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Mise à jour :
3 septembre 2023 Anglais

Bernard Kouchner : « Le monde n'a rien fait contre le génocide, contre les 500 000 morts découpés à la machette. Alors c'est difficile d'expliquer au FPR que le monde s'apitoie sur le choléra et pas sur le génocide »

Fiche Numéro 3571

Numéro
3571
Auteur
Bromberger, Dominique
Auteur
Baillancourt, Isabelle
Auteur
Hémart, Gilles
Auteur
Brunetti, Denis
Auteur
Mach, Jean-Etienne
Auteur
Thuillier, Thierry
Date
31 juillet 1994
Amj
19940731
Heure
20:00:00
Fuseau horaire
CEST
Surtitre
Journal de 20 heures [13:51]
Titre
Bernard Kouchner : « Le monde n'a rien fait contre le génocide, contre les 500 000 morts découpés à la machette. Alors c'est difficile d'expliquer au FPR que le monde s'apitoie sur le choléra et pas sur le génocide »
Soustitre
Edouard Balladur a rendu visite aux troupes françaises de l'opération Turquoise dans le Sud-Ouest du Rwanda.
Taille
44464533 octets
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Journal télévisé
Langue
FR
Résumé
- Edouard Balladur a rendu visite aux troupes françaises de l'opération Turquoise dans le Sud-Ouest du Rwanda aujourd'hui. Le chef du gouvernement, qui était accompagné des ministres de la Défense et de la Coopération, a également survolé un camp de réfugiés.
- Edouard Balladur n'a passé que cinq heures au Zaïre et au Rwanda. Pas de visite dans les camps mouroirs de réfugiés. Le Premier ministre a choisi l'hôpital de campagne militaire français de Cyangugu. Des enfants malades ou blessés par balles ou machettes échouent ici. Ils sont soignés par une équipe de médecins qui ne ménage pas sa peine.
- À Kibuye où de terribles massacres se sont déroulés il y a quelques semaines, Edouard Balladur salue les soldats de l'opération Turquoise. Le Premier ministre a rencontré les Tchadiens qui relèvent les Français dans cette zone. Aujourd'hui, il reste un peu plus de 800 soldats français dans la zone de sécurité.
- Accompagné du ministre de la Défense durant ces quelques heures passées auprès des troupes françaises, aucun discours mais seulement et avant tout un hommage à "une armée admirable, une armée qui a la foi". Ce sont les propres mots du Premier ministre.
- Edouard Balladur : "Nos soldats ont pris en main la situation, ils assurent dans cette zone le calme. Le ravitaillement, certes est insuffisant, mais enfin l'essentiel est préservé. Ils donnent aux malades, aux blessés, à toutes les victimes des atrocités que vous avez vues, les soins indispensables. J'ai visité deux hôpitaux de campagne, l'un à Cyangugu et à l'autre à Kibuye, et j'ai pu voir le dévouement de tous les médecins, de tous les infirmiers, de tous les militaires et tous les soldats. La France, depuis le début, a tenu à faire ce qu'elle estime être son devoir : non pas un devoir que d'autres lui imposent, mais un devoir qu'elle s'impose à elle-même. Elle a eu le réconfort d'être très rapidement secondée par des contingents d'Afrique francophone. Et aujourd'hui, alors qu'il y a encore quelques semaines chacun s'étonnait de l'attitude de la France, voilà que le monde entier, enfin ému, se mobilise. Je souhaite que cette mobilisation soit efficace. Je souhaite que la population puisse rentrer chez elle. Et je souhaite que ce malheureux pays et ces malheureux Rwandais puissent retrouver un minimum de sécurité. […] Ce sentiment de la sécurité, ils ne l'auront que si les autorités rwandaises font les gestes nécessaires pour les lui donner. Et puis l'urgence, c'est que la communauté internationale lui apporte les vivres, les médicaments, l'aide dont elle a un urgent besoin. Nous assistons ici à une tragédie comme notre siècle, qui en est pourtant tellement coutumier, en a fort peu connu. […] Nous devions être sur place pour une opération humanitaire, ne pas interférer dans les combats intérieurs du Rwanda. Je vous rappelle que lorsque nous sommes venus ici, l'on continuait à se battre au Rwanda et que Kigali était toujours aux mains de l'ancien gouvernement et de ses partisans. Nous devions être relayés par l'ensemble des pays du monde et notre mission devait avoir une durée limitée. Ces conditions, que nous avions posées, sont à peu près toutes remplies aujourd'hui. […] Notre pays, en la circonstance, a le premier et le seul pris les décisions nécessaires. C'était des décisions difficiles qui nous ont exposés à beaucoup de critiques. Ces critiques, nous les avons assumées, nous les avons surmontées. Nous savions que cette opération comportait des risques de toute nature. Mais nous avons pensé que notre devoir était de faire face à ces risques et de les courir. Aujourd'hui toute la communauté internationale paraît ressentir une sorte de sentiment de soulagement. Mais le moment du soulagement n'est pas arrivé. Ce qui est arrivé, c'est le moment de la mobilisation. Il faut véritablement que l'aide internationale soit plus rapide, plus importante, qu'elle soit plus efficace et qu'elle soit également parfaitement désintéressée. […] Nul n'est en mesure, dans cette affaire, de faire la leçon à la France. Et si véritablement la communauté internationale n'est pas capable de mobiliser 3 à 4 000 hommes pour prendre le relais, cela voudrait dire que les bonnes paroles ne sont que de bonnes paroles. Et qu'elles ne sont pas suivies d'effet. Ce que je ne peux pas et ce que je ne veux pas croire ! Dans ces conditions, la France a montré son sens des responsabilités et elle ne fera rien pour que la situation empire. Tout au contraire ! Elle fera tout pour qu'elle s'améliore".
- Parmi les missions des militaires français, il en est une essentielle : c'est la distribution de l'eau potable. Depuis l'arrivée des réfugiés, les soldats français sont devenus porteurs d'eau. Tous les jours, leurs citernes militaires viennent à la station d'épuration américaine au bord du lac Kivu. Le bataillon de soutien logistique a pris sur ses effectifs de Turquoise pour livrer 65 000 litres d'eau par jour dans un grand camp près de Goma et aux orphelinats. Celui de Ndosho accueille 3 500 enfants orphelins, abandonnés ou égarés. Cette eau pure, le désinfectant régulier apporté ont fait reculer la maladie après les 200 premiers morts du début.
- Dans les grands camps, choléra et infections sont encore dramatiques. À Mugunga, l'eau alimente d'abord le dispensaire puis les 150 000 réfugiés. Les humanitaires ont encore un peu d'espoir, à côté des grands camps du nord plus éloignés et moins distribués.
- À l'orphelinat "Noël", transféré du Rwanda et augmenté de réfugiés, le bac de 15 000 litres a fait reculer la maladie. Seule inquiétude : que deviendront-ils quand les Français partiront fin août ?
- Le secrétaire américain à la Défense, William Perry, est arrivé ce matin à Kigali, où il avait été précédé par les premiers soldats US. William Perry a rencontré l'homme fort du nouveau régime, Paul Kagame, qui a souhaité la bienvenue aux forces américaines. 4 000 militaires américains pourraient être déployés dans la région. Quelques centaines de Canadiens et de Britanniques doivent également arriver à Kigali.
- Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé et de l'Action humanitaire, vient de rentrer de la capitale du Rwanda, où il a rencontré les nouveaux dirigeants. Bernard Kouchner : "C'est une ville morte, rien ne fonctionne. Il y a un gouvernement, une administration qui n'existe plus et qu'il faut reconstruire. Mais c'est surtout à Goma où les problèmes se situent, tout le long de la frontière et également en Tanzanie. Au moins trois millions de personnes qui ont quitté leur domicile doivent revenir ! Le problème prioritaire c'est le retour. J'étais avec une délégation du Parlement européen. Nous avions un objectif très précis : comment assurer ce retour, comment rétablir la confiance. Et puis il faut aussi savoir que l'Europe a donné 350 millions d'écus ! C'est-à-dire plus que le Japon et les États-Unis réunis. Et ça ne se voit pas. Donc comment rétablir cette confiance à partir de la capitale, à partir de Kigali ? Depuis 15 jours nous essayons d'installer des relais humanitaires. C'est-à-dire que les gens reviendront s'ils ont confiance, s'ils savent qu'il y a de l'eau sur la route, des médecins sur la route, un accueil, une protection. En somme je crois que le traitement de ce choléra, c'est à Kigali. C'est en montrant que le pays existe et qu'on pourra les protéger. D'où la proposition de l'Union européenne d'assistance technique. Y compris dans le domaine juridique et dans le domaine de la recherche des criminels, ils insistent beaucoup là-dessus. […] Je regrette l'ambiguïté de la position française. Et qui est accentuée par la démarche du Premier ministre d'aller visiter la zone de sécurité sans que le gouvernement actuel, le gouvernement en place à Kigali, ait été consulté, à ma connaissance. Et ils ont pris ça évidemment très mal ! Encore une fois il faut la clarté et la transparence. C'est ça la thérapeutique ! C'est comme ça qu'on sauvera ces millions de réfugiés aux frontières. Je crois qu'il fallait s'y prendre autrement parce que c'est le début de relations nécessaires, obligées, avec un gouvernement que nous n'avons pas mis en place, que nous n'avons pas choisi, que certains réprouvent. Mais qui existe. Et qui est le gouvernement, pour le moment, légal du pays. Je vous rappelle que le gouvernement de Monsieur Habyarimana est né aussi d'un coup d'État. Et nous l'avons reconnu. Faut pas oublier quelque chose d'essentiel : le monde a été alerté par l'épidémie de choléra et par la maladie, qu'on ne supportait pas. Et voir ces enfants et cette situation effroyable. Mais le monde n'a rien fait contre le génocide, contre les 500 000, je ne sais pas combien, morts, découpés à la machette, tous des vraies cibles établies d'avance. Alors c'est difficile d'expliquer au FPR que le monde s'apitoie sur le choléra et pas sur le génocide. Voilà l'essentiel".