Numéro : 471
Date : 16 mai 1994
Auteur : Rwabalinda, Ephrem
Titre : Rapport de visite fait auprès de la maison militaire de coopération à Paris
Source : FAR
Fonds d'archives : Braeckman
Résumé : Dans son rapport de visite fait auprès de la maison militaire de coopération à Paris, le colonel Ephrem Rwabalinda écrit que le général Huchon lui aurait notamment conseillé sans tarder de « fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner l’opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la coopération bilatérale ».
Commentaire : Un mois après le début des massacres organisés par l'armée et le Gouvernement intérimaire rwandais, la France, par la bouche du général Huchon, propose une aide à cette armée, donne des conseils avisés en communication, et les assure de son soutien. Au plus haut niveau, alors que les morts se chiffrent déjà par centaines de milliers, la France se montre plus préoccupée par l'opinion que le public pourrait avoir des tueries, que par les tueries elles-mêmes. « Il faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner l'opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la coopération bilatérale », lui déclare le général Huchon qui lui fournit des moyens de communications sécurisés pour s'entretenir avec le général Bizimungu, chef d'état-major, qui a été condamné pour génocide en 2011 par le TPIR. Ce rapport décrit les différents volets d'une opération secrète de fourniture de moyens de secours à une armée qui poursuit un génocide soit directement, soit à travers les milices. Ce document a été fourni à la Mission d'information parlementaire qui ne l'a pas publié. Ce rapport est authentique : - d'une part, la rencontre entre Rwabalinda et Huchon est attestée par l'ordonnance du juge Bruguière du 17 novembre 2006 et par son interrogatoire de Bagosora le 18 mai 2000 à Arusha. Rwabalinda a apporté à Huchon des pièces à conviction concernant l'attentat contre l'avion d'Habyarimana ; - d'autre part, de nombreux faits viennent confirmer la réalité de la coopération secrète décrite dans ce rapport : consigne de discrétion donnée aux tueurs par la RTLM afin de montrer à l'extérieur que les massacres ont cessé ; transfert d'orphelins en France par Bernard Kouchner ; contrat de l'ex-capitaine Barril ; achats d'armes depuis Paris par les colonels Ntahobari et Kayumba ; fourniture de moyens de communication pour les FAR ; nettoyage des espions dans les environs de l'aéroport de Kamembe en vue d'y débarquer des secours ; lettre du Président Théodore Sindikubwabo du 22 mai 1994 à François Mitterrand le remerciant de son aide « jusqu'à ce jour ».
Citation: Rapport de visite fait auprès de la maison militaire de
coopération à Paris
Colonel Ephrem Rwabalinda
9-13 mai 1994
Source : Dossiers Noirs de la politique africaine de la France no 1, Agir ici et Survie, L’Harmattan,
1996.
République Rwandaise
Ministère de la défense nationale
Armée rwandaise
Gitarama, le 16 mai 1994
Au ministre de la Défense
Au chef EM AR
Objet : Rapport de mission.
J’ai l’honneur de vous faire parvenir ci-joint
le rapport de visite que j’ai effectuée auprès de la maison militaire
de coopération Française à Paris du 09 au 13 mai 94.
Les promesses à court et à long terme contenues
dans le document sont à poursuivre activement.
RWABALINDA Ephrem
lieutenant-colonel BEM
Conseiller du chef EM AR
Fig. 1 – Lettre d’accompagnement du rapport de mission du colonel Rwabalinda. Source : Dossiers Noirs
de la politique africaine de la France no 1
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RAPPORT DE VISITE FAIT AUPRES DE LA MAISON MILITAIRE DE COOPERATION A PARIS.
1. J’ai été reçu au bureau du Général HUCHON, lundi le 09 mai 1994 de
1500 h à 1700 heures.
2. Au cours de l’entretien, je lui ai fait le tour d’horizon sur la
situation Politico-Militaire de l’heure au Rwanda, en insistant
sur la reprise des hostilités initiées par le FPR, hostilités qui
ont alimenté vivement les affrontements inter-ethiniques...
[illisible]. J’ai insisté également sur le fait que la MINUAR a
exercé ... empêchant le ... de procéder au recrutement de
nouvelles troupes, de s’approvisionner en armes et munitions tandis
que le FPR agissait en toute liberté en préparation de l’offensive
générale qu’il mijotait.
3. Les priorités suivantes ont été abordées :
a. Le soutien du Rwanda par la France sur le plan de la politique
internationale.
b. La présence phyisique des militaires Français au Rwanda ou tout
au moins d’un contingent d’instructeurs pour les actions de coups
de main dans le cadre de la coopération.
c. L’utilisation indirecte des troupes étrangères régulières ou non.
d. Besoins urgents :
- Munitions pour la Bie 105 mm (2.000 coups au moins).
- Compléter les munitions pour les armes individuelles au besoin en
passant indirectement par les pays voisins amis du Rwanda.
- Habillement.
- Matériel de transmission.
e. Participation aux enquêtes visant à faire la lumière sur la mort
tragique du Président de la République rwandaise et celui du
Burundi.
4. Avis et considérations du général Huchon :
a. Il faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la
légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner
l’opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la
coopération bilatérale. Entre-temps, la maison militaire de
coopération prépare les actions de secours à mener à notre faveur.
Le téléphone sécurisé permettant au Général BIZIMUNGU et au Général
HUCHON de converser sans être écouté (cryptophonie) par une tièrce
personne a été acheminé sur KIGALI. Dix-sept petits postes à 7
fréquences chacun ont été également envoyés pour faciliter les
communications entre les Unités de la ville de Kigali. Ils sont en
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attente d’embarquement à Ostende. Il urge de s’aménager une zone sous
contrôle des FAR où les opérations d’atterrissage peuvent se faire en
toute sécurité. La piste de KAMEMBE a été retenue convenable aux
opérations à condition de boucher les trous éventuels et d’écarter les
espions qui circulent aux alentours de cet aéroport.
b. Ne pas sous-estimer l’adversaire qui aujourd’hui dispose de grands
moyens. Tenir compte de ses alliés puissants.
c. Placer le contexte de cette guerre dans le temps. La guerre sera longue.
d. Lors des entretiens suivants au cours desquels j’ai insisté sur les
actions immédiates et à moyen terme attendues de la France, le
Général HUCHON m’a clairement fait comprendre que les militaires
Français ont les mains et les pieds liés pour faire une intervention
quelconque en notre faveur à cause de l’opinion des médias que seul le
FPR semble piloter. Si rien n’est fait pour retourner l’image du pays
à l’extérieur, les responsables militaires et politiques du Rwanda
seront tenus responsables des massacres commis au Rwanda.
..../...
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-2Il est revenu sur ce point plusieurs fois. Le gouvernement Français,
a-t-il conclu, n’acceptera pas d’être accusé de soutenir les gens que
l’opinion internationale condamne et qui ne se défendent pas. Le
combat des médias constitue une urgence. Il conditionne d’autres
opérations ultérieurs. Dès que le contact téléphonique protéjé sera
établi, une appréciation des problèmes relatés au point 3 ci-dessus
sera affinée et concrétisée en tenant compte de la position du
gouvernement Français sur le cas du Rwanda.
5. Conclusions :
a. Ces contacts m’ont permis de sonder combien la coopération
militaire Française est gênée de nous expliquer sa retenue en matière
d’intervention direct par souci de solidarité à l’opinion politique
Europèenne et Américaine.
b. Les essais de relance de médiatisation faits à Paris par la cellule
du Col NTAHOBALI, que j’ai enrichie par les articles ci-annexés
sont à stimuler et renforcer. A ce sujet, il urge d’y dépêcher un
attaché de presse à la hauteur de la situation. Soigner davantage
l’image du pays à l’extérieur constitue une des priorités à NE PAS
perdre de vue.
c. Les 2 appareils téléphoniques que j’apporte devraient nous aider à
sortir de l’isolement vis-à-vis de l’étranger.
d. Le comité consultatif de crise devrait épauler davantage l’autorité
politico-militaire par des propositions concertées allant même
au-delà du court terme.
e. Les amis contactés nous conseillent de faire un effort pour mettre
à l’oeuvre des équipes aux effectifs réduits pour saboter les arrières
de l’Eni et briser ainsi son élan.
f. Il est à remarquer tant du côté Belge que du côté de la France,
l’hésitation d’envoyer tous les stagiaires au Rwanda même ceux pour
qui les cours prennent fin au début de juillet 94.
g. Une visite de haut niveau politique pourrait mieux cadrer les
orientations et les actions attendues.
RWABALINDA Ephrem
Lt-Col BEM
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