Titre
Alain Juppé : « Je pense que ce procès intenté à la France, qui aurait été coupable directement ou indirectement de ce qui se passe, est insupportable et ne correspond en aucune manière à la réalité »
Résumé
- La France a présenté ce matin au Conseil de sécurité des Nations unies un projet de résolution permettant aux soldats d'intervenir dans un cadre humanitaire. Le vote de cette résolution pourrait avoir lieu mardi [21 juin].
- Sur place les combats et les massacres se poursuivent. L'hôpital de la Croix-Rouge a été bombardé à Kigali tuant une des employées rwandaises de l'organisation humanitaire.
- Les barrages qui délimitent les zones rebelles ne sont plus empruntés qu'en cas d'extrême nécessité. Personne ne se hasarde à proximité de la ligne de front [diffusion de barrage de miliciens interahamwe]. Les civils qui quittaient autrefois la ville par bus entiers dépendent désormais des évacuations encadrées par les Casques bleus lorsqu'elles ne sont pas retardées ou annulées en raison des combats.
- L'approvisionnement de la capitale en aide humanitaire est également devenue aléatoire. Gérard Larôme, "Directeur Cellule d'Urgence" [au ministère des Affaires étrangères] : "Nous avons toujours en tête de poser des avions humanitaires directement à Kigali".
- Interview d'Alain Juppé par Claire Chazal : "Je ne vois pas quelle grande puissance ou quel membre du Conseil de sécurité des Nations unies pourrait s'opposer à une telle initiative. […] Je voudrais insister sur le fait que nous déployons beaucoup d'efforts pour convaincre le Front patriotique rwandais que cette opération n'est pas dirigée contre lui. Nous allons avoir cette semaine des contacts avec le Premier ministre rwandais désigné au titre des accords d'Arusha, qui était donc reconnu par tout le monde. Nous aurons également des contacts à New York et à nouveau à Paris avec les responsables du FPR".
- Sur le terrain, les rebelles sont hostiles à l'arrivée des Français : ils reprochent à Paris d'avoir aidé pendant quatre ans le régime du Président Habyarimana assassiné le 6 avril dernier. Octobre 1990, branle-bas de combat à Kigali : le Front patriotique du Rwanda, déjà, avance au nord du pays. Les ressortissants étrangers sont évacués sous la haute garde de parachutistes français et belges. C'est toujours pour protéger les ressortissants français que ce contingent est doublé en 1992 pour atteindre 700 hommes en 1993. À la plus grande satisfaction de Juvénal Habyarimana, Président du Rwanda depuis 1973 et grand ami de la France. Pendant ces trois années, selon les rapports d'Amnesty International et de la commission des droits de l'Homme, 10 à 15 000 membres de la minorité tutsi seront massacrés. Selon ces mêmes rapports, des escadrons de la mort au service du régime pratiquent des méthodes qui n'ont rien à envier à l'épuration ethnique à la mode bosniaque. Sans que la France n'y trouve rien à redire. Il faudra attendre la mi 93 pour voir avec les accords d'Arusha un virage notable dans la politique française. Reste trois années de relations très chargées qui ne font pas nécessairement de la France le pays le mieux placé pour mener une intervention au Rwanda, fût-elle humanitaire.
- Réaction d'Alain Juppé : "Je suis stupéfié de voir le monceau d'inexactitudes qu'on lit dans la presse sur ce qui s'est passé depuis quelques années. On reproche à la France d'avoir soutenu le Président Habyarimana comme s'il était responsable de ce qui se passe aujourd'hui. Je voudrais simplement rappeler un élément tout à fait factuel : c'est qu'il est mort ! C'est qu'il a été assassiné. Ce sont donc les extrémistes, qu'il tenait précisément et auxquels il était arrivé à imposer les accords d'Arusha de juillet 1993, salués par tout le monde comme des accords de réconciliation ! Y compris par le FPR. C'est grâce à lui [Habyarimana] que ceux-ci avaient été faits. Donc je pense que ce procès d'intention intenté à la France, qui aurait été coupable directement ou indirectement de ce qui se passe, est insupportable et ne correspond en aucune manière à la réalité. […] Tout au long de l'année 93, nous avons petit à petit amené le processus de réconciliation. Ensuite il y a eu des soldats français qui ont préparé l'arrivée du FPR ! Et tout ceci semblait fonctionner : la réconciliation était en cours, le partage du pouvoir se faisait. Il y a eu cet assassinat, il y a deux mois environ, qui a tout détraqué. Nous avons immédiatement réagi ! Par notre aide humanitaire ! En essayant qu'un cessez-le-feu soit obtenu par les grands États de la région. Et en demandant aussi aux Nations unies de projeter sur place une force de 5 500 hommes. Qu'est-ce que nous avons constaté ? C'est que tout ça n'avançait pas. Que le cessez-le-feu n'était pas respecté. Que la MINUAR n'arrivait pas. Et c'est à ce moment-là que nous nous sommes dit : 'On ne peut pas continuer à attendre que ces décisions se concrétisent. Il faut que la France montre l'exemple'. On nous dit : 'C'est trop tard'. Qui l'a fait avant nous ?. Et qui, aujourd'hui, prétend aller plus vite que nous ? Pas grand monde sur la scène internationale".