: A SIMBA, vous écrivez: « Dis-lui qu’il n’y a aucun arbre ici et j’en suis désolé. »
Vous êtes en France?
Monsieur BUCYIBARUTA: C’était une allusion à l’Arbre de BANGUI d’où on téléphonait.
Le ministère public 2: Madeleine RAFFIN, une amie, une connaissance?
Monsieur BUCYIBARUTA: C’était une amie. A BUTARE, nous habitions des maisons voisines. Nous
nous sommes retrouvés à GIKONGORO, puis en France. Elle habitait TOULOUSE. A mon arrivée en
Roissy, elle m’a donné quelqu’un pour m’accueillir, et ce à la demande de son frère qui est prêtre.
(NDR. C’était aussi une amie de monsieur Dominique NTAWUKURIRYAYO, dont le TPIR avait demandé
l’extradition, en même temps que l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA et Laurent BUCYIBARUTA. Il sera
jugé et condamné à 20 ans de prison en appel. Le TPIR renoncera à demander l’extradition des deux
premiers tout en demandant de les juger. L’abbé MUNYESHYAKA finira par bénéficier d’un non-lieu
définitif en novembre 2019, au grand désespoir des rescapés de la Sainte-Famille à KIGALI [20].)
Le ministère public: Vous n’avez fait citer que Madeleine RAFFIN comme témoin de personnalité. Et
votre épouse, votre fils?
Monsieur BUCYIBARUTA: J’ai fait citer aussi madame Josépha BRU.
Monsieur le président: Vous souhaitiez trouver un emploi?
Monsieur BUCYIBARUTA: C’était difficile de trouver un emploi à mon âge. J’ai d’abord vécu dans un
CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile) en région parisienne. Puis l’association France, Terre
d’Asile nous a trouvé un logement dans la région de TROYES.
En réponse à monsieur le président qui s’était étonné qu’il y ait peu de communication dans la famille,
l’accusé le détrompe. « Il n’y avait pas de manque de communication dans la famille. C’est culturel. Il y
avait des conversations réservées aux parents. Quand il y avait des visiteurs, les enfants devaient se
retirer. On ne peut pas tout dire aux enfants, c’est en fonction de l’âge. Si un enfant fait une bêtise, on le
prend à part. On ne le réprimande pas devant tout le monde. Par contre, la politique du pays, je n’en
parlais jamais avec mes enfants. Je n’ai pas parlé des massacres qui sont des événements
traumatisants ».
Le président conclut: « Il n’y a pas eu de partage sur les événements qui ont marqué votre vie ».
Un des assesseurs tente une question sur l’évolution de son état de santé. L’accusé dit quelques mots
sur les maux dont il souffre. Il revient sur la période au cours de laquelle ils ont dû marcher six mois
dans la forêt. Il souffre d’hypertension.

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Maître FOREMAN fait remarquer à l’accusé qu’il a été un des dix préfets du Rwanda. Pour avoir été
nommé sous-préfet de GISENYI en 1974, faut-il en déduire que vous étiez un proche de la famille
HABYARIMANA?
Monsieur BUCYIBARUTA: Je ne vois pas le rapport. Vous avez votre conception des choses. Je n’étais
pas le seul sous-préfet de GISENYI. J’ai connu Monsieur Z mais n’ai jamais travaillé avec lui. (NDR.
Protais ZIGIRANYIRAZO, frère de madame HABYARIMANA, acquitté en appel par le TPIR mais toujours
à la recherche d’un pays d’accueil avec huit autres Rwandais qui ont purgé leur peine ou ont été
acquittés. Il fut préfet de GISENYI. Mis en cause dans l’assassinat de Diane FOSSEY).
Maître FOREMAN: Vous êtes cité comme faisant partie du Réseau ZERO [21]! Avec le multipartisme, on
vous a gardé sur le contingent du MRND [22]. « Préfet consensuel » a dit aussi André GUICHAOUA.
Monsieur BUCYIBARUTA: J’ai lu le rapport sur le réseau ZERO d’un certain Christophe MFIZI.
Monsieur BIJU-DUVAL ne manque pas de faire remarquer que le premier poste de monsieur
François-Xavier NSANZUWERA était aussi à GISENYI. L’accusé confirme et l’avocat de mettre un point
final à l’interrogatoire: « Et GUICHAOUA a dit de vous que vous étiez « le moins MRND du MRND. »

Audition de monsieur Pierre-Damien NZABAKIRA, cité par la défense. En présentiel.
« Je pense qu’à côté de vous ce sont des juges et des jurés. Je suis venu dans cette cour du côté de la
défense de Laurent BUCYIBARUTA dans le cadre d’un dossier d’accusation de crimes de génocide, dont
moi aussi j’ai été accusé au RWANDA. Au RWANDA, tout le monde devrait s’exprimer, raconter son
histoire, les victimes Tutsi sont nos amis, des gens qui ont été tués atrocement, mais il ne faut pas que des
personnes innocentes soient accusées de ces crimes. »
Le Président pose un certain nombre de questions, mais ce que raconte l’accusé n’est pas, pendant
une grande partie de l’audition, en lien avec l’accusation portée contre Laurent BUCYIBARUTA. Il
raconte avec force détails comment il a fait évacuer près de 400 enfants de Kigali d’abord vers
BUTARE, puis vers BUJUMBURA au BURUNDI. Comment il a réussi aussi, avec le soutien de Laurent
BUCYIBARUTA qui lui a fourni un autre véhicule et des gendarmes pour l’accompagner, à évacuer les
enfants de Milghita KOSSER, réfugiés à KADUHA. Après avoir quitté le groupe scolaire des Frères de la
Charité, il se rendra dans un établissement à KARUBANDA (NDR. Quartier situé à l’entrée de BUTARE
quand on arrive de la capitale. C’est dans ce quartier que se trouve aussi la prison.) De là, il fera
évacuer aussi un groupe d’orphelins vers BUJUMBURA. Monsieur le président revient sur sa rencontre
avec le préfet.
Président : Combien de gendarmes Laurent BUCYIBARUTA vous a t-il fournis ?
Le témoin : Trois ou quatre gendarmes. Je me souviens que le préfet m’a dit: « Je ne sais pas si on va
trouver quelqu’un mais on va essayer de demander si on peut trouver des gens qui vont accepter de vous
accompagner, de prendre ce risque ».
Président : D’accord, donc il a pris cette décision avec le commandant de la gendarmerie je suppose ?
Le témoin : Certainement, car ce sont les gendarmes qui sont venus.
Président : Donc, vous obtenez cette escorte de gendarmerie assez rapidement ?
Le témoin : On a attendu un bon bout de temps.
Président : C’est-à-dire ?
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Le témoin : Une heure ou plus.
Président : Une heure par rapport à quatre mois de génocide ce n’est pas grand chose ?
Le témoin : Alors là, je ne raisonnerai pas comme ça, je me mets dans la situation de ce temps
d’attente. J’ai fait une demande, j’attendais la réponse et la personne qui cherchait la solution avait
probablement des demandes et il fallait attendre.
Président : D’accord, donc au bout d’une heure vous avez la réponse et vous avez une escorte de
gendarmes qui vous a accompagnés à KADUHA ?
Le témoin acquiesce.
Président : Vous avez récupéré combien d’enfants ? Une trentaine ?
Le témoin : Oui. Arrivés là-bas, quand j’ai vu que tout le monde avait fui vers moi, vers le camion, il y a
une dame qui s’occupait de ces personnes, qui s’appelait Immaculée. Je lui ai demandé si elle voulait
venir avec nous.
Président : C’était une religieuse ? C’était une civile ?
Le témoin : Non, c’était une auxiliaire de santé, qui travaillait avec la soeur.
Président : Donc qui s’appelle Immaculée, est-ce qu’elle est partie avec vous ?
Le témoin: Non, elle a dit qu’elle restait avec ceux qui restent, elle connaissait le terrain, elle
connaissait le milieu. Elle nous a dit qu’on prenait un bon groupe, que le reste on allait essayer de se
serrer les coudes et on verra la prochaine fois. Peut être qu’elle pourrait partir avec nous si on
revenait. C’est là où je lui ai expliqué qu’il y avait probablement une mission de l’armée française qui
pouvait peut-être passer dans la zone et qu’il ne fallait pas avoir peur. Quand on est arrivé, il y avait un
barrage, avant d’arriver à KADUHA, ils nous ont demandé où on allait. Je leur ai dit que nous étions de
la Croix-Rouge.
Le témoin explique avoir soigné les gardes de la barrière.
Le témoin : On arrive chez cette dame, nous chargeons les camions et des miliciens tentent de nous
tirer dessus. Les gendarmes avaient armé leurs fusils, ils ont tiré sur les barrières. Dans cet échange de
coups de feu, dans ce bras de fer, les miliciens se sont retirés.
Président : Les gendarmes ont tiré pour que les miliciens s’en aillent et vous laissent le passage ?
Le témoin : Oui, on est passé. Les enfants ont eu très peur et moi aussi. Arrivés sur d’autres barrages,
les gendarmes nous laissaient derrière et ils allaient négocier avec ceux qui étaient sur les barrages, et
ce à chaque passage.
Président : Grâce aux gendarmes vous avez pu passer sans encombre ? Ça s’est bien passé, même
s’ils ont tiré ?
Le témoin confirme.
Président : Vous êtes revenus à BUTARE ensuite ?
Le témoin : Nous sommes arrivés à la préfecture et j’ai dit au préfet qu’on avait des personnes et
qu’on tentait de les amener à BUTARE. A BUTARE, il y a un barrage qui est connu: celui de MARABA.
Les miliciens ont demandé aux gendarmes de déposer les armes. Ils voulaient nous contrôler pour voir
s’il n’y avait pas de Tutsi dans le convoi. Les gendarmes ont dit: « Monsieur, nous sommes en guerre,
vous vous ne savez pas ce qui se passe dans le pays, vous avez tué des gens, des innocents, maintenant
c’est fini, c’est nos familles, si vous tirez, je tire ». L’un des gendarmes a tiré et on a pu passer. e sont les
soldats français qui nous aideront à évacuer les enfants jusqu’à la frontière.
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Président : D’accord. Comme on dit « c’était chaud ».
Le témoin : Oui, c’était chaud.
Président : Quand il a tiré, est-ce que ça s’est calmé ?
Le témoin : Il n’y avait plus rien. L’opération s’est terminée.
Président : Ensuite, ces enfants ont pu regagner le BURUNDI ?
Président : Ils ont regagné le BURUNDI car ils ont été conduits par l’armée française à BUJUMBURA ?
Le témoin : Non, à la frontière.
Président : Avez-vous eu d’autres occasions de rencontrer le préfet ?
Le témoin : Alors, il est venu dans notre centre solliciter notre aide.
Président : C’était quand ?
Le témoin : C’était avant cette opération de KADUHA. Je dirai vers le 10 ou le 12.
Président : Donc, Laurent BUCYIBARUTA est venu le 10 juin ?
Le témoin : Oui.
Président : Il est venu le 10 juin, pour quoi faire ?
Le témoin : Il nous a dit qu’il avait des personnes, trois personnes qui étaient en danger, savoir si on
pouvait les accueillir.
Président : Qui étaient ces personnes ?
Le témoin : On disait qu’on disait que c’était de la famille de sa femme.
Président : C’était des enfants de parents de sa femme qui étaient cachés chez lui et qu’il a amenés à
BUTARE ?
Le témoin : Je pense.
Président : C’était trois enfants ? Trois adultes ?
Le témoin : Il y avait des jeunes.
Président : Il a amené trois enfants Tutsi et il vous a demandé de les prendre en charge ?
Le témoin : Oui.
Président : Et ça c’était le 10 juin ?
Le témoin : Oui, dans ces dates.
Président : Donc, avant d’aller à KADUHA ?
Le témoin : Avant KADUHA, entre le 10 et le 11.
Président : Est-ce que vous l’avez vu à d’autres occasions ?
Le témoin : Non, après j’ai entendu parler de lui.
Président : Que pouvez-vous nous dire de ces rencontres que vous avez eu avec le préfet ? Qu’est-ce
que vous en retenez ?
Le témoin : C’était un homme meurtri. Laurent était dépassé.
Président : Donc, un homme meurtri qui était dépassé, c’est bien ça ?
Le témoin : Le chaos avait été généralisé, il était dépassé, c’était compliqué. Ce que je sais, c’est qu’il y
a eu, avec les accords de changement de direction de préfecture, il y a eu des préfets qui ont été
mutés de leur préfecture. J’ai eu la chance de connaitre ces deux préfectures, celle de KIBUNGO où il
était, c’est la préfecture de mon épouse, c’est chez moi.
Président : Donc, il avait une bonne réputation à KIBUNGO et vous avez constaté que c’était un
homme qui était conforme à sa réputation ?

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Le témoin : Mon épouse pourrait le dire mieux que moi. Et même le président BIZIMUNGU. Pour les
gens de GIKONGORO, c’était un homme qu’ils aimaient et qu’ils respectaient. Mais GIKONGORO était
gouverné par des gens qui étaient venus d’ailleurs. Le service de sécurité était dirigé par le major qui
était un homme compliqué.
Président : Vous parlez de quel major ?
Le témoin : Le nom et le prénom, je ne me souviens plus.
Président : Où était-il en poste ?
Le témoin : A GIKONGORO.
Président : Vous parlez du major Christophe BIZIMUNGU ou du capitaine SEBUHURA ?
Le témoin : Je ne sais pas, un major qui commandait le camp.
Président : Est-ce que depuis vous avez eu l’occasion de revoir Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Non.
Président : Vous n’avez pas été en contact quand vous êtes arrivé en France ?
Le témoin : Non, non. Oui, en France, quand je suis arrivé, Laurent m’a donné son numéro fixe.
Président : Est-ce que vous n’avez pas eu des ennuies judiciaires vous-mêmes ? Quand vous étiez au
RWANDA, est-ce qu’il n’a pas fait une attestation pour vous ?
Le témoin : Non, l’attestation qu’il m’a faite c’était pour l’OFPRA.
Président : Donc, vous avez quitté le RWANDA dans des circonstances un peu difficiles car vous aviez
été interviewé, vous aviez expliqué ce que vous aviez fait, et me semble-t-il, vous avez dit que ça
n’avait pas plu à un certain nombre de personnes à KIGALI et que vous aviez été inquiété par la suite?
Le témoin : Il y a eu plein de choses.
Président : D’accord, mais on ne va pas rentrer dans les détails.
Le témoin : Il y a eu plein de choses, l’après-guerre du RWANDA, c’est horrible. Les autorités
soupçonnaient tout le monde, les habitants survivants et les victimes du génocide Tutsi soupçonnaient
tout le monde. Même à BUJUMBURA j’étais inquiet. Je me disais que j’étais à mon travail et que si je
mourais, je mourais comme tous les autres. C’était compliqué. A un moment donné, je sentais qu’il
fallait que je m’éloigne un peu, tout en gardant mon pays dans mon coeur.
Président : Et donc vous avez décidé de venir en FRANCE ?
Le témoin : J’ai quitté le RWANDA et je suis arrivé en OUGANDA. Amnesty international m’a aidé, m’a
donné des contacts avec la FRANCE.
Président : Et vous avez contacté Laurent BUCYIBARUTA et il vous a fait une attestation en votre
faveur pour votre dossier pour l’OFPRA ?
Le témoin : Oui, c’est un témoignage sur mes actions pendant la guerre.
Pas de questions des parties civiles.
Questions du ministère public :
Ministère Public : Monsieur, j’avais une précision à vous demander. Nous avons entendu dans le
cadre de ce procès une historienne, Madame Hélène DUMAS, qui avait apporté des précisions sur
cette période de juin. Il y avait un certain nombre d’opérations de sauvetage dans des orphelinats,
période de juin qui est la période où la communauté internationale s’intéresse davantage à la situation
qui est en train de se dérouler au RWANDA. L’opération TURQUOISE a été décidée et cette historienne
a expliqué qu’en juin il y a eu une volonté des autorités politiques rwandaises de redorer leur image,
notamment en ce qui concerne les orphelinats qui étaient encore des foyers de résistance. Elle a
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expliqué qu’en juin il y avait encore des attaques des miliciens ou des autorités locales qui essayaient
d’attaquer ces orphelinats et elle a évoqué, vous en avez parlé et c’est pour ça que j’aimerais que vous
apportiez des précisions, le fait que le Premier ministre avait été sollicité par un Américain pour essayer
de protéger des orphelins et qu’il avait accepté de le faire, de sauver ces enfants, mais sous les yeux
des caméras, en expliquant que c’était une décision du gouvernement intérimaire. Comme vous avez
parlé de cette convention signée entre le Premier ministre et Terre des Hommes, est-ce que vous
pouvez nous dire à quelle date c’était si vous en avez souvenir ? Avez-vous eu connaissance de ces
comportements en juin à cette période ?
….
Ministère Public : Donc, c’est une convention qui est signée à ce moment-là entre l’autorité, en tout
cas le Premier ministre, qu’est-ce que c’est concrètement, cette convention qui est passée avec Terre
des Hommes ?
Le témoin : C’était d’abord s’occuper des enfants non-accompagnés, des enfants mineurs, et
éventuellement les évacuer vers l’extérieur, mais là c’était plus vers le Zaïre. Pour traverser vers le
BURUNDI, la frontière était très proche. Par GIKONGORO, il y a la forêt de NYUNGWE, c’était trop
compliquée et je voyais que c’était dangereux pour les victimes.
Ministère Public : Que pensez-vous de cette analyse qu’a pu faire cette historienne sur cette
instrumentalisation qui a pu être faite de ces sauvetages par l’autorité et par le gouvernement
intérimaire ?
Le témoin : Je ne peux pas me prononcer, car quand même Jean KAMBANDA, je souviens il est allé à
BUTARE et dans un haut parleur il a raconté que « l’ennemi c’est celui qui nous attaque, ce n’est pas un
Tutsi ». Nous, qui étions sur le terrain, on voyait qu’on avait massacré les Tutsi.
Ministère Public : C’était quand ça Monsieur ?
Le témoin : Je crois que c’était au mois d’avril, après la réunion avec SINDIKUBWABO à BUTARE.
Ministère Public Donc, vous parlez du discours du Président du 19 avril à BUTARE ?
Le témoin : Oui, et après j’ai entendu quand même dans la ville ce dont on parlait. On nous a dit que
Jean KAMBANDA était venu à BUTARE et qu’il avait rencontré les intellectuels. Le reste, moi ce que je
peux souligner là-dedans, c’est que cet accord qui a été signé a été inutile pour pouvoir mener
librement nos opérations. Mais, à un moment donné, par exemple, on a été arrêtés par les miliciens
qui m’ont déchiré le document qu’on a montré.
Ministère Public : Vous savez quand même, Monsieur, que le Premier ministre a plaidé coupable pour
son implication dans le génocide ?
Le témoin : Jean KAMBANDA a été condamné je le sais, je ne le défends pas. Je me disais que même
s’il n’y avait pas eu d’accord que les gens commençaient à sentir qu’il fallait vraiment résister. Je me
souviens que KAJUGA, Président des miliciens, a été arrêté le 10. Nous sommes allés voir KAJUGA qui
nous a dit: « Moi aussi j’ai besoin de votre aide ». Avant d’aller à la Croix-Rouge, j’étais militant du parti.
Les personnes que nous avons évacuées de KAJUGA venaient d’un couvent religieux, à BUTARE. Les
miliciens de KAJUGA les ont escortées.
Ministère Public : C’est bien une période où les plus grands massacres ont été commis, on est bien
d’accord ?
Le témoin : Ils tuaient encore, quand ils voyaient des Tutsi, ils tuaient.
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Ministère Public : Une grande majorité des Tutsi a été exterminée à cette période, on est bien
d’accord Monsieur ?
Le témoin : Oui, à cette date oui.
Ministère Public : Une autre question, Monsieur, vous avez évoqué la venue du préfet Laurent
BUCYIBARUTA le 10 juin à BUTARE. Vous nous avez dit qu’il était avec trois enfants, et dans votre
audition vous aviez apporté d’autres précisions, est-ce que Monsieur BUCYIBARUTA est venu avec son
épouse ?
Le témoin : Non, à ma connaissance, j’ai l’image des enfants parce qu’ils sont sortis et ils sont passés
par la tente où on sauvait les personnes.
Ministère Public Pourtant, vous aviez donné beaucoup de détails dans votre audition, vous aviez dit
que le préfet était avec son épouse qui était habillée en deuil, que sa famille venait d’être massacrée,
qu’il voulait même vous confier des enfants de sa famille qu’il ne pouvait pas protéger, et vous avez
même donné le nom de ces enfants.
Le témoin : Non, j’ai dit que le préfet m’a dit que ce sont les enfants de sa belle-famille et que la bellefamille avait été massacrée.
Ministère Public : Vous êtes sûr de l’avoir vu, Monsieur, le 10 juin ? Car vous étiez quand même très
précis, sur la présence de son épouse notamment.
Le témoin : Oui je l’ai vu.
Ministère Public : Est-ce que vous avez vu son épouse également ?
Le témoin : Non.
Ministère Public : D’accord, mais là vous aviez bien dit lors de votre audition qu’il était avec son
épouse, qui était habillée en deuil. Donc a priori ,il y a quelque chose de visuel dans cette description
que vous donnez. Vous donnez l’indication sur les enfants, ils ne sont pas trois mais deux dans votre
déclaration.
Le témoin : Non, mais s’il faut que je complète. J’ai vu des personnes qui demandaient refuge et
assistance.
Ministère Public : C’était quand même une image assez forte, j’imagine, de voir cette femme en deuil
accompagner le préfet de GIKONGORO avec deux enfants, et ça, vous ne vous en souvenez plus
aujourd’hui. Je laisse la parole à ma collègue pour une dernière question.
Ministère Public 2 : Je voudrais juste rappeler vos déclarations sur l’attestation de Laurent
BUCYIBARUTA qu’il a fournie pour vous et la demande de témoignage : « Alors que je me trouvais
encore en Ouganda, l’Ambassade me réclamait, pour l’obtention du visa, des témoignages en ma faveur
qui attesteraient de ma non-participation au génocide. Je m’étais alors adressé au préfet BUCYIBARUTA
qui m’a envoyé par mail une attestation qui mentionnait que je m’étais rendu à KADUHA pour ne pas
tuer des enfants orphelins et les emmener à BUTARE. J’ai remis cette attestation à l’Ambassade de France
à KAMPALA ». « A mon arrivée en FRANCE, j’ai téléphoné à BUCYIBARUTA Laurent pour le remercier de
l’aide qu’il m’avait apportée en témoignant en ma faveur. Je me souviens qu’il m’avait dit alors qu’il était
sous surveillance policière car accusé de génocide. Je m’étais déjà aperçu de cela grâce à internet. Il
désirait que je témoigne en sa faveur, je lui ai dit oui, je m’attendais dès lors à répondre à une
convocation en justice. Depuis, j’ai préféré garder mes distances avec lui pour être indépendant et pour
que mon témoignage à son sujet soit jugé crédible, c’est pourquoi je pense ne plus avoir aucun contact

Page 553 sur 711

avec lui depuis 2010, période d’une invitation au mariage de son fils où je ne suis pas venu ». Vous vous
souvenez de ça ? Vous confirmez ?
Le témoin : Oui. Oui.
Ministère Public 2 : : Très bien, je vous remercie.
Questions de la défense :
Maître BIJU-DUVAL : Bonjour Monsieur. Juste pour clarifier un point, pour que les choses soient bien
claires dans mon esprit. En ce qui concerne l’évacuation du Groupe scolaire, je comprends qu’il y a
donc cette convention du 31 mai, avec les autorités gouvernementales. C’est bien ça ? Et ensuite, vous
allez, si j’ai bien compris, avec l’assistance du colonel de l’ESO (NDR. Ecole des Sous-Officiers de
BUTARE) faire une première évacuation, une tentative d’évacuation vers le BURUNDI. C’est bien ça ?
Le témoin : Oui.
Maître BIJU-DUVAL : Vous nous avez indiqué que, arrivé à la frontière, je ne sais pas si c’était la
frontière, mais en tout cas vous avez été arrêté par les miliciens qui vous ont obligé à rebrousser
chemin. C’est bien ça ?
Le témoin : C’est un barrage qui a bloqué le convoi.
Maître BIJU-DUVAL : Mais, sur ce barrage, il y avait qui ?
Le témoin : Il y avait un certain Shalom.
MAÏTRE BIJU-DUVAL : Est-ce que c’était Shalom NTAHOBALI ?
Le témoin : Oui.
MAÏTRE BIJU-DUVAL : C’était le fils de la Ministre Pauline NYIRAMASUHUKO ?
Le témoin : Oui, je connaissais la famille.
MAÏTRE BIJU-DUVAL : Et qui a été? comme sa mère? condamné par le TPIR d’ARUSHA ?
Le témoin : Oui.
MAÏTRE BIJU-DUVAL : Ce milicien? malgré la convention conclue avec le gouvernement, malgré
l’assistance du colonel de l’ESO, avec les Interahamwe, a réussi à vous faire rebrousser chemin ? A faire
obstacle à l’évacuation ?
Le témoin : Il a poursuivit le convoi. Justement, à chaque fois, ils nous devançaient pour nous arrêter
au barrage et pour dire: « Attention, ils sont en train d’évacuer les Tutsi vers le BURUNDI », et on avait
des difficultés, et je me souviens, on a pu avancer quand sa voiture a brûlé. Et il n’a donc pas continué
à nous poursuivre. Il est arrivé quand même à la frontière parmi les miliciens qui ont empêché tout le
monde de traverser.
Maître BIJU-DUVAL : Il exerçait donc avec ses miliciens un pouvoir assez extraordinaire même sur les
autorités officielles ? Un grand pouvoir en tant que chef milicien.
Le témoin : Oui. Le jour de l’évacuation, Shalom et son équipe ont barré la route et ont mis des pierres
sur la route pour que les camions ne passent pas. C’était vraiment compliqué. Jusqu’à l’arrivée du
colonel, il s’est fait aider par des militaires, je crois qu’ils étaient 5 ou 6, et le colonel a failli s’énerver,
c’était très compliqué, c’était un pouvoir que je dirais « parallèle ». Le colonel avait pris la parole et
avait demandé à tout le monde de monter tranquillement.
Maître BIJU-DUVAL : C’est effectivement ce que j’ai compris. Un autre point. Pour que les choses
soient bien claires, est-ce que oui ou non vous avez rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA venu
vous confier des enfants tutsi à protéger? Est-ce que oui ou non vous l’avez vu ?
Le témoin : Oui, je l’ai vu.
Page 554 sur 711

Me BIJU-DUVAL : Donc, vous situez ça autour du 10 juin, vous n’êtes pas obligé de vous souvenir de
la date exacte, Monsieur. Dans vos déclarations faites aux enquêteurs français, à la côte D10547 p.6,
vous précisez: « Il voulait nous confier des enfants de sa famille, qu’il ne pouvait pas protéger, car il
craignait une attaque à son domicile ». Souvenez-vous de ces paroles ? Est-ce qu’il vous a fait ces
confidences ?
Le témoin : Oui, je me souviens. Je lui avais dit: « Nous aussi on n’a pas de sécurité, comment on va
faire. » Je lui ai dit que, comme nous on était la Croix-Rouge, on va essayer de faire quelque chose.
Maître BIJU-DUVAL : D’accord. Un dernier point : lorsque vous avez été entendu par les enquêteurs
français, le 25 juin 2015, vous avez donné des précisions sur les raisons pour lesquelles vous avez pu
fuir le RWANDA. Vous dites D10747 p.2 : « A la même époque j’ai eu des pressions de … ». Première
question pour une clarification pour tout le monde, le général GATSINZI, après le génocide, il a occupé
quelle fonction ?
Le témoin : Il a été ministre de la Défense.
Me BIJU-DUVAL : A aucun moment, il n’avait été suspecté d’avoir été impliqué dans le génocide, au
contraire il était considéré comme l’un des officiers rapidement démis, s’étant opposé à la politique du
gouvernement intérimaire. Est-ce que vous savez ?
Le témoin : En fait, je ne pouvais pas savoir ce qu’il pensait. C’est un officier qui a participé dans les
négociations d’ARUSHA, et on pensait qu’il était « modéré », non extrémiste.
Maître BIJU-DUVAL : Expliquez-nous plus en détails quand on a voulu obtenir de vous un faux
témoignage sur GATSINZI ?
Le témoin : C’est un homme que je connaissais avant, que ce soit dans les petites fêtes de famille, les
baptêmes, j’avais donné des cours d’histoire à ses enfants.
Maître BIJU-DUVAL : Vous vous dites qu’on a cherché à obtenir un faux témoignage, on vous a
promis quelque chose ?
Le témoin : Oui, des sous.
Me BIJU-DUVAL : Et quand vous avez refusé, on vous a fait des menaces ?
Le témoin : Non, on s’était donné rendez-vous, mais avant le rendez, j’avais quitté le pays, je crois.
Maître BIJU-DUVAL : Et vous avez quitté le pays parce que vous vous trouviez dans une situation
dangereuse ?
Le témoin : Oui, dangereuse.
Monsieur le président déclare l’audience clôturée. Rendez-vous est donné à lundi 27 juin à 9h30.

Mathilde LAMBERT
Alain GAUTHIER
Jacques BIGOT

References
Page 555 sur 711

↑1

ADEPR : Association des Églises de Pentecôte au Rwanda

↑2

Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des
années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des
colonisateurs.

↑3

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑4

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑5

Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des
militants des mouvemertnts politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont
disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRNDPOWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

↑6

CIPEP : Centre Intercommunal de Développement du Personnel

↑7

Umuganda : travail communautaire, corvées communales obligatoires. Le nom de ces activités
d’intérêt général, inscrites dans la tradition du pays (défrichage, entretien des chemins etc…) a
été dévoyé par l’idéologie génocidaire pour désigner les tueries contre les Tutsi que les paysans
avaient l’obligation d’accomplir (Cf. « Glossaire« ).

↑8

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑9

PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté
dans le Sud, voir glossaire

↑10

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑11

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑12

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

↑13

Ibid.

↑14

FPR : Front Patriotique Rwandais

↑15

Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑16

Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑17

OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides

↑18

Ibid.

↑19

Lire notre article du 1er novembre 2021 : Affaire Pierre KAYONDO: ouverture d’une
information judiciaire

Page 556 sur 711

↑20

Lire notre article du 30/10/2019 : Affaire MUNYESHYAKA: le pourvoi en cassation est rejeté

↑21

Réseau zéro : Voir FOCUS – le réseau zéro / les escadrons de la mort / l’Amasasu.

↑22

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé
par Juvénal HABYARIMANA.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du lundi 27
juin 2022. J 32
27/06/2022

• Audition de monsieur Paul KADOGI, ancien bourgmestre de NSHILI, cité par la défense, en
visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Xavera IYAKAREMYE, citée par la défense, en visioconférence de
BUFFALO (USA).
Audition de monsieur Paul KADOGI, ancien bourgmestre de NSHILI, cité par la défense, en
visioconférence du Rwanda.
Le témoin a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour génocide. L’audition va durer
près de cinq heures. Toutefois, la plus grande partie de cette audition a été consacrée au parcours du
témoin, aux circonstances de sa nomination comme bourgmestre en 1991, son adhésion au
MDR [1] qui provoquera la haine des membres du MRND [2]. De lui, Alison DES FORGES écrira (en D
1597 : extrait p. 71 de « Aucun témoin ne doit survivre »

[3]

) qu’il était « un jeune enseignant ambitieux

(…), un propagandiste très virulent du MDR » bénéficiant « d’un soutien considérable. » Le MRND s’était
donné comme mission de ramener KADOGI dans son giron, lui promettant le poste de bourgmestre
s’il revenait au sein de son parti d’origine.
Il sera ensuite assez longuement question de la présence de réfugiés hutu sur la commune de NSHILI
et des problèmes que cela posait. Ils suivaient des entraînements militaires et participeront activement
au génocide des Tutsi.
Le témoin sera destitué de son poste de bourgmestre en avril 1992 au moment de la mise en place du
nouveau gouvernement chargé de mettre en place le multipartisme. A cette époque, BUCYIBARUTA
n’était pas encore préfet. Il redeviendra bourgmestre un an plus tard.
Ses relations avec le sous-préfet BINIGA sont très mauvaises. Léon MUGESERA vient rendre visite à
l’ancien bourgmestre la veille de son discours de KABAYA [4]. Il souhaitait l’élimination du témoin. Une
« chasse » aux membres du MDR est alors organisée par des soldats en civil. des fusils cachés sous des
sacs à l’arrière de leur voiture. Ils seront séquestrés par la population. Des gendarmes viendront le
lendemain avec leur commandant pour négocier leur libération.
A ce stade de l’audition, n’a été évoquée que l’histoire de la commune de NSHILI qui se résume à un
conflit violent entre le MRND et le MDR, la population étant tombée dans l’insubordination au MRND.
Le témoin conteste que des armes aient été distribuées à la population contrairement à ce que dit
Alison DES FORGES.
Monsieur le président évoque ensuite l’existence de deux courriers adressés par le préfet aux
bourgmestres sur leur rôle et sur les procédures à mettre en place en cas d’arrestations, mais on est
toujours en 1993 le premier courrier étant daté du 14 mai 1993, le second de juillet de la même
année.

Page 558 sur 711

On finit par aborder les événements d’avril 1994. Mais le témoin va surtout insister sur le fait qu’il va
conseiller aux réfugiés de se rendre au Burundi. Les gens qui se livrent aux pillages? Il demande aux
gendarmes de leur tirer dessus. Il a bien tenté d’alerter le préfet, mais il n’a pas de téléphone à sa
disposition et personne ne pouvait aller à GIKONGORO à pied, c’était trop loin.
Le témoin finira par se réfugier dans sa belle-famille à MUBUGA. En passant par la paroisse de
MUSEBEYA. Il y avait des cadavres partout. Décision de les enterrer dans le cimetière. Paul KADOGI va
continuer à se déplacer dans tous les secteurs, sauvant partout des gens en danger, miné par la peur
de BINIGA. Ce qui lui fera oublier d’avertir le préfet sur la situation qu’il est en train de vivre.
Le plus extraordinaire reste à venir. « Chaque jour, chaque nuit, j’ai conduit des gens au Burundi. J’ai
escorté 3 500 personnes en récitant le chapelet » poursuit-il. Il ramène chez eux des rescapés qui ne
veulent pas rester passer au Burundi et rentre chez lui où des gendarmes veulent le fusiller. Il dit avoir
rédigé un communiqué destiné au préfet mais les gendarmes à qui il le confie vont le déchirer.
Le préfet, il va le rencontrer le 26 avril en participant à une réunion à laquelle il n’avait pas été invité!
L’objet de cette réunion? La sécurité mais aussi le problème des biens volés aux Tutsi. Décision est
prise de les vendre et de remettre l’argent aux autorités communales qui pourront restituer l’argent
aux familles des victimes! Autre décision: rouvrir les écoles: les élèves sans enseignant seront répartis
dans les autres classes! Mais comme il est arrivé en retard à la réunion, il n’est pas en état d’en
nommer les participants. Par contre, il a bien pris la parole pour exposer la situation dans sa commune.
Le préfet BUCYIBARUTA a dit qu’il fallait que les tueries cessent.
Pendant ce temps, les réfugiés burundais rentrent chez eux dès qu’ils apprennent l’arrivée du FPR [5]. Ils
auront bien pris part aux tueries pendant le génocide.
Sur questions posées par les parties, il va jusqu’à dire que 86 Tutsi vont être sauvés en désarmant les
assaillants, qu’il est signataire du Communiqué de KIGEME alors que c’est un document signé
uniquement par des militaires (son nom, de toutes façons, n’apparaît pas au bas du document et
pourquoi y apparaîtrait-il? ), qu’il faut arrêter les massacres pour soigner l’image du Rwanda aux yeux
de la communauté internationale.
Maître LEVY va tenter de venir à son secours en évoquant la mort de son fils tué par
les Interahamwe [6]. Il a été tué à l’université de NYAKINAMA, près de RUHENGERI: il ressemblait à un
Tutsi. Le témoin va jusqu’à dire que Léon MUGESERA le dénonce nommément dans son discours de
KABAYA [7]. (NDR. Une information qui mériterait d’être vérifiée. Mais le témoin n’est pas à un mensonge
près.)
Difficile aussi, lui qui a fait de son mieux, de comprendre sa condamnation à perpétuité!
« Au Rwanda, y a t-il la volonté de poursuivre les responsables » demande l’avocat de la défense?
« En 2015, j’ai été poursuivi pour des vaches que je n’avais pas mangées (sic). J’ai fait un AVC. Ma famille
a dû vendre tous nos biens pour embourser les victimes » poursuit-il. Les relations avec BINIGA étaient
vraiment exécrables. Quant à Laurent BUCYIBARUTA, « il était modéré, ne manifestait pas ses opinions.
Nous avions de bons rapports de travail, je ne me suis jamais fâché avec lui. »

Page 559 sur 711

Il est 15 heures, largement temps de mettre fin à une audition qui n’a que trop duré.

Audition de madame Xavera IYAKAREMYE, citée par la défense, en visioconférence de BUFFALO
(USA).
Madame IYAKAREMYE veut témoigner en faveur du préfet à qui elle et sa famille doivent la vie. Après
avoir précisé le contexte des événements, elle raconte comment son mari a réussi à rejoindre
GIKONGORO, pour demander l’aide du préfet. Ils se connaissent depuis longtemps. Alors qu’ellemême tente de se cacher dans des familles amies avec six de ses enfants et leur gendre, son mari, un
Hutu de KADUHA, obtient du préfet que des gendarmes qu’il a demandés au commandant
BIZIMUNGU viennent récupérer sa femme et ses enfants à RUSATIRA. En arrivant à la barrière située
près de la MWOGO, une rivière où les Tutsi sont jetés, vivants ou morts, les gendarmes vont négocier
le passage du témoin. Ils se seraient recommandés du préfet, ce qui aurait facilité les négociations.
A GIKONGORO, elle n’est pas sortie de la salle de classe où on les avait logés, si bien qu’elle n’a jamais
vu le préfet et n’a assisté à aucun massacre. Avec l’arrivée des soldats français de Turquoise [8], la
situation va vite s’apaiser. Ils vont pacifier la région, sauver beaucoup de Tutsi qu’ils vont conduire à
BUTARE dans la zone du FPR. Quant au préfet, il a sauvé beaucoup d’autres personnes.
En juillet, le FPR ayant gagné la guerre, la famille décide de rentrer chez eux. Mais tout ne se passera
pas comme prévu. Muté à KIGALI, son mari sera arrêté et emprisonné pendant sept ans, accusé d’avoir
participé au génocide.
Elle se souvent du préfet BUCYIBARUTA, « un père de famille exemplaire, un chrétien catholique
convaincu, digne de foi pour tous ceux qui l’ont connu. » C’est grâce à lui que a famille a été sauvée.
Et le témoin de poursuivre: « Grâce à lui, nous sommes tous en vie. Je profite de l’occasion pour lui dire
merci. Après tous ces événements, nous avons appris que les autorités militaires avaient pris le
commandement. Les autorités civiles n’avaient pas de moyens. Ce n’est pas Laurent BUCYIBARUTA qu’on
peut accuser d’avoir commandité les tueries. Ce n’est pas possible. Je demande à la justice française
d’user de sa compétence pour prononcer un jugement juste et équitable. »
Sur questions du président, le témoin reparle de son passé professionnel, de son mari. Elle reconnaît
n’avoir jamais subi d’attaques à leur domicile: « Nous avions des chiens méchants. Personne ne pouvait
venir. Je restais chez moi, dans le coin le plus caché de la maison. Ma famille a été tuée. Les six enfants
de mon frère ont été tués, mes oncles, mes tantes, des neveux et nièces… Tout cela, j’ lai appris au mois
d’août: avec le FPR, on pouvait se déplacer partout, les tueurs étaient au Congo. »
Le sort du préfet? « Je n’en ai pas entendu parler. Mon mari voyait mon stress, il ne me donnait pas de
nouvelles. Je ne sais même pas si lui-même a eu des nouvelles du préfet. »
La pacification? « C’était un appel à retourner au travail ». Mais c’était aussi l’occasion de faire sortir les
Tutsi qui se cachaient encore.
Le témoin a quitté le Rwanda en 2005, son mari n’étant libéré qu’en 2006. Il est mort en exil au
Cameroun où elle est allée lui rendre visite deux fois. « Nous avons été spoliés de nos biens, poursuit-

Page 560 sur 711

elle. Notre maison a été occupée par un militaire mais nous avons fini par la récupérer. (NDR. Elle avait
précisé, incidemment, qu’ils possédaient quatre maisons.)
Le frère de son mari a été tué par des Interahamwe [9] à la paroisse de KADUHA.
Elle finit par dire qu’elle est satisfaite qu’on ait bien voulu l’écouter.
Sur questions des parties, le témoin ne peut pas dire si le préfet a usé de son influence pour les sauver.
Les gendarmes qui l’ont aidée à passer la barrière se sont-ils recommandés du préfet? Elle ne sait plus
vraiment: « Peut-être qu’ils l’ont dit. »
La défense lui rappelle ses propos pour justifier son départ du Rwanda: « Je me sentais en insécurité. »
Vous vous sentiez vraiment menacée?
Le témoin: « Les gens qui ont pris nos maisons ont fait emprisonner mon mari. Je n’en pouvais plus.
J’étais fatiguée. J’ai demandé l’asile aux Etats-Unis. Mon mari a été emprisonné comme beaucoup de
Hutu qui avaient des emplois élevés. Les nouveaux cadres du FPR qui travaillaient dans la justice (comme
son mari) en voulaient aux cadres qui avaient travaillé sous HABYARIMANA. Gérald GAHIMA a tout fait
pour nuire à mon mari. » (NDR. Gérald GAHIMA a été Procureur général au Rwanda après le génocide.
Figure de proue du Congrès National Rwandais, un parti d’opposition, il s’est réfugié aux Etats-Unis).
Parole est donnée à Laurent BUCYIBARUTA: Nous nous connaissions avec le mari de madame. Je
confirme qu’il est venu me voir mais je n’avais pas de forces à mettre à sa disposition. Je me suis
adressé au commandant de la gendarmerie qui a donné des gendarmes pour aller chercher le témoin.
J’avais demandé qu’ils négocient sur les barrières sans utiliser la force.
« Quel commandant? » demande le président.
Le témoin: le major BIZIMUNGU qui a choisi ces gendarmes pour une mission délicate.
Le président: Il a organisé d’autres missions délicates?
Le témoin: J’ai déjà parlé du sauvetage des orphelins de KADUHA. Il y a eu aussi l’évacuation des
religieuses de MUBUGA à MUDASOMWA en avril.
A un avocat des parties civiles évoque l’épisode rapporté par un témoin (le préfet avait fait évacuer sa
sœur en faisant appel à des gendarmes de BUTARE). Pourquoi avoir fait appel à des gendarmes de
GIKONGORO cette fois?
Le témoin: Je pensais que c’était plus efficace de faire intervenir des gendarmes de BUTARE que je
connaissais. Je n’avais pas de contacts à RUSATIRA où habitait cette dame.
Le président: Dans un cas, je m’adresse discrètement à BIZIMUNGU, dans un autre discrètement à
ceux de BUTARE. Dans les deux cas ils interviennent avec leurs uniformes?
L’accusé n’a pas de réponse à donner.
Maître TAPI lui fait remarquer qu’à KIBEHO le préfet a fait intervenir SEBUHURA pour la protection des
élèves de Marie-Merci et non BIZIMUNGU!
Laurent BUCYIBARUTA conteste: il a parlé de BIZIMUNGU.
Le président clôt les débats en disant: « Beaucoup, concernant KIBEHO, parlent de SEBUHAURA. »
Rendez-vous est donné à demain, 9h30.

Page 561 sur 711

Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT
Jacques BIGOT

References
↑1

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑2

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé
par Juvénal HABYARIMANA.

↑3

Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par
Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999

↑4

Léon MUGESERA a été condamné à la prison à perpétuité pour son discours prononcé à
Kabaya le 22 novembre 1992

↑5

FPR : Front Patriotique Rwandais

↑6

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse
et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président
HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑7

Ibid.

↑8

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑9

Ibid.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mardi 28
juin 2022. J 33
29/06/2022

• Audition de monsieur Juvénal RUTEBUKA, cité par la défense, en visioconférence du Rwanda.
• Audition de madame Immaculée MUKAMANA, partie civile citée par la CRF.
• Audition de monsieur Jonas KANYARUTOKI, partie civile.
• Audition de monseigneur Norman KAYUMBA, évêque anglican cité par la défense.
Audition de monsieur Juvénal RUTEBUKA, cité par la défense, en visioconférence du Rwanda.
Ancien secrétaire de la commune de NYAMAGABE.
• Déclaration spontanée.
Le témoin : Ce que je dirai à la Cour, c’est que je connais Laurent BUCYIBARUTA, mais que nous
n’avons pas travaillé ensemble.
Président : Est-ce que vous pouvez nous expliquer quel a été votre parcours ? Avez-vous été
secrétaire de la commune de NYAMAGABE ?
Le témoin : Oui, j’ai exercé cette fonction, de 1970 à 1974 après avoir été instituteur à KIBILIZI, dans la
préfecture de GIKONGORO.
Président : Qu’avez-vous fait après avoir été secrétaire de la commune de NYAMAGABE ?
Le témoin : De 1975 à 1988, j’étais conseiller de secteur dans ce qui était à l’époque la commune de
NYAMAGABE.
Président : Est-ce que vous exercez des activités professionnelles ou représentatives en avril 1994 ?
Quelle était votre activité en avril 1994 ?
Le témoin : Rien, je n’exerçais aucune activité, j’étais paysan.
Président : Connaissiez-vous à l’époque les élus locaux, que ce soit le bourgmestre, le représentant de
l’Etat, les préfets ou les sous-préfets ?
Le témoin : J’ai travaillé avec les bourgmestres. J’ai été limogé.
Président : Pourquoi avez-vous été limogé ?
Le témoin : Plusieurs litiges nous opposaient. D’abord, ils nommaient des agents dans l’irrespect de la
législation en la matière. Ils licenciaient les agents sans respecter aucune réglementation. Quand tu les
contestais, tu en subissais les conséquences. Ainsi, ils m’ont rayé de la liste et ils m’ont trahi aussi
auprès du MRND [1].
Président : Néanmoins, vous avez continué à exercer des fonctions de conseiller de secteur, avez-vous
fait partie d’un parti politique ?
Le témoin : Depuis 1998, je n’ai plus exercé les activités de conseiller. J’ai tout simplement regagné
mon domicile pour travailler dans l’agriculture.
Président : Que pouvez-vous dire de Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Je ne sais pas exactement quand Laurent BUCYIBARUTA a été nommé à la tête de
GIKONGORO. J’ai quitté mes fonctions en 1988, je n’ai jamais travaillé avec lui.
Président : Avez-vous eu l’occasion de le rencontrer ?
Le témoin : Oui, je l’ai rencontré.
Président : En quelle circonstance ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
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Le témoin : J’étais citoyen ordinaire et lui préfet à GIKONGORO. En 1996 ou 1997, il y a eu une réunion
dans la ville de GIKONGORO. Il y avait la population de KIGALI, GITARAMA, BUTARE et de
GIKONGORO. La réunion a eu lieu dans la ville de GIKONGORO, des allocutions y furent prononcées.
La réunion était dirigée par SIMBA [2] puis par RUTAMARUTOKI. Ils ont dit qu’il fallait cotiser de l’argent
en vue d’aller chasser les Inkotanyi [3] de NYANZA. L’argent fut collecté. Je vais vous dire toute la vérité
de manière absolue. Il y a eu quelqu’un, un Interahamwe [4], qui avait un surnom qui m’échappe. Il lui a
dit « Toi, tu es un complice des Inkotanyi ». L’autre n’a rien répondu. La réunion a eu lieu, elle a pris fin
et il y avait beaucoup de gens venus de ces préfectures-là.
Président : Vous dites que ça se serait passé en 1996 ou 1997, est-ce que ça ne se serait pas plutôt
passé en 1994 ?
Le témoin : Non, ce n’est pas en 1994, les Français étaient là [5].
Président : Les Français étaient là en 1994? La date serait plus logique.
(Aucune réponse du témoin).
Président : Vous vous souvenez que la réunion a eu lieu alors que les Français de la force Turquoise
étaient présents ?
Le témoin : Pour ce qui concerne les Français, ce que j’aurais à dire à leur égard, j’avais chez moi des
Tutsi, plus de sept, nous les avons fait parvenir auprès des français qui se trouvaient à TABA Jusqu’à
présent, ces personnes sont encore en vie.
Président : Pour revenir à la réunion dont vous avez fait état, est-ce qu’elle se situait sur la place d’un
marché ?
Le témoin : Oui.
Président : Est-ce que la personne qui s’est adressée à Laurent BUCYIBARUTA c’était BIHEHE ?
Le témoin : Oui, c’était BIHEHE. Il avait même un fusil.
Président : En dehors de prononcer cette phrase à Laurent BUCYIBARUTA : « Toi, tu es un complice des
Inkotanyi » : est-ce qu’il l’a menacé ?
Le témoin : BIHEHE n’a rien fait contre lui. Il avait même un fusil. Quand il lui a tenu ces propos, je
l’entendais de mes propres oreilles. Les gens de toutes ces préfectures-là s’étaient rassemblés et les
gens qui étaient présents vous diraient la même chose.
Président : Est-ce que vous connaissez le colonel SIMBA ?
Le témoin : Le colonel SIMBA est celui qui distribuait les fusils, et c’est lui qui accordait la parole aux
intervenants.
Président : Est-ce que le nom de SEMAKWAVU vous dit quelque chose ?
Le témoin : Il était bourgmestre.
Président : Est-ce qu’il était présent à cette réunion?
Le témoin : Il était présent.
Président : Que pouvez-vous nous dire sur SEMAKWAVU ? Comment se comportait-il pendant la
période du génocide ?
Le témoin : SEMAKWAVU était bourgmestre, mais ce n’était pas du temps où je travaillais là-bas. Mais,
tel que je le voyais, il collaborait avec SIMBA.
Président : Est-ce que vous diriez également que le préfet Laurent BUCYIBARUTA collaborait avec
SIMBA ?
Le témoin : Aucune idée, là-dessus, ça c’est des choses qui étaient de l’apanage des dirigeants.
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Président : Comment le préfet a réagi aux propos tenus par BIHEHE ?
Le témoin : Je ne l’ai pas entendu dire quoi que ce soit. C’était une ignominie.
Président : Ce qui avait été dit était perçu par tout le monde comme une ignominie ?
Le témoin : Correct.
Président : Souhaitez-vous dire autre chose ?
Le témoin : Je n’ai rien d’autre à ajouter. Mais, voyez-vous, quelqu’un qui tient de tels propos à une
autorité de manière irrespectueuse, et ce publiquement, ça dépassait l’entendement.
Président : Quand vous avez été entendu par les enquêteurs français, vous avez dit à propos du préfet
: « Il était considéré comme un complice car il avait une femme Tutsi ». Vous en souvenez-vous ?
Le témoin : Cela, je l’ai dit. Mais, par après, j’ai entendu beaucoup d’autres choses, j’ai entendu
beaucoup d’autres choses affligeantes concernant les massacres de MURAMBI, de CYANIKA, de
KADUHA mais, ce sont des choses qui parvenaient à mes oreilles, je n’ai pas d’informations précises làdessus.
Président : Ces choses affligeantes impliquaient le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Je n’en sais rien, vraiment je n’ai pas d’information à ce sujet. Les gens disent qu’il était là,
mais moi je n’en sais rien.
Président : Est-ce que ce que vous voulez dire c’est que Laurent BUCYIBARUTA était présent au
moment des massacres ?
Le témoin : C’est ce que j’entends dire.
Président : Mais c’était des rumeurs ? Vous n’en savez rien en fait ?
Le témoin : Laurent BUCYIBARUTA, je ne le connais pas. Même si nous nous rencontrions, il ne me
reconnaitrait pas. Il ne connait même pas mon nom.
Président : Vous même, Monsieur, vous êtes Hutu ou Tutsi ?
Le témoin : Je suis vraiment Hutu.
Président : Quand vous avez été entendu, vous avez indiqué avoir perdu des beaux-frères pendant le
génocide ?
Le témoin : Je ne sais pas quoi dire sur leur mort, à part que c’était mes beaux-frères.
Président : Étaient-il Hutu ou Tutsi ? Où ont-ils été tué ? Pourquoi ?
Le témoin : Je vous ai dit que je cachais beaucoup de gens chez moi, et parmi ces gens un beau-frère
à moi. Alors, les personnes concernées étaient dans une chambre, mon beau-frère m’a dit qu’il ne
pouvait pas rester tout le temps dans la maison car les Interahamwe pouvaient le trouver et le tuer. Il
m’a dit qu’il allait passé la journée sous un pont pour rentrer à la maison la nuit, c’est ainsi qu’il est
parti pour se rendre sous un pont, les Interahamwe l’ont trouvé et l’ont tué.
Président : Souvenez-vous à quelle date ça se passe ? Au moment de la réunion dans laquelle
Monsieur Laurent BUCYIBARUTA a été interpellé ? Avant ? Après ?
Le témoin : La réunion à laquelle se trouvait Laurent BUCYIBARUTA et à laquelle j’étais présent,
personne n’a été tué.
Président : Ce n’est pas ma question. Je comprends qu’il n’a pas été tué au moment de la réunion,
mais quand a-t-il été tué ? Avant ou après la réunion ?
Le témoin : La réunion à eu lieu après la mort de mon beau-frère. Lors de cette réunion, les Français
ont dit qu’il fallait débroussailler.
Président : Je ne comprends pas trop, vous dites que les Français faisaient la chasse au Tutsi ?
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Le témoin : C’est plutôt au Français que nous remettions les gens que nous avions cachés chez nous.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose Monsieur ?
Le témoin : Quiconque a commis ou planifié le génocide doit perte puni de manière exemplaire.

PAS DE QUESTION DE LA COUR.
PAS DE QUESTION DES PARTIES CIVILES.
PAS DE QUESTION DU MINISTÈRE PUBLIC.

QUESTIONS DE LA DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : Lorsque vous avez été entendu par les enquêteurs français, à la fin de votre
déposition, l’enquêteur vous demande si vous souhaitez ajouter quelque chose et vous dites la phrase
suivante : « Selon moi, ce sont des raisons politiques pour lesquelles on enquête sur Laurent
BUCYIBARUTA, car pour moi il n’a rien fait ». Quand vous dites cela, que voulez-vous dire ? Sur quoi
vous appuyez-vous pour dire qu’il n’est pas impliqué dans le génocide ?
Le témoin : Moi, j’ai dit que nous n’avions pas travaillé avec Laurent BUCYIBARUTA. Nous n’avons pas
travaillé ensemble. Ce que j’ai dit, je l’ai dit et je l’ai répété, et je vous ai dit qu’avant ça j’ai entendu
dire qu’on parlait de lui à CYANIKA, MURAMBI, KADUHA, mais moi je n’étais pas là. Est-ce que j’ai nié
qu’il n’a pas fait le génocide ? Je n’ai jamais nié, j’ai dit ce que j’ai vu.
Me BIJU-DUVAL : Ces rumeurs concernant CYANIKA, MURAMBI, KADUHA, vous avez entendu ces
informations après le génocide ?
Le témoin : J’ai eu ces informations après le génocide. Ce ne sont pas des choses que j’ai vues moimême.
Me BIJU-DUVAL : Vous avez été entendu par les enquêteurs français en 2013 et à ce moment-là vous
dites aux enquêteurs : « Pour moi, il n’a rien fait ». Est-ce qu’on peut en conclure que les informations
dont vous nous parlez maintenant, les rumeurs à CYANIKA, MURAMBI, KADUHA : est-ce que vous les
avez obtenues, en avez-vous eu connaissance après votre audition avec les enquêteurs ?
Le témoin : Oui, j’ai entendu cela après.
Me BIJU-DUVAL : Merci Monsieur, je n’ai pas d’autre question.

Audition de madame Immaculée MUKAMANA, partie civile citée par la CRF [6].
Le témoin a été entendu le 24 mai mais son audition n’a pu être menée à son terme, faute de
temps. Elle revient aujourd’hui en visioconférence comme cela lui avait été proposé. Elle
reprend son témoignage là où elle l’avait laissé, sur l’invitation de monsieur le président
Je dirai tout simplement que le génocide avait été planifié depuis bien avant. Comme je vous l’avais
dit, ma famille avait été persécutée bien avant 1994. Je vous avais dit que plusieurs fois nous passions
les nuits dans les brousses en fuyant. En 1994, c’était la réalisation et la concrétisation d’un plan qui
avait été préparé, et c’est tout cela qui a provoqué des conséquences jusqu’à aujourd’hui.

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Président : Est-ce que j’ai bien compris si je dis que votre fratrie était composée de quatorze enfants ?
Le témoin : C’est exact.
Président : Pouvez-vous préciser l’endroit exact où vous habitiez à GIKONGORO ? Pouvez-vous
nous préciser où était votre maison ?
Le témoin : Nous habitions dans la ville de NYAMAGABE. C’était exactement dans le quartier
commercial étant donné que mon père était commerçant. Le quartier commercial dans le temps se
trouvait à NZEGA. Mon père habitait quant à lui dans le nouveau quartier commercial dans la ville
même de GIKONGORO. Pendant le génocide, notre maison de NZEGA a été détruite. Nous avions
deux maisons et celle où nous habitions a été détruite, et celle avec les locataires a été détruite.
L’habitation de mon frère a aussi été détruite, et il en fut de même de son lieu de commerce, tout
comme les maisons qu’il louait à des expatriés. Ceux-ci ont été mis dehors et les maisons furent
détruites. En réalité, toutes les maisons furent détruites. Notre maison de campagne et tous les biens
que nous avions dans nos localités d’origine ont été détruits. En ce qui concerne les bovins, nous
avions chez nous une vache de race moderne, on l’a donnée en guise de rétribution à quelqu’un qui
avait tué plus que les autres. A la fin du génocide, nous n’avions plus rien et nous avions dû nous
reconstruire par après. La voiture de mon frère servait au transport des tueurs, ces tueurs l’avaient
pillée et ils circulaient partout avec. Ils se sont rendus au Congo, en exil, avec le véhicule.
Président : Est-ce qu’à l’occasion d’une attaque de l’une de vos maisons, et plus précisément celle près
d’un rond point, est-ce que vous vous souvenez d’un épisode se violence ?
Le témoin : Ce dont je me rappelle, c’est que les gens qui sont allés piller le magasin de mon frère se
sont disputés entre eux, on a tiré sur quelqu’un.
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, il me semble que vous avez évoqué avoir conduit des
personnes qui étaient blessées à l’hôpital de KIGEME, à la suite d’une attaque contre une maison, c’est
bien ça ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, c’est exact.
Président : Est-ce qu’il s’agissait bien du frère de madame ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, le président se trompe de témoin. Je ne connais ni le témoin, ni sa
famille.
Président : Au temps pour moi. Connaissez-vous la famille de la partie civile ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non.
Président : Connaissiez-vous le préfet ? Aviez-vous des liens avec sa famille ?
Le témoin : Il n’y avait aucun lien entre nous. Mais, je pense qu’il devait connaitre mon frère car c’était
un commerçant connu dans la ville de NYAMAGABE. Surtout qu’ils avaient établi une liste après la
mort de BUCYANA, et sur cette liste mon frère figurait en numéro 1.
Président : Est-ce que BUCYANA était le président de la CDR [7] ?
Le témoin : Il était président de la CDR. A sa mort, il a été prévu de tuer les Tutsi qui se trouvaient
dans la commune de NYAMAGABE. Ce jour-là, ils avaient établi et rendu public une liste avec moi y
compris. Nous n’avions pas passé la nuit à la maison et nous avions fui.
Président : Il va y avoir la mort de BUCYANA et le président du MDR [8] qui était GAPYISI. À la suite de
ces assassinats qui vont susciter des troubles importants dans le pays, souvenez-vous de ce qui se
passe exactement à GIKONGORO? Souvenez-vous d’un sous-préfet qui a essayé d’intervenir et de faire
des choses au niveau du préfet ?
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Le témoin : Je n’ai pas d’informations a ce sujet. Ce que je sais c’est que RUSATSI a lui même été tué
pendant le génocide.
Président : Savez-vous où il a été tué ?
Le témoin : Je ne le sais pas avec précision.
Président : S’agissant de cette liste rendu public, c’était combien de temps avant le génocide ?
Le témoin : Je ne m’en rappelle pas bien, mais peu avant le génocide. Ça doit être en 1993, toujours
est-il que c’était juste avant la mort de BUCYANA. (NDR. BUCYANA a été tué fin février 1994, en
représailles de la mort de monsieur Félicien GATABAZI. Tué à MBAZI, près de BUTARE.)
Président : Comment cette liste avait-elle été connue ?
Le témoin : Cette liste qui était sur des papiers non signés était distribuée par des gens qui se les
passaient entre eux. C’est surtout suite à cette liste que beaucoup de gens ont dû fuir, s’étant rendu
compte qu’ils risquaient d’être tués. De ma cachette, j’ai personnellement vu cette liste.
Président : Concrètement, savez-vous s’il y a eu une enquête pour déterminer qui étaient les auteurs
de cette liste ? De simples rumeurs ? Un projet criminel à travers ça ?
Le témoin : Je ne pouvais pas donner de précisions à ce sujet, mais tout ce que je sais c’est que toutes
les personnes qui figuraient sur cette liste ont été tuées et ceci était d’autorité publique. Depuis
l’annonce de cette liste, quiconque y figurait n’a plus jamais passé la nuit chez lui.
Président : Savez-vous qui était en charge du Parquet ? De la gendarmerie ? De la justice ? Était-il
possible de s’adresser à des autorités ?
Le témoin : En ce qui concerne les dirigeants de la gendarmerie, parmi eux je connaissais un certain
SEBUHURA et un certain HABAYISENGA, aujourd’hui incarcéré pour cause de génocide. Il fait partie de
ceux qui ont pillé les biens de mon grand-frère. Il a dû répondre de cela devant les
juridictions Gacaca [9]. Il figure parmi ceux qui ont été condamnés à la réparation des biens
endommagés.
Président : On a compris que vous vous occupiez d’un enfant de votre frère, est-ce que vous-même,
vous avez des enfants ? Trois enfants il me semble ?
Le témoin : Oui.
Président : Donc, vous avez expliqué que ça a été très compliqué pour votre neveu, comment vos
enfants et le neveu que vous avez adopté évoluent ?
Le témoin : J’ai légalement adopté ce neveu. Il vit avec mes enfants. J’ai payé pour lui les frais de
scolarité et il a terminé ses études secondaires. Il a poursuivi et terminé ses études en Angleterre.
Actuellement, il est rentré au Rwanda, c’est un jeune homme, il travaille avec moi et m’aide dans mes
activités commerciales. Moi aussi, je suis une commerçante. A l’heure actuelle, il se trouve en France. Il
est rentré d’un voyage de travail en Italie, et il est passé par la France. Il a grandi et est devenu un
homme et il s’entend bien avec mes enfants. Seulement, comme il a grandi, c’est surtout pendant la
période de commémoration qu’on voit qu’il réfléchit beaucoup à ce qui s’est passé. Il commence à se
rendre aux endroits où ses parents ont été éliminés. Lorsqu’il apprend que quelqu’un a retrouvé les
siens, il se demande s’il ne se pourrait pas qu’un jour il revoie un membre de sa propre fratrie. On voit
qu’il n’a pas encore bien intégré le fait qu’il ne retrouvera plus un membre de sa fratrie.
QUESTIONS DE LA COUR.
JA1 : Je reviens sur la question qui vous a été posée par le Président, pour savoir si on pouvait
s’adresser au Parquet, à la gendarmerie et à la justice, vous avez cité deux noms : le capitaine
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SEBUHURA et celui dont je n’ai pas le nom qui a été condamné pour avoir pillé les biens de votre frère.
La question était plutôt : pouvait-on s’adresser aux autorités pendant le génocide pour qu’ils fassent
leur travail normal de faire respecter la loi, l’ordre public pour protéger les victimes ?
Interruption de Me GISAGARA qui intervient pour dire que la question du président portait sur la
situation avant le génocide. Le président dit toutefois que la question est pertinente: avant ou pendant.
Président : Quelles étaient les autorités auxquelles on pouvait s’adresser que ce soit dans la période
du génocide ou avant le génocide ?
Le témoin : Un Tutsi n’avait jamais de possibilité de recours, que ça soit avant ou après le génocide. Il
n’y avait aucune autorité à qui il pouvait se confier. Ils étaient persécutés et menacés pendant que les
autorités le voyaient.
QUESTIONS DES PARTIES CIVILES.
Me GISAGARA : Je n’ai pas de question, mais juste remercier ma cliente pour évoquer ce passé
douloureux. J’aimerais juste poser une question à Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, car il a dit qu’il ne
connait pas la famille de Madame la témoin, mais j’aimerais juste qu’il me confirme qu’il ne connait
pas Emile KAREKEZI qui était un grand commerçant de GIKONGORO ?
Laurent BUCYIBARUTA : A GIKONGORO, il y avait beaucoup de commerçants. Certains je les
connaissais de vue. Il est possible que j’ai croisé le frère du témoin mais je ne peux pas dire que je
connaissais son nom car il y a beaucoup de gens dont je connaissais le visage car moi aussi, je me
rendais dans les magasins pour les approvisionnements. Je ne connaissais pas le nom de tous les
commerçants.
Sur question d’un avocat des parties civiles concernant les conséquences de la mort de BUCYANA à
GIKONGORO, Le témoin s’explique. Là où on peut voir un lien, c’est par exemple quand il y a eu la
mort du président HABYARIMANA, on a accusé les Tutsi. Quand HABYARIMANA est mort, le
lendemain, à GIKONGORO, on a commencé à tuer des personnes. Ces personnes ont été tuées alors
que HABYARIMANA était mort à KIGALI. Ça s’entend bien, ça se comprend. Le Tutsi était menacé. À
GIKONGORO, comme je vous l’avais déjà dit, c’est là où les tueries avaient commencé aussi. Tout ce
qui se passait en 1994, on s’en prenait aux Tutsi directement.
L’avocat : Vous avez également parlé de ce plan en 1994. Depuis que vous avez connaissance des
persécutions des Tutsi à GIKONGORO, pouvez-vous expliquer de quelle manière les autorités
administratives, à commencer par les responsables des cellules, les conseillers de secteurs, les préfets
et les autres autorités comme la gendarmerie, étaient impliquées dans cette organisation ? Que
faisaient-ils ?
Le témoin : Il n’y a pas un citoyen qui peut s’en prendre et tuer un autre voisin, alors qu’il y a les
autorités. Comme nous le savons, les autorités sont mises en place pour assurer la sécurité de la
population. Les autorités ne faisaient rien pour rendre justice à ceux qui étaient menacés. Tous ceux
qui ont été tués, les autorités aussi le voyaient.
QUESTIONS DE LA DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : Je voudrais revenir sur les troubles fin février qui font suite à l’assassinat du
président de la CDR, et du ministre GATABAZI. Je voudrais vous demander si vous avez eu l’occasion
d’entendre une émission diffusée par Radio RWANDA en date du 28 février 1994, dont je vais vous lire

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un extrait (D9119-9120), extrait parlant de mesures prises, des réunions organisées par le préfet
Laurent BUCYIBARUTA à la suite de ces troubles, et en particulier de la distribution de tracts ?
C’est le journaliste, Emmanuel NSABIMANA qui parle: « Hier, suite à des tracts à caractère raciste, le
préfet Laurent BUCYIBARUTA a tenu une réunion de sécurité à base élargie. Il a d’abord abordé la
chronologie des événements à GIKONGORO et évoqué la manifestation du PSD [10] du 22 février suite à
la mort de GATABAZI. Ces tracts visaient certains Tutsi. Laurent BUCYIBARUTA a exprimé ses inquiétudes
et appelé les fonctionnaires de GIKONGORO à la vérité, à l’unité des gens indépendamment de leur
origine régionale ou ethnique. »
Vous avez entendu cela?
Le témoin : Je n’ai pas d’informations sur cette réunion qui a eu lieu. Ce que je sais depuis le début,
c’est que les Tutsi étaient mal vus. Je n’ai pas eu connaissance de cette réunion. Les Tutsi qui étaient à
GIKONGORO et NYAMAGABE se faisaient fouiller tout le temps. Je n’ai pas eu connaissance de cette
réunion dont vous parlez. Depuis ce jour-là, les Tutsi étaient menacés et ne passaient pas la nuit chez
eux. Je le confirme aussi car, moi-même, je vivais cette situation et mon frère aussi. Par exemple, mon
frère qui travaillait à NYAMAGABE fuyait avec les enfants, allaient passer la nuit à BUTARE et revenait le
lendemain. D’autres Tutsi aussi fuyaient et se cachaient tout le temps, tout le temps.
Me BIJU-DUVAL : Radio Rwanda époque la préoccupation de Laurent BUCYIBARUTA concernant la
distribution de tracts, visant certains Tutsi : qu’en pensez-vous ? Que pensez-vous de cette réaction de
Laurent BUCYIBARUTA qui convoque une réaction des chefs de service concernant la sécurité ?
Le témoin : Quel était l’objet de cette réunion ?
Président : Nous avons un compte rendu officiel. Je vais donner lecture car je pense que la lecture
n’était pas partielle.
(Le Président cite les noms des personnes présentes à cette réunion). Monsieur le président parle d’une
émission du 23 février. Il y a une confusion. On a du mal à y voir clair. Monsieur BIJU-DUVAL maintient
qu’il ne s’agit pas de la même émission.
On s’en tiendra là.
A la fin de l »audience, il est questions de pièces que le CPCR veut verser au dossier. Il s’agit de
transcription d’écoutes téléphoniques prises dans un autre dossier et dont les propos ont été
traduits en français par un interprète assermenté. La défense conteste la déposition de telles
pièces. Elle veut avoir la transcription des écoutes en Kinyarwanda pour s’assurer de la
traduction. Affaire à suivre.

Audition de monsieur Jonas KANYARUTOKI, cité à la demande de monsieur Jean-Damascène
BIZIMANA, partie civile que l’on doit entendre jeudi 30 juin à 14 heures.

Président : Souhaitez-vous faire des déclarations spontanées ?

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Le témoin : Ce que j’aurais à dire à la Cour, c’est que toutes les instances dirigeantes en 1994
devraient demander pardon à Dieu. Ces autorités devraient également présenter leur pardon au
peuple Rwandais à cause des crimes que ces instances ont commis à une seule catégorie du peuple
Rwandais.
Président : Avez-vous des choses à dire concernant Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Ce que j’aurais à dire sur lui, c’est au sujet d’une réunion qui a eu lieu au CIPEP [11], à une
date que j’oublie. Dans cette réunion, il y avait le capitaine SEBUHURA [12], tous les bourgmestres, des
leaders d’opinion, ainsi que des commerçants. Ce que j’aurais à dire c’est que les paroles qui ont été
prononcées ce jour-là par SEBUHURA, Laurent BUCYIBARUTA, qui était préfet à la préfecture de
GIKONGORO, ne les a pas contredites. Ainsi, je demande à Laurent BUCYIBARUTA de se repentir et de
demander pardon à Dieu et de demander pardon aux Rwandais, à cause des crimes que les Rwandais
ont subi.
Président : Pouvez-vous être plus précis ? Qu’a dit le capitaine SEBUHURA? Où était cette réunion ?
Pourquoi étiez-vous présent ?
Le témoin : Le capitaine SEBUHURA a dit explicitement que nous devions nous protéger et nous
débarrasser de l’ennemi. Tous les dirigeants qui étaient présents, y compris ce préfet, ont applaudi,
acclamant le discours de SEBUHURA. Pour ce qui me concerne, j’avais été invité en ma qualité de
leader d’opinion.
Président : C’est-à-dire ?
Le témoin : Un leader d’opinion c’est quelqu’un qu’on ne contredit pas, qui dit la vérité, et c’est
quelqu’un qui est apprécié par la population.
Président : Si on peut en savoir un peu plus sur la réunion ? Où s’est-elle tenue ? A quelle date ?
Le témoin : Je ne me rappelle pas de la date, mais la réunion s’est tenue à SUMBA au CIPEP.
Président : Quand vous dites SUMBA, vous dites dans la rue ? Dans un bâtiment ?
Le témoin : C’était dans une grande salle.
Président : Vous savez à quoi correspondait cette salle ?
Le témoin : Je ne le sais pas. C’est en contre haut de l’endroit où travaillent les chinois. Même
aujourd’hui, lorsque les autorités organisent une réunion, c’est au même endroit qu’elle se tient. C’est
une salle préfectorale, ce bâtiment appartenait à la préfecture.
Président : Est-ce que ça correspond à ce qu’on appelle le CIPEP ? (NDR. C’est ainsi que le témoin
venait de nommer la salle.)
Le témoin : C’est là-bas, on le nomme ainsi.
Président : Je ne comprends pas trop pourquoi vous étiez là Monsieur ? Car vous n’habitiez pas là,
vous habitiez dans la forêt ?
Le témoin : Nous avons été transportés par un véhicule venant de la commune de MUKO.
Président : Donc, vous venez de la commune de MUKO ?
Le témoin : Oui, notre commune est MUKO, un endroit où il y a la forêt.
Président : C’est un endroit où il y a une plantation de thé ?
Le témoin : Oui, c’est là-bas où il y a des plantations de thé. Il y a aussi une usine.
Président : Connaissiez-vous Monsieur Aloys SIMBA [13] ?
Le témoin : Je le connais, il était colonel à l’époque.
Président : Est-ce qu’il était présent à cette réunion à laquelle vous avez assisté ?
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Le témoin : SIMBA était présent, mais ce n’est pas lui qui dirigeait la réunion.
Président : Qui dirigeait cette réunion ?
Le témoin : Le préfet présidait la réunion, mais la personne qui parlait c’était SEBUHURA. On voyait
qu’ils se liguaient tous car quand ils parlaient, les autres applaudissaient.
Président : A cette période, il y avait des massacres ? Des gens avaient été tués ?
Le témoin : Les citoyens n’avaient pas encore commencé à tuer d’autres citoyens. Par contre, le
bourgmestre de la commune de MUKO (Albert KAYIHURA) a tué le comptable, ainsi qu’un assistant. Ils
les ont tué par balles le 7 avril, au lendemain de la mort de HABYARIMANA qui était survenu le 6 avril.
Président : Vous étiez-là quand on a tué ce comptable ?
Le témoin : Je n’étais pas présent lorsqu’on l’a tué, mais c’était un jour du marché.
Président : Pourquoi avez-vous été condamné ? Avez-vous tué quelqu’un ?
Le témoin : Personnellement, je prenais part aux attaques, même si je n’ai tué personne, je partais
pour tuer.
Président : Avez-vous été condamné pour avoir tuer quelqu’un ?
Le témoin : J’ai été condamné alors que j’avais demandé pardon pour avoir participé aux attaques qui
avaient pour but de massacrer des gens.
Président : D’accord, mais où ?
Le témoin : A GATARE, là-bas à Crête Congo-Nil. Nous quittions GIKONGORO pour aller à la réunion,
transporté par le véhicule de sécurité. La commune c’est MUSEBEYA.
Président : Quel était le nom du bourgmestre ?
Le témoin : Viateur HIGIRO. Il les a livrés et les a transportés à bord d’une ambulance et les a déposés
quelque part , et c’est là que nous les avons abattus.
Président : Je crois que Viateur HIGIRO est décédé ?
Le témoin : Aujourd’hui, oui. Mais, c’est moi qui ait témoigné à sa charge pour qu’il soit condamné.
Alors que j’étais en prison, on m’a conduit sur place et j’ai dit que c’était HIGORO, et toute la
population a confirmé que c’était lui qui les avait livrés à nous. Il avait été condamné à une peine de
réclusion à perpétuité.
(Le Président précise que Viateur HIGIRO est décédé, et qu’il était prévu que nous l’entendions en tant
que témoin).
Président : Qui vous avait emmené à cette réunion de GIKONGORO ?
Le témoin : Nous sommes allés à GIKONGORO dans des véhicules de la commune et avec ceux de la
coopérative COSAMU.
Président : Donc, avec des véhicules de la commune de MUSEBEYA ou de GATARE ?
Le témoin : De MUKO, ceux de MUSEBEYA étaient partis avec des véhicules de MUSEBEYA de leur
côté.
Président : Comment s’appelait le bourgmestre de la commune de MUKO ?
Le témoin : Albert KAYIHURA, aujourd’hui décédé au Congo.
Président : Avez-vous eu l’occasion de rencontrer Laurent BUCYIBARUTA ? C’est la première fois ?
Le témoin : Je n’ai plus revu Laurent BUCYIBARUTA. Par contre, j’avais des amis qui ont péri à
MURAMBI et j’ai eu à me rendre à MURAMBI. Donc, je suis allé voir mes amis à MURAMB,I et ils
disaient que Laurent BUCYIBARUTA avait fait que leur famille soit tuée, lui et le capitaine SEBUHURA.

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Ils avaient été à l’origine du fait que les membres de leur famille avaient été tués, fusillés à cet endroitlà.
Président : « Cet endroit-là » : vous parlez de MURAMBI ?
Le témoin : Murambi et NYAMAGABE, c’est-à-dire à GIKONGORO.
Président : Vous, Monsieur, qui participez à des attaques en tant que Hutu contre les Tutsi, vous allez
voir des amis Tutsi à MURAMBI ?
Le témoin : J’avais eu des rapports sexuels avec une fille là-bas. Elle avait même conçu de mes œuvres
un enfant de sexe masculin.
Président : Elle était Tutsi ?
Le témoin : Oui. Quand je suis arrivée là-bas, les gens disaient que les victimes avaient été tuées à
cause du préfet Laurent BUCYIBARUTA et du capitaine SEBUHURA.
Président : Vous avez assisté à une réunion au début du génocide, dans laquelle on dit : « On devait se
débarrasser de l’ennemi ». Donc, on doit se débarrasser de qui ? Des Tutsi ?
Le témoin : Oui, l’ennemi c’était le Tutsi, car le FPR [14] avait gagné du terrain.
Président : Vous dites que l’ennemi c’est le Tutsi mais vous même vous avez une amie Tutsi. Et, vous
ne lui avez pas dit qu’elle était en danger ?
Le témoin : Je ne pouvais rien faire, rien du tout, alors que c’était l’autorité qui soutenait cela.
Président : Peut être que la première chose à faire c’est de ne pas aller à cette réunion et de ne pas
participer à ces massacres ?
Le témoin : Monsieur le Président, si une autorité vous dit d’aller tuer chez un tel, vous ne pouvez pas
ne pas y aller, c’était pour sauver votre vie.
Président : Si je comprends bien, vous avez participé à des attaques contre les Tutsi car vous y étiez
contraint ?
Le témoin : J’y ai été tout comme beaucoup d’autres citoyens par contrainte, suite à cette réunion.
Président : Donc, si je comprends bien, tous ceux qui ont tué c’était « par contrainte » et à cause des
autorités ?
Le témoin : Oui, les autorités, car avant aucun citoyen n’avait participé à des tueries, c’était plutôt les
gendarmes et le bourgmestre. Laurent BUCYIBARUTA n’a rien dit par rapport à cela.
Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose Monsieur ?
Le témoin : Ce que j’ajouterai, c’est que dans votre sagesse et guidé par Dieu vous ferez que ces gens
soient punis, après qu’ils aient demandé pardon à Dieu.
Président : Quelle était votre activité professionnelle en 1994 ?
Le témoin : J’étais garde forestier avant 1994.
Président : Vous aviez une amie à GIKONGORO ?
Le témoin : Vous voyez, on appelait ça maitresse et j’y allais comme ça, lors de réunions.
Président : Faisiez-vous partie d’un parti politique ?
Le témoin : J’étais membre du mouvement qui a exterminé.
Président : Responsable des Interahamwe [15] ?
Le témoin : Il y avait ce parti là et aussi MDR/MRND [16], mais eux aussi, c’était des Interahamwe.
Président : Quelle tendance ?
Le témoin : En 1994, après que les autorités les aient regroupés, on a laissé de côté les affaires des
partis politiques et tout le monde est devenu Interahamwe et ils faisaient la chasse aux Tutsi.
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Président : L’église où il va y avoir des massacres, est-ce que c’est bien l’église presbytérienne de
GATARE ?
Le témoin : Oui c’est là où il y avait des massacres, des gens livrés à nous par le bourgmestre.
Président : Est-ce que ces faits ont pu avoir lieu le 17 avril 1994 ?
Le témoin : Oui, quelque part entre le 17 et le 18 avril, car c’est le 20 que nous sommes partis à bord
des véhicules envoyés par le directeur de l’usine à thé de GISOVU, ainsi que ceux envoyés par le
bourgmestre KAYIHURA, et son fonctionnaire assistant a été condamné aujourd’hui à perpétuité et
pour lequel j’ai témoigné à charge. J’ai oublié un autre élément : c’est que tous ces bourgmestres, dont
celui de KINYAMAKARA et d’autres, étaient tous dans cette réunion et ils applaudissaient le discours
que venait de prononcer SEBUHURA.
Président : Avez-vous revu SEBUHURA ?
Le témoin : Je l’ai revu une fois, quand il était venu à GIKONGORO. Quand le directeur d’une université
organisait une réunion du côté du silo, nous y allions tous, c’était situé près de la prison.
Président : Combien de fois êtes-vous allez à la prison ?
Le témoin : C’était un silo de la coopérative dans lequel on a emmagasiné des grains de maïs et des
haricots. Dans ces réunions en 1993/1994, j’y suis allé à peu près trois fois.
Président : Savez-vous ce qu’il se passait à BISESERO ?
Le témoin : J’ai témoigné à ce sujet, tous ceux qui ont participé à GIKONGORO sont en prison, les
autres ont fui.
Président : Environ quarante mille tutsi massacrés à BISESERO, est-ce que vous pensez que ça
correspond ?
Le témoin : Celui qui dirait cela ne serait pas en train de mentir. On est allé là-bas, mais une fois sur
place, les Hutu nous ont repoussés et ont même arraché au surveillant de prison un fusil.
Président : Combien de morts à l’église presbytérienne de GATARE ?
Le témoin : Treize personnes qui étaient venues de KIBUYE qui travaillaient et qui se sont réfugiés
dans l’église. Ceux qui étaient originaires d’ailleurs de KIBUYE, ont été transportés par le bourgmestre
en voiture, disant qu’il les transportait à KADUHA. En cours de route, on les a tués.
Président : Etes-vous allé à KADUHA ?
Le témoin : Non, je n’y suis pas allé. Là aussi les gens ont été tués dans l’église, et là les gens s’en
vantaient, c’était des militaires.
Président : Avez-vous vu des militaires de la force Turquoise [17] ?
Le témoin : Lorsque je les ai vu, les militaires français avaient arrêté des voyous, ils les avaient attaqués
à l’arrière du véhicule. C’est l’unique fois que je les ai vus, après je ne les ai plus revus.
Président : C’était où ?
Le témoin : A MURAMBI, c’était à BISESERO. Quand les gens ont tué la population à MURAMBI, les
Français étaient là, ils n’ont rien fait.
Président : A MURAMBI, les Français étaient là pendant les massacres et ils n’ont rien fait ?
Le témoin : Ils n’ont rien fait et s’ils avaient fait quelque chose, ils auraient tué les Interahamwe.
Président : Les Français ne sont arrivés que deux mois après les massacres, alors effectivement ils ne
pouvaient pas faire grand chose. Ce que vous me dites c’est ce que vous avez vu, ce qu’on vous a dit,
ce qu’on vous répète?
Le témoin : Il s’agit là des choses que j’ai entendu dire.
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Président : Sauf, pour apprendre le décès malheureux de votre maitresse et de votre enfant.
(Fin de l’audition aucune réponse du témoin suite à ce que dit le Président).
Maître AUBLE signale au témoin que son témoignage de 2005 devant les enquêteurs a été versé au
dossier.
Le témoin précise que les armes étaient données par le bourgmestre KAYIHURA et par SEBUHAURA.
Les conseillers donnaient des instructions. Mais les gens prenaient leurs propres armes: lances,
machettes, gourdins.
Maître GISAGARA veut savoir, concernant les Français, si le témoin parle du 21 avril, quand sa
maîtresse a été tuée, où quand les Tutsi étaient à MURAMBI en même temps que les HUTU qui
fuyaient le FPR, au moment de l’Opération Turquoise.
Le témoin: Je parle de la fin du génocide, quand les Français étaient là.
Maître GISAGARA: Vous connaissez un commerçant qui s’appelait Emile KAREKEZI?
Le témoin: De nom, mais je ne me souviens pas.
Un autre avocat des parties civiles demande au témoin pourquoi il se considérait comme un leader
d’opinion en 1994. Pourquoi aussi tuer GACENDELI et l’infirmier dès le 7 avril?
Le témoin: J’étais quelqu’un de convaincant. Quant aux deux personnes dont vous parlez, on disait
qu’ils avaient cotisé pour le FPR.
Le ministère public demande au témoin si SEBUHURA était le chef de la gendarmerie.
Le témoin: Il y avait un commandant, SEBUHURA était son adjoint.
Le ministère public: Vous avez vu le commandant pendant le génocide?
Le témoin: On n’en parlait même pas.
Maître BIJU-DUVAL: Vous témoignez à la demande de monsieur BIZIMANA, partie civile. Vous le
connaissez personnellement.
Le témoin: La personne qui vous dit cela a menti. Je ne le connais pas.
Maître BIJU-DUVAL: Vous ne savez pas que c’est monsieur BIZIMANA qui vous cite?
Le témoin: Je suis un témoin contre les responsables du génocide.
Maître BIJU-DUVAL: Vous connaissez les fonctions de BIZIMANA?
Le témoin: Je ne le connais pas.
Maître BIJU-DUVAL: Vous ne savez pas qu’il est au gouvernement?
Le témoin: J’ai 80 ans. Je ne connais pas le gouvernement. Je ne connais que le Président de la
République qui passe de temp sen temps.
Maître BIJU-DUVAL: Vous connaissiez la CNLG [18] qui a entendu des quantités de personnes? Vous
ne savez pas que BIZIMANA a été secrétaire général de la CNLG?
Le témoin: Comment voulez-vous que je connaisse cette CNLG. Je ne connais pas ce BIZIMANA.
Maître BIJU-DUVAL: Vous avez pris part à plusieurs attaques et que vous n’aviez tué personne.
Vraiment?
Le témoin: Est-ce que je participais aux attaques pour ne pas tuer?
Maître BIJU-DUVAL: Vous avez tué ou non?

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Le témoin: Je participais aux attaques, donc j’ai tué. Même si je n’ai pas tué. (????)
Maître BIJU-DUVAL: Vous avez témoigné à charge dans plusieurs procès, dont celui de HIGIRO,
SEBERA, quand vous étiez en prison. D’autres dénonciations?
Le témoin: J’ai témoigné quand j’étais en prison et quand j’étais à l’extérieur.
Maître BIJU-DUVAL: En étant témoin à charge, vous avez bénéficié d’une peine clémente?
Le témoin: Non.
Maître BIJU-DUVAL: Vous vous souvenez avoir été entendu par l’association African Rights, en avril
2005, en prison? Vous avez donné aussi des informations sur l’Opération Turquoise.
Le témoin: Je ne me souviens pas.
Maître BIJU-DUVAL: Des informations sur le bourgmestre de MUKO dans la mort de GACENDELI?
Le témoin: C’est possible.
Maître BIJU-DUVAL: Des militaires français qui auraient jeté des Tutsi du haut d’un hélicoptère?
Le témoin: Possible que j’ai dit cela. Un avion emmenait des gens et les jetait dans la forêt.
Maître BIJU-DUVAL lit deux déclarations qui lui sont attribuées concernant ce largage de Tutsi sur la
forêt de NYUNGWE. Cela vous rappelle des déclarations que vous auriez faites en prison?
Le témoin: J’ai dit tout ça. Ce sont des choses qui se sont passées en 100 jours. Cela a été fait devant
tout le monde, tout le monde en a parlé. Je suis chrétien.
Maître BIJU-DUVAL: Vous avez été contacté par la Commission MUCYO sur le rôle de la France?
Le témoin: Non. Nous, en tant que convertis, nous avons témoigné de nous-mêmes. J’ai témoigné
contre les Français et contre les responsables. Pas devant la Commission MUCYO. Ce sont des
prisonniers qui ont décidé de témoigner.
Monsieur le président met fin à l’audience. Reste à entendre un dernier témoin.

Audition de monseigneur Norman KAYUMBA, évêque anglican cité par la défense, en
visioconférence de BUFFALO, aux USA.
« Ce que j’aurais à dire et qui fonde mon témoignage. J’étais en préfecture de GIKONGORO alors que
Laurent BUCYIBARUTA était préfet. J’étais évêque du diocèse anglican de KIGEME. Il y avait d’autres
confessions religieuses que je connaissais peu. En ma qualité d’évêque anglican de KIGEME, je devais
savoir ce qu’il y avait comme assistance possible à l’hôpital de KIGEME.
Les écoles étaient en vacances mais pas à KIGEME. J’ai essayé de voir comment venir en aides à tous ceux
qui étaient restés, à l’école comme à l’hôpital. Le personnel soignant aussi avait besoin d’aide. Les
paroisses anglicanes avaient besoin d’être réconfortées mais je devais rester à KIGEME où il y avait plus
de besoins. Nous n’avions pas de militaires à notre disposition.
Nous avions recours aux autorités administratives comme le préfet, la gendarmerie et son commandant,
le bourgmestre. Voilà ce que j’ai à dire, je peux répondre à vos questions mais ne me tenez pas rigueur de
mes oublis. »
La déclaration spontanée du témoin, à la relecture, présente un intérêt limité. Pour avoir voulu
respecter ses propos, le style en est assez décousu. Le président va passer aux questions.

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Monsieur le président interroge le témoin sur son passé à KIGEME, sa nomination et les contacts qu’il a
pu avoir avec le préfet, relations essentiellement professionnelles. L’évêque est amené à évoquer son
travail dans son diocèse: beaucoup de temps passé sur des éléments qui présentent peu d’intérêt pour
l’affaire qui nous occupe. On apprendra que l’hôpital a toujours fonctionné pendant le génocide et
que lui-même est resté en place jusqu’en 1998.
Concernant les barrières, le témoin se fie aux déclarations des chrétiens: on y demandait la carte
d’identité et on tuait les Tutsi. Parfois, on pouvait être tué simplement en se fiant au physique. Mais
des Hutu ont aussi été tués. L’évêque dit avoir lui-même été fouillé lors de ses passages. La présence
des barrières a duré jusqu’au moment où la population a fui en exil.
Le témoin semble s’impatienter à raison: « Vous allez m’interroger sur BUCYIBARUTA? » Monsieur le
président lui dit qu’il prend son temps. Il essaie d’avoir une vue générale de la situation.
Le témoin de poursuivre: « Les réfugiés qui sont venus le vendredi 8 sont restés. Nous aurions aimé que
le personnel tutsi reste mais ils ont refusé. Ils voulaient rejoindre les autres.. Ceux qui ne voulaient pas
rester à l’hôpital, nous les avons rassemblés dans une grande salle de l’école. Mon adjoint, évêque tutsi, a
voulu les rejoindre. Ils étaient là comme dans un camp.
J’ai commencé à m’adresser aux autorités susceptibles de nous aider. Le bourgmestre, le commandant de
gendarmerie, le préfet pouvaient faire quelque chose pour moi. Je m’adressais à toute autorité qui passait
par là, leur exprimant ma peine.
Je me suis adressé au commandant de gendarmerie de BUTARE qui passait par là. J’ai vu aussi passer un
ministre qui ne soutenait pas les massacres (On ne saura pas son nom). Je me demandais pourquoi il
restait alors au gouvernement. Je me demande d’où venaient les ordres. J’avais la même peur que les
autorités qui craignaient d’être tuées et qui craignaient qu’on tue leur population. Je dois reconnaître
qu’il y avait des tueurs parmi ces autorités. Je pensais que Laurent BUCYIBARUTA pouvait m’aider. Il
pouvait aussi mourir. »
Le témoin est interrogé ensuite sur la personne de SEBUHAURA.
« Ce que j’ai vu dans ce pays m’a stupéfait. SEBUHURA avait plus de poids que le commandant
BIZIMUNGU, originaire de CYANGUGU. Lui était originaire de RUHENGERI ou de GISENYI. Un caporal
qui se tenait devant le bureau du commandant était plus puissant que lui. »
Après plus de deux heures d’audition, on en arrive enfin aux questions concernant BUCYIBARUTA.
« C’est le premier avec qui je me suis entretenu. Dès le 7 avril, nous avions interdiction de quitter notre
domicile. J’étais à GIKONGORO mais mes responsabilités étaient à KIGEME. Pour pouvoir circuler, j’ai
contacté le préfet qui m’a rédigé une attestation que je gardais toujours avec moi. C’était le vendredi 8
avril.
Laurent BUCYIBARUTA avait un bon coeur. Il voulait regrouper ceux qui voulaient remettre les choses
dans le droit chemin (sic). Il a mis en place un conseil de sécurité. Il invitait les sous-préfets mais aussi les
représentants des confessions religieuses. Il convoquait aussi les bourgmestres des communes proches.
La première réunion concernait la question des déplacés intérieurs regroupés à l’ETO de MURAMBI. Seule
la CARITAS pouvait fournir de l’aide. La population hutu proche du camp avait peur de cohabiter avec les

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Tutsi. Personnellement, je voulais surtout une protection militaire. Je voulais que cette force s’oppose aux
tueurs. Le préfet et le commandant ne pouvait protéger des gens réfugiés partout. Il n’y avait pas plus de
50 gendarmes à GIKONGORO. Décision a été prise de regrouper les réfugiés à MURAMBI. Je suppose que
Laurent BUCYIBARUTA a dû prendre lui aussi cette décision. Je pense à 100 % que ce transfert avait pour
but de protéger les réfugiés. Il n’y avait pas d’autre choix pour les Tutsi. Ils ont été forcés de s’y rendre, les
tueurs étaient à leurs trousses. J’ai été surpris que les réfugiés, placés sous la garde des gendarmes, aient
pu être attaqués. Par contre, je n’ai appris qu’après les conditions dans lesquelles vivaient ces réfugiés! »
(NDR. Cette remarque est-elle vraiment crédible? Le témoin, tout en cherchant à couvrir l’accusé, veut
se couvrir aussi.)
Le témoin, qui reverra le préfet après les grands massacres, reconnaît n’avoir jamais reparlé de ces
tueries de masse: « C’était du passé. »
Evocation ensuite des événements qui se sont produits le jour de la Pentecôte à KIGEME.
Les réunions qui se sont tenues après avaient-elles pour objectif de mettre fin à la traque des Tutsi ou
bien était-ce un leurre? demande le président.
« Je ne sais pas comment répondre. Le chaos régnait au Rwanda. Des pressions étaient exercées par les
personnes qui dirigeaient le génocide et qui étaient plus puissantes que les autorités. Lors de la réunion
avec Jean KAMBANDA, j’ai dit des choses mal rapportées par les journalistes. « On ne peut pas être une
autorité si on ne peut pas protéger les gens. Vous vous battez pour conserver le pays. Mais vous ne
pourrez pas si vous continuez ainsi. Vous n’aurez aucun Tutsi à montrer à GIKONGORO. » Tout le monde
n’a pas apprécié mes propos. On m’a dit que j’allais avoir la visite des tueurs. Mais ils ne sont jamais
venus. Jai compris que peu d’autorités pouvaient nous aider » (NDR. Des propos courageux, à condition
qu’ils aient été vraiment tenus. Avec ce témoin, on peut avoir des doutes.)
Question du président: « Une autorité peut faire semblant d’avoir encore du pouvoir? »
« Que Laurent BUCYIBARUTA me pardonne. Je vais dire une chose que je n’ai encore jamais dite. Lors
de l’attaque de KIGEME le jour de Pentecôte. Ce jour-là, j’ai vu, vers 10 heurs, arriver les attaques. Il me
semble que j’ai envoyé mon chauffeur rencontrer BIZIMUNGU car les assaillants avaient des armes. J’ai
vu le préfet venir faire soigner son enfant, mais pas pour nous aider. (…) Quand les chefs des attaques
sont venus, ils ont cru qu’on allait leur donner le droit de tuer. Nous leur avons dit qu’il ne fallait pas se
tromper d’ennemi, comme KAMBANDA l’avait demandé.
Ils se sont alors adressé au préfet en l’agressant: « Tais-toi! Pars de là. Où est ta femme, ton chauffeur?
Il est où cet Inyenzi? » Ils voulaient le tuer. Ils faisaient probablement allusion aux Tutsi qu’il cachait
chez lui. « J’ai vu qu’il n’avait plus aucun pouvoir, c’était clair. BIZIMUNGU s’est adressé à eux sur un ton
ferme: « Si vous voulez vous affronter à mes gendarmes, restez. Sinon, partez. »
« Ils sont partis pour revenir le soir. Dieu seul peut savoir si vous êtes un tueur ou non. Personnellement,
je pense que Laurent BUCYIBARUTA a fait ce qu’il a pu. Il était toujours là quand j’ai eu besoin de lui. Il
n’a jamais rusé avec moi. les tueurs n’avaient pas confiance en lui car il avait une femme tutsi. Comme
préfet, il devait être prudent. Je ne pouvais pas être avec lui 24h/24. Les pensées qu’il avait ne pouvaient
pas soutenir les tueries (sic) »

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Les questions qui vont être posées ensuite portent dur des précisions que le témoin tente de donner.
L’évêque répond assez souvent à côté, volontairement ou pas, mais son témoignage, demandé par la
défense, ne sera peut-être pas d’un grand secours pour l’accusé. Ses propos, comme vous le verrez à
la lecture, manquent de cohérence. Peut-être aurait-il mieux valu passer cette audience sous silence.
Sur question du ministère public, le témoin déclare ne pas nier qu’il est toujours en contact avec
l’accusé.
A noter qu’au moment où la parole est donnée aux parties civiles, monsieur le président reprend
une nouvelle fois maître GISAGARA pour la longueur de ses questions. Ce dernier tente à raison
de se justifier, trop peu de temps étant laissé, depuis le début du procès, aux questions des
parties. Il décide alors de quitter la salle d’audience. Par solidarité, les autres avocats décident à
leur tour de quitter la salle avant la fin de l’audience.
Mathilde LAMBERT
Alain GAUTHIER
Jacques BIGOT

References
↑1

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991
fondé par Juvénal HABYARIMANA.

↑2, ↑13

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans
les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour
« génocide et extermination, crimes contre l’humanité »

↑3

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑4

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de
jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du
président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑5, ↑17

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑6

CRF : Communauté Rwandaise de France

↑7

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992,
au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑8

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

Page 579 sur 711

↑9

Gacaca
: (se
prononce «
gatchatcha
»)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de
meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable
en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par
12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.

↑10

PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout
implanté dans le Sud, voir glossaire

↑11

CIPEP : Centre Intercommunal de Développement du Personnel

↑12

Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.

↑14

FPR : Front Patriotique Rwandais

↑15

Ibid.

↑16

Ibid.

↑18

CNLG : Commission Nationale de Lutte contre le Génocide

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mercredi
29 juin 2022. J 34
01/07/2022

• Audition de monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, cité par la défense.
• Suite de l’audition de monsieur Joachim HATEGEKIMANA, sous-préfet de KADUHA, entendu le
10 juin.
• Audition de monsieur André SIBOMANA, cité par la défense, en visioconférence du Cameroun.
• Audition de monsieur Venant NDAMAGE, cité par la défense.

En début d’audience, maître Jean SIMON intervient au nom de tous les avocats des parties civiles pour
porter à la connaissance du président qu’ils ne sont pas satisfaits de la façon dont se déroulent les
audiences. Trop peu de place est laissée aux différentes parties, défense y compris. Monsieur le président
reconnaît les faits et tente d’apaiser les craintes des avocats. Il explique comment il conduira
l’interrogatoire de l’accusé. L’incident est clos.

Audition de monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, cité par la défense. Condamné par le TPIR
mais acquitté par le TPIR.
Le témoin souhaite s’exprimer en Français. Il se présente comme réfugié de nationalité belge.
Préambule: « Je connais Laurent BUCYIBARUTA comme haut responsable politique. Je suis ancien chef
d’Etat major de la gendarmerie. Parmi les parties civiles, je connais la famille de monsieur GAUTHIER.
Je suis entendu à la demande de la défense. »
Monsieur le Président lui demande de se concentrer sur les informations les plus pertinentes.
« Je vais vous parler de Laurent BUCYIBARUTA à travers mon procès au TPIR et l’histoire de mon pays. En
mai 1994, je suis allé à GIKONGORO pour voir où on pouvait installer l’école de formation des
gendarmes. Il s’agissait de former des éléments pour renforcer les autorités et aider la MINUAR 2.
Toutefois, nous manquions de beaucoup de moyens. J’ai tout de même pu réaliser cette mission.
J’avais rencontré aussi tous les préfets de la région: ceux de CYNAGUGU, de KIBUYE, de GISENYI. Il
s’agissait de savoir comment protéger les gens. Je viens témoigner pour évoquer les problèmes et parler
de la réponse de Laurent BUCYIBARUTA aux propos du président SINDUKUBWABO. Le préfet explique
que ce sont des gens venus d’ailleurs, des bandits, des militaires qui s’attaquent à la population. Les gens
fuyaient dans des endroits où ils pensaient pouvoir être protégés. Il y avait 2 ou 3 gendarmes pour une
population de 3000 personnes. Certains étaient tués, d’autres fuyaient. C’est ainsi que je peux justifier les
regroupements de population. La situation était difficilement contrôlable: des réfugiés avaient par
exemple désarmé des gendarmes et les avaient tués.
Dès le 22 avril, j’avais rencontré le général DALLAIRE qui souhaitait demander des renforts à l’ONU. Le
FPR a refusé cette force J’ai fait former des gendarmes à GIKONGORO. Nous voulions travailler avec le

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FPR sous l’autorité de la MINUAR. La situation était complexe mais on aurait pu diminuer les pertes de
vies humaines si on avait travaillé en collaboration: MINUAR/FPR/FAR. »
Monsieur le président revient sur la longue carrière du témoin qui a exercé de hautes responsabilités
au sein de plusieurs ministères sous la présidence HABYARIMANA. Originaire de BUTARE, donc Hutu
du Sud, à une époque où les Hutu du Nord étaient puissants. Il a été le seul ministre à n’avoir jamais
été élu député. Bien formé sur le plan militaire, il se tenait toujours loin des intrigues. De ce fait, il était
apprécié par les gens du Nord et du Sud.
Ministre de la Défense, il sera nommé chef d’Etat major de la gendarmerie au moment où il devait être
nommé ambassadeur en Allemagne, poste normalement réservé aux gens de KIGALI. Il occupera ce
poste de juin 1992 à juin 1994. A cette époque, une partie des membres de la gendarmerie sera
déployée au front pour soutenir les FAR, ce qui va fortement diminuer les forces de la gendarmerie
dans les préfectures.
Après l’attentat, il devient président du Comité de crise chargé de gérer la nouvelle situation. Le
témoin explique alors les démarches entreprises auprès de hauts responsables comme BAGOSORA…
Mais le travail entre la gendarmerie et la MINUAR n’a pas pu se faire car la Garde présidentielle avait
commencé à tuer.
« Nous pensions toutefois que la situation était gérable. Des barrières, le 11 avril, étaient tenues par
des Hutu et des Tutsi pour s’opposer aux infiltrés. Mais ce jour-là, les choses changent: les policiers
quittent les barrages.
Le FPR ayant pris la ville de KIGALI (?) le gouvernement intérimaire prend la fuite pour s’installer à
GITARAMA, Le camp des déplacés hutu du Nord massés aux portes de la capitale est attaqué: les
réfugiés décident de suivre les autorités, d’autres en profitent pour piller la ville. C’est le chaos,
gendarmes et militaires ne peuvent plus assurer la gestion de la sécurité. »
A ce stade, il est procédé à une évacuation du Tribunal, un suspect qui aurait été armé a été
intercepté devant le Palais. Ce sont en tout cas les informations qui nous sont données lors du
rassemblement dans la cour de la Sainte Chapelle.
Le témoin va évoquer sa rencontre avec le préfet BUCYIBARUTA dans sa recherche d’un lieu pour
installer l’école qui doit former de nouveaux gendarmes. Etonnamment, à aucun moment, ne sera
évoqué le cas de SEBUHURA et de sa participation au génocide. Pas davantage ne seront abordés les
massacres perpétrés à KIBEHO ou ailleurs dans la préfecture, massacres auxquels des gendarmes ont
été impliqués On est le 25 ou le 27 mai. Ce n’est que lors de son procès au TPIR que monsieur
NDINDILIYIMANA entendra des témoins « pas fiables » parles de KIBEHO, MURAMBI, CYANIKA,
KADUHA. (NDR. Comment croire le témoin qui ne semble pas plus « fiable » que ceux dont il vient de
parler. Tout cela déclaré avec beaucoup de flegme et de détachement.)
Sont évoqués ensuite, toujours sur questions de monsieur le président, la situation dans la préfecture
de BUTARE d’où le témoin est originaire, après avoir dit que le préfet KAYISHEMA de KIBUYE était
« peu coopérant ». Ils ne se sont pas entendus sur le dossier de l’implantation de la nouvelle école.

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« A BUTARE, explique le témoin, c’est différent, c’est chez moi. J’ai la conviction que des militaires ont
participé aux massacres. J’ai déplacé un des officiers de l’ESO (Ecole des Sous-Officiers) et je l’ai envoyé
au front. C’était le 23 avril. Alors que j’étais à l’ESO, j’ai entendu des tirs qui semblaient provenir de
l’aéroport. J’ai pensé que c’était probablement l’œuvre de soldats venus du Burundi. Je suis allé demander
des renforts à KIGALI où on me dit qu’il n’y a pas eu d’attaque venue du Burundi. En fait, c’était des
militaires des FAR qui créaient des problèmes. »
Le discours de SINDIKUBWABO? Le témoin en fait une interprétation toute personnelle. Pour lui, le
président de la République voulait arrêter les massacres. Aucun double langage à trouver dans ce
discours. Le bourgmestre KANYABASHI et le nouveau préfet NSABIMANA, qu’il rencontre, sont sur la
même longueur d’onde que lui. Un « expert » appelé à son procès et à qui est soumis le texte du
discours « ne trouve rien de répréhensible dans le discours de SINDIKUBWABO« . Et le témoin de
conclure: « Personnellement, je pense que ce discours a été interprété d’une façon erronée. »
Concernant le préfet HABYARIMANA qui sera destitué puis tué avec sa famille, il aurait encouragé les
jeunes à rejoindre le FPR. (NDR. On doit en conclure qu’il a bien mérité le sort qui lui a été réservé?)
Le communiqué de KIGEME? « Les signataires voulaient se mettre bien avec le FPR. Mais c’était une
bonne initiative! (NDR. Comprenne qui pourra. En tout cas, s’il est quelqu’un qui ne comprend pas, c’est
le président de la Cour) J’étais déjà parti. Certains ne voulaient pas comprendre qu’on avait déjà perdu la
guerre. Certaines autorités considéraient les signataires comme des traîtres! »
« Vous me demandez dans quelles conditions j’ai quitté le pays? Le 11 avril (?), le FPR m’avait appelé
pour me rallier à lui. Le premier ministre KAMBANDA à qui je vais dire qu’on m’arrête aux barrières,
qu’on me menace, me promet un poste en Europe. Jean KAMBANDA a rédigé une note dans laquelle il
me nommait à BOON, Je suis alors parti à KINSHASA via GISENYI et GOMA. L’ambassade de France
que je sollicite pour l’obtention d’un visa me le refuse sous prétexte qu’il n’était pas nécessaire que je
parte dans la mesure où les soldats de Turquoise étaient là. L’ambassade de Belgique, par contre,
promet de me donner un visa si j’accepte de témoigner dans le cadre de la mort des Casques Bleus
belges. En 2000, la Belgique m’extrade à ARUSHA. Je serai acquitté en appel 2011. »
Monsieur le président: Les autorités belges, alors, n’est pas pressées de vous accueillir?
Le témoin: Je suis entré en Belgique en 2014. Ma famille était là. J’étais réfugié.
Le témoin profite de l’occasion pour plaider en faveur de ses collègues acquittés comme lui par le TPIR
ou qui ont purgé leur peine et qui ne trouvent toujours pas de pays d’accueil: « J’ai laissé des collègues
acquittés à ARUSHA et qui ne peuvent pas rejoindre leur famille en France. On devrait leur accorder de
venir en France » (NDR. Parmi les 9 personnes accueillies un temps au Niger et reconduites à ARUSHA
où elles continuent à vivre au crochet de la communauté internationale, il y a Protais ZIGIRANYIRAZO ,
alias monsieur Z, frère d’Agathe HABYARIMANA qui coule des jours tranquilles en France sans avoir été
reconnue « réfugiée », sans titre de séjour et qui, visée par une plainte du CPCR en février 2007, attend
une décision de la justice française: au moment de la clôture récente de l’instruction, elle est restée
« témoin assisté », celui qui ne présage pas de bonnes nouvelles pour les plaignants.)
Sur questions de madame l’assesseure, le témoin fait le point sur la Garde présidentielle (600 hommes
environ), sur le nombre de gendarmes « opérationnels » à GIKONGORO en 1994. Concernant les

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barrières, le témoin dit qu’elles étaient tenues, jusqu’au 12 avril, par des Hutu et des Tutsi pour
contrôler les infiltrés. Il précise que les premières victimes à KIGALI, ce sont les politiciens de
l’opposition (NDR. Il oublie de dire que dès, la chute de l’avion, la Garde présidentielle va éliminer toutes
les personnes qui habitent autour de l’aéroport et de la résidence du président).
Les victimes du Centre Christus, maison des Jésuites, le témoin ne sait pas qui les a tuées! NDR. Parmi
elles, trois prêtres que nous connaissions, l’abbé MAHAME, responsable du Centre, l’abbé Straton
GAKWAYA que j’avais personnellement connu à SAVE et l’abbé KANYONI.°
Sur question de monsieur l’assesseur remplaçant concernant le recrutement des nouveaux gendarmes,
le témoin précise qu’ils avaient déjà été recrutés par l’armée à NYANZA. Il a pris aussi conseil auprès
des préfets et des bourgmestres en qui il avait confiance. Il pensait qu’ils ne pouvaient pas lui adresser
des « bandits ».
Les avocats des parties civiles sont invitées à poser des questions au témoin.
Maître TAPI veut savoir qui, pour un gendarme de formation, est considéré comme « ennemi ».
Le témoin: Il faut se reporter à la définition donnée par le MINADEF (Ministère de la Défense). C’est
quelqu’un qui mène des actions hostiles.
Maître TAPI: Vous dites que jusqu’au 11/12 avril, les barrages étaient tenus par des Hutu et des Tutsi.
Pourquoi ces Tutsi ont été tués alors que le FPR avait gagné la guerre?
Le témoin: Les 11/12 avril, on a constaté que les Tutsi qui étaient sur les barrages sont allés se réfugier
dans les paroisses, les hôtels, les écoles. Ces gens pensaient que le FPR venait les aider. Nous avons
protégé l’Hôtel des Mille Collines, le Centre Saint-Paul. (NDR. Le témoin aurait pu ajouter l’église de la
Sainte Famille.) Les Interahamwe venaient chercher ceux qu’ils considéraient comme sympathisants du
FPR.
Maître GISAGARA ne comprend pas la réponse du témoin qui est amené à préciser sa pensée.
« Le FPR massacre les Hutu sur les barrages. Les Tutsi se sont regroupés pour attaquer les Hutu. C’est ce
qui s’est passé dans ma paroisse de KANSI. J’ai cherché à savoir où les Tutsi que je ne voyais plus. Les
paysans me disent qu’ils se sont regroupés à la paroisse pour revenir les attaquer. Les Tutsi auraient pu
travailler avec nous. Ils ont été tués à cause du FPR! »
D’accuser ensuite Radio Muhabura, la radio du FPR de faire circuler des rumeurs et qui demande aux
Tutsi de se regrouper. Ceux qui ont été tués chez eux, c’est parce que les gens tuaient pour voler.
KAMBANDA a plaidé coupable au TPIR? « Il a été induit en erreur par son propre avocat. Il a plaidé
coupable puis il s’est rétracté. Quant à BAGOSORA, membre avec lui du Comité crise à Kigali, vous me
demandez s’il a lui aussi été induit en erreur? On n’a pas reconnu l’entente et il n’a pas commis les
crimes qu’on lui reproche. Le gouvernement intérimaire n’est pas un gouvernement d’extrémistes. Ils ont
suivi la procédure juridique. Ce gouvernement à été formé au ministère de la défense. Il n’y avait pas de
solution de rechange. »
Toujours sur questions de l’avocat des parties civiles, le témoin poursuit: « Le 18 avril, le président
SINDIKUBWABO vient à GIKONGORO. Au cours de la réunion, il a demandé à Laurent BUCYIBARUTA
pourquoi les gens continuaient à tuer. Trois raisons: les assaillants viennent d’ailleurs, les gens sont

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furieux et veulent venger la mort d’HABYARIMANA et on a affaire à des gendarmes égarés. Des grands
massacres avaient déjà eu lieu mais les gens étaient excités au point de perdre la raison. Quant au plan
concerté sur lequel vous m’interrogez, si vous avez suivi les procès du TPIR, il n’y a pas eu reconnaissance
d’un plan concerté. Il n’y a pas eu d’enquête pour le prouver. Un militaire britannique avait inventé un
télégramme dans l’affaire TURATSINZE. »
Un autre avocat des parties civiles demande au témoin ce qu’il pense du président HABYARIMANA.
Le témoin: Comme chef d’Etat, il avait des conseillers hutu et tutsi. Il a choisi des ministres
compétents. On a inventé des histoires sur lui. Pour KAGAME, c’était un « dictateur criminel ». Ce n’est
pas l’homme que j’ai connu en tant que président. Je confirme ce que vous dites concernant sa prise
du pouvoir. Il a déclenché un coup d’état, a fait emprisonner tous les membres du gouvernement de
KAYIBANDA. Je vous signale que c’est KANYARENGWE (NDR. Prochain président du FPR) qui était
responsable du service de renseignements à l’époque. Si on doit évoquer une stratégie dans
l’exécution des personnalités du Sud et des dix Casques Bleus belges, c’est plutôt du côté du FPR qu’il
faut chercher une stratégie en abattant l’avion. Concernant les massacres, ceux du 7avril ou du 21, bien
sûr que la Garde présidentielle n’était pas à GIKONGORO, On ne cherche pas à savoir qui les a commis:
on inculpe l’autorité. Le ministre de la justice KARUGARAMA ira dans les prisons pour dire aux
prisonniers qu’ils ne sont pas responsables. Ce sont les autorités qu’il faut accuser. Si on avait voulu
connaître la vérité à GIKONGORO, on aurait enquêté au lieu d’accuser les autorités.
Le ministère public: Vous arrivez à GIKONGORO le 26 mai, après les grands massacres. Vous êtes au
courant? Il n’y a pas de rapport sur ces événements?
Le témoin: Il n’y avait pas de communication à une certaine époque. Certaines informations ne nous
parvenaient pas. J’ignore tout des massacres dans la préfecture. Laurent BUCYIBARUTA me dit
simplement qu’on a tué des gens à MURAMBI (NDR. Ce n’est pas ce qu’il avait dit plus tôt. Il aurait eu
connaissance de ces massacres lors de son procès devant le TPIR). Des gens? Oui, ce doit en grande
majorité des Tutsi. Vous me dites que, à part BAKAMBIKI qui a été acquitté, trois préfets ont été
condamnés à perpétuité? Oui, mais ceux de GISENYI et de GITARAMA ont rejoint le FPR.
Le ministère public: BIZIMUNGU a été remplacé par Gélas HARERIMANA: c’était pour maladie?
Le témoin: non, il était apte.
Le ministère public: Un gendarme tutsi a parlé de SEBUHURA, un tueur qui sera muté à NYANZA, et
parlant de l’accusé: « Laurent BUCYIBARUTA aidait les gendarmes à éliminer les Tutsi. »
Le témoin: Chacun peut raconter ce qu’il veut. C’est son affaire. Ce qui s’est passé, on est loin de tout
savoir.
Maître BIJU-DUVAL veut d’abord faire une observation. Il s’offusque du fait que le ministère public
n’a pas jugé bon de faire comparaître ce témoin dont il vient de parler. Il nous doit des explications. Ce
comportement est inadmissible.
Monsieur le président lui fait savoir que le témoignage est au dossier et que chacun avait tout le
loisir de faire des demandes avant le procès.
Maître BIJU-DUVAL: C’est exact qu’en mai 1994, vous avez figuré sur une liste d’officiers complices
du FPR?
Le témoin confirme: « Et on risquait la mort. » Il redit que les premières victimes en avril 1994 sont des
Hutu. Des Tutsi ont bien été tués parce que Tutsi, mais des Tutsi et des Hutu ont été tués.
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Maître LEVY: BAGAMBIKI, préfet de CYANGUGU, avait pris l’initiative de regrouper les Tutsi gardé par
des gendarmes. Il a été acquitté. Et il est resté en poste jusqu’à la fin?
Le témoin: Oui, à NYARUSHISHI. Je crois qu’il est resté en poste jusqu’à la fin.
Maître LEVY: Vous êtes informé de conflits internes au sein de la gendarmerie de GIKONGORO?
Le témoin; Ca devait exister, comme à NYANZA. Mais à GIKONGORO, ce n’est pas prouvé. Je n’ai pas
su.

Suite de l’audition de monsieur Joachim HATEGEKIMANA, sous-préfet de KADUHA, entendu le
10 juin. Son retour devant la Cour était prévu afin que les parties puissent lui poser des
questions.
Compte-rendu non disponible à ce jour.

Audition de monsieur André SIBOMANA, cité par la défense, en visioconférence du Cameroun
où il est pasteur.
Le témoin n’ayant pas de déclaration spontanée à faire, il accepte de répondre aux questions qui lui
seront posées.
Sur questions de monsieur le président, il va commencer par parler de ses activités professionnelles en
1994.
« Je travaillais à la préfecture de GIKONGORO comme opérateur radio dans le service de renseignements
de la présidence de la république., de 1988 à août 1994, quand on a fui le pays.
Mon dernier supérieur direct a été monsieur Fabien UWIMANA. Quand j’ai voulu fuir, il est resté. On
devait partir ensemble: il a traîné, je suis parti. Le service de renseignements dépendait du Premier
Ministre depuis l’installation du multipartisme. Un autre correspondant du service de renseignements se
trouvait aussi à MUNINI. Mon supérieur était considéré comme un chef de service.
Les rapports avec le préfet? Ce dernier avait de bonnes relations avec tout le monde.
Le destinataire du renseignement recueilli par la service de renseignement était le chef des
renseignements au niveau national qui s’appelait Augustin YAMUREMYE. Il est finalement resté travailler
avec le FPR, ce qui nous a tous étonnés. On l’a su après. Nous on avait fui car le FPR arrivait. Il a été
aussitôt nommé ministre de l’Agriculture car il était agronome de formation. » (NDR. Il est aujourd’hui
président du Sénat après avoir occupé de nombreux autres postes.)
Président : En ce qui concerne la circulation de l’information, quelles étaient les relations entre le
préfet et le responsable du service de renseignement ? Est-ce qu’il y avait des communications ou pas
?
Le témoin : Oui, le service de renseignement au niveau de la préfecture travaillait en collaboration
avec le préfet, c’est-à-dire qu’une partie des informations qu’on transmettait, on l’en informait.
Président : Est-ce qu’il pouvait arriver, si le préfet se déplaçait dans la préfecture, que le responsable
du service de renseignement l’accompagne ?

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Le témoin : Très souvent, ils partaient ensemble.
Président : Quelle était votre fonction ? C’était de transmettre de rapports à la primature ?
Le témoin : Avant, c’était à la présidence. Quand c’était à la primature, nous au niveau de la préfecture,
on transmettait d’abord chez le chef de renseignement à KIGALI, à Augustin YAMUREMYE: c’est lui qui
savait comment transmettre, mais nous on communiquait directement avec le chef de renseignement
au national.
Président : Donc, les rapports étaient adressés au chef de renseignement ?
Le témoin : Oui, c’est ça.
Président : Je suppose que, selon les événements, il pouvait y avoir plusieurs rapports et que la
fréquence des rapports dépendait de l’importance des évènements qui survenaient ?
Le témoin: Ces rapports pouvaient être quotidiens ou davantage, selon l’urgence. Je communiquais
par radio, surtout pour les messages codés, éventuellement par fax ou par téléphone.
Président : Est-ce que ça fonctionne dans les deux sens ? Est-ce que vous émettez des messages et
est-ce que vous en recevez ?
Le témoin : Oui, on en envoyait et on en recevait.
Président : Quelle était la nature des informations ? Des thèmes ?
Le témoin : Il n’y avait pas de thèmes, car les informations étaient en fonction des événements.
Président : S’il y avait une émeute par exemple, je suppose que vous envoyiez un rapport ?
Le témoin : Oui, on signalait directement.
Président : S’il y avait un meeting politique, vous envoyiez un rapport ?
Le témoin : Oui. Notre bureau avait très peu de personnes, mais on avait beaucoup d’informateurs qui
nous donnaient des informations sur tout ce qui se passait dans la préfecture pour pouvoir informer
nos supérieurs ce qui se passe.
Président : Que pouvez-vous nous dire sur ce réseau d’informateurs ? Qui étaient-il ?
Le témoin : Les informateurs, c’était des gens dans différents services qui nous donnaient la situation
dans un service donné, comme par exemple dans un hôpital. On n’allait pas dans les hôpitaux pour
savoir ce qui se passait. On recevait des informations de tous les services. Puis, quand on nous
renseignait, avant de transmettre nous- mêmes, on devait faire l’effort de vérifier si c’était vrai, car on
pouvait exagérer, mentir.
Président : Donc vous avez une obligation de vérifier la qualité des informations qui étaient
communiquées ?
Le témoin : Oui, avant de les transmettre.
Président : Aviez-vous des informateurs dans les mairies ? Par exemple, avez-vous des informateurs au
sein des policiers communaux ?
Le témoin : Oui, ça pouvait arriver. On pouvait par exemple avoir quelqu’un qui nous renseignait sur
ce qui se passe dans une commune/sous-préfecture/société/projet quelconque. C’était comme ça.
Président : D’accord. Donc, vous aviez aussi des informateurs dans différents projets de
développement, dans les écoles ? Aviez-vous aussi des contacts dans les usines de thé ?
Le témoin : Oui, tous les services confondus.
Président : Quels étaient les moyens de communication entre les informateurs et le service qui était à
la préfecture ?

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Le témoin : Le chef de service est celui qui avait la liste de tous ces informateurs et c’est lui qui savait
comment les payer.
Président : Je vais prendre un exemple, à l’usine de thé de MATA, est-ce que vous aviez un
informateur?
Le témoin : Oui, dans toutes ces usines, il y avait des informateurs.
Président : Comment le contact que vous aviez à l’usine de thé de MATA communiquait avec la
préfecture ? Comment ça se passait ?
Le témoin : Un informateur pouvait se déplacer et souvent il se déplaçait.
Président : Est-ce que certains informateurs pouvaient disposer eux-mêmes de moyens de
communications radio ?
Le témoin : Non.
Président : Est-ce qu’ils pouvaient éventuellement utiliser le système de communications radio de
gendarmes qui étaient détachés dans certains lieux ? Par exemple, on sait qu’il y avait des
détachements dans le Sud du pays. Utilisaient-ils ces moyens de communications militaires ?
Le témoin : Dans notre cas de renseignements civils, souvent on pouvait utiliser les téléphones.
Président : S’agissant des téléphones, est-ce que pendant cette période d’avril à juillet 1994, est-ce
que le réseau téléphonique a pu fonctionner de façon continue, intermittente ou pas du tout ?
Le témoin : Là, c’était grave, c’était dramatique car les informations étaient vraiment bafouées. Après
la mort du Président, c’est comme si le service était sérieusement paralysés.
Président : Pendant la période du génocide, tout était « bizarre » c’est ça ?
Le témoin : Oui tout était bizarre et paralysé.
Président : Donc, vous nous dites que vous ne receviez pas de renseignement ?
Le témoin : On en recevait très peu car les gens éloignés n’avaient pas la facilité de communiquer, les
déplacements étaient compliqués avec les tueries. On recevait les informations des gens les plus
proches comme ceux de la ville de GIKONGORO. Mais, c’était paralysé.
Président : Est-ce que vous étiez au courant à GIKONGORO quand le bourgmestre tenait une réunion
?
Le témoin : Oui, si le bourgmestre tenait une réunion, il pouvait communiquer au chef, mais c’est une
période, où moi qui transmettais les informations, je ne recevais rien. Même le chef lui-même ne
recevait rien.
Président : Vous disiez qu’à GIKONGORO, le chef recevait des renseignements ?
Le témoin : Oui, un peu. Il recevait des renseignements dans la ville de la part des gens qui pouvaient
se déplacer et il n’y avait pas beaucoup d’informateurs qui pouvaient se déplacer. Les informations
qu’on recevait étaient celles proches de la ville de GIKONGORO.
Président : Donc, plus les gens étaient éloignés, et plus c’était difficile de se déplacer, donc moins
vous étiez informés. Mais vous saviez ce qui se passait localement à GIKONGORO.
Le témoin : Oui.
Président : Vous avez parlé, je suppose, de l’attaque de MURAMBI ?
Le témoin : Oui, car nous tous on était dans la ville, on entendait le bruit.
Président : Mais, avant que l’attaque ait eu lieu, avez-vous été informé de quelque chose qui allait se
préparer ?

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Le témoin : Oui, avant l’attaque. A un certain niveau même si on avait vraiment des difficultés à croire
les informations qui nous parvenaient.
Président : Donc, parfois, les informations qui circulaient vous aviez du mal à croire ?
Le témoin : Oui, car il y avait trop de mensonges.
Président : Ces rumeurs, elles disaient quoi ? Qu’il y avait un projet d’attaquer le camp de MURAMBI ?
Le témoin : Oui. Il y avait de la famine et de la souffrance.
Président : Qui avait de la souffrance ? Les gens qui étaient au camp ?
Le témoin : Oui, les gens qui étaient au camp.
Président : Donc, on connaissait la situation des gens qui étaient au camp ? On savait qu’ils étaient
dans la souffrance ?
Le témoin : Non, les rumeurs circulaient et la rumeur était qu’ils voulaient s’attaquer à GIKONGORO et
après, on a entendu dire qu’au contraire ils se sont attaqués à la population qui habitait à côté de ce
camp et ils cherchaient de quoi manger.
Président : Donc, les rumeurs étaient que les gens qui étaient réfugiés dans le camp de MURAMBI
voulaient attaquer la population alentour ?
Le témoin : Oui, c’était les rumeurs comme ça qui circulaient.
Président : Qu’est-ce que c’était ces souffrances qu’ils avaient dans les rumeurs ?
Le témoin : Il n’y avait pas à manger, c’est difficile de connaitre de quoi il s’agissait, mais moi je vous
dis ce que je pense, que c’était peut être la famine car quand ils sont sortis, c’était pour chercher à
manger.
Président : Donc, vous, vous entendiez des rumeurs qui disent que les réfugiés de MURAMBI vont
s’attaquer à la population alentour car ils cherchent à manger et à boire. Mais avez-vous entendu des
rumeurs disant qu’il allait y avoir un attaque contre les réfugiés ?
Le témoin : On soupçonnait les Interahamwe, on disait qu’ils allaient aussi s’attaquer à eux.
Président : Il y avait des soupçons généralisés ?
Le témoin : Oui.
Président : Donc, on soupçonnait à la fois les réfugiés de vouloir s’en prendre à la population
extérieure pour arriver à survivre et, en même temps, il y avait des soupçons dirigés contre des
Interahamwe que l’on soupçonnait de vouloir attaquer les réfugiés Tutsi ?
Le témoin : Oui, c’est ça.
Président : Ces soupçons, ces rumeurs faisaient partie de rapports qui étaient adressés à la primature ?
Le témoin : Le gouvernement était en débandade. On ne pouvait pas adresser de rapport à la
Primature car le FPR avait pris KIGALI. Tout le monde savait que le chef des renseignements au niveau
national avait rallié le FPR (NDR. A cette époque, comment avoir connaissance de ce ralliement? KIGALI
ne sera d’ailleurs prise que le 4 juillet.)
Président : Il n’y a pas eu de messages pour informer le gouvernement ?
Le témoin : Sauf le chef qui pouvait communiquer avec. Le bureau central avec lequel on
communiquait autrefois était déjà en fuite. Il était déjà tombé entre les mains du FPR.
Président : Est-ce que vous avez gardé contact avec le responsable central et national du service de
renseignement pour lui communiquer ces rumeurs ?
Le témoin : Oui.

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Président : S’agissant de MURAMBI, vous nous dites « on a entendu des rumeurs généralisées » à la
fois concernant les réfugiés et concernant les Interahamwe, est-ce qu’il y a eu des rapports concernant
MURAMBI ? Et, à qui étaient adressés ces rapports ?
Le témoin : Disons que c’était des rumeurs qui étaient changeantes, on doutait beaucoup. Notre
service était si paralysé qu’on ne savait pas qui croire.
Président : Est-ce que vous pouvez simplement nous dire si oui ou non il y avait des rapports qui
étaient adressés à ce sujet ?
Le témoin : Non, il n’y avait pas de rapport qu’on adressait à la primature car déjà le bureau ne
fonctionnait plus depuis que le FPR avait pris KIGALI. Il n’y avait pas de bureau pour donner ou
recevoir les informations. Donc, depuis ces évènements, notre service était paralysé.
Président : Donc, pas de rapport à la primature depuis la fuite du gouvernement de KIGALI ?
Le témoin : Oui.
Président : Mais est-ce qu’il y avait des communications qui étaient maintenues avec le responsable
du service central de renseignement ?
Le témoin : Oui, tout le monde avait su qu’il était du côté du FPR.
Président : Attendez, vous voulez dire qu’en avril on savait déjà que le service responsable de
renseignement était passé du côté du FPR ?
Le témoin : Oui, après la mort du président.

Président : Je ne comprends pas. Où était le service ? Auprès du gouvernement ? Il a joué un double
jeu ?
Le témoin : Oui, il n’y avait plus de communication, on a entendu plus tard seulement qu’ils l’ont
nommé ministre, après la mort du Président. Le tout était paralysé, il n’y avait pas de communication
avec les préfectures, donc tout était devenu bizarre.
Président : Vous nous dites que pendant cette période votre service apprend un certain nombre de
rumeurs généralisées, à qui transmettez-vous ces informations sur vos rumeurs ? Ou n’aviez-vous
jamais communiqué à qui que ce soit la moindre information sur les rumeurs dont vous venez de nous
parler ?
Le témoin : Oui, après KIGALI, il ne fonctionnait plus. Donc, les informations se passaient entre les
chefs de service, entre eux-mêmes, et il n’y avait plus rien à communiquer à KIGALI depuis que le
gouvernement était paralysé. Sauf que le chef de renseignement le pouvait par téléphone. Si une
autorité l’appelait, il pouvait répondre.
Président : Au niveau local, quelles étaient les informations qui étaient communiquées au chef de
service de la préfecture, au préfet ? Est-ce que le préfet était informé de ces rumeurs ?
Le témoin : Oui, il était informé de ce qui se passe.
Président : Donc, le préfet par exemple savait que la situation des réfugiés à MURAMBI était difficile ?
Le témoin : Ce n’était pas à MURAMBI seulement.
Président : Je prenais MURAMBI comme exemple, mais il était au courant de la situation des réfugiés
dans toute la préfecture, c’est ce que vous venez de dire ?
Le témoin : Oui, il était au courant, mais dans toute la préfecture je ne sais pas s’il était au courant. À
MURAMBI, il ne pouvait pas ignorer ça.
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Président : Concrètement, qui informait le préfet ? C’était vous ? C’était votre responsable ?
Le témoin : Il avait ses services, mais de mon côté, je ne sais pas comment il a travaillé avec le chef de
renseignement préfectoral, car moi mon problème c’était la radio et écrire ce qu’il me donne. Mais, il
pouvait communiquer bien sûr, car le préfet était en bonne relation avec tous les chefs de service.
Président : Est-ce que si le préfet avait besoin de contacter des responsables au niveau national, estce qu’il passait par votre service ?
Le témoin : Non.
Président : Est-ce qu’il avait son propre système de communication ?
Le témoin : Oui, il avait son propre système de communication.
Président : Est-ce que c’était un système de communication qui était crypté comme le vôtre ?
Le témoin : Oui, il avait un système comme le nôtre. Je ne sais pas car je n’ai jamais été dans les
services, mais je sais aussi qu’il avait des opérateurs radio.
Président : Il avait ses propres opérateurs radio ?
Le témoin : Oui. J’en connaissais deux.
Président : Quels souvenirs avez-vous des opérations que vous pouviez recevoir ? Par exemple, je
pense que vous avez entendu parler de ce qui se passe à MURAMBI, à CYANIKA, à KADUHA et même à
KIBEHO. Souvenez-vous de l’attaque de KIBEHO ?
Le témoin : Ce qui s’est passé à KIBEHO, je n’avais pas d’information. Je peux parler des attaques de
MURAMBI car j’habitais dans la ville et nous étions tous menacés. Ces attaques de MURAMBI ont
menacé toute la ville. On croyait que la ville de GIKONGORO était tombée dans les mains du FPR, ça
nous a surpris que très tôt le matin la radio a annoncé que la ville de GIKONGORO est tombée. On
croyait que le FPR était dans la ville alors que c’était des Interahamwe, c’est ça qui a étonné les gens.
Président : Vous dites que ce sont les Interahamwe, est-ce qu’on avait pu savoir plus précisément qui
étaient les leaders ? Ceux qui avaient dirigé ces attaques à MURAMBI, CYANIKA ou KADUHA ?
Le témoin : Non, je n’ai pas connu les leaders, mais, par la fenêtre de ma maison, j’ai vu les
Interahamwe rentrer et ils étaient habillés avec les feuilles de bananeraie.
Président : Vous nous avez dit que lors de ces attaques on a utilisé des grenades, on a entendu des
bruits comme si c’était la guerre, on a utilisé des armes sérieuses, des armes militaires. Qui a utilisé ces
armes ? Des armes qui avaient été remises à des Interahamwe ? Qui les avait remises ? Avez-vous des
informations à ce sujet ?
Le témoin : Il y avait des militaires qui abandonnaient au front pour se mélanger avec les
Interahamwe. Donc, il y avait tous les moyens d’avoir des armes. Les militaires n’étaient pas nombreux,
mais ils avaient les moyens de trouver des armes.
Président : Quand on parle de militaires, on peut parler des services de gendarmerie, des gardes
présidentiels, des forces de l’armée rwandaise ? Avez-vous entendu des rumeurs qui impliquaient les
gendarmes ou les gardes présidentiels ou de façon générale les forces armées rwandaises ou les
déserteurs ?
Le témoin : Ce sont les déserteurs qui se mêlaient avec les Interahamwe et qui enseignaient même à
manier les armes. Les militaires proprement dit étaient sur le front.
Président : Vous n’avez jamais entendu la moindre rumeur mettant en cause les gendarmes ? Par
exemple, à MURAMBI, on sait que des gendarmes gardaient le camp. Savez-vous ce qu’il est advenu
des gendarmes ?
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Le témoin : Il y avait des gendarmes.
Président : Je vais vous poser une question plus précise. Est-ce que vous avez su si les gendarmes qui
gardaient le camp de MURAMBI ou qui étaient en charge de protéger les réfugiés à l’église de
CYANIKA ou KADUHA, avez-vous su s’il y avait des rumeurs les impliquant dans les attaques mêmes ?
Le témoin : Non, ça je n’ai jamais entendu.
Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose ? Quand avez-vous vu pour la dernière fois Laurent
BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Avant de fuir, nous mêmes, nous étions sur le point de fuir, un fonctionnaire lui a
demandé un camion pour nous faire fuir et nous laisser à la frontière avec le CONGO. Lui-même, il a
ordonné qu’un camion nous emmène. Toutes les familles sont parties, sauf moi car ils ont permis à un
certain Interahamwe de partir avec eux et l’Interahamwe a décidé de tirer sur le camion si moi j’entrais
car je m’étais opposé à lui. Il a sorti une grenade et a dit qu’il allait brûler ce camion si j’entrais. Ce qui
m’a marqué c’est que Laurent BUCYIBARUTA, dans sa grande gentillesse, il a autorisé qu’un camion
nous laisse à la frontière. Il était, avant tous ces évènements, dans une souffrance plus atroce car les
Interahamwe l’ont menacé car ils n’étaient pas d’accord avec lui. Ils ont menacé de s’attaquer à
plusieurs reprises à sa maison, car il était accusé de protéger les Tutsi. Il était très doux, très humble.
Lui-même, il était dans une terrible souffrance.
Président : Que savez-vous des personnes qui étaient chez Laurent BUCYIBARUTA ?
Le témoin : Quand il est arrivé à GIKONGORO, il est arrivé dans une situation tellement critique car
son prédécesseur était en grande difficulté avec les partis politiques. Son arrivée a permis à tout le
monde de se sentir à l’aise, ils l’ont vu comme un père que ce soit les Hutu et les Tutsi. Il a protégé
tout le monde et n’a jamais manifesté une occasion de s’opposer aux Interahamwe. Après la mort de
BUCYANA, sa mort a suscité un sérieux problème à GIKONGORO où on accusait les Tutsi d’être
complice des tueurs. Suite à ça, ça a chauffé dans la ville de GIKONGORO et on a accusé les Tutsi.
Certains Tutsi ne passaient pas la nuit chez eux et ils préféraient la passer chez le préfet. Le préfet les a
protégés et il a fait un grand travail de réconciliation avec les Hutu. Tout le monde disait que si ce
n’était pas Laurent BUCYIBARUTA qui avait été à GIKONGORO, GIKONGORO serait brûlé, avant même
que le Président HABYARIMANA ne meure. Donc, oui, il est bien vrai que certaines personnes étaient
chez lui, je ne les connais pas tous, mais on disait qu’il avait protégé. Je savais que, même avant, les
Tutsi qui se sentaient menacés, ils se cachaient chez lui. Il a su les protéger et ça lui a posé quelques
problèmes avec les Interahamwe.
Président : Est-ce que vous avez connu un sous-préfet du nom de RUSATSI ?
Le témoin : Oui, il faisait partie de ces gens qui passaient la nuit chez le préfet quand il était menacé.
Président : Vous êtes sûr ?
Le témoin : Oui, mais je ne sais pas combien de temps il est resté là-bas. Le préfet l’avait réconcilié
avec les Hutu, il avait organisé des rencontres de réconciliation. Après avoir passé plusieurs jours chez
le préfet, il a commencé à passer la nuit chez lui.
Président : Qu’est-il devenu, RUSATSI?
Le témoin : Je ne sais pas exactement ce qu’il est devenu, car après la mort du Président de la
République, il y avait un groupe de fonctionnaires Tutsi qui aurait été formé par le FPR. Des gens
disaient qu’ils étaient là pour espionner. Après la mort de HABYARIMANA, il y a une maison qui était à
côté, non loin de la préfecture, où les Tutsi se rassemblaient et ceux qui étaient formés apprenaient
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aux autres à utiliser les grenades. Et en les utilisant, ça a brûlé ces gens et c’est le préfet lui-même qui a
donné la voiture et qui les a conduits à l’hôpital de BUTARE. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, s’ils
ont été blessés ou pas.
Président : Donc, il y a eu des agents du FPR qui se sont brûlés dans une maison et à la suite de ça le
préfet les a conduits à l’hôpital ?
Le témoin : Oui. C’est après cet incident qu’on s’est rendu compte que certains étaient des militaires.
Les gens se sont réunis dans une maison et les un apprenaient aux autres à utiliser les grenades et ça
les a brûlés et le préfet a donné sa voiture pour les conduire à l’hôpital de BUTARE.
Président : Et ça c’était quand ?
Le témoin : C’était après la mort du Président. Les autres étaient à MURAMBI, mais tous les Tutsi
n’étaient pas partis à MURAMBI.
Président : Quand est-ce qu’on a compris que c’était des gens du FPR ?
Le témoin : C’était plus tard. Le FPR était à la source de tout ça, et c’est le FPR qui a tué beaucoup de
Tutsi.
Président : Donc, les informations que vous avez c’était que c’était les agents du FPR qui tuaient les
Tutsi ?
Le témoin : Le FRP avait beaucoup chauffé les Interahamwe dans les partis politiques car au niveau de
partis politiques les gens commençaient à se rebeller.
Président : Donc, il y avait des agitateurs du FPR qui incitaient les Interahamwe à aller tuer les Tutsi ?
Le témoin : Oui.
Président : Un peu surprenant comme information…
Le témoin : Il y a des Tutsi qui ont écrit sur ça, un officier du FPR a révélé comment certains militaires
quittaient pour venir s’infiltrer dans la population dans ce livre qui s’appelle « Rwanda, l’histoire
secrète » d’un certain RUZIBIZA. (NDR. RUZIBIZA, le célèbre informateur du non moins célèbre juge
BRUGUIERE qui incriminait le FPR dans l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA. Rapport
qui sera à l’origine de la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France pendant trois
ans, de 2006 à 2009.)
Le témoin va devoir, à ce stade, répondre aux questions des parties.
Sur questions d’un assesseur, il n’y avait pas d’échanges avec le service des renseignements militaires.
Aucune information non plus sur les caches d’armes à GIKONGORO, son service étant paralysé. Quant
à la défense civile, on soupçonnait SIMBA d’être de mèche avec les Interahmwe.
Sur questions de maître GISAGARA, le témoin dit avoir suivi une formation dans le pays, jamais à
l’extérieur. Concernant le cas d’Augustin YAMUREMYE, il ne pouvait pas imaginer que le responsable
du service de renseignements pouvait se rallier au FPR. L’avocat lui fait remarquer qu’il a rejoint le FPR
à la fin du génocide. Le témoin répond que s’il a été recruté, c’est qu’il était déjà de leur côté.
Connaissait-il Emile KAREKEZI? Il le connaissait comme quelqu’un de menacé. Mais ce sont surtout les
intellectuels qui étaient menacés. Bien sûr que le préfet ne pouvait pas le connaître. Concernant la
maison qui a brûlé, il reconnaît qu’il veut parler de celle d’un certain KALISA.

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Maître GISAGARA: Savez-vous que son épouse est venue témoigner et qu’elle a donné une autre
version?
Le témoin: Ah! bon!
Un autre avocat des parties civiles évoque le cas des trois prêtres qui ont été assassinés. Le témoin
n’est pas au courant! Est évoqué ensuite la période du débauchage (KUBOHOZA) pratiqué au moment
de l’instauration du multipartisme.
Le témoin: On voulait que tout le monde adhère aux partis d’opposition. Laurent BUCYIBARUTA était
surnommé « Padri » car il était humble. Il se rendait à pieds à la messe. A cette époque, les Tutsi
provoquaient les Hutu dans les bars. Mais la pratique du KUBOHOZA avait diminué avec l’arrivée de
Laurent BUCYIBARUTA. Il était menacé à la fois par les Hutu et par les Tutsi. La population avait été
entraînée dans la folie. On insultait le préfet en public. Il était vraiment menacé. Les réunions
organisées par le préfet? C’est mon chef de service qui y participait.
Au ministère public de poser quelques questions. Le témoin dit qu’il est Hutu, que ce sont les familles
tutsi qui signalaient le départ de leurs enfants vers le FPR. Par contre, il n’est pas au courant que des
professeurs aient rejoint la rébellion. Après l’attentat, il a continué à se rendre de temps en temps au
bureau mais il n’avait pas d’informations à faire remonter. Il ne sait pas si son patron s’est rendu en
mai à Marie-Merci. Par contre, il accompagnait le préfet en tant que membre du personnel de la
sécurité. Il était sensé savoir tout ce qui se passe.
Ministère public: Laurent BUCYIBARUTA a bien mis à votre disposition un camion pour fuir au Congo?
Le témoin: Moi, j’ai été empêché de monter par un Interahamwe qui était lui-même fonctionnaire.
Le ministère public: Il s’agit de David KARANGWA?
Le témoin: Tout le monde est parti, sauf moi. Je m’étais opposé aux massacres. J’étais considéré
comme un Inyenzi.
La défense n’a pas de questions au témoin qu’elle a fait citer!

Audition de monsieur Venant NDAMAGE, cité par la défense.
Le témoin n’a pas de déclaration spontanée à faire. Il semble se demander pourquoi il est là devant la
Cour: « On m’a convoqué, je me présente. »
Sur questions de monsieur le président, le témoin dit avoir vu Laurent BUCYIBARUTA pour la première
fois sur la place du marché de GIKONGORO, lors de la présentation des soldats de l’Opération
Turquoise. Il le rencontrera devant au CADA de Créteil fin 1997.

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Au Rwanda, le témoin travaillait à la Banque Centrale où il était chef de service. Il avait quitté KIGALI le
16 avril dans le but de rejoindre sa commune d’origine, mais arrivé à NYANZA, il n’avait pu poursuivre
sa route à cause de l’insécurité qui régnait. Il restera là jusqu’au 20 mai. Début juillet il quittera le
Rwanda pour le Congo où il restera jusqu’à la prise de pouvoir de KABILA père. Il restera deux mois
dans la forêt congolaise avant de revenir au Rwanda. Il va essayer de se réinsérer et travaillera pour
une ONG anglaise. Mais à cause de l’insécurité qui règne au pays, il décide de partir pour la France. Il
ne dit pas comment il quitte son pays.
Le témoin dit avoir vu de temps en temps le préfet qu’il dit s’être installé près de TROYES. La femme
de Laurent BUCYIBARUTA lui aurait un jour adressé un courrier: son avocat devait le contacter. Ce qu’il
ne fera jamais.
Peu de questions pour ce témoin qui semble présenter peu d’intérêt pour la plupart des parties.
Le ministère public l’interroge sur l’interprétation qu’il fait du discours de SINDIKUBWABO qui appelait
les gens à poursuivre le « travail ».
« Le président de la république a exhorté les gens à travailler en demandant qu’on le débarrasse de ces
gens qui disent qu’ils ne sont pas concernés. J’ai failli être tué à trois reprises après ce discours. On me
considérait comme un infiltré. « Ton nom ne sonne pas hutu » lui disait-on. Ce langage imagé a fait
prendre aux massacres une nouvelle tournure. »
Le témoin reconnaît avoir gardé des liens avec l’accusé suite à l’appel de madame BUCYIBARUTA.
L’avocate générale lui fait remarquer que, ce matin, elle l’a vu discuter avec l’accusé, à son arrivée au
Palais. Ce que le témoin reconnaît volontiers.
Sur question de maître BIJU-DUVAL, le témoin se souvient de l’épisode où le préfet a failli être attaqué
par des miliciens: « On le soupçonnait de cacher des Tutsi. Mais c’était ses beaux-frères. On lui
reprochait aussi de ne pas être suffisamment actif dans les massacres. C’est ce qu’on m’a raconté. »
Fin de l’audience. Rendez-vous donné demain à 9h30. Avant de se séparer, monsieur le
président expose la façon qu’il envisage de conduire l’interrogatoire de l’accusé et précise le
programme du lundi 4 juillet.

Mathilde LAMBERT et Alain GAUTHIER
Jacques BIGOT pour la mise en page.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du jeudi 30
juin 2022. J 35
01/07/2022

• Audition de monsieur François GRANER, chercheur en physique,
cité par SURVIE dont il est membre.
• Audition de monsieur Jean-Damascène BIZIMANA, partie civile,
ministre de l’unité nationale et de l’engagement civique.
• Audition de madame Laurence DAWIDOWICZ, représentant l’association SURVIE.
Audition de monsieur François GRANER, chercheur en physique, cité par SURVIE [1] dont il est
membre.
C’est en tant que citoyen que monsieur GRANER a cherché à comprendre les raisons des accusations
portées dans la presse contre les militaires français. En 2011, il entame des recherches personnelles qui
l’amènent à devenir membre actif de l’association SURVIE où il rencontre d’autres membres au
parcours similaire : « pas de lien avec le Rwanda, et désireux de tirer les leçons pour empêcher que ça ne
se reproduise, et plus généralement d’infléchir la politique de notre pays en Afrique ». Il publie deux
ouvrages [2] dont les conclusions ont été corroborées dans le rapport DUCLERT [3] : « responsabilités
lourdes et accablantes », en recoupant de multiples sources de l’époque (archives, articles de presse)
et postérieures (livres, interviews):
I – Sur l’action de la France au Rwanda :
La politique au Rwanda en 1994 est pilotée par l’Élysée. La chaine de renseignement français :
Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et Direction du renseignement militaire (DRM). Les
conseillers de l’Élysée font des notes : le conseiller « Afrique » Bruno DELAYE, le conseiller militaire le
général Christian QUESNOT. Son secrétaire général Hubert VÉDRINE les filtre. Le président
MITTERRAND consulte (notamment lors des conseils restreints) et prend la décision. Sur ce qui
concerne l’armée, les ordres sont donnés par le chef d’État-Major des armées, l’Amiral LANXADE et
ensuite deux chaînes de commandement : armée régulière et forces spéciales.
Pas d’intention d’exterminer les Tutsi : ce qui guide en permanence l’Élysée, c’est préserver le rôle et
les intérêts de la France en Afrique, sa zone d’influence en y intégrant si possible d’autres pays,
notamment les ex-colonies belges. Il n’est pas question de lâcher quoi que ce soit, de laisser une
rébellion gagner : face à l’attaque du Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990, la France
soutient les Forces armées rwandaises (FAR). L’opération Noroît, prévue pour quelques semaines se
prolongera sur plus de 3 ans, jusqu’en décembre 1993.
Le FPR, « c’est l’ennemi » : opposants au président HABYARIMANA, en majorité des exilés Tutsi basés
en Ouganda, on les assimile à l’ensemble des Tutsi du Rwanda.
Il y a une continuité entre les autorités civiles et militaires, et entre l’armée et la population : garde
présidentielle, gendarmerie, armée, milices, population générale. C’est la « défense civile », parfois

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« défense populaire », en lien avec la doctrine contre-insurrectionnelle des militaires rwandais
encadrés par les Belges et Français.
Les alertes sur le génocide et sa préparation :
– À Kigali, rafle de Tutsi par des gendarmes.
– Meurtres de Tutsi : 5 octobre 1990 à Kibilira (Gisenyi), 8 octobre au Mutara (500 à 1000 Tutsi victimes
de l’armée), 11-13 octobre à Kibilira (350 morts).
La Belgique retire ses troupes. Vu du côté français, on est prévenu dès octobre 1990 du risque très
important de génocide : de notoriété publique chez les coopérants, l’attaché de défense fait remonter
à Paris. Le chef de l’armée rwandaise dit à l’ambassadeur de France qu’il se « réjouit de l’attaque du
FPR, qui servirait de justification aux massacres des Tutsi [4] ». Le chef de la gendarmerie rwandaise dit
au général VARRET en décembre 1990, que les Tutsi, « ils ne sont pas très nombreux […] on va
les liquider. ».
Puis des pogroms récurrents sont perpétrés en toute impunité : par exemple fin octobre 1990, suite à
un discours du président, en janvier-février 1991 les Bagogwe (région des Volcans), 4-9 mars 1992
dans le Bugesera, fin décembre 1992 à Kibilira (Gisenyi). Malgré ces nombreuses alertes, trois ministres
de la Défense (CHEVÈNEMENT, JOXE, LÉOTARD) n’arrivent pas à modifier cette politique.
En janvier 1993, un groupe international d’enquêteurs d’organisations non gouvernementales, dont la
FIDH constate que les massacres ne sont pas spontanés (ils cessent pendant la présence des
enquêteurs et recommencent après leur départ). Le 28 janvier 1993, Jean CARBONARE prévient à la
fois l’Élysée et le public au JT de 20 heures de France 2: « On sent que derrière tout ça, il y a un
mécanisme qui se met en route. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre
l’humanité dans le pré-rapport que notre commission a établi. Nous insistons beaucoup sur ces mots.
». Or, jusque-là, la situation intérieure du Rwanda était largement passée sous silence par les médias
français.
Le 18 février 1993, la DGSE relaye la FIDH : « vaste programme de “purification ethnique” dirigé contre
les Tutsis, dont les concepteurs seraient des extrémistes hutus proches du chef de l’État, relayés par les
préfets et bourgmestres [5] ».
De son côté, la Belgique ouvre un débat public et rappelle son ambassadeur au Rwanda. Mais à
l’Élysée, la rhétorique reste la stabilité, c’est-à-dire le soutien à l’armée régulière contre la rébellion :
– Militairement : le colonel Didier TAUZIN prend discrètement le contrôle de l’armée rwandaise au
front.
– Médiatiquement : l’armée française, via la presse, contribue a diaboliser le FPR, surnommés « khmers
noirs ».
– Politiquement : promouvoir avec insistance l’union des Hutu ; ce qui aura un écho fin 1993 après
avec la création du Hutu Power, éclatement des partis.

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Ces trois points contribuent en pratique à ce que les choix de la politique française coïncident avec
ceux des extrémistes hutu. Le général VARRET est limogé sur demande du conseiller militaire du
président MITTERRAND, remplacé par le général Jean-Pierre HUCHON.
En août 1993, les accords d’Arusha prévoient un retour à la paix, avec des institutions de transition. Ces
accords font partir nos troupes, ce qui fait que certains militaires français les regrettent, là encore
comme les extrémistes hutu.
Début du génocide:
Après l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président HABYARIMANA, les extrémistes hutu font
un coup d’état et commencent le génocide. L’État-Major des Armées en est informé : pour l’opération
Amaryllis (9-13 avril 1994) d’évacuation des ressortissants français, l’information des troupes (« ordre
d’opérations Amaryllis » du 8 avril) mentionne l’élimination des Tutsi par la garde présidentielle.
L’obsession de bloquer le FPR se traduit par le choix de l’Élysée : du 7 au 9 avril, formation du
gouvernement intérimaire rwandais (GIR), en partie dans les locaux de l’ambassade de France [6]. Avec
la reprise de la guerre civile le 10 avril, les renseignements remontent bien : « Ces liquidations
n’épargnent ni les femmes ni les enfants ».
L’amiral LANXADE explique qu’à partir du retrait des forces de l’ONU, le génocide s’étend « sans autre
limite que la progression du FPR sur le terrain ». Mode principal : les autorités civiles regroupent les
Tutsi, les gendarmes et l’armée attaquent, les milices encerclent, la population finit : continuité entre
les autorités civiles et militaires, continuité entre l’armée et la population marquée par l’organisation
de la « défense civile ». Continuité entre la guerre et le génocide.
Le GIR fuit de plus en plus vers l’Ouest, il pousse les Hutu à fuir avec lui pour vider le pays. Le capitaine
Thierry JOUAN envoyé par la DGSE en zone gouvernementale écrira : « les tueries cessent après la
victoire totale du FPR [7] » (17 juillet 1994).
Opération Turquoise du 22 juin au 22 aout 1994
Trois mille militaires dont beaucoup ont déjà été en mission au côté des FAR entre 1990 et 1993. Ils
soulignent l’importance de leur armement, et 8 avions de chasse. Durant ses premiers jours, ceux de
juin 1994, les médecins ne sont que deux, avec comme mission de soigner provisoirement les soldats
français blessés à évacuer. On ne leur a pas parlé de génocide dans leur mission, ni indiqué qu’ils
auraient à soigner des Rwandais, ni donné le matériel correspondant.
Les motivations initiales de Turquoise sont variées, pas explicitement expliquées aux militaires.
Notamment : montrer aux régimes soutenus par la France que la garantie française a de la valeur et
garder pied au Rwanda. Elle doit récupérer des militaires français présents en zone gouvernementale
pour la défense contre le FPR : en violation de son mandat, Turquoise fait une interposition à
Gikongoro. Selon le colonel TAUZIN : « nous installons des postes de combat » et des « champs de tir
d’armes lourdes autour de notre position de Gikongoro [8] ». Le lien avec les associations humanitaires
viendra seulement en juillet et surtout en août, après que d’autres évènements soient intervenus entretemps (progression du FPR, sauvetage de rescapés, choléra).
II – Les relations entre les militaires français et les autorités locales rwandaises, dont les préfets

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Ce que savent les militaires français, avant d’arriver :
DGSE et DRM sont clairs sur le fait qu’il s’agit de massacres de Tutsi par les extrémistes hutu. Le
capitaine JOUAN (DGSE) parle du rôle des autorités nationales, des préfets et des bourgmestres. La
DRM parle des milices agissant à leur initiative ou à l’incitation d’appels à la « défense populaire ».
l’État-major des armées a l’information mais ne la transmet pas aux militaires français sur le terrain.
Leur « ordre d’opération » présente les massacres de Tutsi comme des « affrontements interethniques
» attribués à des « bandes formées de civils ou de militaires hutu incontrôlés » et enjoint par conséquent
aux troupes françaises d’inciter les « autorités locales rwandaises, civiles et militaires », à « rétablir leur
autorité [9] ». L’amiral LANXADE précisera en 2018 : « Ça a été décidé par moi, ça. […] L’idée étant de
s’appuyer sur les autorités locales. [10] ».
La disparition du mot « génocide », remplacé par des affrontements présentés comme symétriques, et
les autorités seraient les mieux placées les empêcher : ce sont trois points qui sont faux, alors que les
services de renseignements étaient corrects.
Ce que découvrent les militaires français, sur place :
La zone protégée par Turquoise (qui le 4 juillet devient « Zone humanitaire sûre ») recouvre la moitié
sud de la préfecture de Kibuye, ainsi que la totalité de celles de Gikongoro et Cyangugu. Turquoise y
est avant l’arrivée du FPR, ces régions ne sont pas encore touchées par la guerre civile. Le lieutenantcolonel HOGARD constate que l’ordre règne dans cette partie du Rwanda, en contraste avec le chaos
au Zaïre.
Comme le rapporte le journaliste Michel Cariou, de l’AFP, l’accueil enthousiaste réservé aux militaires
français est organisé comme pour une visite de chefs d’État, notamment par le préfet Laurent
BUCYIBARUTA [11]. Celui-ci explique au journaliste qu’à Gikongoro, il n’y a plus de Tutsi depuis les «
affrontements » d’avril.
Les militaires français découvrent rapidement l’implication d’autorités locales dans les massacres. Ainsi,
dans son audition au parlement en 1998, le colonel Patrice SARTRE mentionne le préfet de Kibuye,
Clément KAYISHEMA, qui après lui être « d’abord apparu comme un personnage antipathique s’était
avéré très rapidement être gravement responsable de ce qui s’était passé auparavant ».
Le lieutenant-colonel HOGARD arrive à Cyangugu le 2 juillet. Il explique dans son livre de 2005 [12] : le
préfet Emmanuel BAGAMBIKI « ne m’inspire d’emblée que peu de sympathie […] Nous réalisons vite qu’il
n’est pas franc du collier et qu’il tente de nous doubler en manipulant ses réseaux extrémistes ».
Également en 2005 dans un entretien avec le journaliste David SERVENAY, Jacques HOGARD racontera
la duplicité du préfet : « j’ai compris qu’il donnait des ordres aux milices à l’extérieur de la ville, tout en
nous assurant qu’il calmait le jeu. ». Son chef du bureau de renseignement, le capitaine GONDAL,
complète (auprès du même journaliste) : « Très vite, nous avons la sensation désagréable que les
autorités ont organisé les massacres. […] Nous nous attendions à voir des assassins, des tueurs… mais pas
à cette implication des autorités locales. Que tout cela soit organisé, c’est fou ». L’amiral LANXADE le
reconnaîtra après coup : « la plupart des anciens responsables ont été compromis dans les massacres ».
Ce que font les militaires français:
Les Français affirment avoir besoin de travailler avec les préfets, les bourgmestres pour la gestion
administrative au quotidien comme le précise le capitaine de frégate Marin GILLIER dans une interview
à La Vie du 21 juillet 1994 : « Nous savons que les bourgmestres et les sous-préfets de la région sont
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pour la plupart impliqués dans les massacres de Tutsi, voire leurs instigateurs. Nous avons accumulé des
témoignages qui le prouvent. Mais, pour le moment, ils sont nos seuls interlocuteurs auprès du million et
demi de réfugiés hutu qui ont afflué dans la zone. Ils nous aident à sécuriser l’endroit en désarmant les
milices et en persuadant les réfugiés de demeurer sur place ». Le même article explique que Joachim
HATEGEKIMANA, sous-préfet de la ville de Kaduha, bénéficie de sa coopération franche et totale avec
les militaires français : il se refait une virginité et revend l’aide alimentaire à son profit. Les Français
notent « la bonne collaboration des autorités administratives locales qui soutiennent sur le terrain
l’action » des troupes françaises. Le préfet de Gikongoro met des prisonniers de droit commun à
disposition des Français pour abattre des arbres. Réciproquement, les troupes françaises « font preuve
d’initiative […] en soutenant les autorités locales dans leurs actions administratives et policières». Le
lieutenant-colonel HOGARD met en place un « comité de coordination » quotidien avec le préfet
BAGAMBIKI.
Les rapports français butent sur la dualité des milices, à la fois aide militaire et massacreurs
indéfendables. À Gikongoro, le 4 juillet, certains civils armés sont tenus pour des défenseurs de la ville
dépendant de la défense civile, tandis que d’autres civils armés d’apparence identique sont considérés
comme des miliciens qui menacent des Tutsi et qu’il faut interpeller.
Le 5 juillet, la DRM relève que la ville de Gitarama est défendue par « deux bataillons des FAR, quelques
gendarmes et des miliciens au zèle anti-tutsi exacerbé » et celle de Gikongoro par « 120 gendarmes et
une centaine de miliciens ». Le même jour, la note quotidienne de situation de la même DRM explique
de façon plus présentable que Gikongoro est défendue par « 120 gendarmes et une centaine de
supplétifs civils armés ».
Première conséquence de cette politique française : Bisesero.
Entre le 27 et le 30 juin 1994, Paris est informé des massacres de Tutsi en cours à Bisesero, la presse en
fait abondamment état. Différents documents qui remontent des militaires de terrain vers l’état-major
des armées, cohérents entre eux, identifient Bisesero comme un problème humanitaire majeur et non
militaire. Le 29 juin 1994, la carte quotidienne de la DGSE note à cet emplacement : « Bisesero // Plus
de 10 000 Tutsis traqués par les milices hutues ». Mêmes alertes côté DRM : le document de situation
met en caractères gras les personnes de Bisesero comme étant à la fois nombreuses et prioritaires,
rappelle leur « dénuement nutritionnel, sanitaire et médical extrême », et lance un appel à intervenir : «
2 000 civils tutsi attendent là la protection de la force française ». Mais aucun ordre de sauvetage n’a
alors été donné, et c’est par l’insistance de journalistes que des militaires de terrain, contrevenant aux
ordres, vont sur place pour mettre leurs supérieurs devant le fait accompli et déclencher les secours
des derniers 800 Tutsi survivants.
Le 13 mai 2022, lors de l’inauguration à Paris de la place Aminadabu BIRARA, héros de la résistance
des Tutsis à Bisesero, un rescapé, Éric NZABIHIMANA en témoigne. Il est également partie civile dans
une procédure devant la justice française qui vise les responsabilités françaises dans la mort de Tutsi à
Bisesero entre le 27 et le 30 juin 1994.
Cet épisode est important pour comprendre le déroulement de la fin du génocide et pourquoi l’Elysée
et l’armée française ont renforcé, encore après le génocide, leurs éléments de langage tentant de
justifier leur action.

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Deuxième conséquence de cette politique:
La zone sous contrôle français, notamment la préfecture de Gikongoro, sert de refuge temporaire à
des miliciens. Du 29 juin (et encore les jours suivants, au 30 juin et 1 er juillet), dans la zone sous
contrôle français, dans la préfecture de Gikongoro (à Cyanika), la DGSE signale un « camp
d’entraînement des milices hutues ». Le 13 juillet, la carte quotidienne de la DGSE signale que des: «
renforts hutus pour milices » entrent en zone sous contrôle français depuis le Zaïre et le Burundi.
Quant à Robert KAJUGA, chef des milices Interahamwe [13] au niveau national, il arrive le 5 juillet à
Gikongoro, dans la zone sous contrôle français. Les Français en sont prévenus mais ne l’arrêtent pas :
En effet le 7 juillet le FPR fournit à l’armée française une liste détaillée de dix pages avec 220 noms de
responsables du génocide et des massacres, chacun avec leur fonction, que les Français ont examinés
et annotés un par un.
Parmi eux :
« 58. Robert KAJUGA, Interahamwe chairman national
71. Laurent BUCYIBARUTA, prefect Gikongoro
72. Emmanuel BAGAMBIKI, prefect Cyangugu, member escadron de la mort,
73. Clément KAYISHEMA, prefect Kibuye » [annoté « en fuite »].
Sur 21 membres du GIR : 13 sont passés par la zone sous contrôle français parmi lesquels 5 seront
ensuite définitivement condamnés à perpétuité. Le 15 juillet, le représentant du quai d’Orsay, Yannick
GÉRARD, écrit que : « dans la mesure où nous savons que les autorités portent une lourde responsabilité
dans le génocide […] il y a un seul choix possible, celui de les arrêter, ou au moins les placer en résidence
surveillée jusqu’à remise aux Nations unies ».
Matignon est d’accord, l’Élysée s’y oppose. Yannick GÉRARD reçoit du quai d’Orsay un ordre discret
pour faire partir le GIR. Il demande confirmation écrite : « je persiste à penser que ces membres du
gouvernement intérimaire sont bien parmi les principaux responsables du génocide et que notre devoir, à
présent, est de ne pas les laisser s’égailler dans la nature ».
En pratique, les militaires français font ouvrir les deux ponts qui permettent le passage de la frontière.
Malgré la convention de prévention du génocide que la France a signée, les Français n’arrêtent aucun
préfet, sous-préfet, bourgmestre, conseiller communal. Tous, FAR, administration, milices, radios, avec
matériel et or de la banque centrale, s’enfuient en toute impunité au Zaïre, où l’Elysée les soutient pour
se réorganiser et tenter de reconquérir le Rwanda. Ils bénéficient d’un soutien même en France.
François GRANER termine sa déposition en reprenant les principaux résultats de son travail de
recherche :
– Les militaires de Turquoise ne sont pas préparés à arrêter et sanctionner un génocide – la Zone dite
« Humanitaire Sûre » n’a pas systématiquement désarmé les milices.
– Les militaires français de Turquoise et les préfets ont travaillé en concertation,
– Il est important de souligner que le choix français est de laisser partir toutes les autorités à tous
niveaux sans opérer de tri et sans les inquiéter.

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Audition de monsieur Jean-Damascène BIZIMANA, partie civile, ministre de l’unité nationale et
de l’engagement civique.
En premier lieu, je pense à mes parents Antoine et Antoinette, mes trois frères et ma sœur. Mes
parents n’avaient jamais fait d’études. Ils ont été assassinés sur ordre des autorités à Cyanika. Je suis né
à Cyanika, je vais surtout me baser sur Cyanika. J’y ai grandi et ai fait mes études primaires jusqu’en
1975. En 1975, je suis parti à l’internat. J’ai fait 6 ans d’études primaires. En 1982, j’ai terminé l’école
secondaire et je suis revenu enseigner à l’école primaire à Cyanika jusqu’en 1988.
A cette époque, j’ai été témoin de la discrimination que les Tutsi subissaient. Je connaissais l’abbé
NIYOMUGABO. C’est pendant cette période que j’ai noué des liens très forts avec lui. Pendant ma
carrière d’enseignant, j’étais engagé auprès du milieu paroissial avec des jeunes pour des activités
culturelles : chant, théâtre. A ce moment, j’ai voulu m’engager dans la lutte contre la discrimination. J’ai
donc arrêté la carrière d’enseignant en 1988 et j’ai commencé des études au grand séminaire, chez les
Pères Blancs à BUKAVU. J’ai fait mes études de philosophie et de sciences humaines de 1988 à 1991.
Je revenais pour toutes les vacances chez mes parents. Je voyais donc la situation. En octobre 1990,
lorsque la guerre commence, que le FPR attaque le pays, je me trouvais chez mes parents. C’est le
moment le plus important, où je vois ma famille subir des persécutions immédiates. Le 5 octobre, trois
policiers communaux se sont présentés au domicile, soi-disant pour fouiller et trouver des armes et
autres preuves selon lesquelles on était complices du FPR. Ils ont trouvé une somme d’argent,
correspondant à peu près à 200 euros. Les policiers ont prétendu que mon petit frère les avait
collectés pour les envoyer au front au profit du FPR. Il a été arrêté. Ils voulaient lui faire signer un
papier disant que c’était pour le front. Ils l’ont envoyé au cachot communal, où il a été torturé. J’allais
le voir et j’observais des traitements inhumains ou dégradants. On leur tapait sur les pieds, ils étaient
menottés. Le 7 octobre, la situation devenait intenable, j’avais peur aussi. J’étais protégé par mon
statut de séminariste car à cette époque, on était respecté. L’abbé m’a conseillé de ne pas rester là
mais de retourner au Zaïre. Il m’a conduit jusqu’à l’autobus.
Je suis resté une année à BUKAVU. En juin 1991, je suis revenu au Rwanda pour les vacances. La
situation avait totalement changé. Les Tutsi subissaient des discriminations quotidiennes. Il y avait une
méfiance totale au sein de la population. Le préfet empêchait les Tutsi de pouvoir se regrouper, de
pouvoir causer.
En septembre 1991, je devais poursuivre ma formation en Suisse. J’ai eu beaucoup de mal à obtenir le
passeport. Pour quitter Cyanika et me rendre à Kigali, je devais avoir un laisser-passer donné par le
bourgmestre, qui me l’a refusé. J’ai dû aller poser la question au sous-préfet Pascal. Il a réclamé que le
bourgmestre me délivre le laisser-passer. A Kigali, je n’ai pas eu de difficultés à obtenir le passeport car
ce sont les Pères Blancs belges qui l’ont demandé.

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J’y suis resté jusqu’en juin 1992. Entre temps, en mars 1992, des massacres ont été commis à
NYAMATA. Une partie de ma famille y habitait. En 1963, ma famille avait subi les premiers massacres à
Cyanika ; mes grands-parents ont été tués à ce moment et une partie de ma famille a été déportée
dont certains dans le BUGESERA. C’est une situation qui m’a profondément affecté.
En juillet 1992, j’étais nommé par le supérieur au Burkina Faso. Dans la formation des Pères Blancs, il y
a une période de 2 ans pour le stage pastoral. Avant d’aller au Burkina Faso, je suis retourné au
Rwanda. La situation avait encore empiré. Il y avait des manifestations publiques, des barrières, les
politiciens avaient alimenté la haine. Je suis donc parti au Burkina Faso.
Pendant les vacances de Noël en 1993, je suis resté à peu près deux semaines. Même si je devais
passer deux mois, la période était très dure. Il y avait des mines qui étaient posées, des grenades, des
contrôles aux barrières, les attaques des maisons la nuit. J’ai demandé de pouvoir repartir au Burkina
Faso, car je craignais d’être tué. Toutes les personnes Tutsi revenant de l’extérieur étaient
automatiquement soupçonnées d’être des complices du FPR. Entre décembre et début avril 1994, j’ai
continué à m’inquiéter et à appeler au Rwanda. Je téléphonais à la paroisse de Cyanika, sur le
téléphone fixe, et chez mon cousin qui habitait à 10 mètres de la paroisse. Mon cousin était le
chauffeur de l’accusé. Pour parler à mes parents, je les faisais venir ; ils habitaient à environ 200-300
mètres de chez mon cousin. Même si j’étais au Burkina Faso, j’avais régulièrement des informations sur
la situation.
Entre le 7 avril et le 11 avril 1994, je suis resté en contact permanent avec l’abbé Joseph NIYOMUGABO
et avec la femme de mon cousin, qui travaillait à la sous-préfecture de KARABA.
Le 8 avril, lorsque j’ai eu l’abbé Joseph au téléphone, il me parlait de ce que des réfugiés Tutsi avaient
commencé à arriver à la paroisse. Mes parents sont arrivés à cette date. Les maisons des Tutsi avaient
commencé à être brûlées. Le sous-préfet Joseph avait dirigé une réunion publique à MBAZI en
compagnie du capitaine de gendarmerie SEBUHURA. La réunion consistait à demander aux Hutu de se
mettre ensemble pour traquer l’ennemi, c’est-à-dire chercher les Tutsi. Ces derniers ont su que cette
réunion a eu lieu et ils ont commencé à se réfugier.
Le 10 avril, j’ai eu deux personnes au téléphone : l’abbé Joseph et la femme de mon cousin,
Bernadette. L’abbé Joseph m’informe qu’il a essayé, qu’il a téléphoné au préfet BUCYIBARUTA pour lui
faire part de la situation désespérée des réfugiés qui venaient en nombre, sans vivres, avec des
malades, des enfants. Il demandait du secours. Le préfet lui dit de se débrouiller, qu’il ne peut rien
faire, qu’il est plus préoccupé par la mort du président. L’abbé Joseph me l’a dit avec un cœur abattu,
désespéré. Il ne s’y attendait pas. Il connaissait le préfet depuis très longtemps.
Toujours le 10 avril, vers l’après-midi, le préfet passe à la paroisse. Il a vu la situation et a répété le
même argument selon lequel il ne pouvait rien faire et que l’abbé devait s’adresser à la Caritas.
Bernadette MUKANEZA, le 10 avril, m’informe que le préfet est passé à la sous-préfecture de KARAMA.
Il y avait un désespoir total car les autorités étaient impliquées dans la préparation des tueries plutôt

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que dans la protection des victimes. Le préfet y rencontre le sous-préfet et d’autres agents. Dans cette
rencontre, on décide que les Tutsi doivent être placés ensemble, prioritairement dans des paroisses.
Pour ce faire, il faut utiliser le mégaphone pour circuler dans les communes. Ceci a été fait.
La deuxième décision prise a été de mettre en place des barrières, en indiquant les endroits où il fallait
en mettre.
Le troisième point qui a inquiété Bernadette est qu’ils ont dit qu’il fallait empêcher les Tutsi de sortir de
la paroisse. En même temps, il ne fallait pas leur donner de vivres. C’est pour cela qu’une semaine
après, l’alimentation d’eau a été coupée. Même des personnes ayant essayé de leur apporter des
vivres, des Hutu, ont été tuées. Un enseignant, Faustin, qui a essayé d’apporter des vivres a été tué. Un
réparateur de vélo qui a essayé de faire marcher la pompe d’alimentation en eau a été tué. Ceux qui
sauvaient les Tutsi, les cachaient, les aidaient, étaient ainsi mis en garde. J’ai aussi pu parler avec ma
mère. Elle m’a dit qu’ils étaient venus à la paroisse le 8 en raison de menaces sur notre habitation ; ils
avaient laissé les vaches. Mon père est retourné chez moi la nuit du 8 au 9 ; le voisin lui a dit que la
chance de vivre pour les Tutsi est pratiquement nulle car des réunions se tenaient, dans lesquelles il
était dit que les Tutsi, à la paroisse, seraient attaqués. Ma mère m’a dit qu’il n’y avait aucune chance de
survie.
Le 11, les communications ont été coupées. Le 12, je n’ai pas pu téléphoner. On m’a expliqué plus tard
que le 14 avril, le préfet BUCYIBARUTA était venu à la paroisse et qu’une réunion avait été organisée. Il
vient à la sous-préfecture de KARABA avec les bourgmestres, accompagnés par des cadres de chaque
commune. Cette réunion a été radicale car la stratégie de couper l’eau a été élaborée. Le contrôle des
barrières a été renforcé. Il a été décidé de mettre en place tous les instruments pour chasser l’ennemi,
c’est-à-dire faire la chasse aux Tutsi.
Je me trouvais au Burkina Faso toute la période du génocide. Je devais revenir en juillet 1994. La
situation était encore difficile. Il était prévu que j’aille à Toulouse pour poursuivre ma formation à partir
de septembre 1994. Donc, en juillet 1994, j’ai été envoyé en France. Je suis arrivé à Paris fin juin 1994.
J’y suis resté quelques jours. J’ai demandé de pouvoir aller me reposer en Suisse chez un ami rwandais.
J’ai passé deux mois de vacances chez lui et suis revenu à Toulouse. J’y ai passé deux ans, jusqu’en
1996. J’ai ensuite décidé de quitter le chemin du séminaire car je supportais mal l’implication de
certains prêtres dans le génocide mais aussi parce que certains prêtres niaient le génocide.
J’ai donc demandé de quitter et j’ai été autorisé. En plus, j’avais perdu mes parents et j’ai voulu
m’investir dans la reconstruction de mon pays. J’ai senti que les études de droit étaient un chemin
mieux indiqué. En 1996, j’ai commencé la faculté de droit à l’université de Toulouse I, j’y ai fait mes
études jusqu’à obtenir une maitrise de droit public en 2001. J’ai ensuite commencé le diplôme
d’études approfondies à Montpellier. Je suis retourné à Toulouse pour commencer ma thèse de
doctorat en 2001. Je l’ai terminée et soutenue le 13 février 2004. Je suis ensuite rentré au Rwanda.

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J’ai été embauché comme enseignant de droit international à l’université de Kigali et à l’université
nationale du Rwanda. Ensuite, j’ai travaillé dans une ONG internationale belge Justice et Démocratie,
où j’étais responsable du programme d’appui à la société civile, en matière de respect des droits
humains et de règlement du contentieux. J’ai ensuite travaillé comme expert dans des commissions,
notamment de recherche de responsabilité de la France dans le génocide et celle qui a enquêté sur les
causes du crash de l’avion de HABYARIMANA. Après, j’ai été sénateur de 2012 à mars 2015. De 2015 à
2021, j’ai travaillé comme secrétaire exécutif de la CNLG, la Commission Nationale de Lutte contre le
Génocide. J’ai ensuite été nommé Ministre de l’Unité Nationale. Je travaille également comme
chercheur, je me suis toujours intéressé à la question de la mémoire et de la justice. J’ai collecté des
informations sur le génocide. Je voulais connaitre les tenants et les aboutissants des conditions dans
lesquelles mes parents ont été tués. J’ai rédigé un livre intitulé Église et génocide au Rwanda. 84
membres de ma famille ont été éliminés dans le génocide. C’est le principal motif qui me poussait à
comprendre les raisons de leur assassinat. Je voulais connaitre les responsabilités, les auteurs. J’ai
publié en 2014 un autre ouvrage intitulé Itinéraire du génocide commis contre les Tutsi. C’est dans ce
souci de recherche, de mémoire et de justice que j’ai interrogé plusieurs témoins de Cyanika.
J’en termine en évoquant ce que mon cousin m’a dit. Lorsque l’avion de HABYARIMANA est abattu, il
avait conduit l’épouse du préfet chez elle, dans le Nord-Est. Le 8, il la ramène vers Gikongoro. Ils sont
arrêtés sur une barrière tenue par des gendarmes et des miliciens. Ils sortent le chauffeur du véhicule,
lui demandent sa carte d’identité, trouvent qu’ils sont Tutsi, commencent à le tabasser. L’épouse
montre des papiers prouvant que c’est une voiture du préfet. Ils appellent le responsable de la
gendarmerie, qui reconnait l’épouse du préfet. On lui donne un convoi de gendarmes pour les
accompagner à Gikongoro. Ils sont arrivés sains et saufs parce qu’accompagnés par ces gendarmes.
Mon cousin est resté chez le préfet car il ne pouvait pas se déplacer. Il est resté dans une chambre non
loin du salon. Il entendait les personnes qui venaient voir le préfet, notamment le soir. Il m’a précisé,
en 1995, que le soir, il y avait des cadres administratifs et militaires qui passaient chez le préfet,
notamment le capitaine SEBUHURA et Joseph RURANGWA, qui avait été secrétaire personnel du
préfet. Il dirigeait le centre de perfectionnement et de développement permanent pour la formation
des agents de l’administration, qui dépendait de la préfecture. Il voyait de temps en temps Aloys
SIMBA [14] ainsi que des sous-préfets, notamment Pierre-Célestin. Dans ces rencontres qui se faisaient
chez le préfet, on parlait de la stratégie de regrouper les Tutsi à MURAMBI et à CYANIKA. En même
temps, on donnait des listes de Tutsi qui avaient été tués et d’autres où on ne savait pas où ils se
trouvaient. Ça lui faisait peur.
Quelques jours après, il est resté environ 5 jours, le préfet téléphone à RURANGWA et dit que Aloys se
trouve au domicile du préfet et qu’il est encombrant. Aloys GATABARWA suivait la conversation et est
sorti discrètement. Il a pu sauter par-dessus la clôture et est parti, il a fui discrètement. Il est parti se
cacher chez un ami Hutu. Il est resté là jusqu’au 23 avril. Le 21, il y a eu les massacres à MURAMBI. Il a
décidé finalement de se rendre chez lui à CYANIKA. Il y a 6 kilomètres, qu’il a fait à pieds la nuit. Il est
passé par des petits sentiers. L’épouse Bernadette était Hutu. Elle n’était pas inquiétée, d’autant qu’elle
expliquait aux tueurs de CYANIKA qu’on pouvait la laisser. Il est resté caché chez lui car les miliciens et
les autorités le croyaient mort. Il y avait un trou dans le plafond. Il est resté jusqu’à l’arrivée des
militaires français de l’Opération Turquoise. Ils sont arrivés fin juin. Quand ils sont arrivés à CYANIKA, il
a demandé à sa femme de faire venir les Français. Ils l’ont pris et l’ont amené d’abord à MURAMBI. En
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raison de l’insécurité, il a demandé à ce qu’on l’emmène ailleurs. Il est ensuite retourné à GIKONGORO.
Il a travaillé à la Caritas jusqu’à sa mort, en 1996.
Questions du président
Président : Vous êtes issu d’une famille nombreuse qui a été éprouvée par le passé. Pouvez-vous me
dire la composition de votre fratrie?
Témoin : On était 5 enfants et 2 enfants adoptifs. Il y avait 4 garçons, je suis l’ainé de la famille. Le
second, Jean ; la troisième est Thérèse ; la quatrième Marie ; le cinquième Antoine et il y a deux enfants
adoptifs. C’est une fillette que ma cousine Marthe avait eu hors mariage et qui était assez pauvre.
Président : De cette fratrie, y-a-t-il des survivants ?
Témoin : Il y a moi et ma sœur Marie qui n’était pas au Rwanda. On l’a envoyée en République
démocratique du Congo. Ma sœur Thérèse a survécu au génocide.
Président : Était-elle à CYANIKA ?
Témoin : Elle a pu partir. Elle a quitté CYANIKA au moment des massacres. Elle était là au moment de
l’attaque mais elle est partie peu avant la date fatidique du 21. Elle est allée chercher refuge chez sa
marraine, à RUBONA.
Président : RUBONA est également dans la préfecture de GIKONGORO ?
Témoin : Non, c’est dans la préfecture de BUTARE. On pouvait s’y rendre à pieds, en 2 heures environ.
Président : Cette marraine était Hutu ou Tutsi ?
Témoin : Elle était Tutsi.
Président : Elle n’a pas été tuée ?
Témoin : Elle a été tuée avec son mari et ses enfants. Deux enfants sont rescapés. L’histoire de ma
sœur est différente. Elle a été prise par un milicien qui l’a violée.
Président : Elle a servi d’esclave sexuel ?
Témoin : C’est ça. Ils ont amené la famille dans laquelle elle se trouvait à une barrière. Le milicien a pris
ma sœur, qui était une jeune fille présentable, l’a prise chez lui.
Président : J’ai bien compris que pendant cette période vous n’étiez pas présent au Rwanda.
Témoin : Je l’ai bien précisé.
Président : Vous êtes en quelque sorte l’initiateur de la procédure. Vous avez déposé plainte. Vous
avez d’ailleurs rédigé un document ?
Témoin : Je ne sais pas si je suis l’initiateur mais j’ai rédigé un document. Je me suis joint à la plainte.
Lorsque j’ai appris que le préfet BUCYIBARUTA était arrivé en France en décembre 1997, j’avais réuni
un certain nombre d’informations. C’est à cette époque que j’ai rédigé un document mais je ne savais
pas où le déposer. C’était une façon de documenter la responsabilité du préfet. En 1999, j’ai réussi à
contacter l’association SURVIE, dont je savais qu’elle suivait des affaires judiciaires. Je me suis demandé
comment je pouvais procéder. J’étais étudiant, je n’avais pas les moyens de payer les frais d’avocat. Je
n’étais pas boursier, je payais mes études. SURVIE a contacté quelques mois plus tard la FIDH à Paris et
lui a transmis mon document. La FIDH m’a appelé pour savoir si j’étais l’auteur du document. J’ai eu un
échange avec Maitre William BOURDON. La FIDH a porté plainte, plainte à laquelle je me suis associé.
Maître LINDON : Il ne s’est constitué partie civile que très récemment mais il apparait dès le début de
la procédure.

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Président : Votre nom apparait très rapidement et vous êtes l’auteur d’un document joint à la plainte
de la FIDH, qui permet l’ouverture d’une information. La FIDH dépose plainte contre plusieurs
personnalités qui sont sur le territoire français. Vous allez être entendu à la suite de l’ouverture d’une
information judiciaire qui a lieu dans un premier temps devant un juge d’instruction du tribunal de
TROYES. M. BUCYIBARUTA, vous allez être placé en détention provisoire à la suite de votre mise en
examen.
Témoin : Je me suis constitué partie civile beaucoup plus tard parce que je n’avais aucun espoir que le
procès allait avoir lieu. Nous avions, depuis 1994, constaté le rôle du préfet. Le TPIR [15] l’avait aussi
inquiété là-dessus. Il y avait des lenteurs. C’est lorsque je me suis aperçu que le processus judiciaire
avançait et que l’accusé allait être traduit en justice que je me suis dit qu’il était temps de me
constituer partie civile.
Président : Vous allez recueillir un certain nombre d’informations qui constituent la trame du
document joint à la plainte. Peut-on dire que ce document est constitué d’informations que vous avez
obtenues parfois directement de certains témoins mais aussi parfois de manière indirecte ?
Témoin : L’immense partie des informations que je produis sont des informations qui m’ont été
données par des témoins directs. Ce sont des informations que j’ai eues au moment des faits, au
téléphone. Ce sont aussi des informations que j’ai reçues après, quand je suis revenu au Rwanda en
1995. Même avant ce jour, j’étais en contact avec mon cousin. J’ai par exemple retrouvé dans mes
archives un courrier que mon cousin m’a adressé le 12 mars 1995 dans lequel il me donnait des détails
sur l’organisation des massacres à CYANIKA et l’implication des responsables. Il cite notamment Kizito
KAREKEZI et ses frères, en démontrant comment ces personnes avaient participé au génocide. Je me
suis soucié de recueillir des informations sur l’organisation des massacres, dès le départ. Mon souci
était un souci de vérité, de mémoire et de justice.
Président : Pourquoi, dans une instruction judiciaire qui dure 22 ans, vous n’avez pas pensé
communiquer ce courrier pour qu’il soit versé à l’instruction ? Je dois avouer une certaine surprise.
Témoin : La raison est simple. Ce courrier n’évoque pas le nom de BUCYIBARUTA.
Président : Le fait est que s’agissant de votre cousin, dont il a été amplement question au cours de
l’instruction, nous avons eu des informations contradictoires. On a entendu dire que BUCYIBARUTA
avait dénoncé son chauffeur. Il s’est avéré qu’il avait en fait survécu à la période du génocide. On a
aussi entendu des informations de son épouse selon lesquelles il a conduit l’épouse de BUCYIBARUTA
pour l’enterrement de sa sœur dans le Nord du pays. Elle a évoqué aussi les conditions dans lesquelles
le retour s’est effectué. L’épouse de BUCYIBARUTA, Tutsi, sa famille a été victime de massacres et ellemême a été contrainte de se réfugier d’abord dans une paroisse puis dans un couvent. Il y a des
divergences sur la façon dont elle a pu rejoindre GIKONGORO. Vous faites état de ce qu’on aurait
fourni à votre cousin un uniforme de militaire et qu’il y aurait eu un convoi de militaires pour les
accompagner. S’agissant de la déclaration de l’épouse de BUCYIBARUTA, elle n’évoque pas cela. Dans
tous les cas, ce qu’elle indique, c’est qu’elle n’est revenue à GIKONGORO que le 19 avril. Est-ce que
cette date vous parait correspondre ?
Témoin : Pas du tout. Mon cousin m’a dit qu’ils ont quitté KIZIGURO le 8 avril.
Président : Où est-ce que ça se situe ?
Témoin : Dans le nord-ouest du Rwanda, à 200 km de Gikongoro.
Président : Le 8 avril, ça devait être dans la zone des combats, des massacres.
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Témoin : Non. Le FPR ne s’y trouvait pas. KIZIGURO se trouvait dans la commune de MURAMBI, dirigé
par Jean-Baptiste GATETE, condamné par le TPIR. C’était un bourgmestre très extrémiste. La femme du
préfet ne pouvait pas se trouver à KIZIGURO le 11 avril où elle aurait été tuée en raison de massacres
de grande ampleur. Le FPR a conquis KIZIGURO le 12 avril.
Président : Elle ne dit pas qu’elle y était.
Témoin : Le massacre à KIZIGURO a eu lieu le 11 et après, il n’y avait plus aucun Tutsi.
Président : Avez-vous une idée de la date à laquelle elle serait arrivée à GIKONGORO ?
Témoin : Le 8 avril selon mon cousin.
Président : Je pense qu’il y a un élément qui pose problème. On sait que le fils de M. BUCYIBARUTA a
été conduit par le préfet de KIBUNGO, Godefroy RUZINDANA, jusqu’à Kigali. Il a retrouvé son père le
11 avril. Il y avait la première réunion du gouvernement intérimaire avec les préfets. Modeste a pu
retrouver son père grâce au véhicule de Godefroy. Je ne suis pas certain que l’épouse de
BUCYIBARUTA ait pu arriver le 8 avril. On a un certain nombre de témoins qui font état de ce que
BUCYIBARUTA était présent à GIKONGORO et inquiet en raison de l’absence de son épouse. Est-ce
que le seul élément qui vous permette d’affirmer qu’ils sont arrivés le 8 avril sont les confidences que
vous avez reçues de votre cousin ? Confidences qui n’ont fait l’objet d’aucune note, d’aucune audition.
Votre cousin est mort en 1995.
Témoin : Mon cousin est mort en 1996. Lorsque BUCYIBARUTA est venu à la réunion à Kigali, son
épouse était déjà chez lui.
Président : Vous avez mentionné le fait que votre cousin Aloys GATABARWA aurait été hébergé
pendant quelques temps dans la maison du préfet. Je pense qu’il y a des divergences concernant la
durée de son séjour. Pendant combien de temps est-il resté selon vous ?
Témoin : Il est resté environ 5 jours.
Président : Où est-il allé au bout de 5 jours ?
Témoin : Lorsqu’il a entendu la conversation téléphonique du préfet, il a eu peur. Il est sorti par la
porte de derrière, faisant semblant de se rendre dans une toilette et s’en est allé en courant. Il est allé
se cacher chez un ami Hutu. Il est resté là jusqu’au 23 avril.
Président : Et ensuite ?
Témoin : Il a appris que les Tutsi à MURAMBI avaient été exterminés. Il a senti que la situation n’était
pas sécurisante. Son ami savait ce qui se passait aux barrières. Mon cousin a alors décidé d’aller chez
lui à CYANIKA. Sa femme était Hutu. Personne ne savait qu’il était en vie, ce qui l’a sauvé. Très
régulièrement, la journée, il se mettait dans le plafond. Les miliciens ne s’en souciaient plus, le pensant
mort. Il est resté dans sa maison jusqu’en juin, à l’arrivée des militaires. Ils l’ont amené à MURAMBI
mais il n’y avait pas de sécurité. Il est allé au camp de NYARUSHISHI.
Président : M. BUCYIBARUTA qu’avez-vous à nous dire ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je voudrais faire quelques observations. D’abord, je remercie le témoin qui a
déclaré qu’en 1982, quand j’étais candidat-député, il m’avait élu comme député. Ça je dois le remercier
parce que je ne le savais pas étant donné que le vote était secret.
Quant aux autres éléments qu’il a donnés, je vais parler de quelques-uns. D’abord, sur le trajet entre
GIKONGORO et KIZIGURO, il a dit que c’était à peu près 80 km, c’est faux, il y a environ 160 km.

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Deuxièmement, ma femme n’a pas quitté KIZIGURO le 8 avril, mais le 9 avril. Le 9 avril, quand elle a pu
quitter KIZIGURO, elle est arrivée à NYAMAGABE avec sa sœur, mon fils Modeste et d’autres membres
de sa famille qui sont allés chercher un hébergement. Quand il dit que? le 8 avril, ma femme se
trouvait à la maison, cela est faux parce que mon fils qui était avec ma femme et sa famille ne m’a
rejoint que le 11 avril? comme vous l’avez indiqué. Tous les témoins qui sont arrivés chez moi à
GIKONGORO, après le 11, ont tous dit qu’ils me trouvaient à la maison mais que ma femme n’était pas
là. C’est ce que tous ont confirmé. Elle n’est arrivée que le 19 avril.
Autre chose à préciser, c’est que le chauffeur GATABARWA était logé dans une des chambres de mes
fils et ils étaient ensemble. La maison est conçue de sorte que lorsque vous êtes dans ces chambres,
vous ne pouvez pas entendre des personnes qui parlent au salon. Donc, GATABARWA ne pouvait pas
suivre des conversations que j’ai tenues avec des personnes au salon. Par contre, quand il n’y avait plus
de visiteurs, j’appelais le chauffeur pour qu’il puisse utiliser le téléphone du salon pour parler à sa
femme à CYANIKA. Le témoin a dit que RURANGWA était le secrétaire du préfet mais quand je suis
arrivé à GIKONGORO, il ne travaillait pas dans le service rattaché à la préfecture mais dans celui du
ministère. Dès que je suis arrivé à GIKONGORO,, il n’était plus dans le service de la préfecture. Autre
chose à préciser : si j’avais voulu ôter la vie à GATABARWA, il n’aurait pas été nécessaire que je paye un
civil pour le chercher, j’aurais pu demander aux deux gendarmes qui assuraient la protection de mon
domicile.
Témoin : Je peux apporter des éléments. S’agissant de la distance entre Gikongoro et KIZIGURO, je
n’ai pas dit 80. C’est aux alentours de 200. Deuxièmement, à propos de RURANGWA, il avait été
secrétaire particulier du préfet mais en 1994, il avait changé de fonction? mais il dépendait toujours de
l’autorité du préfet. Il y a moyen de trouver l’organigramme de la préfecture. Le centre qu’il dirigeait
était sous le contrôle du préfet.
Maître LINDON : ( en D 10492 p. 18) : le nom de RURANGWA Joseph y figure.
Président : M. BUCYIBARUTA a dit que ce n’était pas son secrétaire.
Témoin : J’ai dit qu’il dépendait toujours de l’autorité du préfet.
Le ministère public : C’est en D 10854 pour le PV.
Maître LINDONC : Nous avons entendu un autre témoin qui l’a rencontré à Butare et qui a précisé
que le préfet a failli le livrer ou en tout cas, il s’est inquiété de sa sécurité quand il était chez le préfet.
Président : M. BUCYIBARUTA, selon vous, jusqu’à quand est resté votre chauffeur chez vous ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il est resté quelques jours et c’est quand j’ai eu des informations sur des
attaques éventuelles à mon domicile que je l’ai appelé. Je lui ai expliqué la situation, que je recevais
des informations que beaucoup de gens le recherchaient pour le tuer.
Président : Votre chauffeur et votre épouse sont arrivés le 19 avril. Il va rester chez vous pendant
quelques jours. Est-ce qu’il était là au moment de l’attaque de MURAMBI ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, il était bien là. Quand j’ai senti qu’il y avait des rumeurs sur la volonté
de certains de venir attaquer mon domicile, non seulement pour tuer mais aussi pour piller, parce
qu’ils savaient que la maison contenait beaucoup d’équipements, j’ai appelé GATABARWA, on s’est
entretenus et je lui ai expliqué la situation. Au lieu de périr avec nous ici, toi tu n’es pas une personne
très connue comme moi ou ma femme, mieux vaut que tu t’arranges pour aller chez quelqu’un, un de

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tes amis. Il pourra te cacher discrètement. Ici, je ne sais pas ce qui peut arriver donc il a compris. Il
n’avait pas d’arrière-pensée sur moi.
Président : Vous dites qu’il est parti après l’attaque de MURAMBI. Le 26 avril, c’est le message de
pacification. Il part avant ou après ?
Laurent BUCYIBARUTA : Juste avant. Je vous ai expliqué que mes fils l’ont accompagné jusqu’à un
certain endroit et je suis resté à la sortie arrière qui était aussi discrète pour que mon chien n’aboie pas
en entendant les gens sortir. Je suis resté à ce passage jusqu’au retour de mes fils.
Président : Vous nous avez dit qu’il était possible qu’il appelle son épouse, qui travaillait à la souspréfecture, et qu’il y avait une liaison téléphonique. Une fois parti, vous êtes-vous renseigné auprès de
son épouse pour savoir ce qu’il était devenu ?
Laurent BUCYIBARUTA: Je ne voulais pas car j’avais peur que mon téléphone soit écouté. Le service
de téléphonie écoutait les conversations. J’ai voulu rester discret. Autre chose à indiquer, c’est que je
n’ai jamais reçu de personnes à mon domicile venant faire une liste de Tutsi tués ou à tuer.
Président : Pour autant, est-ce qu’il vous est arrivé de recevoir des personnalités ?
Laurent BUCYIBARUTA : Des visiteurs qui souhaitaient me rencontrer venaient comme ils voulaient.
Président : Vous les hébergiez ou c’était de simples visiteurs de passage ?
Laurent BUCYIBARUTA : Certains venaient saluer la famille et repartaient et d’autres restaient.
Président : Le Premier ministre KAMBANDA, vous l’avez reçu à votre domicile.
Laurent BUCYIBARUTA: Oui.
Président : A quel moment ?
Laurent BUCYIBARUTA: C’était au mois de juin.
Maître LINDON : Madame Espérance MUKAMANA est la témoin dont parlait mon confrère.
Président : Quelle relation, M. BUCYIBARUTA, aviez-vous avec le prêtre NIYOMUGABO Joseph ?
Laurent BUCYIBARUTA : De bonnes relations. Il était originaire de ma région. Je le connaissais depuis
longtemps. Lorsque je me rendais dans les communes, je ne manquais pas de saluer les autorités
religieuses. A CYANIKA, je me suis rendu plusieurs fois à des cérémonies religieuses ou à des visites
simples. Il passait aussi à mon domicile. Lorsque le témoin dit qu’il m’a téléphoné pour me demander
du secours, c’est une pure invention. Je n’ai jamais parlé avec l’abbé NIYOMUGABO le 12 avril mais je
suis allé le voir le 14 avril. Contrairement à ce que le témoin a dit, je ne suis pas allé à la souspréfecture pour tenir une réunion mais je suis allé à la paroisse et au couvent des religieuses. La
question des vivres, c’est le curé qui gérait les vivres de CARITAS qui étaient entreposées à la paroisse.
Président : On sait que lors de votre visite du 14 avril, vous êtes allé non seulement voir l’abbé
NIYOMUGABO mais aussi au couvent à côté. Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Témoin : Il y a eu un appel téléphonique avec le préfet qui a dit qu’il s’occupait essentiellement de
questions liées à l’assassinat du président ; il y a ensuite eu une visite de la paroisse. Effectivement, le
14 avril, Laurent BUCYIBARUTA est allé à la sous-préfecture de KARABA. Mais à cette date, je ne
pouvais plus téléphoner. C’est peut-être la raison pour laquelle je ne sais pas si le préfet est passé le 14
avril à la paroisse. En tout cas, Bernadette m’a affirmé que le préfet est allé à une réunion. En ce qui
concerne les confidences de GATABARWA, le préfet recevait des cadres qui venaient lui exposer la
situation de ce qui se déroulait la journée. Le commandant de gendarmerie était très malade. Il avait
un sida avancé. C’est donc le capitaine SEBUHURA qui était très actif. RURANGWA détestait
GATABARWA et voulait le tuer lui-même, raison pour laquelle il insistait auprès du préfet.
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Président : Qu’est devenu ce RURANGWA ?
Témoin : Je ne sais pas, il s’est exilé au Zaïre.
Président : M. BUCYIBARUTA de quelle maladie souffrait le commandant BIZIMUNGU ?
Laurent BUCYIBARUTA: C’est la première fois que je l’entends. Normalement, quand quelqu’un est
malade, c’est le médecin ou la personne qui le dit.
Président : Il ne vous a jamais dit qu’il était malade ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non.
Président : Comment expliquez-vous que plusieurs témoins le savaient ?
Laurent BUCYIBARUTA : Peut-être avaient-ils la même source que ce témoin.
Président : Il y a au dossier des comptes-rendus de réunions dans lesquels on voit dès 1993 la
mention « Capitaine SEBUHURA en remplacement du commandant de la gendarmerie »
Maître BIJU-DUVAL : De nombreux témoins évoquent la présence du major Christophe BIZIMUNGU.
Il ne faut pas dire que personne ne le voit à GIKONGORO.
Président : Je n’ai pas dit ça. J’ai dit qu’un certain nombre de personnes avaient été informées que le
major Christophe BIZIMUNGU était malade. Quand allez-vous revenir pour la première fois au
Rwanda ?
Témoin : Je suis revenu au Rwanda en juillet 1995. Je suis resté trois mois. C’était la période où, juste
après le génocide, les destructions se voyaient. A certains endroits, les corps y étaient encore. Les
informations se collectaient beaucoup plus facilement ; les témoins avaient la mémoire fraiche et
avaient envie de parler. A cette époque, les criminels parlaient aussi, certains d’entre eux. C’était la
période facile pour pouvoir obtenir des informations clés. La préfecture de GIKONGORO est celle où le
génocide a réussi. Il y a très peu de survivants. Ils ont eu le temps de tuer et ils ont eu le temps de
préparer. Pour la préparation du génocide et sa mise en place, la nomination du préfet BUCYIBARUTA
n’a pas été le fruit du hasard. Il y avait une domination du MDR [16] à la préfecture de GIKONGORO et
le PSD [17] était le parti de l’opposition. Les deux partis politiques d’opposition commençaient à
dominer le MRND [18]. Donc la stratégie du MRND a été de nommer le préfet dans la préfecture
d’origine pour qu’il continue la mobilisation de la population hutu pour qu’elle adhère au parti. Le
préfet a été muté dans cet objectif. Il n’a pas été le seul. Le préfet qui était en poste avant Laurent
BUCYIBARUTA n’était pas très apprécié par la population ; il venait du Nord. BUCYIBARUTA est venu
pour rétablir la crédibilité du MRND et sensibiliser la population à la politique de ce parti.
Président : La période de 1992, 93 et 94 est une période au cours de laquelle il y a beaucoup de
violence entre les partis politiques. Parfois, ça peut se faire d’une façon assez musclée dans un sens
comme dans l’autre. Nous avons au dossier des éléments permettant de retenir que lorsqu’un maire
est élu, même sans étiquette MRND, le préfet a soutenu les résultats. Je ne sais pas si l’image qu’on
peut retenir du préfet Laurent BUCYIBARUTA est celle de quelqu’un qui est un fin stratège
manipulateur chargé de faire triompher à tout prix le MRND. C’est l’image que vous avez de lui ?
Témoin : Absolument. Même quand il était préfet à KIBUNGO, il a participé massivement à
l’arrestation de Tutsi qu’il accusait faussement de complicité avec le FPR. Selon les chiffres qui ont été
fournis en 1991, le gouvernement a déclaré que 8 400 personnes avaient été arrêtées pour l’accusation
de complicité avec le FPR, dont 6 120 arrêtées à Kigali. La préfecture de KIBUNGO était la deuxième,
avec 623 Tutsi arrêtés. Dans la prison de KIBUNGO, qui était sur le territoire du préfet, il y a eu de la
torture. On avait mis en place une commission de triage qui se rendait dans les prisons. La nomination
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du préfet Laurent BUCYIBARUTA s’inscrivait dans la continuité d’une pratique criminelle de répression
des Tutsi.
Laurent BUCYIBARUTA : Les préfets nommés en 1992 l’ont été par un gouvernement multipartiste
composé de plusieurs partis : le MRND, le MDR, le PL, le PSD et le PDC. C’était un gouvernement
multipartiste, ce n’est pas le MRND seul qui a nommé les préfets. Les nominations ont été examinées
en conseil des ministres et l’ensemble des ministres ont approuvé ces nominations. Les intentions que
le témoin veut me prêter, c’est une sorte d’accusation en miroir qu’il veut développer.
Questions des parties civiles
Avocat : Pouvez-vous nous relater le génocide commis en 1963 dans la région ? L’impunité qui a suivi
ces massacres a été exploitée en 1994 et notamment, le brigadier de la commune de MUHANGA est
encore en service en 1994, il organise les tueries à cette époque ; le conseiller de secteur est aussi en
vie en 1994.
Témoin : A partir de 1959 et en particulier en 1963, la population a été habituée à tuer des Tutsi en
toute impunité. En 1963, le gouvernement avait mis en place une loi d’impunité des crimes. C’était
exactement le même système, la même chaine en 1963 qu’en 1994. L’organisation des tueries visait les
Tutsi. Certains qualifiaient déjà ces tueries de génocide. Un coopérant de l’UNESCO a fait un journal
jour pour jour, il a visité CYANIKA, GIKONGORO… et a noté comment les Tutsi étaient tués chaque
jour. Il a écrit au président HABYARIMANA, à l’UNESCO et à l’ONU pour faire part de ces tueries. Il a
démissionné en disant qu’il ne pouvait continuer à occuper un poste dans un pays dans lequel le
pouvoir contribue aux tueries. Il y a un rapport du CICR. La presse internationale, notamment le
Monde, The Times, évoque qu’au Rwanda, il y a un génocide systématique qui est en train de se
dérouler. L’année 1963 est cruciale car il y a eu environ 20 000 morts. Cette tradition d’impunité a
perduré toutes ces années, ainsi que l’éducation à la haine des Tutsi. Rien ne peut justifier que le 7 avril
1994, les premières tueries se situent à GIKONGORO. Le comptable de la commune de MUKO, son
épouse, le responsable du centre de santé de MUSHUBI ; il y a environ 7 personnes qui sont tuées à
MUSHUBI le jour même de l’attentat contre l’avion.
Avocat : Ceux qui survivent dans les années 60 le doivent aux paroisses. Si BUCYIBARUTA affecte
quelques gendarmes à Cyanika, Kibeho et Kaduha, c’est qu’il savait pertinemment que les gens allaient
s’y réfugier. A quel moment, au niveau national, on a décidé qu’on allait tuer cette fois les gens dans
les paroisses ? qu’on les oriente dans les paroisses pour les faire tuer ? On utilise même des
mégaphones pour inciter les gens à se regrouper.
Témoin : La décision d’exterminer les Tutsi ne date pas de 1994. Déjà? quand on observe les discours
tenus par des extrémistes Hutu dès 1992, c’est clair. La décision date déjà de 1992. C’est l’année où ce
système de répression se met en place. Le 21 septembre, l’armée rwandaise sort un document signé
par le chef d’état-major qui définit qui est l’ennemi ; il est dit que l’ennemi du Rwanda est le Tutsi et
que le complice de l’ennemi, c’est toutes les personnes qui apportent une assistance aux Tutsi. Ce
document a été l’un des facteurs qui s’ajoute aux autres et qui montre que la décision de tuer date de
1992. Lorsque 1994 arrive, la mécanique est en place. Souvent, dans ces endroits où on avait réuni les
Tutsi, on faisait le recensement. Les autorités recensaient pour s’assurer que tous les Tutsi connus
étaient à cet endroit. L’assaut final était lancé quand on était sûr qu’ils y étaient tous. C’est pour cela
que RURANGWA voulait savoir où était GATABARWA.

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Maître GISAGARA : Est-ce que la question du langage du génocide est une question que vous avez
étudiée ?
Témoin : Oui, dans le génocide, on a souvent utilisé un langage codé mais les rwandais comprenaient
très bien. Par exemple, « travailler » signifiait « tuer ». Ce recours à un langage codé, mais que la
population connaissait très bien, a été utilisé. Les médias utilisaient aussi ce langage. L’identification du
Tutsi comme l’ennemi avait déjà été utilisée.
Avocat : Nous avons parlé du document de 9 pages joint à la plainte. Quand l’avez-vous rédigé ?
Témoin : En décembre 1997. Je revenais du Rwanda pour mon troisième séjour. J’ai réuni toutes les
informations que j’avais. Mais je ne savais pas où l’envoyer. Le document, je l’ai gardé. En 1999, j’ai
contacté l’association SURVIE. Je l’ai donc retravaillé en 1999, mis à jour et remis à SURVIE. Elle a alors
contacté la FIDH et j’ai été mis en contact avec Maître BOURDON.
Avocat : A l’époque, vous êtes étudiant, vous avez 31 ans, vous n’êtes membre d’aucune commission.
Témoin : Je suis un simple étudiant, un citoyen ordinaire. J’étais en deuxième année de faculté de
droit, je n’étais pas boursier. Je ne suis affilié à aucune appartenance.
Avocat : Vos motivations réelles ont été soulevées par le conseil de l’époque. Quelles étaient vos
motivations lorsque vous avez commencé à entendre des personnes par vos propres moyens sur ce
qui s’est passé dans votre commune ?
Témoin : C’est quelque chose d’ordinaire. 84 personnes de ma famille sont mortes. C’est une réaction
d’humanité, je voulais savoir comment ces personnes avaient été tuées, par qui, dans quelles
circonstances. C’est un devoir de mémoire pour pouvoir faire le deuil. C’était l’unique motivation.
Même actuellement, c’est l’unique motivation : vérité, mémoire, justice.
Avocat : Vous avez été le secrétaire général de la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide.
Les documents qui avaient été récoltés par cette commission remis aux juridictions françaises ont-ils
été vérifiés par les juges d’instruction ?
Témoin : L’ancienne commission nationale a hérité des documents, jugements et autres dossiers des
juridictions Gacaca [19]. Ces documents ont été donnés aux juridictions françaises mais aussi au TPIR,
aux autorités belges, finlandaises, suisses… Nous donnons des photocopies mais l’authenticité des
documents est bien vérifiée.
Questions de la défense
Maître BIJU-DUVAL : Vous êtes ministre de l’union nationale et de l’enseignement civique [20]. Vous
avez le souci d’enseigner l’histoire du génocide aux jeunes générations?
Témoin : Oui, ça fait partie de notre mission.
Maître BIJU-DUVAL : En votre qualité de ministre originaire de la préfecture de Gikongoro, lorsqu’il y
a des commémorations annuelles, j’imagine que vous allez sur les lieux pour rappeler à la population
ce qui s’est passé.
Témoin : Oui.
Maître BIJU-DUVAL : Vous dénoncez les responsables du génocide commis sur la préfecture de
Gikongoro.
Témoin : On ne peut pas parler du génocide sans parler de ses auteurs.
Avocat : Quand vous rappelez à la population ce qui s’est passé pendant le génocide, vous expliquez
ce qu’a été selon vous la responsabilité du préfet BUCYIBARUTA ?

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Témoin : Les témoins directs sont les premiers à évoquer la responsabilité directe du préfet, qu’ils
soient rescapés ou auteurs.
Maître BIJU-DUVAL : Vous-même, vous rappelez à la population quels ont été les faits et les
responsables.
Témoin : Les interventions que je fais sont publiques.
Maître BIJU-DUVAL: Est-ce que dans le cadre de vos fonctions vous vous êtes trouvé en situation de
superviser l’édification du mémorial à Murambi [21] ?
Témoin : J’ai été secrétaire exécutif de la CNLG de mars 2015 à août 2021. Quand j’ai pris mes
fonctions, le mémorial existait déjà.
Maître BIJU-DUVAL : Et vous étiez sénateur de 2012 à 2015.
Témoin : Exact.
Avocat : En qualité de sénateur originaire de Gikongoro, vous n’avez pas participé à l’édification du
mémorial ?
Témoin : J’ai été sénateur à partir de 2012. Encore une fois, le mémorial y était déjà.
Maître BIJU-DUVAL : Le texte qui a été joint à la plainte est exclusivement centré sur BUCYIBARUTA.
N’est-ce pas dans un but particulier que vous le rédigez et vous le transmettez à SURVIE ?
Témoin : C’était dans un souci de justice. Le préfet Laurent BUCYIBARUTA est venu en France pour
demander l’asile politique. A ma connaissance, cet asile est réservé aux personnes persécutées et non
auteurs de crimes. Lorsque j’apprends que quelqu’un qui est suspecté de génocide, de l’avoir prévu,
commis, dans ma préfecture d’origine, qui a emporté mes parents, mes frères, j’ai voulu agir.
Maître BIJU-DUVAL : Étaient également joints à la plainte de la FIDH deux dépositions en
kinyarwanda accompagnées d’une traduction partielle faite par un universitaire rwandais. Est-ce vous
qui avait effectué cette traduction ?
Témoin : Il y a des milliers d’universitaires rwandais. Est-ce que mon nom figure sur cette traduction ?
J’ai traduit un certain nombre de documents. J’avais un cabinet d’expertise de 2005 à 2008 qui
traduisait des documents. Il est possible que dans le cadre de ce marché de contrats j’ai pu traduire
des documents. J’étais étudiant à Toulouse en 2000. Je n’ai pas traduit les documents de 2000.
Maître BIJU-DUVAL: Vous êtes le premier témoin entendu dans cette préfecture. Vous dites dans
votre déposition que vous ne faites que rapporter des informations que d’autres vous ont transmises.
Témoin : Je ne suis pas à l’origine des poursuites. Le parquet de Gikongoro avait déjà commencé une
enquête sur les responsables du génocide à Gikongoro. Si ce n’est pas allé plus loin, c’est parce que la
justice rwandaise s’est concentrée sur les personnes qui étaient sur place. Ensuite, j’ai recueilli des
informations qui m’ont été fournies après le génocide. Je précise dans le document qu’il revient à la
justice d’enquêter et d’établir la matérialité des faits.
Maître BIJU-DUVAL : Dans votre déposition, vous citez des informations transmises par Juvénal
GASASIRA. Il a été entendu à plusieurs reprises et dit très clairement qu’il n’a pas vu le préfet. Vous
rapportez des propos qui sont démentis ensuite par les intéressés eux-mêmes.
Témoin : Vous l’avez bien dit, Juvénal GASASIRA est mort. Il n’est pas là pour évoquer ce souvenir. Ce
qu’il m’a rapporté c’est ultérieurement, après le génocide. Je rapporte des faits tels qu’ils m’ont été dits
à ce moment-là.

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Maître BIJU-DUVAL : Vous avez participé à la procédure française en coopérant avec les enquêteurs
français et en transmettant certains documents. Est-ce que vous avez transmis tous les documents
administratifs de l’ex-préfecture de Gikongoro de 1992 à 1994 ?
Témoin : La CNLG collaborait avec la défense et avec tout le monde, de façon égale. On est détenteurs
de documents, on les donne quand ils sont demandés. Tous les documents, on ne les a pas. Il y a un
certain nombre de documents qui ont été détruits ou emportés par l’ancien gouvernement. Les
documents qu’on a trouvés, on les a donnés. En 1994, les archives ont été pillées.
Maître BIJU-DUVAL : Je vous demande si vous avez transmis tous les documents que vous aviez à ce
moment.
Témoin : J’ai donné la réponse.
Maître BIJU-DUVAL : Est-ce que vous connaissez Jonas KANYARUTOKI ?
Témoin : C’est la première fois que j’entends parler de ce nom. C’est qui ?
Maître BIJU-DUVAL : C’est un témoin qui a comparu devant cette cour à votre demande.
Témoin : Je n’ai jamais demandé à cette personne d’intervenir à ma demande. C’est dans la procédure.
Maître BIJU-DUVAL: Vous avez dit que l’abbé NIYOMUGABO vous a parlé d’une réunion. Était-il
présent ?
Témoin : Il a reçu l’information de réfugiés.
Maître BIJU-DUVAL : C’est donc un témoignage indirect. Le 10 avril, vous indiquez que l’abbé a
téléphoné au préfet Laurent BUCYIBARUTA pour lui demander de l’aide. Le préfet se serait rendu le
jour-même à la paroisse. Il y aurait eu une réunion à la sous-préfecture de KARABA où il aurait été
conclu que les Tutsi devaient être placés ensemble. Nous avons au dossier un extrait de la radio disant
que la réunion du 10 avril a été tenue à la préfecture.
Témoin : Ce n’est pas contradictoire. C’est une période à laquelle il y avait beaucoup de réunions. Les
réunions ont lieu le même jour puisque c’est à 10 minutes de voiture.
Maître LEVY: Dans votre déclaration spontanée, vous parlez d’une réunion avec le sous-préfet de
KARAMA. L’abbé NIYOMUGABO était présent?
Témoin: Je n’étais pas au Rwanda.
Monsieur le président, au cours de la journée, va lire les dépositions de témoins qui sont décédés
ou qui n’ont pu être entendus, dont celle de monsieur Viateur HIGIRO mort en prison le 10
janvier 2020, de Romuald NZIGIYIMANA, décédé le 18 janvier 2021.

Audition de madame Laurence DAWIDOWICZ, représentant l’association SURVIE [22].
Survie est une association d’un millier d’adhérents composée de 25 groupes locaux dans de
nombreuses régions de France. Elle ne touche pas de subventions publiques. Les avocats qui nous
représentent pour ce procès, Me Hector Bernardini et Me Jean Simon, ont travaillé à titre gracieux –
probono – et nous les remercions de leur engagement à nos côtés.
Survie a été créée il y a un peu plus de 30 ans quand des personnes se sont mobilisées un peu partout
en France pour lutter contre la misère et la faim entretenue au Sud par des mécanismes de domination
économique, politique, militaire et par notre indifférence. Cela faisait suite au « Manifeste-appel contre

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l’extermination par la faim », signé dès son lancement par cinquante-cinq Prix Nobel. Ils proposaient
une réforme de l’aide publique au développement. Au même moment, en Italie ou en Belgique, les
mêmes campagnes, amenaient les gouvernements à augmenter leurs aides. Pourtant, en France, le
projet de loi n’était même pas proposé au débat du parlement, et ce malgré le soutien de nombreux
parlementaires.
C’est la période où les membres de Survie ont compris que le financement de partis politiques français
de premier plan se faisait au moyen de détournements de ces aides, récupérées partiellement en sousmain, depuis les dictatures d’Afrique francophone. Cette prise de conscience a amené Survie à militer
pour assainir les relations entre la France et les pays africains. L’association a donc évolué. Elle a
conservé ses méthodes d’interpellation à la fois de l’opinion publique, de tout un chacun, et des
responsables politiques pour obtenir des réponses institutionnelles.
En 1992-93, les associations de défense des droits de l’Homme rwandaises alertent les pouvoirs
publics d’exactions graves. En réponse à un tel courrier monsieur BUCYIBARUTA rappelait à l’ordre
l’une de ces associations, la LICHREDHOR, monsieur le Président l’a évoqué, en lui demandant si des
enquêtes avaient été diligentées à ce moment-là. Monsieur Bucyibaruta ne s’en rappelait plus. Or le
silence et l’inaction des pouvoirs publics rwandais étaient manifestes. C’est pourquoi un collectif
d’associations rwandaises (le CLADHO) a alerté ses supports internationaux du risque de survenue d’un
génocide des Tutsi du Rwanda.
Une mission internationale s’est constituée avec des représentants de la Fédération Internationale des
ligues des droits de l’Homme (FIDH), d’African Rights, de la branche africaine de Human Rights Watch
(HRW), de l’Union interafricaine des Droits Humains et du Centre international des droits de la
personne et du développement démocratique. Jean Carbonare, à l’époque président de Survie, s’est
joint à cette mission.
Jean Carbonare en a rendu compte à la cellule africaine de l’Elysée, et a remis un pré-rapport de
mission. Le soir même il intervenait en direct lors du journal de 20h de France 2. A l’Élysée comme
devant les téléspectateurs, il a alerté sur le risque de survenue d’un génocide organisé par des
autorités rwandaises, autorités que la France soutenait. Il était encore temps de changer de politique.
Notre association a été effarée de constater que l’exécutif français continuait à soutenir l’armée
rwandaise puis le Gouvernement Intérimaire, le GIR, pendant le génocide et même après sa chute.
Durant le génocide, d’avril à juillet 1994, les adhérents de Survie et leurs amis se sont mobilisés, dans
les groupes locaux comme à Paris : conférences de presse, communiqués, actions concrètes comme la
marche en rond qui a eu lieu aux Invalides, à Paris mais aussi dans d’autres villes. Ils tournaient en rond
pendant des semaines pour dénoncer un monde qui ne tournait pas rond à être ainsi indifférent au
pire.
Ils n’étaient pas nombreux ceux qui s’intéressaient au Rwanda en 94.
Dès octobre 1994, François–Xavier VERSCHAVE qui succédera à Jean CARBONARE comme président
de Survie à partir de l’assemblée générale de 1995, a écrit un premier livre : « Complicité de

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génocide ? [23] » Parallèlement, la déléguée du président, Sharon COURTOUX, recevait des
témoignages de rescapés et de leurs familles vivant en Europe.
A partir de cet événement du génocide des Tutsi, l’association a changé, nous en avons fait un combat
fondateur. Cela fait plus de 28 ans que nous luttons pour que de tels actes ne se reproduisent pas, que
nous luttons pour la vérité et la justice, contre l’impunité et le silence. L’association a pris conscience
de l’indifférence mais aussi de la complicité des plus hautes autorités françaises, du risque que ce
génocide soit occulté, nié, et avec lui la mémoire des victimes, la culpabilité des auteurs et complices.
Depuis 1994, le combat des militants se poursuit sur nos heures de liberté, de sommeil, nos weekends, nos soirées. Des milliers de personnes se sont relayées, d’âge divers, de milieux sociaux variés.
Certains n’avaient aucun lien avec le Rwanda. Certains connaissaient le Rwanda, ou avaient rencontré
des rescapés. Certains portaient dans leur histoire personnelle le refus de l’impunité. Certains étaient
des chercheurs voulant comprendre ou des citoyens voulant simplement assainir la politique menée en
leur nom. Bref, des personnes qui se sentaient concernées par les crimes contre l’Humanité et le
génocide, parce que ces crimes concernent tout être humain. Beaucoup de nos membres n’avaient pas
20 ans en 1994, ils ont décidé, tout comme moi, que ce combat était le leur. Et qu’il fallait agir.
Ainsi nous nous sommes alliés à d’autres associations, petites ou grandes, pour participer à la Coalition
Française pour la cour Pénale internationale (CFCPI), et multiplier les pressions pour que la Cour Pénale
Internationale existe, pour que la justice existe contre les bourreaux qui ont commis ou facilité des
crimes contre l’humanité.
Nous avons en 2004 contribué à une Commission d’Enquête Citoyenne sur les responsabilités de la
France au Rwanda en 1994, avec de nombreux partenaires. Nous avons continué à écrire, à publier, à
rencontrer les simples citoyens lors de projections débats pour partager avec eux ce que nous avions
appris, mais aussi nos questions, nos indignations.
Nous avons changé les statuts de l’association pour pouvoir rester en justice. La lutte contre la
banalisation du génocide a été introduite dans les objectifs statutaires de Survie. Être partie civile dans
de tels procès, c’est mettre la lutte contre l’impunité au cœur de notre démarche car l’impunité pour
les victimes et leurs proches, c’est continuer à se faire narguer par leurs bourreaux, c’est être menacé
s’ils témoignent, c’est ne pas reconnaitre leurs souffrances, la mort atroce de leurs proches.
La conséquence de l’impunité pour les tueurs et pour ceux qui les ont armés, c’est un encouragement
à perpétrer à nouveau le crime, à utiliser à nouveau la haine comme moyen de gouverner. Le génocide
des Tutsis rwandais de 1994 a été possible entre autres parce que les meurtriers des tueries
précédentes n’avaient pas été arrêtés, jugés et condamnés.
Dans les premiers jours du procès, lors de l’intervention de monsieur SEMELIN, citant les propos des
experts comme Alison DES FORGES, monsieur le Président a dit « le plus important, c’est le sentiment
d’impunité. Il me semble que c’est un moteur puissant, le fait de se dire que je peux agir, tuer, violer,
voler, je peux le faire parce que je sais qu’il y a eu dans le passé des actes similaires et qu’il ne s’est rien
passé. »
Et Monsieur SEMELIN a répondu : « …. je vais encore dans votre sens mais il faut se garder de ne parler
que de l’impunité. Dans un État de droit, l’État en principe protège tous les individus. Mais dans cette

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situation, l’État a levé cette protection. C’est un changement radical de la politique de l’État. »
La France est hélas toujours une terre d’accueil pour un grand nombre de personnes suspectées
d’avoir commis ou d’avoir été complices de crime de génocide au Rwanda en 1994. Nous avons été
parties civiles lors des premiers procès en France de personnes accusées de génocide et de complicité
de crime contre l’Humanité : en 2014 et en appel en 2016 les procès de Pascal Simbikangwa, en 2016
et en appel en 2018 les procès des deux bourgmestres Octavien Ngenzi et Tito Baharira.
Notre présence à ce procès n’est ni une revanche ni une vengeance. C’est une étape nécessaire pour
faire avancer la vérité, pour obtenir justice. Pour que les enfants des victimes ne tremblent plus en
entendant les sifflets comme ceux des Interahamwe qui poursuivaient leurs parents. Pour que les
enfants des tueurs sachent que le cycle s’est arrêté là.
Peut-être aussi pour l’association avons-nous besoin de savoir que nous ne nous sommes pas
mobilisés en vain pour que ce génocide reste dans la conscience de nos concitoyens, et que nous
pouvons aujourd’hui nous en remettre à cette Cour d’Assises, à vous, magistrats professionnels et
jurés, qui allez prononcer votre verdict au nom du peuple français.

Fanny LABRUNIE
Alain GAUTHIER
Jacques BIGOT

References
↑1

Association SURVIE, partie civile.

↑2

En 2014 : le Sabre et la Machette – officiers français et génocide tutsi aux Éditions Tribord et
en 2020 L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Raphaël Doridant et François
Graner, Agone, coll. « Les dossiers noirs », février 2020.

↑3

La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994 – Rapport remis au Président de la
République le 26 mars 2021.

↑4

L’ambassadeur MARTRES témoignera devant la Mission parlementaire que « le génocide était
prévisible dès cette période [fin 1990], sans toutefois qu’on puisse en imaginer l’ampleur et
l’atrocité. Certains Hutus avaient d’ailleurs eu l’audace d’y faire allusion. Le colonel
SERUBUGA, chef d’état-major adjoint de l’armée rwandaise, s’était réjoui de l’attaque du FPR,
qui servirait de justification aux massacres des Tutsis ».

↑5

DGSE, « Rwanda. Éléments d’information », fiche particulière no 18149/N, 18 février 1993

Page 618 sur 711

↑6

André Guichaoua, Rwanda. De la guerre au génocide, La Découverte, 2010, p. 376
Rafaëlle Maison, Pouvoir et génocide dans l’œuvre du Tribunal pénal international pour le
Rwanda, Paris, Dalloz, 2017, p. 68-69.

↑7

Thierry Jouan, « Une vie dans l’ombre », Rocher, 2012, p 235.

↑8

Général Didier Tauzin, Rwanda. Je demande justice pour la France et ses soldats, JacobDuvernet, 2011, p. 146.

↑9

Général Raymond GERMANOS, Ordre d’opérations de Turquoise, 22 juin 1994, in Assemblée
nationale, Enquête sur la tragédie rwandaise, t. II « Annexes », p. 387

↑10

Entretien de François GRANER avec l’amiral Jacques LANXADE, 22 août 2018.

↑11

Michel Cariou (AFP), Rwanda : l’accueil « spontané » des soldats français, Le Figaro, 28 juin
1994 : « Le but de cette réunion est de condamner le FPR et de préparer l’arrivée des militaires
français », explique le préfet Laurent Ducyidaruta [Bucyibaruta]. « Il faut aussi mobiliser la
population contre notre ennemi le FPR », ajoute-t-il.

↑12

Lieutenant-colonel Jacques Hogard, « Les larmes de l’honneur : 60 jours dans la tourmente du
Rwanda », Hugo doc, 2005, p. 44-45.

↑13

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse
et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président
HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

↑14

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑15

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution
955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).

↑16

MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire

↑17

PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté
dans le Sud, voir glossaire

↑18

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé
par Juvénal HABYARIMANA.

↑19

Gacaca
: (se
prononce «
gatchatcha
»)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en
raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre
pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation,
les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en
contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000
tribunaux gacaca avant
leur
clôture
officielle
le
18
juin
2012.
Cf. glossaire.

↑20

plus exactement « ministre de l’unité nationale et de l’engagement citoyen » selon France
Diplomatie.

Page 619 sur 711

↑21

Mémorial de Murambi : visite virtuelle

↑22

Association SURVIE, partie civile.

↑23

Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, 1994, François–Xavier
VERSCHAVE, La Découverte, 178 p.

Page 620 sur 711

Procès de Laurent BUCYIBARUTA du lundi 4
juillet 2022. J 36
06/07/2022

Journée consacrée aux intervention des parties civiles: Etienne NSANZIMANA pour l’association
IBUKA, Alain GAUTHIER au nom du CPCR, association partie civile, Dafroza GAUTHIER, cofondatrice du CPCR, elle-même partie civile. L’audition de Silas NSANZABAGANWA sera reprise
en visioconférence du Rwanda. Il restait des questions à poser au témoin. La journée se
terminera par le début de l’interrogatoire de l’accusé.
• Audition de monsieur Etienne NSANZIMANA, président d’IBUKA, association partie civile.
• Audition de monsieur Alain GAUTHIER, président du CPCR, membre fondateur du CPCR,
association partie civile.
• Audition de madame Dafroza MUKARUMONGI GAUTHIER, partie civile, membre fondateur du
CPCR.
• Reprise de l’audition de Silas NSANZABAGANWA. En visioconférence du Rwanda.
• Interrogatoire de l’accusé

Audition de monsieur Etienne NSANZIMANA, président d’IBUKA, association partie civile.
Je suis ici non pas pour plaider, car je n’en ai ni le talent ni le mandat aujourd’hui. Je viens représenter
l’association IBUKA France dont je suis le président. Ibuka en français se traduit par «Souviens-toi ».
Cette une association de droit français créée en 2002, nous sommes donc aujourd’hui dans notre
20ème année. Elle a pour mission de perpétuer la mémoire du génocide contre les Tutsi, la justice et le
soutien aux rescapés du génocide. Les membres d’Ibuka dont les rescapés que j’ai l’honneur de
représenter aujourd’hui, ayant moi-même survécu à ce génocide, tiennent beaucoup à la justice.
L’intitulé de l’association est « IBUKA, Mémoire et Justice et soutien aux rescapés du génocide ». Nous
aurions pu ne pas mettre le mot justice dans le titre car la justice devrait faire partie de la mémoire.
Pour nous, le contraire du mot oubli n’est pas seulement mémoire mais aussi justice.
Ça fait des semaines que vous êtes instruits, que vous accumulez du savoir sur les évènements du
Rwanda. Ces connaissances vont vous servir à prendre vos décisions mais vous aussi servir, pour ceux
qui n’avaient pas encore d’armes assez fournies, pour comprendre le génocide. Le manque de justice
contre ceux qui ont commis des massacres en 1959 a permis qu’il recommencent en 1962, puis en
1963. Cette impunité continue a permis les meurtres et la chasse aux Tutsi en 1973 et les massacres
dans le pays en 1992, dans le Bugesera ou à Murambi de Byumba. Cela aide à comprendre pourquoi il
a suffi qu’un avion tombe pour que nos voisins, parfois des personnes avec lesquelles ont avait
partagé un match de foot ou un verre la veille, se regroupent et nous tuent et cela d’une façon
systématique sans attendre que la machine de l’état vienne en renfort, sauf dans les lieux où la
résistance était forte.
Personne ne vous fera le reproche de ne pas comprendre les sentiments des rescapés.

Page 621 sur 711

Monsieur le président, quand vous survivez à un génocide, lorsque vous avez fait l’objet d’un projet
d’extermination, la perception et la position dans la société est déstructurée. Cela se fait dans la
société et au niveau individuel. Quand vous survivez à un projet d’extermination, je l’ai constaté quand
on fait des interventions dans des écoles, parfois avec des survivants de la shoah. Quand on arrive à
mettre des mots sur les choses, tout en évitant de faire des comparaisons, on se surprend à trouver
des similitudes frappantes. Les mots, le vocabulaire utilisé pendant le génocide, tout ce qui se passe
après, la position dans l’espace public n’est plus la même. Un chien qui aboie, le son d’un sifflet, un
outil du quotidien comme une machette, un coupe-coupe, n’est plus du tout perçu de la même façon,
que vous soyez survivant d’un génocide ou pas. Vous êtes dans l’obligation de vous réinventer,
d’imaginer une nouvelle vie.
Je fais une digression pour signaler que nous sommes aujourd’hui le 4 juillet, jour officiel de la fin du
génocide au Rwanda, de la libération. Lorsque cette journée a lieu, les personnes se sentent revivre
mais cette construction a été longue, monsieur le président, et continue aujourd’hui. Dans
l’association, nous avons encore des personnes qui nous approchent avec des cas de traumatisme
sérieux.
Il faut comprendre que des fosses communes continuent d’être découvertes au Rwanda. Certaines
personnes qui sont soupçonnées d’avoir participé au génocide sont toujours en liberté ou en attente
de jugement. 28 ans après, la plupart de ces personnes sont diminuées physiquement mais quand
nous les croisons, nous les voyons au jour où elles étaient en pleine vigueur, où elles incarnaient la
force et inspiraient la crainte. Des personnes plus âgées que moi pourront me compléter mais j’étais
assez grand au moment du génocide, j’ai vu le chemin qui conduisait au génocide, lorsque je ne
pouvais pas prétendre à aller dans une école publique, quand on ne pouvait pas aller voir la famille qui
habitait à l’étranger, et qu’elle ne pouvait pas non plus venir sans craindre d’être arrêtée ou nous
mettre en danger. Le 7 avril 1994, quand l’avion du président HABYARIMANA tombe et que les appels
au génocide à la radio deviennent plus explicites, je me souviens entendre mes parents dire: » Ca y
est, ça recommence ». Je pouvais dire « mais qu’est ce qui recommence ? pourquoi vous ne m’avez pas
expliqué tout ça ? » C’est très important pour nous de comprendre. Moi qui suis citoyen français
comme beaucoup de membres de l’association, qui vivons ici et sommes des parents, mais qui
maintenons des attaches au Rwanda, nous voulons nous assurer que jamais de la vie on n’aura à dire à
nos enfants « ça y est, ça recommence. »
Je me permets de remercier beaucoup nos avocats ; des personnes d’autres associations qui se battent
avec acharnement pour constituer des dossiers et amener des personnes devant la justice ; je remercie
la justice française, même si c’est très compliqué de nous satisfaire entièrement. Je ne sais pas s’il y a
une mission plus difficile que la vôtre de sentir que vous pouvez rendre justice mais que les personnes
pour qui vous rendez justice ne seront jamais satisfaites. Vous ne voyez pas beaucoup de rescapés
assister au procès. C’est très difficile pour eux d’entendre ces mots, les témoignages, les lectures que
vous avez pu faire, ils vivent dedans depuis 28 ans. Les survivants du génocide n’ont pas besoin d’une
date ; tous les jours, il suffit de sentir un parfum, d’entendre une musique, ça matérialise une personne
qu’ils ont perdue.

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Souvent lors des journées de commémoration, on demande une minute de silence. Pendant cette
minute, comme on ne peut pas fermer les yeux et voir tous les membres de nos familles tués. On se
focalise sur une seule personne, on la voit, elle nous accompagne pendant cette journée. Quand nous
réclamons justice c’est souvent aussi à cette personne que l’on dédie ce travail symboliquement.
Je voulais juste dire, pour terminer, que la définition d’un génocide ne peut pas se résoudre pour nous
à celle proposée par Lemkin en 1944. Parfois on pourrait le résumer par ces mots d’un rescapé : «
ferme les yeux… ouvre les, voilà c’était ça », il n’y avait pas de mots, c’était des cris déchirants, des
silences pesants, des odeurs tenaces, des pleurs d’enfants. Beaucoup de choses et aucune définition
simpliste.
Question du président
Président : Vous avez dit être un rescapé. Est-ce que vous et votre famille ont des liens avec ce que
nous avons à juger aujourd’hui ?
Témoin : Ma famille, que ce soit proche ou élargie, habitait à Kigali donc très éloigné de l’endroit où
ça s’est passé.
Questions du juge assesseur
Juge : Un témoin portait un logo gris. Était-ce votre association ?
Témoin : Nous avons un emblème constitué avec le feu de la mémoire, ce n’est pas IBUKA France mais
IBUKA Rwanda. Il arrive que des membres d’IBUKA ici le portent aussi.

Audition de monsieur Alain GAUTHIER, président du CPCR, membre fondateur du CPCR,
association partie civile.
J’interviens en qualité de président du CPCR, mais aussi en famille de victime car la grande partie de la
famille de mon épouse a été exterminée à Kibeho et dans d’autres parties du Rwanda.
Mr le Président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais essayer de procéder de manière très
chronologique. Mon histoire personnelle est très liée à celle du Rwanda.
Je me permets de commencer par une anecdote qui pour moi n’en est pas une. En 1962, j’ai 13 ans, je
suis en classe de 5ème et un missionnaire des Pères blancs vient nous présenter un documentaire sur
les martyrs de l’Ouganda. Je me surprends à la fin de cette présentation d‘écrire un petit mot au prêtre
qui est là et lui dire je veux être comme vous. Il me calme et me dit qu’on se reverra dans quelques
années. En 1968, je pars au sein de la société des Pères blancs à l’université de Strasbourg en faculté
de théologie, Strasbourg étant une université nationale sous contrat, ce qui permet d’obtenir des
diplômes nationaux.
A la fin de 1968, il est temps pour moi de penser au service militaire. J’avais toujours opté pour la
coopération. On nous propose, on est 3, des postes d’enseignants au Rwanda. C’est un pays dont je
n’ai jamais entendu parler. Nous voilà partis pour le Rwanda. Quand on arrive à Butare, là où l’évêque

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nous attend, un de nous est nommé à KABGAYI, à côté de Gitarama, un second au séminaire des ainés
de CYANIKA et moi-même au petit séminaire de SAVE, sur la route de Kigali à Butare.
Je rencontre les équipes enseignantes déjà formées. Je me rends compte qu’il y a deux groupes
distincts : d’un côté, les professeurs rwandais à la tête desquels il y a un vieux professeur de latin,
Xaveri NAYIGIZIKI, un Hutu royaliste, qui m’apprend l’essentiel de ce que j’ai connu à l’époque sur le
Rwanda et une communauté de Frères flamands, qui ont été chassés du Congo. Je me rends compte
qu’il n’y a aucun contact entre ces groupes. J’apprendrai plus tard que j’ai été nommé pour faire le
tampon entre ces communautés. Toutefois, les Frères flamands ne m’ont jamais invité dans leur
communauté. Dans cette équipe, il y a aussi 3 professeurs, dont Madeleine RAFFIN. Je suis collègue de
Madeleine RAFFIN pendant 2 ans.
Le 1er mai 1972, alors que j’appartiens à une équipe de football, on décide d’aller faire un match
à BUJUMBURA et comme j’ai un problème avec mon passeport, c’est un commerçant grec qui me fait
passer la frontière. On n’avait pas fait 10 km qu’il y a un premier barrage. La veille, il y avait eu un coup
d’État au Burundi. Je me retrouve là, sans papier, contrôlé par les militaires. Par miracle, tout se passe
bien. On se réfugie au grand séminaire. Au bout d’une semaine, les soldats burundais nous
raccompagnent à la frontière, en passant par UVIRA, au Congo, puis en remontant par BUKAVU et
CYANGUGU. Pendant ce court séjour, j’ai vu des camions de cadavres circuler dans la ville, j’avais 22
ans à l’époque.
En juillet 1972, je rentre en France mais j’ai décidé d’arrêter les études de théologie. Je décide de faire
des études de Lettres. Je me retrouve à l’université de Nice, où j’avais quelques amis. L’année suivante,
je rejoins Grenoble, mon université d’origine, étant originaire de l’Ardèche, et je termine mes études
dans cette université.
En août 1974, le père Henri BLANCHARD, qui était à CYANIKA en 1963 pendant le « petit génocide »,
vient en vacances dans sa famille dans la Loire. Je l’avais très bien connu. Il me dit que quelqu’un que
je connais passe chez lui. C’était une jeune rwandaise que j’avais connue. J’ai passé une semaine avec
elle. C’est Dafroza, qui devient mon épouse en 1977.
En 1976, ayant terminé mes études, j’essaie de trouver un poste le plus près possible de la frontière
belge, mon épouse étant réfugiée politique. Je trouve un poste de professeur de français dans un petit
village de l’Aisne, à NOTRE-DAME DE LIESSE En août 1977, on se marie. Nous aurons 3 enfants entre
1980 et 1988. On mène la vie banale de toute famille, sans problème majeur.
En septembre 1980, je demande ma mutation et je trouve un poste de français à Reims. Rapidement,
les religieuses qui dirigent le collège me demandent de devenir directeur. Je fais la formation et en
1983, je deviens le directeur du collège puis du lycée professionnel. JEANNE d’ARC.
Entre 1977 et 1989, on fait de nombreux voyages au Rwanda pour visiter notre famille, notamment la
mère de mon épouse. On y passe au début tous les ans puis quand on a des enfants, moins

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régulièrement. En 1990, c’est l’attaque du FPR, nous ne pourrons plus retourner au Rwanda pour des
raisons de sécurité.
En janvier 1993, c’est l’intervention de Jean CARBONARE qui alerte les politiques mais aussi les Français
sur ce qui se passe au Rwanda. Il faisait partie de la Commission d’enquête de la FIDH, celle dont nous
a parlé maître Éric GILLET. Immédiatement, j’écris à François MITTERRAND pour lui demander ce que
fait la France dans ce conflit. Je reçois une réponse de l’Élysée le 15 février, qui transmet mon courrier
au ministère des affaires étrangères. Je reçois aussi début mars un courrier des Affaires étrangères qui
me dit ce que fait la France, l’opération Noroît, que la France fait son possible pour apaiser les
tensions.
Le 7 avril 1994, à mon réveil, j’apprend la nouvelle: l’avion du président HABYARIMANA a été abattu le
veille. Je réveille mon épouse pour lui annoncer la nouvelle.
Le 8 avril, de mon bureau, j’appelle le Père BLANCHARD, alors curé de la paroisse de NYAMIRAMBO à
KIGALI. J’apprends alors que la maman de DAFROZA a été assassinée dans la cour de la paroisse, dans
la matinée. C’est la paroisse Charles LWANGA et ses Compagnons, martyrs de ’l’Ouganda, celle dont
j’ai parlé au début de mon intervention. Rentré à la maison, j’annonce la nouvelle à ma famille réunie
dans le salon. Notre fils EMMANUEL, 11 ans, n’aura qu’une parole: « Maman, je te vengerai. »
Pendant toute cette période, on se bat pendant 3 mois. J’écris une tribune pour dénoncer le génocide
à tous les grands journaux. C’est le journal La Croix qui le publie assez rapidement. Début avril, nous
apprenons l’arrivée de Mme HABYARIMANA en France. Je dénonce cet accueil. C’est le journal
Libération qui reprend la nouvelle. Entre le 7 avril et le 4 juillet, c’est une angoisse, une lutte
perpétuelle. Tous les jours, nous apprenons de nouvelles morts, nous avons beaucoup de contacts
avec les réfugiés des Mille collines, j’ai même des contacts personnels avec la MINUAR. Nous signons
des pétitions, des prises en charge pour les réfugiés. C’est une période très difficile pour nous. On
organise à la mi-juin une manifestation à Reims pour dénoncer l’inertie de la communauté
internationale. Le mot d’ordre est Rwanda : la honte.
Le 14 août, on accueille Jean-Paul et Pauline, 7 et 11 ans, deux enfants d’un cousin de mon épouse, qui
ont été retrouvés dans un bus de la Croix rouge au Burundi. Ces deux jeunes neveux se trouvent là. On
s’adresse au maire de Reims qui en parle à Alain JUPPÉ, qui a mis en route un fonctionnaire qui permet
l’arrivée de ces enfants chez nous. On passe d’une famille de 3 à 5 enfants. Ils repartiront ensuite au
Rwanda car leur papa a été retrouvé, ayant été caché par un voisin Hutu durant le génocide.
Nous ne retournons au Rwanda qu’à l’été 1996. On se trouve devant le vide. Beaucoup de gens de la
famille de mon épouse ne sont plus là. Beaucoup d’amis ont été tués. Un certain nombre de mes
élèves ont été tués aussi. Environ 80 personnes de la famille de mon épouse ont été exterminés dans la
région de SOVU, près de BUTARE. On fait connaissance avec les nouveaux membres de la famille,
anciens réfugiés au Congo, rentrés après le génocide. On commence à recueillir les premiers
témoignages des rescapés. Une cousine rescapée de la Saint-Famille nous fait rencontrer des rescapés.
On recueille les témoignages, mon épouse les traduira à son retour. On les remet à Me William
Bourdon. On recommence l’année suivante, en 1997..

Page 625 sur 711

Au printemps 2001, le premier procès des « 4 de Butare » juge un ancien ministre, chef d’entreprise
Alphonse HINGANIRO, un professeur d’université Vincent NTEZIMANA et deux religieuses, sœur
Gertrude et sœur Kizito. On participe au procès le plus souvent possible, entendre ce qui se dit. A la fin
du procès, nos amis qui avaient initié cette démarche nous demandent ce qu’on fait en France. Cette
question nous interpelle et on essaie de regrouper des amis.
En novembre 2001, on crée le CPCR qui se donne deux objectifs : poursuivre en justice les personnes
soupçonnées d’avoir participé au génocide et qui vivent en France, en vertu de la loi sur la compétence
universelle. Au début, c’est très difficile pour nous car il fallait absolument découvrir les personnes
pour donner leur adresse. On déposait les plaintes au tribunal de grande instance de leur lieu de
résidence. Ensuite, les dossiers seront regroupés à Paris. Le deuxième objectif est d’aider
financièrement les rescapés.
On commence par se constituer partie civile dans 6 plaintes déjà existantes. La première personne
est Wenceslas MUNYESHYAKA, prêtre de la Sainte-Famille. La deuxième personne est Sosthène
MUNYEMANA, un médecin gynécologue de Butare, qui a toujours exercé son métier à l’hôpital de
Villeneuve-sur Lot ; il vient d’être déféré devant la Cour d’assises. La troisième personne est Laurent
SERUBUGA qui avait repris du service un peu avant le génocide. Nous finissons par le retrouver dans le
nord de la France. On se constitue partie civile, on apporte toujours des éléments nouveaux pour
réveiller les plaintes. La quatrième personne est M. Laurent BUCYIBARUTA, qui est venu habiter près de
Troyes. Or, il se trouve que le premier juge d’instruction qui est nommé est le juge CRETON, qui est le
fils de nos amis. Il entre en contact avec nous non pas pour évoquer l’affaire mais pour lui expliquer le
contexte du génocide. Ensuite le dossier repart ailleurs. Cyprien KAYUMBA était à l’ambassade du
Rwanda en France et était chargé de l’achat des armes. Nous avons retrouvé Fabien NERETSE à
Angoulême ; il avait changé de nom et repris le nom de son père. J’ai réussi à retrouver son adresse,
nous l’avons donnée à la justice mais comme il était déjà poursuivi en Belgique, il est extradé et
condamné à 25 ans de prison en 2019.
Depuis 2001, nous avons déposé 31 plaintes. Elles ont toutes été suivies de l’ouverture d’une
information judiciaire. Notre travail a toujours été pris très au sérieux par la justice française et les
juges chargés des dossiers.
Jusqu’en 2018, le Parquet n’a jamais pris l’initiative des poursuites. Toutes les affaires ont été initiées
par notre association. D’autres associations vont ensuite entrer dans le dossier et se constituer partie
civile ; ce sont toutes les associations qui sont là aujourd’hui. Le parquet ouvrira une information
judiciaire contre Thomas NTABADAHIGA, qui habite à Mulhouse. Nous nous constituerons partie civile
dans cette nouvelle affaire.
On peut s’étonner que ces procès aient lieu en France. La seule et unique raison est que la Cour de
cassation a, à plus de 42 reprises, refusé l’extradition des personnes demandée par le Rwanda. C’est
une décision que nous contestons depuis toujours. Au début, c’était par manque de confiance envers
la justice rwandaise, puis à cause de la peine de mort qui sera supprimée en 2007. Le seul argument

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avancé aujourd’hui est le principe de non-rétroactivité des peines, aucune peine n’étant prévue pour
punir le génocide avant 1994. Nous ne partageons pas cette décision. La France a jugé Klaus Barbie et
autres génocidaires en s’appuyant sur de grandes conventions internationales.
Dès que nous le pouvons, on se constitue partie civile puis on dépose de nouvelles plaintes. Je vous
donne quelques noms : Agathe KANZIGA HABYARIMANA, contre laquelle nous avons déposé plainte
en 2007 et l’information judiciaire a été clôturée début 2022. Nos avocats ont déposé un dossier. C’est
un dossier politico-judiciaire difficile. Pour l’instant, elle n’est que témoin assisté. Eugène RWAMUCYO
est un médecin de Butare qui a été déféré devant la cour d’assises mais il n’a pas encore épuisé tous
ces recours. Dominique NTAWUKURIRYAYO, sous-préfet, a été retrouvé à Carcassonne mais on nous a
fait savoir qu’il n’a pas été trouvé à l’adresse qu’on avait donné puis il est trouvé à cette adresse 1 an
plus tard. C’était un grand ami de Madeleine RAFFIN, ils avaient une association Futurs génies. Il était
aussi cousin de l’archevêque de Kigali. Pendant le génocide, il était évêque de ?. Il est, tout comme
Laurent BUCYIBARUTA, demandé par le TPIR. Il renonce à l’extradition pour LB et l’abbé mais juge et
condamne NTAWUKURIRYAYO. Un autre médecin, Charles TWAGIRA, a été trouvé à l’hôpital de
Rouen. Il perd son travail, en retrouve, le reperd, en retrouve et le perd pour la 3 ème fois. Enfin, Philippe
HATEGEKIMANA, naturalisé sous le nom de Philippe MANIER, sera jugé en cour d’assises du 9 mai au
30 juin 2023. Il était gendarme de NYANZA, dans la région de Butare. On nous avait signalé sa
présence à Mordelles, une petite ville à une trentaine de kilomètres de Rennes. Il a décidé de rendre
visite à sa fille au Cameroun et a oublié de rentrer. La police a surveillé sa femme et quand elle est
partie le rejoindre, il a été extradé, une fois arrêté à l’aéroport. C’est le seul génocidaire détenu en
France.
Dans toute cette période, il y a trois ans d’interruption de relations diplomatiques entre le Rwanda et la
France. Le rapport du juge BRUGUIERE, qui n’a jamais mis les pieds au Rwanda, accusait nommément
neuf personnalités proches du Président Kagame d’être responsables de l’attentat contre l’avion du
président HABYARIMANA. Un nouveau rapport, celui des juges TREVIDIC et POUX, démontre que les
tirs de missiles qui ont abattu l’avion sont partis du camp KANOMBE et ce serait les extrémistes Hutu
qui ont abattu l’avion. Fabien SINGAYE, fils d’un grand commerçant de GISENYI naturalisé sous le nom
de SEGUIN, était le traducteur du juge. Ce Fabien SINGAYE était un proche de madame
HABYARIMANA et de capitaine BARRIL de sinistre mémoire.
En janvier 2012, le Pôle crimes contre l’humanité est créé au TGI de Paris. Ayant été consultés avant la
création de ce nouvel organisme, nous avons pu noter une amélioration dans le traitement des
dossiers: plus de moyens, plus de juges, plus de gendarmes enquêteurs. Mais le retard pris pour traiter
ces affaires ne se rattrapera jamais.
Notre méthode de travail.
On apprend la présence en France d’une personne soupçonnée d’avoir participé au génocide des Tutsi
de différentes manières: lettres anonymes, écoute des médias, séjours au Rwanda… Nous nous
rendons alors sur les lieux des crimes pour tenter de retrouver des témoins. Dans le dossier de
monsieur NGENZI, par exemple, J’ai retrouvé le nom de son prédécesseur, Tito BARAHIRA, en faisant

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des recherches dans les archives des Gacaca de KABARONDO. Après des mois d’investigations, nous
avons retrouvé ce dernier à Toulouse. Au début, on partait seuls avec mon épouse, à la recherche de
témoins. Ce sont des rescapés, mais ils ne sont pas toujours les mieux placés pour témoigner car ils se
cachaient, ou des prisonniers, qui avaient bénéficié d’une liberté anticipée ou qu’on va voir en prison.
C’est la collecte de témoignages que nous faisons systématiquement. Si les témoignages sont recueillis
en kinyarwanda, mon épouse les traduit. On les remet à nos avocats, qui sont chargés de rédiger la
plainte et la remettre aux juges du Pôle crimes contre l’humanité. Toutes les plaintes que l’on a
déposées ont été suivies de l’ouverture d’une information judiciaire. Cinq non-lieux ont été prononcés,
les juges d’instruction ayant estimé ne pas avoir suffisamment d’éléments pour pouvoir les déférer
devant la cour d’assises. Deux personnes sont décédées avant d’avoir pu être jugées.
Les résultats de notre travail.
Les résultats que l’on a obtenus jusqu’à maintenant : la condamnation en 2014 et 2016 de Pascal
SIMBIKANGWA. En 2016 et 2018, ce fut la condamnation à perpétuité pour Octavien NGENZI et Tito
BARAHIRA, deux bourgmestres, détenus dans une prison française. Le dernier procès, qui a lieu ici
entre novembre et décembre 2021, a permis de condamner Claude MUHAYIMANA, un
Interahamwe, à 14 ans de prison: il a fait appel mais, aux dernières nouvelles, il reste incarcéré
Nous sommes toujours en enquête actuellement ; nous avons déposé une nouvelle plainte contre un
ancien député l’an dernier. Une information judiciaire a aussitôt été ouverte.
Nous faisons aussi de nombreuses interventions dans des écoles, collèges et universités. On intervient
aussi au mémorial de la Shoah. On insiste beaucoup sur l’éducation, sur l’information. Nous essayons
aussi, quand nous le pouvons, d’aider financièrement des rescapés.
Pour conclure, depuis 28 ans, nous sommes engagés dans ce combat pour la justice. Ça nous a pris
toute notre existence, nous n’avons pas passé un seul jour sans parler du génocide. Ça nous a coupé
de nos amis. Ça a pris sur du temps qu’on pouvait passer en famille.
Nous ne cessons de dénoncer les lenteurs de la justice et les freins politiques. Il suffit de ne pas donner
à la justice les moyens de fonctionner pour l’empêcher de fonctionner. Ce qui nous choque aussi est le
silence des médias. Les grands médias sont très souvent absents. Nous avons été relayés par quelques
journaux, quelques quotidiens, le Monde, Fr3 Grand-Ouest, Libération et l’AFP. Depuis le début, les
procès pour génocide ne sont pas relayés correctement. Selon le directeur d’une radio nationale bien
connue, « cela n’intéresse pas les Français« . Comment seraient-ils intéressés si personne ne leur en
parlent?
Nous travaillons « sans haine ni vengeance » selon le mot de Simon WISENTHAL, un chasseur de nazis.
Quand on va sur le site de notre association, cette expression est inscrite sur le bandeau. La haine ne
ronge que ceux qui la nourrissent en eux ; elle rate aussi sa cible. Je peux vous assurer que c’est ainsi
que nous travaillons. Nous n’éprouvons aucune haine à l’égard de ceux que nous poursuivons en
justice.

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On nous met parfois des bâtons dans les roues : insultes, menaces. On a déjà vu des gens rôder autour
de chez nous. Ce sont les familles des accusés. On est parfois aussi trainés devant la justice.
Actuellement. deux plaintes ont été déposées à mon encontre, une du docteur Charles TWAGIRA et
une autre d’un de leurs amis, Jean-Marie NDAGIJIMANA. C’est la vie que nous menons depuis bientôt
trente ans.
Pour terminer, je remercie nos avocats, Domitille PHILIPPART et Simon FOREMAN, qui nous suivent
dans ce dossier et qui nous ont déjà assistés dans d’autres affaires. Je remercie aussi nos amis, nos
familles, que ce soit en France ou au Rwanda. Je remercie les membres du CPCR. Si nous pouvons
déposer ces plaintes, c’est parce que nous appartenons à cette association. Je remercie tous ceux qui, à
leur niveau, nous aident à poursuivre cette lutte. Je remercie Mathilde, une jeune stagiaire qui prend
des notes pour les comptes-rendus quotidiens aidée, ces derniers jours, par Fanny, ainsi que Jacques
BIGOT qui s’occupe de la mise en page et de la gestion de notre site internet. Je remercie aussi Les
amis du CPCR. à KIGALI, qui œuvrent au sein de l’ACPCR, avec Ezéchias RWABUHIHI comme
président Je ne peux pas ne pas remercier mon épouse: 45 ans de vie commune, dont 30 consacrés au
Rwanda pour la justice. Ça donne à notre couple un statut un petit peu particulier. Nous continuerons
ce combat aussi longtemps que nous pourrons. Toujours sans haine ni vengeance.
Je vous remercie.
Questions du juge assesseur
Juge : Vous avez dit que vous contestiez le principe de non-rétroactivité des peines. S’agit-il du
principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus douce que vous visez, qui est un principe à valeur
constitutionnelle en France depuis 1789 ? A Nuremberg, personne n’a été condamné pour génocide
pour cette raison.
Alain Gauthier : Je ne suis pas un spécialiste de droit. Mes connaissances sont celles que nous avons
acquises au fil du temps. A Nuremberg, ils n’ont pas été condamnés pour génocide, de même que les
quatre de BUTARE à BRUXELLES, mais condamnés pour crimes contre l’humanité. Nous estimons qu’on
aurait dû extrader vers le Rwanda les personnes visées par un mandat d’arrêt international. Comme la
plupart des pays le font aujourd’hui. Un professeur de droit international de Limoges, monsieur
Damien ROETS, a publié un long article pour contester la jurisprudence de la Cour de cassation.
Président : Pour préciser, le droit rwandais de 1994 ne prévoyait pas spécifiquement de
condamnations pour génocide et crimes contre l’humanité. Ce n’est pas forcément un principe de
non-rétroactivité des peines.
Questions de la défense
Me BIJU-DUVAL : Votre association CPCR s’est constituée partie civile le 21 mai 2004. A l’occasion de
cette constitution de partie civile (D106 et suivants), un certain nombre de pièces sont jointes : (…) ;
tous ces PV sont accompagnés d’une traduction en français (D128) réalisée par Jean-Damascène
BIZIMANA.
Alain GAUTHIER: Oui je confirme. A l’époque, il était vice-président de notre association.
Me BIJU-DUVAL: Quelles étaient ces fonctions à l’époque ?
Alain GAUTHIER: Il était étudiant à Toulouse.

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Me BIJU-DUVAL : Pouvez-vous nous rappeler la date ?
Alain GAUTHIER : Novembre 2001.
Me BIJU-DUVAL : Ce sont des PV qui viennent de procédures judiciaires rwandaises. De quelle
manière ces PV sont-ils parvenus entre les mains de votre association ?
Alain GAUTHIER: On nous pose la question à chaque procès. Ça peut paraitre étonnant qu’on puisse
obtenir de la part de la justice rwandaise des documents mais dans la mesure où les personnes que
l’on poursuit en justice ne sont pas au Rwanda, que le Rwanda ne pourra jamais les juger, il nous
arrivait de travailler en lien avec le parquet général de Kigali. On nous a déjà fait remarquer que ça ne
serait pas possible en France.
Me BIJU-DUVAL : A l’époque, il était vice-président.
Alain GAUTHIER : Oui mais ça n’a pas duré longtemps car on a eu des différends assez rapidement.
Me BIJU-DUVAL : Peut-on en savoir plus ?
Alain GAUTHIER : Non, ce sont des différends de méthodes de travail. Il a rapidement présenté sa
démission.
Me BIJU-DUVAL : Les PV vous sont parvenus par son intermédiaire ?
Alain GAUTHIER : Non car c’est nous qui nous rendions le plus régulièrement au Rwanda.
Me BIJU-DUVAL : Vous nous avez parlé de Madeleine RAFFIN. C’est une occasion de souligner la
longueur de la procédure qui nous empêche de l’écouter.
Alain GAUTHIER: Madeleine RAFFIN, depuis son expulsion du Rwanda, est toujours restée proche des
personnes que nous poursuivons en justice, proche notamment de Dominique NTAWUKURIRYAYO. A
Toulouse, elle l’avait rejoint au sein d’une association, « Futurs Génies », qui avait pour objectif d’aider
de jeunes enfants du Rwanda. L’ancien archevêque de KIGALI, son cousin, évêque de CYANGUGU en
1994, faisait aussi partie de cette association.
Maître BIJU-DUVAL laisse entendre que j’aurais fait des sous-entendus concernant madame RAFFIN. Il ne
me donnera pas l’occasion de m’expliquer, s’étant immédiatement assis pour renoncer à me questionner.
J’aurais aimé que monsieur le président me demande de poursuivre. J’aurais pu en dire un peu plus sur
l’engagement de Madeleine RAFFIN auprès de ses amis à Toulouse. Ce ne sera pas le cas. On en restera
là.

Audition de madame Dafroza MUKARUMONGI GAUTHIER, partie civile, membre fondateur du
CPCR.
Je suis née au Rwanda, le 04/08/1954 à Astrida, devenue Butare, après l’indépendance. Je suis retraitée,
ingénieur chimiste de formation. Je suis née dans une famille d’éleveurs Tutsi. Une partie du berceau
familial de mon père habitait la région de Nyaruguru, le sud de la préfecture de GIKONGORO. Ma
grande famille, celle de mes oncles et tantes habitait sur les quelques collines qui vous sont devenues
familières. Mes parents habitaient la colline de Rwamiko où ils étaient arrivés peu de temps avant ma
naissance, deux ou trois ans je crois . Nous occupions une partie de la colline avec un cousin,
RUHINGUBUGI Théotime, fils aîné de ma tante paternelle, Anastasia MUKACYAKA, et de Ngenzi
Hubert. Ils habitaient à Runyinya, au lieu-dit « MUHORA », non loin de RWAMIKO. D’autres oncles,
tantes, et cousins habitaient à RAMBA – Mata – UWARURAYI/SINAYI – Mubuga – NDAGO,
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NYARWUMBA et MUNINI… Ils étaient nombreux, certaines de mes tantes s’étaient mariées aussi dans
la région.
Chez mes parents, j’étais la dernière de la famille et je crois même que j’étais la plus jeune de chez mes
cousins-cousines puisque il y avait une très grande différence d’âge entre les aînés et les plus jeunes
chez mes oncles et tantes. Certains de mes petits cousins étaient plus âgés que moi. Par exemple, chez
mon cousin RUHINGUBUGI, notre voisin, son fils aîné était plus âgé que moi…
Les souvenirs de ma petite enfance à Rwamiko et dans le Nyaruguru sont ceux d’une vie de petite fille,
joyeuse et insouciante… une mémoire parcellaire, avec des souvenirs parfois flous et d’autres bien
précis.
Je me souviens de nos jeux d’enfants avec mes cousins et cousines : des parties de cache-cache dans
une bananeraie abondante de notre voisin PETERO, où notre mère nous interdisait d’aller puisqu’il
pouvait y avoir des serpents, mais on y allait quand même en cachette…
Je me souviens d’un jeu qui ressemblait à la marelle et qui réunissait beaucoup d’enfant du quartier.
Nous étions couverts de poussière et on se faisait bien gronder en rentrant. Il m’arrive parfois de sentir
cette odeur de poussière lorsque je repense à cette enfance lointaine.
Nous n’avions pas de jouets, on se les fabriquait, sauf des jeux de billes, des toupies et des cordes à
sauter. Je me souviens des courses de relai où l’on organisait des sortes de compétions avec les
enfants du quartier sur le grand terrain de foot qui était derrière la propriété de mon cousin
RUHINGUBUGI; il était footballer professionnel.
Je me souviens surtout de ces odeurs de nourriture de ma mère et qui me remontent parfois dans mes
moments de spleen.
Je me souviens aussi de ces chamailleries avec mes cousins pour avoir cette espèce de galette qui
n’était autre que du riz cuit et brûlé au fond de la casserole que l’on mangeait comme un biscuit.
Je me souviens de ces odeurs de fruits de chez nous que je ne retrouve nulle part ailleurs, et que l’on
cueillait et mangions sous les arbres : amapera, amatunda, ibinyomoro, de petites framboises
sauvages, des cœurs de bœuf et d’autres espèces encore !
Je me souviens du petit chemin bordé de ronces que l’on prenait en cachette pour aller chez
MUKAGATARE, une vieille dame voisine qui nous adorait. Elle nous offrait du jus de bananes pressées
avant de le faire fermenter pour sa fabrique de vin de bananes.
Notre mère n’aimait pas qu’on mange à l’extérieur. Je crois qu’elle n’avait pas confiance. Etant de la
région de Butare, elle s’est toujours méfiée de ces montagnards brutaux d’une autre mentalité, disaitelle. Mes parents habitaient Rwamiko depuis peu.
Je me souviens du miel cueilli brut et stocké dans de petites cruches en terre à goulot très étroit, de
chez ma tante, que l’on subtilisait avec nos petites mains quand on était enfant.
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Je me souviens des ces veillées « ibitaramo » autour du feu le soir où des chants pastoraux s’alliaient à
des danses traditionnelles, avec des Contes, imigani, et des devinettes , ibisakuzo.
Je me souviens de cette communauté de Batwa, potiers de tradition, qui habitaient en contre-bas de la
colline de Rwamiko et qui était des danseurs hors pairs. Ils venaient nous apprendre à danser et
restaient parfois à la veillée avec nous autour du feu, à la maison en famille.
Je me souviens des dimanches, où on se levait tôt pour nous préparer et partir à la messe à Kibeho. Il
fallait vérifier la veille que nos petites robes blanches et nos sandales du dimanche étaient bien
apprêtées.
J’ai été baptisée à l’église de Kibeho deux semaines après ma naissance, j’y ai fait ma Première
communion, J’y été confirmée à 10 ans, en 1964, dans la même église par Mgr GAHAMANYI qui était
alors jeune évêque.
Dans notre famille il y avait beaucoup de religieux et de religieuses et Kibeho était surnommée déjà la
« Terre sainte » avant même les apparitions datant des années 80 .
Nos grandes familles se visitaient et avaient l’air de bien s’entendre. Elles aimaient se retrouver autour
de la dote (les mariages traditionnels) ou d’autres événements festifs – ou douloureux comme les
enterrements.
Mais ce bonheur de l’enfance fut éphémère car, très vite et très tôt, la violence s’est invitée dans nos
familles, en cette fin d’année 59 début 60.
Je me souviens de ce moment où mon père est venu annoncer la mort du Roi MUTARA III
RUDAHIGWA. C’était la stupeur à la maison, les adultes étaient bouleversés, ma mère catastrophée
s’essuyant discrètement les yeux… Mais ce n’est que plus tard que je comprendrai la portée de cet
événement.
Notre colline de Rwamiko était sous tension jusqu’à l’assassinat de notre instituteur, LUDOVIKO, il sera
décapité à la hache. On apprendra cela plus tard . Il était très aimé sur notre colline. Je vois ma mère
prise de panique, lorsqu’un voisin vient lui souffler quelque chose à l’oreille, je la vois rassembler
quelques petites affaires dans des malles. Je comprends avec mes yeux d’enfant que la situation n’est
pas normale. Mes cousins arrivent en début de soirée et nous partons chez mon oncle et ma tante
Ngenzi à Runyinya. Un premier regroupement familial commençait.
Dès le lendemain, notre maison a été brûlée, nos biens pillés, je ne suis jamais retournée à Rwamiko.
Nous avons échappé à la mort une première fois. Une grande période d’errance commençait pour
nous et pour nos familles…
C’est alors que Rwamiko va s’embraser avec son lot de morts, elle va être la première colline dans cette
vague de violence et de chasse aux Tutsi. On tue avec la même cruauté que plus tard en 1963 et en
1994. Les Tutsi sont tués à la machette et au gourdin, brûlés dans leur maison, enterrés vivants ou jetés
et noyés dans la rivière Mwogo ou Akavuguto dès qu’ils essayaient de s’enfuir… À Rwamiko, on tue
indistinctement les enfants et les vieillards déjà, ce qui n’était pas courant à cette époque où les
adultes masculins étaient plutôt la cible, sauf dans le BUFUNDU voisin. À RWAMIKO, il se disait que la

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mauvaise atmosphère provenait du BUFUNDU et traversait la rivière Mwogo pour atteindre Rwamiko.
Le BUFUNDU est la région nord de la préfecture de Gikongoro, séparée de la région de Nyaruguru par
les montagnes appelées« IBISI ».
Dès la mort du Roi, nos familles ont été menacées surtout ceux qui travaillaient dans l’administration
coloniale. Certains de mes oncles ont fui le pays à cette époque, d’autres ont été jetés en prison,
d’autres assassinés.
Ainsi, mon frère aîné, François SEBATASI, qui était grand séminariste à Nyakibanda près de Butare, a fui
le pays à ce moment-là. Mon cousin RUHHINGUBUGI avec ses deux frères, NKURANGO et
RWAGITINGWA, et une de ses sœurs, Domina, ont fui en 1961 aussi au Burundi. Je ne les ai plus jamais
revus. Certains de leurs enfants sont rentrés au Rwanda après le génocide.
L’année 1963 fut une année meurtrière et sanguinaire dans la préfecture de Gikongoro. On parle de 20
000 morts. Bertrand RUSSELL, mathématicien et philosophe anglais, parle du « petit génocide » de
Gikongoro dans le journal Le Monde daté du 6 février 1964 :
« Le massacre d’hommes le plus horrible et le plus systématique auquel il a été donné d’assister
depuis l’extermination des juifs par les Nazis »
À 9 ans, je dois la vie sauve à l’église de Kibeho où nous avons trouvé refuge avec ma mère, ma sœur,
ma famille proche et d’autres Tutsi de notre région. Nous avons 2chappé à la mort une deuxième fois.
Les miliciens ne massacraient pas dans les églises à l’époque, ce qui ne fut pas le cas en 1994 où ce
tabou a volé en éclats et où les églises sont devenues des lieux d’exécution. Kibeho n’échappe pas à
cette règle, elle a englouti des milliers de Tutsi de la région, elle a emporté nos êtres si chers, le 14 avril
1994…
A la suite de ces massacres de 1963, beaucoup de rescapés de nos familles ont été déplacés dans la
région du Bugesera, au sud-est de Kigali. C’était à l’époque une région habitée de bêtes sauvages, une
région inhospitalière, sans eau potable, une région où sévissait la mouche tsé-tsé. Des familles entières
ont été décimées sans possibilité de soins.
Les Tutsi, contraints à l’exil en 1963, ayant survécu à la mouche tsé-tsé, ayant survécu aux massacres
de 1992, vont périr en masse en 1994. Le génocide les a emportés en masse. Les survivants se
comptent sur les doigts d’une main.
Nous avons été réfugiés à l’intérieur de notre propre pays.
Nous étions des citoyens de seconde zone, nous Tutsi, avec nos cartes d’identité sur lesquelles figurait
la mention « Tutsi ». Nous étions des étrangers chez nous.
Je suis allée en pension très jeune, de la 3ème à la 6ème primaire, chez les religieuses « BENEBIKIRA »
à Kibeho, avec d’autres enfants Tutsi, dont ma cousine Emma. Notre grande cousine, sœur Victorine,
était dans ce couvent et veillait sur nous ! Nos parents nous avaient mis à l’abri, pensaient-il. Le
couvent des sœurs a été agrandi pour le pensionnat de l’Ecole des Lettres dont il a été question
devant cette cour d’assises. De mon époque, il n’y avait que les écoles primaires ; l’école des garçons
en haut devant l’église et l’école ds filles plus bas, devant le couvent des sœurs.
Plus tard, après mes années de collège à Save, à 10 km de Butare, quand j’entre au Lycée Notre-Dame
à Kigali à environ 130 km, je devais me munir d’un « laisser passer » délivré par la préfecture. Je n’étais
pas la seule. Au fameux pont de la rivière Nyabarongo, au pied du mont Kigali, nous devions

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descendre du bus pour présenter nos papiers. Tous les Tutsi subissaient le même sort. Nous étions
contrôlés au faciès. Cette opération pouvait prendre quelques heures, nous étions humiliés souvent , et
ces souvenirs restent gravés dans nos cœurs et nos mémoires.
Nous avons grandi dans cette ambiance de peur et d’exclusion, avec la révolte au fond de nous !…
Enfant, notre mère nous a appris à nous taire, à nous faire petit, pas de vague : à l’école, au collège, au
lycée, dans la rue, à l’église, partout, il ne fallait pas se faire remarquer, et vivre caché !
J’ai eu la chance d’aller à l’école et de poursuivre une scolarité normale. Beaucoup de Tutsi, surtout des
garçons, ne pouvaient pas accéder à l’école secondaire de l’Etat. C’était la période des quotas.
C’est début 1973 que j’ai quitté mon pays pour me réfugier au Burundi après la période des pogroms
de cette époque. Chassés des écoles, des lycées, des universités, de la fonction publique, et autres
emplois du secteur privé, les Tutsi vont de nouveau se réfugier dans les pays limitrophes et grossir les
effectifs des années précédentes, ceux de nos vieilles familles d’exilés depuis 1959.
J’entends encore notre mère nous dire, en ce début février 1973, avec ma sœur, qu’il fallait partir et le
plus vite possible. Elle avait peur de nous voir tuées ou violées sous ses yeux, nous dira-t-elle plus tard.
Ce fut une séparation très douloureuse, j’ai hésité… Je me souviens de ces moments si tristes, si
déchirants… à la nuit tombée, où il fallait partir très vite, sans se retourner !…
Après notre départ, notre mère fut convoquée par le bourgmestre de notre commune, un certain J.B
KAGABO, et mise au cachot communal. On lui reprochait son manque de civisme, à cause de notre
fuite. Elle en sortira le bras droit en écharpe, cassé, nous dira-t-elle plus tard. Je me sentais coupable
d’avoir fui, et de l’avoir abandonnée !
Je vous épargne le récit de ce périple en pleine nuit à travers les marais de la KANYARU, le fleuve qui
sépare le Rwanda et le Burundi. Une traversée interminable en deux jours, à travers les papyrus, où le
groupe de nos amis de Butare, nous ayant précédés, n’aura pas cette chance : ils ont été sauvagement
assassinés par les passeurs, ces piroguiers qui voulaient prendre leur maigre butin. Nous avons eu de
la chance, et nous avons pu regagner le nord du BURUNDI, près de Kirundo, au bord de l’épuisement,
mais sans trop de dégâts. Cette traversée revient souvent dans mes rêves ou mes cauchemars, nous
avons vu la mort de très près. Nos corps en portent encore les stigmates. Nous avons échappé une
troisième fois à la mort avec ma sœur .
Un camps du HCR nous attendait à Kirundo, avec ses bâches bleues, comme seul abri de fortune. Vivre
un exil forcé est une expérience qui forge le reste de votre vie.
Après quelques jours, nous avons pu regagner Bujumbura. Je ne resterai à Bujumbura que six mois et
j’ai rejoint mon grand frère François à Bruxelles où j’ai pu poursuivre mes études.
Nous nous sommes mariés en 1977 et je suis venue habiter la France.

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De 1977 à 1989 ce sont des années sans histoires, une vie de famille ordinaire avec nos trois enfants.
Nous avons pu retourner au Rwanda régulièrement voir ma mère et les quelques familles qui s’y
trouvaient encore.
Notre dernier voyage en famille, à Butare, date de l’été 1989, notre plus jeune, Sarah, avait un an. Au
cours de cet été 89, nous avons profité de ces vacances à Butare pour visiter nos familles réfugiées au
Burundi. Je me souviens encore de cet incident où lorsqu’on arrive à la KANYARU, au poste frontière
avec le BURUNDI, la police des frontières rwandaises va nous arrêter. Elle va laisser passer tous les
véhicules, sauf le nôtre. Ils nous ont fait attendre une journée entière, avec nos jeunes enfants ! Nous
avions des papiers en règle, des passeports en règle, tout était en ordre, mais ils vont trouver le moyen
de nous humilier, une fois de plus, sans explication, j’étais révoltée !
La guerre éclata le 1er octobre 90 et nous ne pouvions plus voyager et visiter ma mère.
Les nouvelles du pays nous arrivaient de différentes sources, notamment par les rapports des ONG qui
ont été évoqué dans cette Cour d’assises. Mon frère suivait de très près l’évolution politique du pays
via le Front. Il avait aussi beaucoup d’amis militants des droits de l’homme sur place, comme Fidèle
KANYABUGOYI et Ignace RUHATANA, membres fondateurs de l’association KANYARWANDA. Ignace
sera assassiné au petit matin du 7 avril et Fidèle le 11 avril 94, la quasi-totalité des membres de
Kanyarwanda subiront le même sort.
En cette fin février 1994, je pars seule au Rwanda voir ma mère qui se reposait en famille à Kigali chez
Geneviève et Canisius, mes cousins. Ils habitaient Nyamirambo, près de la paroisse St-André. Mes
cousins avaient une pharmacie. Canisius et Geneviève, avaient fui comme moi en 1973. Nous étions au
Burundi ensemble. Ils avaient ensuite quitté le Burundi pour regagner le Zaïre à la recherche de
meilleures conditions de vie. Ils reviendront ensuite au Rwanda dans les années 80 lorsque le président
Habyarimana a incité les réfugiés Tutsi à revenir pour reconstruire le pays. Certains de nos amis et
membres de nos familles sont rentrés d’exil à ce moment-là, et ils n’échapperont pas au génocide de
1994. Les survivants de cette époque se comptent sur les doigts d’une main.
Je me rends donc au pays, en cette fin février 94, ce fut « un voyage cauchemardesque » ! J’arrive à
Kigali le jour du meeting du MDR qui avait lieu au stade de Nyamirambo, sur les hauteurs de notre
quartier, sous le Mont Kigali. A la sortie du stade, c’était des bagarres entre milices de la CDR, du
MRND, du MDR, et du PSD, mais on s’en prenait surtout aux Tutsi, les bouc-émissaires de toujours !
C’est une période où la RTLM était à l’œuvre, et où elle diffusait nuit et toujours ses messages de
haine, et d’appel aux meurtres en citant des listes de Tutsi à tuer ainsi que leur quartier de résidence.
A Kigali, durant cette période, des Tutsi étaient attaqués à leur domicile, et étaient tués, sans aucun
autre motif si ce n’est être des complices du FPR !
Dans la nuit du 21 février 1994, le ministre des travaux publiques, Félicien GATABAZI, président du
PSD, est assassiné. Il était originaire de Butare. On a évoqué cet assassinat dans cette cour d’Assises. En
représailles, les partisans de GATABAZI ont assassiné BUCYANA Martin, le leader de la CDR, le parti des
extrémistes. Il a été lynché à MBAZI, la colline avant Butare, alors qu’il partait pour CYANGUGU d’où il

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était originaire. Très rapidement, certains quartiers de Kigali étaient quadrillés et attaqués. Je pense au
quartier de GIKONDO où habitait BUCYANA , mais aussi nos familles comme celle de ma tante
PASCASIA, ses enfants et petits enfants…ils ont subi des représailles ainsi que d’autres Tutsi du même
quartier. Les Interahamwe de GIKONDO étaient réputés pour leur cruauté. En ce mois de février, les
Tutsi de Kigali ont de nouveau fui dans les églises et dans d’autres lieux qu’ils croyaient sûrs , comme
au Centre Christus le couvent des jésuites à Remera. Cette semaine fut particulièrement meurtrière à
Kigali alors qu’ailleurs, dans le pays, il y avait un calme relatif. A Gikongoro les témoins comme
Immaculée MUKAMANA, nous ont parlé des menaces, des intimidations qu’ils ont subi suite lynchage
de BUCYANA des listes de Tutsi ciblés, qui ont dû quitter leur maison, comme son frère commerçant,
de peur d’être tué.
J’évoque cette période avec beaucoup de tristesse. J’aurais aimé faire ex filtrer ma famille, surtout les
plus exposés, comme mon cousin Canisius, pour qu’ils puissent quitter Kigali ! Mais il était déjà trop
tard. Moi, comme d’autres, nous avons échoué car Kigali était bouclée par toutes les sorties, on ne
passait plus quand on était Tutsi. La tension était à son maximum.
Tous les jours on subissait des provocations de miliciens avec des projectiles sur le toit de la maison.
Je me souviendrai toujours des conseils trop naïfs de ma cousine Geneviève qui me disait de ne porter
que des pantalons. On ne sait jamais, disait-elle, car elle et les autres femmes portaient des caleçons
longs sous leur pagne. Comme si cela pouvait dissuader les violeurs .
L’insécurité était totale dans le quartier de St-André et ailleurs dans Kigali. Nyamirambo était réputé
pour être habité par beaucoup de Tutsi. Ma mère était très inquiète, et elle me dira qu’il faut partir le
plus vite possible, comme en 1973… « Cette fois-ci, tu as ton mari et des enfants, il ne faut pas que la
mort te trouve ici et que l’on périsse tous en même temps » ! Elle ne se faisait plus d’illusion. Par l’aide
d’un ami, j’ai pu avancer ma date de retour. Je venais d’échapper à la mort pour la 4ème fois.
Moi, j’ai pu sauvé ma peau, mais pas eux !
Avant de quitter le pays j’ai appelé ma famille de Butare et leur ai conseiller de fuir le plus vite possible.
Dans leur naïveté, ils m’ont répondu que ce sont des histoires des politiciens de Kigali et que Butare
était calme. Le génocide les a emportés en masse fin avril 1994.
Le retour en France en ce mois de mars 1994 fut très dur, avec ce sentiment de culpabilité qui ne me
quittait jamais. Je me sentais coupable et lâche de les avoir laissés, de les avoir abandonnés dans ces
moments critiques. Nous prendrons des nouvelles régulièrement par l’intermédiaire d’un ami. Au vu de
l’insécurité grandissante, ma famille a fini par se réfugier à la paroisse St-André pendant la semaine qui
a suivi mon retour.
Alain, se met à alerter de nouveau : il écrit à François Mitterrand, mais c’est un cri dans le désert ! Il ne
sera pas entendu à l’image de l’appel de Jean Carbonare sur France 2 après le massacre des
BAGOGWE [1].

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Le 6 Avril 1994, je ne me souviens plus exactement de cette soirée en famille. Je me souviens surtout
de la matinée du 7 avril, très tôt, où Alain qui écoutait RFI m’a annoncé la chute de l’avion et la mort
du président Habyarimana. Dans la foulée, je téléphone à mon frère à Bruxelles pour avoir des
nouvelles fraîches. Mais avant même de quitter la maison pour aller au travail, je reçois un coup de fil
d’une amie compatriote, journaliste à RFI, Madeleine MUKAKABANO, qui m’annonce l’attaque du
couvent des Jésuites à Remera, à Kigali et de la famille RUGAMBA Cyprien, un historien, ami de la
famille. Nous avons perdu beaucoup d’amis prêtres, au centre Christus, ma cousine Supera et Christine
BURASA, ma petite cousine en font parties. Mon frère m’apprend également le sort incertain des
personnalités de l’opposition dont celui de Madame UWILINGIYIMANA Agathe, Premier ministre. Je
connaissais Agathe, jeune, nous étions sur les mêmes bancs au lycée notre Dame-de-Cîteaux et elle
était de la région de Butare comme moi, on prenait le même bus pour aller au Lycée.
Avec le voyage que je venais de faire, j’ai compris que la machine d’extermination était cette-fois ci en
marche. Au matin du 7 avril, peu avant 6 heures, nous apprendrons que des militaires ont investi la
maison à Nyamirambo. La pharmacie est pillée et tous les occupants sont priés de sortir, les mains en
l’air, dans la cour intérieure de la concession. Ils devaient être autour d’une douzaine ou peut-être 14
car il y avait des amis et visiteurs qui n’avaient pas pu repartir chez eux au vu de la situation dans
Kigali. Ils vont réussir en ce matin du 7 avril à rejoindre l’église Charles LWANGA, en face, de l’autre
côté du boulevard, moyennant une somme d’argent. D’autres Tutsi du quartier les rejoindront. Ils
passeront cette première journée du 7 avril ainsi que la nuit dans l’église.
Le 8 Avril, dans la matinée, peu avant 10 heures, des miliciens accompagnés de militaires attaquent
l’église. Ils demandent aux réfugiés de sortir. Des coups de feu sont tirés, des grenades explosent, des
corps tombent et jonchent le sol de l’église, tandis que d’autres réfugiés tentent de s’enfuir. Presque le
même scénario qu’à l’église de Kibeho et partout ailleurs dans le pays.

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Église de Kibeho après le massacre du 14 avril 1994 (photo prise en 2002).
Ma mère, Suzana MUKAMUSONI, âgée de 70 ans, est assassinée de deux balles dans le dos au pied
des escaliers. Notre voisine, Tatiana, tombera à ses côtés avec son petit-fils de deux ans qu’elle portait
dans le dos. Les trois sont mortellement touchés, ils ne sont pas les seuls, d’autres victimes jonchent la
cour, tuées ou grièvement blessées, comme Gilberte, la femme d’un cousin, un des occupants de la
maison . Elle sera évacuée par la croix rouge sur Kabgayi près de Gitarama. Elle est la seule survivante
sur les 14 occupants de la maison.
Nous apprendrons que grâce à une pluie abondante qui s’est mise à tomber, les miliciens et les
militaires se sont éloignés pour se mettre à l’abri. Pendant ce temps-là, les survivants de l’église
parviendront à atteindre le presbytère et à s’y réfugier. Ce jour- là, mes deux cousins en font partie.
C’est en fin de journée du 8 avril que j’apprendrai la mort de ma mère. Alain a pu avoir au téléphone
un des prêtres de la paroisse. Et, c’est le Père Henry BLANCHARD, qui lui apprendra le décès de
maman. Mon corps m’abandonne en apprenant la nouvelle ; je ne me souviens plus de la suite de
cette soirée du 8 avril.
Mes cousins seront tués plus tard. Canisius KAGAMBAGE sera fusillé à Nyamirambo, chez les frères
Joséphites, où il avait réussi à se cacher, le 6 juin 1994 avec environ 70 autres Tutsi dont 5 frères
Joséphites. Nous avons retrouvé sa dépouille lorsque la fosse de chez les Frères a été ouverte, grâce à
sa carte d’identité dans la poche de son pantalon. Quant à ma cousine Geneviève, elle sera tuée le 10
juin, à quatre jours d’intervalle, avec la centaine de réfugiés de la paroisse St-André. Elle sera jetée
dans une fosse commune d’un quartier de Nyamirambo, avec les autres, dont une centaines d’enfants.
Ils ont été jetés vivants pour beaucoup d’entre eux, comme à Kibeho, à Murambi et ailleurs. Les
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miliciens y ont mis des pneus et de l’essence et les ont brûlés. Et lorsque la fosse a été ouverte en
2004, on n’a pas trouvé de corps, juste des bouts de rotules et quelques mâchoires. Nous avons même
été privés de leurs dépouilles.
Dans cette Cour d’assises, vous avez écouté des rescapés qui cherchent à savoir où se trouvent les
restes de leur famille. Difficile d’entamer un travail de deuil…
Je me souviendrai toujours de ce mois de juin 2004, où nous avons dû partir précipitamment, Alain et
moi, lorsqu’une amie nous a annoncé qu’une fosse commune avait été identifiée à la paroisse StAndré. D’après certains récits, le corps de ma mère pouvait se trouver là. Nous retournons à Kigali,
tous les deux, sans nos enfants, nous y étions pour les commémorations quelques semaines
auparavant.
L’ouverture de cette fosse commune s’est faite en présence des familles venus de partout et quelques
rescapés de Nyamirambo.
Ce sont des moments difficiles. Difficile de contenir ses émotions. Il arrive même que l’on se chamaille
autour de ces fosses du désespoir, où chacun pense reconnaître le sien. On va scruter le moindre signe
distinctif, un habit, un bijou, une chaussure… des odeurs qui ne vous quitteront plus jamais, elles
restent imprimées pour toujours dans le cerveau.
De cette fosse commune de la paroisse St-André, deux corps seulement ont été formellement
identifiés ; il s’agit d’un jeune basketteur de 20 ans, Emmanuel, je crois, reconnu par son frère. Son
corps entier va apparaître, en tenue de sport, maillot orange fluo, numéro 14, il semblait dormir d’un
sommeil profond , la tête enfoncée dans ce sol rouge sableux de la paroisse. L’autre corps était celui
d’un jeune enfant de 7 ans, identifié par son cousin, grâce à ses habits.
Pour ma part, je me contenterai d’un bout de bracelet en cuivre et d’un chapelet comme unique signes
distinctifs, en espérant que c’étaient ceux de ma mère. Je les ai ramenés à Reims pour les montrer à
nos enfants.
En 1994, au Rwanda , les Tutsi n’ont pas été enterrés, ils ne sont pas morts sereinement, ni
paisiblement, ils sont morts dans des souffrances atroces, affamés, assoiffés, humiliés, décapités, brulés
vif, chassés et tués comme des gibiers, leurs corps dépecés ont été jetés à moitié vivant ou à moitié
morts dans des énormes trous, dans des latrines, dans des rivières, des corps mangés et déchiquetés
par des chiens, par des rapaces. Leur corps ont été profanés et niés. Souvenez- vous de ce témoin
traumatisé pour avoir vu les cadavres de ses parents dénudés, souvenez-vous d’Innocent M. choqué
lorsqu’il tombe sur les cadavres de Kasile et de Marta, dénudés, dans cette cour de l’église de Kibeho.
Kasile et Marta ont enseigné des générations d’écoliers de Kibeho. Moi-même j’ai eu Kasile comme
enseignant, en 6ème primaire, il était jeune instituteur. Toute la famille a été décimée. Ils avaient 7
enfants. Aucun survivant.

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Les Tutsi de Kibeho, les Tutsi de Murambi, de Cyanika, les Tutsi de Kaduha, les élèves de Marie Merci,
les prisonniers de Gikongoro, les prêtres, et partout ailleurs sur les collines, ont tous subi le même sort
!
Tous ces lieux martyrs, tout ce sang versé, le sang des innocents ils n’avaient commis d’autre
crime que d’être nés Tutsi.
Nos morts hantent toujours nos esprits, en particulier certains, les enfants surtout, emportés dans leur
innocence, emportés sans rien comprendre. Difficile de les oublier. Nous avons écouté Hildegarde
KABAGWIRA qui s’est évanouie en visitant la salle où est exposé le corps des enfants à Murambi. Elle
n’y est jamais retournée.
Personne ne peut sortir indemne de MURAMBI !
Je pense à toutes nos familles complètement disparues, à Rose MUKAKAYIRANGA ma cousine, nous
avions le même âge, et son mari MUHIRE Védaste et leurs quatre enfants . Je pense à sa petite sœur
Agathe, son mari Louis GAKUBA, avec leurs 4 enfants. Vénuste NKUSI, sa femme et leurs 4 enfants. Et
encore MUTARABAYIRE Philibert, sa femme et leur 5 enfants, tous englouti par l’église de Kibeho ou
de Cyahinda, ils fuyaient vers le Burundi.
Difficile d’imaginer que de toutes ce vies qui ne demandaient qu’à vivre il ne reste rien !…
Nos cœurs restent leurs seuls tombeaux.
Du côté de ma mère, dans la région de Butare, aucun survivant retrouvé à ce jour! Des familles entières
disparues à jamais, vous en avez entendu parlé dans cette cour d’assises par les survivants-rescapés.
Le génocide c’est le mal absolu, le mal dont ont ne guérit jamais.
Après le génocide pourtant, une seconde vie commence. Une vie bancale, à la recherche d’un nouvel
équilibre. Une vie chaotique parfois, une vie en survie. Cette vie peuplée de souvenirs et de
souvenances, elle est celle d’une « mémoire trouée». Celle que le génocide nous a laissé en héritage,
elle est celle de l’ « abîme et du néant », celle d’un silence assourdissant. Notre première vie s’est
arrêté brutalement, un jeudi 7 avril 1994. Notre statut a changé avec cet héritage. Nous vivons dans un
monde à part, un monde parallèle, comme tous les héritiers de cette « Histoire.» Un monde dont il est
difficile de partager les codes. Nous sommes devenus des Êtres singuliers.
Le génocide nous a définitivement abîmés.
Pour ma génération marquée par 30 années de lutte contre l’impunité, nous avons une énorme
responsabilité. Nous avons traversé toute cette période trouble de 1959 à 1994. Nous sommes les
témoins de cette Histoire du génocide des Tutsi, nous sommes des passeurs de cette Mémoire, que
nous allons léguer aux plus jeunes, aux générations d’après nous.
« IBUKA, Souviens-toi »
Aujourd’hui, dans cette Cour d’assises, je vais me souvenir ; me souvenir de nos familles de Nyaruguru.
Je ne suis jamais allée à une commémoration à Kibeho, qui a lieu le 14 avril de chaque année. Je
n’arrive pas à trouver assez d’ énergie pour y aller – jusqu’à aujourd’hui. Que ma famille me le
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pardonne ! Je ne suis allée que trois fois à Kibeho depuis le génocide. En 1996, nous y sommes allés
avec Alain, et j’avais juré de ne plus y mettre les pieds. L’année 1996, m’a effacé d’un seul trait mes
souvenirs d’enfant, je n’ai gardé qu’un spectacle de désolation et de mort…
Mais pour les besoins de l’enquête dans ce procès, je suis retournée en octobre 2021 avec une équipe
de FR3 Grand-Est et en mars 2022 avec nos avocats. J’ai refusé d’aller à Rwamiko, et je ne pense pas
que ce retour m’aurait fait du bien. J’essaie de préserver les bons souvenirs de mon enfance qui me
restent et les emporter le moment venu…
Monsieur le Président, Mesdames et Monsieur de la Cour,
Si je me suis constituée partie civile dans ce procès,
C’est pour faire revivre un peu nos familles disparues, nos Êtres si chers, avant que ce procès ne
s’achève,
C’est pour qu’ils retrouvent un peu de leur visage, c’est pour donner un habit à ces corps dépecés, ces
êtres désarticulés, ces corps démembrés, souillés, profanés, dénudés, niés.
Pour essayer de les sortir de ces troues béants de Kibeho , de ces fosses communes où les tueurs les
ont jetés,
C’est tenter de les sortir de ces « tombes sans noms », et les habiller un peu…
Et pour enfin leur donner une sépulture digne par la Justice.
Ces victimes sont restés silencieuses pendant tout ce procès, et ils ne viendront pas ici à la barre pour
réclamer justice, faute d’avoir survécu, faute d’avoir pu être identifié dans ces charniers de l’église,
dans ces charniers de l’école des Lettres et dans tous ces endroits non identifiés où ils ont été tués et
jetés…
Enfin, je me constitue partie civile pour ces quelques rescapés de la famille, des petits cousins
essentiellement, qui étaient enfants pour la plupart, et qui ont suivi ce procès très loin d’ici , très loin
de cette cour d’assises de Paris alors même qu’il leur était destiné en premier lieu pour leur
reconstruction, pour leur deuil !
« Il n’existe pas de mots pour parler aux morts. Ils ne se lèveront pas pour répondre à tes
paroles. Ce que tu apprendra là-bas, c’est que tout est bien fini pour les morts de Murambi. Et,
peut-être alors respecteras-tu encore mieux la vie humaine » BOUBACAR Boris Diop.

Nos familles de NYARUGURU génocidées en 1994 :

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Ont été assassinés
I- Dans la famille NGENZI Hubert et MUKACYAKA Anastasia

MUKABAYONGA Anatolie
MUKANYONGA Immaculée
MUTARABAYIRE Philibert, sa femme et ses 5 enfants
MUBANJI Trudo, et sa femme.
Ont été assassinés
II- Dans la famille RWAHUNDE Léodomire et NYABUJYONDORI Alivera

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NYABUJYONDORI Alivera avec un de ses petits fils
MUKACUMBI Anastasia
NKUSI Venuste, sa femme et leurs 4 enfants
MUKAMABANO Anne-Marie et son mari
KALINDA Raymond, sa femme et leur bébé
KAYUMBA Cassien
KABANDANA Jean Marie Vianney
Ont été assassinés

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III- Dans la famille NTAKIRUTINKA Sylvestre et MUKARUTABANA Concessa

NTAKIRUTINKA Sylvester
MUKARUTABANA Concessa
MUKAYIRANGA Rose et ses 4 enfants.
MUHIRE Védaste (mari de Rose)
MUKANSANGA Agathe et ses 4 enfants
GAKUBA Louis (mari d’Agathe)
KANDERA Marie
MACUMU Balthazar (mari de Marie)
MUSOMANDERA Christine
MUKABALISA Marie Chantal
MUGENGANA Prosper
GIRANEZA Sylvie
MUSONERA Grâce
Ont été assassinés
IV- Dans la famille GAKWISI François et RUDODO Véronique

RUDODO Véronique
KAYIGI Charles
CANDALI Josépha
GAKWISI Jean Berckmans
KAGWESAGE Revocata
GAKWISI Jean-Baptiste
BAKESHA Jean-Pierre
Ont été assassinés
V- Dans la famille MUNYENTWARI Justin et Scholastique MUKAMURERWA

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MUNYENTWARI Justin
MUKAMURERWA Scholastique
UMURERWA Justine
UWIMABERA Félicité
UWAMAHORO Martine
UMUBYEYI Mariette
Ont été assassinés
VI- Dans la famille RUZINDANA Clet et sa femme TUYIZERE Cansilda

RUZINDANA Clet
MUZAYIRE Yvonne
MUGUNGA Yves
RUZINDANA Eric
KAYIRANGA Delphine
MUBERWA Clarisse
MUGABE Kizito
Seule Cansilda a survécu, Clet a été assassiné avec les 6 enfants.
Ont été assassinés
VII- Dans la famille RWABUHIHI Charles et sa femme MUREBWAYIRE Emerita

NAMUKOBWA Laetitia
MUKAKIBE Flavia
MUNANA Léopold
MUNANIRA Jean Pierre
KAYIRANGWA Angélique
KABIBI Vérène
Seule Alice IMPUNDU a survécu avec ses parents, Charles et Emerita.
Ont été assassinés
VIII- Dans la famille MUKAMA

Tante DEDERI
HIGIRO Innocent
MUKAREMERA Geneviève
KAGAMBAGE Canisius (mari de Geneviève)
A été assassiné
IX- Dans la famille DUGURI

GASHAGAZA Gaspard
(Les autres vivaient en exil).
Ont été assassinés
X- Dans la famille RUTERANA et Xaverina NYIRABUKARA
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NYIRABUKARA Xaverina tuée avec deux petits fils de six ans
MUKARUBEGA Marguerite
NIYOMFURA Aimable (fils de Marguerite)
NGIRINSHUTI Claude (fils de Marguerite)
MWITENDE Lucille
SUPERA Eutropie
NGOGA Richard (fils de Supera)
NYINAWUMWAMI Médiatrice (belle-fille de Xaverina)
UMUGWANEZA Delphine (petite fille)
Ont été assassinés
XI- Dans la famille RWITSIBAGURA Michel et Megitilda

BYIHORERE Pierre
Stéphanie sa femme
Françoise, leur fille
Jean-Pierre, leur fils
Nyirabukara, leur fille
A été assassiné
XII- Dans la famille GAKWAYA Alfred et sa femme Léonila

GAKWAYA Alfred
Quatre des six enfants étaient en exil et leurs 2 filles au Rwanda ont survécu : Jeanne et Priscilla.
Ont été assassinés
XIII- Dans la famille NIYONSHUTI Elias et sa femme Vénantie MUKAGATARE

NIYONSHUTI Elias
MUKAGATARE Venantie
NIYONSHUTI Rosine
NIYONSHUTI Edith
UWASE Claudine
NIYONSHUTI Jean Claude
MUTESA Jean Eric
MBATEYE Diane
MBATEYE Jeanne
BENIMANA J. Violaine
Ont été assassinés
XIV- Dans la famille RUTARE Pascal et sa femme Trifina KANAYIRESE

KAMAYIRESE Trifina
MITALI Félicien
Ont été assassiné les soeurs de Pascal RUTARE :

Antoinette KAMBIBI,
Fayina MUTUMWINKA et ses 4 enfants
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Ont été assassinés
XV- Dans la famille KAMBANDA et sa femme Winifrida UMUBYEYI

Winifrida UMUBYEYI
Et, leurs trois enfants
Ont été assassinés
XVI- Dans la famille NDOLI Modeste et sa femme KAYUMBA Lucie

INGABIRE Liliane
GASORE Arsène
UWINEZA Jeanne Sandrine
Ont été assassinés
XVII- Dans la famille NTAGANDA Vianney et sa femme Christine

NTAGANDA Vianney
Christine, sa femme
Et leurs trois enfants
A été assassinée
XVIII- Dans la famille BIDELI Fidèle

MUKAMUSONI Suzana

En mémoire de Fébronie UWIMANA-GUIBERT qui nous a quittés le 12 décembre 2021. Elle
attendait ce procès.

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D’autres photos en rapport avec le dossier ont été montrées à la Cour d’assises.
Celle des prêtres assassinés :

Celle des fillettes du préfet J.B. Habyarimana et celle du couple Gacenderi Michel et leur petit
Léon :

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« IBUKA, IBUKA, IBUKA, Souviens-toi »
« ..N’oubliez pas que cela fut, non, ne l’oubliez pas… » P. Lévi
Mes remerciements vont à la Cour.
Mes remerciements vont à nos avocats, Domitille Philippart et Simon Forman qui nous accompagnent
depuis toutes ces années.
Merci aux membres du CPCR, qui portent ce travail avec nous : sans eux, rien n’aurait été possible.
À nos amis de Reims, qui se sont succédé pendant tout ce procès, à tour de rôle, discrètement, dans
cette Cour d’assises et qui nous portent depuis 28 ans, sans jamais se décourager !
Aux rescapés de notre famille au Rwanda, qui ont compris l’importance de ce travail indispensable, et
exigeant. Leur contribution, dès 1996, a été déterminante.
Un grand merci à mes cousins, Alfonse, Bosco, Léopold sans oublier Fidèle pour la récolte des photos
auprès de la famille , merci à toi Lionel pour le montage photos qui a réuni tous ces beaux visages qui
nous manquent tant.
Ma profonde affection à nos enfants dont l’immense générosité nous a aidés à poursuivre ce travail de
« Mémoire et de Justice ». Il n’est pas facile d’avoir des parents comme nous ! Ils nous ont acceptés
sans jamais nous juger, sans jamais nous rejeter, bien au contraire, ils nous ont entourés de leur
soutien, de leur amour. Nous ne les remercierons jamais assez.

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Reprise de l’audition de Silas NSANZABAGANWA. En visioconférence du Rwanda.
Questions du président
Président : Concernant les élèves de l’école Marie-Merci de Kibeho, que savez-vous ?
Témoin : Ces élèves ont été tués, sans qu’il y ait une quelconque raison, qu’il en soit ainsi. Après les
massacres de très grande ampleur qui ont lieu à la paroisse de Kibeho le 14 avril, les élèves de MarieMerci sont restés à leur école, gardés par les gendarmes et leur directeur. Après qu’un mauvais climat
s’est installé, les élèves Hutu alléguaient que les élèves Tutsi avaient du poison, qu’ils allaient
empoisonner les Hutu. C’était un prétexte pour les séparer. Ils ont été installés à l’école Mère du Verbe,
une école de filles. Par après, sont arrivés des gendarmes. Il y avait encore des gendarmes qui
gardaient l’école Marie-Merci, leur commandant étant Namayabi. Ils lui ont dit qu’à leur retour ils ne
devaient pas trouver sur place cette saleté. Par après, il y a eu une réunion présidée par Monseigneur
MISAGO, il y avait aussi le préfet BUCYIBARUTA, le bourgmestre de Mubuga, le directeur de l’école
Marie-Merci ainsi que la directrice de l’école Mère du Verbe. Le directeur, l’abbé NGOGA, m’a dit
personnellement lorsque nous étions dans un bistrot que la raison principale de la réunion c’était de
leur envoyer des véhicules qui devaient les transporter à Kabigili. Ils disaient que les questions
concernant les élèves ne le concernaient plus, que ces questions concernaient désormais l’évêque, le
préfet et le commandant de gendarmerie SEBEHURA. Il ajoutait qu’ils attendaient les véhicules. Je ne
l’ai plus revu. Par contre plus tard, ils ont envoyé des véhicules de gendarmerie qui sont allés appeler
ceux qui devaient les tuer. Ils ont été tués à l’école Mère du Verbe. Ils ont été jetés dans une fosse
située à l’arrière des salles de classe.
Président : Autre chose à ajouter ?
Témoin : J’ajouterai le fait que des filles ont été violées. Des jeunes filles ont été amenées par un
certain Viateur, un ancien militaire. Les deux filles en question étaient Diane et Yvonne. Plus tard, les
filles en question ont été remises aux militaires français lorsqu’ils sont passés par là. Un certain
Juvénal Kimbo a pris la fille de Nzaruba, commerçant.
Président : Pouvez-vous nous dire, dans le récit que vous nous faites, ce dont vous avez été
personnellement témoin ou ce qui est de l’ordre du récit que vous avez pu entendre par d’autres ?
Témoin : Pour ce qui concerne la réunion, je l’ai apprise du directeur.
Président : Vous parlez de la réunion entre le directeur, l’évêque Monseigneur MISAGO, le préfet, le
bourgmestre et la directrice ?
Témoin : C’est celle-là qui avait pris la décision de les amener à KABGAYI. Ce que j’ai vu moi-même est
le véhicule de la gendarmerie qui s’est arrêté au panneau routier et qui appelait les gens pour qu’ils
aillent les tuer.
Président : Les gendarmes vous avez pu les identifier ?
Témoin : Je ne les connaissais pas. Il s’agissait des gendarmes de MUNINI ainsi que SEBUHURA. Je
présume que ce véhicule appartenait au projet théicole NSHILI-KIVU.
Président : Vous le présumez ?
Témoin : Ce sont des informations qui ont circulé puisque les gendarmes de MUNINI n’avaient pas de
véhicule de fonction propre.
Président : Comment connaissiez-vous le nom de SEBUHURA ?
Témoin : Lorsque nous avons procédé pour la première fois aux inhumations à Kibeho, c’est le
commerçant NZARUBA qui m’avait parlé de lui, le 7 avril 1999.
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Président : Pourquoi vous parlez de 1999 ?
Témoin : A ce moment-là, j’ai donné mon témoignage, j’ai parlé du véhicule des gendarmes et jusquelà j’ignorais leur chef.
Président : Est-ce que vous avez entendu parler du major BIZIMUNGU ?
Témoin : C’est SEBUHURA qui était à la tête de la gendarmerie et maintenant vous parlez de
BIZIMUNGU.
Président : Donc pour vous, celui qui était à la tête de la gendarmerie était SEBUHURA ?
Témoin : Oui. Il était de Gikongoro. Il dirigeait la gendarmerie de Gikongoro.
Président : Quand vous avez été entendu par les enquêteurs français (D10599), le 17 juin 2014, vous
avez dit à propos de SEBUHURA « en mai, j’ai vu SEBUHURA le chef de la gendarmerie venir avec son
chauffeur. A un croisement près de chez moi, il a demandé aux jeunes Interahamwe de l’accompagner
à l’école Marie-Merci pour y tuer les élèves. Environ 20 à 40 Interahamwe l’ont accompagné à pied.
SEBUHURA était à bord d’une camionnette de la gendarmerie. Je ne les ai pas accompagnés. Les corps
avaient été enterrés derrière la chapelle. Je connais deux Interahamwe qui ont participé à ces meurtres
» Vous vous en souvenez ?
Témoin : Je ne me souviens pas des noms mais ils figurent dans le livre que j’ai écrit.
Président : Vous parlez de MUKULULU et RISUBA?
Témoin : Le premier travaillait au café de KIBEHO et le second était un employé de BAKUNDUKIZE.
Président : Les avez-vous vus ?
Témoin : Oui je les ai vus après qu’ils soient descendus du véhicule. Ils portaient l’uniforme.
Président : Expliquez-nous la scène.
Témoin : Ils se sont arrêtés là-bas à un endroit où se trouvait un panneau routier. A cet endroit, il y a
normalement des gens.
Président : C’est qui ils ?
Témoin : Les gendarmes.
Président : C’est SEBUHURA et les gendarmes ?
Témoin : Oui, ils étaient ensemble.
Président : Tout à l’heure, vous avez donné le nom du responsable des gendarmes de MUNINI. Est-ce
que vous le connaissez ou je me trompe ?
Témoin : Non je connais plutôt le chef de ceux qui gardaient l’école Marie-Merci.
Président : Le chef des gendarmes qui gardaient l’école, c’était qui ?
Témoin : KOMAYOMBI. C’était lui le chef de poste.
Président : KOMAYOMBI venait d’où ?
Témoin : Il était toujours positionné à Marie-Merci. Il venait de Gikongoro.
Président : Ce gendarme était-il déjà quand il y avait eu l’attaque sur la paroisse de Kibeho ?
Témoin : Ils étaient déjà là.
Président : Faisaient-ils partie de ceux qui ont tiré ?
Témoin : Je n’étais pas présent lorsqu’on a tiré sur les gens à la paroisse mais pour ce qui concerne
l’attaque 12, il y avait le gendarme SHIMIYE qui était venu de Murambi. Ils ont remonté vers l’école
Marie-Merci. Je ne sais pas si en repartant, ils sont partis avec ceux qui étaient là.
Président : Vous parlez des gendarmes en disant « ceux qui étaient là » ?

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Témoin : Je parle du gendarme SHIMIYE qui est descendu avec la population jusque dans la vallée
puis ils sont remontés en direction de l’école Marie-Merci pour aller à la paroisse. Ils sont partis avec
les autres.
Président : Le gendarme SHIMIYE a donc participé à l’attaque avec la population ?
Témoin : De la paroisse oui, le 12 avril 1994.
Président : Au moment de l’attaque de la paroisse, avez-vous vu ou su si le bourgmestre Charles
NYLIDANDI a participé à l’attaque ?
Témoin : NYILIDANDI et BAKUNDUKIZE sont venus donner des instructions à ceux qui allaient prendre
part aux attaques.
Président : C’est quelque chose que vous avez su ou vu ?
Témoin : Ce sont des choses que j’ai vues moi-même.
Président : Que savez-vous de l’abbé NGOGA ?
Témoin : Pendant la nuit du 14, l’abbé NGOGA était dans l’église avec les réfugiés qui allaient mourir.
La pluie est tombée et les tueurs étaient à court de munitions. Dans le courant de la nuit même,
BAKUNDUKIZE est allé chercher des munitions à l’usine de Mata. Il y a eu une petite accalmie ; certains
tueurs sont rentrés chez eux, d’autres sont allés chercher de la bière. L’abbé NGOGA a dit à ceux qui
étaient avec lui à l’intérieur de l’église que la situation était devenue très grave, qu’un très grand
nombre de gens étaient déjà morts. Il les a invités à faire une prière, après quoi quiconque le pouvait
devait partir de là à pied. Il est descendu avec certains qui sont passés par Kibeho. Ils ont continué
jusqu’à la paroisse de Karama, le curé de la paroisse étant l’abbé NGOMIRAKIZA. NGOGA a raconté ce
qui s’était passé à Kibeho. Il avertissait que la même chose risquait de se produire là-bas. Le
lendemain, à l’aube, ils ont continué leur route vers Butare, chez l’évêque GAHAMANYI. Ils ont raconté
à Monseigneur GAHAMANYI ce qui s’était passé. Ils leur ont demandé d’appeler Monseigneur
MISAGO pour lui demander des militaires qui devaient aller garder Kibeho.
Président : Comment l’avez-vous su ?
Témoin : Je l’ai su par après. Il y a un élément que je n’ai pas encore dit ; Monseigneur GAHAMANYI
n’a pas téléphoné mais il a donné le téléphone à l’autre pour qu’il appelle lui-même. Il a téléphoné à
MISAGO, qui lui a répondu qu’il n’allait pas avoir de militaires qui allaient garder Kibeho. Il ne
commande pas les militaires mais il collabore avec les autorités de la préfecture. Je pense que les chefs
de confession religieuse font partie de la conférence préfectorale.
Président : Autre chose à ajouter ?
Témoin : Après cette réponse comme quoi il n’allait pas trouver de militaires, l’abbé NGOGA l’a
rapporté à l’abbé MASINZO, qui s’était rendu lui aussi à Butare. Vous m’aviez demandé ce qui était
arrivé à NGOGA. L’évêque l’a envoyé avec FURAHA à la paroisse de NGOMA ; ils sont partis de l’évêché
avec MASINZO. MASINZO a été caché par la population. Les gendarmes ont pris les deux autres
prêtres, les ont amenés en prison et les ont tués.
Président : Quelle prison ?
Témoin : De Butare.
Président : C’était dans quel délai ?
Témoin : Il a été tué dans le courant du mois de mai, il était arrivé en avril.
Président : Concernant les élèves de l’école Marie-Merci, vous avez dit que les élèves devaient être
amenés par des véhicules à KABGAYI.
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Témoin : Oui.
Président : Qu’est-ce que c’est KABGAYI ?
Témoin : C’est un diocèse. Il y avait aussi une paroisse. A cet endroit avaient afflué beaucoup de
réfugiés venus de partout. C’est au centre du pays.
Président : C’est un endroit qui peut être dangereux ?
Témoin : On en sortait quelques-uns qu’on allait tuer mais à cette époque, on disait que c’était pour
les protéger qu’on les rassemblait à un même endroit.
Président : Quand l’abbé UWAYEZU vous parle de ça, il vous dit que c’est ce qui a été décidé lors de la
réunion ?
Témoin : Oui.
Président : On a entendu plusieurs élèves qui n’ont jamais évoqué la possibilité d’être conduits
ailleurs.
Témoin : On ne leur a pas parlé de ça mais je crois que quelqu’un en a parlé.
Président : Il n’y avait pas d’autres camps où il pouvait y avoir des réfugiés ?
Témoin : Il n’y en avait pas, si ce n’est que les gens qui fuyaient vers la paroisse de CYAHINDA. C’est la
paroisse en direction du Burundi.
Président : Il n’a pas été question pour les élèves d’aller à Cyahinda ?
Témoin : Non. Les gens de CYAHINDA ont été également tués le 23, le jour-même de l’assassinat du
préfet de Butare.
Président : Les jeunes filles dont vous avez parlé, vous leur avez parlé directement ou on vous l’a
rapporté ?
Témoin : Je ne me suis pas entretenu directement avec elle, j’ai entendu cela des autres personnes.
Questions des parties civiles
Me GISAGARA : Lors de votre audition du 14 juin, vous avez parlé de X. Pouvez-vous en dire
davantage ?
Témoin : Lors du meeting du PSD qui était dirigé par le président du PSD, il avait prévenu des Tutsi de
Kibeho et Mubuga que ce directeur avait déjà tué des Tutsi.
Me GISAGARA : C’était quand ce meeting où ils ont prévenu les Tutsi ?
Témoin : Ce meeting a eu lieu en 1992. Il avait prévu toute la population.
Me GISAGARA : Connaissiez-vous des personnes qui y allaient ?
Témoin : Il y avait Gabunganda, qui était chauffeur à l’usine, il habitait à Kibeho ; Nathanael
Mutazihana, il était assistant médical. Ce sont de ceux-là que je me souviens.
Me GISAGARA : Je note donc qu’il y avait déjà des camps d’entrainement et qu’on avait alerté sur le
génocide. Toujours lors de l’audition du 14 juin, vous avez relaté l’épisode où vous allez voir son frère
pour lui demander d’intervenir car vous venez d’apprendre qu’il disait aux gens de tuer les Tutsi.
Témoin : Je m’en souviens, il me semble que c’était le 10.
Me GISAGARA : Il vous a répondu que vous et son frère ignoriez les ordres du gouvernement. Vous
a-t-il précisé de quelles autorités venaient ces instructions ?
Témoin : Non. Il n’a pas parlé d’autorités.
Me GISAGARA : Pour lui, il ne faisait aucun doute que tuer des Tutsi faisait partie des instructions du
gouvernement ?

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Témoin : Oui. Je vous ai parlé également de la réunion du 11. Il a dit que nous devions tuer les Tutsi
car ils avaient tué notre président HABYARIMANA, que nous devions nous venger. Il en avait parlé lors
de cette réunion.
Questions de la défense
Me Levy : Le 14 juin, j’avais noté que vous aviez dit que la nuit du 11 avril, est arrivé un objet très
lumineux, je ne sais pas s’il s’agissait d’un satellite, la population disait que c’était un vaisseau des
blancs. Est-ce quelque chose que vous avez vu ?
Témoin : Oui je l’ai vu moi-même. Nous étions dans notre propriété et nous sommes sortis, nous
l’avons vu qui venait du nord et qui allait vers le sud, vers le Burundi.
Me Levy : Si j’ai bien compris, quand vous avez vu M. SEBUHURA, c’était le 12 avril au moment de
l’attaque de la paroisse ?
Témoin : Non, c’est au moment où il appelait la population pour venir tuer les élèves de Marie-Merci.
Me Levy : Vous dites que vous avez vu SEBUHURA le jour de l’attaque de l’école ?
Témoin : Oui. Quand ils sont venus au panneau routier pour appeler les gens qui allaient tuer.
Me Levy : Vous avez témoigné dans le cadre du procès de Monseigneur MISAGO.
Témoin : Oui.
Me Levy : D8836
? (…)
Témoin : Quelle date ?
Me Levy : A priori le jour de l’attaque de l’école Marie-Merci. Est-ce que cela correspond à ce que vous
avez dit au tribunal pour le procès de MISAGO ?
Témoin : Certains ont fui au Burundi quand ils ont su qu’on allait les tuer également. Puisqu’ils
cherchaient des personnes qui allaient tuer et que ceux qu’il a cherché ont tué, quelle est la
différence ?
Président : Ce que vous voulez dire est que SEBEHURA a fait en sorte que des gendarmes acceptent
de tuer les élèves de Marie-Merci ?
Témoin : Oui, qui tuaient des élèves.
Président : Ce qui parait correspondre avec ce qu’on a entendu par ailleurs.

Alain GAUTHIER
Mathilde LAMBERT
Jacques BIGOT pour la mise en page
Merci à Lionel GUIBERT pour sa collaboration si efficace pour l’élaboration du témoignage de Dafroza
GAUTHIER

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References
↑1

Le 28 janvier 1993, Jean Carbonare prévient à la fois l’Élysée et le public au JT de 20 heures de
France 2: « On sent que derrière tout ça, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de
purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité dans le pré-rapport que notre
commission a établi. Nous insistons beaucoup sur ces mots. »

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mardi 5
juillet 2022. J 37
07/07/2022

Interrogatoire de l’accusé (suite).
Monsieur le président commence par évoquer la tenue d’une réunion le 8 avril 1994. L’accusé répond
qu’il n’a ni convoqué ni assisté à cette réunion.
Le président aborde ensuite la conférence préfectorale du 13 avril au CIPEP [1]: « Vous avez donné des
instructions pour tuer les Tutsi? »
L’accusé: « Je n’ai jamais donné l’ordre de tuer des Tutsi. On s’était rendu compte que des gens affluaient
dans les paroisses, en particulier à GIKONGORO. Je voulais consulter des personnes pour trouver des
solutions. Des décisions ont été prises. L’aide alimentaire serait assurée par la CARITAS et les institutions
religieuses. Là où se trouvaient des canalisations, consigne de distribuer l’eau gratuitement aux réfugiés.
La gendarmerie devait assurer la sécurité des déplacés, en particulier sur le site de MURAMBI où il y avait
des locaux disponibles. Cette distribution gratuite ne devait concerner que les gens de la commune de
NYAMAGABE et les ressortissants de secteurs proches. MURAMBI est le seul endroit où on a décidé de
rassembler les gens. Ailleurs, les gens se sont rassemblés d’eux-mêmes dans les paroisses et les écoles. La
décision concernant MURAMBI n’a pas fait l’objet d’un communiqué, contrairement à la décision du
conseil préfectoral du 10 avril. »
Le président résume alors: « La décision de diriger les gens vers MURAMBI est prise le 10 avril afin
d’assurer la protection des réfugiés. Les modalités concrètes seront prises le 13. » Monsieur
BUCYIBARUTA confirme.
Le problème des barrières a-t-il été évoqué le 13 avril?
Laurent BUCYIBARUTA: « Les barrières ont été érigées à l’initiative du Ministère de la Défense. On a
recommandé qu’aux barrières on évite d’agresser les passants. Elles avaient pour objectif de signaler « les
infiltrations ». Depuis 1990, il y avait une guerre atroce avec des soldats ougandais d’origine rwandaise. »
Le président: « Cette mesure n’a pas pour effet d’empêcher les Tutsi de se déplacer d’un secteur à
l’autre? » Monsieur BUCYIBARUTA se contente de dire que des gens quittaient leur secteur pour semer
le trouble. Une fois de plus, il ne répond pas à la question.
Le président: « Des Tutsi pouvaient aussi vouloir fuir Ceux qui avaient des cartes avec mention « Tutsi »
étaient considérés comme des « infiltrés? » L’accusé concède que les Tutsi qui passaient aux barrières
pouvaient se faire tuer. Et de répéter que les barrières étaient des lieux de contrôle des « infiltrés ».
Elles n’avaient pas été placées pour tuer.
Le président: Votre épouse n’avait pas l’impression d’être en danger?
L’accusé: Si, mais elle avait pu soudoyer des gens pour passer.
Monsieur le président commente: Présenter sa carte d’identité tutsi présentait un risque de mort?
C’est ce qu’a dit une femme entendue en visioconférence de BUFFALO [2]. Vous lui aviez conseillé de
ne pas montrer sa carte d’identité Il est vrai qu’elle était accompagnée de gendarmes. Maintenir les
barrières entraînait des conséquences dramatiques pour les Tutsi?

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Laurent BUCYIBARUTA: Je ne pouvais pas démanteler les barrières érigées par le MINADEF (Ministère
de la Défense). Je ne pouvais pas m’opposer à cette décision, on m’aurait considéré comme un
complice du FPR [3].
Le président: Vous avez demandé aux bourgmestres de faire un compte-rendu?
Laurent BUCYIBARUTA: Chaque bourgmestre a rendu compte de la situation dans sa commune. La
situation était grave, raison pour laquelle j’avais convoqué toutes les autorités, BISZIMUNGU, les
bourgmestres, les représentants des églises, les forces de gendarmerie. Mais toutes n’étaient pas
loyales.
Le président: Regrouper tant de gens en un même lieu, n’était-ce pas faciliter des massacres de
masse?
Laurent BUCYIBARUTA ayant réponse à tout, ose la réponse suivante: » On fait comme cela en
France lorsqu’il y a une catastrophe. » Il précise qu’il ne s’est rendu à MURAMBI qu’une seule fois, le 15
avril.
Le président: Cela vous paraissait suffisant? Quel était l’objet de cette visite? Que les réfugiés ne
dérangent pas leurs voisins hutu?
L’accusé: Il s’agissait de leur apporter une aide substantielle. Les ONG qui auraient pu aider avaient
plié bagages. Quant à la cohabitation avec les voisins hutu, j’ai rencontré les Hutu des environs en leur
disant que les Tutsi étaient venus là car ils étaient en danger. Les Hutu se plaignaient que les vaches
des réfugiés venaient paître dans leurs champs. Mais je n’ai pas été informé du fait qu’on demande aux
Hutu de quitter MURAMBI.
Le président: Pas informé non plus des meurtres à la barrière de KABEZA, les fosses?
L’accusé: Non. C’est Madeleine RAFFIN qui me le dira plus tard.
Le président: Vous êtes passé à la barrière de KABEZA?
L’accusé: Je pensais que cette barrière fonctionnait normalement.
Le président s’étonne: Un témoin que vous avez fait citer, membre des services de renseignement, a
évoqué la situation [4]. Son chef ne vous a jamais alerté?
La question reste sans réponse.
« Et le problème de l’eau? » interroge le président.
L’accusé: On m’a dit que la canalisation avait été réparée. On ne m’informait pas. Les décisions étaient
prises à KIGALI. Les informations venaient aussi de la capitale.
Le président: Vous n’avez pas été surpris que des gens pouvaient mourir de faim ou de maladie à
MURAMBI?
L’accusé: C’était comme cela dans tout le pays. Même pour ma famille. Même la Croix Rouge n’était
plus fonctionnelle. Je ne pouvais pas donner ce que je n’avais pas. J’étais complètement dépassé.
Le président: Le 14 avril, vous êtes allé à CYANIKA?
L’accusé: Oui, dans l’après-midi. J’ai parlé avec le curé et les religieuses qui habitaient près de la
paroisse.
Le président: selon Madeleine RAFFIN, le curé pouvait téléphoner. Il s’est même déplacé. Vous l’avez
su?
L’accusé: J’ai parlé avec le curé qui m’a exposé la situation. Mais il n’y avait pas de problème de vivres
à ce moment. La paroisse gérait le stock de CARITAS.
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Le président: Selon la supérieure des Sœurs de CYANIKA, il a fallu vous supplier d’évacuer les soeurs.
L’accusé: Non. On a discuté. A la fin, elles ont décidé de rester. Nous avons seulement évacué Sœur
JOSEPHAT.
Le président: Et les attaques de KIBEHO, vous êtes informé quand?
L’accusé: Le16avril, lors d’une réunion avec monseigneur MISAGO. J’ai su que la paroisse de KIBEHO
avait été attaquée, qu’il y avait eu des morts et que d’autres avaient fui vers BUTARE. Nous avons pris
la décision de nous y rendre le 17. J’en ai parlé au commandant de la gendarmerie: il ne savait rien.
Le président: La presse rend compte, dans un communiqué du 17 avril, de votre rencontre avec le
préfet de BUTARE et le commandant de gendarmerie de GIKONGORO. (D 8967 ?) Vous reconnaissez
« des troubles à caractère ethnique et un climat de sécurité perturbé. » Ce sont des mots relativement
neutres, soft? Il y a eu combien de morts à KIBEHO?
L’accusé: Je ne sais pas. Il y a eu des troubles accompagnés de pillages. Il fallait tout faire pour rétablir
la sécurité. Les autorités devaient provoquer des réunions; il était interdit de se déplacer, de se tenir en
groupes, les déplacés devaient rester où ils étaient.
Le président: Mais ce sont des décisions qui peuvent jouer en défaveur des Tutsi qui ne peuvent passe
déplacer?
L’accusé: Pour nous, il fallait éviter que les tueurs et les pillards ne se déplacent. . Il s’agissait de
dénoncer les porteurs d’armes, de prévenir et punir tout acte de violence.
Le président: Ces déclarations n’ont pas eu beaucoup d’effets! Le 17 avril, le préfet de BUTARE sera
remplacé et tué, comme celui de KIBUNGO.
Le 18 avril, c’est la visite de SINDIKUBWABO et vous n’êtes pas prévenu de sa visite?
L’accusé: Non. Seules cinq personnes prévenues par téléphone étaient invitées.
Le président: Au cours de cette réunion, vous avez évoqué ce que vous aviez vu à KIBEHO?
L’accusé: En entrant avec le président, on a abordé un certain nombre de questions. J’ai parlé de
KIBEHO. J’ai dit qu’il y avait peu de gendarmes et que des gendarmes indisciplinés avaient tué.
Certains avaient des idées génocidaires. J’ai demandé qu’on nous donne plus de gendarmes mais le
président a refusé. SINDIKUBWABO voulait que les gens retournent chez eux.
Le président: Le 19 avril, c’est le discours de SINDIKUBWABO à BUTARE.
L’accusé: J’ai senti des ambiguïtés d’abord, puis j’ai compris qu’il encourageait à tuer les Tutsi. J’ai
compris que ce discours allait mettre le feu aux poudres.
Le président: Ce n’était pas inquiétant pour vous?
L’accusé: Si, c’était inquiétant. La seule force sur laquelle on pouvait compter, c’était la gendarmerie.
Mais une partie avait pactisé avec les tueurs. J’étais dépassé.
Le président: Et le 21 avril, que faites-vous?
L’accusé: Je ne pouvais rien faire. Je suis resté chez moi. Je ne pouvais pas aller à MURAMBI. On avait
entendu des bruits d’armes mais on ne savait pas de quoi il s’agissait. . Je n’avais pas de chauffeur et je
ne pouvais pas abandonner ma famille. Le 21 au matin, de la préfecture, j’ai téléphoné au
commandant. Il avait entendu aussi les attaques. L’assassinat du directeur adjoint de la prison et
l’assassinat des prisonniers tutsi, je l’ai appris plus tard par les services de renseignement.
Le président: Qui va vous faire un bilan de la situation, qui va vous dire pour CYANIKA, pour KADUHA?

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L’accusé: Les informations ont été connues dans la journée. Pour l’enterrement, je ne pouvais pas aller
partout. Pour MURAMBI, le bourgmestre de NYAMAGABE est venu me proposer que les détenus s’en
occupent. Il fallait trouver une escorte pour les accompagner à MURAMBI. Seul le ministère des Tavaux
Publics avait un Caterpillar.
Le président: Vous savez qu’à la suite des attaques des survivants avaient été achevés le lendemain?
Etes-vous allé à MURAMBI, à KADUHA où vit votre famille, êtes-vous allé voir l’abbé NIYOMUGABO à
CYANIKA?
L’accusé: J’étais tellement choqué par ce que j’avais vu à KIBEHO, je ne pouvais pas aller sur le site des
autres massacres. J’ai été touché alors que je pouvais être d’aucune utilité. Je n’avais aucun moyen
d’aller affronter les tueurs. J’ai fait ce que j’ai pu, nul n’est tenu à l’impossible. J’ai pu sauver des gens,
donner des instructions.
Le président: Votre parole de vérité, c’était pour dénoncer?
L’accusé: J’ai dénoncé.
Assesseure 1: Concernant les barrières,

– partie de compte-rendu en cours de rédaction. –

Monsieur le président poursuit son interrogatoire en s’appuyant sur la lecture de plusieurs document
dont les instructions du ministre de l’intérieur adressée à tous les préfets le 21 avril (D10892/4):
« Monsieur le Préfet,
Compte tenu des périodes de troubles que notre pays traverse, je vous envoie cette lettre dans laquelle je
vous demande d’accorder votre attention sur des points suivants en vue de restaurer plus rapidement un
climat de sécurité dans la préfecture sous votre administration:
1. Convoquer rapidement la réunion du Comité préfectoral de sécurité élargi aux responsables des partis
politiques pour élaborer ensemble des plans pour la restauration de la sécurité dans le pays.
2. Sensibiliser la population sur la nécessité de continuer à retracer l’ennemi où qu’il se trouve et où il
aurait caché ses armes, sans porter préjudice aux innocents.
3. Prévenir toutes les personnes contre les abus d’agression qui menaceraient la vie et les biens des autres
pour des raisons de jalousie, des inimitiés et l’esprit de vengeance.
4. Engager toutes les autorités de différent niveaux, des bourgmestres, des conseillers et des membres des
comités de cellule à restaurer et à maintenir un climat de sécurité envers les habitants et leurs biens.
S. Collaborer avec les organes des confessions religieuses pour amorcer le rétablissement de la paix dans
les âmes des habitants du Rwanda, pour plus de tolérance et de pardon, les uns envers les autres.
6. Examiner avec les concernés comment réouvrir les magasins, les marchés, les étals des divers métiers,
pour permettre aux gens de se rencontrer et d’échanger.
7. Faciliter les concernés de toutes les régions, spécialement ceux qui commercialisent les denrées
alimentaires, dans leur rôle de distribution de vivres.
8. Appeler les fonctionnaires et autres employés à reprendre rapidement leurs fonctions la où c’est

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possible.
Je vous demande de mettre immédiatement en action toutes ces directives.
Le Ministre de l’Intérieur et du Développement Communal
Munyazesa Faustin. » [5]
Souvenez-vous d’avoir reçu ces instructions ? Quelle a été votre réaction à ce moment-là ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, je les ai reçues. C’est par après, lors de la réunion de la conférence
préfectorale du 26 avril, qu’on a examiné la plupart de ces points. C’est d’ailleurs le 26 avril, qu’avec les
bourgmestres et les sous-préfets, qu’on a trouvé mieux qu’un message soit transmis à la population.
C’est le message qui a été signé le 29 avril.
Président : Quand a-t-il été rédigé exactement ?
Laurent BUCYIBARUTA : L’idée de rédiger un message date du 26 avril, mais il a été signé le 29 avril.
Nous n’avons pas limité notre réflexion uniquement sur le contenu de la lettre du Ministre de
l’Intérieur. On a voulu aussi aborder des problèmes sur la situation locale parce que les gens écoutent
plus facilement quand vous leur exposez des problèmes qui se posent directement à eux. C’est la
raison d’être du message du 29 avril intitulé « Retour de la paix dans la préfecture ».
Président : Et il se trouve qu’entre le 21 et le 29 avril, il y a un autre courrier adressé par le Premier
ministre, Jean KAMBANDA, à tous les préfets (D10693/1 à/4) [6].
Laurent BUCYIBARUTA : Ça ressemble à une question qui a été posée tout à l’heure.
Personnellement, je n’ai pas participé à la rédaction de ces mots. J’ai compris que c’était un langage
politique.
Président : C’est quoi ce « langage politique » ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est un langage qui est de trop, car si un fonctionnaire accomplit ses
fonctions, il n’est pas nécessaire de le remercier.
Président : En l’occurrence, parler de « bravoure » dans les temps qui se passent, c’est quoi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Un fonctionnaire qui accomplit correctement ses fonctions, c’est noté dans
le bulletin de signalement. C’est l’appréciation qui est donnée à la fin de l’année sur l’accomplissement
des tâches.
Président : Comment qualifiez-vous cette lettre ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je dis tout simplement que c’est un langage politique.
Président : « Langage politique », donc vous avez une haute estime de la politique.
Laurent BUCYIBARUTA : On peut le qualifier autrement, mais je dis langage politique.
Monsieur le président lit le message que Laurent BUCYIBARUTA adresse à la population « pour
ramener le calme [7] » (D8277-D8283).
Président :. Voyez-vous des similitudes entre ce que je viens de lire et le courrier du Premier ministre ?
Laurent BUCYIBARUTA : Cette circulaire contient des éléments qui avaient déjà été évoqués dans la
lettre du 21 avril du Ministre de l’Intérieur.
Président : Donc, vous avez adopté le même discours politique ?
Laurent BUCYIBARUTA : En ce qui concerne la préfecture de GIKONGORO, on s’est dit qu’au lieu de
reprendre les mots de la circulaire, on allait aborder concrètement les questions relatives à la
préfecture car s’il fallait convaincre les gens pour qu’ils comprennent notre langage, il fallait trouver
des mots qui les touchent directement en donnant des exemples concrets sur la situation locale.
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Président : Arrêter la guerre ne vous semble pas être une position politique ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non parce que si les éléments sont là et qu’il n’y a pas de reproches…
(Interruption du président)
Président : Donc, vous relayez le discours politique du gouvernement ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est une position d’ordre politique puisque c’est le rôle du gouvernement
de prendre des positions collectives.
Président : C’est votre message et vous allez le signer. C’est votre message ou ce n’est pas votre
message?
Laurent BUCYIBARUTA : Pas textuellement. Il y a des éléments que je peux reprendre. Si je trouve
que ces éléments ne sont pas nécessaires dans le message que je vais émettre, je ne les retiens pas.
Président : Est-ce que vous croyez à ce que vous écrivez ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est le point de vue de certains citoyens.
Président : Est-ce que vous pensez que c’était la vérité ? Il y a un mot « extermination ». Le 17 avril,
vous allez à KIBEHO et, selon vous, qui allait être exterminé ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est mon message, mais je ne fais que rendre compte de la situation telle
que les gens la vivaient. Ce en quoi j’étais convaincu c’est que les Inkotanyi, leur objectif était de
prendre le pouvoir au Rwanda. Les moyens pour y parvenir, je peux pas le préciser. C’était des Tutsi.
Président : Ça ne paraît pas un peu bancal ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce que j’ai dit c’est que pour moi, ce que j’ai compris, pour moi seulement,
c’est que le FPR, en attaquant le pays en 1990, et aussi en reprenant les hostilités en 1994, son objectif
était de prendre le pouvoir au Rwanda. Les moyens pour y parvenir, je ne peux pas les détailler
puisque je ne suis pas dans le secret des plans du FPR.
Président : Est-ce que ce qui se passe à KIBEHO c’est dû au fait que des personnes se seraient livrées
au pillage avec leurs ennemis ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, c’est tout à fait différent. Je pensais aux Hutu qui profitaient de la
situation pour régler leurs comptes parce qu’il y avait aussi des règlements de compte entre les Hutu.
Président : Les terrains se sont les terrains de qui ? Les terrains des Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui justement, ce que je veux dire par là c’est que les biens des personnes
décédées ou en fuite devaient rester intacts, sauf les cultures saisonnières qui périssent après un ou
deux mois, comme les haricots ou les patates douces. Ils pouvaient être vendus mais les biens meubles
et immeubles qui subsistaient devaient rester intacts parce qu’il était possible que les personnes qui
avaient quitté le terrain pour se réfugier par exemple au BURUNDI ou ailleurs ou leurs descendants
pouvaient revenir quand la paix serait rétablie dans le pays.
Président : Qui est l’ennemi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce sont les agresseurs venus de l’OUGANDA.
Président : Le dicton sur les machettes, ça interpelle dans ce genre de conflit ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je n’ai cité qu’un proverbe tel qu’il est en Kinyarwanda. Je voulais convaincre
les tueurs et autres malfaiteurs pour qu’ils comprennent que les actes étaient inadmissibles car ils
portaient atteinte à la vie des gens, mais aussi aux biens publics.
Président : Quand vous dites que la radio n’est presque plus disponible, mais ce n’est plus la même
chose ?

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Laurent BUCYIBARUTA : Je l’ai dit en Kinyarwanda. La radio qui pouvait donner des informations plus
ou moins neutres c’était Radio Rwanda. A cette époque, il ne restait que RTLM [8] et Radio
Muhabura [9]) et ces radios étaient extrémistes. A un moment, Radio Rwanda allait dans certains cas
dans l’extrémisme.
Président : Vous dîtes que la radio n’est plus disponible. Vous ne dîtes pas qu’il ne faut pas ne pas
écouter RTLM ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce que je voulais dire est qu’il n’y avait plus d’informations fiables.
Président : Un problème de traduction alors…
Président : « Poussez les gens à se battre entre eux est un des artifices… », c’est qui « entre eux »?
Laurent BUCYIBARUTA : Pour comprendre ça, sur Radio Muhabura par exemple, on lançait un
communiqué disant que tel officier rwandais a été tué alors qu’il était bien vivant. Ça semait aussi la
panique au sein des forces armées. C’est ce genre de message opposant les gens contre les autres, les
officiers du nord à ceux du sud. Tout cela ne pouvait avoir pour conséquence que de mobiliser les
forces armées.
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, il y a eu toute la propagande déversée par les radio.
Vous avez convenu quand on parlait de « l’ennemi », qu’on ne visait pas forcément le FPR et
les Inkotanyi [10], mais les Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je précise que quand je parle d’ennemi, je ne pense qu’aux groupes de gens
qui avaient pris les armes de l’armée ougandaise et avaient pris d’autres armes pour attaquer le
Rwanda.
Président : Et là, dans tout le message, on parle de « l’ennemi »?
Laurent BUCYIBARUTA : Mon message, quand il parlait de l’ennemi, c’est celui qui avait attaqué et
qui était sur le front avec les forces gouvernementales. Je ne fais pas référence aux Tutsi ou aux Hutu
qui avaient rejoint le FPR.
Président : Donc, c’est un problème de traduction. Quand dans la population on parle de « l’ennemi »,
à qui fait-on référence ?
Laurent BUCYIBARUTA : En tout cas, dans mon message, ce que je visais comme ennemi c’était le
FPR et ceux qui l’avaient rejoint. Les ennemis sont les membres du FPR qui avaient attaqué, qu’ils
soient Hutu ou Tutsi.
Président : Quelle était la première dimension des troubles ? C’est la haine inter ethnique ? La haine
envers l’ennemi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Vous venez de les évoquer.
Président :« Y mettait fin » // « Désormais » : Je ne vois pas beaucoup de différences. Est-ce que la
priorité ce n’est pas de mettre fin au massacre car il y a des victimes innocentes ?
Laurent BUCYIBARUTA : La différence est que tous ces actes n’étaient pas autorisés, mais on voulait y
mettre fin.
Président : Que voulait dire par-là ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce sont les mots que j’ai trouvés pour convaincre ceux qui se livraient à ces
actes. Il est dit quelque part « actes à caractère ethnique ». Quand je parle de massacre à caractère
ethnique, je veux dire qu’on doit arrêter de blesser quelqu’un parce qu’il est d’une autre ethnie. Je
devais trouver un message pour convaincre ces gens. Les Tutsi ne se livraient pas aux massacres donc
il fallait convaincre ceux qui étaient impliqués dedans de les cesser.
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Président : Vous visez quoi l’auto-défense civile ? Les Interahamwe [11] ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il y a l’ennemi ; c’est le combattant sur le front ou bien les autres malfaiteurs
parce qu’il y avait aussi des malfaiteurs. Dans les différentes localités, par exemple des gens qui
provenaient d’un secteur pour s’attaquer à un autre, ou même du même secteur, on demandait aux
gens de ne pas attaquer les gens sur des bases ethniques ni pour des différends personnels.
Non, ce n’était pas du tout ça mais tout simplement les forces de l’ordre et les autorités communales
qui devaient faire en sorte que ces groupes, s’ils existent, de malfaiteurs et de meurtriers, puisqu’ils
n’existaient pas partout, soient démantelés. Dans la mesure du possible, il fallait traduire les
délinquants devant la justice quand elle recommencera à fonctionner. Je peux parler de cas concrets. Il
y avait parfois des déserteurs de l’armée qui se rendaient dans la population et provoquaient des
atteintes aux droits des gens. On voulait que ces cas, s’ils sont constatés, soient signalés.
Président : Qui sont les personnes désignées par chaque secteur ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce sont les conseillers de secteurs.
Président : Ça veut dire que, selon vous, il était possible de trouver dans les secteurs des personnes
pouvant garantir la sécurité dans le secteur ? Pourquoi nous ne l’avons pas fait avant ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, parce qu’en fait, tous les habitants des secteurs ne se sont pas livrés aux
massacres. Si ça n’avait pas été utilisé, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas.
Oui, j’y croyais parce que je savais que beaucoup de citoyens cherchaient aussi le retour de la paix et
ne s’étaient pas livrés à des actes de meurtre ou d’autres actes de violence. Les gens qui se sont livrés
aux attaques, ce n’est pas toute la population mais quelques individus.
Président : Il faut que ce soit des intéressés particulièrement dignes de confiance.
Laurent BUCYIBARUTA : Dans les communes, les bourgmestres pouvaient former ces gens.
Président : D’où elles sortent ces armes ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, des armes qui ne sont pas des armes traditionnelles.
Président : Vous parlez des armes de guerre ? Une arme de guerre c’est quelque chose d’assez précis.
Laurent BUCYIBARUTA : En tout cas, nous, on n’a pas distingué.
Président : Est-ce que tous les fonctionnaires étaient au travail, « tous les fonctionnaires doivent
reprendre leur travail » ?
Laurent BUCYIBARUTA : Pas tous les fonctionnaires car certains avaient toujours peur, certains
restaient à la maison pour protéger leur famille. C’était une recommandation qui ne pouvait être
exécutée que dans la mesure du possible.
Président : Vous êtes convaincu par exemple que Monsieur que Damien BINIGA allait mettre en
œuvre ces recommandations ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne peux pas dire que j’étais à 100% convaincu mais j’espérais que les
gens qui pouvaient se rendre à leur service sans danger puissent le faire.
Président : Ce message va être lu lors d’une réunion préfectorale élargie en présence du Premier
ministre ?
Laurent BUCYIBARUTA : D’abord, le Premier ministre est venu le 29 avril.
Président : J’ai un problème car j’ai les carnets du Premier ministre parlent du 30 avril.

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Laurent BUCYIBARUTA : Le 30 avril, c’est la date du compte-rendu de sa visite à GIKONGORO. Il y a
d’autres documents qui attestent à juste titre de sa venue le 29.
Président : (D9308//D9316–D9313) : Il n’y a pas de date, donc je n’ai pas pu déterminer si c’était le 29
ou 30 avril, mais ce qui m’intéresse c’est ce que Jean KAMBANDA a dit. Est-ce que vous avez lu ce
message que vous avez délivré à la population ?
Laurent BUCYIBARUTA : KAMBANDA n’a jamais lu mon message du 29 avril car ce message a été
distribué aux bourgmestres à l’issue de la réunion avec le Ministre KAMBANDA.
Président : Est-ce que ça ne correspond pas un petit peu à votre message ?
Laurent BUCYIBARUTA : D’abord, précisément, le Premier ministre est arrivé le 29 avril. Son arrivée
nous a été annoncée tardivement par un message qui est passé par le réseau radio de la gendarmerie
car c’était le moyen le plus rapide pour que le message puisse nous parvenir. Il est possible que les
installations de la préfecture ne fonctionnent pas à ce moment. J’ai demandé au secrétariat dès que j’ai
appris que le Premier ministre allait venir le 29 alors que la réunion dans les communes était prévue à
cette date, j’ai demandé de suspendre l’envoi puisque les bourgmestres seraient convoqués le 29 avril.
Ce courrier n’a été distribué qu’après la réunion avec le premier ministre. Dans la note de KAMBANDA,
vous voyez des éléments qui sont les mêmes que dans mon message ; les réunions n’ont pas eu lieu le
29 avril mais au début du mois de mai. Le compte-rendu de la visite du Premier ministre à
GIKONGORO a été diffusé le 30 avril. Il y a aussi une note dans le dossier qui indique la nouvelle date
de réunion. Ensuite, la note de KAMBANDA, je ne sais pas à quelle elle a été faite. Il est possible qu’il
ait repris certains éléments de mon message et ajouté ses propres éléments puisque j’ai envoyé une
copie de ce message au ministre de l’intérieur, au premier ministre et au président de la république.
C’était la pratique.
Président : Connaissez-vous NTEZORIMANA ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est le nom du représentant du CDR la dans la commune de Rwamiko à
l’échelle de la préfecture.
Président : Qui paye l’entraînement militaire ? C’est sur quel budget ?
Laurent BUCYIBARUTA : Nous on a parlé de formation. Les gens qui se trouvaient sur les barrières ça
pouvait être d’autres personnes, ça n’était pas une quantité de gens à former. On estimait qu’aux
barrières, s’il pouvait y avoir une personne formée pour utiliser l’arme, c’était une façon d’assurer la
sécurité car au cas où on trouverait quelqu’un armé, il y aurait une personne pour savoir comment
réagir.
Président : Que pensez-vous de ce qui a été diffusé sur les ondes de Radio Rwanda ? Que pensezvous de cette pacification ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne pense rien d’autre que ce que vous venez de dire.
Président : Donc, tout ceci était « politique » ? C’est le communiqué d’un journaliste de Radio Rwanda.
Laurent BUCYIBARUTA : C’est le communiqué, vous avez dit qu’il a été rédigé par un journaliste de
Radio Rwanda et il faisait la synthèse de ce qui avait été débattu au cours de la réunion dirigée par le
Premier ministre.
Président : Lecture des écrits de Monseigneur MISAGO. (D 10344 pages 13 à 16)

Alain GAUTHIER
Page 664 sur 711

Mathilde LAMBERT et Fanny LABRUNIE
Jacques BIGOT

References
↑1

CIPEP : Centre Intercommunal de Développement du Personnel

↑2

Voir l’audition de Xavera IYAKAREMYE, en visioconférence de BUFFALO (USA).

↑3

FPR : Front Patriotique Rwandais

↑4

Voir l’audition d’André SIBOMANA, ancien opérateur radio des services de renseignements.

↑5

document archivé sur francegenocidetutsi.org

↑6

« Instructions visant le rétablissement de la sécurité dans le pays », document traduit
du kinyarwanda archivé sur francegenocidetutsi.org

↑7

Alison
Des
Forges
le
résume
ainsi
:
« Bucyibaruta prit lui-même la liberté de développer le message transmis par le ministère de
l’Intérieur. Son texte remplit sept pages alors que les instructions couvrent moins d’une page, il
en est de même pour la version diffusée par le préfet de Butare. Plutôt que de lancer les habituels
appels au maintien de l’ordre, il élabora ce qui semble être un réel plaidoyer bien argumenté
pour mettre un terme aux violences, en insistant bien entendu sur les conséquences fâcheuses
pour la population en général, plutôt que sur les pertes en vies humaines dans la communauté
tutsi. »
Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights
Watch, FIDH, Éditions Karthala, 1999, p. 402

↑8

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

↑9

Radio Muhabura : la radio du FPR (Front Patriotique Rwandais

↑10

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑11

Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse
et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président
HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mercredi
6 juillet 2022. J 38
09/07/2022

Interrogatoire de l’accusé (suite et fin).
Président : Hier, nous avons évoqué un certain nombre de réunions et conférences préfectorales, avec
une interrogation sur la réunion avec le Premier ministre qui aurait eu lieu le 29 ou le 30 (D8292). Dans
un courrier où vous portez à la connaissance de tous les chefs de service que le travail doit reprendre à
compter du 2 mai 1994, vous faites référence aux réunions qui se sont tenues les 26 et 30 avril. Donc,
si le Premier ministre et vous avaient écrit le 30 avril, c’est bien le 30 avril où a eu lieu cette réunion.
Président : Tous ne sont pas revenus au travail ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Président : Y compris votre propre épouse ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, elle n’est pas retournée au travail.
Président : Au mois de mai, triste événement de l’école Marie-Merci [1]. Quand avez-vous été informé
de ce qui s’est passé et quelle a été votre réaction ?
Laurent BUCYIBARUTA : Les événements avec les élèves de l’école Marie-Merci, qui avaient trouvé
refuge à l’école des lettres, ont eu lieu le 7 mai 1994. Mais, nous n’avons été informés de ce drame que
quelques jours après et c’est d’abord Monseigneur MISAGO qui m’en a informé car il en avait été
informé lui-même par le directeur de l’école Marie-Merci. À ce moment-là, on n’a pas pu mener les
enquêtes comme elles n’avaient pas été menées ailleurs non plus, car pour mener des enquêtes, il faut
que le climat soit serein pour que les pistes puissent être menées. Je pensais que les enquêtes devaient
avoir lieu quand les conditions le permettaient et, à ce moment-là, les conditions étaient telles qu’il
n’était pas possible de procéder à des enquêtes.
Président : Vous êtes vous déplacé ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non.
Président : Avez-vous demandé des rapports ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai demandé des renseignements au responsable de gendarmerie et ***,
eux-mêmes me disaient qu’il n’avait pas d’informations précises.
Président : Ce jour auparavant, vous avez diffusé un message dans lequel vous disiez que les
massacres devaient cesser, que l’auteur d’une mauvaise action devait être traduit devant les autorités.
Ne pensez-vous pas qu’il n’y a pas quelque chose de problématique entre diffuser ce message et
constater une absence totale de réaction ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai exprimé ce que j’éprouvais, c’est-à-dire l’arrêt des massacres. Mais,
comme certains extrémistes n’écoutaient pas les messages lancés par moi-même, ils ont agi comme ils
le voulaient et contre mon gré.
Président : À qui était destiné ce message ?
Laurent BUCYIBARUTA : A la population et aux autorités chargées de réprimer les cas.
Président : Mais, c’est vous qui avez autorité sur ces autorités. Ce message n’est-il pas aussi destiné
aux personnes qui pouvaient craindre pour leur sécurité et à qui on dit qu’il n’y a plus rien à craindre ?
Laurent BUCYIBARUTA : Mon message était sincère. Ceux qui devaient le mettre en pratique ne l’ont
pas suivi.
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Président : Quand des innocents sont massacrés, il n’y a aucune réaction.
Laurent BUCYIBARUTA : Ce message est sincère, mais il n’est pas suivi des faits, quand les élèves de
l’école de Marie-Merci ont été tués, il n’y a pas eu aucune réaction.
Président : Il y a un contraste en ce qui concerne le décès du bourgmestre Charles
NYLIDANDI (D8294). Vous écrivez pour exposer les circonstances dans lesquelles ce bourgmestre a
trouvé la mort, donc vous vous êtes informé très vite. (Lecture du passage) : « des bandes de malfaiteurs
avaient organisé… le bourgmestre est intervenu pour ne pas s’attaquer au stock du projet… c’est autour
de 21h… le bourgmestre a été conduit à l’hôpital… il est décédé… ». Ça aurait été une belle occasion de
parler des élèves de Marie-Merci de KIBEHO. Peut-être que si vous aviez cherché un petit peu, vous
auriez constaté que Charles NYLIDANDI aurait participé au massacre. C’est ce qui a été dit par de
nombreux témoins, il était l’un des meneurs de ces massacres. Et donc, peut être ne pas parler de
« bravoure ».
Laurent BUCYIBARUTA : Dans mes propos, je me suis limité à cet événement de la mort du
bourgmestre. Pour lui non plus, il n’y a pas eu d’enquête. Il n’y a pas eu d’enquête, comme pour les
autres meurtres commis antérieurement. J’ai donné tout simplement les informations que j’avais eues.
Concernant les mots relatifs à la bravoure du bourgmestre, je ne parlais pas de la bravoure du
bourgmestre pour son implication dans les actes commis à KIBEHO, mais tout simplement pour ce
qu’il avait pu faire avec la population Hutu et Tutsi, avant l’avènement de ces meurtres qui ont frappé
la région au mois d’avril. Donc, c’était pour louer sa bravoure dans les actes antérieurs parce qu’il était
là depuis plusieurs années, mais je n’ai pas abordé la question de sa participation éventuelle au
massacre de KIBEHO. S’il y a participation, sa participation était rayée : en tout cas, je n’avais pas
d’éléments pour lui reprocher. Quand on est dans l’enterrement de quelqu’un, c’est la coutume au
Rwanda, même s’il y a des reproches à lui faire, ce n’est pas l’occasion de les exprimer.
Président : Les victimes de KIBEHO, de CYANIKA, de MURAMBI n’ont pas eu l’occasion d’entendre des
mots réconfortants. Vous allez aussi participer au processus de remplacement de Charles NYILIDANDI.
Vous allez assister à l’installation du nouveau bourgmestre BAKUNDUKIZE, qui a largement été
impliqué dans l’attaque. Laurent BUCYIBARUTA : Je vous dis que lorsque le bourgmestre Charles
NYILIDANDI est décédé, il fallait qu’il soit remplacé. Il a d’abord été remplacé par un conseiller
communal. Puis, le gouvernement a décidé que les communes et les secteurs qui n’avaient plus de
conseiller devaient être pourvus par de nouveaux titulaires. C’est ainsi que vu l’urgence, le
gouvernement pouvait nommer un bourgmestre sans consulter le préfet. Il a demandé au préfet, en
l’occurrence pour le cas de MUBUGA, de lui proposer des noms de personnes susceptibles de remplir
les fonctions de bourgmestre. Quand je me suis renseigné sur les personnes susceptibles de remplir
les fonctions de bourgmestre, le nommé BAKUNDUKIZE figurait parmi les personnes qui pouvaient
remplir cette fonction. La démarche visait à trouver des candidats susceptibles d’accomplir des
fonctions de bourgmestre. Si j’avais été informé auparavant qu’il avait trempé dans les massacres, je ne
l’aurais pas proposé. Je n’étais pas le seul à ne pas le savoir. Le même individu, quand il a été nommé
bourgmestre, même les autorités du FPR l’ont maintenu dans ces fonctions, jusqu’au début de l’année
1995. Ma démarche était de trouver des candidats, donc j’ai soumis trois noms. Comme BAKUNDUKIZE
avait déjà été bourgmestre quelques années auparavant, qu’il était agronome, c’est-à-dire quelqu’un
qui est habitué à travailler avec la population, c’est pourquoi je l’ai marqué parmi les autres candidats.
Le fait est que le gouvernement pouvait même nommer un bourgmestre sans consulter le préfet.
Page 667 sur 711

Président : Je pense qu’on a compris vos explications. Vous avez eu l’occasion de suivre une réunion,
sur laquelle nous n’avons pas beaucoup d’informations. Cette réunion se tient le 19 mai, à laquelle
tous les fonctionnaires et salariés sont informés d’aller au CIPEP [2], avec pour objectif un échange
d’idées et d’autres questions. Avez-vous des souvenirs de cette réunion ?
Laurent BUCYIBARUTA : Cette réunion ne concernait que les fonctionnaires du chef-lieu de
préfecture. Même les bourgmestres et les sous-préfets de sous-préfecture n’ont pas été conviés.
Président : Combien de fonctionnaires Tutsi étaient présents à cette réunion ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne peux pas savoir.
Président : Votre chauffeur a-t-il été convié ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, car le problème d’insécurité qui prévalait ne permettait pas que mon
ancien chauffeur vienne dans une réunion publique.
Président : Donc, on fait une réunion avec des fonctionnaires qui n’ont pas de problèmes de sécurité ?
Laurent BUCYIBARUTA : Avec des chefs de service et fonctionnaires au chef-lieu de préfecture, donc
les précautions étaient encore de mise pour qu’on évite qu’il y ait atteinte à la vie de l’un ou l’autre.
N’étaient pas à la réunion ceux qui ne se sentaient pas en sécurité.
Président : Je vais reprendre la lecture de Monseigneur MISAGO, qu’il avait fourni lors de son procès,
passage lors de la réunion de la préfecture. Il est question de la réunion du 24 mai 1994.
Président : Quelle réaction avez-vous de ça ?
Monsieur le président cite un passage concernant l’évêque MISAGO. Madeleine RAFFIN rapporte que
lorsque l’évêque à pris la parole pour « préserver la sécurité des Tutsi », il a été « hué par la plupart des
bourgmestres. »
Laurent BUCYIBARUTA : Quand on a entendu les murmures(sic), on a attendu que ça cesse pour
qu’on puisse continuer la réunion. Les recommandations qui ont été données sont celles que vous
venez d’évoquer. A cette occasion, on n’a pas pu identifier ceux qui faisaient ces murmures. Les gens
qui les provoquent ne veulent pas se faire identifier, par exemple en se levant pour demander la
parole. Ils le font en cachette. Alors moi, en tant que dirigeant de la réunion, j’ai attendu un tout petit
peu que le calme revienne pour qu’on puisse poursuivre la réunion. Les recommandations, c’était la
protection de la population, c’était l’objectif mais comme dit le témoignage lu, il y avait des gens qui
ne voulaient pas suivre mes ordres, mais passer à côté.
Président : Il se trouve qu’il y a un reportage de cette réunion diffusé sur les ondes de la radio qui
fonctionne toujours (D9392/9394) :
« La sécurité règne dans toute les communes à part quelques problèmes dans les cultures vivrière, des
disparus ou des morts… des corps dans le lac Victoria, résultat des actes ignobles des Inkotanyi [3] FPR…
Comme si la communauté internationale disait : « allez, tuez tous les Rwandais. »
Que pensez-vous de ce compte rendu à la radio ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le journaliste a reporté ce qu’il avait entendu. Ce sont des propos qui ont
été tenus, mais là où je ne suis pas d’accord avec le compte-rendu c’est quand il dit que les malfaiteurs
sont immédiatement transmis devant la justice. Non. Tout simplement, moi j’avais recommandé que
tous ceux qui se livraient à des actes meurtriers et autres violations des droits de l’homme soient

Page 668 sur 711

transmis à la justice. C’était une recommandation mais, dans les faits, personne n’a été transmis devant
la justice puisque les autorités judiciaires ne fonctionnaient pas.
Président : Sauf pour aller interroger les trois prêtres Tutsi qui étaient à l’évêché ?
Laurent BUCYIBARUTA : On a déjà évoqué ce problème. Le fait que les autorités judiciaires n’aient
pas pu mener les enquêtes appropriées, c’est parce qu’elles devaient être menées à l’encontre de
malfaiteurs ou de meurtriers armés. Pour le cas des prêtres, on a dit qu’ils étaient logés à un endroit
bien défini où ils ne posaient aucune résistance à leur audition, ni à toutes les mesures ordonnées par
les autorités judiciaires compétentes. C’est des cas différents.
Président : A priori, le 28 mai 1994, vous allez participer à une réunion avec l’ensemble des préfets à
GITARAMA. Que pouvez-vous nous dire sur cette réunion ?
Laurent BUCYIBARUTA : Cette réunion a eu lieu effectivement. A ma connaissance, tous les préfets y
étaient, sauf ceux qui auraient été empêchés. Je n’ai pas en mémoire la liste.
Président : De quoi a-t-on discuté ?
Laurent BUCYIBARUTA : On a parlé spécialement en ce qui concerne le remplacement des autorités
locales où les postes étaient vacants.
Président : Est-ce que c’est à cette réunion qu’on a remplacé Viateur HIGIRO par NDIZIHIWE ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, la décision concernant le remplacement du bourgmestre de MUSEBEYA
et celui de la commune de KIVU a été prise à ce moment.
Président : Ça vous apparaissait comme des décisions qui allaient dans le bon sens ?
Laurent BUCYIBARUTA : La décision a été prise par le gouvernement et il a demandé que des
candidatures lui soient soumises, étant donné qu’il était de la compétence du gouvernement de
nommer ou de remplacer des bourgmestres. Le gouvernement agissait dans sa compétence. Moi,
j’étais dans l’impossibilité de contredire ce gouvernement puisque c’était le seul gouvernement en
place.
Président : Donc, vous étiez dans un état de contrainte permanente, avec pas d’autres choix que de
vous associer à ces réunions ?
Laurent BUCYIBARUTA : Pour ce qui concerne le remplacement du bourgmestre décédé de
MUBUGA, cela allait de soi. Pour ce qui concerne le remplacement du bourgmestre de la commune de
MUSEBEYA, je vous ai dit que quand les gens de la commune qui se plaignaient de leur bourgmestre
envoyaient leurs doléances directement à KIGALI, même si les bureaux étaient fermés, le
gouvernement ayant déménagé à GITARAMA, c’est le gouvernement qui a décidé. Ce n’est pas moi
qui ai décidé de remplacer le bourgmestre.
Président : Nous savons qu’au mois de juin il va y avoir une réunion au marché de GIKONGORO, au
cours de laquelle le nommé GASANA, alias BIHEHE, va vous prendre à parti. Souhaitez-vous ajouter
quelque chose à ce sujet ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’étais choqué d’être considéré comme un complice du FPR alors que je ne
l’avais jamais été.
Président : Et donc, ce qui vous choque c’est d’être un complice du FPR ?
Laurent BUCYIBARUTA : Aussi du fait qu’on attaque l’autorité légale publiquement. Il y a des gens
qui ne respectaient pas mes ordres en tant qu’autorité. A cette occasion, l’individu et peut-être
d’autres qui le poussaient sans se faire voir ont agi publiquement.

Page 669 sur 711

Président : Par la suite, il va y avoir l’arrivée de la force Turquoise [4], l’occasion pour vous de vous
adresser au bourgmestre et à la population (D8333) ?
Laurent BUCYIBARUTA : Quand j’ai écrit ce message, je devais aller avec le responsable de l’unité
locale pour qu’on puisse voir justement comment faciliter leur mission. En tant qu’autorité en place, j’ai
écrit aux différents bourgmestres pour leur dire dans quel cadre la mission Turquoise venait
fonctionner car certains croyaient que l’opération Turquoise venait du FPR, ce qui n’était pas le cas. J’ai
tenu à préciser que l’opération était là pour protéger toute la population, sans distinction. Les autorités
militaires de l’opération Turquoise ont donné aussi leurs souhaits ; par exemple la possibilité d’obtenir
une main d’œuvre pour certaines exactions qu’ils devaient mener, et aussi la nécessité d’obtenir des
informations. Ils constataient eux-mêmes qu’il y avait encore des infiltrations du FPR. Les rumeurs
existaient comme quoi le FPR n’était pas loin de la préfecture de GIKONGORO, qu’ils venaient
clandestinement dans cette préfecture. Ils devaient avoir des informations là-dessus, donc on en a
discuté. Ensuite, on a aussi parlé de ma propre sécurité. Ils m’ont dit qu’ils savaient comment assurer
ma sécurité, même sans cantonner des militaires devant ma maison. Effectivement, ils l’ont fait. J’ai eu,
à différentes occasions, la possibilité de discuter avec eux. Ils ont été remplacés et ce n’est pas le
même colonel qui est arrivé au début, qui est resté jusqu’au bout. Chaque fois qu’il avait besoin de me
communiquer un message, il envoyait un adjudant-chef prénommé Basile. Il venait me voir. Une fois, je
suis même allé avec le général commandant de la circonscription de BUTARE et GIKONGORO. Donc,
les contacts étaient là en cas de nécessité.
Président : Avez-vous eu beaucoup de contacts avec la force Turquoise ?
Laurent BUCYIBARUTA : pas beaucoup… Ils constataient eux-même qu’il y avait encore des
infiltrations du FPR…
Président : Le 7 juillet, vous nous dites avoir assisté à la déclaration de KIGEME ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Président : Ça dû être un électrochoc, on qualifie les crimes à ce moment-là : on parle de « génocide ».
Vous n’êtes parti que le 23 juillet. Avez-vous fait des déclarations parlant du crime de génocide ?
Laurent BUCYIBARUTA : A l’occasion de la signature de la déclaration de KIGEME.
Président : Quelle a été votre réaction à la lecture, quand vous avez entendu des officiers dénoncer un
crime contre l’humanité, dénoncer la lâcheté des autorités civiles et militaires ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’étais sur place. Comme ce sont des officiers qui avaient décidé de publier
ce communiqué, j’ai écouté ce qui a été lu dans le communiqué. Personnellement, j’approuvais ça mais
je ne pouvais pas signer puisque les autorités militaires ont décidé de signer elles-mêmes, elles ne
m’ont pas sollicité pour le signer.
Président : Souhaitez-vous ajouter autre chose Monsieur ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce que je dois dire, c’est que moi, j’ai toujours cherché à ce qu’il y ait la paix
dans la préfecture que j’étais appelé à diriger. J’ai fait en sorte que les gens puissent cohabiter
pacifiquement. Les évènements que le pays a connus ont fait que tous mes efforts ont été parfois
sapés et j’étais dans l’impossibilité de réaliser tout ce que j’avais voulu de réaliser. Notamment, je
reconnais que j’ai échoué dans ma mission de protection de la population mais c’est tout simplement
parce que je n’ai pas eu les moyens nécessaires pour assurer cette protection.
QUESTIONS DE LA COUR :

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Juge Assesseur 1 : Pour revenir sur KIBEHO avec l’école Marie-Merci, j’aimerais revenir sur ce qui s’est
passé avant le 3 ou 4 mai, lorsque vous allez voir les élèves. J’aimerais être sûre de qui a fait ce
déplacement : vous, l’évêque MISAGO et une autre personne dont j’ai oublié le nom. Y a-t-il quelqu’un
d’autre ? BIZIMUNGU ? SEBUHURA ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il y avait aussi le responsable du service de renseignement dans la
préfecture, le major BIZIMUNGU, le bourgmestre de MUSEBEYA (Viateur HIGIRO), mais j’hésite pour le
bourgmestre de RWAMIKO. Ce sont principalement ces personnes dont je me rappelle qui
composaient la délégation.
Juge Assesseur 1 : Concernant l’objet de ce déplacement et de cette délégation, pouvez-vous le
définir en une ligne ?
Laurent BUCYIBARUTA : Notre objectif était d’aller inviter les élèves de l’école Marie-Merci à
continuer à vivre harmonieusement. Comme c’était avant, même s’ils avaient connu des problèmes
dans leur scolarité. Ils avaient été aussi touchés par les massacres à la paroisse. On voulait les amener à
s’entendre et à vivre harmonieusement dans l’école. Certains élèves Hutu ne voulaient plus vivre avec
les élèves Tutsi, les accusant de vouloir les empoisonner. Les élèves Tutsi disaient que les élèves Hutu
voulaient les tuer. Alors on a essayé de les ramener dans le droit chemin, c’était notre objectif. Quand
on a vu qu’il y avait des résistances de la part des élèves Hutu, nous sommes allés voir les élèves de
l’école des lettres parce qu’on voulait parler aux deux groupes pour entendre les points de vue des uns
et des autres.
Juge Assesseur 1 : Moi, je reviens sur la façon dont a exposé ce numéro 2 de l’éducation nationale,
dont je ne me souviens plus du nom, et sur le récit qu’il fait de l’entretien avec les élèves Hutu de
l’école. J’aimerais savoir si vous êtes d’accord avec ce qu’il disait : que vous êtes face à des adolescents
qui ont en face d’eux leur préfet, leur évêque directeur, un représentant de l’éducation nationale, et
que l’objet c’est d’expliquer aux élèves de ne pas massacrer les camarades les Tutsi. Le préfet et
l’évêque MISAGO ont dû négocier sur ce point et que les élèves voulaient tuer les tutsi. Scène
surréaliste : y avait-il vraiment des adolescents qui ne comprenaient pas qu’il fallait respecter les
camarades Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ces élèves Hutu de l’école Marie-Merci, certains étaient originaires d’un
autre pays où avait commencé la guerre. Ils étaient venus faire les études dans le sud du pays car dans
leur région, pour certains, il y avait eu des massacres. Comme ils avaient vu leur famille décimée lors
de la première attaque du FPR et les années qui ont suivi, ces élèves étaient très récalcitrants. A mon
avis, c’est le motif de leur état d’opposition. On leur a dit que la guerre ne concernait que les
belligérants et pas les élèves ou la population civile. Finalement, ils ont accepté qu’ils n’agresseraient
plus leurs camarades ayant déménagé dans l’école des lettres, mais qu’ils ne souhaitent pas non plus
leur retour dans l’établissement d’origine. Les élèves Tutsi sont restés à l’école des lettres et comme la
directrice était en vacances, l’évêque a fait en sorte qu’ils reviennent à l’école car il y avait d’autres
religieuses à l’école des lettres.
Juge Assesseur 1 : Donc, pour comprendre quand vous quittez l’évêché avec l’évêque, vous avez
l’impression d’avoir réussi à les calmer pour qu’ils ne s’en prennent pas à leurs camarades ?
Laurent BUCYIBARUTA : Au moins qu’ils acceptaient de ne pas aller agresser leurs camarades là où ils
étaient.

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Juge Assesseur 1 : Question sur un personnage dont on a pu parler : le procureur de GIKONGORO.
On a entendu une de ses secrétaires du parquet qui explique qu’à partir du 6 avril, elle ne travaillait
plus, qu’il n’y avait plus de procureur. Il y avait aussi un autre témoin qui a tracé un portrait de ce
personnage très étrange. Vous, spontanément hier, quand on avait parlé des trois prêtres, vous avez
évoqué avoir interrogé ces trois prêtres à la prison.
Laurent BUCYIBARUTA : Pas la prison, mais l’évêché.
Juge Assesseur 1 : À l’évêché pardon. Lui qui avait décidé que ces prêtres devaient aller à la prison de
BUTARE. Qu’a-t-il fait pendant toute cette période ? A-t-il usé de ses fonctions de procureur ? Quel est
cet homme ? Que pensez-vous de lui ? .
Laurent BUCYIBARUTA : La première réalité c’est qu’effectivement, le Parquet ne fonctionnait pas
parce que le premier substitut, l’adjoint du procureur, n’était plus là. Il avait été assassiné dans sa
maison. D’autres agents du Parquet non plus n’allaient pas au travail. J’ai aussi entendu un témoin dire
qu’il était membre d’un « comité du salut ». Je n’ai pas entendu ce terme en 1994 : un comité qui
établissait des listes de personnes à éliminer. Même si ça existait, je n’ai pas eu à l’époque
d’informations là-dessus. Pour les prêtres, c’est le commandant de gendarmerie qui a décidé d’aller les
interroger.
Juge Assesseur 1 : Donc, vous n’arrivez pas à vous faire une opinion sur ce qu’il avait dans la tête ?
Laurent BUCYIBARUTA : A cette époque, parmi les témoignages de prisonniers qu’on a entendus,
certains étaient ceux qui avaient eux-mêmes fait arrêter et se trouvaient dans la prison de
GIKONGORO. Je crois que l’un des prisonniers a fait sa propre description du procureur. Je n’ai pas
remarqué de comportement particulier, il était procureur. S’il a mal agi ou s’est écarté de ses fonctions
de procureur, je ne peux pas le dire.
Juge Assesseur 1 : Ce que vous dites c’est que le parquet ne fonctionnait pas notamment à partir du 7
avril ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ni le Parquet, ni le tribunal de première instance. Les deux ne fonctionnaient
pas. A titre de preuve, le président du tribunal de première instance, qui a été interrogé par la
commission rogatoire française, a déclaré que depuis le 7 ou 8 avril, il n’a jamais été au bureau.
Président : Il est dans la liste des gens qui ont diffusé le message de pacification. Il a parlé et on voit
son nom dans un certain nombre de réunions, donc il existe, il est là à la tête d’un « parquet fantôme ».
Laurent BUCYIBARUTA : Oui c’est ça. Il est là comme procureur donc avec le droit de participer aux
réunions du comité préfectoral de sécurité parce que depuis 1975, lors de la mise en place de comités
préfectoraux, le procureur de la République en était membre. Deuxièmement, il était chef de service
donc même s’il n’était pas sous les ordres techniquement du préfet, le préfet le comptait comme chef
de service avec qui on devait collaborer. C’est à cette occasion qu’on l’a vu parmi les chefs de service
qui se sont rendus dans les communes pour aider les bourgmestres à diffuser le message du 29 mai
1994.
Juge Assesseur 3 : J’aimerais revenir en arrière sur un sujet qui concerne le maintien des barrières. La
lettre du Premier ministre adressée : concernant la famine, vous adressez un message avec un
problème de circulation des produits vivriers de base et il est dit que la famine est en train d’arriver.
Comment dans ces circonstances maintenir les barrières tout en déclarant le problème de circulation
des produits vivriers de base ? Comment s’imaginer qu’avec des barrières on va réussir à faire parvenir
de la nourriture, avec les problèmes de famine ?
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Laurent BUCYIBARUTA : Concernant les barrières, j’ai expliqué que les barrières avaient été
recommandées par le Ministère de la Défense. En fait, les barrières étaient là dans un cadre purement
de contrôle des infiltrations éventuelles. Elles n’étaient pas là pour empêcher les gens et les produits
de circuler. Si sur certaines barrières, il y a eu évidemment, des abus et aussi des actes répréhensibles
comme des meurtres, ça, ça n’était pas dans l’objectif des barrières puisqu’elles étaient là dans un
cadre strictement de contrôle des mouvements de population pour éviter des infiltrations du début à
la fin de la guerre, comme ça se fait ailleurs.
Juge Assesseur 3 : Vous avez une réponse très administrative : objectivement vous avez affamé toute
la population ?
Laurent BUCYIBARUTA : La famine sévissait dans la préfecture de GIKONGORO depuis longtemps, à
tel point qu’en 1993, j’avais commencé à prendre des contacts avec des organismes internationaux à
KIGALI pour que la population de GIKONGORO dans son ensemble soit assistée et bénéficie des aides
alimentaires, soins médicaux et autres dont la population avait besoin. C’est depuis longtemps. Les
démarches que j’avais faites ont commencé en 1993. C’est grâce à mes démarches que la CARITAS a
obtenu des vivres à distribuer dans les camps et aux familles nécessiteuses dans les différentes
paroisses. Quant à la contradiction que vous voyez entre le maintien des barrières et les difficultés
d’approvisionnement, les barrières n’avaient pas été pensées pour empêcher la circulation des gens et
des biens.

QUESTIONS DES PARTIES CIVILES :
Me PHILIPPART : Je vais revenir sur le compte-rendu qui a été fait par Radio Rwanda de la réunion du
29 ou du 30 avril avec Monsieur KAMBANDA [5]. Une phrase (D9308 et D9309) interpelle : le journaliste
indique que vous prenez la parole « la sécurité est bonne à GIKONGORO, suite aux mesures strictes qui
ont été prises, notamment celle d’organiser des réunions dans les communes ». De quelles autres
mesures strictes parlez-vous lorsque vous évoquez la sécurité bonne à GIKONGORO ?
Laurent BUCYIBARUTA : À l’occasion de la visite du Premier ministre, la sécurité était bonne, mais
c’était par rapport aux semaines précédentes, car jusqu’au 21/22 avril on avait connu des meurtres à
grande échelle. À la date de cette réunion, à la fin du mois d’avril, la situation était bonne par rapport à
ce qui s’était passé auparavant.
Me PHILIPPART : On est une semaine après les massacres qui ont fait des dizaines/centaines de
milliers de morts, des rescapés ont été achevés dans les jours qui précèdent. Comment pouvez-vous
dire que la sécurité était « bonne » et quelles étaient les mesures strictes qui ont été prises ? N’était-ce
pas plutôt que tous les Tutsi ont déjà été massacrés ?
Laurent BUCYIBARUTA : Entre les grands massacres et la fin du mois d’avril, je n’avais pas tenu de
réunions dans les communes, sauf celle du 26 avril, mais les bourgmestres eux ne cessaient d’aller
dans les secteurs à inviter la population à renforcer ce calme.
Me PHILIPPART : Il n’y a pas d’autres mesures que le message diffusé après la venue de KAMBANDA
?
Laurent BUCYIBARUTA : Pas avant, mais je dis que les bourgmestres avaient aussi fait des réunions
dans les secteurs.
Me PHILIPPART : Comme vous parlez de mesures strictes, c’est de cela dont il s’agit ?
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Laurent BUCYIBARUTA : C’est ça.
Me PHILIPPART : Sur le message du 29 avril, je voulais vous interroger sur une mesure, le point
11(D8283) sur le retour au travail des personnes. Vous ajoutez que toute personne se rendant au
travail doit porter ses documents d’identité. Comment pouvez-vous diffuser un message de retour au
travail sans vous être assuré que la pacification a fonctionné, que le message est passé et que les
massacres se sont arrêtés ? Monseigneur MISAGO a plutôt constaté que le message n’était pas passé.
En plus, vous demandez le retour au travail en portant une carte d’identité, quand on sait ce que cela
implique.
Laurent BUCYIBARUTA : Cette demande de reprise du travail devait s’effectuer s’ils pouvaient
reprendre le travail dans de bonnes conditions. La mise en pratique dépendait de disponibilité et on
demandaient aux agents de se munir de leurs attestations de travail, ceux qui se trouvaient dans leur
secteur pouvaient accomplir des travaux agricoles.
Me PHILIPPART : Ce message s’adressait à toute la population et notamment les Tutsi, vous êtes
d’accord ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je n’ai jamais demandé aux gens de sortir et de sortir de leur cachette.
Me PHILIPPART : Justement, peut-être parce que la pacification n’était pas réelle, que la sécurité
n’était pas rétablie. En appelant les gens à revenir au travail en se munissant de sa carte, « qui que vous
soyez », ne pensez-vous pas que vous leur faites courir un risque énorme ? Vous ne faites pas la
nuance en disant que ceux qui veulent rester cachés peuvent rester cachés.
Laurent BUCYIBARUTA : Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que ces personnes qui pouvaient se
rendre au travail pouvaient le faire et que les personnes qui se sentaient dans l’insécurité, c’était à
chacun d’examiner sa situation. C’était une recommandation qui devait s’appliquer selon les
possibilités.
Me PHILIPPART : Ça n’est pas de ce que dit le message, mais j’en resterai là. J’ai une dernière
question sur l’école Marie-Merci. On a parlé de votre venue à l’école. Ce qu’a déclaré le directeur de
l’école Emmanuel UWAYEZU, il a mentionné qu’il serait venu vous voir la veille du massacre parce qu’il
aurait appris qu’il risquait d’être tué. Quels souvenirs avez-vous de cette venue d’Emmanuel
UWAYEZU, si elle a eu lieu ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ils ont l’information qui a été donnée par le père Emmanuel, et pas
seulement à moi. Ensuite, à l’évêque et pas seulement à moi, l’abbé estimait que la sécurité n’était pas
totalement assurée. De mon côté, j’ai transmis l’information au commandant de la gendarmerie qui a
estimé qu’il ne pouvait pas convoquer ses gendarmes et ses hommes pendant la nuit. Préparer ses
hommes pendant la nuit, ce n’était pas possible et il a dit que la mission aurait lieu le lendemain. Ce
n’était pas mon autorité, mais le commandant de la gendarmerie qui devait assurer l’ordre et il a
décidé que ça serait le lendemain et pas pendant la nuit.
Me PHILIPPART : Sur le moment de sa venue, le père Emmanuel n’a pas été clair. A l’audience, il a dit
« le matin » et lors de la commission rogatoire, il a dit « tard dans l’après-midi ». Il vient vous voir en
urgence et il vous dit que ses élèves vont se faire tuer.
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne sais pas s’il a utilisé le terme que ses élèves allaient se faire assassiner.
Ce que je vous dis est que l’organisation d’une mission de force de l’ordre dépend du commandant de
la gendarmerie. Ce que je sais, c’est que c’est le commandant qui programme les hommes qui doivent
intervenir, le matériel dont ils ont besoin pour la mission. Une mission des forces de l’ordre, et pas une
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mission que je pouvais organiser car je n’avais pas le droit de donner des ordres directement aux
gendarmes.
Me PHILIPPART : Le père Emmanuel a évoqué la possibilité d’organiser un transfert, d’avoir préparé
un camion pour aller chercher ses élèves. Il justifie le fait que ce camion n’est pas parti le matin du
massacre par le fait que les élèves ont déjà été massacrés. Or, on sait que l’attaque a débuté à 10h du
matin et non à 6h du matin. Souvenez-vous de cette mesure envisagée d’envoyer un camion pour aller
les chercher ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, je ne connais absolument pas la question concernant ce camion.
Me PHILIPPART : Ça ne vous aurait pas semblé être une bonne initiative d’envoyer quelqu’un aller les
chercher plutôt qu’un énième gendarme qui risquait de se retourner contre eux ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce qui était important, c’était que les forces de l’ordre soient là pour
empêcher ces massacres et je ne crois pas que l’envoi d’un camion était une mesure efficace. Cette
mesure n’a pas pu être accomplie dans de bonnes conditions. Je ne sais pas d’où il proviendrait, je ne
sais pas s’il devait venir de la préfecture ou d’un autre endroit.
Me PHILIPPART : On est le 7 mai, et vous savez que les gendarmes ont massivement participé à
toutes les attaques qui ont eu lieu. Je ne pense pas que leur envoyer un énième gendarme aurait été la
solution.
Laurent BUCYIBARUTA : C’est votre conclusion, mais je ne sais pas si c’est la conclusion idéale.
Me AUBLÉ : Concernant votre venue à l’école Marie-Merci pour calmer les élèves Hutu, vous nous
avez indiqué que les raisons pour lesquelles ils voulaient massacrer les élèves Tutsi, c’était parce que
leur famille Hutu avait été massacrée dans le nord par le FPR. N’était-ce pas plutôt parce qu’ils avaient
entendu à la radio l’incitation à la violence ou parce qu’ils ont vu, voire participé, les massacres ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est ce qu’ils ont dit, ce n’est pas mon point de vue, c’est leurs arguments
mais ce n’est pas les miens.
Me FOREMAN : Vous avez expliqué pendant l’instruction, suite au témoignage d’un témoin, que vous
n’aviez jamais porté de fusil, que vous n’aviez qu’un pistolet Uzi. J’ai trouvé qu’il existait deux modèles
en 1994. C’est une arme automatique qui tire dix balles par seconde. Est-ce cette arme qui vous a été
affectée ?
Laurent BUCYIBARUTA : En 2000, quand j’ai répondu à l’officier de gendarmerie ou de police qui m’a
interrogé, j’ai dit sur la personne qui m’avait vu porter un fusil, que sa déclaration était un mensonge.
Deuxièmement, j’ai dit que j’avais un pistolet qui restait à la maison chez moi, c’était un petit pistolet
qu’on pouvait mettre dans une poche de pantalon ou de veston. Je l’avais reçu en 1990, il m’a été
apporté chez moi par le Ministre de la Défense, je n’avais même pas demandé. L’autorité militaire de la
Défense a dit que, compte tenu de la situation et de l’insécurité, le Ministre de la Défense avait décidé
de donner une arme personnelle et de me donner le port d’armes. Quand j’ai quitté le Rwanda en
1997, en 1994 j’avais remis le port d’armes de la mission Turquoise. Le modèle que vous montrez, ce
n’est pas celui que j’avais.
Me FOREMAN : Alors je serais curieux de savoir ce que vous avez possédé parce qu’à priori, ce sont
les seuls modèles qui existaient en 1994.
Laurent BUCYIBARUTA : C’est les modèles qui datent de 1994. Mais, si c’était en 1990 ce n’était pas
celui-là, c’était une arme ancienne. Le Ministre de la Défense avait des fusils d’un ancien stock qui ne
tiraient qu’une seule cartouche et quand il n’en avait plus besoin, il les donnait.
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Me FOREMAN : Ces deux modèles sont les deux seuls qui ont existé entre la fin de la Seconde Guerre
mondiale en 1945 et les années 1990. Ultérieurement, la société, suite à un changement de législation,
a introduit de nouveaux modèles à la fin des années 1990.
(Me BIJU-DUVAL dit qu’il aurait été préférable que ces photos soient fournies au dossier avant
aujourd’hui, afin que la Défense puisse se pencher sur la question des armes).
Laurent BUCYIBARUTA : L’essentiel pour moi c’est que j’ai remis l’arme en 1994 à l’opération
Turquoise et que je n’avais jamais utilisé cette arme.
Me FOREMAN : On vous a bien remis une arme automatique ou semi-automatique ?
Laurent BUCYIBARUTA : Automatique ou non en tout cas je n’ai jamais eu l’occasion de l’utiliser chez
moi car elle m’a été livrée à KIBUNGO et quand je suis allé dans une autre préfecture, je ne l’avais plus
avec moi.
Me FOREMAN : Est-ce que l’autorisation du port d’arme impliquait un entrainement régulier ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non.
Me FOREMAN : Donc, vous n’avez jamais été formé sur l’utilisation de l’arme ?
Laurent BUCYIBARUTA : Tout simplement la personne qui m’a remis cette arme m’a montré ce qui
était basique.
Me FOREMAN : Je voudrais rectifier deux choses. Vous disiez que pendant votre garde à vue, vous
aviez répondu deux choses. Premièrement, que votre accusateur mentait en disant vous avoir vu avec
un pistolet. À l’époque, vous accusez ce témoin de menteur et aujourd’hui, vous avez admis que vous
étiez bien allé à MURAMBI le 15 avril, alors que vous affirmiez n’y être jamais allé. En plus, vous
affirmez que cette arme était restée chez vous, ce qui n’apparait dans le PV de l’époque. C’est une
réponse nouvelle.
Ma deuxième question porte sur une pièce communiquée par le Ministère public, ce sont des écoutes
téléphoniques. Vous communiquez par téléphone, vous êtes sur écoute donc entendus et vous
commentez l’arrestation de M. BARAHIRA. Vous dites « Comme GAUTHIER est méchant, il a dit que
c’est dommage que l’arrestation ait eu lieu en même temps que l’affaire CAHUZAC puisque les journaux
en ont peu parlé ; les Tutsi lui ont appris leur méchanceté ». Est-ce qu’il vous arrive en privé de parler de
cette manière des Tutsi ? Quand quelqu’un est méchant, vous l’assimilez aux Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je peux répondre à votre question mais à condition que je n’ai pas dit cela
en français, si j’ai dit cela en kinyarwanda, le document que vous avez, vous l’avez reproduit à partir
d’un enregistrement qui est essentiel car c’est la pièce authentique.
Me FOREMAN : Ma question est : est-ce que vous parlez comme ça en privé ?
Laurent BUCYIBARUTA : Si ce papier a été tiré à partir d’un enregistrement, il faut qu’il soit dévoilé.
Vous parlez d’un dossier en cours, pourquoi si vous ne voulez pas donner tous les éléments vous
parlez d’un élément en français. Je n’hésiterai pas à répondre à cette question si vous reproduisez cet
enregistrement.
Me FOREMAN : Je constate que Laurent BUCYIBARUTA n’a pas répondu à la question qui est : est-ce
que vous parlez comme ça des Tutsi ? De dire méchant comme un Tutsi?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce ne sont pas des Tutsi rwandais que je connais, mais des Tutsi membres
du FPR qui ont attaqué le pays. Ces gens-là sont méchants. Je ne parle pas des Tutsi rwandais, mais les
Tutsi du FPR, et je sais que ces gens-là sont méchants. Je sais que les autorités rwandaises sont
méchantes. Même en 1990, j’ai reçu beaucoup de messages qui m’intimidaient dans ma maison. Au
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téléphone, j’ai reçu des messages anonymes qui me demandaient de rejoindre le FPR et tout ça j’ai
refusé, j’ai dit que ces gens là sont méchants mais pas les Tutsi.
Me FOREMAN : On retiendra de votre réponse ; quand vous pensez FPR, vous dites Tutsi. Sur la
réunion du 26 avril, sur une question qui vous a été posée relative à votre réaction face aux massacres,
vous avez fini par dire que votre pouvoir étant de convoquer des réunions, vous avez convoqué une
réunion le 26 avril. Pour la réunion du 26 avril, vous avez reçu des instructions du Ministère de
l’intérieur le 21 avril, vous invitant à la convoquer. Vous avez convoqué cette réunion parce que le
commandant de BUTARE avait souhaité rencontrer les bourgmestres de votre préfecture pour parler
du recrutement de jeunes pour l’armée. Est-ce que vous maintenez que vous avez organisé la réunion
du 26 avril en réaction aux massacres, en contradiction avec les éléments du dossier ?
Laurent BUCYIBARUTA : Entendons nous bien, le 21 avril comme je l’ai dit, vers 8h, je suis allé dans
mon bureau, je devais préparer certaines correspondances et c’est ce à quoi je me suis occupé. Il y
avait des courriers que je n’avais pas l’occasion de lire, j’avais préparé des lettres de convocation de la
réunion du 26 avril. La présence du colonel, en réalité il n’était pas commandant de la circonscription
militaire mais de l’intérim, il a souhaité rencontrer les bourgmestres en sa présence. Je devais lui
donner la possibilité, la parole en technicien, pour qu’il dise ce qu’il attendait de ces recrutements.
Me FOREMAN : Je ne vous interroge pas là-dessus. Mon problème est votre réaction face aux
massacres. Votre fils a dit que vous avez tout de suite su que c’était la gendarmerie qui attaquait
MURAMBI. Est-ce que vous comprenez à quel point ça peut être choquant d’entendre qu’après une
nuit au cours de laquelle des dizaines de milliers de Tutsi étaient en train de se faire massacrer, ce que
vous avez de plus urgent à faire c’est de faire du courrier et de convoquer une réunion ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai l’impression que dans vos commentaires vous faîtes des déductions à
partir de ce qui a été dit, mais vous ne reprenez pas exactement ce qui a été dit. Je n’ai pas dit que
c’était des gendarmes qui attaquaient.
Me FOREMAN : Non, c’est votre fils qui l’a dit. Ça doit être un faux témoin payé par le FPR!!
Laurent BUCYIBARUTA : Il y a eu d’autres témoignages qui disaient qu’on pensait que c’était même
la gendarmerie qui étaient attaquée. Le lendemain, quand je suis arrivé au bureau de la préfecture, la
première chose que j’ai faite, c’était de demander des informations.
Me FOREMAN : Pendant la réunion du 26 que vous convoquez le 21, s’exprime entre autres un
responsable de la CDR [6]. Il dit des choses incroyables ; il parle du fait que les enquêtes incriminent la
MRND [7] et la CDR ; il faut empêcher les ennemis d’exhumer les ossements ; les déplacés de guerre
font finir par écrire des livres. Comment avez-vous réagi en l’entendant tenir ce discours ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je pense que vous avez mélangé beaucoup de choses. KAMBANDA n’a écrit
aucune lettre le 21 avril. Mais, si la lettre du Ministère du 21 avril est datée du 21 avril, ça ne veut pas
dire qu’elle m’est parvenue le même jour. Courrier pour inviter le bourgmestre et d’autres
personnalités à la réunion du 26 avril : il n’était pas présent.
Me FOREMAN : Je confonds la réunion du 26 et celle du 30. Je retire l’affirmation. Le 30 avril, lors de la
réunion avec le Premier ministre, le représentant de la CDR exprime sa crainte des enquêtes, sa crainte
qu’on découvre des corps enterrés, sa volonté de donner du matériel de défense, des grenades, aux
gens qui tiennent les barrières. Ce discours extrémiste tenu en plein génocide, y avez-vous réagi ? Car
KAMBANDA n’a noté aucune réaction de votre part.

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Laurent BUCYIBARUTA : Ce que vous dites provient d’une note de Monsieur KAMBANDA, et
d’ailleurs on n’a pas donné la date de la note de KAMBANDA qui a peut être noté ce qu’on avait
entendu au cours de la réunion. Mais, si KAMBANDA a noté ce qu’il avait entendu, dans cette réunion
ce n’était pas mes propos mais quelqu’un qui prend en note, il note ce qu’il veut mais ces propos
n’émanent pas de moi.
Me FOREMAN : Je n’ai pas prétendu qu’ils émanent de vous. Je vous ai demandé, en entendant des
propos opposés aux messages que vous souhaitez diffusez, si vous avez réagi.
Laurent BUCYIBARUTA : Si ces propos ont été lancés, car vous dites les avoir retrouvés dans les
propos de KAMBANDA, je ne connais pas la date de la note. Il peut entendre ceci et moi, en étant dans
la même salle, je peux ne pas avoir entendu la même chose.
Me FOREMAN : Vous avez l’oreille sélective. Vous avez reconnu avoir entendu les murmures lors
d’une réunion. Madeleine RAFFIN dit que l’évêque a pris la parole et a demandé aux autorités
d’assurer la sécurité des Tutsi rescapés, qui a été hué. Vous parlez de murmures. Vous nous expliquez
que votre discours pendant ces réunions consistait à demander aux autorités locales d’assurer la
protection des Tutsi. Monsieur MISAGO dit aussi avoir été hué. Pourquoi n’avez-vous pas été hué si
vous teniez le même discours ?
Laurent BUCYIBARUTA : De tout façon, ce que je dois ajouter, car vous m’avez coupé la parole, c’est
que le représentant de la commune de RWAMIKO était un extrémiste. Ce matin ou hier, j’ai dit qu’il y
avait des murmures, mais on n’a pas pu évoquer les personnes et on n’a identifié personne. Mais,
c’était le même discours car le même discours demandait la protection des Tutsi survivants, on disait la
même chose.
Me FOREMAN : Vous confirmez que vous n’avez jamais été sifflé, hué ?
Laurent BUCYIBARUTA : Au cours de cette réunion, non. Peut-être y-a-t-il eu des murmures que je
n’ai pas entendus.
Me FOREMAN : Je me demande si on peut en conclure que vous ne teniez pas les mêmes discours
que l’évêque. Dans un article du Monde du 4 juillet 1994, la journaliste vous a rencontré dans la
préfecture de GIKONGORO et vous prête ses propos « Si la mission de l’opération Turquoise ne change
pas, c’est inutile qu’elle soit venue ». Ce que je comprends c’est qu’en sachant que l’opération avait
pour mission de rétablir la paix et non de s’opposer au FPR, si la mission ne dit pas combattez le FPR
avec les FAR, ce n’est pas la peine que la France vienne ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne connaissais pas cet article du Monde à l’époque et je ne me rappelle
pas mon entretien avec ce journaliste. Il faut d’abord entendre deux choses : sur ce que rapporte le
journaliste, s’il a eu un entretien avec moi, quand la mission Turquoise est arrivée à GIKONGORO,
l’officier responsable m’a expliqué le cadre de sa mission et si j’ai dit au journaliste que si le FPR et
l’officier français m’avaient expliqué que les troupes françaises étaient là pour assurer l’ordre dans la
préfecture de GIKONGORO et dans d’autres préfecture, j’ai dit au journaliste français que si le FPR
attaque la mission de l’opération Turquoise … comprenait la signification du mot “SI”. Mais, la mission
Turquoise a accompli sa mission dans les limites de sa compétence.
Me FOREMAN : Je voudrais vous suggérer que la mission de l’opération Turquoise aurait pu être
saisie par vous, en tant que préfet. Vous avez dit ce matin que ce n’était pas le temps des enquêtes.
Vous auriez pu faire des choses, comme retrouver des survivants et les interroger.
Laurent BUCYIBARUTA : Comme vous n’étiez pas là vous croyiez que les choses étaient faciles.
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Me FOREMAN : Je pense qu’il n’était pas difficile d’aller voir s’il y avait des survivants des massacres.
Je pense que ça ne vous aurait pas grandement mis en danger d’essayer de voir s’il y avait des
survivants et de discuter avec vous.
Interruption de Me BIJU-DUVAL : Je ne crois pas que ce soit un ton approprié aux questions.
Me FOREMAN : Je n’ai pas entendu BUCYIBARUTA dire qu’il a essayé d’aller rencontrer des témoins.
Me LEVY : Il a été dit lors des débats qu’il a pris en charge un des élèves de l’école Marie-Merci.
Laurent BUCYIBARUTA : Vous, vous avez vos notes, mais je préfère que vous posiez pour les
personnes survivantes dans la cour de KIBEHO emmenées à l’hôpital de KIGEME. J’étais avec l’évêque,
nous étions ensemble, nous les avions emmenés à KIGEME ensemble. Vous dites qu’à ce moment-là, il
était facile pour moi d’aller voir les conditions. Vous trouvez que cela était facile, je n’étais pas habilité
à faire des enquêtes.
Me FOREMAN : Lorsque l’armée française est sur place, que la paix est revenue sur le territoire ou en
tout cas qu’il n’y a plus de massacres à grande échelle, est-ce que ce moment aurait pu être le temps
des enquêtes ? Avez-vous parlé aux membres de l’opération Turquoise des massacres qui ont tué la
plupart des Tutsi sur votre territoire ? Avez-vous demandé qu’ils prennent des photos des scènes de
crime ? Avez-vous dit qu’à MURAMBI, là où les français étaient campés, qu’il y avait des charnières
sous eux ?
Laurent BUCYIBARUTA : Lorsque la mission Turquoise est arrivée au mois de juin, la plupart des
fonctionnaires et des agents avaient fui. L’opération Turquoise a rétabli la sécurité, a démantelé la
plupart des barrières, a recueilli des orphelins qui avaient été emmenés. L’opération Turquoise a pu les
protéger. Concernant les enquêtes, les membres de Turquoise m’avait bien expliqué que la conduite
des enquêtes n’était pas inscrite dans leur mission. La mission de mener des enquêtes n’était pas
inscrite dans leur agenda de travail.
Me FOREMAN : Ils recueillaient des informations. Est-ce que vous leur avez donné des informations ?
Vous êtes-vous ouvert aux militaires ? Avez-vous dit que vous étiez heureux qu’ils arrivent pour lever
les mesures ?
Laurent BUCYIBARUTA : Effectivement, depuis que ces événements ont éclaté, j’étais sous le choc et
je craignais pour ma vie. C’est pour ça que j’ai informé les personnes de l’opération Turquoise, j’ai
donné les informations dont j’avais besoin. Les officiers de l’opération Turquoise ont décidé de mettre
les rescapés sur le site de MURAMBI.
Me FOREMAN : Sur Damien BINIGA, vous lui reprochez quoi ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est ce que vous venez de dire concernant son comportement qui était
inadmissible pour un sous-préfet appelé à gérer une région. Il devait être neutre, mais il ne semblait
pas être neutre à l’égard de partis politiques et sur le plan ethnique, car en cachette il avait tendance à
avoir des propos envers les Tutsi.
Me BERNARDINI : Sur le carnet de notes de Pauline NYIRAMASUHUKO, on sait qu’il y a eu une
réunion conjointe le 11 avril. Ce que dit ce carnet de notes est qu’on remplace les postes vacants. Une
deuxième thématique est abordée à la réunion, c’est le message adressé par les préfets. Ce qui ressort
est que les préfets ont pour instruction de faire passer un message, qui est que la mort du président a
exacerbé les violences. Le deuxième message est la nécessité d’octroyer des primes pour les membres
des comités. J’en fais des conclusions ; il y a cette volonté de remplacer les postes vacants, ce qui entre
en écho aux notes sur les listes des personnes exécutées. On incite d’une part les membres des
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comités, ceux qui dirigent les miliciens, qui sont en mesure d’exercer la fonction de sécurité, avec un
message diffusé à la population. Est-ce que ce sont des consignes du gouvernement qui vous sont
transmises ou est-ce que ça découle d’un consensus entre les préfets ?
Laurent BUCYIBARUTA : Madame NYIRAMASUHUKO était effectivement à la réunion du 11 avril. Si
elle a bien pris ses notes, les deux points évoqués peuvent être discutés. Le 11 avril, il n’y avait pas
beaucoup de postes vacants, mais il y avait des secteurs où il n’existait plus de conseillers de secteurs,
et les réfugiés Tutsi étaient dans des camps. Le conseiller de secteur s’était enfui à MURAMBI. Dans
d’autres communes, il y avait des conseillers qui ne pouvaient plus exercer des fonctions. L’autre point
concerne les comités de cellules, ils appartenaient au parti MRND et depuis l’installation du
multipartisme, ces membres du comité de cellule n’appartenaient plus au parti MRND. Ce parti avait
été dissous, mais toujours MRND mais dans le nouveau parti il y avait deux D (MRNDD). Il fallait que ce
soit l’Etat qui les prennent en charge car ils accomplissaient des missions pour le pays et pas pour un
parti. Le gouvernement a dit que quand les possibilités financières le permettront, on va leur donner
une indemnité et plus particulièrement en matière de sécurité.
Me BERNARDINI : Le troisième point c’était cette sorte d’élément de langage. Le sujet de la mort du
président, l’évocation de la violence exacerbée par l’attaque du FPR, s’agit-il d’une rhétorique
gouvernementale ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne peux pas prendre ma position. Je vous explique moi ce que je
comprends pour les témoins qui sont venus dans la salle, ils ont parlé de l’attaque du FPR et de la mort
du Président. Ces deux événements ont eu un impact sur ce qui s’est passé pour le pays, mais pour la
mort du Président ce n’est pas la raison pour laquelle les massacres ont eu lieu, mais une des raisons. Il
y avait la volonté de pillage, et plusieurs raisons ou prétextes pour se livrer au massacre.
Me BERNARDINI : Les notes évoquent les attaques du FPR. Vous vous parlez de pillages, c’est-à-dire
des pillages commis par le FPR ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit « attaque du FPR » et « assassinat du
Président », ce sont les deux événements principaux à la source de tout ce qui s’est passé dans le pays.
Me BERNARDINI : Juste avant cette note, il est écrit « message des préfets ». J’ai le sentiment qu’il y a
des instructions données aux préfets ?
Laurent BUCYIBARUTA : Même si ça a été dit comme ça, moi je cherchais mon langage à moi.
Me BERNARDINI : Il y a un bureau politique qui se réunit le 12 mai. Ça réunit plusieurs personnalités
et vous êtes présent. Vous dites que vous n’étiez pas là ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le 12 mai ? Mais vous dites bureau politique de quoi ?
Me BERNARDINI : Il y a dans le carnet de notes, à la date du 12 mai, le bureau politique avec les
préfets de 1 à 10 et vous êtes mentionné en n°4. Il y a des représentants des partis politiques.
Me BIJU-DUVAL : Rien ne dit que c’était la liste de participants.
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne connais pas cette réunion du bureau politique.
Me BERNARDINI : Ma question porte sur votre présence à cette réunion.
Laurent BUCYIBARUTA : Je n’ai participé à aucune réunion dite du bureau politique. Je participais aux
réunions administratives et pas aux réunions politiques.
Me BERNARDINI : Vous n’étiez pas là donc. Ce que mentionne cette réunion du bureau politique ; on
a la question de remplacement des postes vacants ; on parle de cotiser pour les Interahamwe ; on
évoque les gouvernements belge, américain et la MINUAR. Il y a une réunion le 26 avril, à laquelle vous
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êtes présent. Saviez-vous que le 27 avril, une délégation du gouvernement rwandais se rend en France
?
Laurent BUCYIBARUTA : Je sais qu’il y a eu une délégation rwandaise qui s’est rendue en France et
ailleurs.
Me BERNARDINI : Sur la semaine du 24 avril, il y a écrit « visites en Allemagne et en Espagne ». Vous
saviez aussi qu’il y avait eu des visites dans ces pays ?
Laurent BUCYIBARUTA : Moi j’ai principalement retenu la France.
Me BERNARDINI : Ce qui est intéressant est que le message adressé à la population date du 29. Estce qu’il y a un lien à faire entre cette visite des représentants du gouvernement intérimaire en Europe
et ce message de pacification ?
Laurent BUCYIBARUTA : Cette visite du gouvernement intérimaire dans les pays d’Europe a été
décidée par les autorités rwandaises au niveau supérieur. Je ne connais pas les motifs de l’envoi de
cette décision car c’est une question qui me dépasse.
Me BERNARDINI : Il s’agit du MAE et du directeur des affaires politiques du gouvernement. On peut
comprendre de quoi il va s’agir. On peut savoir que le gouvernement rwandais a des soutiens
diplomatiques.
Laurent BUCYIBARUTA : Le gouvernement en place en 1994 était reconnu sur le plan national et
international. Quand vous parlez du directeur qui faisait partie de la délégation, il était, je crois, là en
tant que directeur général au MAE, mais pas comme président de la CDR.
Me BERNARDINI : Est-ce que vous savez si le Rwanda est isolé sur le plan diplomatique ou s’il jouit de
soutiens diplomatiques, notamment en Europe de l’Ouest ?
Laurent BUCYIBARUTA : Pour moi, il n’était pas isolé. À ce moment-là, le RWANDA participait à
toutes les rencontres internationales et à l’Union africaine à TUNIS. Le pays n’était pas isolé sur le plan
diplomatique car les représentants étaient accueillis en FRANCE, dans d’autres pays d’Europe et aussi
au niveau de l’Union africaine.
Me BERNARDINI : Ce que vous nous dites c’est que le message à la population, ce qu’on a appelé la
« pacification » ; je note une inflexion entre la fin du mois d’avril, avec ce message. Pour vous, ce n’est
absolument pas lié aux visites du gouvernement rwandais dans les pays européens ?
Laurent BUCYIBARUTA : Rien ne permet de les lier car je ne fais pas partie de ceux qui partaient à
l’étranger, ce n’est pas moi mais le gouvernement.
Me BERNARDINI : Je ne spécule pas sur le fait que vous ayez pu être à l’origine de la délégation.
Mais, les informations récoltées par la délégation et le soutien fébrile obtenu a pu entraîner une
inflexion dans la manière de faire la politique au Rwanda et notamment à GIKONGORO. Juste une
parenthèse, il est fait référence aux fugitifs dans ce message. Qui sont-ils ? Est-ce qu’il s’agit du FPR en
fuite? Des réfugiés Hutu ?
Laurent BUCYIBARUTA : Peut être mieux nous lire tout le paragraphe concernant les fugitifs.
Me BERNARDINI : Ça me semble une application directe de la rhétorique du gouvernement.
Laurent BUCYIBARUTA : Ce mot « fugitif » est pris isolément et je ne sais pas dans quel contexte
figure ce message.
Me BERNARDINI : Oubliez ma question. Puisque le Rwanda n’est pas isolé sur le plan diplomatique, le
message du 29 avril est une volonté de votre part d’entreprendre la pacification, pas en lien avec une
demande du gouvernement ?
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Laurent BUCYIBARUTA : Je vous ai dit que le 21 avril c’est la date de l’envoi d’une lettre du Ministre
de l’intérieur, tandis que la circulaire du Premier ministre allant dans le même sens n’est datée que du
27 avril. Ma conviction personnelle c’est que je pensais qu’il y avait une reprise de la conscience du
recours de la paix à l’initiative du gouvernement et moi j’ai pensé qu’il fallait lancer un message sur le
retour de la paix. Moi, je pensais que les choses allaient peut être aller mieux. Je ne peux pas me
mettre dans la tête de certaines personnalités.
Me BERNARDINI : Avez-vous connaissance de l’existence d’un camp d’entraînement de miliciens
Hutu à CYANIKA?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne connais pas ce camp d’entraînement à CYANIKA.
Me BERNARDINI : On a le capitaine Eric qui est venu. Il explique qu’il est tout près de GIKONGORO.
Est-ce qu’il y a la possibilité d’un camp près de GIKONGORO ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne le démens pas, ils ont soigné beaucoup de gens blessés.
Me BERNARDINI : Sauf qu’on est le 24/29 juin. Il a parlé d’automutilations. On sait qu’il n’y a pas
d’affrontements. Il n’a pas parlé d’armes à feu.
Laurent BUCYIBARUTA : Ce que je peux vous expliquer c’est que les militaires français essayaient de
recueillir partout tous les rescapés, et ces rescapés certainement certains avaient été blessés. Comme il
y avait le centre de l’opération Turquoise à CYANIKA, tous les blessés de la préfecture venaient là-bas
pour être soignés sur place.
Me BERNARDINI : On peut admettre que s’il y avait eu un tel camp, vous en auriez été informé ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ni le bourgmestre, ni le préfet, je ne me rappelle pas d’un témoin qui ait
parlé d’un camp d’entraînement de CYANIKA.
Me BERNARDINI : Sur la visite à la prison de GIKONGORO, le témoin Daniel KAREBEYA*** a dit deux
choses : le matin, je reçois la visite du préfet, du capitaine SEBUHURA et du bourgmestre ***. Quand il
est entendu dans le cadre de l’instruction qui vous concerne, il revient et dit qu’il ne vous a pas vu mais
le sous-préfet de RUKONDO (D3818 et D10495/2). Est-ce que les autorités judiciaires ne fonctionnentelles pas pendant les trois mois du génocide ? Je parle de la continuité de certains membres de
l’administration, notamment à la prison de GIKONGORO.
Laurent BUCYIBARUTA : Ce que je peux vous dire, je le répète, je ne suis jamais allé à la prison de
GIKONGORO au mois d’avril 1994. Le témoin se contredit lui-même. Il dit avoir vu le préfet, après il dit
ne pas avoir vu le préfet, mais que finalement c’est le sous-préfet.
Me BERNARDINI : Vous nous dites ne pas être allé à la prison, mais je demande si le procureur a
autorité notamment à la prison, selon vous ?
Laurent BUCYIBARUTA : A cette époque-là, je ne crois pas que le procureur ait émis des mandats
d’arrêt ou d’emprisonnement à la prison de GIKONGORO, moi je n’ai pas l’impression.
Me BERNARDINI : Jouissait-il d’une autorité de fait ? On a le sentiment que c’est le cas ou alors il est
légitimé par le capitaine SEBUHURA ?
Laurent BUCYIBARUTA : Les autorités de la prison, c’est d’abord le directeur et le directeur adjoint.
Celui qui peut donner des instructions, c’est le procureur.
Me BERNARDINI : Le sous-préfet rendait compte.
Laurent BUCYIBARUTA : Rendre compte à qui ? Vous me parlez d’un sous-préfet de RUKONDO, mais
je ne connais pas un préfet de RUKONDO.

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Me BERNARDINI : Pourriez-vous détailler sur les conditions de votre fuite et jusqu’à ce qu’on vous
retrouve en France ? Sur la façon dont vous quittez le pays ?
Laurent BUCYIBARUTA : Au mois de juillet 1994, nous avons décidé de nous exiler car nous estimions
que notre vie pouvait être en danger, et c’est la raison pour laquelle on a voulu s’exiler.
Me BERNARDINI : Vous êtes allé dans une agence de voyage pour prendre un billet d’avion ?
Laurent BUCYIBARUTA : On est parti en voiture et en camion.
Me BERNARDINI : Pouvez-vous détailler ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne peux pas vous indiquer la marque et la plaque du véhicule.
Me BERNARDINI : A quel moment arrivez-vous en France et comment vous retrouvez-vous avec le
statut de réfugié ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je suis arrivé en France fin 1997 par l’aéroport Charles de Gaulle. J’ai rempli
des formalité de demandeur d’asile, mon dossier a été examiné par l’OFPRA [8].
Me GISAGARA : Dans ce message, vous indiquez en parlant de l’ennemi, qu’il veut exterminer les
Hutu, ça c’était fin avril. Et, le 1er juillet, les officiers vous invitent et vous êtes totalement en phase :
vous aviez changé d’avis. Depuis le début du procès, vous avez dit que vous étiez un homme bon, un
homme juste. J’aimerais avoir une explication de votre part.
Laurent BUCYIBARUTA : Je n’ai parlé nulle part de Hutu. Quand le FPR a attaqué, en tout cas dans le
nord du pays, je connais des Tutsi qui ont été exterminés, comme des Hutu. Ils ne faisaient pas de
distinction entre Hutu et Tutsi lors de l’attaque. Dans mon texte, je ne parle ni de Hutu ni de Tutsi, mais
de population rwandaise.
Me GISAGARA : Excusez-moi monsieur Laurent BUCYIBARUTA. J’ai rajouté le mot « Hutu » pour que
ce soit plus visible. Si les Inkotanyi [9] veulent exterminer des Hutu et que vous, vous voulez travailler
avec eux, comment pouvez-vous nous expliquer cela? Cette déclaration qui appelle à exterminer.
Laurent BUCYIBARUTA : Premièrement, vous reconnaissez que je n’ai pas parlé ni de Hutu, ni de Tutsi
dans mon texte. Deuxièmement, si les officiers qui étaient à KIGEME ont cru bon de rappeler qu’il était
nécessaire de collaborer avec le FPR. Il s’est fait que pendant le déclenchement des hostilités en avril
1994, il y a eu des messages, non seulement des militaires rwandais, mais aussi des représentants des
communautés religieuses qui sollicitaient le gouvernement rwandais et le FPR à collaborer pour
enrayer les meurtres qui se commettaient dans la région. Si les signataires de la déclaration de KIGEME
ont rappelé cette collaboration, c’est qu’ils s’inscrivaient dans la mise en pratique des accords
d’ARUSHA.
Me GISAGARA : Je parle de vous, de vos convictions personnelles. Vous êtes prêt à ce moment-là à
travailler avec un pouvoir qui extermine la population ?
Laurent BUCYIBARUTA : De quels gens est-ce que vous voulez parler ?
Me GISAGARA : Les Inkotanyi.
Laurent BUCYIBARUTA : Même avant, si les conditions avaient été réunies pour que je travaille avec
eux, j’aurais pu le faire.
Me GISAGARA : ***
Laurent BUCYIBARUTA : Il y avait eu un accord signé officiellement à ARUSHA, puis il y avait eu des
appels à ce que le FPR et le gouvernement participent ensemble à l’abdication des crimes qui se
commettaient dans le pays. Il y a eu tout cela qui a fait en sorte qu’on pouvait travailler avec le FPR, et

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même moi-même en tant que fonctionnaire de l’État rwandais. Je pouvais collaborer avec n’importe
quel gouvernement en place.
Me GISAGARA : Même s’il a exterminé la population ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce n’est pas seulement le FPR qui commettait les crimes, que ce soit des
crimes de génocide ou contre l’humanité, mais aussi des membres de l’armée rwandaise. Si tout cela
avait cessé, si tout le monde avait écouté les appels au calme qui avaient été lancés, rien n’empêchait
qu’on puisse travailler pour le pays.
Me GISAGARA : Si je vous comprends bien, si vous étiez sincère dans votre message fin avril, et si
convaincu d’une extermination par les Inkotanyi. Vous étiez prêt à faire table rase et à travailler avec
eux ?
Laurent BUCYIBARUTA : A condition que toutes les conditions soient réunies.
Me GISAGARA : Donc, vous êtes prêts à travailler avec des tueurs ?
Laurent BUCYIBARUTA : Est-ce que je dois répéter ce que j’ai déjà dit ?
Me GISAGARA : Dans ces déclarations, vous avez utiliser le mot « génocide » pour la première fois en
juillet, c’est un génocide envers les Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le mot « génocide » n’a pas été utilisé en 1994. Dans l’accord d’ARUSHA, le
mot « génocide » n’apparait nulle part. Ensuite, vous savez que le mot génocide n’a pas été utilisé en
1994, surtout qu’il y a même des gouvernements étrangers qui interdisaient d’utiliser le mot génocide ;
par exemple les États-Unis d’Amérique qui avaient interdit aux fonctionnaires du ministère américain
des affaires étrangères et à d’autres d’utiliser ce mot. Tous les crimes ne constituent pas des
génocides. Ce n’est que lorsqu’il y a eu une résolution disant que les actes commis au Rwanda
pouvaient être qualifiés de génocide que ce mot a été utilisé.
Me GISAGARA : Il a été utilisé dans la déclaration de KIGEME.
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, mais il avait aussi été utilisé peu avant dans une résolution des Nations
Unies.
Me GISAGARA : Donc, comme vous êtes totalement d’accord avec la déclaration de KIGEME, vous
êtes d’accord qu’un génocide suppose une organisation ? Certaine organisation (au sein de votre
préfecture) ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je vous ai dit qu’à cette époque, on n’a jamais utilisé le mot « génocide »,
mais que des crimes se commettaient, c’est une évidence. On peut se poser la question de savoir si ces
crimes étaient planifiés, organisés ou autres termes. En tout cas, de mon point de vue, je me suis posé
des questions : comment se fait-il que des actes similaires aient lieu successivement ?
Me GISAGARA : Est-ce que vous avez eu des réponses ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je n’ai pas eu de réponses à mes propres questions.
Président : Les officiers eux, à KIGEME, ont dit eux qu’il s’agissait d’un génocide et d’un crime contre
l’humanité. Vous avez dit que vous étiez parfaitement d’accord avec la déclaration de KIGEME. Ce qui
nous intéresse c’est de savoir ce que vous pensiez ? D’accord ou pas d’accord ?
Laurent BUCYIBARUTA : D’accord.
Président : D’accord avec quoi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Avec le contenu de la déclaration. Ces crimes ont été qualifiés de génocide.
S’ils ont été qualifiés de génocide par l’autorité habilitée à donner la définition….
Le président l’interrompt afin de savoir ce que pense réellement l’accusé.
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Laurent BUCYIBARUTA : Après avoir lu certains rapports et écouté les avis des spécialistes, je
reconnais que les crimes qui ont été au Rwanda constituent des crimes de génocide.
Me GISAGARA : À GIKONGORO aussi ?
Laurent BUCYIBARUTA : GIKONGORO fait partie du Rwanda.
Me GISAGARA : Spontanée ou pas ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je vous ai dit que je me posais les questions, mais que je n’avais pas de
réponses.
Me GISAGARA : Et aujourd’hui pas de réponse ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je n’ai pas de réponse. Peut-être que votre question est incomplète.
Me GISAGARA : Est-ce que vous considérez que le major SIMBA [10] y est pour quelque chose ?
Laurent BUCYIBARUTA : Personnellement, ce que je sais, je donne tous les éléments à ma
disposition. SIMBA a été nommé responsable de la défense civile dans les préfectures de BUTARE et
GIKONGORO. SIMBA est une personnalité d’influence reconnue à l’échelle du pays.
Me GISAGARA : Je parle de massacre et pas d’influence. Est-ce qu’il y est pour quelque chose ?
Laurent BUCYIBARUTA : En tout cas, pour être complet, je n’ai pas vu SIMBA commettre des
massacres.
Me GISAGARA : Oui, vous ne l’avez pas vu. Mais, dans votre fort intérieur vous pensez qu’il y avait
quelque chose ou pas ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est possible. Je n’ai pas été témoin des crimes qu’il aurait commis.
Me GISAGARA : Pourtant vous avez témoigné en sa faveur. Vous avez été témoin à décharge pour lui
?
Laurent BUCYIBARUTA : SIMBA a été jugé par le TPIR. Je ne conteste pas les décisions. S’il a été jugé,
il a été jugé pour ces actes, je ne peux pas contester des décisions judiciaires.
Me GISAGARA : Mais vous, vous avez témoigné en sa faveur ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai été appelé à témoigner comme on appelait d’autres témoins aussi. On
ne peut pas être accusé de crime par le fait même qu’on est allé témoigner.
Me GISAGARA : Témoin de moralité pour lui, est-ce que ça vous pouvez le faire ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est pour une personne avec laquelle vous vivez régulièrement ensemble,
vous partagez plusieurs choses en commun, or SIMBA habitait à KIGALI et moi j’habitais à
GIKONGORO. Donc, sur le plan de la moralité, je n’ai pas d’opinion sur lui. Tout simplement, je retiens
ce qui a été décidé par le TPIR à son égard.
Me KARONGOZI : Le conseiller de secteur à MURAMBI est ce que c’est MUDENGERE*** ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est exactement lui.
Me KARONGOZI : Savez-vous ce qui lui est arrivé ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non.
Me KARONGOZI : Comment savez-vous qu’il était à MURAMBI ?
Laurent BUCYIBARUTA : On me l’a dit. Le bourgmestre de sa commune qui était son bourgmestre
me l’a dit. Il m’a dit que le conseiller du secteur avait décidé d’aller à MURAMBI. C’est ce qu’il m’a dit.
Me KARONGOZI : Et, vous avez procédé à son remplacement ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il a été remplacé par une autre personne, mais je ne sais pas laquelle car à
ce moment-là, les conseillers, avant d’être élus par la population, avaient été choisis par les
bourgmestres parmi les responsables de cellule. Un secteur était composé de plusieurs cellules.
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Me KARONGOZI : Savez-vous aussi que c’était le seul conseiller de secteur qui était Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, ce n’était pas le seul car il y a d’autres communes où les conseillers
étaient Tutsi, notamment dans la commune de RWAMIKO.
Me KARONGOZI : Là, je parle de la commune de NYAMAGABE car un témoin a dit que c’était le seul
conseiller Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’était le seul conseiller Tutsi de NYAMAGABE.
Me KARONGOZI : Remplacement ***
Laurent BUCYIBARUTA : Les personnes qui ont eu la possibilité de fuir l’ont fait. Le bourgmestre
personnellement ne savait pas ce qu’il était devenu, est-ce qu’il a été tué ou en fuite ? Il ne m’a rien dit
de tout ça.
Me KARONGOZI : Savez-vous à quelle époque il est remplacé, avant le 21 avril ou après ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est beaucoup plus tard.
Me KARONGOZI : Vous avez dit à propos de votre chauffeur, GATABARWA, qu’on a pas trouvé son
chauffeur a MURAMBI, c’était un conseiller communal et vous trouvez ça normal qu’on ait pas cherché
à trouver s’il était encore en vie ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce n’est pas moi qui cherchais à recenser les personnes tuées ou les
personnes en vie. Ce sont plutôt les meurtriers qui disaient que GATABARWA, personne n’avait parlé
de lui comme victime. Ils ont supposé qu’il était chez moi. C’est pourquoi certains envisageaient de
mener des attaques à mon domicile.
Me KARONGOZI : Finalement, à MURAMBI, savez-vous nous dire qui sont les meurtriers ? Qui
massacre les populations ?
Laurent BUCYIBARUTA : ***
Me KARONGOZI : Avez-vous finalement à ce jour les informations concernant les auteurs de ces
massacres ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, les informations ont circulé. C’était des civils armés d’armes
traditionnelles ou d’armes à feu.
Me KARONGOZI : Je reviens à l’école Marie-Merci. En fin de compte, après les informations données,
vous avez été à deux reprises à KIBEHO, mais vous avez aussi été à la réunion de l’école Marie-Merci.
J’imagine que l’expérience de KIBEHO, de KADUAH, de CYNIKA vous a donné une information comme
quoi les élèves pouvaient être tués par rapport à l’expérience que vous venez de vivre ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je n’ai pas pensé à ce que les élèves soient tués. Moi et d’autres, nous
considérions qu’ils étaient un petit groupe pouvant facilement être protégé par la gendarmerie. Nous
n’avons jamais pensé qu’ils pourraient être tués. Nous avons demandé au commandant de la
gendarmerie d’affecter une équipe de gendarmes pour protéger les élèves de l’école Marie-Merci,
mais aussi ceux qui avaient trouvé refuge à l’école des lettres. On n’avait jamais pensé qu’ils seraient
tués.
Me KARONGOZI : Et finalement, une promesse de la gendarmerie quand ils sont tués, ils vous
rencontrent et vous expliquent ce qui s’est passé ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce n’est pas lui-même qui a parlé du meurtre de ces élèves. C’est d’abord le
directeur de l’école qui a donné l’information. Précédemment, j’avais informé le commandant de la
gendarmerie de l’information donnée par l’abbé UWAYEZU qu’il y avait des menaces. A ma
connaissance, toute intervention, qu’elle soit militaire ou de gendarmerie, doit se préparer. Les
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conditions requises pour envoyer des gendarmes ou des militaires, ça relevait de l’autorité militaire ou
de gendarmerie.
Me KARONGOZI : Ça j’ai bien compris, je pose la question par rapport aux informations qui se sont
passées.
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne pouvais compter que sur le commandant de la gendarmerie. C’était la
seule autorité à la tête des forces de l’ordre à laquelle je pouvais m’adresser.
Me KARONGOZI : Mais, il est incapable de protéger les élèves, comment pouvez-vous compter sur lui
s’il est incapable ?
Laurent BUCYIBARUTA : A quelle autre autorité j’aurais pu m’adresser si ce n’est pas à l’autorité que
je connaissais comme chef de service ? Il n’y avait pas un autre moyen de recours pour pallier la
carence éventuelle des forces de l’ordre.
Me TAPI : Hier, j’avais rappelé de décret loi, je disais que cette disposition vous permettez de vous
adresser à d’autres forces, quand on ne peut pas demander on ne peut pas avoir
Laurent BUCYIBARUTA : Dites-moi quelles autres forces j’aurais pu utiliser. Vous avez parlé de la
police communale ; j’ai dit qu’elle ne suffisait même pas pour des bourgmestres qui l’utilisaient. J’ai
expliqué pourquoi l’effectif de la commune était réduit suite aux problèmes économiques. L’autre
possibilité, c’était le recours à l’armée ; or, elle avait envoyé ses effectifs au front. Je vous rappelle aussi
que le préfet ne requiert pas l’armée. Ce n’est pas l’autorité qui requiert l’armée en cas de besoin, en
cas de nécessité. Toutes les autres possibilités étaient épuisées.
Me BERRAHOU : J’ai une première question à vous poser, si je vous dis « il faut couper les grands
arbres ». Est-ce que vous pourriez nous dire la signification de tout ça ?
Laurent BUCYIBARUTA : Dans quel texte avez-vous entendu cette expression ?
Me BERRAHOU : Vous ne l’avez jamais entendu ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est dans le message ou dans une lettre ? Couper les grands arbres ?
Me BERRAHOU : Si je vous dis la radio RTLM [11] ça vous parle ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je pense qu’il vaut mieux être complet.
Me BERRAHOU : Avez-vous déjà entendu ceci ? Couper les grands arbres ? Dans le contexte rwandais
?
Laurent BUCYIBARUTA : Couper les grands arbres ? Malheureusement, je ne comprends pas ce que
vous voulez dire. Je pense qu’il faut aller dans le contexte concret. Si vous posez des questions, il faut
que ces questions soient tirées de mes déclarations ou d’un texte. L’arbre je sais que c’est un arbre.
Me BERRAHOU : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA, dans un courrier daté du 26 novembre 1997, alors
que vous êtes en France « il n’y a pas d’arbre ici » que veut dire cela ?
Laurent BUCYIBARUTA : Moi à cette époque je faisais référence à un arbre de BANGUI. Ils nous
disaient qu’il y avait un arbre à tel endroit, si vous y allez, vous trouverez quelqu’un qui vous aidera à
téléphoner.
Me BERRAHOU : Donc, pour vous homme intelligent que vous êtes, vous écrivez à alors SIMBA quand
vous lui écrivez en 1997, vous pensiez qu’en arrivant en France vous alliez trouver des arbres comme à
Bangui?
Laurent BUCYIBARUTA : Quand j’ai écrit cette lettre à SIMBA, j’ai bien précisé que SIMBA n’a pas été
le seul destinataire
Me BERRAHOU : Donc, vous pensez trouver cet endroit pour téléphoner ?
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Laurent BUCYIBARUTA : En France, je ne dis pas qu’on ne trouve pas d’endroit où on peut
téléphoner à prix réduit. On avait baptisé cet endroit et d’autres endroits d’arbres. En France, cela
n’existait pas.
Me BERRAHOU : Je pense que chacun des membres de la cour était né en 1997, on pouvait trouver
des cabines téléphones ou on pouvait téléphoner à bas prix.
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, il y avait des cabines téléphoniques mais ça coutait cher.
Me BERRAHOU : Donc, en arrivant en France qu’aussi peu cher qu’à Bangui?
Laurent BUCYIBARUTA : En France, il y avait des moyens de communication, mais qui coûtaient cher.
Il n’y avait pas d’endroit où on pouvait téléphoner à petit prix.
Me BERRAHOU : Dans un courrier adressé au même Aloys SIMBA : il y a aussi un téléphone ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ça veut dire la même chose.
Me BERRAHOU : Je ne pense pas qu’en France on appelle arbre un téléphone.
Laurent BUCYIBARUTA : En tout cas, c’est le mot que les centres africains avaient donné à ces
endroits où l’on pouvait téléphoner pour moins cher.
Me BERRAHOU : Pour la cour « arbre », dans la radio RTLM voulait dire tailler les tutsi, machettes les
tutsi? Pourtant moi depuis la France j’en avais entendu parler alors que vous depuis le Rwanda oui.
Laurent BUCYIBARUTA : Vous ne m’avez pas posé de questions sur les émissions de RTLM. Si vous
me posez des questions sur les mots prononcés par la RTLM, je répondrai. Radio RTLM lançait des
propos qui ne convenaient pas.
Me BERRAHOU : Avez-vous entendu depuis le génocide rwandais depuis une quelconque radio
« couper les grands arbres ».
Laurent BUCYIBARUTA : C’est possible mais je ne peux pas me rappeler de ce que j’ai écouté à
différentes radios en 1994, cela fait presque 30 ans.
QUESTION DU MINISTÈRE PUBLIC :
Ministère public : J’aimerais revenir sur les circulaires du Ministre de l’intérieur. Hier, le Président de la
Cour vous a demandé s’il y avait une certaine similarité entre la rhétorique de certains messages mais,
ce matin, vous avez dit sur la circulaire du Premier ministre, « … sur la sincérité du message je ne peux
pas savoir ce qu’il y a dans la tête de chaque personne ».
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai répondu à cette question. J’ai dit que la lettre du ministre de l’intérieur
est datée du 21 avril. Il est possible que nous l’ayons reçue avant la réunion du 26 avril. On s’est mis
d’accord sur la nécessité que je délivre un message lors de la réunion. Le Premier ministre a fait cette
instruction le 27 avril, soit postérieurement à la décision prise le 26 avril. Nous ne nous sommes pas
référés à la lettre du Premier ministre, puisque nous ne l’avions pas encore reçue.
Ministère public : La rhétorique est la même : vous aviez eu le message, la circulaire au préfet de la
circulaire?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Ministère public : « Je ne sais pas ce qu’il y avait dans la tête du gouvernement ». Vous avez dit ça ou
je déforme vos propos?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui mais je vais m’expliquer davantage. J’ai dit que le gouvernement m’a
donné l’impression qu’il avait pris conscience de la nécessité de ramener l’ordre dans le pays.

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Ministère public : Je vais vous donner connaissance des délibérations du TPIR du Ministre de
l’intérieur, votre supérieur hiérarchique (D1039 et suivants). On est d’accord que vous n’utilisez pas
exactement les mêmes termes que de la lettre de Jean KAMBANDA ? Est-ce que vous contestez ?
Laurent BUCYIBARUTA : Vous avez bien fait de dire que M. Edouard KAREMERA est devenu Ministre
de l’intérieur le 25 mai.
Ministère public : C’est dans la décision du TPIR qui le condamne qui fait l’exégèse du Premier
ministre ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne peux pas commenter les décisions du TPIR parce que le tribunal a ses
règles de fonctionnement, a interrogé les témoins et a tiré des conclusions de sa propre compétence.
Il vaut mieux les prendre telles que ces décisions sont prises. Quant à moi, je n’ai pas été interrogé ni
témoin pour les jugements de KAREMERA ou KAMBANDA.
Ministère public : Ce n’est pas ce que je dis. Si je vous dis que cette motivation du TPIR pourrait,
certains points de cette motivation, s’appliquer à votre propre message. On aurait pu parler du
massacre de Tutsi mais, vous, vous parlez de massacres « à base ethnique ». En p.2, vous dites que «
l’ennemi tire profit de ces massacres à base ethnique », et à la fin de l’audience, vous dîtes qu’il doit être
mis fin à la violence et au pillage. Eric GILLET avait expliqué que c’était toujours la même chose,
appeler au calme et ensuite influencer au massacre ?
Laurent BUCYIBARUTA : Vous avez d’abord dit que mon message, les mots qu’il contient, ne sont pas
les mêmes que ceux du TPIR. Vous tirez la conclusion que ça pourrait être affirmé donc vous n’êtes pas
sûre.
Ministère public : C’est le principe du double langage Monsieur.
Laurent BUCYIBARUTA : Si vous dites que mon message pourrait être assimilé, si vous utilisez le mot
« pourrait », c’est du conditionnel.
Ministère public : Alors votre message PEUT.
Laurent BUCYIBARUTA : Je vous dis maintenant comme je l’ai déjà dit que dans mon message, je n’ai
pas utilisé les mots Hutu ou Tutsi. Dans mon message, je n’ai pas utilisé d’autre mot à connotation. Le
but de mon message était de dire aux gens qui se livraient aux meurtres de les cesser. Dans mon
message, j’ai utilisé des arguments qui me semblaient appropriés pour convaincre les tueurs. Je devais
utiliser les arguments qui me semblaient de nature à convaincre les tueurs afin qu’ils cessent leurs
actes.
Ministère public : Donc, si vous parlez à plus de dix reprises d’ « ennemis », de « troubles » : c’était le
langage approprié pour faire cesser les massacres contre les Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Concernant le mot ennemi, je l’ai déjà expliqué. Pour moi, l’ennemi était
l’agresseur, qui est le FPR. Ce n’est pas une population rwandaise Hutu ou Tutsi.
Ministère public : Tous les témoins de contexte ont dit que l’ « ennemi » était le FPR et les Tutsi?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne nie pas que l’ennemi désignait le FPR et le Tutsi mais pas dans mon
message.
Ministère public : En parlant de quelque chose qu’on a pu évoquer, c’est la question du carburant. Il
fallait déprendre d’un bon de rationnement sur le camp militaire de BUTARE ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui. A un moment donné, il n’y avait plus de carburant à GIKONGORO donc
moi-même, pour mettre du carburant, je ne pouvais pas aller directement dans une station d’essence.

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C’est les autorités préfectorales de BUTARE ou autorités militaires qui avaient le droit de délivrer des
bons de rationnement.
Ministère public : Les autorités préfectorales de BUTARE, donc à GIKONGORO on ne pouvait pas
donner de ticket de rationnement ?
Laurent BUCYIBARUTA : A GIKONGORO, on pouvait donner des bons de rationnement pour le
carburant quand il y en avait. Mais quand on en avait plus, c’était à BUTARE.
Ministère public : C’était quand à peu près ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne peux pas me rappeler de la période. Début avril, il y en avait. Les deux
stations-services de GIKONGORO avaient la même fournisseur qui décidait parfois de ne pas délivrer
de carburant, préférant BUTARE.
Ministère public : Moi, ce qui m’intéresse c’est au niveau de GIKONGORO, certains circulaient à pied ?
Laurent BUCYIBARUTA : Certains circulaient à pied, d’autres en voiture.
Ministère public : Les cultivateurs n’avaient pas de voiture eux ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, mais les gens qui habitaient le centre-ville, certains possédaient une
voiture.
Ministère public : Mais, on va dire que la possession de voiture n’était pas généralisée ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, tout le monde n’avait pas sa voiture. C’est une évidence.
Ministère public : Hélène DUMAS disait que pour aller tuer, il fallait une voiture et que les tueurs
avaient une voiture. Qui avait le droit d’avoir de l’essence ? Comment ça marchait ?
Laurent BUCYIBARUTA : Madame DUMAS a elle-même dit qu’elle n’avait pas terminé ses
investigations sur GIKONGORO. Si les attaquants disposaient de moyens de locomotion, je ne sais pas
où ils trouvaient du carburant, certains volaient des véhicules disposant de carburant. L’évêché
notamment.
Ministère public : Et, au niveau de la préfecture ? L’usine à thé de MATA avait-elle aussi des véhicules
?
Laurent BUCYIBARUTA : L’usine à thé de KIGALI et celle de MATA avaient aussi du carburant. Je ne
sais en quelle quantité mais ce sont les utilisateurs de ces véhicules qui peuvent dire où ils trouvaient
le véhicule.
Ministère public : Et vous, en tant que préfet de GIKONGORO, c’était quoi vos instructions ? Qui en
avait le droit en 1994 ? Il n’y avait pas beaucoup de rationnement, donc il fallait faire des choix, quels
étaient ces choix ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le rationnement qui était fait sur un bon délivré par la préfecture, c’est pour
les stations connues officielles, PETRORWANDA GIKONGORO. Les projets agricoles disposaient de leur
propre stock. Toutes les usines disposaient de carburant puisque le fonctionnement des usines
nécessitait du carburant.
Ministère public : « Séparation des pouvoirs ça relève du pouvoir judiciaire et ce n’était pas de mon
ressort ». On a entendu le bourgmestre de RUKONDO, Didace HATEGEKIMANA, et en tant que
bourgmestre, il était OPJ [12] et il pouvait diligenter des enquêtes. Il avait dit : « il pouvait le faire en tant
que supérieur hiérarchique, mais il ne m’a pas demandé »?
Laurent BUCYIBARUTA : Le bourgmestre de RUKONDO, comme d’autres, avait la qualité d’OPJ. Le
préfet ne l’avait pas. Le bourgmestre pouvait arrêter des gens en infraction mais le préfet n’avait pas

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cette qualité d’OPJ. Dans chaque commune, il y avait un IPJ [13] qui pouvait arrêter des gens de son
initiative ou avec le bourgmestre.
Ministère public : La question c’est que le bourgmestre peut, en tant qu’ OPJ, arrêter des gens, et
vous, en tant que supérieur hiérarchique vous n’arrêtez pas les gens ? Vous n’êtes pas OPJ mais vous
pouvez quand même demander au bourgmestre d’arrêter des gens, chose que vous avez déjà fait ?
Laurent BUCYIBARUTA : Si je l’ai écrit, c’était avant la période des massacres et autres troubles en
1994. Ce courrier ne date pas d’avril 1994. Le bourgmestre, malgré sa qualité d’OPJ, était tenu à utiliser
cette qualité pour certaines infractions mais pas pour toutes.
Ministère public : J’imagine que pour arrêter des gens qui ont tué d’autres gens ça marche IPJ ?
Laurent BUCYIBARUTA : Quand le bourgmestre estimait que ce n’était pas en sa compétence de
poursuivre cette infraction, il demandait à l’IPJ.
Ministère public : Je vais passer à un autre témoin, le bourgmestre de KIVU. Dès le 12 avril, avec des
policiers municipaux, ils se sont tous rendu à *** et il disait : « je trouve que cela fonctionnait au parquet
de MUNINI », donc on a l’impression que la justice pouvait continuer à fonctionner ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le bourgmestre a dit cela mais il a dit que l’IPJ a déposé le dossier auprès
du substitut du procureur qui était à MUNINI mais il est resté sans suite.
Ministère public : Ça j’ai envie de dire ce n’est pas votre problème, car si on s’en tient à la séparation
des pouvoirs, vous avez la possibilité de faire des enquêtes. Même si ça ne fonctionnait pas, vous
auriez pu faire des enquêtes et au moins vous faire votre travail. Toute la partie précédente, pour
donner des instructions aux bourgmestres, vous ne l’avez jamais fait.
Laurent BUCYIBARUTA : Le dossier fait dans la commune de KIVU qui a été déposé auprès du
substitut concernait le vol d’armes communales dans le bureau communal. Si l’IPJ de KIVU a pu faire
cette enquête, il s’agit d’un vol. Il ne s’agit pas d’une enquête qui concerne l’arrestation de tous les
bourgmestres.
Ministère public : Donc, jusqu’à présent, vous dîtes que la justice ne fonctionnait pas mais là vous
dîtes que la justice fonctionnait pour certaines choses ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je continue à dire qu’elle ne fonctionnait pas. S’il y a un bureau où il y a le
premier substitut et pas d’autre personnel, c’est dire que l’institution ne fonctionne pas. Même à
GIKONGORO où on disait que le parquet ne fonctionnait pas. Ça ne peut fonctionner que si tous les
agents sont sur place.
Ministère public : Là, on est d’accord, mais en tant qu’autorité préfectorale ce n’est pas votre
problème.
Laurent BUCYIBARUTA : Je vous l’ai dit, moi je n’avais pas les moyens humains et matériels et surtout
je n’étais pas compétent pour mener ces enquêtes. Les personnes compétentes pour mener ces
enquêtes ne pouvaient pas être réunies. Il fallait penser à sa propre sécurité. Qui aurait osé se
présenter devant des dizaines ou des centaines de meurtriers pour dire qu’il fallait les arrêter.
Ministère public : Je vais vous rappeler ce que disait Didace HATEGEKIMANA : « au tout début, la
population civile n’avait pas d’armes à feu, il était facile de les arrêter ». C’est aussi ce qu’a dit Alison
DES FORGES.
Laurent BUCYIBARUTA : La possibilité s’est ouverte dans une commune et pour une courte période.
Après les massacres et les autres actes de violence ont augmenté de telle sorte que la situation
devenait ingérable.
Page 691 sur 711

Ministère public : C’est un peu tout le problème de la question de l’immunité.
Laurent BUCYIBARUTA : Qu’est-ce que j’y pouvais ?
Ministère public : Vous reconnaissez que vous avez des bourgmestres, ils pouvaient mener des
enquêtes, et vous dites « qu’est ce que j’aurais pu faire ? », et bien vous auriez pu faire cela.
Laurent BUCYIBARUTA : Les autorités judiciaires n’étaient pas en mesure de mener des enquêtes. Il y
a des choses qu’on peut accomplir en temps de paix mais pas en temps de guerre.
Ministère public : Question sur la possibilité de fuir. Depuis le début, vous avez exclu cette possibilité,
mais les débats ont permis de mettre en évidence que quand il le fallait, vous avez pu faire escorter
des gens, des proches. Pourquoi vous n’activez pas ce réseau de confiance pour quitter le pays quand
il y a le gouvernement intérimaire ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ces personnes, j’ai pu les aider par les moyens que j’ai utilisés. Mais ces
personnes étaient à l’intérieur du pays. Je n’ai aidé personne à fuir vers l’étranger. Quand vous dites
fuir, ça veut dire quitter son pays. Je ne pouvais pas envisager cela car cela aurait constitué un danger
d’être tué en cours de route ou ça aurait donné la preuve que j’étais un partisan du FPR. Si je suis resté,
si j’ai décidé de rester sur place, au moins, j’ai pu aider certaines personnes qui me demandaient de
l’aide.
Ministère public : Donc vous, vous considériez que vous étiez la moins pire des options pour la
population de GIKONGORO ?
Laurent BUCYIBARUTA : Moi je suis resté avec la population de GIKONGORO dans les conditions qui
prévalaient. Si je trouvais que je pouvais faire quelque chose, je le faisais, comme convoquer une
réunion pour envoyer des messages. J’ai pu quitter le pays quand l’opération TURQUOISE a assuré
l’ordre et la sécurité. Le gouvernement avait déjà fui.
Ministère public : Vous n’avez pas apporté d’escorte, mais une personne cité par votre conseil avait
dit que des personnes avaient fui grâce à un camion mise en place par votre disposition ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il y a un camion du projet de développement agricole de GIKONGORO qui
devait transporter des employés du projet au Zaïre en les déposant à CYANGUGU. Le responsable du
PDAG [14] m’a informé de cela. Quand des gens me disaient qu’ils voulaient se réfugier, je leur disais
que l’asile devait provenir de l’opinion individuelle. Je leur disais que s’ils avaient l’intention de quitter
le pays, un camion du PDAG allait partir donc ils pouvaient chercher de la place dedans. J’ai donné à
ceux qui m’ont posé des questions comment partir.
Ministère public : Savez-vous si des personnes ont été évacuées ? Il y avait le greffier David
KARANGWA ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’est possible parce que ceux qui ont voulu partir avec ce camion l’ont fait.
Mais je n’ai pas été voir qui est entré dans le camion. Pour conclure, je ne sais pas qui s’est installé à
bord de ce camion. Je sais que c’est principalement des employés de PDAG.
Ministère public : Il nous a dit que c’était tous des Hutu ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ça aussi je ne l’ai pas vérifié mais je pense que c’était majoritairement des
Hutu. Au PDAG, certains hébergeaient leurs amis Tutsi. Même dans le camp où je me trouvais à
MUSHWEWE, certains Tutsi ont quitté le camp pour retourner au Rwanda.
Ministère public : Juste une question sur ces camps, avez-vous croisé des membres du gouvernement
intérimaires ?

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Laurent BUCYIBARUTA : Le président SINDIKUBWABO, le premier ministre KAMBANDA et d’autres
ministres étaient dispersés dans différents camps. Quand j’allais rendre visite à des amis et
connaissances dans ces camps, je les rencontrais.
Ministère public : Avez-vous un peu parlé de la situation ? De l’avenir ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, on parlait de la situation dans les camps
Ministère public : Confirmez-vous que vous étiez informé des tensions ethniques avant le 6 avril. On a
au dossier deux courriers de 1994 (D8199 et D8208). Le premier est un télégramme, on a un courrier
de votre part du 17 décembre 1992 où vous faites état d’un départ de professeurs Tutsi et de tensions
entre professeurs et élèves Hutu et Tutsi ? Pourquoi une telle diligence sur cette école, qui remonte
bien au Président de la République ?
Laurent BUCYIBARUTA : Ce que je savais était que les élèves de cette école étaient restés dans cet
établissement et pas partis en vacances car ils devaient récupérer les cours qu’ils avaient perdus lors
des grèves antérieures. Pour la suite, je pense qu’on a donné les informations à partir du moment où
nous sommes allés visiter ces élèves. Avant le 6 avril, je savais que les élèves étaient là, il n’y avait pas
de problème entre eux. Les problèmes ont surgi à partir du 7 avril.
Ministère public : Comme je le disais, on a entendu le témoin André SIBOMANA, il a parlé d’agents
déployés sur la commune de MUNINI, des moyens d’informations ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il faut noter que ce n’est pas moi qui ai adressé un télégramme au président
de la république mais le sous-préfet. Je n’ai reçu qu’une copie. Il était mon devoir d’informer l’autorité
hiérarchique des informations que j’avais reçues concernant les professeurs et un élève et les
informations que j’avais. J’ai senti que je devais informer le ministre de tout événement d’importance
qui pouvait surgir à ce moment-là.
Ministère public : Vous ne l’avez jamais dit dans le cadre de la procédure, un témoin qui a donné des
informations précises concernant des moyens de communications et ce que vous avez oublié de dire,
c’est qu’il y avait des informations données.
Laurent BUCYIBARUTA : La radio du service de renseignement préfectoral était tout à fait autonome
par rapport à la préfecture et le ministère de l’intérieur. C’est deux radios différentes. Les opérateurs du
service de renseignement ne connaissaient même pas les codes utilisés. Deuxièmement, concernant le
réseau informateur, je ne le connais pas. L’opérateur a dit que c’est l’agent lui-même qui connaissait
ces informateurs. Même l’opérateur ne les connaissait pas tous. Vous vous tromperiez si vous pensez
que le service de renseignement de la préfecture était sous la dépendance du préfet. Ce réseau
d’informateurs n’était connu que par l’agent de représentant de ces services lui-même.
Ministère public : On vous avait notamment interrogé sur les agents qui existaient et vous aviez dit à
l’époque que vous ne le saviez pas. Aujourd’hui, un témoin a apporté des éléments d’information très
précis, vous aviez vous-même votre moyen de communication crypté.
Laurent BUCYIBARUTA : Le témoin a dit que le service de renseignement devait normalement
informer le préfet. C’était une éventualité. Il n’avait pas l’obligation d’informer le préfet de tout ce qui
figurait dans le rapport. Il pouvait donner des informations au préfet.
Ministère public : Plusieurs bourgmestres qui étaient sous votre autorité étaient impliqués dans les
massacres. Ils ont tous été condamnés.
Laurent BUCYIBARUTA : Si dans ces PV figure ma part dans tout cela, je n’ai pas ces éléments.

Page 693 sur 711

Ministère public : On a entendu des bourgmestres par visio-conférence. Est-ce que vous confirmez
que vous n’avez pris aucune sanction contre eux ?
Laurent BUCYIBARUTA : La question des sanctions doit être examinée. A ce moment, je connaissais la
procédure pour opposer des sanctions aux bourgmestres. Au préalable, il faut qu’il y ait un rapport. Il
n’y en avait pas. Je savais que pour décider des sanctions, il y avait plusieurs recours prévus, même si
ces autorités locales dépendaient du préfet mais il ne pouvait pas prononcer ou demander que
l’autorité supérieure prononce des sanctions sans disposer d’un rapport sur des reproches et aussi des
possibilités de recours. Il était d’habitude que d’avant de condamner quelqu’un, il devait avoir la
possibilité d’exposer ses moyens de recours. Même s’il y avait une possibilité de mener des enquêtes,
cela devait prendre un temps extrêmement long pour que le ministère de l’intérieur ou la présidence
de la république puisse se prononcer. Dans la position où nous étions, il n’était pas possible de mener
des enquêtes. Je pouvais en mener quelques petites. Je constituais une équipe de fonctionnaires qui
devaient mener des enquêtes et me remettre des rapports. Mais ça c’est du côté administratif. Si ces
gens étaient accusés de crimes à tort ou à raison, c’est la justice qui devait se prononcer. Les sanctions
administratives, même quand elles sont imposées, ne peuvent pas remplacer les sanctions pénales.
Donc d’abord, on était dans l’impossibilité de mener des enquêtes et ensuite les autorités judiciaires
qui menaient des enquêtes ne pouvaient pas le faire.
Ministère public : Là, je vous parle de votre pouvoir disciplinaire (D10808), analyse juridique de
l’acquittement et ce qu’il en ressort c’est que le préfet de CYANGUGU a pris des sanctions
disciplinaires. Ce qu’il en ressort c’est que celui-ci a été acquitté pour deux raisons : aucune preuve de
l’implication du préfet dans ses attaques et il fait application des pouvoirs de sanction qui sont les
siens. Une situation totalement comme la vôtre, vous n’avez jamais exercé votre pouvoir
disciplinaire (D10691). L’article 50 vous donne le pouvoir dans une situation, vous avez la possibilité de
prononcer des mesures de suspension sans même attendre le Ministère de l’intérieur. Ce bourgmestre
a été suspendu car il a été retrouvé avec des biens de pillage.
Laurent BUCYIBARUTA : Il a été suspendu pour le pillage mais pour le génocide, c’est la juridiction
compétente pour juger les crimes. Pour les crimes de génocide, la suspension comme mesure
administrative ne remplaçait pas la suspension par une juridiction habilitée. Vous ne donnez pas toutes
les informations.
Ministère public : Le texte est assez clair, les indices assez graves. Vous avez une faute présumée de
bourgmestre, de très nombreux témoins relayant l’implication avérée. Vous restez sur votre ligne de
dire que vous ne savez rien. En tout état de cause, vous aviez un pouvoir que vous n’avez pas utilisé.
Ministère public : J’ai une question sur l’effectif de la gendarmerie de GIKONGORO. Le sous-préfet
nous a aussi indiqué que (D10340), et le sous-préfet parle aussi de 300 gendarmes à GIKONGORO ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’était un petit camp et les chiffres que vous avez donné qui visent l’échelle
nationale. Il n’y a aucun chiffre qui vise spécifiquement GIKONGORO. Si le chiffre 300 a été évoqué,
c’est peut-être une moyenne pour les préfectures.
Ministère public : Concernant le comportement du major BIZIMUNGU à l’égard des Tutsi. Quel était
son comportement ? Est-ce qu’il s’opposait au massacre ? (D10892). Il semble que dans ce compte
rendu, lorsqu’on le lit, que le comportement du major à l’égard des Tutsi n’est pas irréprochable ?
Laurent BUCYIBARUTA : Je ne peux pas dire qu’à partir de ce que vous venez de lire je peux conclure
que le major BIZIMUNGU était impliqué dans les massacres.
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Ministère public : Donc, vous connaissez bien ce compte rendu ? Cette femme demande de l’aide
avec ses enfants et on a le major BIZIMUNGU.
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai entendu parler des personnes que vous venez d’évoquer. La femme est
allée s’adresser au major BIZIMUNGU pour tenir une escorte. Le major a accompagné l’escorte. Arrivé
quelque part en cours de route, des gens ont arrêté la voiture et ont pris le mari de cette femme pour
le tuer. De là, je pense que Madame a pensé que c’est à cause du major BIZIMUNGU qu’il a été tué.

La défense n’a pas de questions.

References
↑1

De nombreux témoins ont été auditionnés le mardi 14 juin et plusieurs rescapés le mercredi 15
juin, ainsi que madame Azena IBYIMANA KABIRIGI le 13 juin

↑2

CIPEP : Centre Intercommunal de Développement du Personnel

↑3

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑4

Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.

↑5

Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant
le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide

↑6

CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au
moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice,
les Impuzamugambi., cf. glossaire

↑7

MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, exMouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé
par Juvénal HABYARIMANA.

↑8

OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides

↑9

Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.

↑10

Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les
préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide
et extermination, crimes contre l’humanité »

↑11

RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE

↑12

Officier de Police Judiciaire

↑13

IPJ : Inspecteur de Police Judiciaire

↑14

PDAG : Projet de Développement Agricole de Gikongoro

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du jeudi 7
juillet 2022. J 39
09/07/2022

Cette journée a été consacrée aux plaidoiries des avocats des parties civiles. Nous reproduirons
ici les interventions que les avocats voudront bien nous transmettre

Plaidoirie de Maître Sabrina Goldman, Avocate de la LICRA, partie civile au procès de Laurent
Bucyibaruta à la Cour d’assises de Paris le 7 juillet 2022.
« Si j’avais défailli, tourné le dos et, ce faisant, permis la mort de cette personne que je pouvais peut-être
sauver, uniquement parce que j’étais moi-même en danger, j’aurais commis la même erreur que mon
peuple tout entier…
Les gens qui ordonnèrent et perpétrèrent ces atrocités furent si nombreux.
Mais furent également nombreux ceux qui les laissèrent se produire, faute d’avoir le courage de les
empêcher ».
Ces mots sont d’Ella LINGENS, elle était médecin, prisonnière à Auschwitz, reconnue Juste parmi les
nations, au même titre que tous ceux qui ont pris des risques pour leur vie pour sauver des Juifs
pendant la Seconde guerre mondiale.
On trouve au Rwanda les mêmes Justes ; un documentaire très intéressant leur est d’ailleurs consacré,
dans lequel on relate les histoires de Frodouald KARUHIJE, ouvrier agricole qui a caché près d’une
vingtaine de Tutsi dans de profonds trous qu’il avait creusés, recouverts de branchages, Damas
GISIMBA, qui a abrité des fugitifs tutsis à Kigali, dans des faux plafonds et des pièces dissimulées
derrière des armoires, au sein de l’orphelinat qu’il dirigeait, ou encore l’histoire de Joséphine
DUSABIMANA, tenancière de bar dans la ville de Kibuye, qui a volé des barques pour faire partir de
nuit des Tutsi vers une île située de l’autre côté de la frontière.
Lorsque l’on écoute leurs témoignages, on constate qu’aucun d’entre eux ne se décrit comme un
héros ; aucun d’entre eux n’a le sentiment d’avoir accompli un acte héroïque, car il était tout
simplement impossible pour eux de ne pas agir.
Je vous dis tout cela et pourtant, Monsieur le Président, Madame, Monsieur de la Cour, Mesdames et
Messieurs les Jurés, ce que l’on reproche à Laurent Bucyibaruta, ce n’est pas de ne pas avoir été l’un
des héros que je viens de décrire.
Que cela soit clair, on ne demande pas que l’accusé soit condamné pour défaut d’héroïsme.
Car il n’est pas question ici de jugement moral.
C’est le jugement de la Justice que l’on cherche.
Entre l’inaction,

Page 696 sur 711

Et risquer sa vie pour sauver celle des autres, il y a un espace, et cet espace c’est celui de la culpabilité
de Laurent Bucyibaruta.
Bien sûr, il y a plusieurs niveaux de culpabilité.
Dans cette pyramide qui a permis que le génocide soit commis, des donneurs d’ordre aux exécutants,
des cerveaux aux miliciens, des BAGOSORA aux Interhamwe, il a aussi fallu des Préfets, ici à Gikongoro
et ailleurs, qui ont fait commettre ou qui ont laissé faire alors qu’ils avaient le pouvoir et le devoir,
moral en tant qu’Homme mais surtout légal en tant que représentant de l’Etat d’agir, d’alerter,
d’empêcher, et qui par leur inaction ont permis le génocide.
Parce que cette abstention était une caution aux tueurs, parce que cette inaction a créé les conditions
pour que les massacres aient lieu.
Un génocide est un tout. C’est la conjonction d’une pensée génocidaire, d’une population endoctrinée
à tuer « les cafards », et de tout un appareil d’Etat transformé en machine à exterminer.
Et cette chaîne meurtrière, pour qu’elle fonctionne, il lui faut les relais locaux de l’Etat qui par leurs
actions ou leurs refus d’intervenir, permettent aux tueurs d’agir.
En Droit cela s’appelle la complicité par abstention.
Selon le Code pénal, on est complice d’un crime lorsque l’on a facilité sa préparation ou sa
consommation, notamment par aide ou par assistance.
Dans ce cas, on est complice par abstention lorsqu’on avait le pouvoir légal de s’opposer à la
commission du crime et que par son action on a manifesté la volonté de le laisser commettre.
Le complice par abstention c’est celui, nous disent la Cour de cassation ou le Tribunal pénal
internationale pour le Rwanda, qui par sa seule présence a apporté une caution morale ou un
encouragement à l’auteur principal, ou bien celui qui avait, en raison de sa profession, le devoir ou le
pouvoir d’agir, ou encore celui qui est tenu par les autres auteurs du crime en si haute estime que sa
présence vaut un encouragement.
Vous ne pourrez pas ne pas dire qu’a minima, Laurent Bucyibaruta est coupable parce qu’il savait, qu’il
avait le pouvoir et le devoir légal d’agir, d’alerter, d’empêcher, de sanctionner, en tant que Préfet,
chargé d’assurer la sécurité des personnes, et qu’il n’a rien fait. RIEN. Il n’a pas même essayé.
Souvenez-vous de ce qu’Eric GILLET vous a dit, ici à cette barre, sur le devoir que le Préfet avait d’agir,
d’utiliser son autorité pour tenter que les massacres cessent.
C’est précisément ce qu’il n’a pas fait : réquisitionner la police et la gendarmerie, sermonner les gens
sur les lieux des massacres, sanctionner les participants aux meurtres, et tant d’autres choses !

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C’est précisément cela la lâcheté coupable.
Pas une simple négligence, pas un manquement, pas une simple abstention, une faute.
On ne reproche pas à l’accusé ne pas avoir été un héros, mais de ne pas avoir agi en homme libre alors
qu’il en avait le pouvoir et le devoir, parce que c’est cela la liberté, cela ne consiste pas, selon Saint
Augustin, « à faire ce que l’on veut, mais ce que l’on doit ! »
En réponse, l’accusé nous a dit : « Je ne pouvais pas agir, j’aurais été tué. »
Cette défense justifie que vous ayez à répondre, dans les questions qui vous seront posées dans le
cadre de votre délibéré, à celle de la contrainte, au sens de la loi.
C’est une notion prévue à l’article 122-2 du Code pénal qui dispose que « N’est pas pénalement
responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu
résister. »
Selon le Professeur de Droit Yves MAYAUD, « il faut que l’évènement qui constitue la contrainte soit
irrésistible ou insurmontable c’est-à-dire rende impossible – et d’une impossibilité absolue – toute
résistance à la contrainte qu’il représente ».
Il faut aussi que cet évènement soit imprévisible : si soudain et instantané qu’il en résulte une surprise
totale.
En d’autres termes, on considère que la personne a été privée de volonté, de son libre arbitre, de sa
capacité à se conduire librement.
Ici, Laurent Bucyibaruta vous dit : j’avais peur d’être tué si j’avais agi.
Mais cette force irrésistible qui exonère quelqu’un de sa responsabilité, ce n’est pas la peur d’être tué
hypothétiquement, c’est concrètement le pistolet sur la tempe, la machette au-dessus de la tête. C’est
la menace réelle, objectivée, sur votre vie.
C’est ça la contrainte qui absout.
Or à aucun moment Laurent BUCYIBARUTA ne le démontre.
Il ne décrit pas, il ne crédibilise pas ce qu’auraient été ces pressions, ces menaces, cette contrainte.
Elle est totalement illusoire, de pure façade. Vous n’y adhérerez pas.
Peut-être vous dira-t-on que c’est bien facile de dire cela, de rendre la justice depuis nos fauteuils
confortables et cette salle climatisée, que nous n’y étions pas.
Non ce n’est pas simple, c’est bien pour cela que l’on prend le temps, on écoute les gens, on y
consacre de l’énergie et de l’attention parce que s’y joue tout à la fois l’honneur d’un homme et la
mémoire de milliers de victimes, parce qu’il ne s’agit pas de rendre une justice facile, justement parce
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qu’il n’y aurait pas plus grande injustice que le vide, que le trou béant de ce million de victimes, on le
fait bien, on décortique les faits, on les examine. C’est long, c’est parfois difficile à suivre. Mais la
Justice le mérite.
C’est d’autant plus difficile pour les victimes. De venir témoigner, de se plier à la confrontation
judiciaire. C’est douloureux de voir que des hésitations, des contradictions sont parfois montées en
épingle.
Lorsqu’au cours de l’audience, j’entendais remise en cause la parole de certains survivants, parce
qu’elle serait suspecte ou tout simplement inexacte, incohérente, je me suis souvenue d’une histoire
que l’on m’a racontée au centre Primo LEVI, c’est un centre de soins pour réfugiés victimes de tortures
: pour déposer sa demande d’asile, une femme avait raconté aux autorités françaises les massacres et
tortures qu’elle avait vécues avec sa famille et qui l’avaient conduite à fuir son pays. Sa demande
d’asile avait été rejetée considérant que son récit n’était pas crédible car elle indiquait avoir eu 3
enfants alors qu’en réalité on savait qu’elle en avait eu 4.
Il s’avère que le 4e enfant, qu’elle avait « oublié », ou en tout cas cherché à oublier, était celui devant
lequel elle avait été violée.
***
Monsieur le Président, Madame, Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les Jurés,
Je représente aujourd’hui une association, la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme,
qui est partie civile dans ce procès. Pourquoi l’est-elle ?
D’abord parce que le procès d’un génocide, c’est le procès du racisme dans sa forme la plus extrême,
la plus aboutie, la plus achevée.
Le racisme, c’est même la définition légale du génocide.
Selon le Code pénal, un génocide c’est l’exécution « d’un plan concerté tendant à la destruction totale
ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
En d’autres termes, tuez-les tous !
Tuez-les tous pour ce qu’ils sont ! pas pour ce qu’ils ont fait !
Des hommes, des femmes, des enfants qui n’avaient commis d’autre crime que celui d’être nés Tutsi.
Ils n’avaient pas le droit d’exister, ils n’ont même pas eu le droit à une sépulture.
Ne nous y trompons pas, cette Histoire n’a rien à voir avec une guerre tribale, avec une violence
fondée sur une haine atavique entre les Hutu et les Tutsi.

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Ce génocide a les mêmes racines que les génocides qui ont meurtri l’Europe au 20e siècle ; c’est la
même pensée raciste et racialiste qui s’est développée en Europe à la fin du 19 e siècle, celle d’une
hiérarchie entre les races.
Et cette pensée a tué au Rwanda dans des circonstances qui dépassent l’entendement. 800 000 à 1
million de morts en 3 mois !
Peut-on réaliser ce gouffre ?
Un million de visages, un million d’histoires, de peines, de nostalgies, d’espoirs, de joies.
Le vide absolu… vertigineux…
Hélène Dumas vous l’a dit : ce génocide a été remarquable par son efficacité létale, et par son
efficacité symbolique : faire souffrir et faire subir des humiliations, avec une particulière inventivité
cruelle des tueurs. Elle rappelait la dimension de cruauté de ce génocide dans la parole d’une amie qui
lui disait – peut être vous en souvenez-vous aussi – « ce qui me fait le plus souffrir ce n’est pas qu’ils
soient morts mais comment ils sont morts ».
Mais aussi, pourquoi est-ce important pour la LICRA, association universaliste, d’être là sur les bancs
des parties civiles ?
Parce que le génocide des Tutsi au Rwanda, ce n’est pas l’affaire des rwandais, cela l’affaire de tous.
C’est d’ailleurs même ce qui justifie que la France juge des crimes commis à près de 10 000 km d’ici.
Peut être vous l’êtes vous demandé ; pourquoi juge t on ici en France, ce qui s’est passé là-bas ?
C’est au nom d’un principe de Droit, très beau, qui s’appelle la compétence universelle.
C’est un principe qui donne compétence à un Etat de juger un crime alors qu’il a été commis à
l’étranger et alors même que ni son auteur ni ses victimes ne sont françaises.
Pour que la France soit compétente, il faut que la personne soupçonnée ait été arrêtée sur le territoire
français.
Mais si la France peut juger, et doit juger ces crimes, c’est surtout parce que l’on considère que le
crime commis est si grave qu’il porte atteinte à l’humanité toute entière.
Et que chaque Etat a pour responsabilité de juger ces crimes.
Parce que c’est toute l’Humanité qui est concernée à travers un crime contre l’Humanité.
A travers le génocide des arméniens, à travers la Shoah, à travers le génocide des Tutsi du Rwanda,
c’est l’Humanité dans son ensemble qui est visée.

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Dans le village de BREGNIER-CORDON, dans l’Ain, une stèle commémore la rafle des 44 enfants juifs et
de leurs 7 éducateurs, le 6 avril 1944, à la Maison des enfants d’Izieu.
Comme on peut imaginer la même stèle à Kibeho en hommage aux 90 élèves de l’Ecole Marie Merci,
massacrés le 7 mai 1994 parce que nés Tutsis.
Cette stèle comporte une phrase d’Hemingway qui pourrait très bien justifier pourquoi l’on juge ces
crimes commis si loin de nous:
« Tout homme est un morceau de continent, une part du tout. La mort de tout homme me diminue parce
que je fais partie du genre humain ».
Si la LICRA est là, enfin, c’est parce qu’elle est née d’un procès. Ce procès trouve un écho tout
particulier aujourd’hui.
Ce procès a eu lieu en 1927, dans ce Palais de Justice. La Cour d’assises de Paris s’appelait alors la Cour
d’assises de la Seine.
L’accusé s’appelait Samuel SCHWARTZBARD, un Français d’origine ukrainienne, Juif, décoré de la Croix
de Guerre, qui avait assassiné en plein Paris Simon PIETLOURA, un leader nationaliste ukrainien ayant
commandité la traque, les pogroms et le massacre de 40 000 hommes, femmes et enfants, parce qu’ils
étaient nés Juifs.
SCHWARTZBARD avait voulu se venger du meurtre de sa famille dans ces pogroms dont le
responsable était PIETLOURA, réfugié en France en toute impunité, sans être inquiété par la Justice.
Aux termes de ce procès, l’accusé SCHWARTZBARD a été acquitté. Non pas parce qu’il n’y avait pas de
preuves, puisque l’accusé reconnaissait et assumait son acte, prémédité.
Mais parce que les jurés ont considéré que cet homme, en tuant le responsable impuni de ces
massacres, avait fait Justice. Il avait remplacé une Justice défaillante.
Des soutiens de l’accusé se sont formés au cours du procès, pour dénoncer les pogroms. Parmi ceuxci, la Ligue contre les pogroms, créée à cette occasion, devenue plus tard la Ligue internationale contre
le Racisme et l’Antisémitisme.
Aujourd’hui, la Justice ne sera pas celle de la vengeance, pas celle qui exige le sang, mais celle que
vous rendrez, en toute sérénité, au nom du peuple français.
Mais pour la communauté des Hommes.

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du lundi 11
juillet 2022 J 41
14/07/2022

Cette dernière journée a été consacrée aux plaidoiries de la défense.
Maître LEVY.
Il y a eu un génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, à GIKONGORO. La défense reconnaît la souffrance
des victimes, l’existence de massacres organisés. Mais les auteurs? A GIKONGORO, plusieurs ont été
condamnés, d’autres ont aussi été condamnés et clament leur innocence, d’autres sont en prison.
Mais vous devez juger Laurent BUCYIBARUTA. La charge de la preuve repose sur le ministère public.
Mais le doute doit profiter à l’accusé. Le préfet était responsable de la sécurité mais la sécurité n’a pas
été assurée. J’aborderai la notion d’auteur et celle d’abstention. Il peut être auteur s’il a décidé de
rassembler des réfugiés à MURAMBI en sachant pertinemment qu’on allait les tuer. Dans ce cas, il est
coupable.
Si vous avez un doute, vous l’acquitterez.
Quant à la « complicité par abstention », il n’existe pas de jurisprudence de la Cour de cassation en
matière de génocide. Cela concerne le pouvoir d’agir et les moyens dont on dispose.
Le pouvoir public a détaillé les scènes de crimes et précisé les accusations y afférant: complicité pour
KIBEHO et auteur pour les autres. Se pose la question des témoignages et de leur valeur. Il y a des
témoins qui accusent, des témoins à charge, et des témoins à décharge. Nous ne pensons pas que
tous les témoins sont des menteurs. Nous pensons qu’ils sont sincères. Nous ne disons pas qu’ils sont
manipulés.
A MURAMBI, au Mémorial, Laurent BUCYIBARUTA est présenté comme auteur du génocide. Des
témoins disent ce qu’ils ont vu ou entendu. Certains témoins mentent, je ne suis pas le seul à le dire.
(NDR. Et l’avocat de citer des noms de témoins qu’il considère comme menteurs). Si un témoin dit une
chose et son contraire, il faut l’écarter.
Les témoins professionnels. S’appuyant sur le témoignage de monsieur GUICHAOUA, (NDR. comme
le fera à grande échelle maître BIJU-DUVAL lors de sa plaidoirie), maître LEVY évoque le largage de
Tutsi du haut d’un hélicoptère sur la forêt environnante, une décision inconcevable. L’avocat s’en rend
aussi aux témoins « professionnels » qui sont cités sans arrêt, qui répondent à des interviews et dont le
témoignage est « d’un niveau douteux ». Selon GUICHAOUA, « le Rwanda n’a jamais renoncé aux faux
témoins« . D’autres seraient tellement menteurs que le ministère public n’a pas voulu les faire citer au
procès.
« S’il y a des doutes sur la valeur des témoignages, je vous fais confiance« , poursuit maître LEVY.
KIBEHO. Sur ce lieu de massacres, il s’agit d’un regroupement spontané. Peu de gendarmes présents
puisque la préfecture n’en dispose que d’une soixantaine. L’avocat rejette l’information apportée pas
madame Christine KAYITESI: il n’y avait pas de téléphone à la paroisse. Et de s’appuyer sur le
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témoignage de Soeur THERESE, la directrice de l’Ecole des Lettres, qui a dû faire dix kilomètre pour
pouvoir appeler. Maître LEVY se dit relativement d’accord avec le Ministère public concernant KIBEHO:
c’est le sous-préfet BINIGA qui dit aux réfugiés qu’ils peuvent rentrer chez eux. Ils refuseront.
Parmi les témoins crédibles, l’avocat cite l’évêque anglican, monseigneur Norman KAYUMBA, entendu
en visioconférence de BUFFALO, aux Etats-Unis, et madame Madeleine RAFFIN.
Le 14 avril, ce sont les grandes attaques auxquelles gendarmes et policiers communaux participent.
Comment Laurent BUCYIBARUTA aurait-il pu empêcher ces massacres? Il n’en prendra connaissance
que le 15 ou le 16 avril. Il se rend à KIBEHO le 17 et en ramène des survivants qu’il va conduire à
KIGEME. L’avocat est persuadé que le sous-préfet BINIGA est absent. On ne le reverra qu’au mois de
mai.
Revenant sur le cas du préfet de CYANGUGU, BAKAMBIKI, qui a sanctionné un bourgmestre: ce dernier
l’a sanctionné parce qu’on avait retrouvé chez lui des biens qui avaient été pillés. Quant à la
nomination de BAKUNDUKIZE comme bourgmestre (NDR. Alors que c’était un tueur manifeste connu
de tous), cette nomination est due au fait qu’il avait déjà exercé cette fonction. Il sera d’ailleurs réélu
bourgmestre après le génocide et ne sera dénoncé que fin 1994. Et l’avocat d’ajouter: » BAKAMBIKI a
de la chance, ses sous-préfets n’ont pas participé aux massacres. »
MURAMBI. C’est bien à l’initiative du préfet que les réfugiés ont été rassemblés dans cette école, lors
de la réunion du 10 avril. C’était la meilleure solution à ce moment-là pour ceux qui s’étaient déjà
réfugiés dans l’église et les écoles. D’autres Tutsi vont venir les rejoindre de leur propre initiative. Le
préfet n’était pas là lors du regroupement. Au cours de la réunion du 13, a été évoqué le manque de
moyens. Les conditions de vie vont se dégrader rapidement, par manque de nourriture. Le 15, le préfet
rend visite aux réfugiés, mais SEBUHURA n’est pas présent. « Pourquoi serait-il là? » demande
l’avocat. Contrairement à ce que disent trois témoins, Laurent BUCYIBARUTA n’est pas à MURAMBI le
20 (NDR. Veille des massacres, ces derniers ayant lieu dans la nuit du 20 au 21, vers trois heures du
matin. A ce stade, maître LEVY se garde bien de parler du comportement du préfet lorsqu’il entend la
fusillade et de son l’emploi du temps dans la matinée du 21. Pour mémoire, le préfet s’est rendu à son
bureau pour s’occuper de son courrier en retard.)
Les barrières de KABEZA. Il existe des scènes de crimes documentées, mais ce qui intéresse l’avocat,
c’est le témoignage de Madeleine RAFFIN qui a été empêchée de rejoindre MURAMBI. On a tué sous
ses yeux les Tutsi qu’elle transportait. Un faux témoin dit que le préfet était présent. D’autres témoins
se contredisent, ou bien ne parlent pas du préfet, ou encore donne un témoignage invraisemblable.
L’un d’eux dit qu’il a entendu Laurent BUCYIBARUTA donner l’ordre au tueurs d’aller à CYANIKA, il riait.
« Ce témoin se moque du monde, un témoin isolé contredit pas d’autres. » Le préfet n’était pas à
MURAMBI, il n’a pas ordonné les massacres. »
Les paroisses de CYANIKA et KADUHA. « Comme ces événements se produisent en même temps, ce
serait Laurent BUCYIBARUTA! Le ministère public prétend que Laurent BUCYIBARUTA était en lien avec
le sous-préfet. D’où ça sort? Ce ne sont que de simples déductions » continue maître LEVY.
A KADUHA, c’est le sous-préfet Joachim HATEGEKIMANA qui était à la manœuvre? Il est fort possible
que SIMBA ait été présent. La présence du sous-préfet est au minimum contestable, un seul témoin

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l’ayant vu derrière un portail. Quant aux « témoins en rose ou en orange, qui semblaient avoir fait ce
qu’ils pouvaient, on peut s’interroger sur leur condamnation à perpétuité. »
La prison de GIKONGORO. Meurtres des prisonniers tutsi et des trois prêtres. Pour l’avocat, ce sont
« des accusations fabriquées de toutes pièces. » Pour la majorité des témoins, on n’a jamais vu le préfet
à la prison. Quant à la mort des trois prêtres, le Ministère public n’a pas retenu la responsabilité de
Laurent BUCYIBARUTA. « Il n’est responsable en rien. »
Massacres à l’Ecole des Lettres. En procédure, un non-lieu avait été requis, le ministère public a
changé d’avis (NDR. Nous avions fait appel de ce non-lieu lors de la publication de l’Ordonnance de
mise en Accusation (OMA) des juges d’instruction.) Monseigneur MISAGO mis en cause pour les mêmes
faits avait été acquitté. Et l’avocat de faire référence au témoignage d’Emmanuel UWAYEZU, le
directeur de Marie-Merci, dont le témoignage ne nous avait pas paru très convaincant. Dommage qu’il
n’ait pu être réentendu comme c’était prévu. Les parties avaient beaucoup de questions à lui poser.
Les réunions à l’école. Lors de la visite que font les différentes autorités, ces dernières vont tenter
d’atténuer les tensions entre élèves hutu et tutsi, d’abord en essayant de calmer les Hutu qui
reprochaient à leurs collègues tutsi d’avoir voulu les empoisonner, puis en essayant de rassurer les
adolescents tutsi. Décision est prise de renforcer la garde. « BIZIMUNGU a sélectionné des gendarmes
de confiance » selon l’avocat. On a du mal à le croire.
Maître LEVY rappelle alors la chronologie des faits. » Trois jours après, UWAYEZU va voir monseigneur
MISAGO à GIKONGORO. On sait alors que SEBUHAURA va modifier la garde. Mais il existait des
conflits entre le commandant BIZIMUNGU et le capitaine SEBUHURA. Laurent BUCYIBARUTA va
prendre en charge un survivant, THEOPHILE, qu’il remet à Léonidas RUSATIRA, à KIGEME.
Maître LEVY conclut sa plaidoirie en annonçant que son confrère, maître BIJU-DUVAL abordera la
question de la complicité et en s’adressant une dernière fois aux jurés: « Thérèse, sa femme est une
rescapée du génocide. Je vous demande de rejeter les accusations du Ministère public. »

Plaidoirie de maître BIJU-DUVAL.
« Mon confrère a dit l’essentiel. En examinant les faits l’un après l’autre, il nous a permis d’en écarter
certains qui sont mensongers » commence l’avocat.
« Je voudrais vous proposer trois recommandations, trois remarques de méthode. »
Maître BIJU-DUVAL recommande aux jurés, c’est sa première recommandation, une grande humilité
en présence de faits qui datent de plus de 28 ans et qui nous mettent en présence de grandes
difficultés: l’oubli et les faux souvenirs, les souvenirs reconstruits.
Il continue en rendant « hommage à l’immense courage des rescapés qui sont venus témoigner. » Mais il
faut faire la part des choses, même si on ne met pas en cause leur sincérité. Il appelle les jurés « à la
modestie, à la prudence, car le génocide des Tutsi est le résultat d’un processus historique très complexe,
difficile à comprendre. » Une complexité que souligne André GUICHAOUA, un témoin auquel il va faire
très souvent référence au cours de sa plaidoirie! (NDR. Saint André GUICHAOUA!) Et d’ajouter,
ironiquement: « J’ai été parfois bluffé, admiratif devant les certitudes du Ministère public. »
Deuxième recommandation: » Il faut prendre garde au danger des reconstructions à posteriori, à
l’illusion rétrospective disent les historiens. » L’avocat évoque les nombreuses connaissances acquises

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lors des procès devant le TPIR concernant GIKONGORO et sur les responsables des massacres: SIMBA,
BINIGA…
« Mais vous aurez à apprécier le comportement de Laurent BUCYIBARUTA. Que savait-il, LUI? Que
savait-il de ces massacres? Pouvait-il prévoir les massacres de KIBEHO, de CYANIKA? Laurent
BUCYIBARUTA, début avril, en mai, qu’en sait-il? Même chose pour la politique génocidaire. Laurent
BUCYIBARUTA se serait inscrit dans cette logique génocidaire mise conçue et mise en place par les
cercles extrémistes? Que sait-il, lui, de ces cercles extrémistes? On lui reproche de n’avois pas fait les bons
choix. Mais lui, Laurent BUCYIBARUTA, à quel moment comprend-il cette politique délibérée? »
Troisième recommandation. Il faut se méfier des déductions hâtives., ne pas s’en tenir au syllogisme:
il est préfet responsable de la sécurité, il y a eu des massacres, donc il est coupable! Demande est faite
de se méfier aussi de l’inversion de la charge de la preuve: « Laurent BUCYIBARUTA, prouvez-nous que
vous n’êtes pas responsable. »
Est-ce que Laurent BUCYIBARUTA as sciemment eu un comportement qui a contribué
substantiellement au génocide à GIKONGORO?
Laurent BUCYIBARUTA disposait-il encore entre avril et juillet 1994, du pouvoir effectif d’empêcher les
massacres?
Le Ministère public accuse Laurent BUCYIBARUTA d’être partie prenante à l’entreprise génocidaire!
Oui, il y a eu coordination des forces politiques, militaires (…) qui ont mis en œuvre le génocide. Mais
attention au danger de la généralisation. L’avocat de la défense reproche au Ministère public d’établir
un rapport abstrait, éloigné des faits. En affirmant que tous les rouages administratifs et militaires sont
impliqués, c’est la logique de l’accusation, il s’agit d’un parti pris éloigné des faits. Ce type de
raisonnement n’est pas conforme à la réalité des faits.
Maître BIJU-DUVAL revient sur le danger de la reconstitution à posteriori des faits. Par exemple, le
regroupement des réfugiés à MURAMBI aurait été intentionnel et criminel? On peut comprendre que
des témoins soient venue dire leur conviction à ce sujet: « On a fait exprès de nous rassembler », mais
ce n’est pas vrai.
Y avait-il une politique du gouvernement de regrouper les gens? Ce gouvernement est constitué le 9
avril 1994. La décision de regroupes les réfugiés à MURAMBI est prise le 10 sur décision du préfet. Il
s’agissait de regrouper des réfugiés qui avaient fui à la paroisse de GIKONGORO. Il ne s’agit pas d’un
regroupement à MURAMBI, mais d’un déplacement des réfugiés.
Le 11 avril, après la réunions des préfets, ces derniers sont renvoyés dans leur préfecture pour assurer
la sécurité. On nous présente le préfet comme quelqu’un qui se serait inscrit dans la mouvance
extrémiste depuis longtemps. C’est faux et garder en mémoire les propos de GUICHAOUA: il faut que
le préfet soit accepté par tous les partis, « lui le moins MRND du MRND. »
De 1992 à 1994, la situation est extrêmement agitée au Rwanda. C’est le temps du KUBOHOZA, le
débauchage. Le préfet Laurent BUCYIBARUTA est admirable de neutralité.

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Le 28 février 1994, il y a un pic de tensions qui fait suite à l’assassinat de GATABAZI (PSD) et au
lynchage de BUCYANA (CDR), tensions à GIKONGORO. Le préfet intervient pour calmer la situation et
pour dire « halte au feu, pas question de distribuer des tracts anti-Tutsi. »
La thèse du Ministère public n’est pas sérieuse en faisant de Laurent BUCYIBARUTA un extrémiste. A
côté, il y a devrais extrémistes au Comité préfectoral de sécurité avec SIMBE et BINIGA. Ce pouvoir
parallèle extrémiste va créer les instruments du génocide, comme la création des Interahamwe et de la
RTLM. (Toujours) selon GUICHAOUA, la bible de l’avocat, Laurent BUCYIBARUTA ne pèse rien, dès
avant le 7 avril 1994.
Un autre axe de l’accusation: Laurent BUCYIBARUTA aurait été l’exécutant loyal du gouvernement
intérimaire, un relai fidèle, servile de ce gouvernement génocidaire! Que pouvait savoir Laurent
BUCYIBARUTA des intentions d’un gouvernement créé le 9 avril?
Un moment charnière: le discours de SINDIKUBWABO à BUTARE le 19avril: le président appelle la
population à tuer les Tutsi. Ce n’est pas un hasard si le 21 se déroulent les massacres de MURAMBI,
CYANIKA et KADUHA! (NDR. L’avocat de la défense n’évoque pas la visite du président de la république
le 18 à GIKONGORO) Peut-on dire que BUCYIBARUTA est à la botte d’un gouvernement génocidaire?
Est-ce que ça tient?
Et l’avocat de revenir assez longuement sur le Communiqué du 16 avril concernant la rencontre entre
le préfet HABYARIMANA de BUTARE, que l’incontournable GUICHAOUA présente comme « un héros,
un martyr du génocide » et du préfet BUCYIBARUTA. Il relit toutes les décisions qui ont été prises pour
bien montrer que ces deux préfets ne sont pas dans le camp des tueurs, bien au contraire.
Revenant sur les barrières, les deux préfets, « y compris le préfet tutsi« , demandent d’organiser les
barrières et les rondes. Il faudrait avoir des œillères pour ne pas comprendre que la situation est
complexe. C’est la guerre, comme l’ont rappelé messieurs SEMELIN et GUICHAOUA, une guerre sans
pitié entre une guérilla qui connaît les infiltrations derrière le front et les FAR. Il n’y a rien de criminel
de dire qu’il faut organiser les barrières: on est en guerre. BUCYIBARUTA sait ce qui se passe sur
beaucoup de barrières. Et on lui demande: « Qu’est-ce que vous faites? »
Citant une nouvelle fois GUICHAOUA: « Il s’agit d’un moment d’un courage inouï! Qu’ils aient pu passer
ce message, c’est inimaginable! » Avec ce communiqué, ils ont signé leur arrêt de mort! (NDR. Mais
seul le préfet de BUTARE a été destitué et exécuté!) Ce sentiment rejoint d’ailleurs celui d’Alisson DES
FORGES.
« Le 16 avril, on aurait affaire à quelqu’un qui vient relayer la position du gouvernement génocidaire?
C’est le contraire.
C’est à la lumière de cet acte de courage inouï que doivent être comprises les différentes réactions du
préfet. Le préfet est loin d’être inactif pendant cette période (cf. les différentes réunions qu’il a organisées).
A cette date, peut-on soutenir que Laurent BUCYIBARUTA a manqué à son devoir légal d’assurer la
protection de sa préfecture? »
L’avocat de s’en référer à Madeleine RAFFIN dont le nom a été si souvent évoqué dans ce procès. Elle
parlerait le Kinyarwanda? (NDR. On ne voit pas bien ce que cela apporte de plus pour les débats).

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« Lors de la réunion du 13 avril, Laurent BUCYIBARUTA renvoie les bourgmestres dans leur commune
pour pacifier. Mais les tueurs prennent leurs ordres ailleurs. Pas à la préfecture de GIKONGORO. Et puis,
il y a la RTLM, c’est terrifiant. Entendez lez chansons de KANTANO! »
Le rôle de la gendarmerie. « C’est la seule force sur laquelle Laurent BUCYIBARUTA peut compter. Que
lui reste-t-il à dire et à faire? Il est dans une impasse sécuritaire. Il peut convoquer des réunions, diffuser
des messages. Et il va le faire. Accomplit-il son devoir de préfet? Ne fait-il que relayer le message du
gouvernement génocidaire? »
La période cruciale des 17/18/19 avril 1994. Ces dates correspondent aux déplacements de
KAMBANDA , le premier ministre, et de SINDIKUMBWABO, le président de la république, dans le sud
du pays.
« Depuis le 16, Laurent BUCYIBARUTA est dans ses petits souliers. Il sait qu’il a transgressé la politique du
gouvernement génocidaire. La visite de SINDIKUMBWABO à GIKONGORO a pour but de remettre un
préfet dans le droit chemin génocidaire. Le président de la république vient dire à BUCYIBARUTA qu’il n’a
pas compris ce qu’on attend de lui. Laurent BUCYIBARUTA n’est pas un grand résistant. C’est un honnête
homme qui ne veut pas relayer une politique qui participe au génocide. Le Ministère public veut nous
faire croire qu’on a besoin de toute la chaîne administrative pour mettre en place le génocide. Non. Les
ordres du gouvernement intérimaire suffisent. Laurent BUCYIBARUTA était dépassé. Oui, les décisions se
prennent ailleurs. Laurent BUCYIBARUTA est hors champ, il n’est plus dans la course. On n’a plus besoin
de lui pour le génocide. »
La pacification. Maître BIJU-DUVAL relit la lettre du Premier Ministre et en fait une longue explication
de texte pour montrer que Laurent BUCYIBARUTA était bien pour al pacification. (cf. la réunion du 26
avril et le message aux bourgmestres et aux sous-préfets du 29.)
« Oui ou non, à ce moment-là, peut-on dire que ce que dit ou fait Laurent BUCYIBARUTA constitue une
contribution délibérée aux massacres? Il faut se méfier de l’illusion rétrospective. Nous savons aujourd’hui
que les tueries vont se poursuivre. Les rescapés ont le droit de penser que ces messages ont fait sortir les
Tutsi de leur cachette. Ce message du 29 avril, est-ce une réelle incitation à la pacification ou un relai
servile du gouvernement génocidaire? Laurent BUCYIBARUTA veut une pacification réelle. Il faut mesurer
la partie de ce message qui nous a été lu intégralement. »
Et l’avocat de s’appuyer sur l’exégèse qu’en fait une chercheuse parlant le Kinyarwanda (?), Alison DES
FORGES.
« Laurent BUCYIBARUTA va essayer de trouver les arguments pour que cette pacification se fasse. On
retrouve dans ce message la rhétorique du Premier ministre. Il s’agit de convaincre les autorités d’arrêter
les massacres. Dans leur intérêt, ils ont de bonnes raisons d’arrêter de tuer: le Rwanda est abandonné, il
n’obtient plus d’aides internationales, les écoles et les Centres de santé sont fermés, la famine rôde (…) Ce
message est adressé à la population qui tue. Il s’agit de convaincre les tueurs mais aussi les persuader
que Laurent BUCYIBARUTA n’est pas complice du FPR: il faut se battre contre l’ennemi. »
L’ennemi! Mot impossible à prononcer. Mot employé pour désigner les Tutsi? Là encore, il y a danger de
généraliser. . L’ennemi, c’est le FPR. On a tendance à oublier la guerre, et dans cette guerre, il y a une
armée rebelle qui a attaqué le Rwanda. Si on parle du FPR Inkotanyi, il n’y a plus d’équivoque. »

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« Inyenzi? Ce sont des cafards mais c’est aussi le nom que se sont donné les réfugiés tutsi. A aucun
moment, dans aucun message de Laurent BUCYIBARUTA, il n’est fait usage de ce mot Inyenzi. Il n’y a pas
d’équivoque dans ce message, il est contre les tueurs. »
« Par son comportement, par ses écrits, est-ce que Laurent BUCYIBARUTA a encouragé le génocide?
L’analyse d’Alison DES FORGES prouve le contraire. »
Après, il y a Marie-Merci et les autres tueries. Selon Alison DES FORGES, « le préfet n’appuya jamais ses
paroles par des actes. »
« Est-ce que Laurent BUCYIBARUTA, pendant cette période, a les moyens de rétablir la sécurité? Peut-il
faire suivre ses paroles par des actes? » demande l’avocat. « Il y a des choses qu’il peut encore faire:
intervenir en faveur de tel ou tel, réquisitionner les prisonniers… »
« Face aux Interahamwe, face aux génocidaires, Laurent BUCYIBARUTA n’est plus qu’un civil sans armes
qu’on ne respecte plus. » Puis, se référant une fois encore à GUICHAOUA: « Vient un moment où la
seule autorité capable de se faire respecter, c’est celle qui a des armes. »
L’avocat revient sur le témoignage de l’évêque anglican, Norman KAYUMBA concernant KIGEME. Une
bande de tueurs attaque. Ces derniers s’adressent au préfet: « Tais-toi! Pars de là! Où est ton Inyenzi
qui te sert de chauffeur? » Les tueurs renoncent sur les menaces de BIZIMUNGU. « Les tueurs n’ont que
faire de ce que peuvent dire des civils, fussent-ils préfets. » Même Madeleine RAFFIN dira, concernant le
24, que le préfet n’a plus d’autorité.
« Ce qui nous oblige à nous centrer sur la question essentielle, poursuit l’avocat, celle du pouvoir
d’empêcher. Le préfet n’a plus ce pouvoir d’empêcher. Norman KAYUMBA, évêque, a plus d’autorité que
le préfet. Laurent BUCYIBARUTA n’a plus aucun pouvoir. Puis va s’ajouter la rumeur qu’il est un complice
des Inkotanyi. Il ne peut donc plus aller au-delà de ce qu’il a dit. »
Maître BIJU-DUVAL reprend sa bible GUICHAOUA. « Ceux qui ont l’autorité sont ceux qui ont des
armes. » Il fait aussi allusion aux propos de NDINDILIYIMANA et ceux de Léonidas RUSATIRA qui dirige
l’école militaire de KIGEME, lui-même suspecté d’être complice. Et l’avocat de conclure: « Comme sous
la Révolution, il suffit de rien et on part à la guillotine. »
La Déclaration de KIGEME du 7 juillet 1994.
L’avocat revient sur le grand courage qu’i a fallu aux militaires signataires de ce communiqué et non
impliqués dans le génocide. (NDR. Pas forcément vrai concernant RUSATIRA que des rescapés de l’ETO
de KICUKIRO à KIGALI soupçonneraient d’avoir été présent sur le lieu des crimes le 11 avril 1994.) Une
précision: ce communiqué a été diffusé alors que l’Opération Turquoise était présente.
Les insultes sur la place du marché? Laurent BUCYIBARUTA est suspecté d’être un complice. Dans ces
conditions, que peut-il faire sans exposer sa vie et celle de sa famille?
Et maître BIJU-DUVAL d’en arriver à sa conclusion qu’il lit.
« Le préfet BUCYIBARUTA, on le sait, de nombreux témoins, il y en a quatorze, sont venus confirmer ces
épisodes où publiquement on l’accuse d’être un complice des Inkotanyi car il cache des Tutsi. Quatorze
témoins que nous avons entendus, et pas que les témoins de la Défense. Par exemple, le témoin Pilote
NTEZIRYAYO le reconnaît ; c’est une réalité qui est incontestable. Il est, par certains, suspecté d’être
complice des Inkotanyi. Ce n’est pas vrai, il n’est pas un complice du FPR. Ce n’est pas vrai. Mais, il y a
une réalité, un fait établi, c’est qu’il est « considéré comme ». Il est suspect et le suspect s’expose à la

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mort. Dans ces conditions-là, que peut-il dire et que peut-il faire sans exposer sa vie et celle de sa famille
? Comme l’a très bien dit Monsieur GUICHAOUA, avec beaucoup d’émotions, je cite : « Il faut savoir
jusqu’où on est prêt à aller au sacrifice ? ». Ce sont les mots du professeur GUICHAOUA. Le choix existe-til ? Le choix existentiel. Il ajoute « Je ne me permettrai pas de dire quoi que ce soit, je ne peux pas me
prononcer sur des normes de courage qui leur incombaient ». Monsieur GUICHAOUA est le mieux placé
pour dire ce qu’il dit car il était à KIGALI le 6 avril 1994. Il était dans la terreur de KIGALI et les tueries de
KIGALI pendant ce début d’avril 1994. Il sait ce que cela signifie ; la peur d’être tué et jusqu’où peut aller
le courage et peut-on aller jusqu’au sacrifice ?
Souvenez-vous, il avait presque des larmes dans les yeux, il se souvenait de ces moments où, à l’hôtel des
Milles Collines, après avoir sauvé Monsieur François Xavier NSANZUWERA et sa famille, qui se cachaient
dans sa chambre je crois, eh bien ils voyaient eux-mêmes des gens de la garde présidentielle passer dans
l’hôtel et venir rencontrer les réfugiés. Que nous dit-il ? Il nous dit que lui est Français, protégé en tant
que Français, alors qu’il connaît bien des personnalités de l’ancien régime, il connaît bien le RWANDA de
l’ancien régime, et il a fait la démonstration d’un courage exemplaire. Alors, moi, je ne sais pas ; qu’est-ce
qu’on peut dire aujourd’hui de Monsieur BUCYIBARUTA ? On peut dire « Non, Monsieur, il fallait avoir le
courage dans ces conditions-là, dans le RWANDA d’avril 1994 ». Même Monsieur GILLET est venu nous
dire « Je ne sais pas », et Monsieur GUICHAOUA dit « Je ne me permettrais pas ». Eh bien moi non plus,
je dis « Je ne sais pas », et je pense que vous aussi vous direz « Je ne sais pas, je ne sais pas ! ».
Dénoncer le génocide ? Faire face aux Interahamwe et aux gendarmes ? Est-ce que c’est le devoir d’un
préfet ? Est-ce que le devoir d’un préfet impose de sacrifier non seulement sa propre vie, mais
évidemment, dans le contexte de violence, la vie de sa famille ? Tout en sachant l’inutilité totale de ce
sacrifice. S’il s’était élevé frontalement, comme un héros, pour dénoncer, il aurait été tué. Cela n’aurait eu
de profit pour personne, sinon sa mémoire, sinon qu’il ne serait plus aujourd’hui effectivement devant
vous pour être jugé. Il serait mort. Il va de soi que ça n’aurait servi à rien. Les tueurs auraient continué de
tuer. Encore une fois, le préfet BUCYIBARUTA, à ce moment-là, n’a pas et n’a jamais eu, depuis avril et
depuis le début du génocide, le pouvoir d’empêcher les massacres et même s’il se sacrifie, et encore
moins la volonté évidemment de voir s’accomplir le génocide.
Et, dans ces conditions-là, il ne peut pas avoir de responsabilité pénale. Il ne peut pas, ce n’est pas
possible et ce serait contraire au droit, ce serait contraire à la justice. Alors, j’en ai fini, tout est dit. Au
terme de ces deux mois de procès, vous savez que Monsieur BUCYIBARUTA n’a en aucune manière,
sciemment, contribué au génocide des Tutsi de la préfecture de GIKONGORO. Vous savez qu’il n’a jamais
cautionné ceux qui le commettaient. Vous savez que les tueurs, quel que soit leur rang, quel que soit leur
statut, civil ou militaire, avaient des leaders autrement plus puissants, et qu’ils n’avaient que faire d’un
préfet isolé et sans force. Vous savez que Monsieur BUCYIBARUTA a tenté d’user de ses pouvoirs, et que
ses pouvoirs se sont rapidement révélés sans substance. On n’arrête pas un génocide avec quelques
gendarmes restés fidèles, face à des bandes de tueurs galvanisés par des radios criminelles et menées par
des autorités civiles et militaires, elles-mêmes à la tête de gendarmes génocidaires. Laurent
BUCYIBARUTA ne disposait plus de ce pouvoir d’empêcher le génocide.
D’autres disposaient de ces pouvoirs d’empêcher les massacres, alors bien sûr il s’agit quand même de
génocidaires, ceux qui dirigeaient les tueurs, ceux qui pouvaient leur dire d’arrêter ce génocide. Mais
aussi, il ne faut pas l’oublier, ceux qui, au RWANDA ou à ses frontières, ont laissé faire le génocide sous
leurs yeux. Rappelez-vous ce que nous disait le Professeur GUICHAOUA, au mois d’avril 1994, au coeur
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du génocide, 300 parachutistes français, et 600 parachutistes belges évacuaient leurs ressortissants à
BUJUMBURA, au BURUNDI, juste à côté de la préfecture de GIKONGORO. 300 Marines américains
étaient en capacité d’intervenir, tous soldats d’élites, solidement armés. Et on voudrait condamner
Laurent BUCYIBARUTA parce qu’il n’a pas arrêté les tueries ? Avec quelques gendarmes et sous la
menace permanente des tueurs ? Mais sommes-nous devenus fous ? A moins, que ce soit une manière
habile de se débarrasser lâchement de notre propre culpabilité.
Vous refuserez cet aspect, vous ferez le choix du courage, du courage de dire « Non » ; Non ce n’est pas
vrai que Monsieur BUCYIBARUTA ait sciemment, de quelque manière que ce soit, contribué au génocide
des Tutsi de GIKONGORO. Non ce n’est pas vrai que sa qualité de préfet lui donnait le pouvoir effectif de
mettre fin aux massacres. Non il n’est pas coupable des crimes atroces dont on a pu l’inculper. Vous
aurez du courage et vous acquitterez Laurent BUCYIBARUTA. »
Alain GAUTHIER pour la synthèse et la rédaction
Mathilde LAMBERT, pour la prise de notes
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

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Procès de Laurent BUCYIBARUTA du mardi 12
juillet 2022. J 42 – VERDICT
12/07/2022

Derniers mots laissés à l’accusé :
« Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du jury…
Je vous remercie de m’avoir accordé la possibilité de m’exprimer(…). Je voudrai m’adresser aux rescapés.
Il ne m’est jamais venu à l’esprit de les abandonner aux tueurs. Par manque de courage? Est-ce que je
pouvais les sauver? J’ai des remords qui me hantent depuis plus de 28 ans. Je n’ai jamais voulu la
souffrance des rescapés. Je n’ai pas pu les sauver, ni leurs familles, ni leurs amis. Jamais je n’ai voulu les
abandonner aux tueurs. Jamais je n’ai voulu leur souffrance. Je n’ai jamais été dans le camp des tueurs.
Jamais je n’ai voulu ces atrocités. Je vous remercie. »
Avant que la cour ne se retire pour délibérer, monsieur le président rappelle aux jurés l’article 353 du
code pénal :
« on ne leur demandera pas les moyens par lesquels ils se sont convaincus (…). Une seule question vous
sera posée : avez-vous une intime conviction?«
VERDICT rendu à 20h45 à l’issue des délibérations : l’accusé est condamné à 20 ans de réclusion
criminelle pour complicité de génocide et complicité de crime contre l’humanité.
Le détail des motivations de cette décision sera publié ultérieurement.
« Nous éprouvons une immense déception : il n’est pas considéré comme auteur de génocide, il n’est
condamné que pour complicité de génocide et complicité de crime contre l’humanité et nos pensées vont
vraiment aux victimes, de Kibého en particulier. » Alain Gauthier, président du CPCR sur TV5 Monde.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024