Numéro : 150
Date : 13 avril 1994
Auteur : Bentégeat, Henri
Titre : Conseil restreint
Source : Présidence de la République (France)
Fonds d'archives : FM
Résumé : Tandis que l'amiral Lanxade prévoit que le FPR va contrôler très vite la plus grande partie de Kigali et que ce sont les Tutsi qui massacreront les Hutu, Alain Juppé propose un retrait total de la MINUAR. Le Président Mitterrand lui répond : « Je suis d'accord ».
Commentaire : L'amiral Lanxade, chef d'état-major des armées, prévoit que le FPR va prendre rapidement le contrôle de Kigali et, inversant ce qui se passe en réalité, il annonce que « maintenant ce sont les Tutsis qui massacreront les Hutus dans Kigali ». Le ministre de la Coopération, Michel Roussin, estime cyniquement : « Nous sommes dans une situation où les comptes vont se régler sur place ». Alain Juppé prône le retrait de la Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda (MINUAR) : « Les Belges sont favorables à une suspension et c'est aussi mon avis ». Mitterrand approuve. Le retrait des Casques bleus va laisser les Tutsi sans aucun secours devant les tueurs qui vont pouvoir massacrer sans témoin. Le 21 avril 1994, le Conseil de sécurité, avec l'accord de la France, réduira à 270 les effectifs des Casques bleus sous les ordres du général Dallaire. Les plus grands massacres se dérouleront à ce moment-là. Censés être opposés, l'accord entre Mitterrand et Juppé pourrait surprendre. Il perdurera jusqu'à la fin pour laisser exterminer les Tutsi, ennemis de la France, et protéger leurs assassins, amis de la France. Tous les échanges dans ce conseil sont teintés de cynisme. Mitterrand constate que l'assassinat d'Habyarimana a donné le signal du massacre collectif. Cela ne l'empêche pas de vouloir le retrait des Casques bleus et d'estimer que la France restera indispensable. Il prévoit que « le gouvernement d'Habyarimana », qui est mort, pourra résister longtemps dans « un endroit sûr ».
Citation: CONSEIL RESTREINT
Mercredi 13 Avril 1994
SITUATION AU RWANDA
Participaient à ce conseil restreint, présidé par le
Président de la République :
M. BALLADUR Premier ministre
M. LEOTARD Ministre d'Etat, ministre de la défense
M. JUPPE ministre des affaires étrangères
M. ROUSSIN ministre de la coopération
PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
M. VEDRINE Secrétaire général
Général QUESNOT Chef de l'État—major particulier
M. PIN Chargé de Mission
CABINET DU PREMIER MINISTRE
M.BAZIRE Directeur du cabinet
Contre—amiral LECOINTRE Chef du cabinet militaire
…ÎICII
SECRETARIAT GENERAL DE LA DEFENSE NATIONALE
Général LERCHE . Secrétaire général
MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES
M.DUFOURCQ Secrétaire général
MINISTERE DE LA DEFENSE
Amiral LANXADE Chef d'état—major des armées
Général RANNOU - Chef du caoinet militaire
SECRETARIAT GENERAL DU GOUVERNEMENT
(
M.DENOIX DE SAINT MARC Secrétaire général
SECRETARIAT
Colonel BENTEGEAT Etat-maj0r particulier
R W A N D A
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
On voit bien de quelle manière cet attentat meurtrier contre le président Habyarimana a donné le signal de déclenchement du massacre collectif.
Amiral, pouvez—vous nous faire le point sur le terrain ?
CHEF D'ÉTAT MAJOR DES ARMÉES
Le FPR va contrôler très vite la plus grande partie de Kigali mais il est difficile de prévoir ce qu'il va faire maintenant. Le gouvernement intérimaire a quitté la ville. Nos ressortissants sont évacués. C'est maintenant la phase de retrait de nos troupes. La dernière compagnie partira ce soir. Un élément des forces spéciales restera jusqu'à demain avec les Belges.
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Les massacres vont s'étendre ?
CHEF D'ÉTAT MAJOR DES ARMÉES
Ils sont déjà considérables. Mais maintenant ce sont les Tutsis qui massacreront les Hutus dans Kigali.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Quand n'y aura—t-il plus de troupes étrangères ?
CHEF D'ETAT-MAJQR DES ARMEES
Les Belges pourraient partir dès demain et ils veulent retirer leur bataillon de la MINUAR.
MINISTRE DE LA COOPÉRATION
Nous sommes dans une situation où les comptes vont se régler sur place. Pourtant le F.P.R. à Paris a pris contact avec nous et nous a fait savoir qu'il ferait appel à la France le moment venu.
Nous n'avons pas coupé les ponts avec le F.P.R. parce qu'il fallait régler le problème des 3 corps de nos coopérants à rapatrier le plus tôt possible.
CHEF D'ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES
Il n'y en a plus qu'un. Deux corps ont été identifiés et rapatriés sur Bangui.
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Dans l'ensemble c'est une situation que nous avons déjà connue
ailleurs. La France apparaît toujours indispensable une fois la crise
passée. Nous avons connu cela au Tchad. Ici c'est un peu spécial car
le Rwanda est une ancienne colonie belge. Mais on nous fait signe
déjà.
MINISTRE DE LA COOPÉRATION
Oui. déjà le F.P.R. à Paris nous a donné l'assurance qu'on permettrait le rapatriement des corps de nos coopérants. C'est un signal. On va nous appeler de nouveau.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Il serait quand même étonnant que le gouvernement d'Habyarimana ne trouve pas un endroit sûr dans le pays où il puisse tenir quelques temps. On aura un éclatement et une guerre civile comme au Libéria et en Angola. Mais le territoire est plus étroit et très cultivé. Il est difficile de s'y dissimuler. Monsieur le ministre des Affaires étrangères ?
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
Je n'ai rien à ajouter, si ce n'est une ou deux questions pratiques. La famille proche du Président Habyarimana est actuellement en Centrafrique. Or Patassè veut s'en débarrasser. Il y a deux solutions, le Zaire ou la France.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
S'ils veulent venir en France, la France les accueillera, naturellement.
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
Aux Nations-Unies, le Secrétaire Général doit rendre demain son rapport. Trois solutions sont envisageables le maintien de la MINUAR, sa suspension avec le maintien éventuel d'un contingent symbolique ou un retrait total. !
Les Belges sont favorables à à une suspension et c'est aussi mon avis.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Je suis d'accord. Le Burundi est-il calme ?
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANQERBS
Oui, pour l'instant.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Ils ont épuisé leur venin pour quelques semaines.
MINISTRE DE LA COOPÉRATION
A propos du Burundi, je voudrais souligner l'attitude
scandaleuse de Radio-France—Internationale qui a annoncé que la
situation se dégradait et que des combats étaient en cours dans le
nord du pays. Or, c'est complètement faux.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Je regrette que cette station qui dépend administrativement
du Quai ne soit pas sous le contrôle des Affaires étrangères. Je
sais que c'est délicat. Ils agissent à l'égard des gouvernements
locaux comme ils le font vis—à is du gouvernement français. La
solidité de nos structure permet de le supporter sans gravité
majeure. Ce n'est pas le cas pour les gouvernements locaux.. Je
souhaite très vivement que le ministre des Affaires étrangères qui
en a la responsabilité administrative s'occupe de cette affaire.
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
Ils dépendent du Quai administrativement et financièrement.
MINISTRE DE LA COOPERATION
J'ai déjà rendu compte au Premier ministre de l'attitude
scandaleuse de R.F.I.
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
La séance est levée. Je vous remercie.
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